CHAPITRE XXII. SAUVEGARDONS JUSQU’AU BOUT LE DRAPEAU DE LA REVOLUTION
1. A Xiao
2. La confiance en l’avenir
3. Après les messages de l’Internationale
4. L’automne 1940
5. Wei Zhengmin
CHAPITRE XXIII. L’ALLIANCE AVEC LES FORCES ANTI- IMPERIALISTES INTERNATIONALES
1. La Conférence de Khabarovsk
2. Le révolutionnaire Kim C
3. Nouveau printemps en sol étranger
4. Nos actions par petites formations
5. La foi et la trahison
6. L’organisation de l’Armée alliée internationale
7. Mes compagnons d’armes des AAUNE
8. Les combattants venus de Mandchourie du Nord
9. Pour conserver saines les racines de la révolution
CHAPITRE XXIV. LA RESISTANCE GENERALE CONTRE LE JAPON
1. Pour le jour de la libération
2. Les flammes de la résistance populaire sur toute l’étendue du pays
3. Pour ouvrir la voie à la campagne décisive contre les Japonais
4. L’âme de la nation
5. Pour l’union avec les forces patriotiques antijaponaises
6. Au-delà du détroit de Corée
7. Les jours de l’ultime combat
8. Le retour triomphal
(Avril—décembre 29 du Juche (1940))
1. A Xiao
La Conférence de Xiao
Ce fut l’œuvre de l’effort et de la sagesse du Président Kim Il Sung, qui, au profit de la révolution antijaponaise alors en difficulté, travailla intensément, sans se ménager, à transformer les désavantages en avantages, à remédier aux handicaps dont souffraient la lutte de libération nationale et le mouvement communiste en Corée.
Le Président Kim Il Sung, en maintes occasions, en a évoqué par la suite la préparation et le déroulement.
Après avoir anéanti la «troupe punitive de Maeda» à Hongqihe, nous avons gagné la forêt de Hualazi. Là, nous avons passé en revue les actions de l’ARPC (Armée révolutionnaire populaire coréenne). C’était le bilan de sa Longue Marche, pour ainsi dire, car, en effet, nous avions parcouru jusque-là deux cent mille ri, soit 80 000 km.
La Longue Marche s’est avérée riche en résultats, et nous devions les consolider pour porter notre lutte à un nouveau palier. Les tâches étaient légion; le chemin, devant nous, s’annonçait plus long, plus ardu. Aussi ai-je insisté:
«Nous avons mené à bonne fin la Longue Marche, uniquement grâce à notre force morale et à notre art de la guérilla. C’est d’ailleurs le bilan de notre longue campagne. Aujourd’hui, la situation se dégrade rapidement, de façon inquiétante. Nous devrons donc opérer plus énergiquement, mettant en œuvre l’art varié de la guérilla, conformément aux circonstances et aux particularités de chaque région. Mêlons-nous plus étroitement à la population et intensifions le travail de sensibilisation à son endroit. La victoire finale est encore loin. Ne perdons pas confiance en la victoire de la révolution. Restons imperturbables sous son drapeau. Tenons-nous constamment sur l’offensive et frappons dur l’ennemi.»
Le printemps 1940 a été marqué par le grand acharnement que mettait l’«état-major de l’expédition punitive de Nozoe» à pourchasser l’ARPC. Il lançait des effectifs pléthoriques contre nous, ajustait et complétait sans cesse ses plans d’action dans l’espoir d’anéantir l’ARPC.
Mais nous ne pouvions ni ne voulions lui laisser l’initiative. Jusque-là, nous avions nettement dominé la situation en nous tenant fermement sur l’offensive. Même si le vent tournait à notre désavantage, nous n’aurions pu rester acculés à la défensive.
Mais que faire? Sur quoi compter? Sur notre force morale, sur notre art de la guerre. Oui, c’était bien notre seul et unique atout. En fait d’effectif et d’armement, nous n’étions pas de taille à nous mesurer avec l’ennemi, mais nous prenions nettement le dessus pour ce qui est de la fermeté d’âme et de l’habileté au combat. La question était de savoir lequel des deux belligérants l’emporterait par l’efficacité de son art de la guerre, et la balance penchait nettement de notre côté,
Or, alors que nous campions dans la vallée de Hualazi, les «troupes punitives de Nozoe» battaient les montagnes et gardaient obstinément tous les passages éventuels de notre armée.
Ainsi, bien que nous ayons déclaré notre volonté de rester invariablement sur l’offensive, la situation était très grave. Jugeant insuffisantes les forces dont il disposait en Mandchourie de l’Est, Nozoe avait fait venir des troupes de Tonghua en renfort. Selon O Paek Ryong, celles-ci avaient déjà atteint Liangbingtai, situé aux confins des districts de Yanji et de Dunhua, et un détachement chargé d’on ne savait quelle mission était arrivé du district de Changbai.
Quelles mesures prendre face à un ennemi qui, augmentant ainsi sans cesse ses forces, intensifiait ses opérations «punitives» contre nous?
Nous avions brisé sa première campagne, «opération spéciale pour le maintien de l’ordre public au Sud-Est», par nos opérations de conversion en grandes formations. Quel moyen employer cette fois-ci? Comment réagir à sa nouvelle offensive plus massive et plus acharnée? Revenir une fois de plus à l’opération de conversion, puisqu’elle avait donné des résultats? Ou user d’autres tactiques? Mais lesquelles? Les événements qui se succédaient à l’Est comme à l’Ouest laissaient entendre que l’incendie de la guerre allumé par l’Allemagne et le Japon ne tarderait pas à embraser le monde entier et à engloutir toutes les puissances et les autres pays. Face à cette situation alarmante, quelle ligne stratégique adopter?
A mon sens, deux tâches s’imposaient: adopter immédiatement des mesures énergiques pour briser l’imminente «expédition punitive» et élaborer une ligne stratégique nouvelle, conforme aux exigences de la situation en rapide évolution.
Il faudrait, me disais-je, commencer par mettre au point des moyens tactiques propres à aplanir les difficultés ayant surgi après la bataille de Hongqihe, puis, élaborer une stratégie nouvelle.
Du moment que l’ennemi avait lancé toutes ses troupes dans la fouille des régions de montagnes, nous devions opérer par petits détachements dans les régions de collines. C’était là, à mes yeux, le seul moyen de rester maîtres du champ de bataille.
La plupart des troupes ennemies parties, seuls la police et le corps d’autodéfense restaient à garder les agglomérations urbaines et les villages de regroupement. Il faudrait donc pénétrer dans les arrières de l’ennemi, y engager des opérations perturbatrices énergiques pour disperser ses forces d’«expédition punitive» si nous voulions gagner la partie.
Une fois la décision prise, le gros de l’ARPC a quitté discrètement, à la mi-avril 1940, son camp secret de Hualazi, et s’est embarqué sur le chemin des combats décisifs à l’encontre de l’«opération spéciale pour le maintien de l’ordre public au Sud-Est» entreprise par l’ennemi. Pour commencer, nous avons attaqué en même temps deux gros bourgs de regroupement, Dongnancha et Yangcaogou, situés sur la rivière Xiaosha, puis avons battu à plate couture, dans la vallée de Shujiefeng, une troupe qui nous talonnait; enfin nous avons semé l’ennemi et, arrivés aux environs de Chechangzi, nous nous sommes éclipsés sans laisser de traces.
Les unités d’An Kil et de C
Or, contrairement à nos attentes, la réaction fut molle, sinon nulle, de la part de l’ennemi.
Il fallait des coups plus forts, plus retentissants, un appât plus alléchant. Nous ferions donc une descente dans trois villages à la fois à l’est du chef-lieu du district d’Antu, puis on verrait. Sitôt dit, sitôt fait. Par une nuit, nous avons pris d’assaut Nanerdaogou, Beierdaogou et Xinchengtun.
Cette fois, le coup portait. L’ennemi se jette à corps perdu sur l’appât. Croyant que le chef-lieu du district d’Antu allait tomber, les troupes de l’armée japonaise du Guandong qui, jusque-là, se tenaient obstinément en position aux confins sud d’Antu et de Helong, ont accouru en force. S’y sont jointes des unités de la garde frontalière mandchoue-coréenne.
Pourquoi avions-nous mis tant de peine à attirer l’ennemi vers le centre de la région d’Antu? Pour le frapper dur, d’une part, après avoir dispersé ses forces, et d’autre part, étendre de nouveau notre lutte armée à la Corée en faisant quitter aux troupes japonaises les régions riveraines du Tuman qu’elles gardaient obstinément.
L’unité de Kim Il était désignée pour un raid en Corée. J’ai ordonné au 8e régiment d’avancer, sans trop se hâter, divisé en plusieurs petits détachements, en direction de la frontière, et j’ai expédié le 7e régiment et la compagnie des gardes du corps vers le nord du district d’Antu. Dès lors, nos unités se sont mises à frapper l’ennemi presque quotidiennement.
Peu de temps après, Kim Il, à la tête d’un petit détachement, a pénétré en Corée sans bruit et, arrivé à la mi-mai aux abords du canton de Samjang, dans l’arrondissement de Musan, a attaqué un poste de garde frontalière, puis, pendant deux jours, a mené l’information parmi la population.
Il y avait alors un ordre formel de Minami, gouverneur général japonais en Corée: ne pas laisser les troupes de partisans violer la frontière; faire en sorte que pas un seul homme ne puisse la passer. Et voilà que tout un détachement de l’ARPC était venu opérer en Corée, tirant des coups de feu au vu et au su de tout le monde et menant à loisir son information politique. Voilà un fait notable dans les annales de la révolution antijaponaise de la première moitié des années 1940.
Pour consolider et développer le succès de nos raids en Corée, nous avons multiplié nos opérations dans les régions riveraines du Tuman, au centre et au nord du district d’Antu, et avons rudement frappé l’ennemi.
Ainsi, dès le tout début, la nouvelle «expédition punitive de l’état-major de Nozoe» est allée à la dérive devant notre contre-attaque énergique. L’état-major de Nozoe en accusait les commandements des «troupes punitives régionales et locales» tandis que ceux-ci s’égosillaient à en rejeter la responsabilité les uns sur les autres. Pas un jour sans engueulade; l’état-major de Nozoe, dépité, débordé, multipliait les directives.
Nous préparions de nouvelles opérations lorsque, de Mandchourie du Sud, sont venus nous rejoindre une soixantaine d’hommes, une partie des débris de la 1re armée de route, conduits par Han In Hwa. C’était Wei Zhengmin qui nous les envoyait, nous a dit celui-ci qui voulait se joindre à mes troupes. Cadre de l’état-major de la 1re armée de route, il était aussi commissaire politique de la brigade des gardes du corps.
J’ai estimé nécessaire de leur remonter le moral en les faisant participer à nos opérations.
Au début de juin, nous avons pris d’assaut Dongjingping et Shangdadong. Entrés dans ce premier bourg, nous avons constaté que le lieu était sans défense. C’est que le bourg ayant fait l’objet de notre attaque une dizaine de jours auparavant, personne ne s’était douté que nous y reviendrions. Par la suite, nous avons attaqué plusieurs autres bourgs à la fois.
Après une descente à l’exploitation forestière de Gudonghe, le lendemain, nous avons célébré la fête du Tano avec les camarades de Mandchourie du Sud par un dîner copieux grâce à notre butin.
Han In Hwa, entre deux vins, a pris ma main dans les siennes et m’a confié: «Je pense comprendre maintenant pourquoi Wei nous a envoyés auprès de vous. Ce qui se passe ici montre que la situation au Jiandao est pire qu’en Mandchourie du Sud. Mais, les “troupes punitives” de l’adversaire, elles, paraissent agir, non sur les ordres de Nozoe ou de Umezu, mais bien sur les vôtres. On dirait qu’elles vous obéissent au doigt et à l’œil.»
Profondément impressionné par nos opérations, il déclarait: «La 2e colonne n’a pas son égale. Aucun adversaire ne pourrait oser se mesurer avec l’armée du Commandant Kim. Maintenant, nous aussi, nous nous sentons assez forts et habiles pour nous battre. Après mes rendez-vous avec Chen Hanzhang à Emu ou à Dunhua et avec Zhou Baozhong à Ningan, nous montrerons à notre tour de quel bois nous nous chauffons.» Les actions intrépides et habiles de l’ARPC ont jeté le désarroi parmi les Japonais. Désemparés, ils ne savaient où donner de la tête.
Toutefois, dans l’espoir de relancer leur «opération spéciale pour le maintien de l’ordre public au Sud-Est», ils ont entrepris de tendre un réseau serré de surveillance et de garde sur toute l’étendue du Jiandao. C’est alors qu’un grave incident s’est produit dans notre troupe. Lu Boqi, responsable politique de la 2e colonne, a été fait prisonnier à proximité de Damalugou, dans un camp secret où il était allé se faire soigner, et il a livré à l’ennemi tout ce qu’il savait sur notre compte.
De nouvelles difficultés surgissaient, et pour les écarter, nous avons décidé d’intensifier nos opérations en changeant de tactique.
L’idée m’est venue de diviser l’armée en plusieurs petits détachements et de les lancer vers divers endroits, déclenchant ainsi une guerre d’usure audacieuse et habile contre un ennemi qui arrivait en force. Il y avait à cela plusieurs avantages. Nos petits détachements pourraient se déplacer aisément et rapidement, percer sans trop de difficulté le cordon serré de surveillance ennemie, pénétrer sans être aperçus le camp ennemi, et y semer la confusion.
Au cas où ils seraient repérés, ils pourraient, avec leur effectif réduit, semer sans grand-peine les poursuivants.
Après en avoir pesé mûrement le pour et le contre, nous nous sommes lancés dans l’entreprise sans regarder en arrière. Désormais, c’était la guerre menée par de petits détachements de partisans, une guerre d’usure proprement dite.
De cette façon, sans hésiter le moins du monde devant la nouvelle offensive de l’ennemi, nous y avons réagi de façon prompte et résolue en entreprenant une contre-attaque énergique.
Si, au contraire, pris de peur, nous avions voulu décrocher et nous mettre à l’abri, que serait-il advenu de nous? Nous aurions subi des pertes incalculables, cela ne fait pas de doute. Or, nous sommes sortis victorieux du grand duel, car, toujours maîtres de la situation, nous avons frappé l’ennemi tant et si bien que, étourdi, celui-ci n’a pu en revenir facilement.
L’ennemi avouera de lui-même l’échec de sa campagne «punitive» du printemps et de l’été 1940 contre l’ARPC.
«La troupe de bandits, ayant habilement échappé aux coups de notre expédition punitive de l’automne et du printemps derniers, se montre très active à la faveur de la belle saison. Tout dernièrement, elle a eu l’audace de pénétrer profondément dans nos arrières, jusqu’aux deuxième et troisième lignes, et d’y attaquer des villages. C’est le comble de l’insolence, et les revers qu’elle nous a causés sont loin d’être négligeables. Je partage votre profond chagrin et votre regret. En fait, nous avons pour nous les troupes des armées japonaise et mandchoue, la gendarmerie, la police, la garde des chemins de fer, l’Association de la concorde et autres, dont l’effectif monte à plusieurs dizaines de milliers d’hommes. Ainsi, quelque défavorables qu’aient pu être le temps et le terrain, si elle a eu toute la marge d’action, il faudrait en incriminer avant tout le chef de l’expédition punitive en l’occurrence moi-même, et toutes les autres personnes concernées. Mais si on y regarde de plus près, on ne tardera pas à s’aviser de l’absence de coordination et de coopération entre nos troupes et nos autres organisations, à relever certains défauts dans leur comportement. Tout observateur en viendra à se demander si ce n’est pas ces insuffisances et ces défauts qui entravent le développement de notre campagne spéciale et laissent aux bandits une marge d’action.» [«Dossier concernant l’opération pour le maintien de l’ordre public», état-major de l’expédition punitive de Nozoe, 15 de Showa (1940)]
En effet, très instructive a été l’expérience de nos petits détachements au printemps et à l’été 1940. Jusque-là, nous avions opéré principalement par grosses unités et rarement par petits détachements.
Or, dès l’été 1940, nous avons procédé par petits détachements en divers endroits à la fois, assenant à l’ennemi des coups simultanés, répétés et successifs, et faisant preuve de souplesse d’esprit. L’expérience de ces actions nous a convaincus que plus de forces l’ennemi lance contre nous et plus il resserre son étau d’encerclement et son réseau de surveillance, plus nous devons réduire l’effectif de notre unité d’action et intensifier la guérilla. C’était un grand capital entre nos mains pour élaborer les orientations stratégiques et les moyens d’action pour l’étape suivante.
N’était cette expérience, je n’aurais pas osé, en août 1940, lors de la Conférence de Xiao
Certaines gens considèrent la Conférence de Xiao
La guérilla a ceci de particulier qu’elle exige une grande souplesse d’esprit et une grande capacité d’adaptation, car elle doit faire face à tous les changements éventuels de la situation militaire et politique ainsi qu’à l’évolution imprévisible de l’action. Même dans la seconde moitié des années 1930, bien que nous nous battions principalement par grandes formations, nous n’avions pas oublié d’évaluer à sa juste valeur l’action des petits détachements et de faire appel, au besoin, à cette forme d’action.
Ainsi, après une période d’essai au cours du premier semestre de 1940, toutes les troupes de partisans se sont mises, après la Conférence de Xiao
Voilà ce qui a suivi les années de nos opérations de conversion en grandes formations. Aujourd’hui, j’en ai fait un assez long exposé, car nos historiens se plaignent souvent de manquer de documents sur cette période de l’histoire.
Si l’on envisage les choses par rapport à la Conférence de Xiao
La guerre ayant éclaté en Europe s’étendait rapidement ailleurs dans le monde quand l’idée nous était venue pour la première fois de changer de stratégie pour faire face aux rapides changements de situation.
Désireux de réaliser leur ambition de «sphère de coprospérité de la grande Asie orientale», les impérialistes japonais se démenaient follement, cherchant par tous les moyens à étendre la guerre à l’Asie du Sud-Est, bien qu’ils fussent loin de mener à terme la guerre d’agression entreprise contre la Chine, et en même temps, s’évertuaient à assurer la sécurité de leurs arrières.
Comme je viens de vous le rappeler, s’ils avaient engagé obstinément une vaste campagne contre nous et intensifié la répression et le pillage chez nous, c’est qu’ils se raidissaient dans leur politique de guerre d’agression.
Cependant, nous envisagions les choses d’un autre œil: plus ils étendraient la guerre, plus ils se trouveraient aliénés au Japon comme dans le reste du monde, et plus profondément ils s’enliseraient dans la crise politique, économique et militaire.
Tout ce qui se passait attestait que le glas avait sonné pour l’impérialisme japonais, et que, sa fin n’étant désormais qu’une question de temps, le peuple coréen ne tarderait pas à recouvrer son indépendance.
Je me suis mis à analyser les victoires et les expériences des dix dernières années de notre lutte armée contre les Japonais et à méditer sur une nouvelle orientation: il fallait désormais préserver et accumuler nos forces face aux rapides changements de situation pour préparer le grand événement de la libération nationale.
C’était aussi ce qu’exigeait la révolution en rapide progrès.
Or, pour aborder une nouvelle étape stratégique, il ne fallait pas seulement suivre le cours des événements, s’y conformer, mais aussi et surtout lutter énergiquement; il fallait absolument rester maîtres de la situation, bien connaître les forces motrices de la révolution, appelées à réaliser la victoire et analyser à fond les luttes antérieures.
J’ai commencé par voir si nous avions atteint les objectifs stratégiques que nous nous étions fixés à l’étape précédente.
J’ai passé en revue, point par point, tout ce que nous nous étions proposé d’accomplir lors de la Conférence de Nanhutou. Et j’ai constaté avec satisfaction que rien n’avait été négligé ou abandonné à mi-chemin: pose des bases organisationnelles et idéologiques du futur parti, formation et extension d’un front uni national contre les Japonais, déplacement de nos théâtres d’action vers la région frontalière, extension de notre lutte armée à la Corée. Le bilan était encourageant.
Un autre point important dans la définition d’une étape de la lutte armée concerne les rapports de force entre les parties adverses.
A l’époque, pas question de nous mesurer en fait d’effectif avec l’ennemi qui nous appelait un «grain de sable dans la mer». En effet, on ne pouvait pas parler de rapport de force entre nous et l’ennemi.
Mais selon nous, il ne s’agissait pas de calculs arithmétiques. Chacun de nos combattants valait mieux qu’une centaine, qu’un millier de soldats ennemis.
Depuis la Conférence de Nanhutou, l’ARPC s’était renforcée incomparablement sur les plans idéologique, politique, militaire et technique. Peu nombreuse, elle détenait cependant l’initiative de l’action entre ses mains, et se battait efficacement contre un adversaire qui lui était des dizaines, des centaines de fois supérieur en nombre; elle n’avait inscrit qu’un palmarès de victoires dans ses annales. Ayant maîtrisé les arcanes de l’art de la guerre, elle pourrait maintenant venir à bout de toute adversité.
L’ARPC était une armée révolutionnaire de type nouveau qui se battait pour réaliser non seulement des tâches militaires, mais aussi des tâches politiques.
Elle tenait une position-leader et jouait un rôle de protagoniste croissant dans la lutte armée contre les Japonais et dans l’ensemble de la révolution coréenne, et cela prouvait que nous avions eu mille fois raison de nous efforcer en toute priorité de mettre sur pied les forces armées révolutionnaires et de les développer.
En règle générale, les communistes, dans leur lutte pour la prise du pouvoir, s’emploient avant tout à fonder leur parti en tant qu’organisation politique dirigeante, et ensuite, à constituer leurs forces armées. C’est un principe universellement reconnu ou peu s’en faut.
Mais j’avais tenu compte du rôle déterminant des forces armées révolutionnaires et de la violence dans la lutte révolutionnaire en général et dans la lutte de libération nationale en particulier, et j’étais parti des réalités de notre pays, pour décider d’établir d’abord les forces armées et ensuite le parti.
Nous avons créé l’Armée de guérilla populaire antijaponaise en avril 1932. C’était la première troupe armée au service de notre révolution; nous l’avons développée et renforcée constamment pour la transformer par la suite en l’ARPC. Nous nous en sommes servis comme pilier dans notre lutte armée et dans l’ensemble de la lutte de libération nationale contre les Japonais, que nous n’avons cessé de développer. Grâce à son rôle prépondérant et à son soutien armé, nous avons réussi la préparation organisationnelle et idéologique de la fondation du parti et la constitution de l’Association pour la restauration de la patrie, avons étendu le front uni national et avons préparé le soulèvement national de toute la population.
En fait, l’ARPC était le moteur, le pilier de notre révolution, la force politique dirigeante et le défenseur armé des intérêts de la nation coréenne à l’époque de notre lutte contre l’agresseur japonais. Elle était une armée entièrement à notre service, qui tenait office de parti et de pouvoir.
Tout cela témoignait de la présence de forces parfaitement à la hauteur des tâches issues de la nouvelle étape stratégique.
Des succès notables ont marqué également notre effort pour la sensibilisation et l’organisation des masses populaires. L’Association pour la restauration de la patrie comptait alors plus de deux cent mille adhérents.
De plus, il existait en Corée plusieurs organisations semi-militaires, dont les troupes de choc d’ouvriers et les troupes de producteurs-partisans. Autour de celles-ci qui jouaient un rôle pilote, divers détachements armés se sont constitués ici et là en préparant ainsi un soulèvement populaire à l’échelle nationale.
Les masses restées hors du réseau ne laissaient pas à désirer, elles non plus, quant à leur disposition d’esprit.
Voici ce qui s’est passé lorsque le détachement de Kim Il atteignait le fleuve Tuman après son raid à l’intérieur du pays.
Un paysan boiteux le suivait à distance sans se laisser semer. Enfin, il s’approche et dit: «Ah, messieurs les partisans, je vois que vous voulez traverser le fleuve par ici; il ne faut pas. Ce soir, vous devriez aller ailleurs passer les eaux, cet endroit grouille d’ennemis.»
Kim Il et les siens ne savaient s’il fallait faire confiance à l’inconnu. Voyant les nôtres hésiter, ce dernier a sorti une coupure de journal et la leur a tendue. «Voilà en guise de papiers. Vous pouvez me croire.» Ce geste n’avait fait qu’ébranler nos camarades, car un petit morceau de journal à peine large comme la paume de la main n’avait vraiment pas de quoi susciter la confiance.
Puis, ils ont vu que c’était un article d’information sur nos actions dans la région de Musan (en Corée — NDLR) en mai 1939. Alors, en partisans avertis et expérimentés, ils ont jugé favorablement l’inconnu et lui ont demandé le chemin.
Celui-ci leur a alors proposé de les guider: «Là où je vous conduis, vous trouverez des surveillants. Mais rien à craindre. Ce sont tous de bonnes gens.»
Ainsi, aidés par ce paysan, nos camarades ont traversé tranquillement le fleuve à la faveur de la nuit.
Les quelques paysans mobilisés pour monter la garde sur le fleuve avaient bien vu les nôtres passer le fleuve, mais avaient fait semblant de rien. Même, certains chuchotaient: «Non, pas par là, c’est profond. Mais par ici, c’est un gué.»
L’excellente disposition politico-morale de la population et son soutien toujours croissant à l’ARPC ont puissamment encouragé notre lutte armée contre les Japonais.
Un troisième point important dans la définition d’une nouvelle étape est de saisir les intentions stratégiques et tactiques de l’ennemi, qui ne cessent de changer.
Nous avons fait prisonnier, à l’été 1940, un officier de génie japonais au chantier de construction de route à Huanggouling et, en l’interrogeant, nous avons appris que l’ennemi construisait un vaste réseau de routes à usage militaire au Jiandao et en Mandchourie du Sud. Ce réseau qui, autour d’Antu, relierait Helong, Yanji, Dunhua, Huadian, Fusong, s’étendrait jusqu’en Corée, dans les vallées profondes de la région nord-est du mont Paektu, où personne n’osait se hasarder.
Et jour après jour, l’«état-major de l’expédition punitive de Nozoe» et, par son intermédiaire, le QG de l’armée japonaise du Guandong se tenaient au courant du progrès de la construction. Selon les aveux du prisonnier, Nozoe lui-même inspecterait sous peu ces routes en cours de construction qui devaient permettre de rapides déplacements de ses troupes lors des campagnes «punitives» contre l’ARPC. Donc, une fois ces routes achevées, des forces pléthoriques afflueraient de Corée et du nord-est de la Chine dans nos zones d’action.
L’ennemi avait installé dans le plus grand secret de nombreuses pistes d’atterrissage dans les environs. Selon les renseignements, sur l’ordre de Nozoe, des bases aériennes militaires allaient être établies dans les trois provinces du Sud-Est. L’officier japonais a indiqué l’emplacement de chacune et affirmé que tous les escadrons aériens relevaient, à sa connaissance, des commandements des «troupes punitives régionales ou locales».
A l’en croire, nous nous trouvions entourés d’un réseau de bases aériennes militaires de l’ennemi.
L’état-major de Nozoe s’apprêtait à cette époque à déplacer son siège de Jilin à Yanji, et le commandement des «troupes punitives de la région est», de Yanji à Tumen.
Les informations pleuvaient au QG de notre armée, confirmant que l’ennemi amenait de plus en plus de forces dans nôtre zone d’action, syndrome de fièvre chez lui, prêt à risquer le tout pour le tout pour avoir raison de nous.
Ces changements brusques intervenus dans le camp ennemi rendaient inutiles les orientations stratégiques que nous avions suivies jusque-là. Il en fallait de nouvelles.
Eviter les pertes en nous abstenant d’actions irréfléc
Cette nouvelle ligne de conduite en vue de préparer la libération nationale a été adoptée en août 1940 lors de la Conférence de Xiao
Nous étions arrivés aux confins des districts d’Antu et de Dunhua quand Ri Ryong Un, commandant du 15e régiment et Im Chol, chef de compagnie, sont venus nous voir, accompagnés de quatre ou cinq gardes du corps.
J’ai expliqué à Ju Jae Il la raison pour laquelle je tenais à convoquer une réunion de cadres militaires et politiques à Xiao
La Conférence de Xiao
L’ordre du jour s’est ramené à discuter de la pertinence de définir l’étape suivante comme celle du grand événement révolutionnaire. Autrement dit, pourrait-on réellement libérer le pays?
J’ai dit oui. Et d’expliquer: «L’armée japonaise est encore assez forte, mais c’est désormais une armée en déclin. A preuve l’émeute dans une unité d’aviation, élite de l’armée japonaise du Guandong; les déserteurs et les transfuges ne cessent de se signaler sur le front sino-japonais, les autorités concernées sont sur les dents à les contrôler. Inutile d’en dire plus long. Le jour n’est pas loin où l’empire nippon tombera en poussière.»
Les Japonais avaient décrété une levée spéciale de volontaires et enrégimentaient en masse les jeunes Coréens pour s’en servir comme chair à canon. Même recrutement à Taïwan et en Mandchourie.
Ainsi, ils s’évertuaient à jeter dans les champs de bataille jusqu’aux jeunes et aux adultes des pays colonisés qui leur gardaient rancœur, tellement ils souffraient de manque d’effectifs.
Depuis les Evénements du 18 Septembre1 jusqu’à ceux du 7 Juillet2, l’armée japonaise a perdu, rien qu’en Mandchourie, environ deux cent mille hommes. Les pertes en vies qu’ils avaient subies en un an sur le front sino-japonais ont été beaucoup plus importantes.
Leurs réserves d’articles d’usage stratégique touchaient aussi à leur fin.
Peu avant notre Conférence de Xiao
D’autre part, la situation politique ne cessait de se dégrader au Japon: on assistait tous les trois ou quatre jours à un renouvellement du cabinet des ministres, et des disputes éclataient continuellement en son sein. Des antagonismes déchiraient les milieux militaires. Les généraux et les officiers, divisés en plusieurs factions, se querellaient, sans arriver à coordonner leurs opérations ni à collaborer. Par surcroît, l’hostilité entre les capitalistes et les ouvriers, entre l’armée et la population, entre la métropole et les colonies, atteignait à son paroxysme. Il fallait que les impérialistes japonais noyautent toutes les agglomérations dans leur propre pays pour bâillonner la population.
J’ai donc insisté sur ce point: «En élaborant une nouvelle ligne stratégique, nous avons tenu spécialement compte du fait que le Japon avait laissé explicitement entendre que l’axe de sa politique était d’attaquer l’Asie du Sud-Est à la faveur de la guerre déclenchée en Europe. S’aventurer réellement dans ce sens reviendrait à creuser de ses mains sa propre tombe.»
Lors de la conférence ont été également discutées et définies les tâches stratégiques à réaliser à l’étape du grand événement de la libération nationale.
C’était préserver l’ARPC, pilier de la révolution coréenne, et former des cadres politiques et militaires compétents.
La libération du pays supposait une lutte à outrance, une lutte finale qui absorberait tout le potentiel politique et militaire des deux parties adverses, et si nous voulions en sortir victorieux, il fallait préparer chacun de nos combattants de telle façon qu’ils puissent assumer des missions revenant habituellement à de haut-gradés puis, après la libération du pays, participer à l’édification d’une patrie nouvelle en jouant un rôle de premier plan.
Le combat final et l’édification d’une patrie nouvelle, voilà deux tâches stratégiques qui s’imposaient et dont l’exécution marquerait le début d’une ère nouvelle dans l’histoire de notre pays, et un tournant décisif dans la vie de notre peuple. Or, personne ne pourrait s’en charger à notre place. C’était à nous, c’est-à-dire à l’ARPC et au peuple coréen de les mener à bien.
Or, qu’avons-nous pour nous y mettre et réussir? Les forces que nous avions formées nous-mêmes au cours de longues années de révolution antijaponaise. Nous livrerions le combat final. Que les autres viennent nous aider de leur gré, nous n’en demanderions pas mieux. Mais nous-mêmes devions décider de tout. «Eh, camarades, pouvez-vous améliorer votre compétence de façon à pouvoir assumer des missions de deux, trois grades supérieurs?» Tous ont répondu en chœur par l’affirmative. «Pouvez-vous armer toute la population et la pousser à un soulèvement populaire général?» Ils ont également répondu oui.
Pour mener à bonne fin ces deux tâches, nous avons décidé de passer de l’action des grandes unités à l’action des petits détachements.
Cette mesure avait soulevé quelque controverse. Certains craignaient: en voulant faire face à la nouvelle offensive massive de l’ennemi par l’action de petits détachements, ne risquerait-on pas une perte après l’autre?
Et j’ai dit: «Le temps n’est plus aux grandes unités. Il ne convient plus de faire du remue-ménage en opérant par grandes unités. L’ennemi vient en force et ne souhaite pas mieux que de nous prendre tous d’un seul coup de filet, pour nous écraser d’emblée. S’obstiner à opérer par grandes formations revient à tomber dans les trappes posées par l’ennemi, à aller au-devant de la mort. C’est, comme on dit, pénétrer, la tête coiffée d’un potiron, dans une tanière de sanglier. Nous devons opérer par petites formations et frapper l’ennemi un peu partout tout en menant l’information parmi la population. Il ne nous sera alors pas difficile de trouver de quoi nous nourrir, et nous aurons plus de liberté et de facilité dans nos mouvements. Combien de nos compagnons d’armes ont donné leur vie lors d’une mission d’acquisition de vivres? Or, les provisions acquises au prix de leur vie n’ont pas suffi à nourrir d’importantes troupes. D’autre part, en opérant par petits détachements, nous pourrons entraîner ici et là les troupes ennemies pour ainsi les disperser au maximum.
L’efficacité de ce mode d’action a été démontrée par la campagne énergique du printemps dernier et de cet été de nos petits groupes de partisans. Ce que nous voulons, c’est n’offrir à l’ennemi que des cibles modestes.
Il faut, à cette fin, opérer, dans les vastes régions en Corée et en Mandchourie, par petits détachements en faisant preuve de souplesse, intensifier l’information politique parmi la population, prendre sans tarder les mesures nécessaires pour améliorer la formation politique et militaire des partisans, resserrer nos liens de solidarité avec les forces anti-impérialistes internationales.» Voilà ce que nous avions souligné une fois de plus. Puis, nous avons convenu des mesures précises à prendre avant de clôturer la réunion.
La Conférence de Xiao
Si nous n’avions pas alors réagi promptement aux changements de situation, et si, préoccupés seulement des succès immédiats, nous nous étions obstinés à opérer par grandes formations, nous n’aurions pu conserver nos forces; loin de là, nous aurions tous péri, ne laissant derrière nous que de tristes noms de martyrs disparus.
Xiao
Aujourd’hui encore, je revois le pré luxuriant chaque fois que l’on parle de cette conférence. Personne n’y venait alors faire les foins, peut-être parce qu’il était loin des agglomérations. En contemplant le beau pré, j’ai songé aux camarades de la Mandchourie du Nord, comme Kim C
2. La confiance en l’avenir
Cela s’est passé au printemps 1940.
Le gros de l’ARPC opérait alors au nord-est du mont Paektu, notamment à Antu et Helong, où il multipliait faits d’armes et actions politiques.
C’était, il faut le dire, une époque de rudes épreuves pour nous: nous tenions à rester maîtres de la situation, quoique peu nombreux, et nous avons dû, de ce fait, passer par d’innombrables difficultés.
Le plus grand mal venait de l’«expédition punitive» d’envergure entreprise par l’ennemi spécialement contre le QG de l’ARPC. Des vagues d’assauts furieux et successifs: des centaines, des milliers d’hommes se jetaient sur nous de tous côtés dans une clameur assourdissante. L’acharnement et la furie que mettait l’ennemi à nous attaquer avaient bien de quoi faire perdre la tête.
Nozoe râlait et fumait; il était décidé à risquer le tout pour le tout. Cela se comprenait. N’avait-il pas affirmé naguère encore qu’il allait «lancer son coursier à l’assaut du mont Paektu et détruire le repaire des bandits, une fois pour toutes»? Mais, après un hiver de campagne fiévreuse, le voilà à plat, à bout de souffle, rudement molesté par l’ARPC. Celle-ci lui avait riposté par les opérations de conversion de ses grandes unités. Et Nozoe devait être traité de tous les noms par le chef de l’armée du Guandong et l’état-major général de l’armée nipponne.
Dépité et excédé, il eut un dernier soubresaut de rage; il avait fait venir du renfort de Fengtian et de Tonghua; il avait même appelé des unités de la garde en poste sur la frontière soviéto-mandchoue pour les jeter dans son «expédition punitive».
D’autre part, les traîtres, dont Rim Su San, s’étaient offerts à guider les troupes ennemies qui s’évertuaient à mettre la main sur le QG de l’ARPC, ce qui rendait notre situation plus difficile encore.
Ce n’était pas tout. L’ennemi avait implanté ses agents secrets jusqu’au plus profond des montagnes, et ceux-ci, planqués dans des huttes de chasseurs, des cabanes à culture de champignons, des huttes de cultivateurs secrets de pavot, épiaient les mouvements des troupes de partisans. Par surcroît, des bandes de laquais de l’ennemi appartenant à un quelconque «détachement d’opération» venaient rôder aux abords de nos secteurs d’action pour tenter cyniquement leur chance: «La situation tourne en faveur de l’empire nippon. La révolution est sans avenir. A quoi bon verser du sang pour une révolution condamnée? Rendez-vous.» Voilà ce qu’ils nous criaient de loin.
Notre plus grand handicap était le manque de vivres.
L’ennemi s’était mis en quatre pour nous couper toute voie de ravitaillement, ne laissant rien passer entre nos mains. Tous les stocks que nous avions aménagés au fond des montagnes, l’ennemi n’avait pas tardé à les découvrir avec un flair de félin et à les détruire.
Dans les villages de regroupement, un contrôle drastique sur la circulation des denrées alimentaires. Les sentinelles aux portes de la muraille d’enceinte fouillaient les paysans qui allaient aux champs, ouvrant jusqu’à leur casse-croûte. D’autre part, dans bien des cas, l’ennemi tenait cachées ses réserves de vivres, d’uniformes et de munitions dans des entrepôts secrets, loin des agglomérations, et seul le personnel préposé au service de manutention y avait accès. Au besoin, celui-ci allait ouvrir discrètement les stocks avec la clef dont il ne se séparait jamais, et l’ennemi y puisait par infimes quantités ce qu’il transportait dans les villages de regroupement. Comme nous faisions souvent la descente dans les villes et les villages et prenions tout ce qui nous tombait sous la main en fait d’approvisionnement, l’ennemi avait eu l’idée d’en faire autant.
Il en était de même dans les mines et les chantiers d’exploitation forestière: peu de céréales y étaient conservées pour la consommation immédiate, et la provision était renouvelée tous les deux ou trois jours.
Une fois de plus, notre provision de vivres a touché à sa fin lorsque nous opérions à Chechangzi. Il ne nous est resté même pas un grain de sel. Les 7e et 8e régiments avaient battu toute la région d’Antu en quête de vivres, mais en vain. Période de disette. On sautait plusieurs repas de suite.
Le Premier Mai cette année-là, nous n’avons eu qu’un petit plat de grenouilles. C’est un plat très estimé, dit-on, servi seulement dans des restaurants de luxe dans certains pays étrangers. Mais pas du tout chez nous. Parfois on voyait les petits enfants qui jouaient sur les diguettes d’une rizière ou au bord d’un ruisseau en attraper une ou deux, les embrocher et les faire griller sur un feu de brindilles pour les manger. Mais là encore ce n’était pas par goût, mais par jeu.
Quelque difficile que fût la vie dans le maquis, nous n’avions jamais auparavant passé le Premier Mai à jeun. En 1939, nous avons célébré cette fête sur le plateau de Xiaodeshui et nous avons même consommé de l’alcool.
Mais en 1940, nous n’avions rien à manger sans parler d’alcool; force nous était de tromper la faim avec des grenouilles attrapées dans des torrents à proximité. S’il en était ainsi un jour de fête, inutile de parler d’autres jours.
Nous avons souffert de la faim non seulement à Chechangzi, mais aussi dans la vallée de Yangcaogou.
Toute ma troupe buvait alors une macération d’herbes. La disette était si terrible que le nom de cette localité me restera gravé à jamais dans la mémoire.
Un jour, je suis passé par la cantine de la section des mitrailleurs, et je les ai réprimandés: on est en plein dégel depuis des jours; vous auriez très bien pu aller cueillir des herbes comestibles et en apprêter une soupe aromatique, ce qui vous aurait aidés à vous tirer d’affaire avec peu de céréales. Or, le chef de la section, Kang Wi Ryong, m’a dit qu’il ne demanderait pas mieux, lui aussi, seulement il manquait d’hommes, son effectif n’étant pas suffisant même pour monter la garde.
Cet argument m’a fort déplu, car on pouvait très bien en cueillir en allant prendre la relève au poste et en revenant après mission. Pour peu que l’on y pense et que l’on s’organise, on pourrait sans grand-peine en obtenir une quantité suffisante pour la soupe d’un jour.
J’ai fait remarquer au chef de la section qu’un chef ne devrait pas oublier son obligation de veiller sur la vie de ses hommes. Puis, je lui ai dit d’aller cueillir des herbes comestibles et de prendre avec lui mes plantons s’il manquait d’hommes.
Le lendemain, Kang Wi Ryong est parti cueillir des herbes en compagnie de Han Chang Bong et de mes deux plantons, Jon Mun Sop et Ri Ul Sol, mais le soir, ils sont revenus avec un panier rempli à peine aux trois quarts de légumes sauvages. C’est que, pendant de longues heures, ils s’étaient amusés à des parties de lutte. Comment cela, alors qu’ils avaient une tâche spéciale à accomplir? Voici ce qu’ils m’ont dit en guise d’explication: un temps superbe, une brise douce qui chatouille, des parfums enivrants de fleurs, un pré vert et moelleux comme du tapis, tout cela leur avait rappelé de façon irrésistible leur pays natal, leur enfance et leurs ébats sur les collines verdoyantes derrière leur village. Ils s’étaient laissé aller insensiblement à la tentation, et s’étaient amusés sans s’apercevoir du temps qui passait.
Jon Mun Sop et Han Chang Hong étaient presque du même âge et aussi vigoureux l’un que l’autre, d’où la prolongation indéfinie de leur partie. De plus, Kang Wi Ryong, de stature géante, ne trouvant pas de partenaire, avait servi d’arbitre et à la fin de chaque partie, il avait battu des mains et crié: «Bravo! Allez-y. Un peu plus de jeu du coude. Allez une fois de plus!» Comme le chef de section lui-même les incitait ainsi en battant des mains, en tournoyant autour d’eux, les deux lutteurs, surexcités, avaient redoublé d’ardeur.
Quelle histoire désarmante! J’avais même eu soin d’adjoindre à l’équipe de cueillette deux de mes plantons, mais les voilà de retour avec à peine un panier d’herbes comestibles après une journée de randonnée, alors que toute l’armée mourait de faim. Quel temps précieux avaient-ils laissé passer. C’était vraiment un comble.
Je les ai repris vertement et leur ai donné un avertissement. Vu la gravité du cas, j’aurais pu leur infliger une sanction plus sévère. Jusque-là, dans notre armée, aucun combattant n’avait transgressé de façon aussi flagrante l’ordre du Commandant. Or, paradoxalement, les quatre coupables étaient des hommes consciencieux, fidèles et travailleurs. Quelque tâche qu’on leur confiât, ils s’en acquittaient à merveille, payant de leur personne. Ils comptaient parmi les meilleurs de la troupe, dignes de servir de modèle aux autres.
Ce soir-là, une fois couché, je n’ai pu m’endormir. Le petit panier aux trois quarts chargé de légumes sauvages planait, tournoyait devant mes yeux. Ce panier avait valu à quatre de mes gars le rappel à l’ordre. En même temps, je les revoyais, eux qui s’amusaient à cœur joie en luttant. Notre situation était extrêmement difficile, mais loin de s’en soucier ni de désespérer, ils avaient eu le cœur à se divertir. Quel flegme, quelle insouciance! Ils avaient eu le courage et l’optimisme de s’amuser et de rire à gorge déployée dans ces conditions intenables. A cette idée, je n’ai pu m’empêcher de sourire de satisfaction.
Qui n’a pas de force d’âme et une vision optimiste de la vie ne peut songer à se divertir de façon aussi insouciante dans des conditions aussi difficiles. Seuls les possesseurs d’une foi et d’une volonté inaltérables comme nos partisans peuvent songer à l’avenir, chanter, faire des parties de lutte et vivre de façon optimiste même en plein encerclement ennemi.
En effet, l’ARPC était la communauté d’hommes au cœur optimiste et romantique par excellence. Il y avait dans le monde bon nombre d’armées et de troupes de partisans célèbres, mais aucune n’était aussi fortement portée vers l’avenir, aussi optimiste, aussi pleine d’entrain et de vie. Hommes capables d’affronter toute adversité, le sourire aux lèvres, qui ont la force de transformer les désavantages en avantages et croient pouvoir venir à bout de tout et réussir leur œuvre, même si le ciel s’écroulait sur eux, tels étaient les hommes de l’ARPC.
On pourrait en dire autant de Jon Mun Sop par exemple. Garçon d’apparence placide ou plutôt timide, c’était une âme forte, un cœur romantique. En quittant le toit paternel pour aller rejoindre l’armée de guérilla, il avait dit à ses parents en guise d’adieu: «Attendez-moi, père et mère. Je reviendrai le jour de la victoire de la révolution prolétarienne, le jour de la libération du pays. Votre fils reviendra alors vous saluer dans une grosse voiture.» Voyez-vous, revenir dans une grosse voiture! Quelle idée romantique et ambitieuse!
An Kil aussi était un grand optimiste. Je l’ai bien aimé non seulement pour sa loyauté infinie envers la révolution, mais aussi et surtout pour son optimisme à toute épreuve. C’était un révolutionnaire étranger à la dépression et au désespoir.
La plupart des combattants de la guérilla antijaponaise étaient optimistes. Tous ceux qui ont eu le courage de prendre les armes pour se jeter dans le combat à outrance contre l’agresseur japonais étaient des romantiques. Sans se laisser aller au découragement même dans la pire adversité, ils ont manifesté un optimisme révolutionnaire inaltérable.
Si je me suis contenté d’appliquer un simple rappel à l’ordre à mes quatre fautifs, c’est que j’ai apprécié par-dessus tout le sain optimisme et le cran sous-jacents à leur conduite.
Ce petit incident m’avait convaincu une fois de plus que même si nous devions faire encore dix ou cent autres Dures Marches, ils nous suivraient de pied ferme jusqu’au bout.
D’expérience, je suis persuadé que ceux qui font la révolution, confiants en l’avenir, demeurant optimistes en toutes circonstances, restent imperméables à l’action de tout vent faisant rage autour d’eux et imperturbables même sur l’échafaud. Mais ceux qui n’ont pas de foi, qui ont rejoint la révolution par lubie, désireux de se mettre à la page, finiront par l’abandonner tôt ou tard pour aller trouver une vie tranquille et confortable.
Vous devez avoir lu le souvenir d’un ancien combattant antijaponais sur la pêche à l’écrevisse que nous avions eue lors d’une marche. Cet épisode atteste de l’importance que revêt l’optimisme dans la vie quotidienne et le combat des révolutionnaires. Notre campagne de Dunhua à l’automne 1939 marque la première phase de nos opérations de conversion en grandes formations, et c’est au cours de cette campagne qu’a eu lieu ladite pêche à l’écrevisse.
A cette époque également, la disette sévissait. Il aurait fallu décrocher et semer l’ennemi pour aller nous procurer des vivres. Mais les adversaires nous poursuivaient de près avec une obstination de tique, et nous ne pouvions rien faire pour nous procurer à manger. Dans la forêt profonde par où nous passions, pas un lapin ne se montrait; région déserte loin des agglomérations humaines, il n’y avait pas âme qui vive, personne à qui confier la commission de nous acheter des victuailles.
Mes hommes, fourbus et exténués, contournaient les troncs d’arbres gisant par terre, sans force pour les enjamber. Au cri de halte, ils se laissaient choir sur place et s’allongeaient où que ce soit, morts de fatigue. Au signal de départ, plusieurs d’entre eux, terrassés par l’épuisement, n’arrivaient pas à s’arracher au sommeil comateux. Les rives des affluents du Songhua comme Toudaobaihe, Erdaobaihe, Sandaobaihe, Sidaobaihe étaient couvertes de denses forêts et riches en marécages. Aussi, même les chasseurs n’aimaient pas s’y aventurer. Notre marche dans ces parages ne pouvait donc qu’être lente.
«Camarades, du courage! Il ne faut pas vous laisser aller. Un peu d’effort et nous serons bientôt à Liangjiangkou, et une fois là, nous dormirons et mangerons tout notre soûl.»
Je cherchais ainsi à encourager, en les aidant à se relever, ceux qui restaient cloués au sol. N’étais-je pas épuisé, moi? N’avais-je pas l’estomac douloureusement tiraillé? Mais, commandant, je n’avais pas le droit d’en laisser paraître le moindre indice.
Un jour, à midi, arrivé sur une colline à pente douce, j’ai fait faire halte à la colonne et j’ai envoyé mes gardes du corps en reconnaissance. Ils sont revenus et m’ont dit n’avoir rien remarqué de particulier, sauf un petit torrent coulant au fond de la vallée.
J’ai descendu la colline, accompagné de quelques hommes. Arrivé au bord de l’eau, je retrousse mes pantalons jusqu’aux genoux, j’entre dans l’eau. Je retourne avec précaution, l’une après l’autre, les pierres, et tâte le lit du torrent. Je ne tarde pas à attraper une grosse écrevisse. Je la jette sur terre au pied de mes hommes; ils poussent un cri de joie et de surprise: «Ah, une écrevisse!»
Et de se jeter dans l’eau à qui mieux mieux. Tous, subitement de bonne humeur, se lancent à la pêche. Les croirait-on hommes à jeun depuis des jours? L’eau est glaciale, et, quand ils se sentent les pieds geler, ils sautent hors de l’eau mais reviennent aussitôt. Toute la colonne, même ceux qui avaient traîné et titubé en queue se sont élancés dans l’eau. Une animation inattendue.
Peu après, nous regagnons le lieu de halte, nous allumons un bon feu de bois et faisons griller notre pêche. Les écrevisses rosissent et exhalent une odeur agréable. De-ci, de-là, des rires, des boutades joyeuses fusent. Ainsi un moment de pêche à l’écrevisse a-t-il eu la magie de changer du tout au tout l’atmosphère de la troupe.
Evidemment, quelques petites écrevisses grillées ne pouvaient dissiper la faim, mais en faisant la chasse, mes hommes avaient oublié fatigue et faim. Par la suite, la colonne a repris sa marche avec entrain et à vive allure.
En voyant mes hommes aussi subitement redevenus gais et alertes, j’ai réfléchi. Peu avant, exténués et à plat, ils préféraient faire un détour, se jugeant incapables de sauter par-dessus un arbre tombé et, au cri de halte, croulaient comme des sacs, moulus de fatigue. Mais les voilà complètement métamorphosés, gais et alertes. D’où vient ce changement magique?
De la pêche à l’écrevisse dans le petit torrent? Oui, elle avait réveillé l’optimisme dans le cœur de mes combattants. En se bousculant, en s’interpellant, en courant ici et là, absorbés par la pêche, ils avaient oublié jusqu’à leur fatigue, et la bonne humeur était revenue. Ils se retrouvaient rafraîchis, ragaillardis. Difficile de croire qu’ils n’avaient rien mangé depuis des jours!
Oui, la pêche à l’écrevisse avait réveillé l’esprit romantique de mes hommes.
Comme je l’ai déjà évoqué, le jour de la fête du Tano en 1939, nous avions organisé, avec les habitants du village de Yushigou, un spectacle et une compétition sportive. Il y a même eu un match de football entre ma troupe et les villageois. Quel événement! Comme on n’avait pas joué au football depuis longtemps, les joueurs rataient fréquemment leur balle, et cela déclenchait l’hilarité générale.
Oui, les footballeurs jouaient mal, mais personne ne s’en prenait à eux. Au contraire, chaque coup manqué, chaque geste maladroit provoquait une grande explosion de rires.
Des forces ennemies pléthoriques s’avançaient de tous côtés, décidées à en finir avec l’ARPC depuis nos raids dans la région de Musan et, à ce moment périlleux, organiser un spectacle et un match de football au beau milieu de la région de Helong constamment ratissée par les «troupes punitives» ennemies, n’était pas aussi facile que de le dire.
Nul autre que les hommes de l’ARPC n’aurait pu le faire. Ils avaient maîtrisé les arcanes de l’art de la guerre et avaient une force d’âme à toute épreuve et un optimisme inaltérable, de façon à pouvoir faire face à tout.
Le révolutionnaire a une confiance inébranlable en l’avenir. La révolution suppose les rêves de l’avenir et l’aspiration à une vie nouvelle. Le révolutionnaire est celui qui se propose un noble idéal pour l’avenir et lutte inlassablement, de toutes ses forces, pour le réaliser. Sans la foi en l’avenir et en la victoire, on ne peut se résoudre à s’engager sur la voie de la révolution, et, même si l’on s’y mettait, on ne pourrait surmonter les multiples épreuves qui jalonnent son chemin.
Le révolutionnaire se distingue des autres par sa conception de la vie, sa personnalité, son credo, son mode de vie. Il a non seulement la foi, la force d’âme et la volonté, mais encore et surtout un idéal élevé, un grand espoir en l’avenir même dans la pire adversité, car il est convaincu que son idéal ne manquera pas de se réaliser. La foi, la fermeté et l’optimisme sont, à mon sens, trois qualités majeures, trois traits caractéristiques du révolutionnaire.
Un jour, des journalistes étrangers m’ont demandé quel était le secret de ma bonne santé, disant: «M. le Président, octogénaire, vous jouissez d’une santé de quinquagénaire.»
Je leur ai répondu que je vis toujours dans l’optimisme et que c’est peut-être ce qui m’aide à me porter comme un charme malgré mon grand âge. Ils ont alors applaudi longuement. L’espérance de vie d’une personne dépend, entre autres, de sa vision optimiste de la vie. De la même façon, l’issue et la vitalité de l’œuvre révolutionnaire d’un pays dépendent dans une grande mesure de l’optimisme de son peuple. Telle est mon opinion.
L’homme doit vivre de façon optimiste s’il veut vivre une vie digne.
Une armée qui, le moral bas, traîne une existence terne, ne peut réaliser l’unité de ses rangs ni se battre bravement.
La foi et la fermeté révolutionnaires se raffermissent davantage et demeurent immuables jusqu’au jour de la victoire si elles sont nourries par une confiance inaltérable en l’avenir.
Devenir un révolutionnaire, c’est s’embarquer sur le chemin du combat, prêt à braver la prison et l’échafaud, à affronter la mort. En d’autres termes, c’est croire fermement en l’avenir, se déterminer à demeurer fidèle à la révolution et se consacrer corps et âme à l’œuvre de libération nationale, à l’œuvre d’affranchissement social et d’émancipation humaine. C’est, en fin de compte, se résoudre à se sacrifier pour la victoire de la révolution. Nous disons souvent qu’il faut vivre de façon révolutionnaire, c’est-à-dire à l’instar des révolutionnaires. Les révolutionnaires s’engagent volontiers sur une voie inconnue, jamais explorée pour édifier un beau lendemain; ils surmontent sans murmurer difficultés et épreuves et en tirent plutôt le sens de leur vie, et n’hésitent pas à se jeter au feu comme à l’eau s’il le faut, car ils sont convaincus que, sur le chemin du combat pour le parti, le leader, le pays et le peuple, vie et mort sont gloire.
C’est d’ailleurs là que résident le sens et la valeur de la vie des révolutionnaires.
Tous ceux qui nous ont faussé compagnie au cours de la révolution étaient sans exception des gens sans foi en l’avenir, des pessimistes. C’étaient des gens venus rejoindre la révolution de façon tout à fait fortuite, poussés par le courant de l’heure, lors de l’essor de la révolution. Puis, voyant les épreuves se multiplier et la situation tourner à notre désavantage, ils avaient pris la clef des champs, se disant: «Advienne que pourra. Au diable la révolution, je dois sauver ma peau.» Des veules, des chiffes.
La décennie 1940 a été une période de mise à l’épreuve de notre force d’âme et de notre optimisme. La fermeté et l’optimisme étaient alors le critère même de la valeur et de la fidélité de chacun envers la révolution. En effet, ceux qui croyaient en la victoire nous ont suivis jusqu’au bout, mais ceux qui doutaient et manquaient de foi nous ont quittés à mi-chemin, désertant la révolution.
Or, l’optimisme révolutionnaire ne s’acquiert pas par le simple désir ou le bon vouloir. C’est une qualité morale que l’on acquiert au bout d’un Jong effort de formation et d’endurcissement idéologique. Envisager l’avenir avec une sereine confiance alors que l’ennemi est puissant et redoutable, et que la victoire de la révolution paraît incertaine, ce n’est pas aussi facile que de le dire. Seul un effort persévérant d’endurcissement moral peut y mener. Si l’ARPC s’est raffermie pour devenir une armée d’acier capable d’affronter toute tempête, aussi violente soit-elle, c’est parce que nous avions consacré dès le début un grand effort à la formation idéologique de ses combattants.
Nous nous sommes constamment efforcés de leur insuffler un esprit de fidélité à la révolution, un esprit militant inflexible et une attitude optimiste révolutionnaire; nous avons tout fait pour les amener à se convaincre de la justesse de notre cause et de la certitude de sa victoire.
J’ai tâché de profiter de toutes les occasions pour cultiver en eux l’optimisme. Je disais à mes hommes: «Une fois le pays libéré, nous irons ensemble à Pyongyang goûter la célèbre soupe de mulet et les nouilles au consommé froid, puis monterons à la colline Moran pour admirer la vue du Taedong.» Mes hommes serraient alors les poings et disaient: «Oui. Il faut que nous hâtions l’avènement de ce jour», et partaient tout feu tout flammes pour de nouvelles missions de combat.
Le Premier Mai en 1940, nous n’avons eu qu’un petit plat rebutant de grenouilles sur notre table. Cependant, j’ai tâché, là encore, d’insuffler dans le cœur de mes hommes l’optimisme et la foi en la victoire de notre combat.
Le soir, nous nous sommes installés autour d’un grand feu de bivouac et nous avons causé longtemps avec animation sans même nous apercevoir que les heures passaient. Nous avons parlé de la révolution, de la patrie, de nos proches et parents restés au village; nous avons parlé de notre avenir, de notre victoire imminente. Et nous avons ressenti une chaleur bienfaisante envelopper nos cœurs.
Je disais: «Aujourd’hui, nous célébrons le Premier Mai avec seulement un petit plat de grenouilles, mais plus tard, quand nous aurons écrasé l’impérialisme japonais, nous célébrerons à Pyongyang la libération du pays, et nous mangerons le célèbre plat de mulet du Taedong. Aujourd’hui l’ennemi veut nous anéantir et nous attaquer avec acharnement, mais nous ne reculerons devant rien ni ne nous laisserons faire. Nous resterons confiants en l’avenir et fiers d’être Coréens, fiers d’être des communistes de Corée. Nous nous battrons plus énergiquement, nous déferons l’agresseur japonais et libérerons la patrie.»
J’ai promené mes yeux sur les visages de mes combattants éclairés à la lueur du feu de bois, et j’ai vu que, ravivés et sereins, ils respiraient tous la ferme volonté de venir à bout de toute difficulté par leur force d’âme et leur optimisme et de recouvrer à tout prix l’indépendance du pays.
Si ce jour-là, dévoré par les soucis, j’étais resté à contempler la silhouette des montagnes lointaines, les bras croisés sur la poitrine, ou si, après avoir fait manger le plat de grenouilles à mes hommes, je leur avais dit d’aller se coucher sous leurs tentes, l’atmosphère générale n’aurait pas été si gaie et alerte. Nombre d’entre eux n’auraient pas fermé l’œil, s’inquiétant: aujourd’hui j’ai trompé la faim avec des grenouilles mais qu’aurons-nous à manger demain?
A mon ordre d’aller attraper des grenouilles et d’en apprêter un plat pour la fête, tous avaient poussé des cris de joie et s’étaient lancés à la chasse, les manches retroussées; le soir où j’ai parlé de l’avenir de la révolution auprès d’un feu de bivouac jusque tard dans la nuit, personne n’a voulu aller se coucher, buvant mes paroles. Cela parce qu’ils lisaient sur mon visage et dans mes gestes une confiance inaltérable en la victoire de la révolution et une volonté de lutte inflexible.
Que l’ennemi nous pourchasse avec acharnement sans nous laisser le temps de dormir, de nous reposer, de manger, l’ARPC ne baissera pas pavillon ni ne mourra, telles étaient alors ma conviction et ma volonté.
Ainsi l’état d’esprit du commandant a-t-il une grande influence sur celui de ses combattants. Si le commandant reste ferme, ses hommes le sont aussi. Un commandant immuable dans sa volonté voit ses hommes devenir stoïques à leur tour. L’optimisme des combattants, c’est celui de son chef. De même, la foi et la volonté du dirigeant déterminent l’optimisme des masses populaires. Au moment d’épreuves, celles-ci interrogent le visage des dirigeants.
Les partisans me croyaient en tout. Ils croyaient à la victoire de l’opération si je leur disais que nous gagnerions la partie; en me voyant sourire, ils croyaient en l’avenir de la révolution; en me voyant pêcher à la ligne ou en m’entendant fredonner un air à la veille d’une action, ils estimaient l’engagement d’ores et déjà réussi.
Les autres commandants se sont également efforcés d’insuffler l’optimisme à leurs hommes. C
Les activités littéraires et artistiques ont été un moyen puissant à cette fin. En effet, en dehors de celles-ci on ne pourrait parler de la vie de l’armée de guérilla antijaponaise: coupé du chant et de la danse, on ne pourrait penser aux annales du combat victorieux de l’ARPC.
Le camarade Kim Jong Il a dit: «La révolution coréenne a démarré, progressé et triomphé dans le chant.» Remarque pertinente. En effet, aucune autre révolution ne serait aussi étroitement et aussi intimement associée au chant.
La révolution est une grande symphonie épique. Une grande source de chant. Il ne peut y avoir de révolution coupée du chant. Impossible de penser à l’histoire de l’extension du mouvement ouvrier international, détaché de l’Internationale.
Lors de notre expédition en Mandchourie du Nord, nous avons gagné, au moyen du chant, la confiance de la population locale qui auparavant nous tenait à distance. C’est par ailleurs à l’aide du Chant de Su Wu que nous avons trouvé la voie du cœur des Chinois qui s’étaient enfuis à notre approche. Ce chant, les Chinois l’aimaient beaucoup.
Le chant a marqué toute ma vie. Ma première enfance s’est passée au milieu de la Berceuse3. Mon combat révolutionnaire a débuté avec la Chanson de l’Amnok4. J’ai traversé le fleuve Amnok à l’embarcadère de Phophyong en fredonnant cette chanson, le cœur résolu de recouvrer la patrie. Depuis, chaque fois que j’ai eu envie de la chanter, j’ai renouvelé l’engagement que j’avais pris sur l’Amnok, et pressé le pas sur le chemin du combat.
C’est depuis le temps de mes études secondaires que je me suis mis à écrire et à composer. D’où le Chant de la Corée5, le Chant de la guerre antijaponaise, le Chant du Programme en dix points de l’Association pour la restauration de la patrie. J’ai fait appel au chant toutes les fois que je me sentais à bout de force, aux prises avec de grandes difficultés, et je me suis relevé avec un courage et une force centuplés. Quand notre provision était épuisée et que nous n’avions plus que de l’eau claire, nous avons chanté pour ne pas tomber de découragement. Ainsi, c’est au milieu du chant que j’ai acquis la trempe de combattant et que la révolution a progressé.
Chaque fois que la faim nous tenaillait de façon insupportable, nous avons chanté à en oublier la souffrance. Quand nous nous sentions épuisés, incapables de faire quoi que ce soit, nous avons chanté et nous nous sommes relevés avec une force retrouvée.
Voici ce qui s’est passé lors de notre Dure Marche. Mes gardes du corps étaient tombés dans une neige profonde et ils n’arrivaient pas à se relever; ils faisaient un effort suprême, mais leur corps refusait d’obéir. N’ayant rien mangé depuis des jours, ils s’étaient complètement épuisés. Moi aussi, exténué je ne pouvais même pas remuer les petits doigts. Pourtant, à grand-peine, je me suis rapproché d’eux qui restaient étendus dans la neige, immobiles comme des momies, et je me suis mis à fredonner le Chant du drapeau rouge. En m’entendant, mes hommes ont repris peu à peu leurs esprits et, un à un, se sont relevés.
A une époque, l’ennemi avait investi notre zone de guérilla de Chechangzi avec des milliers d’hommes et beaucoup d’habitants de l’endroit moururent de faim. Subissant les «expéditions punitives» successives de l’ennemi, et privée de vivres, la population était à deux pas de la mort, mais elle a trouvé la force de se relever et de livrer un combat à mort contre l’assaillant aux chants révolutionnaires qu’entonnaient les membres du Corps des enfants.
Contrairement à aujourd’hui, nous n’avions alors ni troupe artistique ni écrivains ou artistes professionnels. Les partisans eux-mêmes ont écrit et mis en musique de nombreux beaux chants révolutionnaires dont la Marche de l’Armée de guérilla, et créé des pièces de théâtre, des opéras, des danses de haute valeur artistique.
Nous avons alors souvent organisé des représentations artistiques dans la zone de guérilla, tout comme nous l’avions fait lors de nos activités au sein du mouvement de la jeunesse et des étudiants. Plus tard, quand nous avons dissous nos zones de guérilla pour aller opérer par grandes unités dans de vastes régions, nous nous sommes également livrés quotidiennement à des activités artistiques variées. Nous avons organisé des représentations artistiques au fond des montagnes aussi bien que dans les agglomérations.
Avant de commencer un spectacle, nous postions des mitrailleuses aux alentours, à tout hasard, de façon à pouvoir poursuivre la représentation sans craindre l’attaque surprise de l’ennemi.
Nous avons préparé des spectacles les jours de fête, à l’issue d’importantes batailles et quand nous avions reçu un grand nombre de nouveaux combattants. Quand et où que nos spectacles aient eu lieu, ils visaient à insuffler à l’armée et à la population la volonté de combattre l’ennemi, au péril de leur vie, et à faire de chaque homme un révolutionnaire irréductible.
Nous avons également eu soin de conformer à cet objectif l’annonce des spectacles en y conférant un caractère incitatif.
La 2e compagnie du 7e régiment a donné un spectacle sous forme de séance de distraction militaro-civile à Taoquanli et l’a annoncé sous le titre de «grande compétition de rires». Les partisans ont affiché: la grande compétition de rires aura lieu à tel endroit, telle date, et tout le monde est bienvenu. La cour de la ferme choisie pour le spectacle et ses alentours ont été rapidement bondés.
La «grande compétition de rires», quel titre amusant et plein d’esprit! Rien qu’en le lisant, les gens souriaient.
Dans l’ARPC, des représentations artistiques ont été programmées non seulement pour fêter les heureux événements mais aussi pour dissiper la répercussion des incidents dramatiques.
Deux grands spectacles ont suivi de près la disparition d’O Jung Hup et de Kang Hung Sok. Jamais combattants et commandants de l’ARPC ne s’étaient plus profondément affligés. Le soir de l’enterrement d’O Jung Hup, on a servi dans le bivouac du riz blanc et du maquereau saumuré grillé, mais personne n’y a touché. Même après la Libération, Kim Jong Suk avait des larmes aux yeux quand elle voyait ce poisson: elle disait que le poisson rappelait le souvenir d’O Jung Hup. Imaginez donc à quel point devaient alors être affligés les hommes de l’ARPC!
Aussi avais-je fait faire halte à la colonne en pleine marche et programmé une séance de chants et danses et de prestidigitation, afin d’alléger l’atmosphère qui pesait sur la troupe.
Quelques jours plus tard, après une descente à Jiaxinzi, un grand spectacle a eu lieu dans une forêt sur la rive du Songhua. Nos historiens et les anciens combattants de la guerre antijaponaise aiment écrire aujourd’hui que ce spectacle avait été préparé pour saluer les nouvelles recrues; c’était vrai, mais il y avait un second motif: dissiper l’affliction causée par la disparition d’O Jung Hup et rétablir l’optimisme.
Le spectacle a réussi.
Nous avons improvisé une estrade avec des troncs de peupliers blancs et tendu, en guise de rideau, des toiles de tentes reliées l’une à l’autre. Comme le bois gelé rendait le plancher glissant, nous avons étendu des couvertures. Avant le spectacle, les nôtres ont affiché un programme très varié: chœur, solo vocal, danse, pièce d’harmonica, tour de prestidigitation. Le rideau devait s’ouvrir et se fermer aux coups de sifflet.
Après le dîner, les partisans, les nouvelles recrues et les ouvriers qui avaient transporté nos bagages se sont rassemblés.
Ce soir-là, Kim Jong Suk a chanté le Chant de la libération des femmes, puis a dansé tandis qu’on entonnait des airs de danse derrière la toile de fond.
L’intermède comique a été également très prisé.
Un combattant de très grande taille, venu de Diyangxi, et un autre originaire de Yanji ont imité le jeu de l’acteur de doublage des films muets. Le public se tordait de rire.
La Paebaeng-i gut6, pièce de théâtre folklorique, a été très appréciée aussi; j’ai oublié qui l’avait interprétée.
Un partisan chinois a fait montre de son adresse en dansant sur une paire d’échasses comme le font de nos jours les acrobates. Ce numéro peu commun a été applaudi. C’est cet homme qui, lors de la marche, effaçait les traces de pas de notre colonne en se déplaçant sur ses échasses.
Jo To On a fait un tour de trompe-l’œil. L’ensemble vocal des nouvelles recrues avec accompagnement au violon à trois cordes a aussi été très réussi.
Le spectacle s’est clôturé sur une petite pièce en un acte qui dépeignait la vie des guérilleros. Je l’avais écrite pendant la marche en profitant des haltes.
Le spectacle a duré de quatre à cinq heures, mais le public ne l’a pas trouvé long. Après la représentation, beaucoup d’hommes ont demandé à s’enrôler dans notre armée.
Les représentations artistiques que nous avons données au temps de la lutte révolutionnaire contre les Japonais ont clairement démontré l’importance de la littérature et des arts dans l’enseignement de l’optimisme.
La révolution, on la fait non seulement avec la force de volonté et le sens de la discipline; il faut certes la volonté, la conscience, le sens du devoir, mais aussi un esprit romantique et une grande sensibilité. Sans un amour ardent pour les montagnes, les rivières et le sol de son pays natal, sans l’amour pour ses proches et parents, on ne peut aimer sa patrie. Sans aimer la collectivité, sans la détermination de se dévouer à elle, on ne peut faire sien le communisme, cette doctrine profonde, cette grande et éternelle vérité. Celui qui prétend pouvoir le faire n’est qu’un esprit simpliste.
Le long chemin de la révolution antijaponaise est là pour le démontrer: des combattants, sensibles et romantiques, peuvent demeurer fidèles jusqu’au bout à leur chef et à sa pensée; ils peuvent lutter sans ménagement pour la victoire de la révolution, en y croyant fermement, et accomplir des exploits dignes de rester gravés dans la mémoire de la patrie et du peuple.
Rappelez-vous ce qu’a déclaré Pak Kil Song à ses derniers moments: «O, mon pays, je suis fier de toi. Le communisme, c’est la jeunesse de l’humanité, le berceau d’un avenir radieux pour la patrie. Nous en sommes conscients et convaincus et nous mourrons le sourire aux lèvres.»
Rappelez-vous ce qu’a clamé C
Les tortionnaires japonais avaient dit à Ri Kye Sun ligotée qu’ils ne la tueraient pas mais lui assureraient une vie de luxe si elle se repentait en public de ses actions antérieures; notre combattante a préféré mourir: «Ah, vous me salissez les oreilles avec vos propos abjects. Vous ne connaissez toujours pas de quelle trempe sont les communistes coréens», et, sur l’échafaud, elle nous a quittés sur le cri: «Le jour n’est pas loin où le pays sera libéré.»
Tous les combattants tombés au cours de la révolution antijaponaise croyaient en la victoire, avaient un cœur sensible et romantique.
Un révolutionnaire est avant tout celui qui croit en l’avenir, qui accorde plus de prix à l’avenir qu’au présent, et pour cet avenir, n’hésite pas à donner sa jeunesse, sa vie.
Pourquoi j’insiste tant aujourd’hui sur ce point? Parce que la situation prévalant dans le pays et dans le reste du monde l’exige: elle exige que chacun de nous fasse preuve d’un optimisme révolutionnaire.
Le socialisme s’est effondré dans plusieurs pays et les impérialistes s’acharnent sur nous en multipliant les sanctions. D’où les nombreuses difficultés qu’enduré aujourd’hui notre peuple. En tout, politique, défense, économie, culture, nous devons relever de graves défis. Ce n’est pas encore une guerre, mais une confrontation tendue non moins dure et éprouvante.
Or, l’épreuve ne peut durer indéfiniment, cent ou deux cents ans. Les difficultés sont momentanées; elles passeront.
Croyez en l’avenir, comptez sur vos propres efforts et persévérez. Nous devons écarter au plus vite les difficultés actuelles et rendre notre patrie riche et prospère.
A cette heure, notre optimisme doit reposer sur la conviction que la victoire nous appartient puisqu’une nouvelle génération conduite par le camarade Kim Jong Il s’occupe de notre révolution. Nous pouvons donc regarder notre avenir avec confiance et optimisme.
J’aimerais vous dire encore une fois: «Fiez-vous au camarade Kim Jong Il, à lui seul. Alors tout ira bien.» Il porte sur lui l’avenir de la Corée et le progrès du XXIe siècle. Cela, l’histoire le confirmera sans faute.
3. Après les messages de l’Internationale
Tout au long de la lutte antijaponaise, conduisant en toute indépendance la révolution coréenne, le Président Kim Il Sung consentit beaucoup d’efforts pour la solidarité avec les forces révolutionnaires internationales.
La période allant de la fin des années 1930 au début des années 1940 vit la révolution coréenne élargir sa sphère d’action internationale en fonction de l’approfondissement de ses liens avec l’Internationale communiste et l’Union soviétique, et la résistance coréo-chinoise au Japon aborder une nouvelle étape de lutte, plus avancée par sa forme, et intégrant l’Union soviétique.
Voici comment le Président Kim Il Sung évoqua cette période historique:
C’est en 1939 que nous avons renoué après plusieurs années nos liens avec l’Internationale communiste. Nous étions à la veille de nos opérations de conversion en grandes formations, et nous avions adopté, dans cette perspective, un nouvel uniforme ouaté.
Le gros de notre ARPC séjournait alors au camp secret de Hualazi dans le district d’Antu et poursuivait ses études politico-militaires.
Un jour, Kim Il, en mission avec un petit détachement, apparut au Quartier général flanqué de trois inconnus ligotés et en dabushanzi noir (robe chinoise – NDLR). A l’entendre, il les avait appréhendés sur son chemin de retour à la vue de leur tenue et de leurs comportements bizarres pour les paysans montagnards. Il se demandait, disait-il, s’ils n’étaient pas des agents des Japonais.
On les a fouillés et a trouvé sur eux des revolvers, une petite marmite et du soja grillé.
Je me suis entretenu avec eux.
Constatant que nous étions de la 2e colonne et que j’étais Kim Il Sung en personne, ils ont enfin révélé leur identité et l’un d’eux a sorti une boîte d’allumettes. Ils étaient, disaient-ils, des agents de liaison de l’Internationale. Les allumettes, particulièrement longues, n’étaient pas de fabrication mandchoue ni coréenne, mais soviétique; cependant personne parmi nous ne le savait alors.
Nous avons exigé d’autres pièces à conviction.
L’un d’eux nous a alors présenté un canif. C’était celui que j’avais envoyé autrefois en guise de mot de passe, lors du départ de Wei Zhengmin pour l’Internationale.
En dépit des années passées et des orages terribles depuis, nous ne l’avions point oublié. En le remettant à Wei Zhengmin, je lui avais recommandé de le laisser à l’Internationale comme code de reconnaissance pour les rendez-vous ultérieurs s’il parvenait à Moscou, et de prier encore l’Internationale d’en munir les hommes qu’elle enverrait chez nous.
A la seule vue de ce canif, nous avons pu établir l’identité des trois hommes que le petit groupe de Kim Il avait pris pour d’éventuels agents des Japonais. Quel que fût le but de leur mission, nous étions contents de ce que l’Internationale ne nous ait pas oubliés et ait bien voulu nous les envoyer.
Voilà comment les liens avec l’Internationale, coupés après la Conférence de Nanhutou, ont été rétablis. L’envoi de ces agents par l’Internationale constituait un encouragement pour nous qui préparions alors de nouvelles opérations à la veille d’un affrontement décisif contre une armée de 200 000 hommes.
S’il faut en croire les trois agents, l’Internationale nous avait envoyé six hommes; les trois autres, dont un Coréen, étaient tombés malades au bout d’une longue recherche de notre piste et avaient rebroussé chemin; eux seuls avaient continué.
En les envoyant, disaient-ils, l’Internationale n’avait pu leur indiquer exactement nos coordonnées: elle leur avait seulement recommandé d’aller du côté de Yanji et de contacter les unités de Kim Il Sung. Ils en avaient dû errer par-ci, par-là, longtemps et endurant d’insupportables souffrances. Ils étaient certes munis d’une carte, mais nos unités se déplaçaient constamment pour leurs opérations et ils n’avaient pu nous retracer.
Finalement, la population ne daignant pas non plus leur faire confiance et les tenant à distance, ils avaient décidé eux aussi de renoncer à leur mission et de retourner en Union soviétique. Heureusement, ils passaient par le village de Sandaogou du district d’Antu quand un homme leur avait conseillé d’aller voir dans la direction de Hualazi, et ils avaient ainsi poussé jusque-là.
Ils racontaient qu’en route, ils avaient failli une fois être brûlés vifs dans une cabane où ils dormaient. Le feu leur avait ravi habits et vivres, et depuis, ils calmaient leur faim avec du soja grillé. Ainsi avaient-ils décidé de tout laisser tomber et de regagner l’Union soviétique s’ils n’arrivaient pas à nous rattraper à Hualazi. Ils se sentaient naufragés, selon leur expression, au beau milieu d’une mer déchaînée dès le premier jour de leur errance en Mandchourie tant leur trajet avait été compliqué, désolant, interminable.
J’ai donné l’ordre de leur livrer notre uniforme neuf et un assortiment complet d’articles d’usage courant. Après s’être changés et avoir calmé leur faim, ils ont pu enfin se reposer tranquillement et tout leur content sous la tente du Quartier général.
Les archives administratives des impérialistes japonais gardent d’ailleurs des documents relatifs à l’envoi par l’Internationale communiste, à la fin de 1939, d’agents de liaison au Président Kim Il Sung et à la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est. En voici quelques passages:
«...Le 11 octobre de la 6e année de Kangde (1939), alors que la bande de Kim Il Sung campait dans la forêt de Zhenfeng, au nord-ouest de Sandaogou dans le district de Helong, huit Russes armés de revolvers et vêtus du même uniforme que les bandits communistes, ont visité Kim Il Sung en compagnie de deux interprètes coréens et ont eu des entretiens importants. Ils ont alors défendu l’approche de toute personne, sauf quelques cadres importants, et après un séjour d’une dizaine de jours, ils sont partis, ramenant avec eux douze soldats affaiblis de la bande de Kim Il Sung. C’est un fait confirmé. Ces Russes seraient des agents de liaison venus d’Union soviétique... les détails de leur visite n’ont pas encore été révélés nettement, mais tout porte à croire qu’ils sont venus pour une mission importante.» [Compte rendu de Kiuchi, consul japonais à Hunchun, le 26 juillet 15 de Showa (1940)]
«Un autre point, c’est la ligne de direction du parti. Il est à noter à cet égard l’arrivée d’Union soviétique de quatre agents de liaison à la 1re armée de route en décembre de l’an passé (1939). Rien n’a encore filtré au sujet du fond et du but de leur mission. Toutefois, ce fait a été clairement mentionné dans la lettre de Wei Zhengmin à Yang Jingyu, saisie à Fusong le 22 janvier de l’année en cours (1940)... il est évident que leur trajet passe de Tunhua à Dapuchaihe, et que de là, ils ont procédé via Liangjiangkou.» [«A propos de la tendance de la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est», mensuel des idées, n° 77, département de la criminalité du ministère de la Justice du Japon, novembre 15 de Showa (1940)]
Le message envoyé alors à notre adresse par l’Internationale était court et comportait deux points: primo, elle demandait à l’ARPC et à la 1re armée de route d’envoyer leurs représentants à la conférence des commandants des unités de partisans de Mandchourie qu’elle entendait convoquer; secundo, elle suggérait aux unités de guérilla antijaponaise du Nord-Est de reconsidérer pour quelque temps leurs opérations en grandes formations.
A l’époque, l’Internationale communiste et l’Union soviétique envisageaient sous un angle nouveau le développement du mouvement de guérilla antijaponaise en Chine du Nord-Est. A examiner de plus près le mouvement des Armées antijaponaises unifiées à la fin des années 1930, on peut dire qu’il était un peu instable. Les 2e et 3e armées de route opérant en Mandchourie du Nord et dans la région de Jidong étaient alors en désaccord sur certains points entre autres à propos du commandement et de l’unification.
En vue d’aplanir ces différends, ceux de l’Internationale avaient procédé en Union soviétique à des consultations censées nécessaires avec les représentants de ces deux armées. Au cours de délibérations réitérées, ils avaient eu l’idée, me semble-t-il, de profiter de l’occasion et d’élargir l’envergure de ces consultations en y conviant les représentants de l’ARPC et de la 1re armée de route opérant en Mandchourie du Sud, pour prendre ainsi non seulement des mesures pouvant déclencher l’essor de la révolution antijaponaise dans l’ensemble de la Chine du Nord-Est mais aussi pour accorder le mouvement de guérilla en Mandchourie avec la politique de l’Union soviétique en Extrême-Orient.
Les agents de liaison de l’Internationale ne nous en ont certainement pas dévoilé les détails de fond. Notre jugement était néanmoins assez plausible, eu égard à la situation politico-militaire prévalant alors dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique et à la politique que pratiquaient celle-ci et l’Internationale.
Yang Jingyu et Wei Zhengmin, tout comme moi, étaient dans l’impossibilité de quitter leur zone opérationnelle. Si nous partions pour l’Union soviétique, laissant là nos unités alors que le danger d’une grande «expédition punitive» de l’ennemi paraissait imminent, cela pouvait entraîner de graves conséquences sur la marche de nos opérations prévues et influer sur le moral de nos hommes.
Nous ne pouvions pas non plus accepter sans réflexion la proposition de l’Internationale de reconsidérer nos actions en grandes formations. Interrompre nos activités en grandes unités, c’était une question à étudier sérieusement pour savoir si cela n’équivalait pas, à la fin, à une résistance passive, plus exactement à une dispersion ou à une fuite.
Je me suis fait un devoir d’expliquer aux agents de liaison notre position face aux deux propositions de l’Internationale, puis j’en ai envoyé probablement un à Wei Zhengmin. Un de nos agents de liaison du Quartier général, portant le nom de code «Mangang», l’a accompagné comme guide.
Quand les agents de liaison de l’Internationale ont enfin quitté notre camp de Hualazi, nous leur avons remis documents et matériaux photographiques attestant des activités de notre ARPC. Nous pensions que ces documents et photos pourraient être conservés en sécurité en Union soviétique et que nous pourrions nous exempter de les transporter lors de nos déplacements. La photo où l’on me voit avec lunettes au camp secret de Wudaogou dans le district de Linjiang en faisait partie. Ces documents remplissaient à peu près un sac à dos.
Les agents de liaison de l’Internationale communiste sont malheureusement tombés, dit-on, entre les mains d’un corps d’autodéfense ennemi au moment où ils franchissaient une voie ferrée dans le district de Helong. Nos documents et matériaux photographiques n’ont pu parvenir à l’Internationale: ils sont entrés intégralement en possession de nos ennemis. Cette malchance a été mise en évidence par l’apparition ultérieure de nos photos dans les documents des autorités japonaises.
Le groupe d’agents de liaison de l’Internationale comprenait entre autres un Chinois du nom de Ning, qui avait été blessé dans un accrochage avec l’ennemi d’après une missive de Wei Zhengmin à l’adresse de l’Internationale.
Le point de vue de Wei Zhengmin était identique au nôtre.
Quant à nosrelationsavecl’Internationalecommuniste, elles remontent au début des années 1930. Elles avaient été, peut-on dire, relativement bonnes au cours de la première moitié de cette décennie.
Pourtant, entre le début de 1936 et l’automne 1939, nous n’avons presque pas eu d’échanges avec l’Internationale: nous ne lui avons pas dépêché de nos hommes, et elle non plus ne nous a pas envoyé ses messagers. C’est au début de 1936 que, je vous le rappelle, Wei Zhengmin s’était rendu à Moscou pour discuter des différends surgis à propos de la lutte contre le Minsaengdan8 que la Conférence de Yaoyinggou7 n’avait pu régler.
A franchement parler, nous n’éprouvions pas alors le besoin d’y aller. Nous avions déjà trouvé une solution équitable et raisonnable au problème d’importance touchant l’avenir de notre révolution en définissant notre ligne de conduite, et pensions qu’il nous suffisait de continuer notre révolution suivant l’orientation définie à la Conférence de Nanhutou.
Forts de cette ligne clairement définie, nous poursuivions notre révolution et étendions la lutte armée à l’intérieur de la Corée à partir du mont Paektu. C’était notre position et notre style de lutte que de nous fixer en toute indépendance une ligne d’action et une politique, de les appliquer avec une confiance révolutionnaire en nos propres forces. Nous autres, communistes coréens, étions alors à court de trop de choses et en butte à de multiples difficultés; nous savions néanmoins les surmonter par nos propres moyens. Nous n’étions pas enclins à implorer de l’aide ou à demander l’aumône inutilement.
C’est grâce à cette tradition historique et aux expériences acquises en adhérant fermement à notre ligne indépendante en matière de révolution depuis les années de la résistance au Japon que notre Parti, notre nation et notre pays sont reconnus aujourd’hui encore dans le monde entier comme un puissant parti, une puissante nation et un puissant pays par leur esprit d’indépendance.
Il n’est pas rare de trouver des pays qui ont mené une guérilla ou une guerre moderne avec une armée régulière contre les envahisseurs étrangers. Il est pourtant difficile de trouver des pays ayant entrepris une résistance armée dans des conditions aussi difficiles que le nôtre. Si nous disons souvent avoir combattu quinze années durant sans avoir un Etat comme arrière et en l’absence d’une armée régulière, ce n’est pas du tout exagéré. C’est l’expression exacte de faits réels, indiquant l’âpreté de la révolution coréenne.
C’est bien connu, chez nous aussi, la lutte exemplaire des partisans yougoslaves pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faudrait cependant rappeler que leur lutte ne couvre que quelques années, leur pays ayant été occupé par l’armée allemande en avril 1941. De plus, quand Tito lança la guérilla, la Yougoslavie disposait encore d’une bonne part de son ancienne armée régulière.
Par surcroît, l’aide des Soviétiques aux partisans yougoslaves fut bien importante. L’Union soviétique leur a livré, s’il faut en croire les Mémoires de Joukov, des centaines de milliers d’armes légères, telles que fusil et mitrailleuse, voire même des armes lourdes comme char et canon.
On peut en dire autant de la résistance antijaponaise du peuple chinois.
Jiang Jieshi avait sous ses ordres une armée régulière de millions d’hommes. Impossible de prétendre que toute cette grande armée s’en soit prise uniquement aux communistes. Quoique passivement et confusément, elle a levé elle aussi le drapeau de la résistance au Japon et a eu des accrochages avec l’armée japonaise. C’est un fait incontestable. Et si elle a quelque peu freiné les Japonais, cela a dû constituer, il faut l’admettre, une aide de l’armée régulière à la guérilla entreprise par le peuple chinois. Le terme même de la collaboration du Guomindang et du Parti communiste chinois devrait être considéré comme l’expression de leur résistance commune au Japon.
Chez nous, l’armée nationale régulière a mis fin à son existence en 1907, et c’est plus de vingt ans plus tard que nous avons commencé notre lutte armée. Il n’y avait alors chez nous aucune armée régulière, voire même ses restes.
Inutile de parler de notre arrière, notre pays ayant été colonisé et n’existant plus alors en tant qu’Etat.
Il restait seulement quelques fusils de vieux modèle, abandonnés par les francs-tireurs ou l’armée indépendantiste, mais devenus inutilisables. Nous avons donc dû nous procurer chaque arme au risque de notre vie.
On n’en finirait pas de raconter les difficultés que nous avons dû surmonter au cours de la lutte armée et les souffrances que nos partisans ont endurées pendant une dizaine d’années dans les montagnes.
Nous nous sommes pourtant abstenus de quémander du secours. Comme je l’ai plus d’une fois fait remarquer, l’Internationale avait prêté assez d’attention à la révolution dans les grands pays tels que la Chine ou l’Inde, mais pas tellement à la révolution coréenne. Un certain nombre de ses personnalités considéraient la nôtre comme une dépendance de la révolution chinoise ou japonaise.
Même dans le cas de la révolution chinoise, l’Internationale montrait, peut-on dire, beaucoup d’intérêt à la lutte révolutionnaire en Chine intérieure mais peu en Chine du Nord-Est. Il est de notoriété publique qu’elle ait envoyé comme conseillers Borodine et Blücher aux nationalistes, Voïtinski, Maring, Otto Braun aux communistes, mais personne en Chine du Nord-Est.
S’il faut quand même parler de son assistance à cette dernière, elle se limitait aux 2e et 3e armées de route. Il ne serait pas erroné d’affirmer qu’elle ne faisait presque pas de cas de l’ARPC ni de la 1re armée de route de Mandchourie du Sud, opérant loin de la frontière soviéto-mandchoue.
Cette négligence de sa part a été encore révélée par l’envoi de la plupart des commandants originaires de Mandchourie, recyclés en Union soviétique, en Chine intérieure et non en Chine du Nord-Est. Liu Hanxing, ex-chef d’état-major de la 2e armée, et Li Jingpu de la 5e armée de l’Armée révolutionnaire populaire du Nord-Est, sont du nombre. Ils avaient déployé une lutte commune avec nous en zone de guérilla fixe de Jiandao, mais ils ont été nommés au terme de leur recyclage à Yan’an; ils ne sont revenus en Chine du Nord-Est qu’après la défaite de l’impérialisme japonais.
Les écrits laissés par les Japonais présentent l’évolution de la révolution en Chine du Nord-Est comme tributaire du soutien de l’Union soviétique ou de l’Internationale, mais ce n’est qu’une présomption gratuite, contraire à la réalité.
La propagande japonaise a, pour un certain temps, prétendu que j’avais été formé à l’université communiste à Moscou, qu’en été 1938 j’étais revenu en Mandchourie à la tête d’une unité d’élite. Certains documents officiels des autorités japonaises ont soutenu, pour leur part, que j’avais entraîné mes hommes assez longtemps en Union soviétique et regagné la Mandchourie, fort d’une aide substantielle; une autre version a affirmé que j’étais rentré en Mandchourie après l’incident du mont Zhanggufeng9 et que depuis je faisais des ravages dans la province du Dongbian.
Toute cette propagande avait pour but de nous décrire comme des individus agissant à l’instigation ou sous la manipulation de l’Union soviétique ou d’autres forces extérieures, et de réduire ou supprimer ainsi notre ascendant sur le peuple de Corée.
Si je présente les choses telles qu’elles sont, nous ne devons pas grand-chose à l’Union soviétique ni à l’Internationale. A l’époque de notre activité à Wangqing, nous avions une fois sollicité par une lettre l’aide de l’Union soviétique à la construction d’une usine de grenades à main, mais la partie soviétique ne s’était même pas donné la peine de nous répondre. C’est ce qui nous avait poussés à inventer et fabriquer nous-mêmes une sorte de bombe baptisée «bombe de Yanji» dont nous avions largement fait usage par la suite.
Mais voilà qu’en 1939 l’Internationale communiste, jusqu’alors froide et impassible à l’égard de la révolution en Chine du Nord-Est et en Corée, a bien voulu nous dépêcher ses agents de liaison et nous inviter en Union soviétique! Comment en était-elle arrivée à cette mesure exceptionnelle? En bref, ce virement d’attitude avait été dicté par la situation politico-militaire de l’Union soviétique exposée à une imminente agression japonaise. L’Union soviétique avait une fois de plus constaté, et suffisamment, les ambitions d’expansion territoriale et la nature agressive de l’impérialisme japonais à travers les incidents du lac Khassan et de Khalkhin-gol10; elle ne doutait pas que le Japon lancerait un jour l’«attaque contre le Nord», et elle cherchait, avec le concours de l’Internationale, les moyens d’y faire face.
A cet égard, la question à laquelle l’Internationale attachait une importance toute particulière était de trouver des alliés pouvant soutenir par les armes l’Union soviétique en frappant l’ennemi dans ses flancs et ses arrières, et de réaliser avec eux une coalition politico-militaire. Or, il n’y avait alors en Orient que l’ARPC et les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est, comme forces capables de venir en aide à l’Union soviétique. L’Internationale, voyant en elles une composante et des forces périphériques de l’armée extrême-orientale soviétique, entendait en faire, en cas de guerre, des commandos de celle-ci. Là-dessus, la position de l’Union soviétique était la même.
Durant la première moitié des années 1930, les Soviétiques ne s’étaient pas sérieusement intéressés à l’existence du mouvement antijaponais de la Chine du Nord-Est. Mais lors des incidents du lac Khassan et de Khalkhin-gol, voyant les unités de l’ARPC et les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est entreprendre de puissantes attaques pour défendre leur pays, ils se sont aperçus, paraît-il, que les partisans de Mandchourie n’étaient guère négligeables. Dès lors, ils se sont efforcés par divers moyens de resserrer les liens avec nous. L’Internationale agissait de concert avec eux à notre égard. Subordonner tout son travail à la défense de l’Union soviétique, c’était là en fait sa mission fondamentale, sa politique invariable.
Cela ne veut pas dire pour autant que l’Internationale et les autorités militaires soviétiques de la région extrême-orientale ont eu dès le début un point de vue complètement identique à l’égard des forces antijaponaises du Nord-Est. La première préconisait qu’on mette l’accent sur la conservation de ces forces dans la perspective de la guerre à venir, tandis que les secondes affirmaient qu’elles devaient lancer de fortes offensives pour faire obstacle au déplacement de l’armée japonaise vers la Chine intérieure, du moment que la Chine entière était en état de guerre et que les pertes étaient inévitables.
De toute façon, l’intérêt accru de l’Internationale pour le mouvement antijaponais du Nord-Est, et l’invitation qu’elle nous avait adressée pour d’importantes consultations d’ordre stratégique et tactique accusaient un changement de politique de sa part méritant notre attention. C’était en fait le résultat de l’accroissement de nos forces, devenues si puissantes qu’elles étaient parfaitement en mesure d’assister par les armes l’Union soviétique dans les arrières ennemis.
Nous avons alors émis des réserves sur les propositions de l’Internationale et nous n’avons pas interrompu nos activités en grandes formations ni pris le parti de nous acheminer vers l’Union soviétique. Nous sommes restés en Mandchourie pour déployer avec détermination des opérations de conversion en grandes unités selon notre calendrier établi et mettre en pièces l’offensive ennemie.
Grâce à l’aboutissement victorieux de nos opérations de conversion en grandes formations, nous avons pu prendre l’initiative de nos actions et nous fixer une nouvelle orientation de lutte. Si nous étions partis pour Khabarovsk, comme nous le demandait l’Internationale, ou avions passé tout de suite aux activités de petits détachements, nous n’aurions pu développer des opérations de taille.
L’automne 1940, le Président Kim Il Sung reçut une autre invitation de l’Internationale pour une réunion convoquée sous son patronage. Des messagers parvinrent jusqu’à lui en passant par mille dangers. Repassant ses souvenirs d’alors, le Président dit:
C’est à la mi-octobre 1940 qu’un nouveau message de l’Internationale m’est parvenu. Toutes les unités de notre ARPC opéraient alors un peu partout par petits détachements à la lumière de l’orientation adoptée à la Conférence de Xiao
Deux agents de liaison de l’Internationale m’ont révélé qu’ils avaient été envoyés par le général Rouchenko du commandement de l’armée extrême-orientale soviétique et qu’ils avaient pour mission de m’inviter, au nom de l’Internationale, à la conférence qu’elle allait convoquer à Khabarovsk en décembre. Ils m’ont également transmis les directives de l’Internationale enjoignant à toutes les troupes antijaponaises opérant en Mandchourie de renoncer à leurs activités en grandes formations pour passer à celles de petits détachements et de gagner sans tarder la région extrême-orientale de l’Union soviétique pour y fonder des bases, rétablir et regrouper leurs forces.
Rouchenko, en service au commandement de l’armée extrême-orientale soviétique, s’occupait des affaires du ressort de l’Internationale. J’aurais plus tard l’occasion de le rencontrer à Khabarovsk. A ma vue, il a d’abord déclaré en guise de salutation: «Oh! c’est pas facile de vous serrer la main, camarade Kim Il Sung», puis il m’a fait part des détails de l’envoi de petits détachements et de petits groupes pour nous contacter. J’ai senti dès le premier instant en lui une passion et une affabilité qui subjuguent le cœur de ses interlocuteurs.
Il a souvent emprunté, dans ses activités, le nom chinois de Wang Xinlin et s’occupait la plupart du temps de la liaison entre l’Internationale ou l’Union soviétique et nous.
Au dire des agents de liaison, la conférence des commandants des partisans de Mandchourie que l’Internationale voulait tenir à Khabarovsk au début de 1940 n’avait pu avoir lieu, à cause de la non-participation des représentants de l’ARPC et de la 1re armée de route; elle avait fini par devenir une rencontre des représentants des unités de partisans de Mandchourie du Nord et de la région de Jidong.
L’Internationale n’a cependant pas renoncé à son plan initial; elle voulait à tout prix organiser un rendez-vous des commandants de toutes les unités armées antijaponaises du Nord-Est pour délibérer sur l’orientation à adopter par le mouvement antijaponais dans cette partie et surmonter à cette occasion les difficultés dans lesquelles se trouvait l’Union soviétique.
Les agents de liaison étaient parvenus chez nous en octobre. En réalité, le plan de convocation de cette conférence avait été communiqué en septembre 1940. Les 2e et 3e armées de route en avaient été informées tout de suite par le télégraphe mais nous, qui ne disposions pas d’un tel appareil, avions dû attendre l’arrivée des agents de liaison. L’Internationale invitait à la conférence les commandants en chef, les commissaires politiques et les secrétaires du parti de toutes les armées de route ainsi que d’autres cadres militaires et politiques importants.
J’ai mis Wei Zhengmin au courant de l’arrivée des agents de liaison et lui ai proposé que nous prenions une décision commune.
Wei Zhengmin pensait qu’il aurait dû participer à cette conférence qui allait avoir lieu sous les auspices de l’Internationale, mais qu’il ne pouvait pas quitter sa place à cause de sa santé précaire. Là-dessus, il m’a prié de représenter l’ARPC et, en outre, la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est et le comité du parti de Mandchourie du Sud.
Les recommandations de l’Internationale au sujet des activités des petits détachements concordaient avec l’orientation que nous avions adoptée à la Conférence de Xiao
La situation politico-militaire prévalant alors s’avérait beaucoup plus grave qu’à la période de nos activités en grandes formations de la fin de 1939 au début de 1940. Une grosse unité avait du mal à se déplacer.
D’abord, l’ennemi ayant parachevé le regroupement des villages, le ravitaillement de grandes unités s’avérait vraiment difficile. Le ravitaillement en vivres, une poignée de riz ou quelques morceaux de pain de maïs, nous coûtait toujours du sang de nos compagnons.
C’était l’époque où l’ennemi redoublait d’efforts tout spécialement pour son opération de pacification à la racine et sa politique de transformation idéologique.
La politique de regroupement des villages qu’il pratiquait alors était beaucoup plus perfide que celle qu’il avait mise en œuvre à Xijiandao. Il poursuivait avec force la «séparation de la population d’avec les bandits» en mettant le feu à toutes les habitations dispersées et en fondant des «villages armés», intensifiait le contrôle sur les vivres, les marchandises et les munitions, multipliait la rafle et la chasse aux éléments en «intelligence avec les bandits», et resserrait la surveillance aux embarcadères. Le contrôle sur l’opium de contrebande était également très sévère.
D’autre part, il prônait à grand bruit son «aide aux nécessiteux» ou son «œuvre pour la stabilisation de la vie du peuple» et cherchait par là à désagréger idéologiquement les masses révolutionnaires et autres couches de la population.
Notre expérience a prouvé que les petits détachements pouvaient se ravitailler en vivres plus facilement que les grandes unités. Force nous fut de tenir compte de l’approvisionnement en vivres lors de la définition de notre stratégie et de notre tactique. La primauté devait être accordée aux vivres et non à la tactique. Peut-on se battre sans manger? Si je préfère mettre en tête le mot «nourriture» dans notre expression figée «habillement, nourriture et logement», c’est, peut-on dire, un reflet des souffrances que nous a causées la faim dans les années de guérilla.
Si nous opérions par petits détachements en franchissant souvent la frontière soviétique de la région extrême-orientale, cela pouvait faciliter nos activités politiques au sein de la population et rendre plus efficaces l’entraînement et la formation des cadres de nos unités. Nous pouvions, par exemple, entreprendre des actions militaires en été, et, en hiver, disposer de temps pour procéder à la formation militaire et politique en zones choisies par les Soviétiques pour nous. Cela était donc favorable à la conservation et à la formation de nos forces.
Soit dit en passant, nous avions perdu beaucoup de nos cadres à la suite des «expéditions punitives» d’envergure de l’ennemi à la fin des années 1930 et au début des 1940.
J’ai communiqué aux agents de liaison de l’Internationale que nous avions déjà adopté, à la Conférence de Xiao
Disposer de temps et d’espace nous permettant de remettre en ordre et de réformer nos rangs alors que l’ennemi se lançait le mors aux dents pour nous anéantir, cela pouvait être une mesure indispensable pour l’avenir aussi bien que le présent de notre lutte armée. De telles bases stables étaient indispensables à la conservation et à la formation de nos forces.
Si nous sommes arrivés vers cette époque à nous préoccuper de plus en plus de la conservation de nos forces, c’est parce que nous avions la certitude de l’approche du jour de la victoire finale de la révolution coréenne.
Vers la deuxième moitié de 1940, les flammes de la Seconde Guerre mondiale se répandaient sur toute l’Europe. Et chacun pressentait l’imminence d’un conflit entre l’Union soviétique et l’Allemagne. Le Japon, quant à lui, projetait de provoquer de nouvelles hostilités contre le Sud sans avoir mis un terme à sa guerre en Chine. S’il déclenchait une nouvelle conflagration contre les Etats-Unis et l’Angleterre, il n’était pas difficile de prévoir la fin de cette aventure.
Dans ces circonstances, le mieux était d’éviter l’affrontement direct et de préserver et augmenter nos forces. Notre point de vue était à peu près identique à celui des Soviétiques et de l’Internationale.
Si l’Union soviétique nous offrait sur son territoire des sites où nous pourrions rétablir et réformer nos forces, les conserver et grossir, et nous accordait l’assistance militaire et matérielle requise, c’était une bonne chose.
Je n’étais toutefois pas pressé de m’acheminer vers l’Union soviétique. J’avais besoin d’y réfléchir sérieusement, vu l’importance du problème. En cas de déplacement dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique, la première question qui se posait était la durée de notre séjour: quelque temps seulement ou bien longtemps? En cas de séjour prolongé sur des bases fixes, comment continuer notre lutte armée? Pourrions-nous, par exemple, les quitter librement selon nos besoins, pour revenir dans notre pays ou pénétrer en Mandchourie? Et comment diriger depuis ces bases le mouvement à l’intérieur de notre pays? Un large éventail de problèmes surgissaient, et il fallait prendre les mesures qui s’imposaient.
Partant, je pris le parti d’examiner et de régler la question de notre déplacement en en supposant plusieurs cas.
Le premier était de laisser le gros de nos forces sur place et d’aller à la conférence avec les commandants seulement pour revenir et continuer la lutte; le deuxième était de partir avec les commandants seulement et de participer à la conférence, puis d’observer un temps la situation locale pour y appeler toutes nos troupes au moment convenable, enfin le troisième était de faire concorder temporellement la participation à la conférence et l’acheminement de toute l’armée vers l’Union soviétique, d’y rester temporairement pour prendre définitivement les mesures qui s’imposeraient.
Même dans le cas de notre passage ultérieur dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique, j’ai veillé à traiter toutes les affaires en prenant pour principe de fonder nos nouvelles bases en territoire soviétique, à condition de mieux raffermir préalablement nos bases secrètes du mont Paektu. Il me fallait, dans cette perspective, du temps et les détails de la situation.
Nous étions alors en train de préparer l’arrivée de l’hiver en opérant par petits groupes dans les limites de notre champ d’action à la lumière de l’orientation définie par la Conférence de Xiao
C’est à partir de cette analyse et de ce jugement que j’ai ajourné la réponse à l’Internationale, confié à mes hommes envoyés en Union soviétique en guise d’avant-garde la tâche d’observer minutieusement la situation là-bas et de nous en informer, d’une part, et d’autre part, donné l’ordre à mes unités de poursuivre les préparatifs pour passer l’hiver.
Par ailleurs, j’ai ordonné à Ri Ryong Un d’ouvrir un nouveau passage en Union soviétique et de vérifier une fois de plus la précision et la sûreté du chemin utilisé jusqu’alors.
Ri Ryong Un était un chef de régiment bien connu dans les unités de la 3e colonne. Il avait succédé à Jon Tong Kyu, mort dans la bataille de Dashahe-Dajianggang dans le district d’Antu en août 1939.
Il avait dû initialement partir pour l’Union soviétique avec le message de Wei Zhengmin à l’Internationale, mais un événement imprévu l’en avait empêché.
C’était un homme de haute stature et il paraissait plus vieux que son âge. Taciturne, sérieux, discret, paisible d’habitude, mais d’une intrépidité et d’une agilité étonnantes sur le champ de bataille.
Voici un épisode qui l’illustre. Cela est arrivé, dit-on, lors de l’attaque d’un village de regroupement du district de Dunhua. Son unité alors en marche étant à court de provisions, on décida de prendre d’assaut un village de regroupement et y dépêcha des éclaireurs, qui en revinrent avec des informations d’après lesquelles il n’y aurait eu que trois ennemis. Selon le plan d’opération initial, une escouade de mitrailleuses devait y pénétrer en tête et mettre les ennemis hors de combat, mais Ri Ryong Un, rappelant l’inutilité d’une telle démonstration de force pour ces trois ennemis, décida d’y entrer seul avec son planton; l’unité y entrerait quand il donnerait le signal après avoir soumis les ennemis. Son planton était T
A la tombée de la nuit, Ri Ryong Un part avec son planton. Il descend au village et entre droit dans la caserne. Mais dans la pièce où ils se sont introduits, plus d’une trentaine d’officiers assis en cercle paraissaient discuter de leur plan d’opération. Leur chef de file qui pérorait en indiquant des points sur la carte militaire écarquille les yeux à la vue de Ri Ryong Un.
Evoquant plus tard cet instant inoubliable, T
Cependant, Ri Ryong Un, dégainant et levant calmement son mauser, enjoint aux officiers de lever les mains et ajoute qu’ils sont cernés.
Or, le chef de file, poussant un cri horrible, se saisit du canon du mauser de Ri Ryong Un. Celui-ci tire mais le coup ne part pas. Il retire son arme si vivement que l’officier japonais s’en blesse la paume et lâche le canon.
Ri Ryong Un recharge son arme et le descend; puis en tirant ou en donnant des coups de pied formidables, il parvient à soumettre à lui seul ceux qui tentent de s’opposer. Plusieurs officiers sont terrassés sur place.
T
Pendant que T
Ri Ryong Un est devenu célèbre par sa vaillance, sa fermeté de décision et sa compétence dans plusieurs batailles dont l’attaque surprise du chef-lieu du district d’Emu, la bataille de Dashahe-Dajianggang et la bataille de Yaocha.
Je lui ai confié la nouvelle mission quelque part à l’orée de Xiao
Il se frayait ainsi avec Im Chol cette voie aux abords de la frontière soviéto-mandchoue quand Rim Chun Chu et Han Ik Su se sont mis en route pour l’Union soviétique à la tête de notre groupe de blessés et de faibles.
Ceux-ci dont nous nous souciions tant arriveront sains et saufs à destination, mais notre envoyé spécial tombera héroïquement dans un accrochage avec une troupe japonaise. Il s’est pourtant acquitté à merveille de sa mission d’ouvrir une nouvelle voie de communication et de conduire par cette route les blessés en Union soviétique.
Il restait enfin à Ri Ryong Un la tâche de gagner lui aussi l’Union soviétique et de nous renseigner sur la situation là-bas. Pour la remplir pleinement, il prit la direction de la frontière, mais il remarqua que la tenue de ses hommes tombait en loques. Un tel accoutrement était indigne des mandataires du commandement de l’ARPC; il leur faudrait sauver au moins les apparences. Il se mit en tête de se procurer des habits avec l’aide d’un charbonnier avec lequel il entretenait des rapports depuis des années.
Or, cet homme était un malin. Il avait fait la révolution, mais entre-temps, il avait retourné sa veste et était devenu un mouchard au profit des Japonais. Il dupa donc Ri Ryong Un: il partit en lui promettant d’acheter des vêtements, mais il revint avec plus d’une centaine d’ennemis. Ri Ryong Un en a abattu à lui seul des dizaines avant de tomber héroïquement.
Tels sont les détails de la reprise, après une longue interruption, de nos relations avec l’Internationale.
Depuis, je n’ai pas cessé de resserrer nos liens et je me suis efforcé de renforcer la solidarité avec les forces révolutionnaires internationales.
4. L’automne 1940
Ces jours-ci, en lisant des textes traitant du point de vue historique la révolution antijaponaise, j’ai constaté que nos historiographes avaient réalisé un bon travail mais qu’il restait toutefois plusieurs domaines à explorer et à approfondir.
Les matériaux relatifs à la période d’avant et après la Conférence de Xiao
L’automne 1940 n’a pas été ordinaire pour nous. Les péripéties subies en cette saison sont tellement nombreuses que plusieurs volumes ne suffiraient pas pour les relater. Nous venions alors de passer de nos activités en grandes formations aux opérations par petits détachements ou groupes, et nous n’avions pas encore livré de batailles d’importance comme celle du chef-lieu du district de Fusong ou celle du mont Jiansan.
Tous sont unanimes à affirmer que l’histoire de la révolution antijaponaise ne connaît pas de marche aussi ardue que celle baptisée «Dure Marche», et de période aussi pénible que celle-là. C’est bien juste. Cependant, les épreuves que nous avons connues en automne 1940 n’ont pas été moins cruelles. Si la Dure Marche a été pour nous une suite d’épreuves qui ont poussé nos souffrances physiques au-delà de leur limite, les adversités qui nous ont frappés cet automne-là sont une série d’épreuves qui nous ont causé des souffrances morales non moins terribles.
Une volonté de fer est indispensable pour vaincre les souffrances, qu’elles soient physiques ou morales, et cet effort de volonté est toujours accompagné d’une lutte contre soi-même. C’est ce que nous avons compris en automne 1940.
La Conférence de Xiao
J’avais désigné une zone d’activité et défini des tâches pour chacun d’eux avant de partir moi-même à la tête d’une petite formation dans la direction de Yanji.
Comme j’en avais donné l’ordre, le détachement de Kim Il devait opérer dans les parages de Wangqing et de Dongning et celui d’O Paek Ryong devait se procurer, dans les districts de Yanji et d’Antu, les provisions de bouche nécessaires pour l’hiver.
Arrivé au fond de la vallée de Facaitun dans le district de Yanji, j’ai attendu le détachement d’O Paek Ryong. Plusieurs jours passèrent sans aucune nouvelle.
Rien d’étonnant, vu la conjoncture: c’était une époque où il fallait verser du sang pour avoir un épi de maïs. Et pour une livre de riz, il fallait pénétrer dans un village de regroupement, une entreprise où l’on risquait sa peau.
Nous avions dû ainsi, durant tout l’été, nous nourrir de chicorée sauvage bouillie. La montagne en abondait, mais on avait beau en consommer, l’estomac criait toujours famine.
C’est alors que mes hommes partis à la recherche de quoi se mettre sous la dent m’ont avisé qu’ils avaient trouvé une hutte de paysan au creux de la vallée. A leur dire, elle était habitée par trois paysans coréens; autour s’étendait une assez vaste terre labourée, et il serait possible de nous procurer un peu de vivres si on réussissait à motiver ces paysans.
J’y ai dépêché tout de suite Kang Wi Ryong. Je lui ai recommandé de convaincre les paysans, de leur dire franchement qui nous étions.
A en croire son rapport, quand il a sollicité leur aide, les paysans se sont montrés embarrassés. C’est que pour nous procurer des vivres, ils auraient dû se rendre à Mengyuegou, ce qui leur paraissait difficile à cause de la surveillance rigoureuse. Pourtant, ils ne pouvaient pas rester insensibles à la requête des partisans, disaient-ils, et ils sont donc partis pour Mengyuegou.
Après avoir écouté ce compte rendu de Kang Wi Ryong, j’ai enjoint à mes hommes de redoubler de vigilance et de renforcer la garde.
Ce jour-là, à la cantine, on cuisinait une bouillie de racines de todok (codonopsis lanceolata—NDLR). Si on écrase et bat ces racines et les cuit longuement dans de l’eau, elles prennent la forme d’une bouillie et, si on y ajoute un peu de céréales, cela devient un aliment appétissant, d’une saveur spéciale. Un mets nourrissant, peut-on dire, mais composé seulement d’herbes et de racines.
Cette préparation mijotait pour de bon quand Son Jang Chun qui montait la garde accourut et fit un grand vacarme affirmant que toute une troupe ennemie en uniforme jaune approchait de notre camp secret. Mes hommes s’empressèrent d’aller voir; ils avaient bien regardé, ils ne voyaient pas d’ennemis lancés à l’assaut. Son Jang Chun prétendait pourtant toujours voir les soldats ennemis en indiquant le pied de la pente. Or, il n’y avait là que des souches.
Chacun peut avoir des hallucinations après une typhoïde, et Son Jang Chun venait d’avoir une forte fièvre.
Je blâmai le chef de faction qui lui avait fait monter la garde. Ceux qui préparaient la bouillie l’avaient renversée dans leur précipitation en entendant l’alarme. Cette bouillie préparée avec tant de soin et prête à être servie!
Quelques jours plus tard, on m’a informé du retour des paysans de la hutte censés nous ravitailler en vivres. On m’a annoncé aussi que deux d’entre eux et un homme en complet élégant venu à leur suite étaient là; ce dernier demandait à me voir, c’était nul autre que C
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Un jour, il était venu me dire qu’il se sentait un peu affaibli, qu’il voulait se reposer quelque temps loin de sa compagnie. Je lui avais volontiers accordé une permission, lui recommandant d’aller dans la vallée de Xiaowangqing refaire sa santé en chassant et d’aider à cette occasion l’organisation locale du parti.
Mais peu après, quand il avait été étiqueté de Minsaengdan, il avait laissé une lettre à sa femme et pris la fuite pour la zone sous contrôle ennemi. Dans sa lettre, disant adieu à sa femme, il la priait de s’occuper avec soin de leur enfant, lui faisait savoir qu’il s’en allait pour éviter une mort déshonorante et qu’il continuerait son activité révolutionnaire dans la zone ennemie. Sa femme qui venait d’accoucher était venue me montrer la lettre, les larmes aux yeux. Probablement pas encore remise de l’accouchement, elle avait le visage boursouflé, et son bébé était sur le point de rendre l’âme.
Mon cœur grondait d’un courroux violent: «Ah, C
Depuis, c’est nous qui, à sa place, avons pris soin de sa femme et de sa petite fille. Plus tard, nous les avons envoyées avec les blessés en Union soviétique.
Mais voilà que ce C
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Je lui fis moi aussi bon accueil. N’avait-il pas été, en fait, un de mes subalternes dans les années de lutte à Wangqing?
Puis il se mit à me raconter avec volubilité ses pérégrinations dans la montagne pour retrouver, disait-il, sa place dans la guérilla. A ma question s’il avait déjeuné, il répondit qu’il venait de s’apprêter lui-même quelque chose et de manger là-bas, au pied de la montagne. Là-dessus, il sortit de son sac un sachet de riz, des limandes séchées et de l’eau-de-vie.
Or, la marmite pendue au sac n’était point couverte de suie. Il prétendait néanmoins avoir erré par la montagne à notre recherche, s’en être servi pour préparer son repas tout à l’heure. C’était bien bizarre que sa marmite semble encore toute neuve.
Je ne doutais pas de sa déchéance. C’était un salopard du genre de Ri Jong Rak. D’ailleurs, la rumeur de sa reddition avait couru un temps dans nos unités.
Ignorant encore pour qui je le prenais, il me remplit un verre à ras bords et m’invita à boire à nos retrouvailles.
Je refusai net. Sa main tenant le verre se mit subitement à trembler. Entendant ma voix courroucée, il avait compris que son vrai visage était démasqué.
Alors, je me mis à le questionner en toute règle.
«Ecoute C
C
Instinctivement, je me rendis compte que nous étions pris dans un étau. Mais en cet instant, l’air pitoyable de C
Et par-dessus tout ce qui m’ahurissait littéralement, ce furent les absurdités qu’il débitait faisant montre de son don d’éloquence pour me persuader de retourner ma veste. En jetant furtivement de temps à autre un coup d’œil vers moi pour lire mon humeur, il se donnait la peine de m’appâter par des propos séduisants: «Je sais dans quel embarras vous vous trouvez, général Kim. Toute la Mandchourie grouille de soldats japonais; inutile de vous donner tant de peine désormais, croyez-moi. Vous avez tout essayé et fait de votre mieux pour la nation. Personne ne vous blâmerait si vous vous rendiez tout de suite. Tous ceux qui ont cédé vont bien. Les Japonais promettent de vous accorder le poste de préfet de la province du Jilin si vous quittez le maquis de votre gré.»
Ne pouvant plus supporter ses balivernes, je lui ai coupé la parole: «Arrête, Yong Bin! Comment as-tu pu déchoir à tel point? Un ancien chef de compagnie à Wangqing, n’as-tu pas honte? Nous étions toutefois désolés d’avoir perdu un commandant de valeur quand tu t’es éclipsé en laissant femme et enfant. Ah! tu as le toupet de te montrer devant nous sous cet aspect hideux? Penser abandonner femme et enfant et te jeter dans les bras de l’ennemi! N’as-tu pas un peu de cœur? Tu as dégénéré vilement et totalement.»
Quand un homme ne pense qu’à soi, il finit par se dégrader comme C
La déchéance de C
Comme son cas l’illustre, un recul sur le chemin de la révolution aboutit finalement à la trahison. C’est pourquoi je n’ai jamais laissé échapper les occasions de dire à mes hommes: «Le révolutionnaire n’a qu’un chemin à suivre, celui de la révolution, vivant ou mort. S’il s’en détourne, il finit par devenir réactionnaire, renégat et rebut du genre humain. Tous ceux qui abandonnent à mi-chemin la révolution, craignant la pluie et la neige, les balles, la faim, la marche dans les montagnes, la prison et la potence ne tardent pas à baisser pavillon devant les tortionnaires pour peu que ceux-ci leur jettent deux ou trois fois de l’eau pimentée au nez.»
La trahison commence par l’abandon de la conscience; c’est la leçon que nous avons tirée du cas de C
Au fort de la complication de l’affaire de Minsaengdan qui avait entraîné bien des exécutions dans la région de Jiandao, un assez grand nombre de gens avaient quitté la zone de guérilla comme C
Une partisane du nom d’In Suk de la compagnie de Pak Song Chol était du nombre. Cela s’est passé dans la zone de guérilla de Shenxiandong.
Un jour, cette partisane s’approcha de Pak Song Chol qui montait la garde et lui montra discrètement un papier. C’était la lettre de son mari, alors chef de compagnie dans une autre unité. Il avertissait sa femme: «Je suis attaché par la corde rouge.» C’était un argot signifiant qu’il était impliqué dans l’affaire de Minsaengdan.
Pak Song Chol était alors le responsable des affaires de la jeunesse de sa compagnie. Qu’In Suk soit venue lui montrer la lettre et demander conseil pour sa conduite ultérieure, c’était un acte louable dans l’optique de la vie militante. Elle était d’avis que son mari, ayant été accusé d’appartenir au Minsaengdan, elle n’aurait pas non plus la vie sauve, qu’il lui vaudrait mieux partir elle aussi pour la zone sous contrôle ennemi que subir une mort honteuse sous une fausse accusation.
Pak Song Chol, surpris, lui fit savoir que se réfugier dans la zone ennemie signifiait au fond abandonner la lutte révolutionnaire, que cela équivalait à la capitulation, qu’un tel acte était indigne d’elle.
Mais elle objecta que ce n’était pas ce qu’elle voulait; elle ne pensait pas cesser la lutte révolutionnaire mais seulement éviter de se compromettre.
Pak Song Chol se mit alors en devoir de lui démontrer patiemment que la désertion des rangs de la révolution la conduirait finalement à la contre-révolution, que c’est un aboutissement logique.
Finalement dissuadée, la partisane s’aperçut qu’elle avait failli s’engager dans la voie à éviter pour les révolutionnaires. Si Pak Song Chol l’avait exhortée à s’enfuir pour sauver sa peau, qu’aurait-il pu lui arriver? Heureusement, il l’avait remise dans la bonne voie!
En effet, à ce que je sais, elle n’a pas quitté la zone de guérilla; elle a poursuivi sa lutte et est héroïquement tombée par la suite au champ d’honneur.
Si, devant l’alternative: révolution ou fuite, elle a pu opter pour la première, c’est qu’au lieu d’agir impulsivement, elle s’est adressée au responsable des affaires de la jeunesse, et une fois le conseil reçu, elle s’est ressaisie, a fait appel à la raison et a su vaincre sa perplexité par sa fermeté révolutionnaire.
Or, C
Il n’a pu vaincre ses sentiments personnels. Son sort était déjà fixé à ce point-là. Un homme incapable de maîtriser ses sentiments individuels est capable de perpétrer des plus horribles et inconcevables forfaits. Celui qui ne pense qu’à soi et met ses sentiments au-dessus de tout peut un jour trahir la révolution. Le «moi» est en toute circonstance le point de départ de la trahison; c’est le «nous» qui sauve du parjure.
Aussi le révolutionnaire doit-il toujours maîtriser son «ego» et tâcher de penser «nous». Voilà en quoi réside la conscience pure de ceux qui se sont engagés dans la révolution, le processus d’autoperfectionnement continuel, jour après jour, heure après heure.
L’égoïste ne peut absolument pas faire la révolution, ni en suivre jusqu’au bout la voie.
Ri Jong Rak, affublé d’une tenue de civil attaché à l’armée japonaise, est apparu à Nanpaizi pour me conseiller la «soumission», Ri Ho Rim s’est enfui et Rim Su San a retourné sa veste au cours de la Dure Marche; et ce jour-là c’était C
Mais la question n’était pas seulement là. C
Le poste de chef dans ces années où nous militions au sein de l’Armée révolutionnaire coréenne n’était pas à négliger. Le chef de compagnie de l’Armée de guérilla antijaponaise n’était pas non plus une simple responsabilité. Trahir et rester enfermé chez soi, passe encore. Mais paraître devant son ancien chef sans aucune gêne, sans remords ni honte et tenter de lui prêcher la «reddition», cela dépassait toute imagination. Mon cœur en était des plus ulcérés.
Comment pouvaient-ils ignorer la honte et se montrer devant moi?
Ils étaient tellement obtus politiquement et tellement déchus en tant qu’êtres humains qu’ils avaient cru, la révolution étant désormais fic
C
L’ennemi avait bouclé doublement et triplement la montagne où nous nous trouvions. On voyait des feux de bivouac un peu partout autour de nous. Il pouvait certes tendre ses filets par-ci par-là, mais non en couvrir toute la montagne. Il plaçait d’habitude, quand il nous investissait, des sentinelles sur les crêtes et au fond des vallées.
Nous avons toutefois quitté le lieu en nous frayant un chemin à travers le flanc de la montagne après avoir pris soin de dresser les soldats ennemis les uns contre les autres. Nous avons franchi la route reliant Antu et Mengyuegou, puis gagné la forêt. En reprenant notre souffle, nous avons pu voir les soldats ennemis en uniforme kaki fourmiller et se battre entre eux au fond de la vallée de Facaitun.
Puis, nous avons pénétré dans les profondeurs de la forêt sans laisser de traces.
Cette tournure imprévue dressait des obstacles à la réalisation de notre plan: le détachement d’O Paek Ryong devait nous retrouver au fond de la vallée de Facaitun. Il fallait donc que quelqu’un y retournât pour contacter les messagers du détachement d’O Paek Ryong, ce qui n’était pas sans risque.
Mais le plus grave, c’est qu’ils ignoraient que la vallée de Facaitun était tombée entre les mains de l’ennemi.
Nous avons dépêché Ji Pong Son et Kim Hong Su au point de rendez-vous. Ce dernier, enrôlé à Changbai et surnommé «jeune marié», était connu pour son sens élevé des responsabilités. Tous deux ont pu rejoindre les messagers le lendemain soir et sont revenus sains et saufs avec le message d’O Paek Ryong.
A les entendre, en pénétrant à travers les filets tendus par l’ennemi, ils avaient à chaque pas côtoyé le danger et avaient dû aller d’arbre en arbre pour ne pas se faire remarquer.
Le détachement d’O Paek Ryong avait entre-temps pris d’assaut des villages de regroupement et mis en réserve une certaine quantité de provisions dont il enverrait plus tard la plus grande partie au Quartier général.
Après Facaitun, nous nous sommes basés au mont Huanggou dans le district d’Antu. Nous envisagions d’y passer l’hiver 1940 et d’opérer de là par petites formations.
D’impeccables préparatifs d’hivernage s’imposaient pour relever les organisations révolutionnaires démantelées et raffermir les assises de masse tout en entreprenant d’intenses activités par petits groupes.
C’est dans cette perspective que j’ai chargé, à part le détachement d’O, plusieurs autres de la tâche de se procurer vivres, sel et tissu ainsi que des articles de première nécessité.
Le plus important de ces préparatifs était l’aspect politico-idéologique. A cet égard, un travail de formation idéologique efficace était indispensable pour amener les partisans à garder la foi révolutionnaire dans l’adversité: de même, l’instauration d’une discipline de fer était plus que jamais nécessaire pour prévenir tout accident.
Or, peu après, un acte d’imprudence fut commis par le groupe de Kang Wi Ryong. Au retour d’une mission, il a tiré à toute volée sur les poissons qui grouillaient dans un ruisseau. Il était parti pour trouver un emplacement convenable à l’installation d’un campement.
Mon sang se glaça à cette nouvelle. Sur un col, non loin du ruisseau, l’ennemi faisait grand tapage à construire une tour d’observation. Et voilà qu’on y avait fait retentir des coups de feu. C’était un acte des plus téméraires.
Ainsi, quelques coups de feu avaient-ils failli gâcher notre plan de réaliser bien des choses tout en passant un hiver tranquille dans un camp secret.
Un autre épisode inoubliable de cet automne est l’affaire du bœuf.
Le protagoniste en est Jang Hung Ryong, chef d’escouade d’une section de mitrailleurs. Parti à la tête d’un petit groupe avec la mission de se procurer des vivres dans les parages de Jiapigou, il était rentré avec un bœuf qui ne semblait ni celui d’une exploitation forestière ni celui d’une association dite populaire, avec le sceau du caractère chinois signifiant «roi» sur les cornes, mais sûrement celui d’un paysan.
C’était en fait l’aboutissement d’un concours de circonstances. Jang avait vu le bœuf dans une vallée se dirigeant vers le village. Il en avait cherché le maître dans les environs, mais en vain. Finalement, il avait ordonné à ses hommes de ramener le bœuf au camp, et lui, il était resté là à attendre le propriétaire afin de lui donner des explications et de le dédommager. Mais le propriétaire ne s’était pas montré. Force lui était de rentrer lui aussi sans avoir versé la somme due.
Quant au paysan, on le saura plus tard, il était revenu chercher son bœuf, mais voyant à sa place un homme armé qui faisait les cent pas, il avait pris ses jambes à son cou, tout apeuré.
Le délit du groupe de Jang Hung Ryong me mit dans une violente colère.
S’il s’était agi d’une recrue ne connaissant pas à fond le règlement de conduite de l’armée révolutionnaire, j’aurais peut-être pu faire preuve de compréhension; mais quand on m’a dit que Jang Hung Ryong, avec à son actif de longues années de lutte révolutionnaire, avait commis un acte si grave, je n’ai pu en croire mes oreilles.
En 1932, il avait perdu un doigt dans un accrochage avec un corps d’autodéfense. Il avait été fait prisonnier, mais il avait réussi à se sauver et avait réintégré par la suite l’armée de guérilla. Au début, ses compagnons d’armes l’avaient soupçonné d’avoir reçu une mission quelconque de l’ennemi. Pour regagner la confiance de ses camarades, il avait fait des efforts persévérants: il avait ainsi supporté la faim atroce qui sévissait dans la zone de guérilla de Chechangzi et eu raison des difficultés de la Dure Marche.
Un tel acte de la part d’un combattant de sa trempe était impensable. Entretenir de bons rapports avec la population, c’est ce sur quoi nous n’avons cessé d’insister depuis le début de la lutte armée, et ce qui était clairement indiqué dans les règles de conduite de l’Armée révolutionnaire populaire. En 1940 notamment, nos rapports avec la population étaient très bons. Ils étaient intimes et purs. A quel point? Au point de vouloir dédommager la population pour son assistance.
Voici, en guise d’exemple, ce qui est arrivé au printemps 1940 à Yangcaogou. Après la bataille, les villageois nous ont fait don de plusieurs poulets. Nous leur avons remis, de notre côté, une somme qui dépassait de dizaines de fois le prix des volailles. Les paysans bondirent d’indignation à la vue de notre argent. «Vous dites que l’armée révolutionnaire est composée de fils et filles du peuple? Comment pouvez-vous nous croire capables de vendre nos poulets à nos enfants? C’est bien méconnaître notre bonne volonté.» Et nous voilà incapables de trouver de réplique à ces propos. Quelle ne dut pas être leur déception en voyant l’armée de guérilla vouloir compenser, pensaient-ils, leur dévouement sincère par de l’argent! Cependant, nous leur avons fait comprendre que s’ils refusaient que nous payions, nous ne pouvions pas accepter leurs poulets. L’argent et les poulets passèrent plusieurs fois de leurs mains aux nôtres et vice versa. Cette discussion s’est terminée par l’acceptation de la volaille par nous, de l’argent par les paysans. Mais en quittant le village, nous y avons laissé les volailles que nous avions payées.
Vous voyez, il n’y avait pas plus de quelques mois que cela s’était passé quand Jang Hung Ryong avait fait fi de cette belle tradition et perpétré un grave méfait. Vous pouvez vous faire une idée de mon état d’âme.
Mes hommes le mirent au pilori par une critique virulente. Ils déclarèrent que seule la mort pourrait expier son crime.
Jang Hung Ryong reconnut de son côté son délit et ses conséquences. Vu son autocritique sincère, nous ne lui avons qu’infligé une sanction et lui avons enjoint de rendre la bête à son propriétaire.
Il allait tomber plus tard, en 1941, au cours de son activité dans le cadre du groupe de Kim Il, quand je reviendrais en Mandchourie à la tête d’un détachement.
Un cas de désertion s’est également signalé lors de notre séjour à la base du mont Huanggou.
Le déserteur était un Chinois nommé «Petit Cai», un homme qui n’arrivait pas à vaincre sa nostalgie. Le jour du dernier Chusok (le 15 du 8e mois lunaire, fête des récoltes—NDLR), il avait même versé des larmes en mangeant des yuebing (gâteaux de lune que l’on consomme à cette fête—NDLR). Il était faible de caractère. Aussi l’organisation du parti a-t-elle dû mettre beaucoup d’efforts pour sa formation.
Quand il fut atteint d’une maladie contagieuse, nous l’avons transféré à un hôpital de l’arrière. Plus tard il tenta d’inciter une partisane de l’équipe de cuisiniers à s’enfuir avec lui dans son pays natal, ce dont le Quartier général fut informé. Il n’était pas non plus loyal dans sa vie militaire: il sommeillait quand il prenait le quart; il grimaçait et se tortillait disant qu’il avait une crampe d’estomac quand il devait monter la garde. On ne peut faire la révolution à contrecœur.
Il a fini par déguerpir, faisant fi de notre bonne volonté. Mais ce qui était grave, c’était sa conduite après la désertion. Il s’est lancé aussitôt contre nous avec des «troupes d’expédition punitive».
Le pire, c’est qu’alors au camp secret, il n’y avait que quelques plantons et moi-même, la plupart de mes hommes étant partis en mission.
Force nous fut de déplacer par la suite le Quartier général à Mengshancun, une localité reculée où les petits détachements durent par la suite se rendre au retour de leurs missions.
Le détachement d’O Paek Ryong s’était procuré entre-temps des centaines de sok de céréales (1 sok —144 kg—NDLR). Il avait acheté des champs entiers de maïs encore sur pied, les avait moissonnés et mis en sacs, transportés et stockés dans un silo aménagé dans les profondeurs secrètes de la forêt, à une vingtaine de kilomètres de Fuerhe.
C’est vers cette époque que parvint le message de l’Internationale nous invitant en Union soviétique pour une conférence des commandants militaires coréo-sino-soviétiques. Comme je vous l’ai déjà dit, après réception de ce message, j’ai pris soin d’y envoyer d’abord une avant-garde pour nous renseigner en détail sur la situation là-bas, et d’autre part, de parachever les préparatifs pour passer l’hiver en Chine du Nord-Est conformément à l’orientation définie auparavant.
Or, la nouvelle que tout ce stock de céréales était tombé entre les mains de l’ennemi vint nous surprendre. Le secret du silo avait été trahi par le colonel Bi. Ce colonel, surnommé «Petit Bi» n’était autre que celui que Kim Myong Hwa avait ramené à la vie par ses soins dévoués dans la forêt de Dunhua. Cet ancien chef de régiment, incapable de venir à bout des épreuves, avait opté pour la trahison.
L’ennemi qui avait eu vent de l’emplacement du silo mit le feu à la montagne et y amena des hommes pour ouvrir le silo et emporter tout notre stock de vivres. Les fruits de quelques mois de peines s’envolèrent comme des bulles de savon.
Mais toutes ces mésaventures ne m’ont pas pris au dépourvu. Nos difficultés d’alors étaient certes bien grandes, mais y heurtions-nous pour la première fois?
Les souffrances que nous avions endurées sur le plateau de Luozigou, les pénibles tribulations que nous avions connues au cours de nos deux expéditions en Mandchourie du Nord et à Fusung, les péripéties terribles par lesquelles nous avions dû passer lors de la Dure Marche sont autant d’adversités qui nous avaient mis à l’épreuve.
Nous avions cependant eu raison de toutes ces adversités: aussi bien de la fièvre et de la faim que du désespoir, comme du chagrin profond et de la douleur cuisante que la perte de nos camarades nous causait. Nous nous étions toujours redressés avec détermination.
Comment cela avait-il été possible? C’est que nous avions conservé la foi en la victoire de la révolution en toutes circonstances; nous n’avions jamais oublié la mission et la responsabilité dont nous étions investis devant la patrie et la nation, ni la conscience révolutionnaire.
«Il faut vaincre les épreuves envers et contre tout et relancer la révolution. Nous verrons bien qui en sortira victorieux!»
Telle était la pensée qui m’animait alors à Mengshancun. Plus j’étais en butte à des épreuves, plus mon courage paraissait grandir, ma passion et mon sentiment de responsabilité s’allumer vivement. Peut-être, était-ce la manifestation de ma conscience révolutionnaire ou du cran?
Alors où trouver la voie du salut? Elle était dans une marche forcée en pareilles circonstances. Et en vue d’une marche forcée, pour inspirer confiance et courage, un travail de sensibilisation idéologique s’imposait.
La tenue d’une réunion à Mengshancun fut précisément dictée par cette nécessité.
J’ai alors dit à mes hommes en termes crus:
«La situation va s’aggravant et devient plus pénible pour nous. Notre œuvre révolutionnaire portera ses fruits et notre pays accédera à l’indépendance. Chacun de nous en est certain, mais personne ne sait encore quand ce jour viendra. Nous nous sommes battus dix années durant en supportant toutes les peines possibles. Il est cependant encore difficile de préciser combien de temps nous devrons en endurer encore, 5 ans, 10 ans ou plus.
«Ce qui est pourtant clair, c’est que la victoire finale sera à nous.
«Ce chemin vers la victoire sera évidemment plein d’embûches. Des difficultés dix fois plus grandes que celles que nous avons connues peuvent nous attendre. Celui qui n’est pas sûr de lui-même pour me suivre et continuer la révolution est donc libre de rentrer chez lui.
Si quelqu’un veut rentrer, je le ferai munir des frais du voyage et de vivres. Et je vous promets de ne pas mettre en question cet acte d’abandon de la lutte. Si la force lui manque, si la foi lui manque, rien à y faire. Je vous le répète: chacun est libre de partir ou de rester. Seulement, celui qui veut s’en aller, qu’il nous dise adieu avant de partir.»
A peine avais-je terminé que mes hommes accoururent et, en s’accrochant à mes bras, jurèrent de leur fidélité, les larmes aux yeux: «Mon Général, nous voulons vous suivre. Aucun regret, même si nous devons mourir avant d’avoir vu la révolution victorieuse. Nous voulons rester à vos côtés, vivants ou morts. Un homme, combien d’années peut-il vivre? Mieux vaut mourir en combattant là, auprès de vous, que de vivre en se soumettant à l’ennemi après avoir trahi les camarades en quittant le maquis. Nous partagerons la vie et la mort avec vous!»
Leurs propos émouvants m’ont tellement touché que je sentais mes yeux chauffer. Impossible de dire combien ils m’ont réconforté. Toutes paroles, si belles soient-elles, n’auraient pu émouvoir autant l’auditoire.
Le serment que nous avons alors fait était la preuve de notre détermination de ne pas rendre vain le sang que nous avions versé tout au long de notre lutte révolutionnaire antijaponaise de longue haleine
Le rassemblement tenu à Mengshancun a constitué une réaffirmation de l’unicité organique du commandant et de ses soldats, de l’unité et de la cohésion entre les masses et leur dirigeant, qui ne peuvent ni ne doivent se séparer. Il a permis aux partisans antijaponais de pénétrer plus profondément que la seule force susceptible de sauver la lutte armée contre le Japon était de garder jalousement la conscience de révolutionnaire et d’unir jusqu’au bout leur destin à celui de leur commandant.
Après la réunion de Mengshancun, nous nous étions encore raffermis dans la certitude que les révolutionnaires coréens ne manqueraient pas de triompher s’ils gardaient constamment leur foi et leur volonté et se montraient inflexibles dans leur lutte.
C’est en ce moment significatif que mes hommes envoyés les premiers en région extrême-orientale de l’Union soviétique nous ont communiqué que l’Internationale communiste réitérait sa demande aux représentants de l’ARPC et de la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est à commencer par Wei Zhengmin et moi, d’aller dans les meilleurs délais en Union soviétique pour participer à la conférence des commandants militaires des trois pays, la Corée, la Chine et l’Union soviétique, qui devait avoir lieu à Khabarovsk, ajoutant que si, à cette occasion, les unités de guérilla opérant en Chine du Nord-Est entendaient entrer en territoire soviétique, tout était prêt pour les accueillir.
L’Internationale nous proposait également d’examiner, en fonction de l’évolution de la situation, les mesures à prendre pour les activités ultérieures, après l’hiver en Union soviétique.
Compte tenu de la clarté de l’objectif de la conférence à convoquer par l’Internationale et de l’arrivée des commandants des autres troupes des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est, j’ai pris la décision de partir pour l’Union soviétique et de prendre part à la conférence, de prendre aussi avec moi une partie de mes unités.
Mais cette entreprise n’était pas chose aussi facile que je le croyais. Le regret de s’éloigner encore de leur pays, de leur terre, et de quitter de nouveau leur zone d’opération, ne serait-ce que pour un bref délai, accablait mes hommes.
Quand j’ai porté à leur connaissance la décision prise à la réunion des commandants de partir pour l’Union soviétique, une partie de nos hommes ont proposé que je parte avec quelques autres commandants invités par l’Internationale mais pas les troupes: ils voulaient rester là et continuer leur lutte.
C’était aussi, bien sûr, une issue possible.
Je croyais néanmoins avoir raison, en l’occurrence, de conduire mes unités dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique, et j’entrepris de convaincre mes hommes en ces termes: «Nous déplacer en Union soviétique ne signifie nullement abandonner la révolution ou renoncer à tout, encore moins nous y établir pour toujours. Je n’ai pas assisté à la conférence convoquée par l’Internationale l’an dernier, et je veux cette fois y prendre part pour procéder à un plus large échange de vues sur l’avenir de la révolution coréenne avec l’Internationale et les autorités soviétiques. Cette conférence peut nous servir. Or, je ne sais pas combien de temps elle va durer. Elle peut se prolonger; voilà pourquoi je tiens à vous emmener avec moi. Je ne peux pas vous laisser ici, sachant bien l’insuffisance des préparatifs d’hivernage. Il vaut donc mieux passer l’hiver en territoire soviétique puis revenir au printemps continuer notre lutte.»
En me remémorant plus tard ce dur automne 1940, je me suis dit que j’avais bien fait de prendre une telle décision, opportune, en qualité de commandant.
C’est vers la fin d’octobre que nous avons quitté la vallée de Chechangzi pour l’Union soviétique après une préparation impeccable.
Je n’ai pas oublié d’envoyer un messager à Wei Zhengmin et O Paek Ryong avant de nous mettre en route. Ces deux hommes, étant malades, ne purent partir avec nous.
Quant à O Paek Ryong et ses hommes qui n’avaient pu joindre notre agent de liaison, ils durent fouiller tous les coins et recoins d’Antu pour nous trouver. Quand ils arrivèrent à Chechangzi, nous étions déjà partis.
C’est justement alors qu’ils découvrirent vivres et habits ouatés que nous avions enterrés et versèrent des larmes d’émotion. Les deux sacs de riz et quelques dizaines d’uniformes ouatés que nous y avions laissés à leur intention furent une aubaine inespérée qui les sauva.
O et son détachement nous rejoignirent plus tard en Union soviétique. Notre chemin pour l’Union soviétique fut aussi plein d’embûches. Nous avons dû très souvent nous cacher de jour dans les forêts et poursuivre de nuit notre marche qui devenait ainsi plus pénible et plus lente. Nous avons pourtant pu pousser d’un trait jusqu’à Laotougou.
C’est sur le chemin vers Baicaogou que nous nous sommes heurtés à une «troupe punitive». Nous commencions à descendre un col en file indienne quand nous avons aperçu des soldats ennemis qui montaient à notre rencontre. Nous avons tout de suite rebroussé chemin pour nous élancer de nouveau vers le haut du col.
C’est alors que Kim Jong Suk qui, portant de lourdes charges, ne put nous suivre de près et faillit avoir un malheur.
En redescendant de l’autre côté du col, je parcourus des yeux le rang de mes hommes. Kim Jong Suk n’était plus parmi eux. J’ai regagné à la hâte le sommet et jeté un coup d’œil en bas. Kim Jong Suk, ployée en deux sous le poids de son sac énorme, montait péniblement. Des soldats ennemis la poursuivaient en criant: «Qu’on la capture vivante!»
J’ai tiré mon pistolet et abattu les poursuivants. Mes gardes du corps accourus à ma suite mitraillèrent les ennemis. Voilà comment nous avons pu sauver Kim Jong Suk.
Nous avons fait halte aux abords de Hamatang après avoir réussi à semer la troupe ennemie. Ce jour-là, son mouvement était si intense que nous avons dû rester couchés dans les sillons d’un champ de millet jusqu’à la tombée du jour.
Nous avons pu calmer un peu la faim avec du chou et du navet qui étaient encore sur pied, mais non refouler le froid pénétrant. N’en pouvant plus, nous avons allumé des bougies pour nous chauffer tant soit peu les mains engourdies.
A partir de Hunchun, ce furent deux paysans coréens qui nous guidèrent jusqu’aux environs de la frontière soviéto-mandchoue. En indiquant une montagne qui se dressait au loin devant nous, ils nous apprirent qu’au-delà s’étendait la terre soviétique. La montagne franc
J’ai ordonné à Ri Tu Ik de grimper sur un arbre et de voir s’il n’y avait pas quelque part une rivière et des habitations, et, le cas échéant, dans quelle direction elle coulait. Ri Tu Ik était depuis son enfance très habile à grimper. Redescendant de l’arbre, il me dit qu’il n’y avait ni rivière ni habitation quelconque aux alentours.
Nous avons donc continué notre marche vers l’est et dans une forêt, nous avons remarqué des fils téléphoniques. Les isolateurs, nous avons remarqué, différaient de ceux de Chine ou de Corée. Nous avions le pressentiment de nous trouver en territoire soviétique, mais cela devrait être confirmé avant que nous nous remettions en marche.
Cette nuit-là, après avoir dépêché des éclaireurs, nous nous reposions quand une mitraillade désordonnée se fit entendre du côté est. Peu après revinrent nos éclaireurs. Ils étaient entrés dans un poste de garde-frontière. Ils exploraient l’intérieur et examinaient les verres et la bouilloire qui étaient là quand ils furent surpris. Une aventure qui avait failli mal tourner. A en juger d’après la bouilloire et les verres particulièrement grands et grossiers, le poste de garde-frontière devait être soviétique. Je leur ai demandé à quelle distance était ce poste; il se trouvait à environ 4 km.
Les gardes frontaliers soviétiques tirèrent toute la nuit, pour nous intimider probablement. Nos éclaireurs avaient dû les avoir beaucoup effrayés.
Le lendemain, j’ai chargé Ri Ul Sol et Kang Wi Ryong de s’y rendre et de ramener des gardes soviétiques.
Quand nous nous sommes trouvés face à face, eux et moi, nous avons eu beaucoup de mal à communiquer. J’ai dû leur expliquer, je ne sais combien de fois, que nous étions des partisans coréens et que j’étais le chef, Kim Il Sung. Heureusement, ils avaient probablement saisi les mots «partisan» et «Kim Il Sung».
Comme vous pouvez le voir, notre route pour l’Union soviétique n’a pas été sans accrocs. Nous étions venus là sur l’invitation de l’Internationale, mais notre trajet et le moment de notre arrivée n’avaient pas été communiqués aux postes de frontière.
Une fois en territoire soviétique, nous avons été retenus plusieurs jours en quarantaine.
Mes hommes s’ennuyaient, toute la journée enfermés et désœuvrés dans la baraque. Les uns se mirent à chanter du matin au soir. Ils épuisèrent vite leur répertoire de chants révolutionnaires. Alors ils s’attaquèrent aux vieilles chansons entendues ou apprises autrefois. Quel spectacle!
Mes hommes puisaient ainsi dans un riche répertoire.
Je suis allé auprès d’eux pour les encourager, leur dire de ne pas se faire trop de bile: «Cela peut vous déplaire qu’on vous retienne là, à la frontière, depuis quelques jours. Vous avez tort de penser que les Soviétiques ne sont pas aimables à notre égard. Chaque pays a ses règlements régissant le passage de la frontière. En vertu de ces règlements, on peut procéder, si besoin est, à la vérification de notre identité. Et le contrôle sanitaire a pour but de déceler les porteurs de maladies contagieuses. Ces derniers temps, le groupe de recherche sur la guerre bactériologique de l’armée du Guandong en Mandchourie avait répandu des maladies contagieuses dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique. Le gouvernement soviétique en est arrivé à adopter un décret pour renforcer le contrôle aux frontières. Nous avons de multiples tâches à accomplir et de nombreuses difficultés à surmonter. Notre révolution va désormais prendre une nouvelle tournure. Et le jour de la victoire n’est pas loin. Il faut donc dès maintenant nous préparer solidement et lutter farouchement jusqu’au jour de la libération de notre patrie en entonnant à haute voix nos chants révolutionnaires.»
Peu après les Soviétiques nous ont conduits dans une localité appelée Poziette.
Pendant notre séjour au poste de frontière, j’ai rencontré Kim Sung Bin, ancien interprète des troupes de Hong Pom Do. Il nous a également servi de traducteur dans nos rapports avec les Soviétiques. Il connaissait bien Chechangzi.
Nos combattantes, en regardant les femmes soviétiques splendidement habillées déambuler librement dans les rues, se demandèrent, les larmes aux yeux, quand les Coréennes pourraient se vêtir et se promener comme elles.
Comme vous pouvez le voir, l’automne 1940 fut pour nous une saison rude, un enchaînement de jours marqués de difficultés et d’épreuves. Si nous avons pu résister et survivre à leur pression, c’est parce que nous sommes allés contre vents et marées avec une volonté inébranlable et que nous avons jalousement gardé notre foi révolutionnaire dans l’adversité.
Nous n’avons jamais contourné les obstacles, si énormes fussent-ils; nous avons toujours couru droit vers la libération de la patrie. Si c’était un raccourci, nous nous y sommes engagés, au-devant de toute épreuve.
Le révolutionnaire et les épreuves forment fatalement, peut-on dire, un couple inséparable. C’est que la vie quotidienne du révolutionnaire porté à transformer ce qui est caduc et à créer du nouveau comporte toujours des difficultés. Celui qui craint ou fuit les épreuves ne peut être qualifié de révolutionnaire.
Je ne peux oublier l’automne 1940, surtout la fin de cette saison. Je revois encore clairement les paysages du Jiandao, les feuilles mortes qui nous servaient de couchette dans ces jours de l’automne tardif.
Arrivés dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique sans coup de feu ni mort, nous avions l’impression d’être projetés dans un autre monde. Mais nous savions que des montagnes d’épreuves à surmonter étaient là devant nous, car cinq années nous séparaient encore de la libération de la patrie.
5. Wei Zhengmin
Plus d’une fois, le Président Kim Il Sung a évoqué le souvenir de Wei Zhengmin, un des chefs politiques et militaires chinois des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est, souvenir qui en dit long sur l’amitié particulière qui le liait au commandant chinois, sur l’homme qu’était ce révolutionnaire, sur les tourments et les vœux qui lui avaient serré le cœur avant qu’il finisse pathétiquement ses jours.
Wei Zhengmin participait, en qualité d’envoyé du comité du parti de Mandchourie, à la Conférence de Dahuangwai11 dans le Jiandao quand j’ai fait sa connaissance. Depuis lors, nous avons partagé une chaude amitié qui ne s’est jamais démentie tout au long de la guerre de résistance contre le Japon.
Dès sa jeunesse, Wei Zhengmin s’était lancé dans la lutte patriotique contre les Japonais, devenant un révolutionnaire professionnel. Il avait suivi les cours d’une école militaire à Anyang, puis il avait poursuivi à Beijing ses études pendant lesquelles il avait pris part à des manifestations antijaponaises.
Une nouvelle période s’inaugurait pour ce révolutionnaire quand il alla combattre en Mandchourie à la suite des Evénements du 18 Septembre. Il s’établit d’abord dans la banlieue de
Wei Zhengmin avait l’apparence d’un professeur universitaire. Tout en lui annonçait la plume plutôt que l’épée. Un esprit méditatif qui, n’eût été la révolution, eût donné toute sa vie à la recherche scientifique ou à la rédaction d’œuvres.
Ce qui le caractérisait, c’étaient la simplicité, l’amabilité, la douceur, autant que le sérieux, la sincérité et la modestie.
Voici ce qu’on lit dans le paragraphe consacré à Wei Zhengmin dans les «Observations sur les commandants des troupes de partisans de Mandchourie» versées aux archives de l’Internationale:
«Wei Zhengmin,
Chef adjoint du groupe du Sud, membre du Parti communiste chinois, secrétaire du comité du parti de Mandchourie du Sud...
Cadre de bonne formation politique.
De l’avis des partisans, il bénéficie de beaucoup d’influence. Aucun renseignement sur son passé.
Ni la Direction de la reconnaissance ni le ministère de l’Intérieur ne disposent de renseignements négatifs sur lui.»
Chinois, Wei Zhengmin a témoigné son soutien aux révolutionnaires coréens, se donnant beaucoup de peine pour aider leur cause. On sait qu’un grave danger s’était créé lors de la Conférence de Dahuangwai et la situation aurait pris alors très mauvaise tournure pour nous pour peu que l’envoyé du parti qu’était Wei Zhengmin se fût montré partial. Il m’a écouté attentivement, me donnant son approbation ou tenant compte de mes affirmations. Après la Conférence de Yaoyinggou qui avait suivi, il s’est rendu lui-même au siège de l’Internationale, à Moscou, chercher une réponse à mes propositions de principe.
Périple qui allait profiter beaucoup à la révolution coréenne. A le voir venir à Nanhutou après un voyage plein d’embûches, je me suis hâté de l’étreindre et tous deux, joue contre joue, nous sautions de joie, scène à jamais gravée dans ma mémoire.
Wei Zhengmin m’a alors rapporté l’avis de l’Internationale, disant qu’elle trouvait conforme à l’internationalisme mon principe selon lequel les Coréens devaient combattre sous la bannière de la révolution coréenne, qu’elle m’approuvait également quand je relevais que l’extrémisme de gauche avait entaché la lutte menée contre le Minsaengdan, disant encore qu’elle soutenait que les communistes coréens disposent d’une force armée nationale pour opérer en Corée et dans le bassin de l’Amnok. Sur ce, il a serré mes épaules avec ferveur. Jamais je n’oublierai la peine qu’il s’est donnée pour notre révolution, me suis-je dit alors en mon for intérieur.
Or, la Conférence de Nanhutou allait être l’occasion de cimenter notre amitié. Séjournant tous deux pendant une quinzaine de jours dans cet endroit, nous avons pu échanger nos vues avec beaucoup de compréhension. Cela m’a donné de lui une connaissance approfondie.
Ensuite, ce fut la Conférence de Mihunzhen, où Wei Zhengmin a soutenu mon projet de réorganisation des troupes. Puis, il a fait un accueil enthousiaste à la nouvelle de la fondation de notre Association pour la restauration de la patrie.
Vers cette époque-là, il s’est mis à apprendre le coréen, qu’il était utile de connaître, selon lui, pour comprendre les camarades coréens, compagnons d’armes des Chinois. Par ailleurs, son affection pour les simples soldats coréens était sans borne. Tout cela témoignait de son soutien et de sa sympat
Pour notre part, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour Wei Zhengmin. Amitié pour amitié, comme on dit.
A l’issue de notre conférence à Mihunzhen, il faisait mouvement avec nous en direction du mont Paektu quand, aux environs de Fuerhe, il a été blessé. Comme nous disposions de quelques chevaux militaires, butin d’un combat, nous avons choisi le meilleur pour l’offrir à Wei Zhengmin. Celui-ci, en selle, a pu pousser avec nous jusqu’au mont Maan.
Là, j’ai ordonné à Pak Yong Sun de mettre sur pied un dispensaire à Dajianchang pour qu’on puisse y soigner Wei Zhengmin.
Par la suite, revenant de transmettre à Yang Jingyu les directives de l’Internationale concernant l’expédition de Rehe, Wei Zhengmin est venu me voir au mont Paektu alors que nous avions débouché dans le Xijiandao et que nous étions près d’achever l’aménagement d’un camp secret.
Wei Zhengmin avait une mine pitoyable, marque du voyage en Mandchourie du Sud. Deux maladies invétérées le suppliciaient: maladie de cœur et d’estomac. De constitution fragile, il ne s’en dépensait pas moins pour le travail, d’où l’aggravation de son état.
Un jour, il escaladait un mont et passait un col au premier rang de ses troupes lorsqu’il fut terrassé par une crise cardiaque et tomba dans le coma. Quand il en sortit, son moral était resté inaltéré. Quand je lui proposais des soins, il disait en riant: «Le mal du corps, ça peut passer encore. Le plus grave, c’est quand la conscience est atteinte.»
J’ai donné à Pak Yong Sun et à Kang Wi Ryong l’ordre d’aller improviser aux environs du mont Heng une maison de cure pour Wei Zhengmin. On eût pu choisir à cet effet le camp secret de Heixiazigou mais l’endroit, situé en première ligne, n’était pas indiqué pour le séjour d’une personne physiquement diminuée.
C’est donc le camp secret du mont Heng qui accueillit Wei Zhengmin. J’ai alors détaché Kang Wi Ryong et Kim Un Sin à Changbai se procurer les divers médicaments et toniques nécessaires à Wei Zhengmin, dont du sang de cistude d’élevage. Ils ont alors profité d’une collecte de plus de 200 yuan pour acheter, outre le sang de cistude, du riz blanc, de la farine de blé, des conserves, du lait et même des «crackers» qui seraient offerts à Wei. Je savais que le Chinois avait un faible pour les pâtes.
Le jour de l’an du calendrier lunaire de cette année-là, je l’ai fêté en compagnie de Wei Zhengmin au camp secret du mont Heng. Nous avons pu alors, tous deux, après avoir pris quelques verres d’alcool, goûter des nouilles de fécule de pomme de terre, occasion dont nous étions redevables à Pak Yong Sun qui avait fabriqué une presse à nouilles en perçant des trous au fond d’une boîte de conserve.
Soit dit en passant, Dian Yinglin, chef du 8e régiment, était lui aussi de la fête. Un véritable cordon-bleu. Il avait apporté spécialement un couteau à viande et un autre à légumes pour préparer lui-même tout un éventail de plats. Il hachait la viande, puis distribuait les morceaux sur les assiettes et les assaisonnait, tout cela avec la rapidité de l’éclair.
Wei Zhengmin nous demandait parfois des hommes et nous y acquiescions toujours. Ainsi, comme il me demandait nommément Hwang Jong
L’un d’eux, Hwang Jong
Quant à l’autre, Paek Hak Rim, il était lui aussi depuis plusieurs années planton à mon service.
Comme il était si loyal, si simple et si plein d’abnégation, je l’ai toujours gardé à mes côtés.
Il avait été auprès de moi lors de l’attaque de Pochonbo (en Corée – NDLR) par exemple. Je dirigeais l’opération au pied d’un peuplier blanc au bord de la rivière Karim, et Paek Hak Rim se répandait alors de tous côtés pour transmettre mes ordres.
Lorsque la 4e division sous le commandement de C
Un jour, il m’avait demandé de le laisser aller se battre dans une unité de combat. C’est dans un régiment qu’il a été envoyé. Quelques jours après, je lui ai demandé s’il s’y plaisait: «C’est épatant de se battre mais je ne peux vivre loin de vous, mon Général. Permettez-moi de redevenir votre planton.» Rien à redire, je l’ai réincorporé au Quartier général.
Paek Hak Rim avait participé à notre Dure Marche. Il compte parmi ceux qui ont partagé avec moi la fameuse poignée de farine de riz grillé.
Quand on se sent aussi proches entre supérieurs et subalternes, on s’aime et se chérit plus que les personnes du même sang. Paek Hak Rim était de ceux que pareils rapports liaient à moi. Le concéder à un autre ne pouvait donc que me causer du chagrin.
Si, toutefois, j’ai pris ce parti, c’était par égard pour Wei Zhengmin, gravement malade.
Un jour, la nouvelle de la mort de Yang Jingyu a fait le tour des troupes, affligeant plus que personne Wei Zhengmin qui se refusa toute nourriture.
Wei Zhengmin s’est battu en vrai guerrier à la tête de la 1re armée de route dont il avait pris le commandement après la disparition de Yang Jingyu.
A l’automne de cette année-là, il a reçu sa deuxième blessure dans un combat. La tuberculose pulmonaire venant s’y ajouter, il s’est trouvé dans l’impossibilité de conduire ses troupes.
Or, la conjoncture était alarmante. Les impérialistes japonais ayant tué Yang Jingyu ont décapité le mort et suspendu sa tête dans une rue, proclamant l’anéantissement complet des troupes des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est opérant en Mandchourie du Sud et annonçant la fin imminente de la lutte armée contre le Japon en Chine du Nord-Est.
En effet, les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est traversaient une rude épreuve à l’intérieur comme à l’extérieur. Les expéditions «punitives» japonaises sévissaient, gagnant en férocité alors que dans nos rangs on voyait se révéler successivement renégats et éléments hésitants. Au reste, Fang Zhensheng, chef de brigade pendant un temps, était tombé entre les mains de l’ennemi à la même époque qu’avait été tué Yang Jingyu, puis avait retourné sa veste. Pis encore, la 1re armée de route de Mandchourie du Sud avait sensiblement perdu du terrain auprès des masses.
La situation telle qu’elle se présentait a infligé un rude choc au commissaire politique de la 1re armée de route et secrétaire du comité du parti de Mandchourie du Sud qu’était Wei Zhengmin.
Il croyait découvrir des lacunes, des défauts graves, intolérables, dans son travail.
Tout exigeant qu’il était envers lui-même, ce cadre militaire et politique avait la modestie d’accepter l’expérience et les qualités des autres. Ainsi, reconnaissant l’énorme travail effectué par les camarades coréens en faveur de l’édification du parti et des organisations de masse dans de vastes régions de Mandchourie de l’Est, de Corée et de Xijiandao après la dissolution des zones de guérilla, il a exprimé son désir d’en écouter une relation.
En effet, avant le démantèlement des zones de guérilla, les organisations révolutionnaires ont suscité beaucoup d’animation dans tous les districts du Jiandao par exemple. Et même enfants de six à sept ans, une matraque au côté, menaient leur campagne dans le cadre de leur organisation ou ailleurs. De leur côté, les femmes, s’affranchissant du carcan de la féodalité, se sont regroupées au sein de l’Association des femmes. Ces diverses organisations ont mobilisé les masses qui, côte à côte avec les partisans, ont, dans un grand élan d’enthousiasme, livré combat, travaillé la terre, établi le gouvernement révolutionnaire populaire.
Mais les troupes opérant en Mandchourie du Sud, elles, dès qu’elles avaient quitté les zones de guérilla appelées à disparaître, ne se sont plus préoccupées que des activités militaires, se désintéressant des masses, ces gens qui avaient mené jusque-là une existence si exaltante mais avaient dû aller rejoindre les zones contrôlées par l’ennemi. Elles n’ont guère pris soin d’eux ni n’ont songé à préparer de nouveau le terrain au sein des masses. Par voie de conséquence, les liens qu’elles devaient entretenir avec le peuple se sont rompus spontanément.
Et, lors de l’expédition de Rehe12, cette tendance à des activités militaires exclusives s’est révélée la plus grave, tendance à voir dans les activités et la lutte militaires une panacée.
La lutte armée ne doit pas supposer l’exclusivité du facteur militaire. La guérilla est impossible sans les masses, ce facteur de soutien et d’aide pour la force armée, ce réservoir de ressources humaines, sa base sociale.
Pour être franc, au moment d’organiser notre armée de guérilla antijaponaise, nous ne disposions que de quelques fusils et d’un effectif infime. Pourtant nous avons proclamé sans hésitation notre guerre sacrée contre les Japonais. Nous nous sommes jetés éperdument dans cette guerre, certains de notre victoire et débordant de cran. Nous n’étions pas sans savoir qu’entre la machine de guerre du Japon appuyée par un énorme potentiel économique et notre si modeste armée de guérilla, il n’y avait pas de commune mesure.
Sur quoi comptions-nous alors pour mener notre guerre? Nous fondions nos espoirs, pour vaincre les impérialistes japonais, sur nos capacités politiques et idéologiques, morales et tactiques basées sur une vision révolutionnaire du peuple.
L’expédition de Rehe se caractérisait par son manque de toute réflexion. Ses organisateurs auraient dû d’abord penser aux liens à entretenir avec le peuple et procéder à des études tactiques mais, loin de là, se laissant emporter par leur volontarisme, ils ont abandonné leurs anciens théâtres d’opération et ont tenté d’attaquer de front les forces japonaises.
Quant à nous, nous avons, après la dissolution des zones de guérilla, décidé, lors des conférences de Nanhutou et de Donggang, de nous appliquer à développer le parti, de mettre sur pied une organisation pour le front uni, de réorganiser l’Union de la jeunesse communiste en Union de la jeunesse antijaponaise, de gagner jusqu’au bassin de l’Amnok et à la Corée pour étendre notre lutte armée; puis, nous nous sommes établis dans la région du mont Paektu, mettant sur pied des organisations de l’Association pour la restauration de la patrie et les étendant en un tour de main à une large partie de la Corée. Tous ces efforts visant à assurer la réussite militaire témoignaient de l’importance attribuée aux activités menées en direction du peuple.
L’Armée révolutionnaire populaire coréenne a énormément profité de l’aide de ces organisations. N’eussent été ces structures, à une époque où l’ennemi se mettait en quatre pour séparer les partisans et une population cloîtrée dans des villages de regroupement, d’où un seul kilo de riz, une seule bobine de fil ne devait s’échapper, nous aurions été au bout de notre rouleau, si ingénieux que nous fussions.
L’armée et le peuple, ces deux entités inséparables comme l’aiguille et le fil, doivent ne faire qu’un en toutes circonstances.
Lors d’une réunion convoquée par le comité du parti de Mandchourie du Sud, Wei Zhengmin a décidé d’envoyer dans différentes régions de Mandchourie des partisans cadres bien formés. Sans doute voulait-il réparer les erreurs commises.
C’est par chance que, fût-ce tardivement, il s’était rendu compte des erreurs et s’était déterminé à remédier à la préférence aveugle accordée au facteur militaire.
Et, tout en étant aux prises avec sa maladie dans le camp secret, Wei Zhengmin s’était concentré pour trouver comment remédier aux énormes pertes humaines et matérielles subies par la 1re armée de route et réorganiser ses effectifs, comment donner, en Mandchourie du Sud, de l’essor à une révolution fortement éprouvée par les échecs.
S’il s’avisait qu’il était impérieux d’établir une stratégie souple et de procéder aux changements tactiques correspondants en vue du grand événement qui s’annonçait, il doutait de sa capacité de prendre une décision qui réponde au contexte.
Tout en recherchant une solution qui permît l’unification militaire avec la 8e armée de route opérant en Chine intérieure, il attendait, le cœur serré, une réponse de l’Internationale à sa lettre d’avril.
Voici un passage de cette lettre où perce son angoisse:
«...Depuis l’automne 1935 que toute liaison avec le Comité central du parti a été coupée, que, par conséquent, nous ne recevons ni ses instructions détaillées ni les autres documents et les informations qu’il rédige, nous sommes attaqués de tous côtés par un ennemi rusé.
...Nous ne sommes qu’une petite barque sans batelier, à la dérive sur l’immensité d’une mer déserte; nous ne sommes qu’un enfant aveugle vaguant à tâtons dans son obscurité. Au mépris de la grande révolution qui tourbillonne en flots violents, nous sommes comme enfermés dans un abri exécrable ou dans un énorme tambour hermétique et, depuis que toute liaison avec nos supérieurs a été coupée, nous subissons de graves pertes.»
Wei Zhengmin avait écrit sa lettre afin de mieux informer l’Internationale et le Comité central du Parti communiste chinois des difficultés éprouvées par la 1re armée de route et d’en recevoir un concours efficace dans le redressement de la situation.
Or, cet espoir était mal fondé en l’occurrence.
L’Internationale et l’Union soviétique, soucieuses de leur sécurité, pratiquaient une politique de radoucissement qui tendait à éviter d’exciter les Japonais en Mandchourie, et le Comité central du Parti communiste chinois, de son côté, n’était pas, lui non plus, en état de venir en aide à la révolution en Chine du Nord-Est, tout préoccupé qu’il était de combattre à des centaines de kilomètres.
Si toutefois Wei Zhengmin s’attendait à une aide de l’Internationale ou du Comité central du Parti communiste chinois, c’est qu’il avait été pendant assez longtemps absent de la vie militaire et politique et dépourvu de renseignements objectifs de nature à fournir une appréciation exacte de la situation d’ensemble, sans parler de son extrême faiblesse physique et morale causée par la maladie.
Son impatience à l’égard de la réponse de l’Internationale venait surtout de l’ardeur avec laquelle il avait sollicité un renfort de cadres et de provisions pour la 1re armée de route.
A ses yeux, l’assistance de l’Internationale était l’unique moyen de remettre à flot son armée.
Or, le fait était que l’Internationale avait de la difficulté même à envoyer un agent de liaison et qu’on se demandait où et comment elle trouverait les cadres nécessaires et par quelle voie et quel procédé elle acheminerait le matériel militaire. A quoi bon fonder des espoirs sur une assistance qui ne pouvait venir? Mieux valait, à mon avis, remettre sur pied les organisations clandestines démantelées et renforcer la base de masse de l’armée, après quoi bénéficier du soutien du peuple.
A l’issue de la Conférence de Xiao
Wei Zhengmin s’est plaint d’une pierre qu’il sentait monter du ventre à la gorge. Cela m’a effrayé, ma mère, souffrant de douleur épigastrique, ayant fait souvent la même plainte.
Malgré sa souffrance, Wei Zhengmin s’efforçait de ramener sans cesse notre conversation sur les tâches immédiates, la stratégie et la tactique du mouvement des partisans. Nous lui avons alors communiqué que nous avions adopté la ligne de conduite consistant à préserver et à regrouper nos forces révolutionnaires, et à opérer en formations réduites en nous conformant aux impératifs de la situation intervenue, que nous avions déjà pris les premières mesures nécessaires à cet effet. Mon interlocuteur m’a témoigné son soutien, faisant mention de l’exactitude de notre appréciation de la situation et de la validité de la stratégie que nous avions définie.
La situation qui prévalait à l’époque et nos activités ultérieures ont également défrayé notre long entretien. Ce jour-là, nous nous sommes consultés notamment sur l’envoi des blessés et des malades en Union soviétique et sur la préparation opportune des provisions de bouche dont auraient besoin en hiver les petites formations tactiques.
A la même occasion, j’ai conseillé à Wei Zhengmin d’aller se faire soigner en Union soviétique. Pourtant, toujours accablé par la situation de la 1re armée de route, il a refusé, arguant de nombreuses affaires à régler. Par contre, il m’a prié, une fois en Union soviétique, de faire à l’Internationale un rapport circonstancié sur la situation de la 1re armée de route et de me renseigner si la lettre qu’il lui avait adressée était arrivée à destination.
Il était navrant de le voir s’inquiéter, plus que de son état de santé, du sort d’une armée mise à rude épreuve depuis la mort de son commandant Yang Jingyu.
Quant à moi, contrairement à son vœu, je n’étais pas en état d’aller immédiatement en Union soviétique. D’ailleurs, je n’en avais pas l’intention. Finalement, nous sommes convenus d’entretenir nos liaisons par le truchement de nos agents de liaison.
«Commandant Kim, je m’en remets à vous», m’a-t-il dit au moment où nous avons quitté le camp secret.
Pour moi, c’était comme une dernière volonté de sa part, parce que je ne le reverrais plus.
Un mot simple, banal, ce qu’il a dit. Mais cela a sonné alors à mes oreilles avec tout le poids de son sens profond. Certainement, il avait voulu me demander de faire une réussite de l’œuvre révolutionnaire qu’il avait prisée et à laquelle il s’était donné toute sa vie. Et, plus concrètement, il eût voulu confier à mes soins les affaires de la 1re armée de route.
Je revois encore son regard posé sur moi, un regard submergé de tristesse. J’ai fait laisser dans le camp secret un stock de provisions de bouche et autres approvisionnements pour Wei Zhengmin mais pourtant je n’avais toujours pas le cœur léger. Le riz ou les vêtements ouatés pourraient-ils le ranimer autant que je l’avais voulu? Ce qu’il lui fallait, c’était recouvrer la santé physique afin de poursuivre la lutte révolutionnaire.
J’ai sollicité avec instance Hwang Jong
Tout peiné de devoir laisser Wei Zhengmin comme les deux autres dans une vallée reculée et déserte, je sentais mes pieds lourds à remuer, et j’ai réitéré ma demande, différant sans cesse mon départ définitif.
Plus tard, lorsque je suis allé à Khabarovsk, j’ai fait tout ce que Wei Zhengmin m’avait demandé.
D’abord, je me suis enquis de sa lettre. Des collaborateurs de l’Internationale m’ont répondu qu’elle était parvenue à destination.
Cette lettre secrète a été publiée pour la première fois après avoir été insérée intégralement en décembre 1940 dans le numéro 25 du «Rapport sur les idées», recueil de documents officiels des impérialistes japonais.
Comment était-elle tombée entre les mains des Japonais? A l’automne de cette année-là, Ri Ryong Un, chef de régiment de la 3e colonne, est tombé au champ d’honneur à Wangqing. Les Japonais ont alors récupéré ses effets personnels parmi lesquels figurait ladite lettre.
Aussi a-t-on cru au début que la lettre avait été interceptée par l’ennemi et n’avait pu atteindre l’Internationale.
De quelle lettre s’agissait-il alors quand l’Internationale avait confirmé avoir reçu celle de Wei Zhengmin?
Le document suivant, tiré des archives de l’Internationale, apporte sans doute un éclaircissement sur ce point.
«Confidentiel.
Au comité exécutif de l’Internationale.
J’envoie le rapport du 10 avril 1940 du camarade Wei, commandant en chef adjoint de la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées et secrétaire du comité du parti de Mandchourie du Sud, ainsi que la traduction de ses deux lettres.
Sheliganov
Le 10 août 1940»
Ce message est également daté du 23 janvier 1941 et porte la signature de Dimitrov. Au début de la lettre, on lit:
«Notre information se divise en quatre parties. Par précaution ou par mégarde, nous avons omis beaucoup de choses qu’il aurait été pourtant utile de mentionner. Aussi vous demande-je d’éclaircir, en conférant avec Wang Runcheng, le porteur du message, tous les problèmes qui nous intéressent.
Car celui-ci vous fera part des points secrets qu’il faut éviter de mentionner par écrit. Je me porte moi-même garant de notre envoyé.»
Ce passage fait supposer que Wei Zhengmin avait confié sa lettre adressée à l’Internationale non seulement à Ri Ryong Un mais aussi à Wang Runcheng. A part les quelques différences insignifiantes relevées dans un certain nombre d’endroits, les deux lettres sont identiques. Cependant, la lettre que portait Ri Ryong Un ne fait pas mention de Wang Runcheng.
Wang Runcheng, surnommé «Wangdanaodai» (Wang la Grosse Tête — NDLR), entretenait depuis longtemps déjà—depuis ses activités en Mandchourie de l’Est—d’étroits rapports avec le camarade Kim Il Sung. Il avait été commissaire politique dans le 4e régiment de la 2e division de la 2e armée de l’Armée révolutionnaire populaire du Nord-Est, puis commissaire politique dans la 2e division de la 2e armée des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est.
Au printemps 1941, se frayant un chemin au risque de sa vie, le camarade Kim Il Sung déboucha en Mandchourie à la tête d’un groupe. Il se rendit alors à Hanchonggou, endroit où avait eu lieu sa dernière rencontre avec Wei Zhengmin. Il n’y retrouva ni Wei ni ses gardes du corps.
C’est plusieurs mois après, à la fin 1941, qu’il reçut des nouvelles détaillées d’eux.
J’étais de retour de Mandchourie et de Corée où j’avais fait mouvement à la tête d’un groupe, quand les camarades soviétiques m’ont demandé d’urgence une entrevue. En l’occurrence, un colonel de l’armée soviétique en civil, venu de Vladivostok s’est présenté à moi. Selon lui, quelques hommes, apparemment membres d’un groupe relevant des Armées antijaponaises unifiées, avaient passé la frontière soviéto-mandchoue et séjournaient à Vladivostok. Ils suppliaient les Soviétiques de leur permettre de me voir, parce que j’étais seul capable de les identifier.
Roulant dans une voiture vers Vladivostok avec le colonel soviétique, j’étais tenaillé par diverses pensées: ledit groupe ne comprend-il pas Wei Zhengmin par hasard? N’est-il pas faux qu’il ait succombé à la maladie?
Une tortue serait plus rapide que notre voiture, me disais-je, poussé à bout.
Dès notre arrivée à Vladivostok, le colonel soviétique a amené sous mes yeux l’intendant-chef Kwak Ji San. Quel n’a pas été mon étonnement à la vue d’un homme qui avait tellement vieilli en un an qu’on lui en eût donné soixante! Son aspect retraçait sans doute les péripéties sans nom qu’avaient traversées Wei Zhengmin et ses compagnons.
Ancien enseignant dans la région de Yanji, Kwak Ji San avait rejoint l’armée de guérilla où il s’était formé comme cadre politique. Au début, il avait été chef de compagnie dans la troupe de partisans de Yanji.
Un révolutionnaire expérimenté, qui en avait vu de toutes sortes. Beaucoup de gens lui devaient de savoir lire. De nature agréable, doué de beaucoup de discernement, il en imposait, et était aimé de tous pour l’abnégation qu’il manifestait envers ses camarades.
Large d’esprit, par surcroît. Certains l’ont nommé «Jupe à douze pièces», voulant rappeler la générosité dont il faisait preuve envers tout le monde, sans discrimination aucune et avec la sollicitude d’une mère qui doit avoir l’œil à tout dans la famille.
Lorsqu’il était question d’organiser le régiment des gardes du corps dans la 1re armée de route, je l’ai recommandé à Wei Zhengmin comme intendant-chef. Et depuis lors, les soldats l’ont appelé avec affection «intendant-chef Kwak».
Kwak Ji San s’est dévoué sincèrement pour Wei Zhengmin. Maintes fois, il s’est aventuré lui-même dans une zone contrôlée par l’ennemi pour se procurer provisions de bouche et médicaments. Aussi, à la première occasion, Wei Zhengmin disait-il qu’il devait sa survie à l’intendant-chef Kwak.
Mon arrivée a mis en émoi Kwak Ji San. Lorsqu’il en est revenu, il a demandé au colonel soviétique le mauser qu’il lui avait confié. Dès que l’arme a été apportée, il me l’a tendue, articulant d’une voix étranglée: «Voilà le mauser du camarade Wei Zhengmin.»
J’ai pris le pistolet sans toutefois oser demander: «Mais qu’est-ce qui lui est arrivé?» A voir cette arme présentée en l’absence de son propriétaire, il fallait forcément conclure à sa mort.
Le jour même, Kwak Ji San m’a fait un rapport détaillé sur le sort de Wei Zhengmin.
Après mon départ de Hanchonggou où j’avais retrouvé Wei Zhengmin, celui-ci s’était déplacé avec ses compagnons à Jiapigou dans le district de Huadian. Cette toponymie de Jiapigou se retrouve dans les districts de Wangqing et de Dongning et ailleurs encore en Mandchourie.
Dans la nouvelle région, le groupe s’est divisé, se casant dans deux camps secrets. L’un de ces camps se situait à une dizaine de kilomètres au nord, et l’autre plus loin encore au sud-ouest.
Wei Zhengmin s’est installé dans le premier camp, occupé également par Hwang Jong
Seul à connaître la position des deux camps, Kwak Ji San s’acquittait de la difficile tâche de faire la navette entre eux, assurant les liaisons et transportant les provisions de bouche. Il obtenait les vivres nécessaires aux deux camps avec l’aide d’officiers de l’armée mandchoue liés avec lui par la Jiajiali, (famille—NDLR) et qui acquiesçaient à toutes ses demandes. Il avait aussi le chef du service spécial de la gendarmerie dans sa manche.
Ces officiers mandchous et le chef du service spécial nageaient entre deux eaux: ils apportaient aux partisans dans la montagne des vivres ou du sel et en emportaient des vêtements et des chaussures usés ou des cuvettes trouées jetés par les habitants des camps. Ils s’en servaient valablement pour prouver à leurs supérieurs avoir mis hors combat tel ou tel nombre de partisans, «exploit» pour lequel ils étaient récompensés.
Wei Zhengmin n’a cessé d’écrire jusqu’à la mort, dit-on. Il a rédigé des rapports et un bilan de guérilla, et a préparé un document concernant les affaires de la 1re armée de route. On dirait qu’il s’était fait, en tant que révolutionnaire, un devoir d’occuper tout son temps jusqu’à son dernier souffle.
A l’approche de l’agonie, Wei Zhengmin a remis à ses compagnons son mauser et son paquet de documents, leur confiant:
«Débordant de la vigueur de la jeunesse, vous vous devez de poursuivre la lutte jusqu’à la victoire. La révolution compte sur vous. La lutte est dure, elle réclame inévitablement du sang, des sacrifices. Il ne faut cependant pas en avoir peur. Notre sang n’aura pas été versé pour rien.
Je vous prie d’aller revoir le camarade Kim Il Sung. N’y manquez pas.»
Wei Zhengmin est mort en mars 1941, à l’âge de 32 ans. Un âge où la mort est encore plus déplorable. Les funérailles ont été simples, sans salve ni oraison, mais ses compagnons ont mis tous les soins requis à l’enterrement.
Par malheur, peu de temps après, un partisan chinois, ayant dévalé le maquis, s’est fait poursuivre, à son retour, par l’ennemi qui découvrit ainsi le tombeau. Etrange, d’autant plus que Wei Zhengmin avait adoré ce partisan.
L’ennemi a prétendu avoir tué le commandant chinois dans un combat. C’est faux, la maladie ayant été la cause de sa mort. Les Japonais étaient rompus à ce genre de mensonges. L’ennemi a fouillé la sépulture afin d’obtenir le prix attaché à la tête de Wei Zhengmin, un acte qui ne peut être qualifié que de barbarie.
La relation qu’on m’a faite des circonstances dans lesquelles le pistolet de Wei Zhengmin est parvenu jusqu’à moi m’a éclairé sur les péripéties qu’avaient eu à connaître ses compagnons même après sa mort.
Wei Zhengmin avait remis son arme à Hwang Jong
Celui-ci avait été, au début, chargé des transmissions, servant en même temps, au besoin, d’interprète à Wei Zhengmin. Par la suite, nommé chef de la section des gardes du corps, il s’est occupé entièrement de la sécurité du commandant chinois qu’il assistait par ailleurs dans son travail. Il traduisait documents ou renseignements à sa demande et même le remplaçait dans la rédaction quand la maladie le clouait au lit.
Hwang Jong
Un jour, on a constaté la disparition du cheval blanc de Wei. Tout de suite, Hwang Jong
Rebroussant chemin, Hwang Jong
Voilà Hwang Jong
Plus tard, à la tête de son groupe, Hwang Jong
Or, une chasse à l’ours allait être fatale à Hwang Jong
Le mauser gardé par Hwang Jong
Le pistolet de Wei Zhengmin est alors revenu à Kwak Ji San.
Avec ses compagnons, Kwak opérait par groupes de quelques hommes, tout en cultivant le pavot afin de se procurer le nécessaire pour aller en Union soviétique.
Vers cette époque-là, le groupe de Ryu Kyong Su s’est rendu aux environs de Jiapigou où il a rencontré un vieux qui avait des liens avec Kwak Ji San. Ce vieil homme gardait si strictement le secret que Ryu Kyong Su s’en est retourné sans avoir retrouvé Kwak Ji San.
L’équipe de Kwak a employé toute la récolte d’opium pour se procurer des uniformes et s’approvisionner en vivres et sel. Malgré ces préparatifs minutieux, les hommes ont beaucoup peiné en route avant de passer à gué le fleuve à la frontière soviéto-mandchoue, après avoir enlevé leurs pantalons.
Par combien de mains le pistolet est-il passé avant de parvenir à moi! Par la suite, Kwak Ji San a rejoint le groupe de Kim Il pour déboucher en Mandchourie. Il a mis sur pied des organisations clandestines en tirant profit du concours offert par la Jiajiali regroupant des officiers de l’armée mandchoue déjà en rapport avec lui et, d’autre part, il s’est livré au travail politique parmi la population.
Kwak Ji San et les autres communistes coréens qui ont veillé sur la personne de Wei Zhengmin se sont attachés à remédier à la préférence exclusive accordée au facteur militaire, tendance qui avait tant inquiété le commandant chinois, et à renforcer la base de masse de la lutte armée.
L’intendant-chef Kwak devait tomber au champ d’honneur en 1943, si je ne me trompe. Il rentrait d’une mission de reconnaissance fructueuse en Mandchourie quand il a été atteint d’une balle ennemie.
Wei Zhengmin nous a accordé un soutien sincère dans les années les plus dures de notre révolution, et c’est ce qui me le rend à jamais inoubliable.
Il me témoignait d’une confiance particulière au point qu’il s’enquérait de mon avis quand il rencontrait un problème épineux sur lequel il avait du mal à prendre son parti. Ainsi, après la mort de Yang Jingyu, il m’a consulté, comme le fera après sa disparition l’Internationale, sur tous les problèmes concernant la 1re armée de route et le comité du parti de Mandchourie du Sud. Et il a introduit chez moi tous les cadres de la 1re armée de route qui venaient demander son approbation.
C’était un homme et un révolutionnaire admirable. Aussi avons-nous mis, pour notre part, toute notre bonne volonté à l’aider.
Plus d’un combattant internationaliste s’est donné du mal à cette fin, sans hésiter au besoin à faire le sacrifice de sa vie.
Wei Zhengmin était un cas particulier par l’intérêt qu’il portait à la révolution coréenne et l’amitié qu’il me manifestait.
Selon l’expression des Coréens qui ont travaillé pendant longtemps auprès de lui, il a toujours lié l’avenir de la révolution coréenne à mon nom, leur recommandant à la première occasion de me soutenir de leur mieux.
La vie de Wei Zhengmin brille d’une beauté pure, marquée d’un même souffle noble du début à la fin. Celui qui a su s’engager pour la patrie, le peuple, l’humanité dès ses premiers pas dans la vie doit continuer jusqu’à la fin de ses jours. Son souvenir se perpétuera alors, honoré par ses semblables.
Dans les années de la révolution antijaponaise, le monde a eu en général une mentalité pure.
Or, depuis l’apparition d’un révisionnisme de type nouveau, contemporain, au sein du mouvement communiste international, peu de gens parlent d’internationalisme. Même d’anciens partisans fervents de la solidarité ne se creusent la tête que pour remplir leurs poches.
Heureuses ces années passées, où nous, révolutionnaires, tout en souffrant de privations, nous entraidions avec un total désintéressement sans tenir compte les uns de la nationalité des autres! Les communistes doivent se défendre de renier jamais leurs obligations internationalistes.
(Janvier 30 du Juche(1941)—juillet 31 du Juche(1942))
1. La Conférence de Khabarovsk
L’été 1984, au retour d’une visite officielle d’amitié historique en Union soviétique et autres pays socialistes d’Europe de l’Est, le Président Kim Il Sung s’arrêta pendant une journée à Khabarovsk. Il évoqua alors ses souvenirs émus de la vie de jadis à la base d’entraînement en territoire extrême-oriental soviétique et de la Conférence de Khabarovsk.
J’ai longtemps soupiré après Khabarovsk. A l’aller, nous sommes passés par la Mandchourie pour entrer en Union soviétique, ce qui excluait le passage par Khabarovsk. Mais au retour, comme notre itinéraire passait par Khassan, puis par la gare de Tumangang, j’ai décidé de m’y arrêter une journée. J’avais souhaité y aller pendant plusieurs décennies.
L’Armée révolutionnaire populaire coréenne (ARPC) et les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est (AAUNE) ayant constitué l’Armée alliée internationale (AAI) avec les troupes de l’armée extrême-orientale soviétique menaient une lutte conjointe lorsque Khabarovsk est devenu un important lieu de rencontre des collaborateurs de l’Internationale et des communistes des trois pays, la Corée, l’Union soviétique et la Chine, responsables militaires, qui y ont échangé leurs vues, étudié l’orientation à suivre dans leur lutte commune et les moyens de la mener à bien.
Khabarovsk abritait le Quartier général des troupes extrême-orientales soviétiques et, pendant un certain temps, le service d’information en Orient de l’Internationale aussi.
En novembre 1940, j’ai passé la frontière soviéto-mandchoue et suis entré en territoire soviétique afin de participer à une réunion convoquée par l’Internationale.
Les formalités remplies, j’ai pris congé de nos camarades et me suis mis en route pour Khabarovsk en compagnie d’un guide, un officier soviétique.
Par la portière de la voiture, on voyait filer la plaine enneigée. Aussitôt, mes souvenirs des militants indépendantistes et autres patriotes coréens qui avaient arrosé cette région de leur sang se sont réveillés.
Combien avaient-ils été en effet à se lamenter de l’occupation de leur pays, à se débattre en vain, implorant le rétablissement de la souveraineté nationale!
Ils y étaient allés qui se procurer des armes, qui mettre sur pied des organisations, qui manifester tout simplement l’amertume poignante d’une nation faible.
On y voyait débarquer tant de Coréens, mais aucun d’entre eux n’y était allé admirer le paysage.
Malgré ces remous, l’indépendance nationale restait à venir.
Aux âmes des aînés gisant en paix sous ces cieux étrangers, j’ai juré alors en mon for intérieur d’exaucer leurs vœux inassouvis en rendant l’indépendance à la Corée.
Pour une autre raison, le voyage à Khabarovsk me remplissait d’une foule de pensées. Pour la première fois, notre mouvement serait représenté à une réunion de l’Internationale. Le fait qu’elle nous ait invités était digne d’attention, témoignant de l’importance qu’attribuait sa direction à l’Armée révolutionnaire populaire coréenne.
En effet, l’Internationale n’avait guère invité de Coréens jusque-là à ses réunions.
Dans les années 20, des personnes impliquées dans le Parti communiste coréen ont fréquenté cet organisme, divisées en groupes rivaux, munies de documents portant un sceau taillé dans une pomme de terre. Ces voyages, loin de servir au développement du mouvement communiste, avaient pour but de prendre l’hégémonie dans le parti. En voici la conséquence: subir la honte de la dissolution du Parti communiste coréen autant que l’obligation pour les communistes coréens combattant à l’étranger de passer au parti étranger conformément au principe: un parti par pays.
Autant que je m’en souvienne, la direction de l’Internationale n’a jamais mis à l’ordre du jour d’une réunion la révolution coréenne.
Depuis la dissolution du Parti communiste coréen, la révolution coréenne a presque perdu son intérêt pour l’Internationale qui avait surtout l’œil à la révolution dans les grands pays tels la Chine et l’Inde. Certains de ses collaborateurs, s’opposant même à ce que les Coréens militant en Chine du Nord-Est crient le mot d’ordre de la révolution coréenne, ont lancé successivement des directives qui heurtaient la situation réelle, portant un grave préjudice à cette révolution.
C’est après son 7e Congrès que l’Internationale a reconnu l’indépendance de la révolution coréenne et lui a, pour la première fois, exprimé officiellement son soutien.
Indifférents au peu d’intérêt qu’elle montrait à la révolution coréenne, nous lui avons témoigné un soutien invariable, attachant du prix à ses mérites et à son existence même.
L’Internationale avait fait beaucoup pour organiser les rangs du mouvement communiste et assurer leur pureté après la Première Guerre mondiale, et nous appréciions à leur juste valeur les mérites de cette fidèle avant-garde internationale dans la lutte pour la victoire de la révolution mondiale.
Les communistes coréens, fiers à la fois d’être responsables de la révolution coréenne et de faire partie en toute dignité du mouvement communiste international, ont lutté pour la victoire de leur révolution, d’une part, et d’autre part, se sont attachés à exécuter les directives de l’Internationale en faveur du développement de la révolution mondiale.
Je fondais de grands espoirs sur la réunion de Khabarovsk. Comme des représentants des forces armées des trois pays allaient discuter pour la première fois de problèmes d’intérêt commun, le débat s’annonçait plutôt orageux mais pourtant j’étais optimiste quant aux résultats de la réunion.
Nous avons débarqué à Khabarovsk alors que la neige nous arrivait jusqu’aux genoux et qu’il faisait un froid glacial.
Habitants permanents du maquis, nous voyions d’un œil émerveillé la nouvelle région. Les grandes artères paisibles où l’on n’entendait pas de coups de feu, où l’on ne voyait pas trace du pillage ou de la faim, les heureux citoyens qui circulaient d’un pas léger, échangeant librement les paroles, autant d’aspects de la vie dont nous rêvions.
Sur certaines cartes, Khabarovsk est dénommé Hapbu ou Paekryok. Les Coréens ont appelé Vladivostok
L’appellation de Khabarovsk provient du nom de Khabarov, un des explorateurs de l’Extrême-Orient soviétique, dit-on. Une impressionnante statue de Khabarov s’élevait sur la place de la gare, dans le centre de cette ville de plus de 200 000 habitants.
Le jour même de mon arrivée, j’ai rencontré So Chol et le lendemain An Kil. Tous deux étaient venus prendre part à la réunion, disaient-ils, le premier en qualité de membre du comité du parti de Mandchourie du Sud et le deuxième en qualité de chef d’état-major de la 3e colonne. Compagnons d’armes qui, l’un en Mandchourie de l’Est, un autre en Mandchourie du Sud et le troisième en Mandchourie du Nord, n’avions eu guère l’occasion de nous revoir, accaparés que nous étions par des combats interminables, nous avions maintenant la chance de nous retrouver. La joie bombait à flots dans mon cœur; je n’avais pas de mots pour l’exprimer.
Comme Yang Jingyu, chef de la 1re armée de route, avait été tué, que Wei Zhengmin était alité, que Cao Yafan, Chen Hanzhang et autres chefs de colonne étaient tombés au champ d’honneur, nous trois représentions, outre l’ARPC, le comité de Mandchourie du Sud du Parti communiste chinois et la 1re armée de route des AAUNE, autrement dit les organisations du parti et toutes les troupes de partisans opérant en Mandchourie du Sud.
So Chol et An Kil m’ont annoncé que Zhou Baozhong, commandant en chef de la 2e armée de route était arrivé dès le début de novembre, suivi par Zhang Shoujian, Feng Zhongyun et Ji Qing, respectivement commandant en chef, commissaire politique de la 3e armée de route et responsable politique adjoint de la 5e armée. Selon eux, Kim C
Avant l’ouverture de la conférence, j’ai eu un entretien avec Rouchenko, représentant de l’Internationale et général de l’armée extrême-orientale soviétique.
Il m’a expliqué la raison et le but de la convocation des représentants des partisans de Mandchourie et de l’armée soviétique, me proposant que nous prenions de concert des mesures valables face à la nouvelle conjoncture. Il m’a demandé de lui fournir, si possible, des renseignements sur l’organisation interne et les activités du comité du parti de Mandchourie du Sud et de la 1re armée de route.
Ayant accepté la requête, j’ai rédigé avec An Kil et So Chol des renseignements détaillés, rapports que nous avons envoyés le premier janvier 1941 à Wang Xinlin.
Wang Xinlin n’est rien d’autre que le pseudonyme de Rouchenko, chef du service de renseignements des troupes extrême-orientales soviétiques. Alors que les troupes de l’ARPC et des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est étaient entrées en territoire soviétique, celui qui représentait l’Internationale, le parti soviétique et l’armée extrême-orientale soviétique avait pris le nom de Wang Xinlin.
La Conférence de Khabarovsk touchait à sa fin quand Sorkine, général de l’armée extrême-orientale soviétique, prit non seulement les fonctions que Rouchenko assumait jusque-là, mais aussi son nom d’emprunt: Wang Xinlin.
Les archives de l’Internationale gardent le manuscrit des renseignements rédigés par le Président Kim Il Sung en janvier 1941 au nom des représentants du comité du parti de Mandchourie du Sud (ou la 1re armée de route). En voici l’introduction:
«Camarade Wang Xinlin,
Nous tâcherons de répondre, autant que le permet notre connaissance limitée des faits, à toutes les questions qui nous ont été posées en ce qui concerne les activités du printemps et de l’été 1940 de la 1re armée de route des AAUNE. Aussi le présent compte rendu ne peut-il évoquer l’ensemble de la situation de la 1re armée de route.
……
Avant l’ouverture de la réunion, j’ai eu, avec Kim C
An Kil et So Chol ont séjourné dans la même résidence que moi jusqu’à ce qu’ils quittent Khabarovsk, à la fin de la réunion. Cela me semble ne dater que d’
Dès lafin de janvier 1940, l’Internationale avait organisé à Khabarovsk une réunion des commandants des partisans de Mandchourie. Y assistaient seuls les délégués des 2e et 3e armées de route, notamment Zhou Baozhong, Zhang Shoujian et Feng Zhongyun; l’ARPC et la 1re armée de route n’y étaient pas représentées.
Au cours de la réunion, on a dressé le bilan des mouvements de partisans en Chine du Nord-Est, établi la ligne de conduite dans la lutte à la lumière de l’analyse de la situation, puis débattu des moyens de nouer des liens et de collaborer avec l’armée extrême-orientale soviétique et on s’est mis d’accord sur les divers aspects de l’unité d’action à réaliser.
Cette réussite aidant, une réunion consultative a eu lieu vers la mi-mars 1940, avec la participation des représentants des AAUNE et des autorités militaires soviétiques, afin de resserrer les liens et la coopération entre les deux parties. Cette consultation réunissait des représentants des 2e et 3e armées des AAUNE, le mandataire du commandant de l’armée extrême-orientale soviétique, les responsables des troupes soviétiques stationnées à Khabarovsk et à Vorochilov de même que Rouchenko, etc.
Lors des discussions, les AAUNE ont demandé une aide plus importante de l’Internationale et de l’armée soviétique. Or, à cette occasion, les représentants de l’Union soviétique ont requis le commandement des troupes des AAUNE. Notamment le commandant des troupes stationnées à Khabarovsk a suggéré qu’on sépare de l’organisation du Parti communiste chinois les troupes des AAUNE, cela devant faciliter l’aide soviétique aux troupes de partisans du Nord-Est.
Cette attitude des Soviétiques a été à l’origine d’une vive polémique, les participants devant se contenter de convenir en principe de la forme et du fond du soutien et de la collaboration entre les Armées antijaponaises unifiées et les autorités militaires extrême-orientales soviétiques.
En fin de compte, ce problème devait de nouveau défrayer les discussions à la Conférence de Khabarovsk.
Cette conférence de Khabarovsk, celle de 1941, dont nous parlons d’habitude, s’est ouverte en décembre 1940 et a duré jusqu’à la mi-mars 1941. Nous avons siégé dans un casernement clôturé qui servait à des activités secrètes, ancien asile d’un agent clandestin.
Les responsables des AAUNE, de l’ARPC et des comités du parti des trois provinces étant réunis, la conférence, dans une première étape, a consacré plusieurs jours à discuter sérieusement des mesures communes à prendre dans les rapports entre les différentes armées de route et entre les comités du parti des diverses provinces ainsi qu’à l’égard de l’Internationale et de l’Union soviétique. Ensuite, à partir du début de janvier 1941, ces responsables ont examiné essentiellement, avec les autorités de l’Internationale et de l’Union soviétique, l’avenir du mouvement de partisans antijaponais en Mandchourie, le fond et le mode de soutien et de collaboration mutuels avec les autorités militaires extrême-orientales soviétiques.
L’Internationale et l’Union soviétique étaient représentées par le général Rouchenko et plusieurs autres.
Or, dès le début, la Conférence de Khabarovsk s’est empêtrée dans une atmosphère pénible, du fait des attitudes opposées de l’armée soviétique et des AAUNE dans le problème du commandement de celles-ci.
Autre chose qui détériorait l’atmosphère, c’était le mécontentement des commandants de ces armées unifiées, causé par l’absence de la représentation du Parti communiste chinois.
En fait, en organisant cette conférence, les Soviétiques avaient annoncé aux comités du parti du Jidong et de Mandchourie du Nord la représentation du Comité central du Parti communiste chinois. Cependant, au moment de l’ouverture, nul représentant ne s’était encore présenté. Les cadres des AAUNE, qui avaient depuis si longtemps aspiré au rétablissement des liens avec le Comité central du PCC s’en sont trouvés fort mal. En effet, ce qui les avait incités tout particulièrement à aller à Khabarovsk, c’était l’espoir d’une rencontre avec un représentant du Comité central.
J’ignorais moi aussi la cause de l’absence du Comité central du PCC. Peut-être les autorités soviétiques ne l’avaient-elles pas prévenu? Peut-être l’invitation était-elle arrivée en retard? Quoi qu’il en fût, certains délégués des AAUNE en étaient venus à concevoir des soupçons et à douter de la signification attribuée à la réunion organisée par les Soviétiques au nom de l’Internationale au point qu’une certaine méfiance planait, au début, sur la conférence.
La réunion s’est déroulée sous forme de conversation, sans qu’un rapport fût spécialement présenté. Les représentants de toutes les armées de route des AAUNE étaient priés d’informer l’assistance de leurs activités pour fournir les renseignements nécessaires à l’examen des problèmes à l’ordre du jour et approfondir la compréhension mutuelle. Pour ma part, j’ai fourni les informations requises sur les activités de la 1re armée de route et de l’ARPC.
L’état de choses était tel qu’un rapport d’ensemble des activités militaires et politiques des AAUNE était impossible.
Le Parti communiste chinois n’assurait pas une direction centraliste et unifiée des AAUNE. Un Zhao Shangzhi ou un Zhou Baozhong ont recherché d’une façon ou d’une autre les moyens de se lier à l’instance centrale du parti et ont projeté de former une organisation du Nord-Est autonome sans pourtant y parvenir. Par conséquent, les comités du parti de Mandchourie du Nord, de la région de Jidong et de Mandchourie du Sud, organismes parallèles mais autonomes, et chaque armée de route des AAUNE étaient obligés d’agir séparément.
Pas facile de contrôler et de diriger à la fois l’ensemble de la révolution dans le Nord-Est. Comme plusieurs centaines de milliers de casques japonais occupaient la Mandchourie, le Parti communiste chinois, siégeant en Chine intérieure, avait énormément de peine à diriger les activités militantes et les opérations militaires qu’on menait en Chine du Nord-Est.
Au centre du débat à la Conférence de Khabarovsk se trouvaient les activités ultérieures des AAUNE et de l’ARPC. Bref, il s’agissait d’établir des relations entre le mouvement de partisans en Corée et en Chine du Nord-Est et l’armée soviétique, de les adapter à la nouvelle conjoncture, de les développer sans répit.
A cet égard, les Soviétiques ont invoqué le pacte anti-Komintern en train d’être formé par les forces fascistes d’Allemagne, du Japon et d’Italie et l’expansion de la Seconde Guerre mondiale pour préconiser une lutte commune, efficace, indispensable à la victoire sur les fascistes alliés. Ils ont relevé la nécessité de mesures concrètes à cette fin, proposant notamment que les AAUNE renoncent à leur indépendance, et fusionnent avec l’armée soviétique.
Cette mesure aurait répondu, disaient-ils, au principe de l’internationalisme prolétarien et profité à la révolution en Chine du Nord-Est. Or, c’était à cette idée que les commandants des AAUNE s’étaient opposés de toutes leurs forces lors de la réunion tenue un an auparavant.
Certes, pendant ce temps, des changements spectaculaires s’étaient succédé dans la situation politique mondiale autant que dans la situation militaire en Extrême-Orient. La proposition réitérée par les Soviétiques en était un reflet.
Les Soviétiques considéraient comme inévitable un conflit avec les Allemands qui s’approchaient rapidement de leur frontière. Rien n’aurait été plus dangereux que les Japonais sautent sur eux à l’est alors que les Allemands progressaient déjà à l’ouest.
Les Soviétiques mettaient tout en œuvre pour éviter d’être pris entre deux feux. Leur projet de coopération laissait percer leur anxiété face à la situation.
S’étendant loin à la fois en Europe et en Asie, l’Union soviétique devait, pour assurer sa défense, se pourvoir des moyens de garder sa longue frontière et de repousser l’ennemi de tous côtés.
Dès la fondation de son Etat, elle a fait de sérieux efforts de guerre, se donnant comme principe de se préparer à repousser les ennemis venant l’attaquer simultanément d’Europe et d’Asie. Cela étant, et compte tenu de ses rapports avec la Chine et le Japon, elle a tenté dès le début de transformer sa partie extrême-orientale en une région militaire autonome.
Or, le premier plan quinquennal, visant essentiellement à redresser sa partie européenne sur les plans économique et militaire, n’a pas profité au renforcement du potentiel militaire de sa partie extrême-orientale.
Ce qui a motivé directement un accroissement rapide de ses forces militaires à l’est, ce furent les Evénements du 18 Septembre en 1931. Alarmés par l’attaque japonaise de Mandchourie, les Soviétiques n’ont cessé de craindre que le Japon ne fasse progresser ses forces en leur territoire extrême-oriental.
Avant les Evénements du 18 Septembre, les Soviétiques disposaient dans cette région d’à peine 50 000 fantassins, de 100 avions et de 30 chars d’assaut. Or, ils se sont appliqués à y accroître leurs forces, les doublant, les triplant, les quadruplant même. Et, après le rejet japonais de leur proposition d’un traité de non-agression, ils y ont déployé bombardiers lourds, chars de combat nouveau modèle, sous-marins, etc. afin de faire face à la menace d’agression du Japon. Du reste, la conclusion en 1936 d’un accord soviéto-mongol avait pour but de tenir tête au Japon. L’Union soviétique a multiplié aussi ses efforts de guerre à l’est lorsque sa frontière faisait l’objet d’une grave menace par suite de l’éclatement de la guerre sino-japonaise et du déclenchement successif des incidents du lac Khassan et de Khalkhin-gol.
Pour revenir à nos discussions, la proposition soviétique de rattacher directement à l’armée extrême-orientale soviétique les Armées antijaponaises unifiées était taxée de réédition de celle de l’année précédente et même s’est attiré l’accusation de ne veiller qu’à ses intérêts politiques et militaires et de chercher à y subordonner le mouvement antijaponais en Chine du Nord-Est.
Compte tenu de la situation prévalant en Extrême-Orient, la proposition soviétique avait un côté digne de compréhension. Le danger que courait l’Union soviétique de se retrouver entre deux feux se précisait de plus en plus.
L’Union soviétique ne souhaitait pas que des canonnades retentissent dans sa partie est.
Pourtant le Japon a fait des pieds et des mains pour trouver un prétexte pour l’attaquer, cherchant notamment à faire croire que les troupes antijaponaises opérant en Mandchourie obéissaient aux directives de l’Union soviétique.
Cela étant, l’Union soviétique a bandé toutes ses forces, d’une part, pour renforcer la défense de sa partie orientale et, d’autre part, a mis en œuvre toutes les démarches diplomatiques nécessaires pour prévenir une éventuelle agression japonaise.
Elle n’avait pas d’allié qui puisse lutter à ses côtés contre une éventuelle agression allemande ou japonaise. En Europe, elle a recherché la création d’un système de sécurité collective tendant à conjurer le danger de guerre croissant, effort que les impérialistes occidentaux ont pourtant fait échouer. En Asie non plus, nul allié. Nul ne pouvait l’aider manu militari.
En guerre contre le Japon, la Chine, loin de lui être un allié efficace, bénéficiait de son aide. Soucieuse de voir la paix régner dans sa partie orientale au moins, l’Union soviétique prenait garde de ne pas donner au Japon un prétexte pour une attaque armée.
A mes yeux, la proposition soviétique d’établir un système militaire supposant la fusion de l’armée extrême-orientale soviétique et des Armées antijaponaises unifiées avait pour but, d’une part, d’éviter de fournir ce prétexte au Japon, et, de l’autre, de trouver un allié valable dans la campagne qui serait menée éventuellement contre le Japon.
Le problème de la fusion des armées souleva une violente polémique dans la salle de réunion comme à l’extérieur.
Pour dire vrai, les commandants des AAUNE étaient loin de penser se réfugier dans le giron de l’armée soviétique. «Nous nous sommes battus plus de dix années durant, couchant à la belle étoile, disaient-ils. Est-ce pour finalement fusionner avec eux? Inadmissible de laisser à l’abandon la révolution dans le Nord-Est. Les Soviétiques font fi de nous, ils n’ont en tête que leurs propres intérêts. Leur attitude méconnaît le principe révolutionnaire du respect de l’indépendance de la révolution dans chaque pays. Il faudra en avoir le cœur net même s’il est besoin pour cela de nous adresser à Staline ou à Dimitrov.» J’apprendrai plus tard que Staline et Dimitrov avaient approuvé la position prise par les AAUNE. En fin de compte, l’affaire a eu pour effet le remplacement de Rouchenko par Sorkine.
Par ailleurs, les Soviétiques se sont intéressés à mon avis en ce qui concerne la fusion.
D’abord, ils se sont employés à me persuader que leur proposition n’était pas inspirée par l’égoïsme national. Leurs propos tournaient autour de l’idée que la sécurité de l’Union soviétique de même qu’une révolution soviétique fructueuse étaient un gage de réussite de la révolution en Chine et en Corée.
«Il y a du vrai dans votre proposition, leur ai-je répondu. Je comprends ce qui vous a poussés à la formuler. Mais elle est unilatérale et prématurée, à mes yeux. Le Japon guette une occasion favorable pour vous attaquer, c’est vrai, mais rien ne fait encore croire à l’imminence d’une guerre. Il faut défendre l’Union soviétique où la révolution a déjà triomphé, mais il n’en importe pas moins de développer les révolutions encore en cours. J’ai l’impression que vous faites peu de cas du mouvement de partisans antijaponais en Chine du Nord-Est.»
Les Soviétiques m’ont demandé alors si je m’opposais à toute forme d’union.
«Pas du tout, ai-je répondu. Pourquoi m’opposerais-je à des modes d’unification ou de coopération utiles aux deux parties? Ce que je critique, c’est une fusion absurde qui permettrait à une partie d’en imposer à l’autre, et de méconnaître son indépendance. L’Armée révolutionnaire populaire coréenne a formé avec les camarades chinois les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est pour combattre en commun mais elle n’en maintient pas moins son indépendance. Aussi cette fusion n’a-t-elle jamais engendré d’ennui. Je m’oppose à ce qu’on rattache l’Armée révolutionnaire populaire coréenne à l’armée soviétique comme je m’oppose à ce qu’on l’intègre complètement aux Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est. Car cela reviendrait à méconnaître notre indépendance en principe et en réalité. Il faudra réfléchir à une solution concrète, notamment à la forme et à l’objectif qu’on donnerait à une lutte conjointe éventuelle. Nous sommes d’avis que cette lutte conjointe doit recourir à une forme et à une méthode qui profitent non seulement à l’Union soviétique mais aussi à la révolution coréenne et à la révolution chinoise.»
M’ayant écouté attentivement, les Soviétiques ont répliqué:
«Vous avez trouvé la clé de notre problème, le moyen de mettre un terme à notre débat qui tourne à vide, et de clore la réunion. Vous nous avez suggéré des idées de grande valeur. Au reste, nous étudierons encore le problème de l’indépendance.
— Si vous en êtes arrivés là, je m’en félicite. Laissons tomber nos opinions partiales; hâtons-nous de clore la réunion. Le temps presse. Nous devons retourner en campagne opérer par petits détachements, développer nos organisations et former la population. Il ne sied pas aux communistes de faire du délayage, faisant traîner les discussions sur un seul problème. Si chacun pense rationnellement à la lumière de l’internationalisme prolétarien, tout s’arrangera.»
Zhou Baozhong et Zhang Shoujian aussi m’ont posé des questions. J’ai déclaré: «Je ne m’opposerais pas à l’unification internationale des forces armées pourvu qu’on reconnaisse l’indépendance à chaque partie. Tout se ramène à la forme de cette unification, qui reste à étudier encore. La proposition soviétique, malgré son caractère unilatéral, renferme un grain de vérité. Elle n’est donc pas à rejeter tout à fait. Je propose que nous agissions en toute camaraderie et avec désintéressement, nous inspirant autant que possible de l’internationalisme prolétarien, et terminons au plus vite nos discussions conformément aux intérêts communs.»
Les participants m’ont témoigné leur approbation.
Notre fidélité aux principes, qui s’est manifestée au cours de la réunion, a aidé à la réalisation de la solidarité et de la coopération entre les forces armées révolutionnaires de Corée, d’Union soviétique et de Chine.
A la Conférence de Khabarovsk, la validité et l’opportunité ont été reconnues à notre ligne stratégique: conserver et accumuler les forces et opérer désormais par petites formations. On a ainsi discuté sérieusement pour savoir comment les troupes des AAUNE et de l’ARPC veilleraient essentiellement à se préserver et opéreraient par petites formations.
La réunion a abouti sans grande difficulté à l’unanimité sur ce problème au terme d’environ deux jours de débat.
Cependant, dans ce problème non plus, il n’a pas manqué de contradicteurs. Pour certains, ce changement de tactique revenait à un recul de la révolution. «Quand arrivera-t-on à vaincre les Japonais en opérant par petites formations et non plus par grandes unités?, interrogeaient certains. Lorsqu’en Chine intérieure, nos camarades opèrent en grand, par grosses formations, il serait honteux pour nous, dans le Nord-Est, qui avons pourtant combattu les premiers les Japonais, d’opérer par détachements minimes et négligeables.»
C’était faux de croire qu’on perdrait la face en opérant par formations réduites.
De ce sujet aussi j’ai discuté longuement à la réunion et ailleurs avec les camarades soviétiques et chinois. D’ailleurs, ils marquaient un intérêt particulier pour mes idées, car nous avions déjà décidé ce changement de tactique à Xiao
Je leur ai déclaré: «Le contexte a changé radicalement. Nous subissons des pertes importantes. Non seulement pour le présent mais aussi pour le futur, il faut penser à conserver nos forces. Gare à une victoire facile sur les Japonais! Pour les écraser et libérer nos pays, il faut que l’Armée révolutionnaire populaire coréenne ainsi que les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est conservent et accroissent leurs forces. Du reste, en opérant par petites formations, on parviendra à mieux développer les organisations civiles en vue de la résistance de toute la population et à se procurer les vivres dans de meilleures conditions. Nous avons opéré par formations réduites depuis l’été dernier et la moisson s’avère bonne. Ce genre d’opérations vaut la peine qu’on s’y livre. Quant aux grandes formations, nous y recourrons au besoin.»
Quelques mots ne suffisaient pas pour persuader ceux qui voyaient dans ce changement de tactique un recul de la révolution. Aussi ai-je ouvert le débat sur la conjoncture telle quelle se présentait. J’ai retracé la situation qui régnait en Corée, en Mandchourie et en Union soviétique pour démontrer l’opportunité du changement proposé. Cela a amené l’unanimité.
Ces discussions se caractérisaient par le sérieux qu’on y mettait. Nous avons organisé de nombreuses réunions mais jamais nous n’avons parlé aussi longtemps du contexte de l’heure que lors de la Conférence de Khabarovsk.
M’adressant aux adeptes de la tactique des grandes formations, j’ai dit: «L’Internationale a elle-même recommandé qu’on évite d’opérer en force. Et cette consigne reflète la volonté et la résolution des communistes de tous les pays de défendre l’Union soviétique et de préserver les acquis de la révolution soviétique. S’il est vrai qu’une guérilla d’envergure nuit à la sécurité de l’Union soviétique, il faut en toute logique y renoncer.»
Quant au délégué soviétique, je lui ai dit sans détour: «Veuillez ne pas nous retenir indéfiniment ici. Ce n’est pas en se tournant les pouces sous prétexte de conserver ses forces que la révolution progressera. Nous poursuivrons des activités politiques et militaires efficaces en opérant par petites formations en Corée et en Chine du Nord-Est.»
Mes idées ont reçu l’accord général. En fait, les Soviétiques auraient voulu que nous restions en territoire soviétique à nous entraîner et accomplir des missions de reconnaissance sans importance. C’était, à leurs yeux, le moyen d’éviter de fournir au Japon un prétexte pour les attaquer.
Mais, nous trouvions trop pusillanime cette attitude. Perdre du temps dans des activités aussi insignifiantes, c’était tout simplement gaspiller des énergies.
A l’issue des délibérations, les participants à la conférence ont convenu de veiller principalement à opérer par petits détachements, à former les masses, à développer les organisations et à accroître les forces des armées. Décision qui coïncidait avec celle que nous avions adoptée à la Conférence de Xiao
Les Soviétiques se sont offerts d’aménager sur leur territoire une base d’opérations à l’intention des AAUNE et de l’ARPC. Tant mieux; ce devait être une nouvelle base provisoire d’où partiraient nos petits détachements opérer sur une vaste étendue en Corée et en Mandchourie.
A l’issue de la conférence, l’Union soviétique nous a offert deux sites dans sa région extrême-orientale, le camp sud situé à proximité de Vorochilov et le camp nord situé près de Khabarovsk.
L’ARPC occuperait le camp sud, avec une partie des effectifs de la 5e armée de la 2e armée de route des AAUNE. De son côté, le camp nord a été mis à la disposition des 2e et 3e armées de route.
En ma qualité de commandant de l’ARPC, j’ai été chargé de la direction du camp sud. J’ai organisé aussitôt la 1re armée constituée de l’ARPC et d’une partie de la 1re armée de route. A sa tête, j’ai pris différentes mesures pour redynamiser les opérations des formations réduites.
Opérant avec fougue par petits détachements en Corée et en Mandchourie à partir de cette nouvelle base, nous avons inscrit un revirement dans notre lutte armée contre le Japon. Si ce changement de tactique relevait d’une mesure provisoire, il n’en serait pas moins un premier pas important dans notre effort pour préparer la victoire finale.
N’eût été cette mesure active répondant à la situation et au développement de la guerre antijaponaise, notre révolution n’eût pu sortir de sa crise ni notre résistance aboutir à la victoire.
Une révolution peut connaître des difficultés ou des épreuves. Pourtant, la nôtre n’a jamais régressé ni faibli. Jamais nous ne nous sommes laissés ébranler devant les difficultés ni abattre par le chagrin, ni acculer à la passivité par l’attaque de l’ennemi. Si jamais nous nous étions laissés aller, l’ennemi eût écrasé impitoyablement notre révolution.
Fermes dans notre volonté de ne jamais plier ni reculer, quitte à sacrifier notre vie, nous avons toujours transformé l’infortune en bénédiction, changé le mal en bien.
La Conférence de Khabarovsk comme celle de Xiao
Après la Conférence de Khabarovsk, nous avons, simultanément à notre formation militaire et politique organisée en Union soviétique, relancé à la fois la lutte armée et le mouvement révolutionnaire en Corée à partir des bases secrètes solidement établies en différents endroits du pays, notamment au massif Paektu, hâtant ainsi la libération de la patrie.
Le Président Kim Il Sung définissait une ligne, une stratégie et une tactique nouvelles et relançait les activités militaires et politiques alors que les armées et les polices japonaises et mandchoues, les sens en éveil, cherchaient tous les moyens d’y faire face.
L’inquiétude de l’ennemi se dégage des lignes suivantes:
«Les forces communistes coréennes complotant actuellement sous la direction de l’Union soviétique à l’égard de la Mandchourie se composent des restes des anciennes 1re, 2e et 3e armées de route. Kim Il Sung est à leur tête...
Kim Il Sung occupe le poste de responsable militaire du camp Okéanskaya placé sous le contrôle direct de l’Armée rouge de l’Union soviétique.» [«Sur les activités des organisations séditieuses des Coréens résidant en Mandchourie», document distribué par la Direction de la police du gouvernement général en Corée aux chefs de service de police de toutes les provinces, 19 de Showa (1944)]
«Cette bande d’individus turbulents tels Kim I1 Sung, C
2. Le révolutionnaire Kim C
Quelques mois après le décès du Président Kim Il Sung, le camarade Kim Jong Il a dit à ses collaborateurs:
«Il se trouve au Palais des congrès de Kumsusan un coffre-fort dont le Président se servait avec prédilection de son vivant.
Or, même ses aides de camp ne savaient pas ce qu’il contenait.
Après sa mort, on a voulu l’ouvrir, mais on n’a pas trouvé la clef. Il y a quelques jours, on l’a enfin retrouvée. Que contenait le coffre? Une photo du Président avec le camarade Kim C
D’ordinaire, le Président confiait ses photos à l’Institut de l’histoire du Parti, mais celle-là, il a préféré la garder à part, dans son coffre-fort, témoignage éloquent de l’attachement profond qu’il portait à son illustre compagnon d’armes.»
Vivre dans la mémoire du leader, c’est le plus grand honneur qu’un homme puisse connaître, le plus insigne bonheur dont un révolutionnaire puisse jouir. Cet honneur et ce bonheur, Kim C
J’ai rencontré Kim C
J’ai séjourné plusieurs mois dans cette ville et Kim C
Dès la première rencontre, il m’a fait une forte impression: aujourd’hui encore je le revois nettement tel qu’il m’était apparu alors.
Homme pondéré, le crâne marqué par un début de calvitie avant même d’atteindre la quarantaine, il m’a plu de prime abord.
Chose étrange, le voyant pour la première fois, j’avais l’impression de revoir un vieil ami. Peut-être parce que j’avais souvent entendu parler de lui et j’avais beaucoup désiré le rencontrer.
Après nos présentations réciproques, je le lui ai dit, et sa réponse fut: «J’ai le même sentiment.»
Cela prouvait que nous avions depuis longtemps pensé l’un à l’autre en souhaitant sincèrement nous voir.
En effet, j’avais tellement désiré le rencontrer, lui et C
Ainsi, bien que nous nous soyons battus les uns en Mandchourie du Nord, les autres en Mandchourie de l’Est, nous pensions tous à la révolution coréenne, nettement conscients d’être Coréens, d’être des révolutionnaires coréens, appelés à lutter pour l’indépendance de la Corée par-delà l’appartenance politique et les régions d’origine.
C’est cette idée qui avait rapproché les révolutionnaires coréens de Mandchourie de l’Est et du Nord et avait suscité en eux l’ardent désir de se rencontrer.
Kim C
La 2e armée de Mandchourie de l’Est était constituée principalement de Coréens, tandis que la 3e et la 7e armées où ils servaient, regroupaient surtout des Chinois. Ainsi, contraints à côtoyer quotidiennement les Chinois à la langue et aux mœurs et coutumes différentes, ils regardaient avec nostalgie la Mandchourie de l’Est où vivaient des centaines de milliers de leurs compatriotes et où opéraient nos troupes de partisans à prédominance coréenne.
«Ah! Long a été le chemin qui m’a conduit chez le Commandant Kim», a dit Kim C
Mot qui m’a causé un serrement de cœur.
Longtemps, Kim C
Moi aussi, j’ai senti des picotements aux coins des yeux.
Peu après l’occupation japonaise, ses parents avaient émigré au Jiandao. Ils avaient entendu dire que le sol y étant fertile, il y faisait bon vivre. Or, pour ce qui était de la fertilité du sol, leur région natale, Haksong, ne le cédait nullement au Jiandao. Seulement, ils n’arrivaient pas à joindre les deux bouts, malgré leurs efforts pour cultiver cette terre.
Qui n’aime pas son pays natal? Mais ils s’étaient mis malgré eux en route vers le nord avec leurs enfants.
Une fois au Jiandao, on saurait bien se débrouiller, croyaient-ils, on avait suffisamment de bras avec trois fils. Mais ceux-ci, piliers de leur espoir, n’avaient pas tardé à se jeter dans les remous de la révolution en reléguant au dernier plan les affaires de la famille.
C’est Kim Hong Son, frère aîné de Kim C
Le frère cadet de Kim C
Kim C
Au début, il avait adhéré à l’Union générale de la jeunesse de Mandchourie de l’Est, puis, au parti communiste. La cellule du parti dont il était membre était sous la houlette du groupe Hwayo14.
Il savait bien que le Parti communiste coréen, fondé en 1925, avait été dissous à cause de querelles intestines. Or, il n’a pas hésité, plus tard, à révéler qu’il avait milité un temps au sein d’une cellule de ce parti.
Il existait à l’époque en Mandchourie deux organisations se disant chacune Direction générale de Mandchourie du Parti communiste coréen: l’une sous le contrôle du groupe Hwayo, l’autre mise sur pied par le groupe M-L15 pour faire contrepoids à la première.
Kim C
Quel chemin désormais les communistes coréens devraient-ils suivre? Que devrait-il faire, lui, personnellement? En prison, puis remis en liberté, il n’avait cessé d’y réfléchir, m’a-t-il dit, avec l’actuelle génération de militants, on ne peut rien faire de valable. Il faut rompre avec elle, mais où trouver de nouvelles forces? Ainsi roulait-il ses pensées sans pourtant parvenir à une solution. D’autre part, bien que libéré de prison, il n’avait pas un piètre sou. Privé de moyen de survie, il désespérait de sortir de l’impasse lorsque l’idée lui est venue de rendre quand même visite à M. Ho Hon, à qui il était grandement redevable, pour le remercier avant de partir.
Lors de son procès, M. Ho Hon avait pris de lui-même sa défense. Kim C
Kim C
C’est ainsi que les deux hommes s’étaient liés d’amitié. Si M. Ho Hon avait pris la défense de Kim C
La compassion, le sentiment de la solidarité, la conscience de son devoir d’aîné épris du pays, tels étaient sans doute les sentiments qui l’avaient guidé, preuve de sa noblesse d’âme.
Après la Libération, Kim C
Le jour où il a été nommé vice-président, Kim C
«M. Ho Hon, jadis vous avez plaidé pour moi. Désormais je vous prie de me critiquer souvent. Si je commets des fautes dans mon travail et dans mon comportement d’homme, je vous prie de me fustiger sans ménagement.»
M. Ho Hon était un homme droit et au cœur d’or. Il n’aurait pas hésité à reprendre Kim C
Par contre, M. Ho Hon détestait Pak Hon Yong, aussi vice-président du Conseil des ministres. II devait avoir eu quelque soupçon sur lui: il m’a souvent averti de le tenir à distance.
Je revois M. Ho Hon qui sanglotait amèrement à la nouvelle de la mort de Kim C
Pendant son séjour chez M. Ho Hon, Kim C
«Quitte à affronter mille morts, je ferai ce que le peuple attend de moi», s’était-il dit en quittant Ho Hon pour aller au Jiandao.
Une triste nouvelle l’attendait chez lui: son père et sa femme morts de maladie, ses deux jeunes enfants laissés sans protection. Pourtant, Kim C
Kim C
Le déguisement était nécessaire, voire indispensable, mais Kim n’avait plus le cœur d’emmener la bête. Les mugissements des animaux lui rappelaient de façon lancinante ses deux enfants. Les larmes lui montaient aux yeux: il avait pitié des animaux autant que de ses enfants. N’en pouvant plus, il a relâché la bête. Il ne reverrait ses enfants que seize ans plus tard. Quel drame! Seul un révolutionnaire de sa trempe peut supporter un drame aussi cruel.
Je lui ai demandé s’il avait de leurs nouvelles, et il a répondu non: «Si mon beau-frère vit encore, ils ont un morceau à se mettre sous la dent; dans le cas contraire, ils battent le pavé. Qu’ils aillent de porte en porte quémandant l’aumône, pourvu qu’ils restent en vie; ils pourront alors tôt ou tard voir le jour de la libération du pays et rejoindre leur père indigne.»
Kim C
Notre organisation de Jilin avait ses hommes au sein de cette Direction générale de la jeunesse de Mandchourie de l’Est, et celle-ci était au courant de nos activités. Du reste, nombreux étaient les jeunes de Ningan qui faisaient leurs études à Jilin.
A peine avait-il appris cette nouvelle que Kim C
Mes camarades ont vérifié son identité et l’ont interrogé sur le but de son voyage à Jilin, puis, lui ont dit: «Kim Song Ju n’est plus ici. Sans doute viens-tu à Jilin pour la première fois. File tout de suite. La clique militaire, exaspérée par les incidents du “Mai rouge”, s’acharne après les révolutionnaires. Quitte Jilin avant que la police n’y tende son filet. Tu verras Kim Song Ju plus tard.» Là-dessus, ils l’avaient reconduit, après lui avoir donné un peu d’argent pour le voyage.
Kim C
Libéré, il a été arrêté de nouveau par la police du clan militariste de la région et détenu. Un jugement sommaire l’a condamné à mort. Communiste de nom seulement, d’ailleurs sans avoir fait aucun mal à la clique militaire, il ne pouvait en aucune façon mériter la mort. Mais telle était la Mandchourie à l’époque. Un monde sans loi ni règle.
Kim C
Sans doute un homme progressiste aux idées antijaponaises fortement prononcées.
En quittant l’endroit qui aurait pu être sa dernière demeure, Kim C
Or, il est question ici de savoir quelle leçon Kim C
«L’ennemi prend pour des pantins les révolutionnaires sans armes, a-t-il ajouté dans un sourire. Qui tente d’affronter à main nue les bandits armés ne peut faire mieux qu’un pantin, il ne peut même pas défendre sa vie. Tel est l’enseignement que la vie m’a donné.»
Je lui ai donné raison en mon for intérieur. Si c’était la leçon de ses trente années de vie mouvementée, c’était aussi la logique de la lutte révolutionnaire.
La révolution est une œuvre à réaliser fusil en main. L’issue de toute lutte, celle de libération nationale ou de libération sociale, dépend du combat armé. Si nous sommes sortis vainqueurs de la guerre contre les Japonais, c’est aussi parce que nous disposions de nos propres forces armées révolutionnaires.
Diverses forces ont opéré dans l’arène de la lutte de libération nationale en Corée, à savoir celles de Kim Ku, celles de Syngman R
La victoire de notre guerre contre les Japonais a confirmé la pertinence de la formule: la révolution se réalise fusil en main. Cette vérité nous a incités, après la Libération, à suivre fermement la ligne d’édification d’une armée révolutionnaire et à y investir de grands efforts tout le long de notre lutte pour l’édification d’une patrie nouvelle et la réalisation du socialisme.
La puissance d’un pays vient elle aussi de ses fusils. La fierté nationale d’un peuple repose sur la fierté qu’il a de ses armes. Si l’armée est puissante, la nation et le pays prospèrent. Sans fusil, il n’y a pas d’indépendance. Si les armes rouillent, le peuple devient esclave.
Aujourd’hui, le camarade Kim Jong Il dirige nos forces armées révolutionnaires. Il a fait de notre Armée populaire une armée invincible, capable d’écraser n’importe quel adversaire. En effet, des réalisations spectaculaires ont été enregistrées dans le domaine du renforcement de nos forces armées. C’est là le plus brillant de ses exploits dans la perspective de l’achèvement de l’œuvre du Juche lancée au mont Paektu.
Kim C
Or, la vie en prison lui avait dessillé les yeux: il fallait se départir du mode d’action alors en vogue dans le mouvement communiste. Il fallait absolument en finir avec les fractions, sinon, impossible de rien faire, sans même parler de libération nationale ou sociale. Et il avait souhaité me voir, décidé à se joindre aux nouvelles forces de Jilin, respirant la fraîcheur et la vigueur de la nouvelle génération, étrangères aux viles pratiques fractionnelles et n’ayant aucune affinité avec le Parti communiste coréen.
La vie digne d’être vécue, m’a-t-il dit, il ne l’a connue qu’après avoir entrepris une lutte armée contre l’ennemi à la tête d’une troupe de partisans qu’il avait organisée à Zhuhe. Avant, sa vie n’était vraiment qu’errance et tâtonnements. Dès lors, il a brillé par les services remarquables rendus à la révolution coréenne et à la révolution chinoise, occupant des postes importants dans l’organisation du parti de Mandchourie du Nord et la 3e armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est. Révolutionnaire averti et éprouvé, il a joui de l’estime et de l’affection des populations et des révolutionnaires coréens et chinois de Mandchourie du Nord.
«J’ai depuis longtemps suivi de près vos activités, Commandant Kim, m’a-t-il confié. Vous ne sauriez imaginer à quel point nous avons souhaité vous rencontrer, nous, révolutionnaires coréens de Mandchourie du Nord! Nous nous battions, les yeux tournés vers le mont Paektu où opérait l’armée du Commandant Kim. Ah! Si j’avais eu la chance de vous rencontrer à Jilin plus tôt, je n’aurais pas tant souffert.»
Quand il avait appris la nouvelle de notre raid en Corée, à Pochonbo, il avait eu du mal à réprimer son désir de venir me serrer la main, pour me féliciter et me remercier au nom des révolutionnaires coréens de Mandchourie du Nord.
Kim C
Il avait appris, de la bouche des partisans envoyés par moi dans sa région, tout ce qui se passait en Mandchourie de l’Est et au Xijiandao. Ce qu’il avait admiré le plus dans le comportement de l’ARPC, et ce qu’il en avait pris pour modèle, c’était l’unité entre officiers et soldats, entre supérieurs et subalternes, et entre l’armée et le peuple. Ce qu’il avait apprécié le plus dans la mentalité et l’attitude de l’ARPC, c’était sa ferme position pour l’indépendance: en opérant en sol étranger, elle n’avait pas hésité à hisser la libération de la Corée comme principal programme de combat, à déclarer carrément que les Coréens devaient lutter pour la libération de la Corée.
Kim C
Bien qu’il ait dit nous avoir pris pour modèle, lui même était le prototype des révolutionnaires.
On disait de lui qu’il était un homme sévère et stoïque, mais en fait, c’était un cadre politique au cœur sensible, très attaché à ses hommes. Le récit de la crosse de fusil réparée l’avait profondément touché, mais lui-même avait à son actif de nombreux épisodes similaires témoignant de son attention pour ses subalternes.
En quoi réside la combativité d’une armée révolutionnaire? En la solidarité entre ses combattants. Aimez et ménagez vos camarades, aimez-les de toutes les forces de votre âme, car il n’y a pas au monde d’être plus précieux. Ainsi insistait-il auprès de ses combattants.
Un jour, un soldat est venu d’un détachement voisin lui apporter un document. Kim C
A l’issue de chaque combat, Kim C
Kim C
Voici un épisode qui s’est produit alors que Kim Tae Hong commandait une section.
Un jour, il a tancé vertement un mitrailleur. Celui-ci, frais enrôlé, peu endurci au combat, tirait en l’air, sans viser, pris de panique sous la grêle de balles ennemies. A cette vue, Kim Tae Hong, hors de lui, jeta durement: «Ah, poule mouillée! Tu tiens tant à ta petite peau? Laisse là ton engin et va-t-en au diable. Tu ferais bien de retourner chez tes parents.»
Après le combat, Kim C
Depuis, Kim Tae Hong ne s’est jamais permis de molester ses hommes.
Or, il ne faut pas croire que Kim C
Après sa disparition, Jang Sang Ryong, en évoquant ses souvenirs de lui, a raconté: En hiver 1942, Kim C
Un jour, Jang était allé chasser. Après avoir parcouru la montagne toute la journée, il a finalement abattu un ours et un sanglier. La nuit commençait déjà à tomber quand il s’est avisé enfin de retourner. A la hâte, il a caché son butin dans un endroit sûr et a pressé le pas, mais il était épuisé, et le chemin du retour abrupt. Incapable de regagner son unité avant la nuit, il a décidé de passer la nuit dans une ancienne cabane de chasseurs non loin du camp secret de son détachement, et de rentrer le lendemain matin. Cette cabane de chasseurs inoccupée, Kim C
Quand il a appris le fait, Kim C
Jon lui a demandé de pardonner à Jang qui, jusque-là, s’était bravement battu pour la révolution.
«Non, impossible de lui pardonner cette faute. D’abord, mets-le au piquet en plein air pendant trois heures», a tonné Kim C
Jon n’avait plus qu’à obtempérer. Deux heures ne s’étaient pas écoulées que Jang était gelé jusqu’aux os.
Pris de pitié, Jon a demandé à Kim C
A table, Jang, rongé par le remords, n’a pu toucher aux victuailles. Kim C
Kim C
Un temps, en vue de démoraliser les troupes de partisans, l’ennemi avait lancé en Mandchourie du Nord des rumeurs: Kim C
Commandants et combattants des troupes de guérilla, sachant bien que c’étaient de purs mensonges, bouillonnaient. De dégoût, le chef du 2e détachement a juré: «Ah, gredins, je vais vous apprendre à vous conduire», et il a monté un coup. Il attira un agent de l’ennemi qui rôdait aux abords du camp de son unité et lui dit: «Une troupe de partisans veut se rendre. Descends la montagne et fais le nécessaire pour nous mettre en contact avec la gendarmerie du lieu.»
Sitôt dit, sitôt fait. La gendarmerie, par l’intermédiaire de son agent, lui communique le lieu et la date du rendez-vous, ainsi que la promesse de récompenser généreusement le chef du détachement. Enfin, au jour et à l’heure convenus, l’ennemi arrive au rendez-vous, précédé de l’agent, sûr d’accueillir des transfuges. A la vue du détachement de partisans aligné dans la forêt, il arborait un large sourire et agitait la main dans leur direction.
Les partisans, levant alors leurs armes, tonnèrent: «Ne bougez pas!» Le chef du détachement ricana: «Bande d’idiots! Nous rendre? Jamais de la vie. Nous sommes là pour vous coffrer. Haut les mains!»
Le chef de la troupe ennemie se plaignait: «On dit que l’armée communiste ne ment pas, mais vous manquez à votre parole. Dans une armée, la fiabilité prime.»
Le chef des partisans rétorqua: «Cyniques que vous êtes! A peine les yeux ouverts le matin, vous passez votre temps à inventer des mensonges que vous faites circuler et vous osez parler de fiabilité? Comme vous mentez effrontément, nous avons eu l’idée de vous prendre à contre-pied tout simplement.»
Et il les fit tous prisonniers. Dans la troupe, on ne tarissait pas d’éloges. Certains le félicitaient pour l’originalité de son action. L’incident ressemblait à l’affaire Pak Tuk Bom qui avait fait afficher un faux avis de «reddition» pour acquérir des vivres et qui, par la suite, avait été sévèrement critiqué.
Une fois au fait, Kim C
A ce récit on croirait que Kim C
Voici un exemple.
Lors d’un combat, un combattant s’était replié en ne prenant avec lui, dans sa grande précipitation, que le seul lance-grenades, en oubliant son sac de munitions.
Une séance de critique a été organisée à son sujet dans sa troupe, comme il arrivait d’en voir dans pareils cas dans les unités de l’armée révolutionnaire. Le fautif, trouvant juste la critique de ses camarades, a juré de ne pas récidiver.
Or, un homme, chargé du travail politique au niveau primaire, a insisté pour qu’on lui inflige une sévère punition. Du coup, l’atmosphère de la réunion est devenue tendue et menaçante.
Kim C
Il n’en serait résulté rien de grave si l’incident s’était clos là-dessus, mais le préposé au travail politique insistait.
Le coupable, encore novice, inquiet de son sort, se tourmenta toute la journée, n’y tenant pas et, la nuit venue, prit la clef des champs. Petit incident de nature à être classé sans retentissement, l’affaire avait pris subitement une tournure tout à fait imprévue. L’homme qui s’était montré récalcitrant fit l’objet d’un blâme public. Un sans-cœur, disaient certains. Un contre-révolutionnaire, renchérissaient d’autres. Il mérite un châtiment, opinaient d’autres encore.
Kim C
Kim C
Il avait hautement apprécié le fait que nous ayons hissé le drapeau de la révolution coréenne en opérant en sol étranger, et l’avait interprété comme la manifestation d’un vif esprit d’indépendance de notre part. De même, Kim C
«Bien que nous nous battions dans les troupes de Chinois, nous ne devons pas oublier la révolution coréenne. Celle-ci, personne d’autre que nous, ne la prendra en charge. Les Coréens eux-mêmes doivent la mener à bien. Il ne faut pas oublier la Corée.»
Sa vision de la révolution, du peuple, sa prise de position pour l’indépendance, ses approches pour l’édification du parti, de l’Etat, de l’armée, son point de vue sur la méthode et le style de travail et maints autres problèmes coïncidaient avec les miens.
Comme il se disait étonné que je connaisse tous les détails de ses activités, je lui dis que moi aussi, je suivais depuis longtemps ses actions.
Et lui de raisonner dans un sourire: «Si deux personnes qui ne se sont jamais rencontrées et, par conséquent, ne se connaissent même pas de vue, ont suivi attentivement les activités l’une de l’autre, et qu’elles aient ardemment désiré se rencontrer, il faut y voir la volonté du destin.»
J’étais d’accord.
Comme il était venu me trouver à Jilin dès l’été 1930, on pourrait dire que notre amitié date de cette époque-là.
Cadre supérieur de l’armée de guérilla de Mandchourie du Nord, doyen d’âge et de carrière, Kim C
Mais moi, je n’étais alors ni chef d’Etat ni secrétaire général d’un parti.
Pourtant, il m’avait toujours présenté aux Soviétiques ou aux Chinois comme représentant et dirigeant de la révolution coréenne.
Pourquoi me témoignait-il tant de confiance et tant de respect, à moi, son cadet de neuf ans? Certes, il doit y avoir à cela plusieurs raisons. Mais avant tout, Kim C
Après notre rencontre, il est devenu mon plus proche ami, et il m’a toujours soutenu avec un dévouement total.
Quelque tournure que prît la situation, il s’est toujours fié à moi et a œuvré loyalement à mes côtés.
De retour dans la patrie après la Libération, il a couru un peu partout pour la fondation du Parti, la création de l’armée, l’édification de l’Etat, la mise sur pied des industries sans un seul jour de repos.
Au temps de la guerre également, il s’est dépensé sans compter à droite et à gauche. Commandant du front, il est allé jusque dans la province du Chungchong. Se tenant la plupart du temps sur la première ligne, il sermonnait sévèrement mes hommes s’il apprenait que j’étais allé inspecter un secteur du front: «Vous n’êtes pas fous?
Vous vous rendez compte où vous êtes? Comment pouvez-vous laisser le camarade Commandant suprême pousser son chemin jusqu’ici?» Ceux qui m’avaient accompagné à Suanbo ont reçu ainsi une bonne admonestation de Kim C
A l’époque de nos activités à Jilin, c’était la nouvelle génération de communistes qui avaient fait de moi ce pivot de direction, et dans les années 1930 et dans la première moitié de la décennie suivante, c’étaient les combattants de la guerre antijaponaise, dont Kim C
Ainsi, au cours du combat qu’ils avaient mené me considérant comme axe de l’union, un noyau de direction s’est constitué au sein de la révolution coréenne, et Kim C
A l’époque, à notre base implantée dans la région extrême-orientale d’Union soviétique, se trouvaient réunis les partisans de Mandchourie du Nord, du Sud et les combattants originaires de cette partie de la Russie. Si chacun avait alors tenu à faire valoir son propre groupe au détriment des autres, et insisté sur ses propres idées au mépris de celles des autres, les révolutionnaires coréens n’auraient pas réalisé l’unité et la cohésion de leurs rangs, loin de constituer un centre de direction opérationnel.
Mais les communistes coréens n’avaient pas cédé à la tendance régionaliste ni à la tentation de se disputer l’hégémonie. Hommes purs et loyaux, ils étaient incapables de pareilles lâchetés. De plus, dès le début, les éminents vétérans, tels que Kim C
Voici un autre épisode attestant de la confiance totale que Kim C
Après la Conférence de Khabarovsk, Kim C
Kim C
Il ne savait pas que nous avions formé les forces alliées internationales et que nous travaillions désormais à hâter la victoire finale de la guerre contre les Japonais en accord avec les exigences de la situation qui évoluait rapidement. J’ai donc décidé de lui envoyer personnellement un télégramme.
A peine mon message reçu, il est rentré à la base en toute hâte sans plus s’obstiner. Les multiples messages du haut commandement de l’armée alliée n’avaient pas eu l’effet de mon télégramme personnel. Cela s’explique par sa confiance en moi: «Si le camarade Kim Il Sung me dit de retourner, s’était-il dit, il faut que je retourne sans condition.» Ainsi suivait-il mes suggestions et mes conseils de façon absolue.
Pendant son séjour à la base extrême-orientale soviétique, il a tout fait pour me mettre au premier plan, à la place d’honneur, et veiller à ma sécurité.
Au printemps 1941, alors que j’allais partir en mission à la tête d’un petit détachement, il s’est beaucoup préoccupé du choix de mon escorte.
Plus tard, nous préparions notre ultime offensive contre l’armée nipponne, quand Kim C
A peine les combattants de l’ARPC avaient-ils regagné la patrie après la Libération que Kim C
Plus tard, quand on organisera ma garde du corps personnelle, il jouera aussi un rôle d’animateur.
Une journée ne suffirait pas pour raconter tous les épisodes témoignant de son dévouement sans borne envers moi.
Dès le lendemain de la Libération, j’ai consacré beaucoup de temps à rencontrer les gens, à causer avec eux tout comme je le fais aujourd’hui. Je recevais des gens du peuple, des révolutionnaires de Corée du Sud, des étrangers: j’avais un emploi du temps surchargé. Nosaka Sanzo aussi avait passé par notre pays, peu après la Libération, pour retourner au Japon.
Des hôtes de marque venaient nous voir, mais nous n’avions pas où les loger ni de quoi les nourrir décemment. Pas un hôtel à la hauteur. La plupart du temps, faute de mieux, je les invitais chez moi à partager mon repas. Repas frugal s’il en est: un bol de riz et une assiette de soupe.
«Tant pis. Ce n’est pas notre faute. Le pays vient d’être libéré, et il faut passer par là.» Ainsi raisonnait-on sans trop s’en faire. Mais Kim C
Après la Libération, la plus réputée des eaux-de-vie dans le pays était celle de Ryonggang. Un vieux distillateur et sa fille la fabriquaient. Avant la Libération, c’étaient les hauts fonctionnaires et les riches japonais qui la consommaient.
Kim C
Ayant écouté son récit, le fabriquant d’eau-de-vie, fort touché, lui a dit: «Emmenez ma fille si l’Etat a besoin de quelqu’un qui s’y connaît.»
Ainsi Kang Jong Suk est-elle venue faire la cuisine pour Kim C
Elle s’est mise à installer son équipement de distillation tandis que Kim C
Quelques jours plus tard, il est venu me voir, avec à la main une bouteille d’eau-de-vie, celle de la première fabrication de chez lui. «Respecté Général, voici la célèbre eau-de-vie Ryonggang, fabriquée par Kang Jong Suk.»
Il en a rempli un verre à plein bord et me l’a offert.
La réputation dont jouissait le cru de Ryonggang n’était pas gratuite.
A mon appréciation «Excellente!», Kim n’a pas dissimulé sa joie et s’est écrié: «Tant mieux!»
Depuis, l’eau-de-vie Ryonggang fabriquée par Kang Jong Suk est servie aux banquets d’Etat.
Liés par cet événement, Kim C
Kim C
Sans Kim Il Sung, il n’y a pas de Kim C
La plus dure époque de la guerre de Libération de la patrie a été celle de notre retraite. «Repli temporaire, repli stratégique», disions-nous, mais ceux qui manquaient de foi croyaient à la mort de notre République.
Une fois Sariwon tombé, Kim C
Quelques jours plus tard, il m’a de nouveau téléphoné pour me prier de déplacer le siège du haut commandement.
Je lui ai répondu: «Vous avez longtemps contenu la poussée de l’ennemi; maintenant, repliez-vous.» Loin de là, il m’a fait parvenir sa carte de membre du Parti. Il était décidé à se battre au péril de sa vie.
Et moi de lui téléphoner: «Si vous ne revenez pas, je ne quitterai pas Pyongyang, moi non plus.» Alors seulement, il a regagné la capitale à la tête des troupes de défense. Il ne reprendrait sa carte que plus tard, lorsque l’Armée populaire passerait à la contre-offensive.
Certains disaient de lui que c’était un homme austère, sévère même. En effet, il s’est montré dur avec des individus de mauvaise foi, traînards, flagorneurs, rouspéteurs, égoïstes, carriéristes, fractionnistes, mais doux et modeste avec ses subalternes et les gens du peuple. En particulier, il ne supportait pas ceux qui caressaient des ambitions secrètes. Pak Hon Yong faisait preuve d’une grande réserve en sa présence. Kim Tu Bong, bien que président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême, évitait un tête à tête avec lui.
Kim C
Peu après la Libération, son fils, qui avait longtemps erré en Mandchourie, est venu le chercher en vieille chemise de grossière toile de chanvre à laquelle il ne restait que deux boutons, en sandales de paille. Kim C
Or, Kim C
En voyant Kim C
Retrouvailles dans les larmes après de longues années de séparation. Mais il ne vivrait avec ses enfants qu’un peu plus de quatre ans.
Kim C
Je l’ai vu pour la dernière fois le 30 janvier 1951 au haut commandement, à la commune de Konji. Ce jour-là, vers le soir, il est venu me voir sans se faire annoncer. Le motif: «Le 24 du mois précédent était l’anniversaire de la camarade Kim Jong Suk. Sachant bien que le camarade Président devait avoir le cœur gros, je n’ai pas trouvé le temps de venir vous consoler. Mais le mois de janvier touchant déjà à sa fin, j’avais mauvaise conscience: on ne peut pas laisser passer les choses de cette façon-là.» Et il s’est excusé d’être venu si tard.
«Le mois dernier, lui ai-je dit, vous et moi étions entièrement occupés à déloger les Américains du Nord de la Corée. Nous n’avons pas eu le temps de penser à nous rendre mutuellement visite. Ne vous en faites pas tant.»
Ce jour-là, il paraissait d’humeur plutôt sentimentale, ce qui était exceptionnel chez lui.
Il m’a proposé une promenade et nous avons flâné un moment en plein air. «Avant la guerre, je ne me suis pas douté qu’il y ait un endroit aussi beau chez nous. La guerre finie, on ferait bien d’y installer une maison de repos», a-t-il dit, et j’ai acquiescé. En effet, après la Libération, absorbés par le travail d’édification d’une patrie nouvelle, nous n’avions pas eu le temps de nous enquérir des endroits et des sites pittoresques appropriés au repos. Pour tout loisir, nous nous étions permis d’aller sous le pont Jangsuwon ou à l’embarcadère de Maekjon nous y tremper les pieds.
Je revois aujourd’hui encore Kim C
Je lui ai dit: «Vous vous surmenez trop. Prenez soin de vous, pourriez-vous tenir, en vous dépensant ainsi sans compter, portant des chaussettes trouées, au plus fort de l’hiver? Si vous pensez à moi, ménagez-vous, je vous en prie.» Et je lui ai donné une paire de chaussettes neuves.
Ce soir-là, Kim C
Voici ce qu’il m’a dit en me quittant:
«Respecté Général, laissez-nous le soin de combattre les Américains. Quant à vous, vous ne devez pas vous surmener.» Cette parole, la dernière qu’il m’a adressée, m’a singulièrement touché. J’en ai eu un pincement de cœur.
Cette nuit-là, Kim C
Quand Ri Pyong Nam, ministre de la Santé publique et chef du Département médical de l’armée, m’a annoncé sa mort, je n’ai pu en croire mes oreilles. Comment ça, lui qui causait avec moi il y a quelques heures encore n’est plus de ce monde? Mais non, c’est impossible! Passant outre aux prières de mes gardes, j’ai sauté en voiture et roulé, en plein jour, jusqu’au siège du Conseil des ministres, où je n’ai pu que constater la réalité du rapport de Ri Pyong Nam.
J’ai vivement regretté de ne pas l’avoir retenu chez moi pour dormir cette nuit-là. S’il était resté à mes côtés, il n’aurait pas veillé et aurait peut-être évité l’attaque cardiaque.
Un autre remords lancinant: je n’ai pas su partager mon dîner avec lui ce soir-là. Certes, un repas frugal n’aurait pas de quoi alléger ma peine, mais ce petit fait me reste sur le cœur aujourd’hui encore.
Je ne peux me rappeler ce qui s’est passé le jour de ses funérailles.
Le seul fait que je retienne c’est de lui avoir pris les mains et de les avoir gardées longtemps dans les miennes, en guise d’adieu, avant que l’on transporte sa dépouille.
Ses mains, je les avais saisies et secouées longuement la première fois à Khabarovsk il y avait dix ans. La douce chaleur qu’elles m’avaient alors communiquée, je l’ai ressentie longtemps par la suite. Mais ce jour-là, ses mains étaient glacées. Chaque fois que je revenais de ma tournée d’inspection dans les provinces, c’était lui qui courait le premier au-devant de moi et me saisissait les mains dans les siennes avec un élan de joie manifeste.
Kim C
Chaque fois que notre révolution se heurte aux épreuves et aux difficultés, je pense à lui malgré moi et je le regrette.
Comme je l’ai déjà dit, je ne vais jamais sur sa tombe en voiture, ce que je trouverais inconvenant. Je descends de voiture au pied du mont Taesong et poursuis à pied.
Qu’il ne soit plus de ce monde, mon amour et mon estime pour lui demeurent inchangés.
Au cours de mon long combat pour la révolution, j’en ai vu de toutes les couleurs et j’ai appris beaucoup de choses. Mais ce qui me tient le plus à cœur, c’est l’expérience que j’ai faite de la valeur des camarades.
Ce qu’il y a de plus précieux au monde pour celui qui s’embarque sur le chemin de la révolution, déterminé à tout braver pour la libération du peuple, ce sont les camarades, c’est la solidarité qui les unit. Un bon camarade, c’est un second moi. L’homme ne trahit pas le moi. Avec des camarades loyaux et dévoués, on peut avoir raison de tout, même du ciel, grâce à leur force d’union. J’aime dire: qui se fait beaucoup de camarades peut acquérir l’univers, mais qui s’aliène des camarades perd tout.
Le terme de camarades désigne en coréen ceux qui partagent une même pensée, c’est-à-dire un même idéal. Les rapports basés sur les intérêts immédiats ou les calculs momentanés ne peuvent durer. Seuls les rapports d’amitié et de camaraderie cimentés par l’identité de vue et de volonté peuvent durer éternellement. Ni balle ni échafaud ne peuvent faire quoi que ce soit contre ce genre de rapports.
La révolution coréenne a enfanté un grand nombre de combattants, qui brillent par leur noblesse d’âme, leur fidélité et leur dévouement sans borne envers le dirigeant. Ils sont là nombreux autour de nous, telle une galaxie autour du soleil.
Après le décès de Kim C
J’espère que les sites et les établissements portant son nom se tiendront toujours aux premiers rangs de la marche dans la construction du socialisme.
Kim C
Nombreux sont encore, chez nous, ceux qui ont travaillé avec lui et vous devriez faire tout votre possible pour ne pas laisser perdre la peine que Kim C
3. Nouveau printemps en sol étranger
Au musée de la révolution coréenne, tout visiteur s’arrête longtemps devant une photo. Celle qui porte la note: «Nouveau printemps en sol étranger». L’écriture est dégagée et dynamique: celle du Président Kim Il Sung.
Un jour, en visite à ce musée, le Président dit: «C’est une des plus précieuses photos pour moi.»
Chaque fois qu’il évoquait son combat contre les Japonais, il parlait de Kim Jong Suk. Ainsi, la plus proche, la plus chère amie et inoubliable compagne d’armes du Président, Kim Jong Suk vivait toujours dans sa mémoire.
On a pris cette photo lorsque nous étions au camp sud. Ce camp a servi un temps de base provisoire aux unités de l’ARPC et à la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées. Connu aussi sous le nom de camp B, il se trouvait près de Vorochilov.
J’y ai passé un hiver avant d’aller diriger les opérations de nos petits détachements en Mandchourie et en Corée. Puis ce fut la guerre soviéto-allemande, suivie de près par la guerre du Pacifique. La situation se détériorait rapidement, et nous avons formé, avec des troupes des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est de la Chine et des troupes soviétiques, l’Armée alliée internationale, et sommes allés dès l’été 1942 nous installer au camp nord. Cette base, appelée couramment camp A par les anciens combattants de la guerre antijaponaise, se trouvait aux environs de Khabarovsk.
Je suis allé au camp sud à l’issue de la Conférence de Khabarovsk.
C
Un peu à l’est passait une ligne de chemin de fer, reliant Khabarovsk à Vladivostok, je me rappelle la petite gare.
Une fois installés au camp sud, les hommes de l’ARPC se sont attelés aux travaux de construction. Ils ont bâti des dortoirs supplémentaires, des logements, des entrepôts, une cantine, des toilettes et autres services. Les dortoirs étaient semi-souterrains et les lits étaient superposés tout comme on en voit aujourd’hui dans les casernes de l’Armée populaire. Nos hommes ont beaucoup peiné pour la construction. La caserne avait aussi une vaste cour.
Pendant notre séjour dans ce camp, nous avons préparé les opérations de petits détachements en Corée et en Mandchourie et avons consacré beaucoup de temps à l’étude politique.
C’est alors que la plupart de nos hommes ont fait connaissance avec le cinéma.
Nous n’avions plus à nous inquiéter pour l’alimentation: deux cents grammes de pain tranché mince par personne et par repas. Au début, nous avions du mal à le manger. Cuisine étrangère, peu dans nos goûts; de plus, les mets de qualité médiocre avaient coupé l’appétit à la plupart de nos hommes.
Un camion de ravitaillement faisait la navette entre le camp et la ferme agricole d’appoint du voisinage et nous approvisionnait en denrées accessoires.
Un Soviétique le conduisait, et Ri O Song, brûlant d’apprendre à conduire, le suivait comme son ombre; il l’a souvent accompagné à la ferme agricole, et a fini par apprendre les rudiments de la conduite. Et aussi à boire, le Soviétique devant être un grand amateur de bouteille.
Après la Libération, Ri O Song a pu conduire une voiture grâce à cet apprentissage.
Il raffolait de l’automobile. Or, un jour, pendant qu’il conduisait ma voiture, il a frappé une palissade, et mes camarades ont mis le holà à sa passion en lui interdisant de s’asseoir au volant.
Les camarades soviétiques qui avaient été avec nous au camp sud étaient venus nous voir à Pyongyang après la Libération. L’ancien chauffeur du camion de ravitaillement était du nombre et a retrouvé son ancien ami, Ri O Song.
Nous avons accueilli le printemps 1941 dans la région extrême-orientale soviétique après y avoir passé un hiver, et ce printemps-là me reste à jamais gravé dans la mémoire.
L’an 1941 a été riche en graves événements non seulement dans notre révolution, mais aussi sur l’échiquier mondial.
En juin, attaque de l’Union soviétique par les troupes hitlériennes; en décembre, raid nippon sur Pearl Harbor, qui marqua le début de la guerre du Pacifique.
L’année 1941 a vu s’abattre sur l’humanité une avalanche de calamités incommensurables. La civilisation, fruit de plusieurs millénaires de labeur de l’homme, volait en éclats, s’envolait en fumée sous la furie des chars d’assaut et des canons. Ce fut l’année de grands martyres de l’humanité, celle de terribles conflagrations universelles.
Or, la guerre soviéto-allemande, la guerre du Pacifique, tout ça était encore à venir. Nous avons accueilli le nouvel an 1941 avec joie, espoir et optimisme, très confiants dans le lendemain. Le grand moment approchait où les révolutionnaires coréens pourraient enfin réaliser la haute mission et le devoir sacré qu’ils assumaient devant l’époque et l’Histoire, devant la patrie et le peuple.
Ce printemps-là, j’ai préparé les projets d’action de nos petits détachements et les plans d’opérations conjointes avec les troupes alliées. Une fois les grandes lignes établies, j’en ai discuté longuement avec mes camarades, dont Kim C
Nous avions décidé, à l’issue de la Conférence de Khabarovsk, d’expédier nos détachements en Corée et en Mandchourie, et je m’apprêtais à en conduire un moi-même.
Comme le jour du départ approchait, Kim Jong Suk nous a aidés, mes compagnons et moi, à terminer les préparatifs.
Elle et moi étions déjà mariés.
Nous nous étions connus dans le feu du combat pour la révolution: nous avions escaladé ensemble les escarpements du mont Paektu; nous avions partagé joies et souffrances; et devenus proches amis et camarades, nous avions décidé d’unir nos destins.
C’est autour de la Conférence de Dahuangwai que je l’ai vue pour la première fois. Je suis allé, pendant ou peut-être après la conférence, à Sandaowan, dans le district de Yanji, plus précisément à Nengzhiying où siégeait le secrétariat du parti où Kim Jong Suk travaillait. Je l’ai vue à Nengzhiying, dans le local de la réunion du personnel de ce secrétariat.
Plus tard, je la reverrais au mont Maan où elle était venue rejoindre notre armée. Elle et Kim Myong Hwa m’avaient accueilli à Manjiang, et Kim Jong Suk m’avait laissé une forte impression. Ce jour-là, elle et moi avions causé longtemps et, de son récit, j’ai appris qu’elle avait perdu tous les siens et était restée seule au monde sans appui ni protection. Elle n’avait que ses compagnons d’armes à qui se fier et s’en remettre pour son sort.
Depuis, elle s’est toujours battue à mes côtés.
Peu après l’arrivée de Kim Jong Suk dans notre troupe a eu lieu la bataille du chef-lieu du district de Fusong, et elle y a fait brillamment ses preuves, montrant sans réserve son courage et sa perspicacité.
Si j’étais sorti sain et sauf de cette bataille, c’était grâce à elle, une bataille furieuse où l’on se battait de part et d’autre avec un grand acharnement. Kim Jong Suk, aidée de sept ou huit partisanes, préparait le petit déjeuner de la troupe, un peu à l’écart du champ de bataille, dans une espèce de goulet. Il se trouvait là une chaumière où l’on pouvait cuisiner, assez en sécurité, la fumée qui montait n’étant pas visible d’ailleurs.
Mais voilà que l’ennemi fonçait de ce côté-là. Le moment était critique. Si le goulet tombait entre ses mains, notre troupe serait prise par devant et par derrière. Kim Jong Suk perçoit tout de suite le danger; sans perdre un instant, elle sort son mauser et tire une rafale sur les assaillants, suivie par ses camarades. Heurté à une riposte fulgurante de nos partisanes et incapable d’y faire front, l’ennemi tourne les talons et s’enfuit laissant derrière de nombreux morts.
Ce fait d’armes a valu à Kim Jong Suk une affection et une estime accrues.
Tout au long de cette année, nous avons opéré dans la région de Changbai, puis, l’année suivante, en mars, nous sommes partis en expédition à Fusong.
Comme je l’ai dit en plusieurs occasions, ce fut une de nos plus dures campagnes. Il a fallu que je me raidisse, moi aussi, de toutes mes forces, pour ne pas succomber aux rudes épreuves physiques qu’elle nous imposait. La nuit, tous mes hommes sombraient dans un sommeil lourd et profond, écrasés par la fatigue.
Cependant, Kim Jong Suk ne dormait pas. Elle veillait et recousait, à la lueur d’un feu de bivouac, les vêtements déchirés de ses camarades. Les vêtements s’usaient rapidement et se déchiraient souvent, notre chemin étant escarpé et abrupt. Ma Tong Hui, alors frais enrôlé, participait lui aussi à cette expédition, et il laissa brûler, par mégarde, un coin de sa casquette au feu de camp; Kim Jong Suk l’a réparée si habilement qu’elle paraissait toute neuve.
Comme j’ai pu le constater encore, quelle que fût la tâche dont elle s’occupait, elle y mettait du cœur et l’accomplissait de façon irréprochable. Cette nuit-là, en la voyant prendre sur son sommeil pour raccommoder les vêtements des autres, j’étais ému et saisi d’admiration.
Qu’est-ce que j’admirais?
L’altruisme dont elle faisait preuve. Elle tenait à venir en aide aux autres plus qu’à se reposer. Alors seulement elle avait la conscience tranquille.
Les petits faits de ce genre que j’ai remarqués dans sa vie m’ont permis de pénétrer sa personnalité de femme. C’est pourquoi, quand les commandants l’ont recommandée pour une mission clandestine à Taoquanli, j’ai consenti sans même prendre la peine de réfléchir.
En effet, une fois sur les lieux, elle a mené à bien de multiples tâches à Taoquanli et à Sinpha. C’est aussi alors que j’ai remarqué chez elle de grandes capacités et un parfait savoir-faire de révolutionnaire.
Elle possédait à la perfection l’art d’inciter, de sensibiliser et de mobiliser les masses. Quand elle a été arrêtée par l’armée Chingan, la population de l’endroit a déposé à la police un «certificat de bonnes mœurs» sur son compte, signé par plusieurs centaines de personnes, témoignage éloquent de l’estime et de la confiance qu’elle inspirait.
Comment avait-elle gagné l’appréciation générale?
Elle avait travaillé dur, sans se ménager, prête à tout sacrifier. Quel que fût le travail, elle payait de sa personne et ne reculait devant rien, décidée à tout braver, même la mort. Et cette fermeté, ce courage lui permettaient souvent de sortir saine et sauve même des pires dangers.
Elle vouait un amour ardent aux êtres humains. Elle acceptait volontiers peine et sacrifice pour les autres. S’il s’agissait du bien de ses compagnons de lutte, elle n’hésitait pas à se jeter au feu et à l’eau. Tel était son tempérament.
Sur notre chemin de retour après un raid à Liudaogou en avril 1938, nous avons rencontré l’ennemi dans une localité nommée Shangshanzi. Le combat fut acharné et j’ai dû, moi-même, empoigner une mitrailleuse pour faucher les attaquants. L’ennemi se jetait sur nous de tous côtés. Nous nous trouvions pris littéralement dans une souricière. Nous nous battions sans pouvoir reprendre haleine, ni même manger.
En plein combat, je sentis tout à coup quelque chose de chaud à mon flanc; je tâtai et je découvris dans ma poche des raviolis. Je regardai autour: Kim Jong Suk parcourait le champ de bataille en distribuant des raviolis à nos combattants.
Ce jour-là, nous nous sommes battus en mangeant ces raviolis qu’elle avait glissés dans nos poches.
La cuisine était installée dans un précipice, au bord d’une source, et je ne sais comment elle a pu gravir l’escarpement ainsi chargée de victuailles.
Ainsi, pour faire manger à temps nos combattants, n’avait-elle pas hésité à courir sous les balles. Mais, elle-même, la plupart du temps, restait sur sa faim.
Un temps, la provision de riz épuisée, on n’a eu à manger que des pommes de terre. A force d’en manger, on s’en dégoûte et perd l’appétit. Chagrinée de ne pouvoir servir que des pommes de terre pendant plusieurs jours, Kim Jong Suk s’est beaucoup creusé la tête pour en apprêter des mets appétissants et savoureux. Elle en moulait, pour obtenir l’amidon, et en confectionnait des crêpes ou des petits pains farcis de légumes sauvages qu’elle avait cueillis et sautés. Son zèle a fini par redonner l’appétit à nos hommes.
Toute sa vie, elle l’a consacrée non à son propre confort mais exclusivement au bien des autres, à celui de ses camarades. Cela est vrai. Sa vie a débuté dans le souci de ses camarades et amis; elle s’est écoulée dans l’attachement constant à eux. Cela a fini par faire d’elle une illustre révolutionnaire qui incarnait la haute moralité communiste. Toute sa vie, elle l’a vécue pour le compte de ses compagnons d’armes, du peuple et de la révolution.
D’âme élevée, elle ne connaissait pas ce qu’était le moi.
Peu importe que j’aie faim, froid, mal, pourvu que mes camarades ne souffrent pas. Je donnerais volontiers ma vie si je pouvais sauver mes camarades en péril. Telle était sa vision de la vie.
Pour comprendre quel amour elle vouait à ses camarades, il suffirait d’entendre ce récit au sujet d’une couverture de laine.
Tout récemment, So Sun Ok, ancienne compagne d’armes de Kim Jong Suk, est venue de Yanji en Chine me voir à Pyongyang. Elle a apporté avec elle une couverture de laine et des jumelles. Jadis elle avait servi dans la troupe principale de l’ARPC, dans l’équipe de cuisiniers du Quartier général. Son mari, Kim Myong Ju, un temps officier dans la même troupe, largement connu sous le surnom de «Prison de Yanji», avait servi dans le 7e régiment quand nous opérions à Fusong.
C’est C
Kim Jong Suk aimait beaucoup So Sun Ok. La nuit, au bivouac, elle dormait, prenant dans ses bras et sous une même couverture la jeune fille, sa cadette de plusieurs années. Elles étaient les seules femmes du personnel de service auprès du Q.G.
La couverture de laine que So Sun Ok nous avait apportée était celle-là même de Kim Jong Suk. Celle-ci la portait toujours, attachée à son havresac. Son sac, énorme, constamment plein à craquer, cachait son visage, mais à la vue de cette couverture, je devinais que c’était elle.
Kim Jong Suk avait donné cette couverture à So Sun Ok lorsqu’elle partit pour rejoindre un petit détachement à sa base. Kim Myong Ju et Hyon Chol s’y trouvaient alors. So s’y marierait plus tard avec ce premier.
Le jour de son départ, So Sun Ok a beaucoup pleuré, accrochée aux bras de Kim Jong Suk. La séparation attristait les deux femmes d’autant plus qu’elles avaient été de très proches compagnes.
Kim Jong Suk était malheureuse de n’avoir rien trouvé à lui donner comme souvenir.
Faute de mieux, elle avait pris sa couverture et, la mettant dans le sac de sa jeune amie, avait dit: «Voilà en souvenir de notre amitié. Elle n’est pas neuve, mais prends-la comme marque d’affection, ma cadette chérie.» Un demi-siècle après, cette couverture est réapparue devant moi.
Je l’ai reconnue à première vue. Quant aux jumelles, c’étaient celles que j’avais données jadis à Kim Myong Ju.
Si Kim Jong Suk avait alors eu un objet plus précieux, elle le lui aurait donné sans hésiter et avec plaisir. Elle disait souvent: j’aime mieux donner que recevoir. C’est-à-dire qu’elle préférait prendre soin des autres plutôt que de bénéficier de leur attention. Telle était sa philosop
Son attachement aux camarades s’est traduit de la façon la plus intense dans son dévouement total envers moi. Le dévouement à son commandant a aussi pour origine, on peut dire, l’affection pour ses compagnons d’armes.
Une année, il nous est arrivé, étant à court de vivres, de soutenir un combat en sautant plusieurs repas de suite. Sur le champ de bataille, je dirigeais l’action lorsque, tout à coup, je sentis une main se glisser dans ma poche. Je tournai la tête et vis Kim Jong Suk. Après le combat, je sortis ce qu’elle y avait mis: dans un morceau de papier enroulé, je découvris des pignons.
J’ai demandé à Kim Jong Suk où elle les avait obtenus, et, en guise de toute réponse, elle a eu un sourire silencieux. Plus tard, de la bouche des autres partisanes, j’ai appris qu’elle avait grimpé elle-même dans les pins pour en cueillir des pommes.
Kim Jong Suk m’a tiré plusieurs fois de dangers mortels. Toujours sur le qui-vive, elle était prête à risquer sa vie pour me protéger.
Lors d’un combat livré dans la vallée de Dashahe, je me trouvais un moment exposé à un grave danger. Un groupe de soldats ennemis s’approchait subrepticement de mon côté, alors que, entraîné dans le feu de l’action, je dirigeais le combat sans m’en apercevoir.
N’était Kim Jong Suk, j’aurais sûrement frôlé la mort. Kim Jong Suk a bondi et, faisant de son corps un pare-balles devant moi, a tiré farouchement sur les ennemis et leur a fait mordre la poussière. De cette façon, elle m’a tiré plusieurs fois du péril.
La pelisse ouatée que j’ai portée pendant des années dans la montagne était aussi son ouvrage. Elle avait entendu dire quelque part que la balle avait du mal à traverser l’ouate de soie; elle s’était mise à en ramasser brin par brin jusqu’à ce qu’elle pût en confectionner une pelisse pour moi, cousue à la main pendant plusieurs nuits. Et voyant enfin que la pelisse m’allait comme un gant, elle ne se tenait plus de joie.
La pelisse m’a rendu de grands services: au bivouac, que je veille ou dorme, j’étendais d’abord à terre la peau de cerf que je portais avec moi et puis me couvrais de cette pelisse. Alors je ne sentais plus le froid.
Aujourd’hui, les femmes semblent moins aimer tricoter. Le temps étant à la machine, elles dédaignent le travail à la main. Or, chaque fois que je vois des tricots, je me souviens de Kim Jong Suk. Elle a beaucoup tricoté pour moi. Chargée de faire la cuisine, elle était très occupée, mais on la voyait souvent avec un livre ou un tricot entre les mains. Je ne sais vraiment pas comment elle en trouvait le temps ni comment elle obtenait de la laine à tricoter.
Dans la montagne, il n’était guère facile de s’en procurer. Même pour obtenir des aiguilles il fallait combattre. Or, inquiète pour ma santé, comme elle me voyait passer la quasi-totalité de l’année dehors, dormant à la belle étoile, mangeant en plein air, toujours en route ou au combat, elle a eu soin de me confectionner une pelisse, des ventrières ouatées et, chaque année, une paire de chaussettes de laine.
J’avais le cœur gros et mauvaise conscience à la voir tant travailler pour moi, et je lui ai demandé un jour où elle se procurait la laine. Sans répondre, elle n’a fait que sourire. Je lui ai alors demandé si elle avait pour elle des bas de laine. Toujours le même sourire aux lèvres, elle se taisait; comme j’insistais, elle a répliqué enfin comme à contrecœur: «Mon Général, vous êtes destiné à accomplir de grandes œuvres; vous pouvez passer outre à ce genre de détail.»
Après la Libération également, elle a souvent tricoté pour moi. Quand elle voyait mes chaussettes usées, elle les défaisait au lieu de les raccommoder, enroulait la laine en pelote puis en tricotait de nouvelles. Elle passait une nuit blanche et, le lendemain matin, elle mettait la paire de chaussettes neuves au pied de mon lit. Elle pouvait certes acheter au magasin ou au marché des chaussettes de meilleure qualité, mais elle ne voulait pas le faire souvent. Une fois qu’elle en avait acheté une paire, elle la défaisait au fur et à mesure de son usure, puis la refaisait, ce jusqu’à ce que le fil, fatigué et râpé, devienne inutilisable.
Elle tenait à me voir porter les chaussettes de sa propre confection. Tel est le cœur de la femme, je crois.
Une fois, touché de son dévouement exceptionnel, je me suis fâché malgré moi. C’était l’hiver. Elle a lavé mes vêtements et les a fait sécher à la chaleur de son corps. Elle avait pris soin de le faire à l’insu des autres, mais les partisanes à ses côtés s’en sont aperçues et, touchées par son zèle, en ont parlé avec émotion.
Mis au courant de ce fait surprenant et inouï, je l’ai fait venir au Q .G. La voyant entrer, le visage bleui, grelottant de froid, j’ai senti une boule chaude monter à ma gorge. Faire sécher mes vêtements en les portant en son sein, même ma mère n’avait pas eu l’idée de le faire, mais elle... Les paroles me manquaient pour exprimer ce que je ressentais.
Prête à tout endurer pour moi, elle s’était donné sans hésiter cette peine incroyable. Cet attachement, ce dévouement étaient, pensais-je, l’attachement d’une révolutionnaire à son chef, l’amour ardent d’une femme pour l’homme Kim Il Sung.
«Camarade Jong Suk, merci. Je ne peux que m’incliner devant vous, pour votre profonde sollicitude envers moi et je vous en saurais gré éternellement. Mais vous imposer un mal aussi cruel, c’est trop. Vous y êtes allée sans penser à vous, en risquant de vous enrhumer. Aurais-je le cœur léger si je devais jouir du confort au prix de tels sacrifices de votre part? Non. Il ne faut pas répéter ce geste.»
Elle a alors répliqué avec un sourire.
«Ce n’est pas une peine pour moi. Pourvu que vous vous portiez bien, peu m’importe le reste.»
Bien que je me fus montré fâché avec elle, après l’avoir congédiée, j’ai versé des larmes. Le souvenir de ma mère m’est spontanément revenu à l’esprit. Le dévouement de Kim Jong Suk se confondait, dans mon esprit, avec la tendresse que ma mère avait voulu m’accorder sans pourtant pouvoir le faire, ayant quitté trop tôt ce monde.
Kim Jong Suk, transie, gelée par mes vêtements trempés, se mordant pourtant les lèvres pour ne pas trahir sa souffrance; cette image, je ne pourrai jamais l’oublier.
Plus tard, elle a souvent encore fait sécher mes vêtements et mes sous-vêtements de la sorte. Ainsi peut-on dire que c’est corps et âme qu’elle m’a protégé des balles, de la pluie, de la neige, du froid et de la maladie.
Nos historiens écrivent: les combattants de la guerre contre les Japonais ont parcouru un chemin inouï jamais foulé auparavant, c’est juste. Ils ont frayé un chemin inexploré, dégagé un horizon nouveau jamais imaginé au niveau de la révolution et de l’amour. La vie a été extrêmement dure, mais l’amour est éclos, d’une beauté splendide, même au sommet de l’austère mont Paektu couvert de lave refroidie.
Il y a amour et amour. L’amour entre parents et enfants, la tendresse des amoureux et des époux, l’affection entre maître et disciple, l’amitié entre camarades et amis. Or, ce qui importe dans tous ces amours humains, c’est la volonté de dévouement.
Qu’importe que j’aie faim, froid ou mal, pourvu que celui que j’aime ne souffre pas. Je me jetterais au feu, je monterais sur l’échafaud, je plongerais dans l’eau glacée, si je pouvais par là même assurer la sécurité et le bien-être de mon ou de ma bien-aimée. Seuls une telle volonté de dévouement, un tel esprit de sacrifice peuvent donner naissance à un amour authentique, beau et noble.
Quand je suis allé à Mangyongdae après la Libération, mes grands-parents et proches m’ont mitraillé de questions: «On dit que tu t’es marié pendant que tu te battais dans la montagne. Quand, où et comment s’est déroulée la cérémonie? Qui étaient les garçons et les demoiselles d’honneur? Qui a organisé le festin de noces?», etc.
J’étais à court de réponse; j’avais la gorge serrée, ne pouvant leur dire la vérité, car ce faisant, je les aurais affligés.
Quand nous nous battions dans la montagne, nous n’avons pas connu ce qu’était un banquet nuptial. Nous menions une vie dure, une vie de grandes privations; comment aurions-nous pu penser à un festin de noces ou un dîner d’anniversaire, alors que nous n’avions pas encore recouvré l’indépendance du pays, ne nous étions pas lavés de l’opprobre d’être des esclaves sans patrie? Personne d’entre nous n’a pensé à un tel luxe alors bien déplacé et inconvenant.
Dans l’armée de guérilla, le mariage était bien simple. On proclamait le mariage de deux personnes devant les partisans. C’était tout. Inimaginable que de mettre un habit de noce ou de s’offrir un festin comme le font aujourd’hui les jeunes. Dans le meilleur cas, c’était avec à peine un bol de riz qu’on célébrait. S’il n’y avait pas de riz, c’était avec de la bouillie, des pommes de terre ou du maïs. Cependant, personne ne maugréait; bien au contraire, tout le monde considérait cela normal et bienséant.
Les nouveaux mariés continuaient à servir séparément dans leurs compagnies ou sections respectives. Les commandants ne faisaient pas exception. Certains d’entre eux, sitôt après leur mariage, ont dû partir pour le combat et sont tombés au champ d’honneur et d’autres encore ont dû se séparer pour aller chacun de son côté remplir sa mission.
Le jour de mon mariage, mes camarades se sont beaucoup efforcés de préparer une célébration, mais en vain. Toute l’armée souffrait alors de la disette; de quoi aurait-on pu préparer un repas de noces?
Kim Jong Suk et moi, nous sommes mariés sans pompe ni même cérémonie mais je ne peux oublier ce jour. Kim Jong Suk aussi en a parlé plus d’une fois.
Les jeunes de la nouvelle génération pourraient hocher la tête, ayant du mal à croire à la véracité de mon récit, mais à l’époque, il ne pouvait en être autrement. Nous nous sommes tous mariés de cette façon.
Or, c’était alors notre mode de vie. Nous endurions volontiers peines et souffrances pour forger un bel avenir, c’est plutôt de là que nous tirions la joie de vivre. Ainsi pensaient les combattants de la guerre antijaponaise qui ont tout supporté sans murmurer afin de préparer le bien-être de la postérité et d’édifier cette patrie nouvelle que vous voyez aujourd’hui.
Quand j’étais au camp secret du mont Paektu, puis à la base d’entraînement de la région extrême-orientale de l’Union soviétique, je me suis souvent dit: je ne manquerai pas, une fois le pays libéré, de célébrer avec éclat le mariage de mes camarades. Mais quand le pays a enfin été libéré, je n’ai pu tenir ma parole en dépit de mon ardent désir: le peuple libéré vivait encore mal, souffrant de pénurie alimentaire.
Au lendemain de la Libération, Jang Si U était venu se plaindre à moi: «Un ancien combattant de la guérilla avait détourné des fonds du comité du parti du Phyong-an du Sud pour célébrer le mariage d’un particulier. Comment peut-on agir ainsi?» Je lui ai demandé qui était l’auteur de cette malversation, et il a nommé Kim Song Guk.
Sur-le-champ, je l’ai convoqué, et ordonné à Ri Ul Sol de le désarmer, puis je lui ai demandé: «De quel droit as-tu osé puiser à ta guise dans le fonds du parti de la province?»
Retenant ses sanglots, il a répondu: «Son Jong Jun se marie et je voulais lui faire faire un habit et lui offrir de la literie et aussi un dîner. Il n’a ni parents ni proches. Qui donc, sinon nous, s’occupera de son mariage?»
Tout de même, je l’ai grondé sévèrement: «Moi aussi, je ne souhaiterais pas mieux que le lui faire. Mais la situation du pays ne nous le permet pas. N’avons-nous pas célébré des mariages naguère encore avec à peine un bol de riz? Si tu t’en étais souvenu, tu n’aurais pas pensé à tendre la main au parti. Le pays reste pauvre. Regarde autour de toi, et conduis-toi bien de façon à mériter l’estime dont jouissons nous autres partisans de la guerre antijaponaise.» Ainsi lui ai-je administré une bonne semonce, avant de le congédier. Mais j’avais des pincements au cœur. Il avait voulu célébrer de façon décente le mariage de son camarade avec qui il avait tout partagé, joies et souffrances, pour la révolution. Je comprenais son intention, je trouvais belle sa moralité.
De retour dans la patrie, beaucoup de partisans se sont mariés sans pompe. Et cela me reste toujours sur le cœur. Le sachant, le camarade Kim Jong Il prend soin d’organiser un banquet et d’envoyer des cadeaux aux anciens combattants à l’occasion de leur 60e ou 70e anniversaire.
Or, Kim Jong Suk n’a même pas eu la chance de jouir de cette joie tardive. Elle nous a quittés à peine ses 30 ans passés ne laissant derrière elle que la photo que voici, qui la montre avec moi, et qui a été prise tout à fait par hasard grâce à mes camarades.
Un jour où nous nous préparions à partir avec un petit détachement, mes camarades sont venus me trouver; ils m’invitaient à sortir pour me faire photograp
J’ai enfilé ma tunique et je suis sorti. Dehors, C
Je suis allé m’adosser à un arbre plein de sève, flanqué de mes camarades, et on nous a photographiés. Ce fut une photo souvenir de nos retrouvailles au camp sud après de longues années, et aussi une photo souvenir de notre nouvelle séparation, chacun devant aller opérer à la tête d’un petit détachement.
Les autres camarades aussi se sont fait photograp
Sur ces entrefaites, des partisanes en ayant eu vent ont accouru, clamant qu’elles voulaient aussi se faire photograp
A cette demande, Kim Jong Suk a rougi et couru se cacher derrière ses camarades, mais celles-ci, inexorables, l’ont poussée de force vers moi. Effarée dans sa pudeur, Kim Jong Suk, un moment, ne savait où donner de la tête. Mais enfin, résignée, elle est venue poser à mes côtés, esquissant un sourire timide.
Sans perdre de temps, le photographe a déclenché l’obturateur.
La première fois que je me faisais photograp
A l’époque, nous étions en pleine force de l’âge, vigoureux et dynamiques, nous caressions mille projets et rêves pour l’avenir et nous riions aux grands éclats à la moindre chose. Bien que nous accueillions le nouveau printemps à l’étranger, nous étions pleins de confiance, de conviction et d’allant.
Pour Kim Jong Suk et moi, c’était un printemps inoubliable, le premier depuis notre mariage.
Pour le marquer à jamais, j’ai noté au verso de la photo: «Nouveau printemps en sol étranger. Le premier mars 1941 au camp B.»
Jamais nous n’avions imaginé que cette photo aurait une place dans l’Histoire, exposée dans un grand musée. Nous nous sommes battus plus de vingt ans contre les Japonais; or, nous n’avons pas pris beaucoup de photos et je le regrette bien.
Je sais donc un gré infini à ceux qui nous avaient alors invités à nous faire photograp
Kim Jong Suk portait d’ordinaire les cheveux relativement courts comme les autres partisanes. Mais sur cette photo, on ne voit pas très bien sa coiffure. Elle avait relevé et caché ses cheveux sous la casquette et pour cause.
Ce printemps-là, je me suis enfin mis en route à la tête d’un petit détachement pour aller opérer en Mandchourie et en Corée. Passé la frontière soviétique, nous avancions par la région de Hunchun quand, tout à coup, j’ai senti de la chaleur à mes pieds. Je la croyais devoir à la marche, mais par la suite j’ai senti, à la plante des pieds, quelque chose de doux moelleux et chaud. Intrigué, j’ai enlevé les souliers et j’y ai découvert une paire de semelles tressées de cheveux.
Je me suis alors rappelé que Kim Jong Suk, étrangement, n’avait pas voulu ôter sa casquette, même dans la chambre, et j’ai compris: elle s’était coupé et aminci les cheveux et en avait confectionné des semelles pour moi. Puis, craignant que l’on ne voie sa tête, elle avait eu soin de ne pas enlever sa casquette.
A présent, de tous ceux qui s’étaient alors fait photograp
L’arbre auquel An Kil, C
Je ne sais pas ce qu’il est advenu du camp sud. L’envie me prend souvent d’aller voir.
Après la Libération comme avant, Kim Jong Suk a fait tout ce qui était en son pouvoir pour m’aider.
Quels soins attentifs elle m’a prodigués! Le faux-col qu’elle changeait régulièrement à ma tunique, elle le lavait, l’amidonnait, puis le foulait à coups de maillet de sorte que le col empesé ne soit pas raide au toucher. Un col empesé et repassé au fer devient rigide; il peut irriter la chair et gêner le mouvement du cou.
Par ailleurs, Kim Jong Suk choisissait avec soin le moment de cette opération: seulement en mon absence, de peur que le bruit de son maillet ne me dérange dans mon travail.
Je vais raconter un autre anecdote témoignant de ses soins infinis envers moi.
A la veille de la libération du pays, je suis allé à Moscou participer à la discussion sur les opérations à engager contre les Japonais.
Une nuit, dormant à l’hôtel pour hôtes étrangers, j’ai fait un rêve: Kim Jong Suk m’accueillait dans une vaste pièce garnie d’une riche bibliothèque. Elle me disait: «Voici des livres pour vous. Choisissez à votre goût et lisez tout votre content. Avec un aussi grand nombre de livres, camarade Commandant, vous pourrez lire à votre souhait toute votre vie.»
Au réveil, j’ai raconté mon rêve à mes camarades qui déclarèrent que ce rêve présageait la présidence d’Etat pour moi. Et ils ont mis un bon moment à commenter le rêve avec de grands mots en plaisantant puis en concluant que tout cela annonçait d’heureux événements dans mon destin et qu’il fallait m’en féliciter.
De retour de Moscou, j’ai raconté la chose à Kim Jong Suk qui a dit elle aussi en souriant que c’était un rêve de bon augure.
Le temps passa, un mois, puis deux ... J’ai oublié l’histoire. Mais pas Kim Jong Suk.
Après la Libération, nous habitions un pavillon au pied de la colline
Toute sa vie, elle s’est consacrée à mon bien-être. Après notre mariage, comme avant, elle m’a traité comme Commandant, comme Dirigeant. Nos rapports étaient des rapports chef-soldat, des rapports de camarades de combat.
Elle se disait toujours un soldat du chef. Jusqu’à ses derniers jours, elle n’a pas voulu m’appeler comme on le fait d’ordinaire chez soi entre mari et femme; elle m’a toujours appelé «mon Général» ou «respecté Président du Conseil».
Un jour après la Libération, des femmes journalistes étaient venues la voir, désireuses d’écrire sur elle.
Mais elle leur a dit: «Le prix de la vie d’un soldat se mesure à la carrière de son chef. Ecrivez plutôt sur le Général Kim Il Sung.»
Ces brefs propos traduisent bien sa noble personnalité.
Elle a beaucoup peiné et beaucoup souffert dans sa vie. Et j’étais affligé tant de sa disparition que des peines et souffrances qu’elle avait endurées, sans avoir pu jouir de la vie. Au moment de notre ultime séparation, je lui ai mis au poignet une montre-bracelet. Cette montre pouvait-elle récompenser tant soit peu l’effort qu’elle avait fait pour moi? Ou alléger le profond chagrin de sa disparition? Mais non. Pourtant, j’ai tenu à la lui mettre. Si cette montre avait été une montre ordinaire, je n’aurais pas eu l’idée de le faire, mais elle avait une histoire particulière.
Une année, ma grand-mère m’a demandé à brûle-pourpoint de lui acheter une montre de bonne qualité, sans trop regarder au prix.
J’étais interloqué, trouvant sa demande bizarre, car elle avait vécu sans même une piètre pendule chez elle.
Peu de temps après, je suis allé lui porter la montre achetée et lui ai demandé à quoi elle voulait l’utiliser. «Tu disais que ta femme et toi vous êtes mariés dans la montagne sans même avoir pu célébrer de quelque façon. Cela me peine, m’a-t-elle dit. Du reste, voilà déjà longtemps que tu es descendu de la montagne, mais je n’ai pas su organiser un banquet pour vous deux, ni acheter une robe de noce à ta femme. Enfin, l’idée m’est venue de lui faire don d’une montre-bracelet. J’aimerais bien la voir porter une montre-bracelet.»
C’est cette montre que Kim Jong Suk a emportée avec elle dans sa dernière demeure.
Ma grand-mère a voué à sa petite-fille par alliance un amour sincère et profond. Elle l’aimait de la tendresse qui venait du fond de son cœur, et aussi, dirais-je, de celle de mes défunts père et mère qui auraient tant aimé leur bru.
Or, moi, je n’ai personnellement rien fait pour elle. Pendant environ dix ans qui ont suivi notre mariage, elle a, chaque année sans exception, préparé un dîner, bien que modeste, pour célébrer mon anniversaire. Mais je n’ai pas pu en faire autant. Loin de là. Elle ne m’a même pas laissé parler de son anniversaire. Telle a été Kim Jong Suk.
J’avais sur le cœur mon ingratitude envers elle et, le jour de la fondation de la République, je suis passé chez moi à l’heure du déjeuner et lui ai versé un verre d’alcool: «Vous avez beaucoup peiné pour moi, alors que j’étais incapable de rien faire en retour pour vous. En guise de remerciement pour tout ce que vous avez fait pour moi, je vous offre aujourd’hui un verre, buvez-le s’il vous plaît.»
«Ne dites pas ça, m’a-t-elle alors répliqué. Ce n’est pas vrai. Vous avez fondé le Parti, vous avez mis sur pied l’armée, vous avez érigé la République. Y aurait-il plus grands cadeaux pour moi? Vous avez exaucé tous les vœux et rêves de ma vie; je n’ai plus rien à souhaiter désormais.»
L’année qui a suivi son décès, les anciennes combattantes se sont cotisées et, remettant l’argent au Parti, l’ont prié de l’employer au réaménagement de son tombeau. Les travaux ont été aussitôt entrepris et je suis allé à la colline Moran où elle reposait pour voir ce qui se passait. Des grilles de fer avaient nouvellement été installées, le soubassement refait avec des pierres et du mortier, et l’on était en train de recouvrir de plaques de granit les marches de l’escalier.
A cette vue, je suis intervenu. J’ai fait observer aux anciennes combattantes qui travaillaient sur les lieux: «Je vous comprends bien, mais regardez ces taudis là-bas.
Kim Jong Suk, qui a donné le meilleur d’elle-même à ses camarades et au peuple, n’a laissé aucune fortune à ses enfants. L’argent qu’elle dépensait pour vivre était mes appointements mensuels. Le pavillon qu’elle habitait et le mobilier étaient de la propriété de l’Etat.
S’il y a quand même une fortune qu’elle nous a laissée, c’est le mérite, il faut le dire, qu’elle a eu d’élever et de former le camarade Kim Jong Il comme futur dirigeant du Parti et du pays. Vous dites souvent que je l’ai formé comme successeur à la direction, mais non. En fait, c’est Kim Jong Suk qui a posé les fondements. C’est d’ailleurs le plus brillant des exploits qu’elle a accomplis pour notre révolution.
Le dernier jour de sa vie, elle a fait venir son fils auprès d’elle et lui a dit: «Soutiens de ton mieux ton père, continue et achève à tout prix l’œuvre qu’il a commencée.» Telles furent ses dernières recommandations à son fils. Trois heures plus tard, elle fermait les yeux pour ne jamais les rouvrir.
Je pense souvent à elle. Bien qu’elle ait porté pendant des années le costume national, veste et jupe, je la revois la plupart du temps en tenue militaire plutôt que civile. Je la revois surtout, visage bleui de froid, grelottant, avec à la main mes vêtements qu’elle avait lavés et fait sécher sur elle.
Aujourd’hui encore, à ce souvenir, je sens mon cœur se fendre de douleur.
4. Nos actions par petites formations
Quand un chef des Armées antijaponaises unifiées tombait, la presse japonaise pro-gouvernementale en faisait grand état en assimilant sa mort à celle de toute son unité. De même, l’armée et la police japonaises et mandchoues à commencer par le quartier général de l’armée du Guandong ont prétendu, dès le début des années 1940, que l’armée de guérilla s’était définitivement effondrée bien qu’elles se trouvassent confrontées à d’importantes forces des Armées antijaponaises unifiées continuant la résistance.
Si, comme elles affirmaient, les troupes antijaponaises étaient réellement disparues et si notre résistance avait pris fin, comment faudrait-il expliquer le transfert par Nozoe de son quartier général de Jilin à Yanji, zone d’activité de notre ARPC, et ce déplacement massif dans le secteur nord-est du mont Paektu d’effectifs lancés jadis contre Yang Jingyu? Et pourquoi avait-il lancé dans l’«expédition punitive» contre les partisans la garde des chemins de fer et plusieurs membres de l’Association de la concorde, outre l’armée du Guandong, l’armée mandchoue et les forces policières?
Nos coups de feu n’ont jamais cessé de retentir non plus dans la période de notre activité en petites formations. Nous frappions durement nos adversaires, si besoin était, en évitant naturellement les engagements inutiles.
Nous avons éludé les affrontements de taille pour nous ménager; en échange, nous avons orienté beaucoup de nos forces vers les activités politiques envers les masses et celles de reconnaissance. Nous avons également dirigé, dans la perspective de la résistance nationale, détachements, groupes et agents politiques vers notre pays.
L’effectif d’un détachement et celui d’un groupe variaient selon les cas: le premier pouvait être d’une ou quelques dizaines d’hommes et le second de quelques hommes seulement. Quant à leur armement, il était simple et modeste en fonction de leur mission. Après avoir mis sur pied ces détachements et groupes, je leur confiais une mission et une zone d’activité qui leur convenaient. Ils étaient essentiellement chargés qui du travail politique, qui du combat, qui de la reconnaissance. Ces missions n’étaient toutefois pas fixes ni immuables. Suivant les circonstances, un groupe de reconnaissance, par exemple, pouvait mener un travail politique tandis qu’un groupe de combat pouvait effectuer à la fois une tâche de reconnaissance et du travail politique.
Après la formation de petits détachements et groupes, nous avons axé nos forces sur l’implantation de bases secrètes provisoires qui devaient servir d’appui à leur activité. Les plus représentatives bases aménagées après la Conférence de Xiao
Après la Conférence de Xiao
La bataille livrée aux abords de Huanghuadianzi est la première du genre qui a marqué nos activités en petites formations après la Conférence de Xiao
L’appellation de Huanghuadianzi, comme celle de Matanggou ou de Nanpaizi, recèle une histoire. Quand vous en demandez la signification, les habitants du lieu vous donnent des réponses contradictoires. Les uns prétendent qu’elle signifie «marécage aux chrysanthèmes sauvages»; d’autres «marais aux hémérocalles»; d’aucuns encore affirment qu’elle a pour origine l’amour d’une jeune fille et d’un garçon. Personnellement, je n’ai pu savoir laquelle est exacte.
J’étais passé plusieurs fois par cette localité, mais je n’y avais pas remarqué tellement de chrysanthèmes ni d’hémérocalles. Quant au marécage, il y en avait. La bataille en question a justement eu lieu dans cette zone marécageuse.
Hwang Sun Hui faisait aussi partie de ma troupe. Je l’avais prise avec moi pour la charger d’informer C
Le jour tombait quand nous nous sommes arrêtés un instant sur la montagne dominant Huanghuadianzi.
Mes hommes relaxaient, et moi, je me creusai la tête en fixant le marécage: comment le traverser? Au beau milieu, il y avait un étroit ruisseau qu’un long tronc d’arbre enjambait comme un pont. On ne pouvait savoir la profondeur de l’eau putride qui y coulait. Si nous passions ce pont et ce marécage, puis franchissions une ou deux montagnes, nous pourrions aller droit jusqu’à Daomugou dans le district de Yanji, pour y aménager notre base secrète provisoire.
Mais l’ennemi pouvait être à l’affût à l’autre bout du pont. Je ne pouvais en détacher mes regards, et voilà qu’un éclair en jaillit tout à coup. Peut-être, ne serait-ce qu’une luciole? C’était sûrement plutôt une lueur de lampe de poche de l’ennemi. Il nous fallait franchir ce pont, mais l’ennemi embusqué là attendait dans les ténèbres pour nous faucher. Quelle poisse! C’était comme on dit se retrouver nez à nez avec son ennemi juré sur un pont étroit.
Tout le long de la lutte armée, j’ai été on ne sait combien de fois cerné par l’ennemi et exposé à la mort, mais je ne me suis jamais vu acculé à une telle situation et tellement dépourvu d’expédients.
Si nous ne trouvions pas le moyen de passer le pont, il fallait faire un long détour, plus de dix kilomètres, ce qui nous jetait dans une situation tout aussi embarrassante. Risquant le tout pour le tout, nous devions avancer droit devant nous. Je me taisais, préoccupé d’examiner la situation et de trouver une issue. Devant mon mutisme, mes hommes, anxieux, n’osaient même pas respirer normalement.
C’est après un bon bout de temps que j’ai pris la résolution de passer le pont en catimini et j’ai donné l’ordre de départ. Tous mes hommes franchirent sans accident le ruisseau par le tronc d’arbre.
J’étais le dernier à le passer et à m’enfouir dans les hautes herbes, quand une mitrailleuse ennemie se mit à cracher du feu.
J’ai alors enjoint à notre mitrailleur de la réduire au silence et aux autres de se retirer en direction de la grand-route. C’est Jon Mun Sop et Hwang Sun Hui qui m’ont protégé au risque de leur vie en se tenant constamment à mes côtés. Un moment vraiment périlleux: un faux pas, on pouvait s’engluer irrémédiablement dans un bourbier; de plus, les balles ennemies pleuvaient sur nous. Nous avons cependant réussi à nous tirer de ce piège infernal sains et saufs et sans aucune perte. Cela devait tenir d’un miracle.
Si, apeurés et déconcertés devant la situation imprévue, nous n’avions pas pris parti sans délai, nous n’aurions pu en sortir ou aurions du moins subi de lourdes pertes.
Nous courions depuis un moment en direction de la grand-route quand l’avant-garde m’informa de la présence d’autres forces ennemies devant nous. C’était sans aucun doute le gros de la troupe en attente qui accourait, ayant entendu la mitraillade du côté du pont.
J’ai donné à mes hommes l’ordre de faire demi-tour sur-le-champ et de filer cette fois en direction du pont. Peu après, je leur ai fait tirer à la fois sur ceux qui se trouvaient du côté du pont et sur ceux qui nous talonnaient avant de s’esquiver discrètement et de gagner la montagne. Puis j’ai ordonné une nouvelle halte.
Assis à mi-versant, mes hommes ont repris le souffle. C’est alors qu’une fusillade acharnée éclata: les combattants ennemis aux aguets à la tête du pont et les autres venus de la grand-route à nos trousses étaient aux prises.
Nous apprendrions plus tard de la bouche des habitants d’Antu que les soldats ennemis s’étaient massacrés, une vraie boucherie, qu’une altercation s’était élevée entre eux dans leur tentative d’en attribuer la responsabilité les uns aux autres et que, dans leur confusion, ils avaient poussé des cris de détresse en se demandant: «Qui étaient alors ceux qui ont franchi le pont, diables ou partisans?»
Nous avons par la suite décimé d’autres forces ennemies aux environs de Facaitun dans le district de Yanji et de Wudaoyangcha dans le district d’Antu.
A Facaitun, nous avons eu recours à la fois à l’attaque surprise par trois groupes et à la tactique du «combat contemplé», à la différence de la bataille de Huanghuadianzi. Ce fut une autre hécatombe de l’ennemi, un vrai carnage mutuel.
Pareils engagements se succédaient jour après jour. Parfois, quelques détachements se réunissaient pour frapper en force des effectifs plus importants. Comme nous livrions parfois des batailles de telle envergure tout en engageant essentiellement de petits accrochages, l’ennemi ne pouvait se rendre compte de notre changement de tactique, soit le passage des grandes formations aux petits détachements.
Les troupes de C
Les détachements d’O Paek Ryong opéraient dans les districts de Yanji, Helong et Antu, ceux de Kim Il et de Sun Changxiang dans les districts de Hunchun et Dongning, ceux de Han In Hwa, de Pak Song Chol et de Yun T
Ces activités de détachements et groupuscules ont fait bouillonner toute la Chine du Nord-Est et la région frontalière septentrionale de la Corée.
Le Président Kim Il Sung évoqua les activités des détachements et groupes qu’il avait personnellement dirigées après la Conférence de Khabarovsk. Les voici:
Auparavant, ces détachements et groupes avaient pour théâtre d’activité principalement la région frontalière septentrionale de la Corée et la Chine du Nord-Est. Mais vers cette époque, ils ont étendu leur champ d’action aux profondeurs de la Corée, jusqu’aux points stratégiques méridionaux, voire même au Japon.
Leurs activités étaient très variées. Elles consistaient à rétablir les organisations du parti et les autres organisations révolutionnaires clandestines et à en mettre sur pied de nouvelles en Corée même et en Chine du Nord-Est; à relever et réformer les troupes armées qui y opéraient encore et à assurer une direction systématique et unitaire sur les organisations de la résistance nationale. Elles comprenaient par ailleurs le complètement et le renforcement des bases secrètes installées un peu partout dans notre pays et la création de nouvelles, provisoires, répondant aux impératifs de la situation, le grossissement des rangs de l’ARPC et la formation de l’ossature militaire par l’admission de jeunes et adultes patriotes de Corée et de la Chine du Nord-Est.
Ces détachements et groupes ont entrepris en outre, sur une grande échelle, des actions pour perturber les arrières de l’ennemi et affaiblir sa capacité de combat par d’intenses attaques surprises, embuscades et actions destructrices, des activités de reconnaissance sur les installations, les bases et les points stratégiques militaires de l’ennemi, et des activités propres à désorganiser son système de domination et son système de commandement militaire.
A l’époque, les troupes des AAUNE ont elles aussi opéré par petites formations. Elles ont divisé, à cette fin, leur zone d’activités. Les unités de l’ARPC et de la 1re armée de route et une partie des troupes de la 2e se sont vu attribuer la Corée et la Mandchourie du Sud et de l’Est; les unités principales de la 2e armée de route, les régions limitées par le lac Xingkai et Donggang; les unités de la 3e, les districts de Qingcheng, de Tieli, de Hailun entre autres.
Quant à moi, j’ai coordonné les activités des petits détachements à l’intérieur de notre pays et en Mandchourie du Sud et de l’Est et en même temps les études militaires et politiques, en faisant la navette entre le mont Paektu et la base provisoire en territoire extrême-oriental soviétique.
Nous avions établi pour principe de participer obligatoirement, tous, sans exception, aux cours de formation politique et aux exercices de guerre moderne en revenant à la base au terme de ces activités.
On a décidé que je serais le premier à partir du camp sud, à la tête d’un détachement relativement nombreux, pour le secteur nord-est du mont Paektu et notre pays. J’avais également désigné la zone d’activité et les tâches à accomplir aux détachements de C
J’ai quitté la base en avril 1941 avec mon détachement qui avait pour tâche essentielle de rétablir les liens avec des groupes continuant leur lutte en Mandchourie du Sud et de l’Est et d’assurer une direction unitaire sur eux.
Un autre objectif important était de relever les organisations révolutionnaires détruites et d’en créer de nouvelles, de sélectionner des jeunes par l’intermédiaire du réseau clandestin pour grossir les rangs armés d’une part, et d’autre part, en faire, par un travail de formation méthodique, les cadres nécessaires à la campagne finale pour la libération de notre pays et à l’édification d’une patrie nouvelle.
Nous nous proposions en outre de retrouver les traces de Wei Zhengmin.
La situation s’avérait alors grave dans notre pays et en Mandchourie. Les impérialistes japonais avaient entamé de nouvelles opérations d’«expédition punitive» dès le début du printemps 1941. L’«état-major de l’expédition punitive de Nozoe» avait été dissous et ses pouvoirs avaient été transférés au quartier général de l’armée japonaise du Guandong. Les unités principales de celle-ci ainsi que toutes les troupes «punitives» subordonnées aux commandements des régions militaires de l’armée mandchoue et au commandement de la gendarmerie du Guandong se ruaient contre l’ARPC.
D’où l’inquiétude de certains de nos commandants pour la sécurité de ma personne à la veille de mon départ pour la zone contrôlée par l’ennemi. Ils étaient d’avis que je temporise. Kim C
En partant, j’ai nommé Ryu Kyong Su chef de compagnie, et Kim Il instructeur politique. J’ai désigné Jon Mun Sop comme mon planton. C’est à ce moment que Kim C
An Yong fut choisi comme télégraphiste de notre détachement.
Il avait mené ses activités en Mandchourie de l’Est et du Nord. Il avait une longue carrière d’enseignant à son actif. Il s’était beaucoup penché sur la formation patriotique des enfants et adolescents. En Mandchourie de l’Est, il avait formé et dirigé une troupe théâtrale itinérante et fait des tournées pour éclairer les masses populaires.
Il était cultivé et possédait une riche expérience de vie. En Mandchourie du Nord, pour militer auprès des masses, il s’était engagé comme cuisinier chez un particulier et avait travaillé même comme journalier chez un cultivateur de pavot.
Nous l’avons choisi comme télégraphiste parce qu’il avait suivi un cours de TSF pendant six mois en Union soviétique lors de ses activités en Mandchourie du Nord.
Il avait une moustache impressionnante, d’où son surnom de «Moustachu».
Notre détachement a dû être d’une trentaine d’hommes, tous en uniforme d’armée japonaise. Un déguisement parfait, me semblait-il.
Un jour de la première décade d’avril, nous avons franchi la frontière en pleine nuit. Nous avons pris la direction du nord-est du mont Paektu et avancé en suivant la ligne de nos anciennes bases.
Nous envisagions d’exécuter de nombreuses tâches au nord-est du mont Paektu.
Quand nous avions dissous les zones de guérilla de Mandchourie de l’Est et étions partis pour déboucher dans le Xijiandao, l’ennemi y avait procédé, profitant de notre absence, à des opérations de destruction totale, surtout dans le secteur nord-est du mont Paektu. Afin de remédier aux conséquences de ces opérations, nous y étions revenus après la bataille dans le secteur de Musan et y avions entrepris d’intenses activités visant à gagner la population à la cause de la révolution.
Et pendant notre courte absence due à notre déplacement en Union soviétique, l’ennemi y avait encore déployé ses forces armées régulières et réédité ses actes de destruction sur une grande échelle, à l’issue desquels il avait prétendu bruyamment: «L’ordre est rétabli en Mandchourie de l’Est.»
Pour imprimer un nouvel essor à la révolution dans ce secteur, nous devions, par de courageuses et intrépides actions en petits détachements, faire voir et sentir l’existence de l’ARPC. Si notre présence était palpable, il était parfaitement possible de ranimer et relever les masses.
Partant, nous projetions de tourner et retourner un peu les régions d’Antu, Wangqing, Yanji, Hunchun, Dunhua, de pousser ensuite jusqu’au mont Paektu pour multiplier encore les organisations révolutionnaires dans le Xijiandao et en Corée d’une part, et de l’autre, de grossir les forces de résistance nationale, de sélectionner des centaines déjeunes patriotes pour les former à la base du mont Paektu et dans celle que nous avions installée en Union soviétique, en vue d’en faire de futurs cadres militaires et politiques.
Au bout d’une marche forcée de quelques jours, nous sommes arrivés dans une vallée non loin du camp secret de Daheixiazigou.
Il y a quelque temps, des Coréens habitant la région autonome de Yanbian m’ont apporté une vidéocassette qu’ils avaient enregistrée au cours d’une exploration: ils affirmaient avoir découvert l’emplacement d’un campement de partisans aux limites des trois districts, Wangqing, Dongning et Hunchun. A regarder attentivement les images, j’ai vu que la configuration du lieu rappelait en effet celle de l’ancienne base provisoire de notre détachement.
Quand nous sommes arrivés dans cette vallée, nous étions déjà à court de provisions.
J’ai dû envoyer Kim Il et son groupe à Jinchang dans le district de Wangqing avec mission d’attaquer une mine d’or aux environs pour nous procurer des vivres, tout en effectuant un travail politique au sein des masses.
Lors de notre séjour dans cette base, Jon Mun Sop a tué un ours dans les parages. L’animal était si gros que son transport a requis plusieurs hommes. Cet ours nous a donné un bidon de graisse.
Kim Il et son groupe sont revenus quelques jours après avec une quantité de vivres. Kim Il m’a fait part, le visage sombre, de la mort de Jang Hung Ryong. Cette perte était imputable à Ji Kap Ryong. Celui-ci avait obstinément demandé, sur le chemin de retour, qu’on fasse halte et prépare un repas. Cédant à son insistance, on s’était arrêté à peu près une heure, et l’ennemi qui était aux trousses du groupe s’était rué brusquement sur lui.
Kim Il se reprocha d’avoir cédé à l’insistance de Ji Kap Ryong et, vivement repenti, confessa ne pas avoir le courage de me regarder en face.
La mort de Jang Hung Ryong nous causait une grande douleur, surtout quand nous pensions à la sanction qu’on lui avait infligée lors de l’incident du bœuf et à la peine qu’il se donnait pour remédier à sa faute.
Par surcroît, un partisan chinois ayant été fait prisonnier dans un même temps, nous étions dépistés. L’ennemi, se félicitant de m’avoir trouvé, se lança avec acharnement à notre poursuite.
Cette révélation me paraissait plutôt avantageuse. Si l’ennemi ébruitait l’apparition de l’unité de Kim Il Sung, notre présence serait portée à la connaissance de la population. C’était, pourrait-on dire, faire lui-même la publicité de l’ARPC. Cette révélation était de nature à nous profiter beaucoup, bien qu’elle pût rendre évidemment plus difficile notre mouvement.
Nous avons par la suite franchi le col et marché en direction de Taipinggou pour brouiller les pistes. Au début de mai, nous avons atteint Jiapigou dans le district de Wangqing.
C’est là que je me suis séparé de Kim Il. Je lui avais confié un groupe avec mission d’opérer en prenant Jiapigou pour base secrète provisoire. Luozigou et les parages de la ligne Tumen-Jiamu qui allaient être le théâtre de ses activités comptaient un grand nombre de militants dignes de confiance, formés par nous durant les premières années de la guérilla. J’avais également recommandé à Kim Il de retrouver la famille de C
J’y ai également laissé An Yong et deux autres comme aides. La base de Jiapigou a en outre servi de point de liaison intermédiaire.
J’ai pris avec moi une vingtaine d’hommes en quittant Jiapigou pour déboucher sur la vaste région riveraine du Tuman, au nord-est du mont Paektu. Nous avions l’intention de faire le tour de plusieurs districts de la Mandchourie de l’Est comme Dunhua, Antu, Fusong, Helong et Yanji.
Mon petit détachement a traversé le district de Dunhua. Arrivés à Hanconggou dans le district d’Antu, nous avons aménagé une base et un point de liaison. C’est là que j’avais rencontré pour la dernière fois Wei Zhengmin.
Ici, la saison venait de changer: la végétation était luxuriante et il faisait chaud à midi.
J’ai envoyé alors des groupes d’agents politiques à Changbai, Dunhua, Chechangzi ainsi qu’en Corée et au mont Paektu.
C’est Han Chang Bong et Han T
Je leur ai donné en outre des indications détaillées sur les personnes à trouver à Taoquanli dans le district de Changbai et ailleurs. Je leur ai assigné la tâche d’y mettre sur pied des organisations clandestines, puis de pousser jusqu’à notre pays, et de s’installer au sein de la classe ouvrière.
Jon Mun Sop et Kim Hong Su sont allés à Chechangzi chercher armes et carte que nous y avions enterrées auparavant.
Et c’est alors que, ceux qui étaient partis pour une mission aux abords de Dunhua, sont revenus en compagnie d’un vieux nommé Pak qui vivait de chasse dans la forêt épaisse avoisinant Dahuanggou. Ce vieux était un ancien agent clandestin qui militait au sein de l’Association antijaponaise dans le district de Huadian.
J’ai eu une longue conversation avec lui. A l’en croire, les soldats japonais de l’«expédition punitive» couvraient littéralement toutes les montagnes et les mouchards grouillaient un peu partout. Il m’a prévenu que les huttes de charbonniers, les huttes de cultivateurs de pavot, les maisons gardant des brancards servant à transporter des morts et les grottes dont nos détachements et groupes faisaient leur pied-à-terre étaient maintenant entre les mains des mouchards, et que nous devions être très prudents. L’activité clandestine était réellement devenue difficile parce que, disait-il, toute la population était enfermée dans des villages de regroupement, que la circulation était surveillée et que, de plus, l’ennemi forçait les habitants à s’épier les uns les autres. Néanmoins, quant à lui, ajoutait-il, il était prêt à tout s’il s’agissait d’aider les partisans.
Il s’est offert volontiers à faire la navette entre notre base et le chef-lieu du district de Dunhua ou les villages de regroupement. Il nous a ainsi remis la liste des membres des organisations et apporté provisions et autres articles dont nous avions besoin. Nous avons pu, grâce aux renseignements qu’il nous avait fournis, rétablir bientôt les organisations de la région.
Il serait plus tard arrêté et périrait.
Comme vous pouvez le remarquer, nous avons bénéficié alors d’un soutien et d’une aide actifs de la part de la population. Ce soutien fut pour nous un grand encouragement, vu le combat ardu que nous menions dans les arrières ennemis. Il constituait en réalité une preuve éloquente de l’engagement du peuple, dès lors, dans la résistance nationale.
Nous nous sommes ensuite entendus pour nous mettre à la recherche des unités restantes de la 1re armée de route et des traces de Wei Zhengmin, tout en poursuivant nos activités pour l’extension du réseau d’organisations clandestines. Pour commencer, organiser trois groupes et les expédier respectivement dans les districts de Dunhua et de Huadian, dans la région d’Antu et dans la partie nord du district de Helong ainsi que dans le district de Fusung.
Ryu Kyong Su a alors fait ses preuves et il a dû en éprouver toutes les peines du monde.
Il devait se rendre à Jiapigou dans le district de Huadian, et pour ce, traverser la rivière Fuer. Comme les eaux étaient en crue, il longea plusieurs fois la rivière en amont et en aval. Entre-temps, les provisions s’épuisèrent et la date du retour approchait. Il ne put donc s’acquitter de sa mission. Après plusieurs jours de jeûne, miné par la faim et les tourments, il tomba gravement malade.
Pourtant, quelqu’un devait à tout prix se rendre à Jiapigou.
J’ai pris le parti d’y aller moi-même à la tête du petit détachement.
Je m’y apprêtais quand Ryu Kyong Su qui gémissait inconsciemment dans un coin de la tente, se leva, s’approcha en titubant et dit: «Non, mon Général. Vous, non! C’est moi qui y vais.»
Je lui ai répliqué qu’il n’était pas en état de marcher. Mais en vain. Il n’a pas voulu m’écouter. Et quand il s’obstinait, il n’y avait rien à faire. J’ai dû finalement consentir, avec une pointe de douleur.
La vie offre à chacun des moments particuliers qui mettent à l’épreuve sa valeur. Or, chaque minute, voire chaque seconde de notre lutte de guérilla mettant en jeu notre vie, étaient de tels instants. Nous nous retrouvions souvent, des dizaines de fois par jour, devant de grands sacrifices.
Ryu Kyong Su était un de ces hommes qui n’hésitent pas à tout risquer, telle une bombe humaine, dans les moments critiques. Et j’étais toujours enclin à le charger des tâches les plus ardues, à l’envoyer dans les coins les plus périlleux.
Il cédait les tâches faciles à ses compagnons d’armes alors qu’il assumait les plus ardues; il mettait ses camarades à la place d’honneur tandis qu’il prenait toute la responsabilité sur lui et acceptait volontiers tout blâme et sanction, voilà en quoi résidait son ascendant et l’importante raison de l’affection que tous lui prodiguaient.
Avant son départ pour Jiapigou, j’ai donné à mes hommes l’ordre de lui remettre toute la réserve de provisions dont nous disposions. En recevant les vivres, il demanda discrètement à Jon Mun Sop s’il y en avait encore pour moi et mes hommes. Le voyant hésiter à répondre, il déversa toute la quantité de céréales qu’il venait de recevoir, en le houspillant: «Comment pourras-tu remplir ta fonction de planton?»
Il mit plusieurs jours pour s’acquitter de sa mission et revenir.
Il avait été tellement éprouvé qu’il perdit connaissance et s’affaissa devant moi. Quand on lui enleva ses brodequins en lambeaux, ses pieds exsudaient du pus rougeâtre. C’est seulement quand il sentit une cuillerée de bouillie maigre de riz dans sa bouche qu’il rouvrit péniblement les yeux et put faire le rapport de sa mission.
Son groupe avait rencontré, aux environs de Jiapigou, un paysan qui avait des liaisons avec l’armée de guérilla, mais l’homme n’ayant pas voulu s’ouvrir, Ryu n’avait pu rejoindre Kwak Ji San. Il avait fouillé la zone en vain et était revenu seulement avec la rumeur qui circulait, selon laquelle Wei Zhengmin serait probablement mort.
Ryu Kyong Su avait fait tout ce qui était en son pouvoir mais se torturait énormément de ne pas avoir réussi.
Par contre, Ji Kap Ryong qui était parti pour Wangbabozi à la tête d’un autre groupe s’était parjuré.
Les épreuves de 1941 étaient la pierre de touche distinguant une fois de plus le vrai révolutionnaire du faux.
De telles épreuves et pareils tests se sont succédé sans discontinuer jusqu’au jour de la Libération. Les anciens combattants antijaponais qui sont rentrés dans la patrie avec la Libération sont tous des personnes à la valeur éprouvée.
L’ennemi qui avait retrouvé nos traces à la suite de la trahison de Ji Kap Ryong se rua sur nous comme une meute de hyènes. J’ai mis toute mon adresse à retirer mon détachement de l’encerclement avant de le conduire vers Antu via Dashahe et Xiaoshahe.
En opérant dans de vastes régions des districts d’Antu et de Fusong, nous avons consenti beaucoup d’efforts pour l’expansion des organisations que nous y avions mises sur pied auparavant.
C’est en ce temps-là que nous est parvenu, par l’intermédiaire des membres de l’organisation, le bruit selon lequel Wei Zhengmin était décédé à la suite de sa maladie. Des avis portant sa photo étaient placardés jusque dans les rues de Mingyuegou. Nous y avons recueilli par ailleurs des renseignements sur l’apparition et les activités d’un détachement de guérilla de plus d’une trentaine d’hommes dans la zone de Nanhamatang et Beihamatang, aux abords de Mingyuegou et de Yanji.
J’ai pris la décision d’y prolonger un peu nos activités et dépêché à cette fin un groupe à Shahezang, Nanhutou, Dahuangwai et Beihamatang. Quant à moi, avec le reste du détachement, je me suis mis en route pour le mont Paektu.
Arrivé au camp secret du mont Kanbaek, j’ai convoqué les responsables des petits détachements, des groupes d’agents politiques et des responsables d’organisations révolutionnaires pour insister sur la nécessité d’adhérer fermement à la position indépendante en accord avec les impératifs de la situation et pour les charger d’entreprendre énergiquement la formation idéologique indispensable à l’achèvement de la révolution coréenne par nos propres forces. Par ailleurs, je les ai invités à faire les préparatifs qui s’imposaient pour la sélection de jeunes de valeur en Corée et dans le Xijiandao et leur entraînement à la base en territoire extrême-oriental soviétique, et à organiser la formation d’importantes forces au camp secret du mont Paektu et dans le secteur du mont Kanbaek dans la perspective de la résistance générale de la nation.
J’ai par la suite pénétré dans l’arrondissement d’Onsong (en Corée – NDLR) pour orienter dans le même sens le travail des organisations.
Le retour, à l’issue de nos activités dans les parages du mont Paektu, n’a pas été non plus facile, et pour cause. L’ennemi, effrayé par nos coups de feu, se démenait, les yeux injectés de sang, pour retrouver nos traces.
Ses «troupes punitives» étaient visibles partout, aussi bien sur les routes que sur les hauteurs et dans les vallées.
Laotougou dans le district de Yanji était un point stratégique de l’ennemi où siégeaient la gendarmerie et des unités spéciales de l’armée japonaise du Guandong, des troupes de l’armée mandchoue et la police. Un passage difficile pour nous qui devions pourtant le traverser à tout prix pour gagner les massifs qui communiquaient avec les immenses étendues forestières et atteindre enfin le point de rendez-vous de notre détachement.
Je me suis avisé de le passer de nuit, par une marche forcée et en uniforme japonais. Malheureusement, le jour s’est levé avant que nous ayons franchi la voie ferrée de Laotougou. Il nous a fallu arrêter la marche, rester cachés pendant la journée. De la montagne, nous avons aperçu quelques maisons au bord de la grand-route et une gare. Nous avons décidé d’attendre la nuit dans ces maisons.
J’y ai réparti mes hommes, et me suis logé près de la route. Un de mes hommes déguisé en paysan chinois montait la garde, en feignant de sarcler son champ, ainsi les autres purent prendre du repos.
Vers midi, quelques hommes vêtus à la japonaise ouvrirent avec fracas la porte de la maison où je m’étais installé. Ils furent éberlués à la vue des soldats qui remplissaient la pièce. Le premier, effrayé, s’avisait de faire demi-tour quand un de mes hommes lui appliqua le canon de son arme dans le dos.
J’ai invité ce visiteur à rentrer. Apparemment, il nous prenait pour des soldats japonais. S’identifiant comme le président local de l’Association de la concorde, il avoua être venu à la nouvelle de l’apparition éclair de l’unité de Kim Il Sung.
Je lui ai dit carrément que nous étions de l’ARPC. Du coup, il se prit à trembler d’épouvante.
Je lui ai arraché beaucoup d’informations utiles.
C’est ce jour-là que j’ai eu la nouvelle de l’éclatement du conflit soviéto-allemand en lisant le journal qu’il tenait sous le bras.
D’après lui, les Japonais, tout à coup pris d’impatience, concentraient leurs effectifs dans la région frontalière soviéto-mandchoue et le bruit courait qu’une guerre soviéto-nipponne était une question de temps.
Je lui ai enjoint de communiquer fidèlement à la police, après notre départ, le passage par Laotougou, en plein jour, du détachement de Kim Il Sung.
Nous saurions plus tard que l’ennemi mis dans le coup a fait du tintamarre, déclarant scandaleux que le détachement de Kim Il Sung ait préparé son déjeuner et fait la sieste sous son nez.
Nous sommes ainsi arrivés sans aucune perte à Jiapigou dans le district de Wangqing, notre point de rencontre. Nous avons pris contact avec le groupe de Kim Il qui y revenait au terme de sa mission.
J’y ai convoqué, à la fin de juillet, une nouvelle réunion des chefs de détachements et groupes, qui faisait suite à celle de juin.
Je me proposais, face au bouleversement de la situation dans l’arène internationale à la suite de la conclusion du traité de neutralité soviéto-japonais et de l’éclatement du conflit soviéto-allemand, de préparer idéologiquement tous les soldats de l’ARPC et les membres des petits détachements.
En effet, la guerre soviéto-allemande faisait alors l’objet de débats parmi les membres des détachements. Les uns jugeaient qu’elle ouvrait des perspectives favorables à notre révolution alors que d’autres affirmaient que, si l’Union soviétique était attaquée à la fois par deux grandes puissances à l’est et à l’ouest, notre révolution serait défavorisée, que certains autres encore prétendaient que l’impact de la situation mondiale devait être évalué lorsque l’agression nipponne contre l’Union soviétique serait devenue réalité.
J’ai convoqué la nouvelle réunion de Jiapigou pour faire converger sans tarder toutes les opinions vers un point de vue: ancrer chez tous la confiance en la victoire et enfin les engager plus énergiquement dans les préparatifs du grand événement que serait la libération de notre patrie.
A cette réunion, nous avons dressé le bilan des activités entreprises par les petits détachements et délibéré sur l’orientation à adopter ultérieurement dans nos activités.
Voici les points sur lesquels nous avons alors insisté: ne pas se laisser ébranler, quelle que soit la tournure que prendra la situation; l’Allemagne, en attaquant l’Union soviétique, ne fait qu’accélérer sa marche vers la tombe; le Japon, s’il se lance contre l’Union soviétique, subira le même sort, mais la force lui manque pour s’y mettre; bien regarder les rapports de forces des grandes puissances; l’aspect de la carte du monde peut changer, le fascisme est voué à la ruine et la démocratie est promise à la victoire; notre révolution verra, elle aussi, s’ouvrir de radieuses perspectives; il faut donc se garder de vaciller ou hésiter devant les difficultés temporaires, maintenir jusqu’au bout le drapeau de la révolution; garder la foi et la volonté de libérer notre patrie et de parachever la révolution coréenne par nos propres forces.
J’ai également tracé, lors de cette réunion, l’orientation à adopter par les détachements et groupes dans leurs activités ultérieures. J’ai notamment invité mes hommes à veiller à éluder les affrontements téméraires ou les accrochages contre un ennemi supérieur en nombre, en vue de conserver nos forces, certes, à tâcher de multiplier quand même les opérations de perturbation des arrières ennemis, d’attaquer et détruire par surprise les voies de transport et les centres de ravitaillement du matériel militaire, de redynamiser les raids de reconnaissance et le travail politique à l’égard des masses en vue de la campagne pour la libération de notre patrie.
Au début d’août, nous avons attaqué le chantier de construction de la route Wangqing-Luozigou.
A l’époque, les impérialistes japonais massaient d’importants effectifs armés dans ce secteur avoisinant la zone frontalière soviéto-mandchoue. Si nous y faisions retentir des coups de feu, l’impact, pensions-nous, serait formidable. Et tant qu’à le faire, il fallait le faire au beau milieu de l’ennemi.
J’ai expédié un groupe de couverture dans deux directions, et nous, en uniforme japonais, avons pénétré le chantier, désarmé avec la rapidité de l’éclair la garde routière et réduit au silence ceux qui étaient dans la caserne. Notre action avait été si rapide que les ouvriers du chantier, frappés de stupeur, étaient restés bouche bée. C’est seulement quand Ryu Kyong Su cria: «Nous sommes les partisans de l’unité de Kim Il Sung» qu’ils accoururent et nous étreignirent.
Au terme d’un travail politique parmi les ouvriers, nous avons quitté le chantier; nous avons contourné le secteur nord du district de Wangqing pour atteindre finalement la cime de la montagne surplombant le village de Taipinggou.
Après cette bataille, nous ferions, nous apprendra-t-on, les frais de la conversation dans la région de Wangqing.
De cette cime, à l’aide de jumelles, j’ai pu distinguer dans le village la maison de Ri Kwang, celle d’O Jung Hup et celle de Pak Kil Song.
J’ai même pu voir la silhouette du père d’O Jung Hup faisant les cents pas dans la cour.
J’ai chargé Kim Il d’entrer en contact avec eux et de mettre sur pied une organisation clandestine à cet endroit, ce qu’il ferait après avoir renoué les liens avec O Chang Hui, père d’O Jung Hup, et Pak Tok Sim, père de Pak Kil Song. Il en formerait d’autres parmi les paysans du secteur de Nandadong-Beidadong dans le district de Wangqing et parmi les ouvriers de la gare de Xiaowangqing. O Chang Hui lui aurait dit que la rumeur d’une nouvelle avance des troupes de Kim Il Sung sur le secteur du Paektu avait déjà fait le tour de la contrée, que la population s’en réjouissait énormément et débordait de confiance en la victoire.
Les petits détachements de l’ARPC se sont également livrés à des actions politiques et militaires afin de déjouer les opérations ennemies dans les parages de la frontière soviéto-mandchoue où les transports concentrés et les déplacements de l’armée japonaise s’intensifiaient. C’est aussi vers cette époque que se situent le télescopage d’un train militaire provoqué dans la gare de Tumen et les attaques lancées contre les troupes ennemies en déplacement à Toudaogou dans le district de Helong et le district de Wangqing.
A l’issue de fructueuses activités en Corée et en Chine du Nord-Est, nous avons regagné en août notre base provisoire en territoire extrême-oriental soviétique.
A la mi-septembre 1941, à la tête d’un détachement, j’ai effectué une nouvelle incursion en Mandchourie et en Corée dans le but de consolider les succès antérieurs. La mission principale que je me suis fixée consistait à établir la liaison avec les détachements d’An Kil, de Kim Il et de C
Avant notre départ, j’ai accordé à An Yong une entrevue avec sa femme Ri Yong Suk. Celle-ci était alors au camp nord. Elle avait épousé An Yong, maître de l’école du soir de son village, sur la recommandation de ses parents. Après leur mariage, ils s’étaient enrôlés ensemble dans l’unité de C
Une rivière coulait près du camp établi après notre percée dans la région de Wangqing. Ri Tu Ik et Jon Mun Sop y pêchaient à la ligne. Ils étaient d’habiles pêcheurs. Il avait plu abondamment et la rivière était en crue. Ils ont même abattu un ours qu’ils avaient remarqué en pêchant, lequel était en train de lécher les fourmis qui grouillaient sur un tronc pourri.
Nous avons dépecé l’ours et mis les morceaux dans la rivière. Les eaux de la montagne étant glaciales, la viande ne s’y altère pas. Même la farine de blé conservée dans un marais profond ne se décompose pas. Un sac de farine plongé dans l’eau a l’air de se mouiller intégralement, mais seule la couche extérieure d’environ un centimètre devient humide, et l’intérieur reste intact. La vie dans la montagne comporte certes de l’inconfort, mais elle a ses lois, son principe et ses méthodes à elle.
Un jour, j’ai convoqué les chefs des détachements et groupes pour réunir les matériaux de reconnaissance et apprécier la situation. Ils m’ont fourni alors bien des informations de grand intérêt. Ils étaient unanimes à déclarer que l’attaque du Japon contre l’Union soviétique était une question à revoir un peu plus tard, et que pour le moment rien ne prouvait son imminence.
An Kil, par exemple, a présenté en guise de preuve des renseignements sur la circulation des wagons de marchandises. D’après lui, les policiers japonais prétendaient devant les habitants réunis que la guerre allait éclater entre l’Union soviétique et le Japon, qu’il faudrait, pour y faire face, creuser des abris antiaériens et terminer rapidement la construction de routes, mais à observer les wagons de marchandises en circulation, on pouvait voir des canons ou chars dans ceux qui étaient découverts, la plupart des autres étant vides.
Les données de reconnaissance recueillies par le groupe de C
Quand un train arrivait, C
Or, le lendemain, il l’avait aperçu de nouveau sur le marchepied. Au premier abord, il n’avait pas voulu en croire ses yeux se disant qu’il était impossible que le même individu qu’
A son retour à la base, ses camarades ont dit à C
Si son tabagisme lui avait permis de recueillir de bonnes informations, il lui avait déjà valu une sanction.
Il avait été promu à 16 ans chef de section dans l’armée des jeunes volontaires. Mais ses hommes, vu sa jeunesse, le traitaient de blanc-bec. Agacé, puis poussé par son désir de se donner une allure adulte, il s’était mis à fumer, et en quelques années, il était devenu un fumeur invétéré au point de tomber malade s’il était privé de tabac.
Une fois, au terme d’un combat, il était revenu à son unité avec un sac de farine et un carton de tabac comme butin. La réunion du parti qui avait suivi lui avait infligé une sanction. On lui reprochait d’avoir apporté un carton de tabac alors qu’on manquait tellement de vivres. Pourquoi ce tabac inutile au lieu d’un deuxième sac de farine? Telle était sa faute.
En examinant tous les renseignements recueillis à l’époque, nous sommes arrivés à cette conclusion: le Japon n’était pas préparé à une attaque contre l’Union soviétique; s’il se donnait l’air de concentrer ses forces armées dans les zones frontalières soviéto-mandchoues, ce n’était qu’une feinte pour dissimuler ses véritables intentions d’expansion vers le Sud. Bref, nous pouvions supposer que le Japon préparait une attaque dirigée vers le Sud, non vers le Nord. Cela a beaucoup servi aux Soviétiques dans l’élaboration de leur stratégie vis-à-vis du Japon.
C’est vers la mi-novembre que nous sommes retournés à notre base en Union soviétique en passant par Yonbong dans l’arrondissement de Saebyol en Corée.
A la suite de mes incursions, plusieurs autres détachements ont effectué des raids en Mandchourie et en Corée.
Le détachement de Kang Kon, par exemple, a tendu vers la fin 1941 une embuscade d’envergure aux abords de Xinjiadian, sur la ligne Mudanjiang-Jiamu, et réussi à faire sauter des wagons de voyageurs bondés d’officiers japonais, des wagons-citernes et d’autres chargés de blindés.
Le détachement de Pak Song Chol, parti au début du printemps 1942, a opéré dans les districts de Dongning, de Ningan et de Jiaohe. Il a grossi ses rangs avec les compagnons d’armes qui continuaient leur action dans les parages de Laosongling dans le district de Ningan, aux environs de Qinggouzi dans le district de Jiaohe et dans le district de Wuchang, et multiplié ses accrochages avec l’ennemi. Il est rentré à la fin de septembre à la base en Union soviétique.
Les détachements de Chai Shirong des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est ont débouché dans les districts de Ningan et de Muling et dans le voisinage de Mudanjiang. Ils y ont entrepris de fructueuses activités.
En dressant le bilan de nos actions par petites formations de la première étape, j’ai eu la confirmation de la justesse de la décision de refaire notre percée en Corée et en Mandchourie de l’Est à partir de notre base provisoire en territoire extrême-oriental soviétique.
L’expérience nous a prouvé que le passage des grandes aux petites formations face à la conjoncture nouvelle était une mesure on ne peut plus opportune, et que nous pouvions ainsi infliger des revers politiques et militaires non moins sérieux à l’ennemi et inciter le peuple à la résistance.
Les succès obtenus par les détachements et groupes ont insufflé une confiance inébranlable en la victoire finale à tous nos commandants et à tous nos partisans.
En opérant par petites formations, nous avons clairement montré aux Coréens du pays et de l’extérieur que l’armée révolutionnaire, toujours vivante et forte, terrassait l’adversaire et allait de victoire en victoire, et que si, fermement unis autour d’elle, ils s’engageaient dans la résistance nationale, ils pourraient bel et bien écraser les impérialistes japonais et libérer le pays.
Se voyant aux abois devant ces actions prodigieuses, l’armée et la police japonaises et mandchoues qui se targuaient d’avoir anéanti les troupes de guérilla par leur «opération spéciale pour le maintien de l’ordre public au Sud-Est» et leur «expédition punitive» de grande envergure, ne savaient plus où donner de la tête.
Les activités de notre ARPC en formations réduites ont connu une recrudescence autour de la période de formation de l’Armée alliée internationale.
Nous les amplifiions et les approfondissions alors en mettant l’accent sur la reconnaissance militaire et sur les préparatifs de la résistance nationale pouvant contribuer à la campagne finale contre le Japon, que nous voyions approcher.
A cette étape, nos opérations étaient entreprises essentiellement par les détachements formés d’éléments du corps de l’ARPC; nous y adjoignions les activités de reconnaissance militaire de nos hommes membres de l’AAI. Ce mode d’association qui nous permettait de nous compléter mutuellement et de collaborer au besoin tout en agissant indépendamment, à partir des conditions d’activités et des impératifs de la situation, a rendu possibles la consolidation et l’expansion des succès politico-militaires des activités en petites formations.
Ce qui caractérisait nos activités suivant la formation de l’AAI était notre principe de nous axer sur les activités des groupes et d’y associer celles des détachements relativement nombreux. Dans le cas des opérations militaires par exemple, nous avons veillé principalement, selon ce principe, à opérer par groupes, actions auxquelles étaient convenablement combinées l’attaque surprise et l’embuscade, formes de combat courantes des petits détachements.
Voici des témoignages faisant état de la recrudescence des activités des détachements et des groupes de l’ARPC en Corée et en Mandchourie:
«... Kim Il Sung, C
«Au début de 1942, les partisans coréens ont détruit en Corée septentrionale 22 avions japonais et 2 hangars, coulé 2 bateaux-citernes et 92 bateaux de pêche par une série d’opérations.» (La Corée par V. Yarovoï, p. 44, septembre 1945, Editions de la Marine soviétique)
Nos détachements expédiés en Corée et en Mandchourie se sont également appliqués à désagréger les troupes ennemies. Etant donné leurs actions, l’horreur de la guerre a gagné de plus en plus l’armée japonaise, les cas se multipliant où de jeunes Coréens enrôlés de force désertaient avec leurs armes pour rejoindre les groupes de notre armée révolutionnaire. Même des pilotes de l’aviation ennemie se sont mutinés passant au camp de l’ARPC.
Le plus important des résultats de nos activités menées par petits détachements est d’avoir minutieusement fait les préparatifs requis en vue de la libération de notre pays, tout en conservant et accumulant nos forces en dépit des tentatives de l’ennemi pour nous anéantir.
Les succès politiques et militaires qu’a remportés l’ARPC en opérant par petites formations allaient servir efficacement à hâter le jour de la libération de notre pays.
5. La foi et la trahison
Depuis quelque temps, les journaux ont recommencé à publier les souvenirs des anciens partisans antijaponais, et c’est une bonne chose.
Chacun de ces souvenirs, par sa valeur éducative, constitue un bien précieux à la disposition de notre Parti.
Quelle bonne lecture que le souvenir intitulé: Une foi inébranlable en la victoire, par exemple! Notre peuple s’en est beaucoup inspiré dans les années 1960. Les souvenirs des anciens partisans antijaponais ont grandement contribué à la remise en état de l’économie et à l’industrialisation du pays dans l’après-guerre.
Quand on est en difficulté et contraint à une dure lutte, il est utile de lire des souvenirs tels que celui-là, car les difficultés engendrent des hésitations.
En effet, dès que notre révolution s’est heurtée à des épreuves comme la Dure Marche, on a vu se révéler parmi les éléments peu convaincus des traînards, des déserteurs et des capitulards.
Il en a été de même lors du traité de neutralité conclu entre l’Union soviétique et le Japon. Ji Kap Ryong, dont on parle dans Une foi inébranlable en la victoire, compte parmi les hésitants et les fuyards d’alors.
Le traité de neutralité soviéto-nippon a été signé en avril 1941 à Moscou, par Matsuoka, ministre japonais des Affaires étrangères, de passage en revenant d’Allemagne. C’était l’époque où j’opérais à la tête d’un petit détachement. La conclusion du traité s’est répercutée dans les rangs de l’ARPC.
Le traité stipulait en substance l’engagement des parties à maintenir leurs relations pacifiques, à conserver chacune leurs territoires, à respecter la non-agression, à ne pas intervenir dans le cas où l’une d’elles entrerait en conflit avec un tiers pays.
Aucun article du traité ne mentionnait la Corée. Les Coréens n’avaient donc aucun motif de se mettre martel en tête à cause du traité. Cependant, la nouvelle a découragé plus d’un révolutionnaire coréen. Que l’Union soviétique, en qui ils voyaient pourtant leur allié le plus sûr, ait tendu la main au Japon, pays ennemi, cela signifiait à leurs yeux qu’ils avaient perdu leur partenaire. Car l’engagement des deux parties à respecter les territoires l’une de l’autre et à maintenir leurs relations pacifiques voulait dire, croyaient-ils, que l’Union soviétique ne se battrait pas contre le Japon.
Ce raisonnement a fini par engendrer le pessimisme, le défaitisme et le capitulationnisme quelque part dans nos rangs.
Du reste, les Japonais faisaient beaucoup de publicité au sujet du traité de neutralité soviéto-nippon, publiant dans leurs journaux des photos de Staline avec Matsuoka qui ont particulièrement excité les hésitants.
Or, le fait est que les communistes coréens ne devaient pas changer d’attitude fondamentale à l’égard de la révolution, que les voisins aient conclu ou non un traité entre eux. Est-ce que nous avons compté sur une quelconque puissance en entreprenant notre révolution? Non. Loin de là, nous l’avons entreprise suivant nos propres convictions. D’ailleurs, après que nous avions commencé notre lutte armée, nous n’avons pas reçu de nos voisins une seule grenade à titre d’aide. Nous débrouillant seuls, confiants en notre peuple, nous avons mené la lutte armée, édifié le parti et milité pour un front uni.
Il nous a été donné alors de combattre en commun avec les Chinois et de former une alliance avec les Soviétiques. Si nous avons des alliés, à la bonne heure, mais peu importe que nous n’en ayons pas, telle était toujours notre attitude. Aussi, dès les premiers jours de la lutte armée, avons-nous inculqué l’idée d’indépendance aux partisans et à la population, leur avons-nous insufflé une confiance en soi révolutionnaire. J’ai insisté constamment sur l’idée qu’une attitude indépendante permet la survie, tandis que la dépendance à l’égard de l’étranger conduit à l’esclavage; si l’on compte sur soi, on accédera à la prospérité; sinon on ne parviendra pas à obtenir la libération nationale ni à édifier un pays nouveau.
Or, certains commandants peu soucieux de faire prévaloir l’idée de libération par soi-même et celle de la confiance en soi n’ont mis l’accent que sur la puissance de l’Union soviétique et les contradictions existant entre elle et le Japon, laissant ainsi des esprits tels que Ji Kap Ryong s’imprégner de l’idée servile qu’une guerre soviéto-nipponne offrirait seule l’occasion de libérer la Corée et que l’aide d’une grande puissance telle que l’Union soviétique était indispensable pour l’emporter sur le Japon.
La visite du ministre japonais des Affaires étrangères à Moscou où il a signé le traité de neutralité avec les Soviétiques n’était qu’une feinte. A l’époque, les Japonais ne faisaient que guetter une occasion favorable pour marcher sur le Nord. S’étendre sur le Nord, c’était attaquer l’Union soviétique. Le Japon et l’Allemagne se sont entendus en secret pour collaborer dans leur attaque contre l’Union soviétique et même ont établi un projet prévoyant de se partager respectivement son vaste territoire, soit l’est et l’ouest de l’Oural.
Or, le Japon n’avait pas encore le potentiel nécessaire pour se lancer dans une attaque contre l’Union soviétique. Aussi la thèse de l’expansion vers le Sud l’a-t-elle emporté. Son plan s’est ainsi établi: il occuperait l’Asie du Sud-Est où il se créerait une réserve suffisante de matériel stratégique, ensuite, lorsque l’Allemagne d’Hitler aurait porté un coup mortel à l’Union soviétique, il déboucherait dans la région extrême-orientale soviétique et avalerait d’un seul coup la région s’étendant jusqu’à l’Oural. Un stratagème attentiste: le fruit mûr tombe de lui-même. Le traité de neutralité n’était qu’une supercherie obéissant à ce programme.
Deux mois après la conclusion du traité de neutralité, les troupes allemandes attaquaient l’Union soviétique. Sans tarder, le Japon a décrété les «manœuvres spéciales de l’armée du Guandong», ainsi donnant presque le feu vert à une guerre contre l’Union soviétique. Ce fut l’occasion de doubler les effectifs des troupes de l’armée du Guandong déployées à la frontière soviéto-mandchoue, ce qui en disait long sur les intentions secrètes des Japonais.
Matsuoka, bien qu’il ait été le protagoniste du traité de neutralité, sera l’un des premiers à préconiser le déclenchement immédiat d’une guerre contre l’Union soviétique. Cela donne une idée de la perfidie et du cynisme des dirigeants du Japon de l’époque.
On peut se demander si l’Union soviétique ignorait les vraies intentions du Japon. Sans doute y voyait-elle tout à fait clair, mais redoutant avant tout d’être attaquée à la fois à l’Est et à l’Ouest respectivement par le Japon et l’Allemagne, elle ne pouvait que se féliciter de la visite spontanée d’un Japonais qui parlait de maintien de relations pacifiques, de respect des territoires, etc. En ce moment-là, l’Union soviétique se trouvait exposée à un danger imminent sans précédent, l’attaque de l’Allemagne hitlérienne. Les nombreuses troupes allemandes étant concentrées sur sa frontière ouest, prêtes à foncer sur elle, la neutralité, bien que de façade, affichée par le Japon envieux de la Sibérie permettait à l’Union soviétique de retarder la perspective d’une attaque venant à la fois de l’Est et de l’Ouest.
Staline lui-même est allé à la gare reconduire le ministre japonais des Affaires étrangères à son départ de Moscou. Cela démontrait clairement l’état d’âme de la direction soviétique préoccupée par l’imminence d’une guerre imposée par l’Allemagne.
Quelle stupidité donc de croire que la conclusion du traité de neutralité ait fait de l’Union soviétique un ami du Japon!
Plus la conjoncture gagne en tension, plus il faut l’apprécier exactement. Si l’on s’arrête à l’apparence des faits sans saisir leur essence, on tombera facilement dans l’erreur. C’était le cas pour Ji Kap Ryong.
Sa désertion a été appelée «affaire de Wangbabozi».
Elle se situe au printemps 1941, alors que j’opérais à la tête d’un petit détachement dans la région d’Antu. Depuis une base établie à Hanconggou, je dirigeais les activités des petits détachements et des groupes expédiés aux quatre points cardinaux. Ce qui était embêtant pour nous, c’est que toute la population était enfermée dans des villages de regroupement. Pas facile de prendre contact avec elle.
Le seul moyen à notre portée, c’était de faire appel aux chasseurs, aux charbonniers ou aux herborisateurs battant la montagne pour établir des liens avec la population.
A l’époque, on chassait le cerf en installant une chausse-trappe du printemps à l’automne. On creusait un profond trou, on posait au fond debout et serré des tiges de fer pointues, on fermait la bouche d’un léger branchage puis d’herbes et l’on répandait dessus du sel. Dès que le cerf, attiré par le sel, mettait le pied sur les herbes, il tombait dans le trou où les tiges de fer l’empalaient.
Si l’on s’entendait avec ceux qui pratiquaient ce genre de chasse, on parviendrait à se lier avec les organisations clandestines ou à sonder l’ennemi.
J’ai divisé les petits détachements en plusieurs groupes que j’ai envoyés un peu partout avec des missions précises. Quant à Ji Kap Ryong, il est allé avec Kim Pong Rok dans un endroit appelé Wangbabozi dans le district d’Antu avec mission de se procurer des approvisionnements tout en opérant auprès de la population.
Les responsables de tous les groupes expédiés sur l’ordre du commandement respectaient la consigne de faire un rapport tous les cinq jours. Or, le groupe de Ji Kap Ryong et de Kim Pong Rok ne donnait pas signe de vie. Le cas sortait de l’ordinaire. Il eût fallu leur dépêcher un homme compétent pour voir ce qui s’y passait, mais le personnel manquait au commandement. Heureusement, c’est alors qu’est rentré le groupe conduit par Ryu Kyong Su et comprenant en outre Kim Ik Hyon et un Chinois du nom de Xu Baoren, des hommes musclés et solides qu’il faisait maintenant pitié de voir.
Ils avaient tant souffert en route, disaient-ils. Souffert du manque de vivres, souffert du long détour à faire à cause du débordement de la rivière Fuer, souffert de crampes d’estomac. Et ils avaient eu encore mille morts à souffrir au passage d’une localité, peut-être Depuchaihe, lorsqu’ils avaient été surpris et poursuivis par une bande d’émigrés Liukyu armés déguisés en paysans.
L’histoire de cette bande armée racontée tour à tour par Ryu Kyong Su et Kim Ik Hyon m’a fait juger de la perfidie et du machiavélisme des impérialistes japonais.
La bande comprenait une centaine de membres qui, travestis en paysans, faisaient les semailles du printemps. Tout a commencé lorsque les partisans ont essayé d’obtenir des provisions de ces «cultivateurs».
Trois des nôtres, aux aguets en bordure du chemin, avaient abordé un «paysan» qui s’était approché. «Nous sommes des partisans combattant les Japonais, ont-ils dit. Voulez-vous acheter des vivres pour nous? Nous vous donnerons l’argent au préalable.» Or, ce «paysan» ne comprenait rien. Ni en coréen, ni en chinois. Un sourd-muet? Le malentendu ne s’est dissipé que lorsque nos camarades ont gesticulé.
Le «paysan» s’est alors éloigné de quelques pas et a poussé un cri. Du coup, ceux qui travaillaient dans les champs se sont dispersés, allant chercher leurs fusils derrière les amoncellements de pierres et de paille et se sont mis à faire feu en direction des partisans. Chacun hurlait dans cette foule noire qui s’est ruée, aussitôt couverte par deux mitrailleuses.
Un piège comme on en avait rarement vu.
Nos camarades ont couru plus de deux kilomètres avant de se débarrasser enfin de leurs poursuivants. Las, ils n’étaient alors même plus en état d’ouvrir les yeux. Heureusement, ils ont pu cueillir dans un champ quelques pommes de terre qu’ils ont mangées bouillies. A tout hasard, ils ont attaché au bout d’un bâton la somme de 50 yuan enveloppée dans du papier huilé, puis ont planté le bâton en bordure du champ pour que le propriétaire puisse le voir.
A l’époque, un bœuf de trait coûtait quelque 50 yuan, somme qu’ont payée nos camarades pour une cuvette de pommes de terre!
La rencontre avec cette bande armée de mitrailleuses même est révélatrice des difficultés que rencontraient nos petits détachements.
Tous les moyens étaient en effet bons pour l’ennemi pourvu qu’ils l’aident à saper nos rangs.
Kim Ik Hyon était rompu de fatigue, mais dès qu’il avait appris qu’il fallait se renseigner sur le sort du groupe de Ji Kap Ryong et de Kim Pong Rok, il s’est porté volontaire.
Le lendemain, je l’ai expédié à Wangbabozi.
Une fois sur place, il s’est enquis des activités du groupe, s’apercevant ainsi que le responsable du groupe qu’était Ji Kap Ryong, prostré, n’avait rien fait pour s’acquitter de la mission donnée par le commandement. Du matin au soir, Ji Kap Ryong passait son temps à contempler le village du sommet du mont voisin.
Pour sa part, Kim Pong Rok, à jeun depuis quatre jours, restait allongé dans une hutte. Il n’osait aller présenter son rapport au commandement, trop faible et n’ayant rien à dire de la mission.
Dès que Ji Kap Ryong a été de retour, Kim Ik Hyon s’est mis à le raisonner. «Il y a près de dix jours que vous êtes là, chargés d’une mission. Comment rester donc inactifs, sans même faire un rapport au commandement? Allons ce soir même voir des chasseurs pour nous mettre à l’œuvre.»
A quoi Ji Kap Ryong a répliqué: «Non, l’ennemi a l’œil sur tout. Il faut plutôt attendre.» Kim Ik Hyon a eu beau essayer de le persuader, il restait imperturbable.
Et voilà que le lendemain matin, pendant que les deux autres faisaient leur toilette, Ji Kap Ryong a pris leurs fusils. Puis, il s’est approché d’eux pour leur jeter:
«Me voilà dans les rangs de combattants depuis près de dix ans. J’ai souffert mille morts mais j’ai patienté dans l’espoir que la Corée recouvre son indépendance. Cependant ce rêve s’est dissipé. Comme vous le savez, un traité de neutralité a été conclu entre l’Union soviétique et le Japon. Moi, je croyais que de profondes contradictions séparaient les deux pays et qu’une guerre éclaterait entre eux. En coopération avec les troupes soviétiques, me disais-je, nous écraserons alors les Japonais et libérerons le pays. Tout cela s’est envolé en fumée. C’est maintenant une chimère et je ne veux plus jouer à cache-cache. Au reste, ma maladie a empiré et je dois rentrer chez moi.»
Kim Ik Hyon, médusé, lui a demandé s’il parlait en toute bonne foi.
«Oui, a répondu Ji Kap Ryong, je parle du fond du cœur. C’est une décision que j’ai prise après plusieurs jours de réflexion. Si vous voulez, vous viendrez avec moi.»
Kim Pong Rok, pleurant de dépit, lui a jeté: «Va-t-en tout seul, si tu veux. Si je dois mourir, je mourrai près du camarade Commandant. Que l’avenir de la révolution soit sombre ou non, peut-on penser à abandonner notre Commandant?»
Ji Kap Ryong a juré de ne jamais se livrer à des infamies comme Rim Su San et de rester un homme digne.
Kim Ik Hyon a réfuté:
«Aussi sombre que soit l’avenir de la révolution, nous n’oserions pas abandonner notre Commandant pour aller avec toi. Quelle morale que de le suivre quand cela te chante et de le quitter lorsque vient la difficulté? Tu nous promets de vivre en homme digne. Mais dès que tu auras quitté le maquis, tu verras que c’est impossible même si tu le veux. Dès que tu auras déposé les armes, tu ne vaudras pas plus qu’un simple caillou. Tu sais ce que sont devenus Rim Su San, C
Ji Kap Ryong, protestant de la fermeté de sa résolution, a refusé de leur rendre leurs fusils avant d’avoir descendu la montagne, disant qu’il les mettrait sous le pont situé à deux pas de leur hutte.
Peu de temps après le départ de Ji Kap Ryong, Kim Pong Rok est allé au pont d’où il a rapporté les deux fusils. Aussitôt, Kim Ik Hyon et Kim Pong Rok se sont mis en route pour le point de liaison convenu. Souffrant de la faim depuis plusieurs jours et ayant eu à se livrer à des affrontements en cours de route, ils n’y sont parvenus qu’avec beaucoup de retard. Ils ont donc raté l’agent de liaison que nous avions expédié. Dans notre armée de guérilla, un principe était en vigueur qui voulait que le commandement se déplace après le départ en mission de petits détachements et qu’on envoie ensuite à l’endroit un agent de liaison.
Les deux partisans sont toutefois restés à ce point de liaison, attendant que les liens avec le commandement se rétablissent. Pour toute nourriture, ils n’avaient que de la décoction d’herbes, eau verdâtre avec un peu de sel.
Un jour, ils ont fait bouillir des os de bœuf dont la viande avait été consommée quelques mois auparavant. Dans cette eau, on voyait nager comme des grains de riz qui n’étaient rien d’autre que des larves. Bonne soupe toutefois, qui a eu pour effet de les assoupir.
Quelques jours après, terrassés par la faim, ils ont écrit avec du charbon de bois sur le tronc d’un arbre écorcé: «Ji Kap Ryong a pris la fuite, Kim Ik Hyon et Kim Pong Rok sont morts de faim.» Ensuite, ils se sont allongés l’un à côté de l’autre dans des broussailles, n’attendant que l’instant ultime. Si nous n’avions pas envoyé à temps Jon Mun Sop au point de liaison, ces deux camarades auraient fini leurs jours dans ce trou, inconnus.
A la vue de l’écriture sur le tronc d’arbre, Jon Mun Sop a parcouru toute la montagne, criant d’une voix angoissée les noms de ces compagnons d’armes. C’est à grand-peine qu’il les a retrouvés, les deux ne faisant que gémir, sans même la force de répondre à l’appel.
Comment décrire maintenant toute la peine que s’est donnée Jon Mun Sop pour ramener les deux camarades jusqu’au commandement! Il s’est tellement épuisé lui-même qu’à la fin il était incapable de marcher. Il parvint cependant par un effort désespéré à s’acquitter avec honneur de sa mission. Kim Ik Hyon et Kim Pong Rok, arrivés à destination, n’ont repris connaissance qu’après avoir avalé quelques cuillerées de bouillie.
L’incident de Wangbabozi nous a donné une leçon cinglante.
Son enseignement le plus impérieux concernait la nécessité de combattre la servilité et d’insuffler à chacun la confiance en soi.
La défection de Ji Kap Ryong provenait de sa servilité envers les grandes puissances étrangères autant que de sa perte de foi en la victoire de la révolution, en l’occurrence, de son esprit de dépendance envers l’Union soviétique. Sans cesser de créer des illusions sur l’Union soviétique, certains commandants répétaient à leurs hommes que les contradictions l’opposant au Japon entraîneraient forcément une guerre qui conduirait ce dernier à sa perte.
Il faut reconnaître que certains partisans étaient serviles envers l’Union soviétique. Une grande puissance engendre toujours, autour d’elle, des suivistes ou des idolâtres, d’où l’on a vu se révéler un élément comme Ji Kap Ryong qui, à la vue des photos illustrant la rencontre de Staline avec Matsuoka, en est venu à douter de l’avenir de notre révolution et, finalement, à décamper.
C’est pour prévenir la réédition de cas de désertion du genre que nous avons proposé le mot d’ordre: «Accomplissons par nous-mêmes la révolution coréenne!» et lancé une campagne dynamique contre l’attitude servile.
Un autre enseignement précieux fourni par cet incident est qu’un révolutionnaire tire sa vie de sa foi, qu’il cesse d’être dès qu’il la perd.
Si Ji Kap Ryong a pris la fuite, c’est qu’il n’avait plus de foi en la victoire de la révolution; par contre, si Kim Ik Hyon et Kim Pong Rok ont regagné le commandement, c’est qu’ils ont préféré garder confiance, quitte à se contenter de décoction d’herbes, et rester fidèles, jusqu’à l’approche de la mort, à l’idée que la révolution triompherait.
Oui, c’est la foi qui fait la vie du révolutionnaire.
D’où vient la foi en la victoire de la révolution? Elle vient de la confiance en soi. Le révolutionnaire parvient à garder sa foi s’il a une ferme confiance en son leader suprême, en ses propres capacités, en la force de la collectivité dont il fait partie, en la force de son peuple et de son parti.
Chacun est animé d’une certaine foi quand il s’engage dans la révolution. La question est de savoir si cette foi sera durable. Et cela dépend de la trempe qu’elle a reçue. Insuffisamment fortifiée, elle se prête facilement à la corruption. Le moyen de la fortifier, c’est la formation politique et idéologique qu’on acquiert dans la vie militante et idéologique et la pratique révolutionnaire.
D’aucuns mesurent la fermeté de la foi à l’ancienneté révolutionnaire. Elles ne sont pas proportionnelles. D’un manque d’effort de formation peut résulter la faiblesse de la foi, aussi ancienne qu’elle soit, ou inversement un effort de formation consciencieux peut conduire à sa fermeté, même en peu de temps.
Ji Kap Ryong était beaucoup plus ancien que Kim Ik Hyon ou Kim Pong Rok. Il avait près de dix ans de vie de partisan, tandis que Kim Ik Hyon n’en avait que quatre et Kim Pong Rok, presque une recrue, deux seulement.
Mais qui a changé son fusil d’épaule? Ji Kap Ryong, pourtant le plus ancien comme partisan, tandis que ses cadets sont restés fidèles. C’est dire que la perte de la foi entraîne la corruption indépendamment de l’ancienneté et du mérite.
Ji Kap Ryong, s’étant battu dans l’armée de guérilla dès sa fondation, avait accompli des prouesses qui lui ont valu sa promotion au grade de chef de compagnie. Pourtant, la conjoncture s’étant aggravée, il s’est laissé ébranler. D’abord, il a saboté ses missions. Il souffrait de l’estomac, disait-il. Des partisanes lui ont alors confectionné une ceinture protectrice spéciale. Compassion et sollicitude lui ont été exprimées, qui ne l’ont cependant pas aidé à venir à bout des épreuves, ni empêché de déserter les rangs.
L’homme s’est battu sans craindre la mort quand sa foi était intacte mais dès qu’elle a été atteinte, il est devenu un traînard et un ingrat.
Il en a été de même pour Rim Su San. S’il a tourné sa verte, ce n’est pas parce qu’il était un blanc-bec. Par contre, il se classait parmi les plus anciens révolutionnaires. Déjà en 1933, il était instructeur politique de la 2e compagnie de la troupe de partisans de Yanji quand Pak Song Chol, ouvrier dans la mine de Badaogou, est allé à Cangcaicun s’enrôler. Il l’avait invectivé, lui criant de s’en retourner pour n’avoir pas été recommandé par l’organisation.
Rim Su San avait fait même des études secondaires, puis avait enseigné avant de s’enrôler. Sa haute taille qui dépassait même celle de Kim Il, sa belle physionomie, le bon sens qu’il témoignait, son éloquence lui avaient attiré la sympat
Il n’a pourtant pas tardé à montrer le bout de l’oreille. Parmi les partisans, des rumeurs ont couru: s’il sait tenir un beau langage, il est cependant poltron.
Au printemps 1938, nous avons livré, à Liudaogou, deux combats en un mois, bien qu’un seul nous eût suffi.
C’est Rim Su San qui a commandé les partisans dans une première action, qu’ils ont perdue au dernier moment.
Liudaogou était une importante ville fortifiée comptant plus d’un millier d’habitations serrées les unes contre les autres. Dès qu’on lui avait rapporté que l’ennemi était peu nombreux dans la ville, Rim Su San s’y était rué à la tête de son régiment sans savoir qu’un contingent nouveau était arrivé sur place après que nos éclaireurs étaient passés.
C’était un moment propice où l’ennemi, faisant bonne chère, ne pouvait avoir l’esprit ailleurs; on aurait donc pu l’écraser facilement. Or, s’apercevant de la supériorité numérique de l’ennemi, Rim Su San, pris de peur, a ordonné la retraite. Les nôtres se sont vus contraints à la défensive.
Déconcertés, ils ont cessé de monter à l’assaut tandis que l’ennemi est passé à la contre-attaque, en tirant par rafales de mitrailleuses. Somme toute, les partisans ont été obligés de se retirer de la ville fortifiée pour rentrer bredouille.
Aussitôt, l’ennemi a fait grand bruit, se flattant d’avoir repoussé les partisans. La population s’en est trouvée découragée. De la sorte, par la faute de Rim Su San, l’attaque de Liudaogou s’est soldée par un échec qui a porté atteinte au prestige de l’ARPC.
Aussi ai-je organisé une deuxième attaque. A la tête de la troupe, je me suis jeté à l’assaut, occupant la ville d’un seul coup. Il est clair que l’ennemi n’a plus pu se vanter.
Lors d’une réunion des commandants, nous avons critiqué la faute de Rim Su San dont la lâcheté était la cause principale.
Pourtant la critique n’a pas conduit à l’amendement du fautif. Pendant la Dure Marche il a négligé la mission donnée par le commandement, se réfugiant dans une vie indolente au camp secret de l’intendance. Il a fait l’objet d’une deuxième critique lors de la Conférence de Beidadingzi où l’on a même proposé de le destituer du poste de chef d’état-major.
Malgré cela, je lui ai accordé une fois encore le temps de se corriger.
A ce témoignage de confiance, Rim Su San s’est permis de répondre par sa volte-face. D’abord las d’une lutte armée qui s’éternisait, puis terrifié par l’entrée en campagne des «troupes punitives de Nozoe», d’une taille jamais vue, il n’avait cessé de tergiverser. Il devait aller au camp secret de Dongpaizi pour accomplir une mission indépendante lorsqu’il a trouvé le moment favorable pour aller se jeter dans les bras de l’ennemi. Loin de se contenter d’agir à lui seul, il a, par une entente secrète avec l’ennemi, fait mettre en embuscade un contingent «punitif» aux abords du camp secret pour kidnapper de nombreux compagnons d’armes.
A la fin, Rim Su San est allé jusqu’à conduire aux portes de notre commandement une «troupe punitive» dans l’espoir de me capturer, lui que je n’avais guère vu tirer de coups de feu lors des combats, et qui préférait rester dans les endroits reculés, hors d’atteinte des balles de l’ennemi, sous couvert de procéder au travail politique.
L’ennemi s’est vanté de la défection de Rim Su San comme s’il avait capturé un tigre, parlant à cor et à cri de «capitulation au grand empire japonais d’une huile de l’armée de partisans de Kim Il Sung» sous l’escorte de ses nombreux hommes.
Je ne cache pas que cette reddition a porté un dur coup au moral de nos partisans; pendant quelques jours, ils se sont tous enfermés dans le mutisme. Le préjudice matériel important que nous en avons subi, inutile de le mentionner.
Malgré tout cela, l’incident ne m’a ni surpris ni déçu.
Rim Su San était un élément dégénéré, corrompu sur le plan idéologique. Pareils éléments n’ont pas droit de cité dans nos rangs auxquels ils ne peuvent que nuire.
A toute époque, la révolution voit apparaître des renégats. L’histoire du mouvement communiste international ne mentionne pas seulement des noms tels que Staline, Zhou Enlai, Thaleman et Che Guevara. A côté d’eux, il y a des noms synonymes de trahison du leader et de sa cause.
Bernstein et Kautsky ont idolâtré pendant un temps Marx et Engels. Pourtant ils sont des renégats face à l’histoire. Ils ont trahi le marxisme, trahi également Marx et Engels, leurs maîtres et leurs aînés. De même, Trotski, qui avait occupé pendant un temps un poste important dans le parti soviétique, s’est fait l’ennemi de l’Etat soviétique. De son côté, Zhang Guotao a trahi Mao Zedong et le Parti communiste chinois en s’enfuyant chez Jiang Jieshi. Les renégats ont toujours fini pitoyablement. Au reste, on pourra se demander si leur vil acte a entraîné un échec ou un recul de la révolution? Loin de là: dès leur élimination, la révolution a pris chaque fois un essor, animée d’un renouveau d’énergie. Avec quelle rapidité a, en effet, progressé l’édification du socialisme en Union soviétique après l’élimination de Trotski! Si Trotski a cru qu’en son absence Staline ne pourrait rien faire qui vaille, que l’Union soviétique courrait à sa perte, le peuple de ce pays, lui, a érigé une puissance socialiste, la première du genre au monde. Après que Zhang Guotao a tourné le dos au parti communiste pour aller vivre aux dépens du Guomindang, la révolution chinoise, au lieu de décliner, a poursuivi son essor pour triompher dans tout le pays.
S’il est vrai que Rim Su San nous a fait du tort en se rendant à l’ennemi, en lui livrant les secrets de notre commandement et en battant la montagne sous l’escorte de la «troupe punitive», il n’en est pas moins exact que l’ARPC n’en a pas été affaiblie, ni ne s’est écroulée. Après sa défection, nos rangs se sont resserrés encore, gagnent en pureté, et notre révolution est allée de l’avant d’un pas sûr vers la victoire finale.
Des traîtres à la révolution ont fait aussi leur apparition dans notre pays, dans l’après-guerre, alors que l’édification du socialisme était lancée. C
Les rangs du mouvement nationaliste n’ont pas manqué eux non plus de renégats.
C
Or, au mépris de sa réputation de patriote, il a subitement répudié sa conscience et sa foi, s’engageant sur la voie de la trahison. Au début des années 1940, alors que la lutte armée contre le Japon était mise à sa plus rude épreuve, il a rédigé avec quelques autres éléments projaponais une recommandation indiquant mon nom en gros caractères et m’incitant à déposer les armes. L’imprimé a été diffusé par avion.
En voici quelques extraits:
«Vous voilà à vivre en plein air, sans logis, battant les montagnes désertes! Vous voilà qui faites pitié à sacrifier votre précieuse vie, avec une malheureuse foi aveugle, menant une existence primitive dans une forêt épaisse, hors de la lumière de la civilisation moderne! Le jour est arrivé de dire adieu à votre obscur passé. Choisir entre la vie et la mort...
Hélas! Vous errez dans une épaisse forêt!
Dès la lecture de la présente recommandation, vous prendrez votre décision ultime pour vous lancer dans une vie nouvelle. Ressentez votre honte, confessez vos erreurs et fuyez sans délai cette vie instable que vous menez, une vie sans précédent dans le monde. Revenez dans la chaude intimité des compatriotes! Faites ainsi don de votre courage et de votre ardeur à l’œuvre sacrée de l’édification de la nouvelle Asie orientale! Il n’est pas trop tard!...
C
Pak Sok Yun, chef des affaires générales
Siège du Comité de patronage de l’opération spéciale de la région du Sud-Est.»
[Numéro de janvier 16 de Showa (1941) de la revue Samcholli, pp. 206-209]
Parmi les partisans de l’ARPC, il y avait un médecin quinquagénaire surnommé «médecin du Chungchong». Il s’appelait Ryu Han Jong. Pendant quelques mois, il a fait partie de notre unité, allant visiter différents endroits avec nous pour soigner les blessés. Je me suis ainsi rendu compte qu’il était l’honnêteté même.
Avec quelques aiguilles d’acuponcture en or et un bistouri, Ryu Han Jong savait soigner toute blessure. Outre sa parfaite maîtrise de l’art médical, son dévouement total à ses patients inspirait du respect aux partisans. Je le respectais et l’aimais aussi. Comme il couchait souvent en plein air, je lui ai procuré une peau d’ours. D’ailleurs, après chaque attaque livrée contre une ville fortifiée, j’ordonnais aux partisans de chercher dans le butin médicaments ou instruments médicaux pour les lui remettre.
Au début de janvier 1940, la santé de Ryu Han Jong ayant sensiblement dépéri, nous l’avons renvoyé chez lui. Impensable de mener la vie de partisan à son âge, sauf avec une volonté et une détermination exceptionnelles.
Cependant, trois mois après, il est revenu nous voir.
«Pendant ces quelques mois, disait-il, j’ai vécu comme un coq en pâte, mangeant la nourriture préparée par ma femme. Mais le riz ne passait pas, il m’obstruait plutôt la gorge. Je n’en pouvais plus. Traîner chez soi une existence dépourvue de tout sens, est-ce là une vie digne d’un homme?»
Les yeux de Ryu Han Jong étaient humides de larmes. Quelle beauté dans sa manière de penser! Quelle pureté de conscience!
Cependant, son état de santé ne lui permettait pas de s’enrôler de nouveau, et j’ai dû me mettre en quatre pour le dissuader.
Désolé, il est rentré chez lui.
Au lendemain de la Libération, il est venu me voir en compagnie de sa fille. Touchantes retrouvailles qui m’ont laissé un vif souvenir! Me serrant la main, il pleurait de joie, disant qu’il n’avait plus rien à désirer maintenant qu’il m’avait revu bien portant. «Nous nous sommes débarrassés des Japonais, lui ai-je dit alors. Je vous propose maintenant de travailler avec moi pour édifier le pays.»
Ainsi est-il resté à Pyongyang où il a œuvré au comité d’aide aux révolutionnaires et comme médecin militaire à l’Ecole de Pyongyang. Sa fille est devenue dactylo au secrétariat du Comité populaire provisoire de Corée du Nord et ses deux fils ont combattu dans l’Armée populaire jusqu’à ce qu’ils tombent au champ d’honneur.
Quel contraste entre Ryu Han Jong d’un côté et C
Cet homme du commun était au-dessus de C
Selon mon expérience, les traîtres à la révolution étaient des gens sans foi qui tournaient à tous les vents, des mécontents, des parvenus, des carriéristes, des apathiques, des pseudo-militants.
Peuvent aussi abandonner le drapeau rouge et aller se fourrer chez l’ennemi à la première occasion ceux qui sabotent leur travail, ou sont irresponsables dans leur tâche, ceux qui, les sourcils froncés, invoquent tel ou tel prétexte pour refuser une tâche qu’on leur confie, ceux qui aiment parler de révolution et débiter de belles phrases en public mais qui se démènent en privé pour remplir leurs poches, ceux qui n’hésitent pas à s’attribuer les mérites des autres, ceux qui mentent sans rougir.
Tous ces gens, aussi différents qu’ils puissent paraître, ont un trait commun: ils ont répudié leur conscience.
Que vaut un révolutionnaire qui perd sa conscience morale? Rien. Son idéal, son idéologie, son sens des obligations, tout s’abîme. Et sa dignité humaine est atteinte.
Sois un homme avant d’être un révolutionnaire, disons-nous. C’est-à-dire qu’il faut garder sa conscience intacte et respecter ses obligations. On devient moral et on tient ses obligations quand on a une conscience pure. Sinon, il ne peut plus être question ni de morale, ni de sens des obligations, ni d’esprit de sacrifice, ni de sentiment de la justice, ni de loyauté. Quel mot illustre que celui du camarade Kim Jong Il: «Il faut intégrer la fidélité au leader suprême dans sa foi, dans sa conscience, en faire une obligation morale et un impératif de sa vie.»
On ne peut devenir un révolutionnaire que si l’on a la conscience intacte. Si la conscience est souillée ou atteinte, la foi le sera aussi et la volonté de combat sera annihilée.
Aussi, dès qu’il répudie sa conscience morale, le révolutionnaire cesse d’être digne de ce nom, devenant une nullité.
Avec ceux qui ont bafoué leur conscience, on ne peut ni aller le même chemin ni manger à la même gamelle, car ils pensent à autre chose tout en faisant le même travail, se dévouent en face mais complotent dans le dos. Le mieux, c’est de se séparer d’eux, sinon ils feront du mal.
Ji Kap Ryong, par exemple, a perdu ses qualités de révolutionnaire dès que sa conscience a été rongée.
Je me suis aperçu d’un manque de conscience dans sa conduite lors de la bataille de Liukesong.
La cible principale de l’attaque, c’était les casernements ennemis, la bataille mobilisant le 7e régiment et l’unité de Hwang Jong
Apparemment, il s’était blessé légèrement en tombant sous le choc de la balle qui a percuté son arme.
Il avait pris peur, à n’en pas douter; aussi ai-je confié la mission cette fois à Ji Pong Son et Kim Hak Song.
Sous une grêle de balles, tous deux se sont élancés vers le théâtre du combat, puis sont revenus. Ils avaient découvert que quelques débris d’une unité ennemie en déroute résistaient depuis un conduit souterrain secret communiquant avec un casernement. Sans tarder, j’ai envoyé l’ordre de retirer les partisans du casernement et de mettre à feu le conduit souterrain.
Hélas! Avant que cet ordre ne fût parvenu à O Jung Hup, celui-ci a été tué. Employant de sa propre initiative la tactique de la mise à feu, il avait entrepris une fouille hâtive sans se retirer avec ses hommes. Une perte irréparable!
Si Ji Kap Ryong, au lieu de s’en retourner à mi-chemin, avait procédé vers le casernement pour voir ce qui s’y passait et nous en informer, mon ordre fût parvenu à O Jung Hup sans retard et le malheur eût été évité. Dans un combat, chaque seconde compte pour faire face à une situation nouvelle. La mission, passant de Ji Kap Ryong à Kim Hak Song et Ji Pong Son, avait pris trop de temps de façon qu’O Jung Hup a reçu des rafales de coups de feu tirées depuis le conduit souterrain.
Déjà à ces moments-là, Ji Kap Ryong n’avait plus de conscience de combattant. D’autres partisans ne seraient pas retournés en cours de route, même grièvement blessés.
De quel méfait n’est donc pas capable, par irresponsabilité et lâcheté, un individu à la conscience rongée!
Tous ceux qui ont répudié leur conscience et trahi la révolution ont fini lamentablement. C’est le verdict impartial de l’Histoire. Et ceux qui ont eu la chance d’être absous en raison de circonstances atténuantes ont pourtant souffert en leur for intérieur jusqu’à la mort, sans jamais plus pouvoir relever la tête.
Par contre, ceux qui ont gardé leur conscience révolutionnaire et leur foi jusqu’à la victoire, le peuple les a accueillis sous une pluie de confetti et en leur offrant des lauriers.
Le fameux Pak Song Chol, ouvrier dans la mine de Badaogou, que Rim Su San avait tancé vertement pour n’avoir pas été cautionné par l’organisation, s’est battu en brave partisan par la suite jusqu’à la Libération, et aujourd’hui encore il poursuit sa carrière révolutionnaire en assumant une fonction importante d’Etat.
Un jour, pendant une marche, ce Pak Song Chol a obtenu la permission de son chef de s’arrêter chez lui. Comme il s’était enrôlé depuis des années et n’avait pas de nouvelles des siens et que la troupe passait maintenant par son village, il ne pouvait résister à l’envie de les revoir.
Or, un imprévu allait se produire chez lui. Dès que sa femme l’a vu, elle a mis son enfant sur son dos et demandé à l’accompagner dans la guérilla. «N’es-tu pas folle? a répliqué l’homme, lui barrant le passage. Toi, une femme avec un enfant, comment veux-tu faire la guerre?» Alors la femme lui a empoigné la ceinture, visiblement décidée à ne pas lâcher prise.
Elle n’avait pas l’air de se laisser facilement dissuader et il ne convenait pas non plus au mari de s’arracher à son étreinte, car elle risquait alors de fondre en sanglots. Gare aux sanglots! Ils auraient pu porter l’histoire à la connaissance de tout le village et même de l’ennemi, qui ne manquait adonner la chasse aux familles de partisans.
Pak Song Chol ne savait où donner de la tête quand sa mère est venue à sa rescousse, raisonnant sa bru: «Ecoute, ma fille, tu pourrais causer la perte de ton homme. S’il ne parvient pas à rejoindre son unité avant l’heure convenue, il sera considéré déserteur, et la désertion côtoie la trahison. Peux-tu accepter qu’il en soit ainsi pour ton mari?»
La jeune femme, désolée, n’y trouvait rien à redire, mais pourtant ses mains restaient cramponnées à la ceinture de son mari.
S’adressant alors à son fils, sa mère a tonné: «Une fois qu’un homme a quitté les siens pour une grande cause, il est bien parti. Pourquoi viens-tu nous perturber en pleine nuit? Gare à toi, et finis tes visites! Si jamais tu oses revenir avant l’indépendance du pays, je te casserai les jambes.»
C’est alors seulement que la jeune femme a lâché prise.
Quant à Pak Song Chol, touché au vif par les propos de sa mère, il n’a pas trouvé mieux que de s’en retourner sur-le-champ.
Du point de vue de leur instruction, la mère et la femme de Pak Song Chol ne pourraient entrer en parallèle avec Rim Su San. Pourtant, à l’égard de la révolution, elles avaient une attitude sublime, hors d’atteinte de Rim. Quelle beauté dans le désir de la jeune femme de prendre le maquis, quitte à porter son enfant sur son dos! Quelle noblesse dans l’attitude de la vieille femme qui menaçait son fils de lui casser les jambes s’il revenait avant l’indépendance du pays!
Le jour où Kim Ik Hyon a reçu le titre de vice-maréchal de l’Armée populaire de Corée, je me suis remémoré certains faits de son passé, le revoyant arriver dans la fleur de l’âge sur le plateau de Diyangxi, supplier qu’on l’admette dans l’armée de partisans, puis le revoyant attendre la mort, enfoui dans les broussailles, après avoir écrit un message sur un tronc d’arbre quand il s’était vu menacé de crever de faim en dépit des séductions débitées par Ji Kap Ryong.
Déterminé à braver la mort, Kim Ik Hyon a survécu, laissant ainsi son nom à la postérité.
Au reste, quelle fermeté et quelle camaraderie chez Jon Mun Sop, partisan qui a amené Kim Ik Hyon et Kim Pong Rok au commandement, en les portant sur son dos l’un après l’autre! Arrivé à destination, Jon Mun Sop n’en finissait plus de pleurer, s’apitoyant sur le malheur de ses compagnons d’armes.
Des gens dépourvus de foi et de conscience morale auraient abandonné ces camarades, au moins pour s’épargner les souffrances de la faim, quelques pas vers le pied de la montagne et l’on aurait pu aller où l’on voulait. Pas de barbelés, ni clôture, ni mirador. Si l’on avait jeté le fusil, puis dévalé le maquis et apposé son sceau sur un document, on aurait pu manger à sa faim et se reposer autant qu’on voulait dans une bonne chambre chaude.
Mais Jon Mun Sop, lui, loin de se laisser tenter par cette perspective, s’est donné la peine de porter ses deux compagnons jusqu’au commandement. Il était tel et il restera tel, toujours loyal à moi, et au service de la révolution.
Il est essentiel de former le plus grand nombre possible d’éléments à la foi inébranlable du genre des vétérans de la guerre antijaponaise, eux qui ont vécu une vie brillante. Un désir momentané ne sert pas à faire progresser la révolution et le socialisme. C’est la foi qui compte pour se défendre et sauvegarder le socialisme.
La victoire est promise, à ceux — et à eux seuls —, qui sont convaincus de survivre à la faim, qui acceptent de souffrir toute une vie pour s’offrir un seul jour digne d’un homme, qui ont la certitude que l’organisation dont ils font partie les recherchera et retiendra leur nom, même s’ils se perdent et finissent leurs jours séparément dans une île déserte ou une forêt inconnue, qui sont prêts à se donner la mort ou à monter sur l’échafaud pour payer de retour leur dirigeant et leurs camarades auxquels ils doivent ce qu’ils sont aujourd’hui.
Plus le pays est en difficulté, plus il importe de former chacun à la foi en la victoire de la révolution, à la foi en la cause du socialisme. J’estime et j’aime les gens à la foi inébranlable.
6. L’organisation de l’Armée alliée internationale
Pendant les dernières années de sa vie, le Président Kim Il Sung évoqua les activités qu’il avait menées dans la première moitié des années 1940 sur le territoire de l’Union soviétique, aspect de l’histoire de notre révolution peu connu jusqu’ici.
Les souvenirs, faisant la lumière sur la formation de l’Armée alliée internationale (AAI) et l’ensemble de ses activités, revêtent une signification historique indéniable.
Au début des années 1940, la lutte révolutionnaire antijaponaise est entrée dans une nouvelle étape de développement, étape qui annonçait une phase décisive dans notre œuvre de libération du pays. Depuis l’été 1942, nous avons organisé en territoire soviétique l’Armée alliée internationale avec nos compagnons d’armes chinois et soviétiques et renforcé par tous les moyens nos préparatifs politiques et militaires visant à anéantir définitivement l’impérialisme japonais; c’est un des aspects importants de la lutte que nous avons menée à cette époque-là.
On peut considérer que la révolution coréenne a franchi le seuil d’un nouveau stade de développement lorsque l’Armée révolutionnaire populaire coréenne (ARPC) a entrepris la lutte commune avec les forces armées soviétiques et chinoises dans le cadre de l’AAI.
Libérer le pays de l’occupation des impérialistes japonais était la tâche immédiate que notre révolution s’était proposée. Or, une fois l’AAI organisée, nous nous sommes vu imposer, en outre, la tâche mondiale d’anéantir définitivement le militarisme japonais.
La création de ces forces alliées a entraîné un grand changement dans notre lutte armée. Ce fut l’occasion pour nous de passer de la lutte commune avec le peuple chinois à l’ample lutte représentée par l’alliance des forces armées des trois pays, Corée, Chine et Union soviétique, d’accéder à un nouveau front appelé à rejoindre l’impétueux courant de la lutte anti-impérialiste et antifasciste mondiale.
La première moitié des années 1940 a été, pour ainsi dire, la période où l’ARPC a fait ses derniers préparatifs afin de faire face au grand événement de la libération de la patrie, réorganisant ses rangs, préservant et formant ses forces d’élite dans des régions favorisées en vue d’opérations offensives décisives.
C’est en juillet 1942 que nous avons créé avec les camarades soviétiques et chinois l’AAI: depuis lors, tout en consolidant par tous les moyens les forces autonomes de la révolution coréenne, nous avons contribué, grâce à la lutte menée avec les forces anti-impérialistes internationales, à l’anéantissement de l’impérialisme japonais et à la victoire des forces progressistes dans la Seconde Guerre mondiale.
C’est dans cette optique que des documents diplomatiques et militaires soviétiques mentionnent le fait que nous avons entrepris, à partir de l’été
1942, en Union soviétique, de préparer les opérations militaires conjointes visant à anéantir les impérialistes japonais.
Le Président Kim Il Sung évoqua la nécessité historique d’organiser l’AAI composée de certaines troupes de l’ARPC, des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est (AAUNE) et de l’armée extrême-orientale soviétique ainsi que les différentes étapes de développement de cette armée.
Nous opérions avec fougue par petits détachements en Chine du Nord-Est et en Corée à partir de la région extrême-orientale soviétique choisie comme base provisoire lorsque de grands changements se sont produits dans la situation internationale.
En avril 1941, un traité de neutralité était signé entre l’Union soviétique et le Japon.
Un profond antagonisme remontant à la guerre russo-japonaise opposait les deux pays, et il risquait bel et bien de faire éclater une nouvelle guerre entre eux. Seulement, les deux pays pratiquaient une diplomatie politique et militaire tendant à éviter un conflit immédiat.
L’Allemagne et le Japon étaient les pires Etats belliqueux du monde aux yeux de l’Union soviétique qui se gardait d’eux avec la plus grande vigilance. Essayant sur tous les plans de prévenir une attaque éventuelle de l’Allemagne hitlérienne, apparue comme troupe d’assaut de l’anticommunisme, elle a conclu un traité de non-agression avec elle dans le but de retarder sinon d’éviter une guerre probable. Ensuite, elle a recherché la paix dans ses rapports avec les Japonais afin de prévenir une agression éventuelle de leur part. C’est dans ce contexte que s’inscrivait, temporairement du moins, le traité de neutralité soviéto-japonais.
Les deux parties voyaient dans ce traité un frein réciproque, mais rien ne disait qu’une guerre n’éclaterait pas.
En juin 1941, voilà que l’Union soviétique et l’Allemagne entrèrent en guerre.
J’ai rassemblé les membres de tous les petits détachements et je leur ai déclaré: «Il n’est pas surprenant que l’Allemagne ait attaqué l’Union soviétique malgré son engagement de non-agression. Hitler ne peut agir autrement. Donner une poignée de main, puis flanquer une gifle inopinément, c’est dans la nature des impérialistes. Cependant, Hitler a mal fait ses comptes, car en attaquant l’Union soviétique, il creuse sa tombe. Quelle que soit la situation, nous devons, conformément à l’orientation définie, mener avec soin nos préparatifs pour la bataille finale, sans nous laisser distraire.»
L’attaque surprise de l’Allemagne hitlérienne a infligé de lourdes pertes aux forces armées de l’URSS, et l’Armée rouge, sans avoir eu le temps de se ressaisir, s’est vue obligée de se replier temporairement. Les troupes allemandes ont pris successivement d’assaut Kiev, Kharkov et Minsk, puis se sont ruées sur Moscou et Leningrad.
Plus tard, j’ai vérifié notre plan d’activité visant à faire face à la situation créée par l’éclatement du conflit soviéto-allemand, puis je me suis rendu à Khabarovsk pour discuter avec les cadres militaires soviétiques et chinois des moyens de renforcer la collaboration militaire des trois pays.
Or, en décembre 1941, les Japonais ont attaqué par surprise Pearl Harbor, base militaire américaine à Hawaii, allumant ainsi le feu d’une guerre connue sous le nom de guerre du Pacifique.
La nouvelle du conflit armé entre les Etats-Unis et le Japon nous a retournés, car le Japon, occupant de la Corée, était notre ennemi.
Le Japon s’embarquait dans une véritable aventure en déclenchant une autre guerre avant d’en avoir fini avec la Chine. Quels étaient donc les calculs de ce pays insulaire qui ne pouvait pourtant survivre sans s’approvisionner à l’étranger en matériel stratégique comme le pétrole, le caoutchouc et le fer? C’était incompréhensible.
Le Japon s’épuiserait dans la guerre contre les Etats-Unis, cela tombait sous le sens.
La guerre du Pacifique, cette chausse-trappe aménagée par le Japon contre lui-même, ne pouvait qu’offrir aux révolutionnaires coréens une occasion favorable pour hâter la bataille finale.
Par ailleurs, nous prévoyions qu’une guerre éclaterait tôt ou tard entre l’Union soviétique et le Japon aussi. Le Japon aurait alors dû se battre simultanément contre la Chine, les Etats-Unis et l’Union soviétique.
Dans ce cas, nous aurions pu entreprendre, dans des conditions plus favorables que prévues, notre campagne finale pour la libération du pays, en faisant face à l’armée japonaise du Guandong stationnée en Mandchourie, et aux troupes d’occupation de Corée.
Par quel moyen écraser les impérialistes japonais au plus tôt et comment hâter la libération de la patrie? Cela retenait toute notre attention. Il était certes vrai que nous devions être forts pour gagner la partie finale. Inconcevable de rester les bras croisés à attendre qu’on nous fasse don de l’indépendance. L’aide des pays amis ne pouvait produire son effet que si nous étions nous-mêmes assez forts.
Du reste, nous nous sommes attachés à renforcer dûment notre solidarité avec les forces anti-impérialistes et antifascistes internationales. La région extrême-orientale soviétique servait d’important centre de regroupement aux forces antijaponaises de Corée, d’URSS et de Chine. Quels rapports devions-nous établir avec les forces armées soviétiques et chinoises? C’était pour nous un problème d’intérêt majeur dans la mesure où le gros de l’ARPC opérait comme compagnons d’armes des AAUNE à partir d’une base provisoire située dans cette région. Coopérer efficacement avec les forces armées soviétiques et chinoises était, d’ailleurs, d’une haute importance stratégique pour créer un contexte international favorable à l’accroissement et à la consolidation de la force motrice de la révolution coréenne.
Or, c’était à nous-mêmes de décider de la forme de cette coopération en tenant compte, il est vrai, des intérêts nationaux et des intérêts communs de la révolution des trois pays.
Nous avions déjà fait une expérience de lutte commune avec les troupes chinoises dans le cadre des AAUNE, tout en maintenant l’indépendance de notre ARPC. Cette lutte commune répondait entièrement aux exigences objectives de la révolution antijaponaise, sans parler des intérêts de la révolution des deux pays. La lutte commune menée par les communistes de Corée et de Chine était un exemple de rapports militaires bilatéraux à suivre.
Maintenant que les forces armées de Corée et de Chine avaient une autre base dans la région extrême-orientale soviétique et que les troupes soviétiques de cette région opéraient sur notre flanc, nous devions donner une ampleur et une profondeur nouvelles à la résistance antijaponaise commune et développer encore cette lutte.
C’était dicté par la révolution coréenne et cela coïncidait avec la stratégie antijaponaise de la Chine et de l’Union soviétique.
Dans mon esprit, l’AAI était la forme d’alliance idéale des forces armées des trois pays. Et Kim C
Un temps, de nombreux camarades chinois avaient repoussé, en la considérant comme prématurée, la proposition de l’Internationale et des autorités militaires soviétiques de mettre sur pied une nouvelle organisation militaire composée d’une partie des troupes armées antijaponaises de Mandchourie et de l’armée de la région extrême-orientale soviétique. Cela tenait aux exigences unilatérales avancées par certains Soviétiques.
Pourtant, lorsque nous avons mis sur table notre projet de formation de l’AAI, ils l’ont accepté, contrairement à leur ancienne attitude, reconnaissant unanimement l’opportunité de l’alliance des forces armées des trois pays.
Les autorités militaires soviétiques l’ont soutenu elles aussi.
Au printemps 1942, j’ai rencontré au camp sud des représentants militaires soviétiques de haut rang avec qui j’ai conféré en détail sur l’organisation de l’AAI.
A cette occasion, le général Sorkine, représentant de l’Internationale et des autorités militaires soviétiques dans leurs rapports avec nous, nous a tracé un vif tableau des exploits des héros de la défense de Moscou et des hauts faits des divisions sibériennes qui s’étaient distinguées et dans la défense de Moscou et dans la contre-attaque. En termes élogieux, il nous a fait également l’historique des forces extrême-orientales soviétiques. En effet, il tirait une grande fierté de ces troupes et des divisions sibériennes ayant participé à la défense de Moscou.
Enfin, lorsque je lui ai fait part de mon projet d’organisation de forces alliées internationales, Sorkine s’est déclaré d’accord, disant notamment:
«C’est une excellente idée. L’organisation de forces alliées internationales, c’est ce qui convient le mieux dans la situation actuelle.» Et d’expliquer:
«Franchement parlant, je pensais moi aussi qu’une telle mesure s’imposerait tôt ou tard. Mais j’ai hésité, doutant qu’elle bénéficie de la compréhension et du soutien des camarades coréens et chinois qui pourraient, par contre, me taxer de chauvin.»
Ses paroles m’avaient l’air d’un soliloque. Aussi ai-je cru opportun de lui dire: «Nous maintenons toujours le principe d’indépendance, mais il n’exclut pas la coopération internationale ou l’alliance avec les forces révolutionnaires internationales. Pourquoi s’opposerait-on à l’internationalisme authentique qui aide à la révolution de son propre pays aussi bien qu’à la révolution mondiale? Avec l’impérialisme japonais, on a affaire à un fort adversaire. Il faut alors nous unir pour le combattre. Même un grand pays comme l’Union soviétique doit bénéficier de l’aide extérieure, s’il le faut. Ce n’est point de la servilité que de bénéficier de l’aide extérieure et collaborer avec les forces révolutionnaires étrangères. A mon avis, la servilité se manifeste lorsqu’on pense surtout à profiter de l’aide extérieure, au lieu de compter sur soi-même, ou qu’on croit que le vrai internationalisme consiste à chercher à aider la révolution d’un pays étranger tout en laissant à l’abandon celle de son propre pays.»
Le général Sorkine a transmis les résultats de notre entretien aux autorités militaires soviétiques et à l’Internationale, mettant à l’ordre du jour l’organisation des forces alliées internationales.
Qu’est-ce qui arriverait si la guerre américano-nipponne ne se terminait pas avant la guerre soviéto-allemande? Nous étions tous d’avis que l’Union soviétique devrait entrer en guerre contre le Japon. Malgré le traité de neutralité conclu avec le Japon, elle devrait, à tout hasard, être prête à participer à cette guerre. S’allier avec les forces antijaponaises internationales était un des objectifs majeurs de l’Union soviétique dans la préparation de son éventuelle guerre contre le Japon.
La coïncidence entre les objectifs politiques et militaires de l’Internationale et de l’Union soviétique et notre plan stratégique a permis que les forces alliées internationales fussent organisées sans trop de difficultés.
Vers la mi-juillet 1942, nous avons discuté une dernière fois avec les cadres militaires soviétiques et chinois de l’alliance des forces armées des trois pays, décidant de créer l’Armée alliée internationale, à condition que l’ARPC et les AAUNE restent indépendantes.
Le 22 juillet 1942, en compagnie de Zhou Baozhong et Zhang Shoujian, j’avais rendez-vous avec le général d’armée Apanassenko, commandant de l’armée de la région extrême-orientale soviétique.
Costaud, visage rond et yeux perçants, Apanassenko était un général expérimenté dans la cinquantaine. Me serrant la main, il s’est félicité de voir le jeune chef des partisans coréens.
Dans le bureau du commandant, nous avons échangé aussi des saluts avec le lieutenant-général Nitchev, chef d’état-major.
Faisant remarquer l’importance majeure que revêtait la création de l’AAI composée de forces armées révolutionnaires des trois pays non seulement pour la lutte révolutionnaire des Coréens et des Chinois mais aussi pour la sécurité de l’Union soviétique et la réussite de ses campagnes contre le Japon, Apanassenko a exprimé sa certitude que cette armée alliée s’acquitterait avec honneur de sa mission historique.
Il a continué: «L’AAI constituera un apport de poids à la formation de nombreux cadres militaires nécessaires à la guerre révolutionnaire nationale en Corée et en Chine, et les troupes coréennes et chinoises qui en feront partie formeront la force décisive pour libérer la Corée et la Mandchourie.»
Apanassenko a réitéré la nécessité d’élever l’intensité et la qualité des exercices pour que les troupes soient prêtes à combattre à n’importe quel moment.
Il nous a conduits dans une pièce où une grande carte d’opérations était suspendue au mur.
Exprimant son désir d’être au courant de la situation du mouvement de guérilla déployé par l’ARPC et les AAUNE, ainsi que du plan établi pour leurs opérations ultérieures, il nous a demandé un exposé de la situation militaire et politique en Mandchourie et en Corée.
Ainsi Zhou Baozhong a-t-il résumé, pointant la carte d’opérations, les activités de la 2e armée de route des AAUNE, puis émis ses idées sur les opérations prévues pour la libération de la Chine du Nord-Est.
A mon tour, j’ai expliqué les activités passées et la situation actuelle de l’ARPC et de la 1re armée de route des AAUNE, puis précisé les points politiques et militaires à retenir pour écraser l’impérialisme japonais et libérer la Corée.
Comme Apanassenko voulait connaître en détail la disposition des forces de l’armée nipponne en Corée, la situation et les perspectives de développement des forces antijaponaises coréennes, ainsi que les possibilités réelles d’opérations conjointes avec les forces soviétiques, je lui ai fourni des informations minutieuses sur ces points.
La situation de la 3e armée de route, c’est Zhang Shoujian qui l’a expliquée.
Quant à la situation militaire en Mandchourie du Nord, Apanassenko en avait une connaissance assez exacte.
Nous sommes convenus avec Apanassenko que l’Union soviétique se chargerait d’approvisionner les troupes de l’AAI en armes, équipement militaire, uniformes, vivres et autres ravitaillements. Puis, il a été décidé d’appeler, pour la forme, l’AAI «Brigade indépendante 88 de l’armée extrême-orientale soviétique» et de lui donner le matricule officiel de brigade spéciale d’infanterie 8461.
Pour garder le secret sur l’existence et les activités de l’AAI, il a été convenu de la réduire en apparence en appelant notamment son ensemble «brigade».
Pour ma part, j’ai pris le commandement de la première armée, composée de l’ARPC et de la 1re armée de route des AAUNE. Au fond, c’était une armée de Coréens.
Il s’agissait également de protéger la sécurité des cadres militaires et politiques de l’ARPC contre les activités d’espionnage et de sabotage de l’ennemi. A cette fin, on a abaissé les grades militaires par rapport à leur niveau réel.
Une fois l’AAI constituée, nous nous sommes tous réunis au camp nord.
La naissance de ces forces alliées a modifié la situation militaire et politique en Extrême-Orient à l’avantage de la révolution mondiale.
D’abord, l’Union soviétique pouvait en tirer un important bénéfice. Elle était maintenant assurée de l’existence des forces politiques et militaires capables de lui permettre de faire face aux manœuvres d’agression du Japon et disposait également de nouvelles troupes spéciales entièrement destinées à opérer en Chine du Nord-Est et en Corée.
La naissance de l’AAI a créé une conjoncture favorable à la révolution coréenne et à la révolution chinoise.
Appelée maintenant à opérer conjointement avec l’armée extrême-orientale soviétique, l’ARPC pouvait, au titre d’armée régulière, se pourvoir des hautes capacités opérationnelles et des armements modernes nécessaires aux campagnes pour la libération de la Corée. Par ailleurs, nous pouvions, en territoire soviétique, nous préparer suffisamment sur tous les plans, notamment militaire et politique, pour libérer nous-mêmes le pays.
Puis, j’ai eu un nouveau rendez-vous avec Apanassenko au siège de l’AAI. Il était venu alors au camp nord, accompagné du commissaire militaire et de collaborateurs de l’état-major, du bureau politique et de l’intendance.
Ce jour-là, l’AAI a organisé un défilé qui pouvait être considéré comme une cérémonie célébrant sa naissance. L’armée coréenne s’est parfaitement comportée, ouvrant le défilé.
Apanassenko et moi avons pris part au déjeuner.
Il nous a raconté alors ses antécédents.
Vétéran, il s’était battu, immédiatement après la Révolution d’Octobre, pour la défense du pouvoir soviétique, d’abord contre les Blancs, puis contre les occupants allemands. Lors de la guerre civile, il avait commandé une division de cavalerie, puis avait été nommé commandant de la région militaire d’Asie centrale, et enfin commandant de l’armée extrême-orientale soviétique.
Depuis longtemps, les autorités soviétiques faisaient grand cas de l’armée extrême-orientale dont les commandants étaient tous des hommes compétents et renommés. Un grand nombre parmi les ministres de la Défense et les cadres militaires de haut rang de l’Union soviétique étaient issus de cette armée.
Au début de 1943, Apanassenko a été désigné comme commandant adjoint du front de Voronej, un des fronts les plus importants de la guerre soviéto-allemande, où, l’été de la même année, il a été mortellement blessé.
A la nouvelle de sa mort, tous les officiers et soldats de l’AAI se sont rassemblés et, plongés dans la tristesse, ont célébré la mémoire de celui qui n’avait pas épargné soutien et aide aux communistes coréens et chinois.
La camaraderie des communistes ne connaît pas de frontière.
Nous nous identifiions au peuple soviétique dans ses difficultés. Je me souviens encore que de nombreux officiers et soldats de l’ARPC et des AAUNE ont demandé à aller au front ouest alors que l’armée soviétique y traversait des épreuves, requête qu’ont repoussée chaque fois l’Internationale et les autorités soviétiques, répliquant que les Coréens et les Chinois avaient l’importante tâche historique de libérer d’abord leurs pays respectifs.
Cela témoigne de l’ardeur avec laquelle nous avons prisé et défendu l’Union soviétique, bastion du socialisme. Si l’URSS tombe, le socialisme tombera aussi et la paix mondiale ne pourra tenir bon, voilà la pensée commune des communistes d’alors.
Les dictionnaires de noms propres de nombreux pays me présentent en disant que j’ai pris part, à la tête d’un gros contingent de Coréens, à la bataille de Stalingrad où je me serais distingué pour me voir décerner finalement l’ordre du Drapeau rouge. Dans d’autres ouvrages, on lit que j’ai participé également à l’assaut de Berlin à la tête de troupes de première ligne.
Le gouvernement soviétique m’a décerné l’ordre du Drapeau rouge. C’est vrai, mais je n’ai pas pris part à ces batailles. Je ne sais pas d’où les auteurs de ces dictionnaires ont tiré ces informations. Quoi qu’il en soit, cela reflète indubitablement l’atmosphère de la base d’entraînement et l’ardeur au combat.
L’AAI était la terreur des impérialistes japonais. Au contraire, elle inspirait une grande confiance à notre peuple.
L’ennemi disposait de renseignements sans nombre sur les préparatifs que faisait le Président Kim Il Sung à la base d’entraînement située en territoire soviétique pour la bataille finale à livrer contre le Japon. Voici quelques-uns des renseignements compilés dans un document:
«Activités de Kim Il Sung:
«Kim Il Sung, entré en Union soviétique, s’est rendu, l’été de l’an dernier, de Khabarovsk à Yan’an; il y a rencontré les personnages importants du Parti communiste chinois, Mao Zedong, He Long, Kang Sheng et autres, pour discuter des opérations communes qu’auraient à mener l’armée du Parti communiste chinois et les Armées antijaponaises unifiées avant et après l’éclatement d’une guerre soviéto-nipponne, des activités futures des Armées antijaponaises unifiées. Puis, pour procéder à un échange de vues sur divers problèmes, il a aussi rencontré un Coréen, membre du parti communiste établi à Yan’an.
Retourné en avion en Union soviétique à la fin de l’an dernier, il s’occupe actuellement, à Khabarovsk, des renseignements et de l’idéologie à l’égard de la Mandchourie et de la Corée. D’autre part, il a réuni à l’école de campagne située près de Khabarovsk environ 300 personnes, des bandits communistes coréens et chinois, des factieux mandchous et coréens infiltrés en Union soviétique ainsi que des kidnappés; il les forme de sorte qu’ils puissent, sous la direction et avec l’aide des troupes de l’Armée rouge stationnées à Khabarovsk, envahir d’emblée la Mandchourie pour perturber les arrières de l’armée japonaise avant et après l’éclatement d’une guerre nippo-soviétique.» [Renseignements envoyés par le commissaire de police de Namyang au préfet de police de la province du Hamgyongdu Nord, le 21 février 19 de Showa (1944)]
«Kim Il Sung se trouve actuellement à Yan’an et expédie ses hommes dans la province du Rehe, dit-on. A Nikolaievsk (région maritime extrême-orientale soviétique), il y a quatre divisions composées entièrement de Coréens qui, si une guerre nippo-soviétique éclate, débarqueront dans le Nord de la Corée ou seront parachutées en Corée, prêtes à braver la mort.» [Dossier des agissements séditieux visant à perturber les arrières lors d’une guerre pour la grande Asie orientale et à organiser une insurrection armée, sous la conduite de diplômés de l’université impériale de Kyongsong (4), commissariat de police de Kowon, 20 de Showa (1945)]
«Un homme qui a traversé la Sibérie en rentrant de son voyage aurait dit avoir vu un camp d’environ 4 km à la ronde, marqué du drapeau de Corée et gardé par des militaires coréens.» [Rapport mensuel de la haute police spéciale, département de la sûreté du ministère de l’Intérieur, février 19 de Showa (1944), p. 79]
La nouvelle de la création de l’AAI a aussi exercé une influence positive sur les forces patriotiques antijaponaises combattant en Chine du Nord-Est. Plus d’une fois, des membres des AAUNE opérant en Mandchourie ont traversé le fleuve par petits groupes pour rejoindre l’AAI. Même des soldats de l’armée mandchoue en faisaient autant, se mutinant.
Avant ou après la création de l’AAI, je ne sais pas exactement, une compagnie du régiment de l’armée mandchoue stationnée à Donganzhen dans le district de Raohe a exécuté son chef et un officier japonais, puis a traversé l’Oussouri à bord d’un bateau en bois, apportant avec elle quantité de fusils, de mitrailleuses et de lance-grenades. Nous avons accueilli chaleureusement ces soldats et les avons enrégimentés.
Après l’organisation de l’AAI, nous avons intensifié notre formation militaire et politique, accélérant ainsi nos préparatifs de campagne contre le Japon.
Notre tâche primordiale à l’époque était de raffermir les rangs de l’ARPC sur les plans politique et militaire.
Les principes essentiels des opérations militaires sont restés les mêmes, peut-on dire, depuis l’Antiquité et le Moyen Age jusqu’à nos jours. La question est comment les appliquer en fonction du développement des moyens de guerre et comment organiser la coopération entre les différentes armées et armes.
Nous avions fait de gros efforts pour assimiler les tactiques modernes, et c’était vrai surtout après la mise sur pied de l’AAI. La capacité de les appliquer des membres de l’ARPC s’est accrue de façon remarquable au cours de leur entraînement et de leurs études à la base d’entraînement.
Tout en perfectionnant les tactiques de guérilla apprises dans la plaine au pied du Paektu, ils ont assimilé les tactiques modernes indispensables à une armée régulière: la force principale de la révolution coréenne se dotait ainsi des qualités politiques et militaires nécessaires.
D’ailleurs, l’armée extrême-orientale soviétique a consenti de gros efforts pour une amélioration rapide de la combativité des troupes de l’AAI.
Vers la mi-novembre 1942, Apanassenko a organisé des manœuvres d’ensemble d’une brigade de l’armée stationnant au Sud de l’armée extrême-orientale soviétique, et a invité les principaux commandants de l’AAI à y assister.
Nous avons quitté Khabarovsk dans un train blindé pour aller à la base de la brigade. Les manœuvres d’ensemble d’hiver de la brigade ont eu lieu le lendemain. Y prenaient part quatre bataillons d’infanterie et de nombreuses autres forces, notamment des bataillons de chars, d’artillerie, de mortiers, de transmission et d’artillerie antichar. Comme nous voyions pour la première fois des manœuvres d’une telle envergure, c’est avec curiosité et intérêt que nous y avons assisté.
La brigade avait pour mission de prendre d’assaut une hauteur occupée par un ennemi fictif. L’attaque a commencé à midi et s’est terminée à seize heures.
Plus tard, nous avons assisté aux manœuvres d’une autre brigade, qui stationnait sur l’Amour, dans la banlieue de Khabarovsk.
La mission de cette brigade était de rassembler ses unités dans le village de Bélizovka et d’achever ses préparatifs de combat.
Ces manœuvres aussi nous ont fait une vive impression.
A Khabarovsk, nous avons assisté également à un défilé des troupes de l’armée extrême-orientale soviétique. Ce qui nous faisait beaucoup envie, c’étaient les divers armements et le matériel de combat technique modernes que mobilisaient les manœuvres et le défilé. Quand aurons-nous, nous aussi, une armée moderne pareille? me demandais-je. J’ai beaucoup réfléchi à cette question et ma décision de commencer, immédiatement après la libération du pays, par créer une armée régulière n’a fait que se raffermir.
Grâce aux efforts assidus des commandants des trois pays et à la collaboration entre eux, les unités de l’AAI se sont développées rapidement et modernisées.
Les Soviétiques devaient parfois faire face, sur le front, à des difficultés telles qu’ils ressentaient le besoin d’un régiment ou d’un bataillon supplémentaire. Cependant, jamais ils n’ont touché, à cet égard, aux troupes de l’AAI, qu’ils ont aidées par contre pour qu’elles se préparent en tous points à la bataille finale contre les impérialistes japonais.
Plus d’une fois les cadres militaires soviétiques nous ont fait part du soin que mettait Staline à ménager les officiers et soldats de l’ARPC et des AAUNE. Il avait dit notamment que ces militaires étaient précieux, appelés qu’ils étaient à jouer un rôle de poids dans la libération puis l’édification de leurs pays au point que toute perte en vie dans leur camp était intolérable.
La création et le développement de l’AAI ont servi de modèle pour le ralliement des forces de résistance en Tchécoslovaquie et en Pologne.
Simultanément à la conclusion d’un traité d’amitié et de coopération en 1943 entre l’Union soviétique et la Tchécoslovaquie, on a vu, sur le territoire soviétique, s’organiser une brigade tchécoslovaque appelée à mener, avec l’Armée rouge, la lutte contre l’Allemagne hitlérienne. Cette brigade a accompli de nombreux exploits dans la libération de Kiev et de Belaïa Tserkov et diverses autres opérations.
La Pologne, elle aussi, a créé en territoire soviétique une armée qui combattrait contre l’Allemagne fasciste. Le corps d’armée de Pologne a pris part à diverses opérations destinées à libérer le territoire polonais de l’occupation des fascistes allemands, à commencer par la bataille de libération de Lublin.
En mai 1943, alors que nous opérions en territoire soviétique dans le cadre de l’AAI, la nouvelle de la dissolution de l’Internationale nous a surpris. Les avis étaient partagés. Beaucoup se demandaient comment on pouvait disloquer l’Internationale, cet organisme de direction de la révolution mondiale qui fonctionnait depuis plus de vingt ans, maintenant qu’on était en pleine Seconde Guerre mondiale et que la solidarité et la coopération internationales s’imposaient plus que jamais pour faire face au fascisme.
A mon avis, la dissolution de cet organisme fondé en 1919 par Lénine était due à deux raisons.
D’abord, au fait que pendant que l’Internationale dirigeait la révolution mondiale, les partis communistes et les forces révolutionnaires s’étaient développés autant qu’il le fallait dans chaque pays pour promouvoir leur révolution en toute indépendance, par leurs propres moyens et selon leur propre ligne de conduite, sans avoir besoin d’une direction et d’une intervention d’un centre quelconque.
Ensuite, au fait que l’Internationale était un obstacle à une union antifasciste plus vaste à l’échelle mondiale. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’agissait d’une alliance antifasciste, union d’un genre inédit qui transcendait les divergences d’idéal et de régime. Les pays étaient prêts à passer outre aux différences d’idéal et de régime dans la lutte contre le fascisme, aussi a-t-il été possible à l’Union soviétique, Etat socialiste, de s’allier avec des pays capitalistes, tels les Etats-Unis, l’Angleterre et la France, aux communistes de collaborer avec des bourgeois de droite. Cette situation mettait forcément en cause l’existence de l’Internationale dont l’idéal résidait dans l’anti-impérialisme et l’objectif dans la victoire du communisme dans le monde entier.
A nos yeux, cette dissolution, qui répondait parfaitement aux impératifs du mouvement communiste international et de l’évolution des événements, tombait à point.
Du reste, nous avons tiré, à cette occasion, une grande fierté de ce que nous avions fait depuis longtemps, nous qui avions tout réglé en toute indépendance, sans recourir à la force et à la ligne de conduite d’autrui, élaborant nous-mêmes nos stratégies et tactiques et formant nous-mêmes les forces révolutionnaires dont nous avions besoin à chaque étape de la révolution.
Pourtant, la dissolution de l’Internationale n’enlevait pas leur sens à la solidarité et à la coopération internationales des communistes.
Nous n’avons cessé de renforcer nos liens avec les amis étrangers, tout en maintenant notre indépendance d’action dans le cadre de l’AAI.
Les activités militaires et politiques que menait le Président Kim Il Sung en territoire soviétique éveillèrent le vif intérêt de l’opinion internationale. Et les autorités militaires, la police et les services spéciaux japonais se livrèrent avec une rare obstination à des tentatives visant à dépister la tendance, la structure et le contenu des activités de l’ARPC.
S’alarmant de la dissolution de l’Internationale, les impérialistes japonais émirent tels ou tels jugements et suppositions sur l’orientation ultérieure du mouvement des communistes en Corée et, en particulier, sur les activités du Président Kim Il Sung.
Voici un passage de «La Dissolution de l’Internationale et son avenir» qu’ils publièrent:
«...La Corée étant une colonie japonaise, son objectif stratégique immédiat sera d’accéder à la libération et à l’indépendance nationales grâce à la défaite de l’impérialisme japonais dans la guerre en cours ... s’agissant de la lutte armée, les activités des volontaires coréens sous la direction du groupe de Kim Il Sung, bandit communiste opérant en Mandchourie, ou du Parti communiste chinois, sont l’expression de cette ligne de conduite; le mouvement actuel en Corée se définira en fonction des rapports nippo-soviétiques. La situation changera brusquement selon que le statu quo sera maintenu ou qu’un conflit direct se produira. Dans le dernier cas, il est évident que le mouvement tournera au terrorisme ou bien se convertira en lutte armée comme le montre l’exemple des pays sous l’occupation d’Allemagne, notre alliée.» [«Rapport sur les idées», suite, p. 131, octobre 18 de Showa (1943), service de l’idéologie du département de criminalité de la Cour d’appel]
Les impérialistes japonais reconnaissaient que le mouvement communiste et le mouvement de libération nationale en Corée porteraient le sceau de l’indépendance en tant que lutte du peuple coréen lui-même, indépendamment du sort de l’Internationale, et que la lutte armée sous la direction du Président Kim Il Sung gagnerait énormément en efficacité si elle s’unissait aux forces anti-impérialistes internationales.
Le gros effort qu’ont fait les communistes coréens pour organiser et développer des forces alliées internationales fournit un modèle d’association judicieuse du principe d’indépendance de chaque pays à celui de solidarité et coopération internationales dans la lutte révolutionnaire.
Les réalisations et les données expérimentales obtenues en ces temps-là nous ont servi à maintenir et élargir le front uni avec les pays socialistes et autres forces révolutionnaires internationales, tout en restant fidèles à l’indépendance, dans la situation politique complexe de l’après-guerre, sans parler des jours de la bataille finale visant à écraser l’impérialisme japonais.
7. Mes compagnons d’armes des AAUNE
Durant mes années d’activité au sein de l’Armée alliée internationale, j’ai entretenu des rapports étroits avec de nombreux compagnons d’armes des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est (AAUNE), dont Zhou Baozhong, Zhang Shoujian, Chai Shirong et Feng Zhongyun. Je ne peux oublier les moments et épisodes de la vie d’alors malgré les longues années écoulées depuis.
Zhou Baozhong est celui avec qui j’ai eu les liens les plus étroits parmi les commandants des AAUNE. Notre amitié remonte à la première moitié des années 1930 quand nous œuvrions ensemble au Jiandao pour former un front uni avec l’armée du salut national de Chine. Nous faisions partie tous deux du comité des soldats antijaponais et avons livré ensemble la bataille de Luozigou. J’ai entrepris deux expéditions en Mandchourie du Nord dans les années de guérilla à Wangqing, et chaque fois, j’ai mené des opérations conjointes avec son unité. Mais depuis le déplacement de mon champ d’activité au secteur du mont Paektu et au Xijiandao dans la seconde moitié des années 1930, je n’ai pas eu l’occasion de le revoir.
«Nos chemins sont variés, mais ils aboutissent à une même porte», ce sont les propos qu’il m’adressait comme une maxime chaque fois que nous étions obligés de nous séparer. Ils devaient signifier que notre théâtre d’activité et notre trajet de lutte pouvaient diverger, mais que nous ne manquerions pas de nous retrouver un jour tant que nous nous tiendrions dans les rangs de la résistance commune contre le Japon.
En me revoyant à la veille de la Conférence de Khabarovsk, il s’était exclamé: «Eh bien, qu’est-ce que je vous disais, commandant Kim? Les chemins peuvent être bien nombreux, mais la porte est unique pour nous.» Là-dessus, il est parti d’un éclat de rire sonore. Cette rencontre, après plusieurs années, remplissait mon cœur d’une douce chaleur.
«J’étais soucieux, m’a-t-il confié en toute sincérité, de la sécurité des camarades de Mandchourie du Sud quand j’ai appris la mort du commandant Yang. J’ai entendu moi aussi que les Japonais avaient mis votre tête à prix. C’est admirable que vous soyez venu à bout de toutes les difficultés. Je sais parfaitement combien dangereux étaient les champs de bataille de Mandchourie du Sud et de l’Est. Comme je suis heureux de vous revoir à Khabarovsk, comme ça en bonne santé! Je vous attendais d’un instant à l’autre avec impatience.»
Il avait beaucoup vieilli. J’ai pu lire sur son visage les tribulations par lesquelles il était passé dans les forêts épaisses et sous les tempêtes de neige.
Quand je lui ai dit qu’il avait dû en rencontrer de toutes sortes, il s’est empressé de me contredire: «Ce n’est rien, ce que nous avons enduré. Nos souffrances sont incomparables à celles des camarades de Mandchourie du Sud. Vous avez connu tant de peine. Vous n’avez pourtant pas fléchi; loin de là, vous êtes allés de victoire en victoire! Nous sommes saisis d’admiration. Les permanents de l’Internationale et les commandants de l’armée soviétique ne tarissent pas d’éloges à votre égard.»
Au moment où nous partagions la joie des retrouvailles, l’Internationale s’apprêtait à ouvrir la conférence des commandants des armées de guérilla de la Chine du Nord-Est et des représentants de l’armée extrême-orientale soviétique. Il s’en est suivi que notre conversation s’est déroulée naturellement, en grande partie, autour de cette conférence.
La question qui tourmentait Zhou Baozhong était de savoir comment associer les tâches nationales et internationales de la révolution, l’autonomie et la solidarité internationaliste dans la lutte révolutionnaire. Il désirait ardemment entrer en liaison avec le Comité central du Parti communiste chinois, mais il n’y était pas encore arrivé et en était très impatient. C’était bien normal que membre du PCC, il eût voulu depuis plusieurs années placer la révolution en Chine du Nord-Est sous la direction du Comité central du PCC.
Il a toujours tâché de réaliser la solidarité avec l’Union soviétique sans oublier pour autant de donner la priorité aux liens avec le Comité central du PCC. Au reste, c’était l’attitude commune des camarades chinois militant en Chine du Nord-Est.
L’Internationale et les autorités militaires de l’Union soviétique avaient tenté un temps de mettre les AAUNE dans la sphère des autorités soviétiques, et Zhou Baozhong s’inquiétait d’un éventuel renouvellement de pareilles tentatives. Cette crainte était compréhensible.
Ce jour-là, au bout d’une discussion, nous sommes arrivés, lui et moi, à cette identité de vues: compte tenu de la situation présente, l’action commune et la collaboration politico-militaires avec l’Union soviétique sont indispensables, mais elles doivent adopter formes et méthodes propres à unir judicieusement les intérêts nationaux et internationaux de la révolution dans chaque pays; autrement dit, elles doivent se réaliser dans le sens du maintien de l’autonomie des AAUNE et de l’ARPC.
«Je crois que les interventions des camarades délégués de Mandchourie du Sud seront de très grand poids lors des prochaines négociations, me dit-il avec chaleur. Je compte entièrement sur vous, camarade Kim Il Sung. Votre intervention a toujours donné une bonne tournure à nos débats dans ces années d’activité au sein du comité des soldats antijaponais, n’est-ce pas? Nous allons collaborer, main dans la main, à l’avenir comme par le passé pour faire face à la situation nouvelle.»
C’était l’expression de son entière confiance en moi.
Il était toujours pour la défense de l’Union soviétique, pour le soutien au régime socialiste instauré dans ce pays; il ne cachait pourtant pas son mécontentement face aux moindres manifestations, de la part des Soviétiques, d’attitude de grande puissance en parole et en action.
Je lui ai fait savoir, pour ma part, que, si nous faisions montre de générosité et d’esprit de collaboration teint de camaraderie tout en adhérant fermement à la position de principe, nous pourrions très bien faire changer à nos interlocuteurs leur attitude erronée et apporter finalement une solution aux questions litigieuses.
«De toute façon, j’admire votre savoir-faire, commandant Kim», a-t-il fait en hochant la tête en signe affirmatif.
«Non, il ne s’agit pas de ça, ai-je essayé de préciser, mais plutôt d’un manque d’expérience de votre part. Vous n’avez pas, par exemple, l’expérience de cohabitation, n’est-ce pas? Nous, les Coréens, nous l’avons.»
«Ah, oui, je vois, fit-il enfin. Vous, les camarades coréens, vous avez beaucoup souffert à cause de l’affaire du Minsaengdan en Mandchourie de l’Est.»
C’était en effet lui qui, lors de ses activités au Jidong, avait dénoncé la tendance gauchiste de la lutte contre le Minsaengdan et précisé que cette erreur était imputable à celle du comité du parti de la région spéciale de Mandchourie de l’Est. Il avait pris une position relativement équitable et raisonnable vis-à-vis de la lutte des révolutionnaires coréens depuis ses années d’activités au Jiandao.
Je vous ai déjà fait part de son soutien actif aux activités de la section de notre Association pour la restauration de la patrie, organisée au sein de l’unité des AAUNE qu’il commandait alors. Cela se passait, je crois, en décembre 1936.
Cette prise de position était l’expression de son soutien et de sa solidarité internationalistes à l’égard de la révolution coréenne.
Cette prise de position amicale tenait, entre autres, à l’aide que nous lui avions accordée de tout cœur dès les premières années du mouvement de guérilla, et à l’influence positive que nous avions exercée sur lui au cours de multiples opérations conjointes.
Pendant notre première expédition en Mandchourie du Nord, par exemple, nous avions mis à sa disposition la plus grande partie de nos effectifs. Nous avions entrepris alors avec son unité de nombreuses opérations conjointes.
Et lors de la deuxième expédition, nous avions même formé un commandement général conjoint avec les 2e et 5e armées pour lancer en commun des opérations de taille. Zhou Baozhong avait été placé à la tète du commandement, Ping Nanyang (Li Jingpu) nommé adjoint, et moi commissaire politique. Six unités placées sous ce commandement général s’étaient vu attribuer chacune une zone d’activité; Zhou avait pris en charge celle d’Antu de l’ouest, et moi celle de Weihe.
Nous avions par ailleurs mis sur pied des commandements sectoriels, celui de l’ouest, celui du centre, etc., auxquels plusieurs unités séparées avaient été subordonnées, pour déployer ainsi des opérations conjointes en nous déplaçant dans les vastes régions limitées par Fusong et Muling.
Comme vous pouvez le remarquer, les liens entre Zhou et moi ont des racines profondes.
C’est peut-être grâce aces liens que Zhou Baozhong m’a toujours demandé conseil pour tous les problèmes, majeurs ou mineurs, dans les années d’activité au sein de l’AAI. Ainsi, quand il avait une question à soumettre aux Soviétiques, s’adressait-il d’abord à moi pour me consulter.
Et quand je lui demandais pourquoi il agissait de la sorte, il me répondait: «C’est parce que je suis habitué à votre conseil depuis le Jiandao.»
Pendant ces années d’activité commune, il m’a toujours considéré comme commandant de l’ARPC, dirigeant de la révolution coréenne et représentant de la partie coréenne au sein de l’AAI, et m’a respecté comme tel, sans se laisser influencer par le grade ou une hiérarc
Une autre raison importante de mon attachement à lui tenait à son impartialité: c’est en effet lui plus que quiconque qui avait reconnu à leur juste valeur les mérites des communistes et du peuple coréens, et leur rôle de pionniers dans le lancement et le développement de la révolution en Chine du Nord-Est.
Un jour, il m’a confessé qu’il gardait en mémoire deux faits inoubliables, dont l’un était le rôle précurseur que les Coréens avaient joué dans la lutte de guérilla contre le Japon.
Sa position à l’égard de la révolution coréenne a toujours été claire: il a déclaré qu’il trouvait toute naturelle la lutte des Coréens pour la révolution coréenne et que la révolution en Chine du Nord-Est était inconcevable à l’écart des Coréens.
Il a toujours évoqué avec enthousiasme et en termes élogieux l’unification des forces armées de la résistance coréo-chinoise, qui avait été un fait historique dans notre lutte commune, n’oubliant jamais de préciser que la 2e armée des AAUNE était au fond l’ARPC. Voici ce qu’il disait, en insistant sur le rôle précurseur des Coréens dans la révolution en Chine du Nord-Est: «Les puissantes troupes de guérilla fondées en 1932 en Mandchourie de l’Est ainsi que celles de Panshi, de Zhuhe, de Mishan, de Tangyuan et de Raohe, organisées toutes en 1933 et qui, en se développant, deviendront par la suite les 1re, 2e, 3e, 4e, 6e et 7e armées des AAUNE, sont toutes l’œuvre des camarades coréens et des masses populaires coréennes. La 5e comptait elle aussi de nombreux camarades coréens de valeur. Et les cadres militaires et politiques de chaque armée des AAUNE ont été tous des Coréens, depuis le commandant et le responsable politique jusqu’aux chefs de section et aux instructeurs.»
Les passages suivants des messages de Zhou Baozhong à Wang Xinlin illustrent bien le respect et la considération que vouait le premier au Président Kim Il Sung.
«Kim Il Sung est le meilleur cadre militaire qui soit... le plus valeureux chef parmi les camarades coréens. Il peut jouer un rôle capital dans la partie méridionale de la Mandchourie, dans la région riveraine est de l’Amnok et dans la zone septentrionale de la Corée.» (Lettre de Zhou Baozhong à Wang Xinlin, le 1er juillet 1941.)
«Kim Il Sung est le seul et unique cadre d’importance dans l’actuelle 1re armée de route de Mandchourie du Sud. Depuis la mort de Yang Jingyu et de Wei Zhengmin, c’est lui seul qui assume la direction du mouvement de guérilla en Mandchourie du Sud et tous les autres problèmes concernant cette partie de la Mandchourie.» (Lettre de Zhou Baozhong à Wang Xinlin, le 15 septembre 1941.)
Un autre point que je considère comme positif dans la personnalité de Zhou Baozhong est sa position de principe en matière de lutte révolutionnaire et son vif esprit d’engagement et de défense de la révolution dans son pays. Il ne tolérait aucune tendance à subordonner la révolution chinoise à la révolution soviétique ou à en faire une annexe. Il préconisait, partant de l’internationalisme prolétarien, la solidarité avec la révolution en Union soviétique et la défense de cette dernière, mais il s’est toujours prononcé pour l’autonomie et l’indépendance de la révolution chinoise.
Cette position de principe de Zhou Baozhong ressemblait à la nôtre. La valeur d’un révolutionnaire est proportionnelle à la fermeté de son esprit d’indépendance en matière de révolution. C’est la thèse que je soutiens. Plus son esprit d’indépendance est ferme, plus son prestige est grand; et plus cet esprit d’indépendance est clair, plus la révolution est victorieuse. C’est la règle.
Dans les années d’activité au sein de l’AAI, Zhou Baozhong s’est toujours adressé à moi par le titre «commandant Kim».
Mais, après la libération de notre pays, notamment lors de sa visite à Pyongyang, il ne m’a plus jamais appelé «commandant Kim». Il m’a prié de l’appeler sans façon comme autrefois «commandant Zhou», mais il s’adressait toujours à moi par un «camarade Président».
Sa nouvelle manière de m’appeler sonnait si mal à mes oreilles et paraissait nous séparer si inutilement que je l’ai prié de m’appeler comme jadis. Alors, prenant un air sérieux, il me disait: «Non. Ce n’est pas possible.»
Parfois, un sujet controversé nous mettait aux prises. Et une fois son avis formulé, il n’en démordait pas facilement; dans ce cas, il était difficile de lui arracher une concession. Or, je n’étais pas non plus enclin à concéder. Cependant, nous arrivions finalement à une identité de vues, en réglant et complétant nos avis. Pareilles discussions resserraient et approfondissaient encore notre amitié.
Nous avons eu aussi, assez fréquemment, des conversations intimes. Son sujet favori dans ces conversations était les membres de sa famille ou ses camarades de lutte. Il avait une fillette du nom de Zhou Wei, née quand il avait déjà atteint la quarantaine, et à laquelle il vouait une vive tendresse. Quand la petite faisait preuve d’une nouvelle gentillesse ou mignardise, tout fier qu’il en était, il la lui faisait répéter devant moi. Je pouvais alors voir un sourire de père heureux illuminer son visage.
Lui et sa femme Wang Yizhi ont longtemps servi dans la même unité. Ils avaient célébré leur mariage au beau milieu d’une forêt millénaire de Mandchourie du Nord.
Quand il parlait de sa femme ou de sa fille, ses yeux pétillaient. Il aimait causer en privé. Il émettait tantôt ses vues sur le mode de vie particulier de la tribu Nanaï habitant aux environs, tantôt il parlait du couple russe chez qui il logeait à Khabarovsk. Son pouvoir d’observation et son art de description rendaient toujours ses récits plausibles.
Un jour, il m’a présenté la fête du combat de coqs fastueusement célébrée, disait-il, dans son village natal dans la province du Yunnan. Le 8 du 2e mois lunaire, racontait-il, les habitants de sa contrée, tout endimanchés, mettent au cou de leur coq un ruban rouge avant de le lancer dans l’arène. Le coq fait l’objet de leur adoration. Selon une légende, leurs ancêtres auraient connu une grande prospérité avec cet élevage. La grandeur d’une famille même dépendrait, à ce qu’on transmettait, du culte du coq.
Zhou Baozhong me disait qu’il ne croyait certes pas possible de sauver le pays en détresse en comptant sur un coq, mais qu’il tâcherait pourtant de se battre aussi courageusement que cet oiseau.
Il avait l’air taciturne et bourru, mais il avait un cœur généreux et loyal. Il savait répondre à la faveur par la faveur, à la générosité par la générosité. Sa vie ultérieure l’a prouvé.
Il s’est donné beaucoup de peine au sein de l’AAI pendant plusieurs années. Il faisait abnégation de soi pour la révolution chinoise; il n’en était pas moins fidèle au devoir internationaliste. Si, en se bornant à ses tâches révolutionnaires d’ordre national, il avait fait fi de son devoir internationaliste, ou si, en prônant seulement la révolution mondiale, il s’était désintéressé de la révolution dans son pays, il ne serait pas une personnalité digne d’être évoquée ici en lui consacrant autant de pages.
Je sentais en lui un fils authentique du peuple chinois en le voyant dépêcher sans cesse des détachements pour assurer la continuité du mouvement de guérilla en Chine du Nord-Est; je sentais aussi en lui un combattant internationaliste authentique quand j’étais témoin de l’effort qu’il consentait pour l’amitié et la solidarité entre les troupes de nations différentes au sein de l’AAI, et pour la défense de l’Union soviétique.
Il s’est montré en outre habile dans l’administration des unités et de l’intendance de l’AAI. Il n’était pas rare de voir se soulever des complications dans cet amalgame de troupes de nations différentes qu’était l’AAI. Il a touché à tout, depuis l’élaboration du programme d’entraînement, la conduite des exercices et le règlement des affaires du personnel jusqu’aux affaires concernant la vie quotidienne comme la construction d’un club.
Les ennuis ne lui laissaient pas de répit: un jour, c’était un cas de désertion qui le tourmentait; un autre jour, c’était un accident de voiture qui lui faisait courir de toutes parts en sueur.
Au lendemain de la formation de l’AAI, ce fut le désaccord avec certains officiers soviétiques qui lui causa des tracas. Mais le mode de vie des officiers soviétiques changera complètement après l’intervention de leurs autorités militaires, qui se montreront très exigeantes à leur égard.
Zhou Baozhong s’efforçait aussi comme chef de guider ses hommes plutôt en prêchant par l’exemple, car il accordait plus d’importance aux actes qu’aux paroles.
Voici ce qui s’est produit lors d’un entraînement de parachutage au camp nord. Il y participait depuis le début avec ses hommes. Or, un jour, il a failli y perdre la vie: il avait sauté de l’avion, mais son parachute ne s’ouvrait pas. Il a échappé de justesse à la mort, avec une blessure à l’épaule, ayant toutefois réussi à déployer le parachute de secours.
Après cet accident, les camarades chinois m’ont prié de lui conseiller de ne plus prendre part à l’exercice.
Mais je n’ai pas essayé de l’en persuader parce que je le connaissais trop bien: il aurait sûrement fait la sourde oreille.
Au printemps 1951, sa femme, Wang Yizhi, alors présidente de l’Association des femmes de la province du Yunnan, en visite à Pyongyang avec un groupe de consolation, est venue me trouver au Commandement suprême. Elle m’a avoué, les larmes aux yeux, qu’elle était heureuse de me trouver en bonne santé malgré les lourdes charges de la guerre. Et de poursuivre: «Voici les recommandations de mon mari, Baozhong. Il vous prie de ne plus prendre le chemin périlleux du front et de veiller autant que possible à votre sécurité personnelle.»
J’en remerciais Zhou dans mon for intérieur, et j’ai prié sa femme de transmettre mes salutations au commandant Zhou. Là-dessus, «Ces recommandations sont aussi les miennes, camarade Président, s’est-elle empressée d’ajouter. Savez-vous combien nous autres, Chinois, nous inquiétons pour la sécurité de votre personne?» A l’entendre, durant les années d’activité au sein de l’AAI, son mari était tellement inquiet pour ma personne quand je ne rentrais pas à la date prévue d’une mission d’incursion avec mon détachement qu’il n’aurait pas pensé à se coucher et m’attendait en sortant et rentrant toute la nuit.
C’était la preuve d’une amitié qui dépassait frontière et différence de nationalité.
Le Président Kim Il Sung et Zhou Baozhong se quittèrent dans une conjoncture historique nouvelle, marquée par la victoire de la résistance antijaponaise et la fin de la domination coloniale japonaise. Ils n’en rompirent pas pour autant leurs liens d’amitié militante, et ils continuèrent à se voir.
Voici l’évocation du Président Kim Il Sung de leurs rapports d’amitié après la libération de la Corée:
Après la Libération, j’ai rencontré Zhou Baozhong à trois reprises: deux fois dans notre pays et la dernière à Beijing.
C’est au début du printemps 1946 qu’il est venu chez nous pour la première fois. Je l’ai rencontré à Namyang. Il était alors aux prises avec les réactionnaires du Guomindang en qualité de commandant en chef adjoint des Armées alliées démocratiques du Nord-Est et de commandant de la région militaire Jilin-Liaoning.
Jiang Jieshi, en proclamant son anticommunisme, avait jeté toutes les troupes du Guomindang sur les régions libérées, et tout le continent chinois se trouvait de nouveau entraîné dans un tourbillon de guerre civile. Zhou m’a exposé les rapports de forces entre ses troupes et l’ennemi et la situation politico-militaire alarmante en Chine du Nord-Est.
Après la fuite des Japonais, la Mandchourie était demeurée un temps un espace vide politiquement parlant. Qui allait en devenir le maître? Voilà l’enjeu de l’âpre affrontement du Guomindang de Jiang Jieshi et du Parti communiste chinois. L’un et l’autre considéraient la Mandchourie comme un champ de bataille important qui allait décider de la domination de tout le territoire chinois.
Le Guomindang, fort du soutien actif des Etats-Unis, y avait introduit des centaines de milliers d’hommes par voie maritime, aérienne et routière; les Armées alliées démocratiques du Nord-Est, récemment mises sur pied, devaient soutenir des combats pénibles contre un adversaire supérieur.
Zhou Baozhong avait tenu à me voir pour solliciter une assistance urgente qui lui permettrait de faire face à la situation. C’est toujours à cette époque que Mao Zedong, pour nous demander secours, avait envoyé à Pyongyang Chen Yun, un temps chef du département de l’organisation au Comité central du PCC et peu auparavant nommé secrétaire adjoint de la direction du Nord-Est du Comité central du PCC.
J’ai alors promis volontiers à Zhou Baozhong de donner satisfaction à toutes les demandes de nos compagnons d’armes chinois et de les aider de notre mieux dans les opérations qu’ils allaient déclencher en Chine du Nord-Est. Pour être franc, notre pays ne disposait pas alors de réserve disponible pour venir au secours d’un allié, mais nous étions loin d’en tenir compte. Et puis, dans l’intérêt de notre révolution, nous ne pouvions pas non plus tolérer que Jiang Jieshi s’empare de la Chine du Nord-Est.
A l’époque, à peu près 250 000 jeunes Coréens avec à leur tête les valeureux cadres militaires et politiques de notre ancienne armée de guérilla antijaponaise comme Kang Kon, Pak Rak Gwon, C
Wang Yizhi est venue elle aussi plusieurs fois chez nous avec un message de son mari Zhou concernant les opérations de libération du Nord-Est. Pour la première fois, en été ou en automne 1946, je crois. C’était la période qui avait suivi le lancement, par les forces armées de la région militaire de Liaodong sous le commandement de Xiao Hua, d’une offensive contre Anshan et Haicheng, et la mutinerie simultanée d’une des unités du Guomindang stationnée dans cette zone.
Extrêmement surpris et effrayé de cette révolte, Jiang Jieshi avait déclenché une violente attaque contre elle en la menaçant d’écrasement si elle ne renonçait pas. Cette unité en retraite sous la pression de cette attaque avait atteint la zone frontalière coréo-chinoise: elle se voyait ainsi coincée entre l’ennemi et le fleuve Amnok.
Zhou Baozhong a envoyé tour à tour ses délégués dans notre pays pour négocier sur le moyen de la sauver. Wang Yizhi en a fait partie une fois et s’en est allée à Ranam. Peu après, nous ouvrirons la voie à l’unité mutinée qui, en passant par notre pays, gagnera la Mandchourie de l’Est.
C’est au début du printemps 1947 que je l’ai rencontrée à Pyongyang.
Elle a alors commencé par me remercier, au nom de son mari, pour l’aide multiforme accordée à leurs opérations de libération du Nord-Est. Elle m’a fait savoir ensuite qu’elle attendait une nouvelle intervention de ma part, car elle et son mari devaient de toute façon se servir encore du territoire coréen pour le transfert, en lieu sûr, de plus de 20 000 hommes — blessés, leurs familles et le personnel d’intendance — ainsi que de plus de 20 000 tonnes de matériel stratégique.
J’ai accepté sur place sa requête et pris tout de suite les mesures qui s’imposaient. Elle m’a renouvelé plusieurs fois ses remerciements, disant que la population du Nord-Est n’oublierait pas les faveurs que je leur avais accordées.
Ce jour-là, je lui ai demandé si elle gardait encore la montre-bracelet dont Rim Chun Chu lui avait fait cadeau lors de notre séparation au camp de la région extrême-orientale soviétique.
Souriant, elle m’a répondu qu’elle l’avait offerte à un Soviétique.
J’avais du mal à comprendre son acte parce qu’elle nous avait promis de la porter jusqu’à ses derniers jours en la qualifiant de symbole de l’amitié coréo-chinoise.
Cette montre-bracelet avait été en fait comme un talisman pour Rim Chun Chu. Le jour de notre départ de la base d’entraînement, Zhou Baozhong et Wang Yizhi n’arrivaient pas à lâcher nos mains, ne pouvant plus contenir le regret de la séparation.
C’est alors que Rim Chun Chu avait offert sa montre à Wang Yizhi, Elle avait refusé au début. C’était, pour l’époque, un objet de valeur inestimable.
Ce n’est qu’après mon intercession qu’elle avait fini par l’accepter. Je l’avais encouragée en lui disant que ce n’était pas chose à refuser et que la montre pourrait lui rendre service.
Après la libération de Changchun et l’occupation de la station de radiodiffusion de la ville, Wang avait pris en charge les émissions radio, et parallèlement, elle avait participé souvent au transport d’armes. C’est alors que, m’a-t-elle confié, la montre l’avait beaucoup servie. A l’en croire, une unité de camionnage de l’armée soviétique lui avait alors prêté main-forte, et c’est au chef de cette unité qu’elle l’avait offerte en souvenir.
Cette montre-là a fini, a-t-elle conclu, par symboliser l’amitié militante des peuples chinois, coréen et soviétique.
Je ne l’ai pas laissée partir tout de suite pour le Nord-Est. J’ai voulu qu’elle se repose, car sa santé laissait à désirer. Elle a pu, ainsi, pendant son séjour, visiter divers sites de Pyongyang, dont la colline Moran.
Elle reviendrait encore à Pyongyang pour régler avec nous le problème du transport de matériel stratégique. Son séjour allait coïncider avec celui de Wang Xiaoming et de Peng Shilu, et il s’ensuivra une rencontre émouvante avec leurs compagnons d’armes coréens du temps de l’AAI.
Cela devait se situer, si je ne me trompe, en été 1947 quand Wang Yizhi est revenue avec les recommandations de Zhou Baozhong. Au cours d’une cinquantaine de jours de combat, les Armées alliées démocratiques du Nord-Est avaient réussi à mettre hors de combat plus de 80 000 combattants ennemis et à libérer 42 villes et localités.
Cependant, la situation du front demeurait toujours critique: leurs soldats et officiers souffraient énormément, nous disait-elle, d’une pénurie de chaussures. Beaucoup d’entre eux devaient marcher pieds nus dans la boue et sur les graviers. Et Wang Yizhi était venue me demander de leur procurer des souliers.
J’ai donné d’urgence à toutes les usines de chaussures des instructions pour qu’on en fabrique pour nos compagnons d’armes chinois et qu’on cesse toute autre production.
D’après les archives chinoises relatives aux opérations de libération du Nord-Est, la Corée transporta pour les Armées alliées démocratiques du Nord-Est 210 000 tonnes de matériel pendant les sept premiers mois de 1947, et 300 900 tonnes au cours de l’année suivante.
Dix-huit unités transitèrent la Corée pendant le second semestre de 1946 et le nombre de personnes qui entrèrent en Corée pour gagner les bases du Nord-Est pendant neuf mois de 1947 s’éleva à plus 10 000. L’année suivante, environ 9 000 personnes traversèrent le fleuve Tuman par le pont de Namyang et un assez grand nombre de représentants de partis démocratiques, de personnalités sans parti et de Chinois résidant à l’étranger gagnèrent
L’automne 1948, peu après l’issue victorieuse des opérations de libération du Nord-Est, Zhou Baozhong a effectué une nouvelle visite dans notre pays en qualité de gouverneur de la province du Jilin et de commandant adjoint de la région militaire du Nord-Est, en compagnie de sa femme Wang Yizhi et de leur fille Zhou Wei. C’était pour nous exprimer ses remerciements pour l’assistance matérielle et morale que nous lui avions accordée. Et en signe de reconnaissance, il avait apporté par le train une grande quantité de farine.
Je l’ai alors envoyé se reposer avec sa femme aux monts Kumgang. J’ai enjoint à Kim C
Et toujours en compagnie de Kim C
Peu après, Kim Jong Suk et moi avons conduit nous-mêmes le couple au tombeau d’An Kil, et y avons pris une photo souvenir.
Quand mes souvenirs me rappellent Zhou, un fait de la deuxième étape de notre guerre de Libération de la patrie, le moment de notre repli temporaire, me revient à l’esprit.
Un jour, deux jeunes inconnus se sont présentés devant moi avec une lettre de recommandation de Zhou Baozhong. C’étaient Hyon Ju Yong et Kim Kil Ryong, Coréens qui l’avaient servi l’un comme aide de camp et l’autre comme chauffeur depuis qu’il dirigeait les opérations de libération du Nord-Est. Il les avait gardés à son service quand il était parti occuper le poste de chef adjoint de la province du Yunnan. Mais mis au courant du repli de notre Armée populaire, il les avait dépêchés en Corée.
Dans sa lettre, il m’avait fait savoir que, bien qu’il fût loin de nous, son âme était dans la même tranchée que nous, et qu’il me confiait deux jeunes intelligents et très responsables.
Sa lettre, arrivée alors que notre pays était mis à l’épreuve, m’a énormément réconforté.
Telle est précisément l’amitié entre les camarades révolutionnaires. Malgré la fuite inexorable du temps, cette amitié et cette camaraderie militantes trempées de nos sentiments aussi purs que la neige immaculée et qui nous animaient au Jiandao, en Mandchourie du Nord et à la base d’entraînement en territoire soviétique, ne pourront s’altérer.
L’amitié entre compagnons d’armes est un sentiment très fort, parce que c’est un amour scellé et cimenté dans le feu du combat, un amour capable de pousser un homme dans le feu pour son compagnon d’armes, voire de lui faire braver la mort pour lui.
Que c’est beau de rester fidèle à ses obligations! C’est grâce à ce sentiment d’obligation que l’homme devient sublime et que sa vie s’embellit autant qu’un jardin de mille fleurs.
J’ai vu Zhou Baozhong pour la dernière fois en décembre 1954, lors de ma visite en Chine.
Il suivait alors un traitement à la maison Jieshoutang du Palais d’Eté à Beijing pour son problème cardiaque qui s’était aggravé. C’est le Premier ministre Zhou Enlai qui avait pris les dispositions nécessaires pour l’y faire soigner.
A ma vue, il a accouru m’étreindre, les yeux mouillés. Cet homme si fort jadis ne cessait de verser des larmes. Peut-être, malade qu’il était, sa volonté s’était-elle affaiblie. Il s’est enquis d’abord de ma santé et a même témoigné de la compassion pour les souffrances terribles que nous avions endurées pendant les trois années de guerre.
Quoique alité, il n’est pas resté inactif. Il a écrit et laissé des œuvres dont la volumineuse Guerre de guérilla antijaponaise en Chine du Nord-Est et les Armées antijaponaises unifiées. Il est décédé d’une longue maladie en février 1964, dix ans après cette rencontre à Beijing.
J’ai envoyé un télégramme de condoléances aux siens réunis devant son cercueil. Ce jour-là, je n’avais pas l’âme tranquille pour travailler. J’ai dû renoncer à toute occupation et repassé le souvenir de Zhou en arpentant mon cabinet de travail.
J’ai également retrouvé Chai Shirong au cours de mes activités au sein des forces alliées internationales.
Je revois encore nettement cette scène émouvante d’alors: il frottait sa joue rude contre la mienne en m’étreignant fort et en répétant «Lao Jin!» (Vieux Kim–NDLR). Je le trouvais drôle de me servir ce terme de politesse «Lao», qu’on place devant le nom de ses aînés, car il avait vingt ans de plus que moi. Je lui ai demandé dans un éclat de rires s’il n’avait pas l’intention de faire de moi un homme entre deux âges. Là-dessus, il m’a répliqué: «Vous avez fait de moi un communiste, commandant Kim. Vous êtes mon aîné. L’âge n’a rien à y voir.»
Son vrai nom était Chai Zhaosheng. Il avait été un chef de police, disait-on, quelque part dans le district de Helong avant l’occupation de la Mandchourie par l’armée japonaise. Après les Evénements du 18 Septembre, il avait formé une petite troupe armée de policiers et s’était engagé dans la résistance antimandchoue et antijaponaise.
J’avais fait sa connaissance en 1933 quand il conduisait une troupe de l’armée de salut national dans les parages de Wangqing. J’étais allé le trouver après la réussite à une collaboration avec l’unité de Wu Yicheng, mais j’avais échoué dans les négociations avec lui. Il a toutefois opté plus tard pour la collaboration avec les communistes: finalement, il s’est converti au communisme et a noué avec moi de solides liens d’amitié. J’ai livré, de concert avec lui, la bataille du chef-lieu du district de Dongning et celle de Luozigou.
Après le déplacement de son champ d’activité en Mandchourie du Nord, il a monté en grade pour commander enfin la 5e armée des AAUNE. J’ai mené de nombreuses opérations conjointes avec ses troupes lors de notre 2e expédition en Mandchourie du Nord. C’était dans les districts de Ningan et d’Emu et il commandait le front central.
Il m’estimait comme aîné révolutionnaire et se montrait toujours modeste. Je ressentais alors sa noble personnalité.
Après la formation de l’AAI, lui et moi avons commandé respectivement la 1re et la 4e armées.
Il est devenu lui aussi une figure de mes souvenirs. Je ne me rappelle plus exactement en quelle année il a quitté ce monde. Quand je regarde notre photo prise à la base d’entraînement en territoire soviétique, je me retrouve en proie à une grande émotion. Elle est une image vivante de la métamorphose d’un homme grâce à l’idéologie communiste.
La veuve de Chai Shirong, Hu Zhenyi, est venue en visite à Pyongyang en compagnie de son fils, elle qui était venue à la base d’entraînement après avoir combattu dans la 5e armée des AAUNE.
Quand je l’ai vue franchir le seuil du Palais des congrès de Kumsusan avec son fils, son aspect, marqué par la blancheur de ses cheveux, m’a rappelé celui de Chai Shirong, si cher à ma mémoire.
Parmi mes compagnons d’armes chinois des années de l’AAI figure aussi Feng Zhongyun, commissaire politique de la 3e armée de route des AAUNE. Il avait été secrétaire de la section du parti de l’université Qinghua à Beijing, puis avait enseigné à
De l’automne 1939 à février 1940, il a séjourné en territoire soviétique afin de finaliser la question de la solidarité militaire et politique entre le mouvement de partisans de Chine du Nord-Est et l’Union soviétique. Par ailleurs, il a fait beaucoup pour l’organisation, au début des années 1940, d’une réunion conjointe des comités du parti de Mandchourie du Nord et de la région de Jidong, et plus tard, d’une conférence conjointe avec les autorités soviétiques.
Dans les années de l’AAI, il a enseigné des matières politiques aux officiers, tout en occupant le poste de chef du service de renseignements dans le département politique.
A la base d’entraînement de la région extrême-orientale soviétique, Feng Zhongyun se faisait beaucoup de bile, sans nouvelles de sa femme et de ses enfants dont il était séparé depuis longtemps. Quand la pensée des siens le tenait éveillé ou le mettait de mauvaise humeur, ses camarades lui conseillaient de fonder un nouveau ménage maintenant qu’il était probable que les siens n’étaient plus vivants. Alors, Feng Zhongyun coupait court, prétendant avoir résolu de ne pas se remarier, quitte à rester seul tout le reste de sa vie. La noblesse et la fermeté de révolutionnaire et d’homme perçaient dans cette constance avec laquelle il aimait et attendait toujours la femme qu’il avait épousée, encore que rien ne laissât supposer qu’il la retrouverait.
Je me le rappelle encore fredonnant, pendant sa promenade, dans les rares heures de loisir du soir, une chanson chinoise sur le thème du regret de la bien-aimée.
Sa femme qu’il avait tant souhaité revoir, il la retrouverait après la libération de son pays, et ils reprendraient leur vie conjugale dans l’harmonie.
Comme l’a fait Zhou Baozhong, Feng Zhongyun glorifierait à la première occasion le combat héroïque du peuple coréen et de l’ARPC, animé d’un respect et d’une reconnaissance profonds.
Chef du gouvernement populaire de la province du Songjiang, Feng Zhongyun écrivit Aperçu de 14 années de dure lutte des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est. En voici quelques extraits:
«La 2e armée des AAUNE a pour origine les troupes de partisans de Mandchourie de l’Est... Ces troupes se divisaient en quatre bataillons de guérilla antijaponaise, répartis entre Yanji, Wangqing, Helong et Hunchun. Comme la population de la région de Jiandao était coréenne dans sa majeure partie, les Coréens en formaient l’ossature.
...Ces troupes sous le commandement du Général Kim Il Sung, illustre héros national de Corée, ont débouché sur Antu, Linjiang, Changbai, puis le Yalu avant de faire leur jonction avec le commandant Yang Jingyu de l’armée sœur, la 1re armée des AAUNE.
...De même a été organisée l’armée coréenne de restauration de la patrie sous la direction du Général Kim Il Sung. Elle pénétra en profondeur dans la région nord de la Corée, à travers le Yalu, pour y opérer, notamment livrant de nombreux combats sanglants contre l’agresseur impérialiste japonais et mettant sur pied des organisations clandestines de l’Association pour la restauration de la patrie du peuple coréen.
...A la Libération, tous les Coréens, hommes, femmes, vieillards et enfants, ont accueilli le Général Kim Il Sung aux cris enthousiastes de “Vive le Général Kim Il Sung, héros national!”»
Par la suite, Feng Zhongyun, ayant quitté la présidence du gouvernement populaire du Songjiang, a été chargé de la direction de la Bibliothèque de Beijing, puis devint ministre adjoint des Eaux et de l’Energie électrique. Alors qu’il était à ce poste, il est venu plusieurs fois dans notre pays pour discuter de l’utilisation commune de centrales par les deux pays.
C’est, par exemple, en septembre 1958, qu’il était venu à la tête d’une délégation du ministère des Eaux et de l’Energie électrique de Chine. Je l’ai rencontré à la Centrale électrique de Suphung. Je me souviens comment nous avons alors inspecté ensemble les installations de la centrale, puis tout en admirant le beau paysage du lac du haut du barrage, nous nous sommes entretenus des moyens de construire en commun une nouvelle centrale sur l’Amnok et de renforcer la coopération entre nos deux pays dans le domaine hydroélectrique.
Hélas! pendant la Révolution culturelle, il a souffert, taxé d’élément de droite, avant de finir ses jours en prison au printemps 1968.
A l’occasion de mon 80e anniversaire, sa veuve, Xue Wen, est venue visiter notre pays en compagnie de ses enfants. J’ai vu ainsi celle qui avait tant manqué à Feng Zhongyun à la base d’entraînement de la région extrême-orientale soviétique, un petit bout de femme pétillant d’intelligence qui avait travaillé au comité du parti de Mandchourie dans les années de la guerre antijaponaise.
C’est à la fin de 1977, près de dix ans après sa mort, disait-elle, que Feng Zhungyun a été réhabilité puis enterré au cimetière des martyrs du mont Babao dans la banlieue ouest de Beijing.
Comme les Feng se répandaient en pleurs, se jetant dans mes bras! Les souvenirs m’ont envahi alors, et l’émotion me serrait la gorge.
Ils ont visité plusieurs fois encore notre pays. La fille aînée de Feng Zhongyun, Feng Yiluo est venue lors de son 60e anniversaire, et le camarade Kim Jong Il lui a offert un festin.
La camaraderie militante et l’amitié qui liaient Feng Zhongyun à moi se perpétuent, reprises par nos descendants.
Zhang Shoujian, qui était un cadre politique à l’époque de l’AAI, est un autre de mes proches compagnons d’armes chinois. Commandant de la 3e armée de route en Mandchourie du Nord, il portait aussi le nom de Li Zhaolin. Une grande amitié le liait du reste à Feng Zhongyun aussi bien qu’à Kim C
La modestie et l’abnégation le caractérisaient, et c’est sans doute pour cela que dès le prime abord je me suis lié d’amitié avec lui. J’ai été profondément touché lorsque j’ai vu qu’il honorait les autres alors que lui-même prenait en charge les tâches les plus ingrates.
Dans les observations sur les commandants de partisans à la disposition de l’Internationale, Zhang Shoujian était apprécié comme un organisateur de talent, un chef courageux, énergique et plein d’initiative.
Le Chant du bivouac qu’il avait composé pendant la guerre contre les Japonais était répandu parmi les partisans de Mandchourie du Nord, dit-on.
Après la victoire sur les Japonais, Zhang Shoujian travaillait de toutes ses forces à des postes de responsabilité, notamment comme secrétaire du comité régional du Songjiang du Parti communiste chinois et gouverneur adjoint de cette province quand il a été assassiné à
Zhou Baozhong, Zhang Shoujian et Feng Zhongyun ne sont plus.
En avril 1992, mes compagnons d’armes du temps de l’AAI sont venus me féliciter pour mon 80e anniversaire. C’étaient Chen Lei et sa femme Li Min, Li Zade et autres, autant d’hôtes de marque.
Chen Lei a été chef du service d’information du département militaire de la 6e armée des AAUNE, puis responsable politique du 3e régiment. Chef de section à l’époque des forces alliées internationales, puis, après la libération de son pays, secrétaire du comité de la province du Heilongjiang du PCC, puis gouverneur de cette province. Il présidait le comité des conseillers du parti de cette province quand il est venu en visite chez nous à la tête d’une délégation d’amitié du Heilongjiang.
Il m’a alors fait cadeau d’un rouleau calligraphié où on lisait: «Bonne santé et longévité au camarade Kim Il Sung pour son 80e anniversaire!» Expliquant son inscription, il m’a félicité d’avoir mené à la victoire le dur combat contre les impérialistes japonais, puis contre les impérialistes américains et édifié un paradis du peuple en Corée, pays de trois mille ri; il m’a souhaité de vivre aussi longtemps qu’existerait le Coryo. On voyait en lui un calligraphe de talent.
Pour sa part, Li Min m’a fait cadeau d’un recueil de cent chants révolutionnaires remontant aux années de la guerre contre les Japonais. Elle avait été speakerine à l’époque de l’AAI.
Il y a plus d’un demi-siècle commençait la guerre contre les Japonais. Depuis, les peuples et les révolutionnaires de Corée et de Chine ont vécu en bons voisins, de part et d’autre des fleuves Tuman et Amnok, ont combattu coude à coude, partageant le meilleur comme le pire dans une même tranchée. Cette tradition de combat et cette fraternité sans prix se perpétueront comme un splendide jardin de fleurs.
En juillet 1994, la nouvelle de la mort subite du Président Kim Il Sung se propagea à travers le monde entier. Elle était si inattendue qu’elle frappa chacun d’hébétude. Le monde entier déplora cette disparition.
Chen Lei et Li Min, voulant faire leurs adieux au Président Kim Il Sung, quittèrent
Prévenu par le consulat général de Corée à Shenyang alors qu’ils faisaient route vers la Corée, le camarade Kim Jong Il, prit lui-même les dispositions nécessaires pour qu’on les accueille à la tête du pont de l’Amnok et les conduise à Pyongyang.
Ainsi la voiture envoyée par lui les attendait déjà à Sinanju quand celle du comité du parti de la province du Phyong-an du Nord qui les avait cueillis à la frontière, arriva.
Deux jours entiers à parcourir plus de 1 000 km depuis
«Cher camarade Président, s’écrièrent-ils fondant en larmes, nous voilà, vos compagnons d’armes, Chen Lei et Li Min, venus vous voir!»
Lors du rassemblement suivant les funérailles le camarade Kim Jong Il les reçut en audience à la tribune même.
Pour sa part, Zhou Wei, fille de Zhou Baozhong, regretta vivement de ne pas avoir revu le Président Kim Il Sung.
En octobre 1995, elle adressa une lettre au camarade Kim Jong Il, lui faisant cadeau d’un album qu’elle avait elle-même composé. Il contenait un grand nombre de photos illustrant tout le cours de la vie de Zhou Baozhong et en même temps, plusieurs photos du Président Kim Il Sung et de la camarade Kim Jong Suk, son épouse, héroïne de la résistance antijaponaise.
L’été 1996, elle vint en visite en Corée. Tout imprégnée du souvenir du Président Kim Il Sung, souvenir remontant à son enfance passée à la base d’entraînement en territoire soviétique, elle se hâta, dès son arrivée à Pyongyang, de se rendre au Palais-mémorial de Kumsusan.
«Cher Président Kim Il Sung, me voici! Daignez me regarder une fois seulement, je vous en supplie, cher Président!», murmurait-elle sans cesser de pleurer.
A cet instant, son cœur fut embrasé par la résolution de cultiver en toute beauté la fleur de l’amitié coréo-chinoise comme l’avaient fait son père et sa mère.
8. Les combattants venus de Mandchourie du Nord
Cela doit être, autant que je m’en souvienne, un ou deux jours après mon arrivée à Khabarovsk. An Kil m’a dit que C
L’un des objectifs que nous nous étions fixés lors de notre seconde expédition en Mandchourie du Nord, en quittant le Jiandao, notre théâtre d’action, était d’entrer en contact avec les combattants coréens de cette région, notamment Kim C
C
Pour les communistes coréens qui opéraient dans diverses régions de Mandchourie, à l’est, au sud et au nord, c’était une volonté, une aspiration communes que de procéder à des échanges, de collaborer et d’opérer ensemble.
C
Celui qui m’avait parlé le premier de lui était Pak Hun, ancien élève de l’Académie militaire de Huangpu. Lorsque nous venions de fonder à Antu l’Armée de guérilla populaire antijaponaise, et que nous nous livrions à l’entraînement militaire, nous avions un gros problème: le manque d’instructeurs. Nous n’avions chez nous qu’un seul militaire capable d’entraîner nos combattants.
Cha Kwang Su, Pak Hun et moi, nous nous demandions, chaque fois que nous tenions conseil, d’où nous pourrions obtenir des spécialistes. Et le nom de C
Pak Hun disait: «Après la rupture de la collaboration du Guomindang et du Parti communiste chinois, qui a suivi la mort de Sun Yatsen, tous les jeunes Coréens à l’Académie militaire de Huangpu se sont dispersés. Parmi eux C
J’ai appris plus tard que C
«S’il est à Khabarovsk, m’empressai-je de dire, pas la peine de l’attendre, il faut que nous allions le voir nous-mêmes.»
Guidé par An Kil je me suis rendu chez lui. A mon apparition, il a bondi de son siège, puis m’a considéré un moment. C’était un homme large d’épaules, d’allure militaire.
«C’est en Russie que je vois le Commandant Kim que je n’ai pu voir en Mandchourie!», a-t-il dit enfin en me serrant la main.
Les larmes aux yeux, il a raconté qu’il avait entendu dire que le Commandant Kim arriverait bientôt à Khabarovsk mais qu’il ne savait pas que j’étais déjà là, et il s’est répandu en excuses, confus de me recevoir chez lui, au lieu d’être venu me voir.
«Je voulais depuis toujours me battre à vos côtés, Commandant Kim. Je suis très heureux de vous voir enfin. Dorénavant, ne nous séparons plus.»
Il avait connu bien des péripéties depuis son engagement dans la révolution.
Il avait commencé, comme moi, par le mouvement estudiantin.
Une grève avait éclaté à son école secondaire contre le directeur américain. C
Plus tard, C
Puis, il est passé à Séoul où il restera un temps. Il s’est lié par hasard avec un homme du gouvernement provisoire coréen à Shanghai à qui il a promis sa collaboration. Puis, guidé par lui, a quitté le pays pour aller se joindre à ce gouvernement provisoire.
Mais ce gouvernement l’a profondément déçu. Finalement, il a rejoint le mouvement communiste, acquis une certaine expérience militaire. Or, malgré l’engagement qu’il avait pris en quittant le pays de le libérer, il s’est vu de plus en plus entraîné dans la révolution chinoise. A l’époque, les jeunes Coréens qui opéraient en Chine intérieure fondaient certains espoirs sur la révolution chinoise.
Quand il se rappelait cette époque, il disait qu’il avait éprouvé un certain orgueil à faire la révolution en faveur d’un autre pays, mais il ne pouvait mater un sentiment de tristesse, se sentant de plus en plus relégué en marge; parfois il cherchait à se justifier en se disant: la révolution chinoise se confond avec la révolution coréenne. Pourtant, il ne pouvait guère se débarrasser du sentiment de culpabilité, ayant l’impression qu’il fuyait et tournait le dos à la Corée.
Sun Yatsen préconisait l’alliance avec la Russie, avec le parti communiste, les ouvriers et les paysans, et faisait tout pour renverser le gouvernement de Beijing et établir un gouvernement national révolutionnaire par la collaboration du Guomindang avec le Parti communiste chinois, quand C
Mais la situation n’a pas évolué dans le sens qu’il avait souhaité. Après la mort de Sun Yatsen, Jiang Jieshi a non seulement rompu avec les communistes mais organisé leur massacre. Il ne tenait pas compte des liens du sang dans la répression. A cette époque de carnage, nombre de Coréens avaient trouvé la mort en Chine.
C
«Si j’étais alors allé au Jiandao, j’aurais pu vous rencontrer plus tôt et participer à la révolution coréenne. Je le regrette et le regretterai toute ma vie.»
Je lui ai dit: «Moi aussi, je regrette beaucoup de n’avoir pu vous serrer la main plus tôt, vous qui êtes une vraie compétence militaire. Si nous avions eu des hommes comme vous et Kim C
C
A cet aveu, j’ai cru comprendre pourquoi il m’avait envoyé ses agents de liaison par quatre fois.
C
Je lui ai alors expliqué pourquoi j’avais entrepris la seconde expédition en Mandchourie du Nord en 1935: prendre contact avec les compagnons d’armes coréens de l’endroit.
Ce jour-là, nous avons évoqué aussi ce que nous avions fait au début des années 1930 en Mandchourie, alors que nous nous étions si occupés, lui au nord, moi à l’est, à former des troupes de partisans.
Après avoir créé un centre d’entraînement parmi les paysans en Mandchourie du Nord, il avait formé une troupe de partisans, mais il avait eu grand-peine à grossir son effectif. Il avait entendu dire depuis longtemps que le Commandant Kim préconisait la résistance de tout le peuple, et il m’a demandé de lui expliquer mon plan d’action et surtout mon idée de soulever le peuple entier dans la résistance.
«La plupart des Coréens, poussés à l’extrême limite, aspirent ardemment au renouveau national, lui ai-je dit en guise de réponse. C’est une réalité flagrante. Si on réussit à les armer, ils formeront une armée forte de centaines de milliers d’hommes. Or, comment les armer? Il faut créer un peu partout des organisations semi-militaires, capables de mener des actions militaires sans que leurs membres quittent leur emploi: dans les zones industrielles des troupes d’ouvriers, dans les campagnes des troupes de paysans, dans les villes des troupes d’étudiants. Des troupes de producteurs-partisans et des troupes de choc d’ouvriers, apparues dans les régions septentrionales de la Corée, opèrent depuis la seconde moitié des années 1930. A l’avenir, on en fondera dans tous les coins. Mais qui le fera? Nous expédierons des éléments d’avant-garde endurcis dans le feu du combat contre les Japonais dans diverses régions.
«C’est chose à faire dans un proche avenir, ai-je poursuivi. La situation dans le monde tourne au désavantage de l’impérialisme japonais; le Japon, actuellement en guerre avec la Chine, risque d’en déclencher une autre, plus vaste. S’il se lance dans une nouvelle guerre alors que l’issue de la première est plus qu’incertaine, il finira par tomber. Le moment du combat final viendra à coup sûr d’ici quelques années. Une fois le moment venu, nous livrerons l’assaut final par la mobilisation de tout le peuple, par le soulèvement de toutes les organisations de résistance, parallèlement à l’offensive générale de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne, force principale de notre révolution. Voilà mon plan d’opération pour la libération de la patrie, voilà ma ligne de conduite pour reconquérir l’indépendance du pays par nos propres forces.»
C
C
En venant à Khabarovsk, il n’avait pensé, a-t-il avoué, qu’à la coopération militaire avec l’Union soviétique, loin d’avoir l’idée d’armer toute la population et d’engager des opérations de libération de la patrie, et maintenant, en causant avec moi, tout lui paraissait clair.
«Commandant Kim, a-t-il repris, en toute franchise, je souhaitais et souhaite encore me battre au mont Paektu. Là-bas seulement, je pourrais me reconnaître comme Coréen. Qu’on me prenne comme simple troupier, peu m’importe, pourvu que je puisse me battre au mont Paektu sous vos ordres et être enterré là. C’est mon vœu le plus cher.»
Ses yeux brillaient d’émotion.
«Les révolutionnaires coréens, qui, auparavant, opéraient au sud, à l’est et au nord de la Mandchourie, se sont tous réunis ici, lui ai-je dit avant de le quitter. Dorénavant, ne nous séparons pas et luttons ensemble, main dans la main, pour la Corée!»
Cette rencontre m’a laissé une impression indélébile. Ce que C
Or, ce n’était pas seulement son vœu et sa volonté, mais ceux de tous les communistes coréens du sud, de l’est et du nord de la Mandchourie.
Si C
Son vœu sera, par la suite, réalisé en grande partie grâce à l’organisation de l’AAI, car, depuis, il sera toujours à mes côtés et se battra avec moi.
Parmi les compagnons d’armes de Mandchourie du Nord que j’ai rencontrés dans la région extrême-orientale soviétique se trouvait aussi Kang Kon.
Déjà avant la création de l’AAI, je suis allé au camp nord, je l’y ai vu. Il s’est montré si enchanté de me retrouver que les cadres militaires et politiques des 2e et 3e armées de route n’en revenaient pas.
Parmi eux, seuls Zhou Baozhong et quelques autres commandants de la 5e armée connaissaient mes liens avec lui.
J’avais fait la connaissance de Kang Kon en Mandchourie; je l’ai vu d’abord lors de notre première expédition en Mandchourie du Nord, puis lors de la seconde.
Depuis 1938, il était commissaire politique du 9e régiment dans la 3e division de la 5e armée. Cette rapide promotion après son enrôlement témoignait de la confiance et de l’estime dont il bénéficiait.
Après la Conférence de Xiao
Quand je rencontrais les agents de liaison qui passaient par la Mandchourie du Nord, je leur demandais de ses nouvelles, et tous avaient mentionné son habileté au combat. Il était bien connu, dans la 5e armée, pour sa rapide promotion malgré son jeune âge et pour son talent militaire. C’était un homme d’avenir.
S’il était devenu un brillant commandant deux ou trois ans après son enrôlement, c’est qu’il s’était distingué au combat, et surtout qu’il aimait le peuple.
On disait que la population l’adorait pour sa loyauté et sa modestie. S’il entrait dans un village à la tête de son unité, les gens lui réservaient un accueil chaleureux, l’appelant commissaire politique Kang, et lui demandaient à qui mieux mieux de prendre leurs fils dans sa troupe qui jouissait d’une grande popularité. Il avait établi une discipline rigoureuse et ses hommes faisaient preuve d’un vif esprit d’organisation et d’obéissance.
Kang Kon frappait l’ennemi de main de maître. On admirait son talent et son habileté militaire.
Ce talent s’est révélé surtout à l’époque des opérations de nos petits détachements. Il excellait en particulier dans l’embuscade et le renversement de trains. Une fois, il avait fait sauter un train occupé par des officiers japonais. Il a réussi de multiples opérations de dynamitage de trains, de ponts ferroviaires, de routes, d’entrepôts militaires, infligeant ainsi de grands revers à l’ennemi.
Le jour où je l’ai retrouvé, nous avons longtemps évoqué le passé, au bord du fleuve Amour.
Après que l’armée internationale a été constituée, il est resté avec moi. Le bâtiment où nous étions logés était un Dori, une sorte d’habitation qu’on trouvait un peu partout en Sibérie, cylindrique avec les pièces disposées autour d’un couloir. Les principaux commandants de l’Armée alliée internationale étaient hébergés dans ce genre de bâtiment.
Là, j’ai souvent causé avec Kang Kon. Juste et logique dans la pensée, exact et ponctuel dans l’action, il savait aussi parler avec humour. Certains le prenaient pour un commandant sec et froid, mais ceux-là le connaissaient mal. Austère et loyal, il était aussi sensible et compréhensif.
Il ne savait pas maquiller ses pensées et ses observations. Il les exposait carrément et révélait sans hésiter le fond de sa pensée.
Il parlait souvent de son patelin natal, Sangju, dans la province du Kyongsang du Nord. C’est à l’âge de dix ans qu’il l’avait quitté, mais il en gardait un souvenir précis et y était profondément attaché.
Je l’ai entendu dire souvent, à cette époque, que Sangju était réputé pour son eau-de-vie et sa soie. Selon lui, le plaqueminier y poussait bien.
Quand il parlait de ces produits de Sangju, du fleuve Rakdong, du mont Sokri, ses yeux brillaient de larmes. Sec et froid en apparence, il s’épanchait alors sans retenue comme un poète, et devenait même loquace. Il se souvenait avec affliction de sa sœur aînée restée au village natal, chez un voisin comme future bru. Qui aime ainsi sa terre natale fait la révolution avec ardeur. Qui aime le sol natal, aime la patrie; qui aime la patrie s’attache à la révolution.
Notre amitié s’est resserrée davantage au temps de l’Armée alliée internationale et s’est changée en une profonde camaraderie.
Ce qui m’a particulièrement frappé chez lui, c’était son talent militaire et son sens aigu des responsabilités. Il possédait à fond l’art de la guerre. Lors de la discussion des opérations, il exposait avec feu ses vues et ses idées, qui étaient toujours originales et profondes.
Il parlait couramment chinois et russe. Il avait commencé à apprendre le russe après son arrivée au camp nord. Mais quelque temps après, on le voyait déjà causer avec des officiers russes et lire des brochures militaires soviétiques.
Sa brillante intelligence étonnait même les Soviétiques et les Chinois. Il employait les caractères chinois après les avoir simplifiés lui-même à sa manière.
C’est Kim C
A l’école, Sin T
Kim C
Quand, après la Libération, Kang Kon était chef d’état-major général, un grand nombre de ceux qui travaillaient sous ses ordres étaient beaucoup plus âgés que lui ou avaient une plus longue carrière révolutionnaire, mais tous le respectaient. On savait combien il était à cheval sur les principes révolutionnaires. En effet, quand il s’agissait des principes, il ne faisait pas la moindre concession à qui que ce soit, même pas aux siens.
Le camarade Kim Jong Il recommande aux cadres de suivre l’exemple de Kang Kon en fait de fidélité au parti et au leader et d’intransigeance révolutionnaire; c’est juste. Kang Kon était un cadre de talent, un brillant commandant digne d’être admiré par la postérité. Il est tombé trop tôt au champ d’honneur, sinon il aurait fait beaucoup plus pour le développement de nos forces armées.
Il a consacré jusqu’à sa dernière goutte de sang à la révolution. Toute sa vie, il a ignoré le repos. Sitôt après la chute du Japon, il n’avait pu regagner la patrie, obligé qu’il était d’aider la révolution chinoise. Commandant de la circonscription militaire de Jidong, il a participé à la libération de la Chine du Nord-Est.
Lors de ces opérations, il a formé nombre de troupes de Coréens. On dit que 250 000 Coréens ont participé à cette guerre. Le surmenage lui a causé un ulcère gastrique. Quand, de retour dans la patrie, il dirigeait le 2e camp du Centre de formation des cadres de la sécurité, il en a beaucoup souffert. A l’époque, surchargé, il ne mangeait pas ponctuellement. Inquiet de son mal, je lui ai interdit, lors des banquets, de boire des eaux gazeuses, sans parler d’eau-de-vie.
Kang Kon a apporté une énorme contribution à la construction de nos forces armées populaires.
Il a été pour beaucoup dans la victoire de notre Armée populaire à la première phase de la guerre, notamment dans la bataille de libération de Séoul et celle de Taejon.
Quand notre Armée populaire a poussé jusqu’au fleuve Rakdong, Kang Kon, me présentant un rapport sur la situation du front, m’a dit qu’il croyait possible de passer à Sangju quelques jours et de revoir sa sœur.
Cependant, ce furent ses dernières paroles. En septembre 1950, il est tombé au champ d’honneur, à notre vif regret, à proximité de son sol natal.
Il était aussi fort en politique qu’en affaires militaires. A sa mort, il avait 32 ans. Les Soviétiques eux-mêmes nous avaient enviés d’avoir un aussi jeune chef d’état-major général. Qu’il nous ait quittés à la fleur de l’âge, c’est vraiment regrettable.
Nous lui avons décerné le titre de Héros de la République et avons donné son nom à l’Ecole centrale d’officiers n°l pour transmettre ses exploits à la postérité. A l’occasion du 20e anniversaire de la fondation de la République, nous avons érigé à Sariwon une statue en bronze le représentant.
C’est vraiment une grande perte. Je pense souvent à lui aujourd’hui encore.
Un des désirs unanimes des combattants antijaponais de Mandchourie de l’Est, en allant à la base d’entraînement dans la région extrême-orientale soviétique, était de rencontrer les combattants coréens venus de Mandchourie du Nord. Ces derniers ont dit avoir eu le même désir de rencontre.
A mon arrivée au camp nord, ceux-ci étaient sortis m’accueillir à pas précipités. La plupart me voyaient pour la première fois et ne voulaient plus me laisser partir. Je me le rappelle comme si c’était
Ils traitaient leurs compagnons de Mandchourie de l’Est comme s’ils étaient venus de Corée. Le nord et l’est de la Mandchourie ne pouvaient différer, étant les deux parties du même sol mandchou, à ceci près que l’est était plus près de la Corée que le nord. Or, ce n’était pas sans raison qu’ils considéraient cette région comme une partie de la Corée; les Coréens avaient défriché cette terre; les Coréens y avaient déclenché la révolution. De plus, les combattants de Mandchourie de l’Est avaient fait avec moi plusieurs intrusions dans la patrie. Aussi les partisans de Mandchourie du Nord nous traitaient-ils comme si nous arrivions de la terre ancestrale.
Le premier qui m’a sauté aux yeux à mon arrivée au camp nord fut Kim Ryong Hwa: il portait une moustache très impressionnante.
Ensuite, ce fut C
Au nom de chacun, il ajoutait un mot caractéristique: Kang Sang Ho, une mémoire très fidèle; Kim Ryong Hwa et Kim Tae Hong, tireurs d’élite; Jang Sang Ryong, Kim Ji Myong, Jon Pong So, lestes et laborieux comme des roues de charrette; Kim Jung Dong, homme à l’œil juste; Ryou Ung Sam, cultivateur avisé, etc. Plus tard, j’ai dû reconnaître que ces qualificatifs étaient très justes.
Kang Sang Ho avait de l’esprit; Kim Ryong Hwa et Kim Tae Hong étaient tireurs d’élite. Jang Sang Ryong, Kim Ji Myong, Jon Pong So, Pak U Sop et Kim Yang Chun étaient tous laborieux et loyaux, de grands abatteurs de besogne; quelle tâche qu’on leur confiât, ils l’exécutaient toujours rapidement et habilement. Jang Sang Ryong a souvent fait le messager entre Kim C
Ryu Ung Sam s’y connaissait bien en agriculture. En Mandchourie du Nord, il s’en était occupé dans les bases de guérilla. Au camp nord, il a eu l’œil sur les affaires de la ferme agricole d’appoint. Un temps, il a été chef du service des cultures d’appoint au ministère des Forces armées populaires.
J’ai fait aussi connaissance avec C
Les combattantes de Mandchourie du Nord étaient toutes des femmes au caractère ouvert. Cette région s’étendait souvent sur de vastes plaines. Le tempérament de l’homme semble se modeler selon la nature: caractère ouvert quand on vit dans une région d’immenses plaines. Elles étaient aussi d’excellentes cavalières.
Pak Kyong Suk et Pak Kyong Ok étaient les meilleures télégraphistes d’entre elles; Wang Ok Hwan, la meilleure cavalière. On disait que Ri Suk Jong, elle aussi, montait bien à cheval. Ho Chang Suk, Jon Sun Hui et Jang Hi Suk étaient renommées pour leur habileté en couture. Ri Kye Hyang était tireuse d’élite.
C
C
Il était très strict sur les principes de la révolution.
Une fois, quand il opérait en Mandchourie du Nord, à la tête d’un régiment ou peut-être d’une compagnie, il est allé voir son père qui servait dans un corps d’autodéfense (organisation ennemie–NDLR); il voulait obtenir de lui des vivres pour son unité.
Son père avait milité dans le mouvement indépendantiste antijaponais, il s’était battu dans une troupe indépendantiste. Mais le mouvement des troupes indépendantistes ayant décliné, il avait déposé les armes et était retourné chez lui. Or, l’ennemi, cherchant à l’utiliser pour diviser les Coréens, l’avait enrôlé de force dans le corps d’autodéfense.
C
Les C
De caractère impétueux, C
Soit que le père eût reçu un impact de la repartie de son fils, soit qu’il se fût ravisé, il finit par donner quinze charrettes de riz. Par la suite, il enverra à la troupe de partisans quantité de vivres et d’armes qu’il s’était procurés. Sous le masque de membre du corps d’autodéfense, il a continué d’aider l’armée de guérilla, suivant son patriotisme et son credo d’années de service dans une troupe indépendantiste.
Plus tard, les Japonais l’ont assassiné.
Au temps de l’Armée alliée internationale, C
Après la Libération, nommé au poste de responsable de la garde de Pyongyang, il a lutté contre les espions et les saboteurs, puis a travaillé à la formation de l’ossature des forces armées régulières à l’Ecole de Pyongyang et à l’Ecole centrale des cadres de la sécurité. Il a été un temps et avec succès ministre de l’Industrie halieutique, puis vice-président du Conseil des ministres.
A la base d’entraînement, j’ai fait des retrouvailles émouvantes avec les combattants que j’avais envoyés précédemment en Mandchourie du Nord quand nous opérions en Mandchourie de l’Est, C
A ma vue, C
Dans l’armée internationale, il a été chef de section.
Ma première rencontre avec lui remonte au temps où il occupait le poste de chef du service d’éducation des enfants (un comité des Jeunesses communistes — NDLR). Il était venu alors chez nous à la tête d’une troupe artistique du Corps des enfants pour donner un spectacle.
Nous nous apprêtions à partir pour notre première expédition en Mandchourie du Nord quand il a passé le flambeau à un autre et s’est enrôlé dans l’armée des jeunes volontaires. Il allait apprendre que quand on tirait un coup de feu, la balle et la douille ne partent pas ensemble comme il le croyait. Enrôlé, il est devenu bientôt chef de section.
Lors du combat de Diaomiaotai, il a conduit sa section, je me le rappelle bien, à l’ouest du mont Yaoyinggou où il a passé une nuit blanche pour veiller à ma sécurité. Après, il a participé à la bataille du mont Laohei. Avant de passer en Union soviétique, il a été chef de section de la garde du commandement de la 5e armée de Zhou Baozhong qui l’aimait beaucoup, dit-on.
C’est pour cette raison que Zhou Baozhong, en choisissant les hommes pour les opérations finales à engager contre les Japonais en Chine du Nord-Est, m’a demandé de lui céder d’abord Kang Kon, C
Au nord-est de la Chine, le premier sera commandant d’une circonscription militaire; C
Le régiment de C
La troupe de C
C’est au début de l’automne 1946 que nous avons appelé C
Rentré dans la patrie, il sera nommé chef d’état-major du 1er camp du Centre de formation des cadres de la sécurité. Puis, comme chef de la 1re division de l’Armée populaire de Corée, il participa à la guerre de Libération de la patrie. Il a apporté une énorme contribution à l’édification des forces armées de notre pays.
En tant qu’homme, il était loyal; en tant que militaire, il l’était également. Lors de l’incident du Pueblo, il n’a pas quitté son bureau pendant une année, y mangeant, y couchant, sans rentrer chez lui, préoccupé qu’il était de la situation. Toute sa vie, il a soutenu fidèlement le Parti et le Leader. Au cours de ses activités révolutionnaires, il a connu de multiples péripéties et beaucoup de chagrins, mais jamais il n’a flanché.
C
Le camarade Kim Jong Il aussi place une profonde confiance en lui, le ménage et l’estime. Le confirme le fait que quand il a été élu Commandant suprême, il a nommé C
En me rendant à la base d’entraînement en Union soviétique, je comptais retrouver également Pak Kil Song et Ho Hyong Sik. Mais à mon vif regret, j’ai appris qu’ils étaient tombés au champ d’honneur en Mandchourie du Nord.
Ho Hyong Sik était l’un des fondateurs de la troupe de partisans de Zhuhe.
Kim C
Des récits de Kim C
Afin d’alléger la fatigue des soldats, Ho Hyong Sik a fait monter la garde aux commandants et lui-même en était. Comme on n’avait pas de montre, on allumait une baguette d’encens et comptait l’heure selon le temps qu’elle mettait à se consumer. C’était l’heure de la relève quand une baguette avait brûlé jusqu’au bout.
Une nuit qu’il devait monter la garde, Ho Hyong Sik a manqué de se présenter à l’heure de la relève. Le lendemain matin, il a fait son autocritique devant ses hommes et, la nuit suivante, il s’est assigné de monter de nouveau la garde en guise de sanction.
Un de ses combattants, gêné de voir son chef d’état-major dans cette situation, a coupé en deux la baguette d’encens.
Mis au courant du fait, Ho Hyong Sik lui a dit: «Merci, vous vouliez ménager votre chef. Mais vous oubliez l’essentiel, il n’y a qu’une discipline et pas deux dans les rangs de la révolution. Une fois le règlement établi, tout le monde doit l’observer sans exception. Alors seulement la discipline se maintient dans l’armée. Ce soir, vous et moi monterons ensemble la garde en guise de sanction et ferons tous deux un retour sur nous-mêmes.» Après quoi il a accompli un autre tour de garde.
Même après avoir reçu le message de Kim C
Aucune campagne réussie si importante soit-elle, ne pourrait compenser la perte d’un aussi grand commandant.
C’était une perte incommensurable pour nous qui préparions la campagne de libération de la patrie.
Quant à Pak Kil Song, il avait milité à Wangqing avant d’aller en Mandchourie du Nord, où il s’est battu à la tête d’un détachement. Sous l’influence d’O Jung Hwua, il avait, encore petit, participé aux luttes Chusu et Chunhwang.
Son père, Pak Tok Sim, cultivait un lopin de terre pris à bail et se faisait parfois passeur. Je le connaissais bien. Il avait transporté plusieurs fois, à bord de son bateau, les approvisionnements que la population envoyait à nos troupes.
Pak Kil Song, quand il était chef du service d’éducation des enfants, était venu souvent chez moi, et nous étions devenus familiers. Tout jeune, mais avide de travail, il ne se contentait pas de son travail de responsable du service d’éducation des enfants; il ne guettait que l’occasion de se faire admettre dans l’armée. Enfin, nous partions pour notre seconde expédition en Mandchourie du Nord quand il m’a prié instamment de le prendre avec nous.
Mais j’ai refusé pour, ensuite, l’envoyer comme agent clandestin à Luozigou où vivaient des gens fort bien disposés à l’égard de la révolution, anciens habitants des zones de guérilla de Wangqing et de Hunchun. Pak Kil Song était le mieux indiqué pour les protéger, rompu qu’il était au travail auprès des masses.
Plus tard, par les agents de liaison, j’ai eu de ses nouvelles quelquefois. Il était passé en Mandchourie du Nord, parce que l’on le connaissait trop bien à Luozigou. Il avait été arrêté et jeté en prison. Battu, puis libéré sous caution pour maladie, il a quitté Luozigou, disant qu’il irait rejoindre notre armée. Tout jeune qu’il était, il s’est comporté courageusement en prison.
Dès les monts Laoye, Pak Kil Song a beaucoup peiné en vain pour trouver notre troupe. Finalement, il a rencontré, dit-on, une troupe qui opérait aux environs de Soraejiphang, district de Ningan, et a fini par s’y joindre.
Agé d’à peine plus de vingt ans, il a commandé un détachement. Il était aussi exemplaire dans la vie au sein de l’organisation des Jeunesses communistes. A l’époque, Ri Jong San était son planton.
Ce détachement était célèbre pour son agilité et son intrépidité au combat. La troupe avait une unité de cavalerie, et l’ennemi la redoutait particulièrement. Pak Kil Song comptait passer dans la région extrême-orientale soviétique après avoir terminé tout ce qui était prévu dans son plan, mais, malheureusement, il tombera aux mains de l’ennemi et trouvera la mort.
Cette nouvelle, Ri Jong San l’avait captée par sans-fil et est accouru à moi. Au cours d’une marche, Pak Kil Song était tombé face à face avec l’ennemi. En plein combat, il a été grièvement blessé et a perdu connaissance; puis il a été fait prisonnier. C’était vraiment regrettable; il aurait pu échapper au malheur s’il était venu nous rejoindre en Union soviétique quand nous le lui recommandions.
Lorsque nous avions ramené de Luozigou le père de Pak Kil Song pour l’installer à Pyongyang, C
J’ai appris que les deux hommes se disputaient la charge du vieillard. Enfin Kim Il est venu me demander d’arbitrer l’affaire, et je lui ai dit, touché de la belle mentalité de ces hommes de la première génération de notre révolution:
«Le père de Pak Kil Song ne peut pas être seulement le père de Kim Il, de C
Je l’ai fait installer dans un pavillon au bord de la rivière Pothong, semblable à ceux qu’habitaient à l’époque les ministres et leurs adjoints.
Je n’en finirais pas de raconter tous mes souvenirs sur mes compagnons d’armes de Mandchourie du Nord.
A la base d’entraînement d’Union soviétique, j’ai rencontré aussi ceux d’entre les combattants de Mandchourie du Nord qui avaient participé aux opérations de reconnaissance conjointe avec les Soviétiques, faisant partie d’un commando de l’Armée alliée internationale. Hong Chun Su était du nombre.
Il était originaire de la troupe indépendantiste. Lors de son service dans cette armée, il s’est la plupart du temps occupé de la collecte de fonds, parcourant Pyongyang, Kangso, Anak, Sariwon et autres endroits. Tireur d’élite, excellent éclaireur lors des opérations de libération de la patrie, il s’est battu en première ligne.
Les communistes coréens réunis dans le cadre de l’armée internationale, eux qui avaient jusque-là combattu séparément en Mandchourie du Sud, de l’Est et du Nord, s’étaient unis étroitement par une même pensée et une même volonté, pour hâter la victoire finale de la révolution coréenne. Les monts Laoye étaient la ligne de démarcation entre la Mandchourie de l’Est et du Sud d’une part et du Nord de l’autre, mais cette chaîne de montagnes n’avait pu tracer une ligne de partage dans le cœur des communistes coréens. Ceux-ci désiraient tous aller se battre ensemble avec nous au mont Paektu jusqu’à leur mort.
C’est ce vœu unanime qui a garanti l’unité de pensée et de volonté de nos rangs et contribué au renforcement de la force motrice de la révolution coréenne.
9. Pour conserver saines les racines de la révolution
La révolution, ce n’est pas seulement le combat mais aussi la vie. Créer une belle vie dans la lutte, lier ainsi lutte et vie et réaliser le progrès et la prospérité de la société, telle est la révolution que veulent les communistes.
Les combattants de la guerre révolutionnaire contre les Japonais ont créé une vie noble et belle; seuls les communistes pouvaient la rêver, même en luttant contre les épreuves qui défient toute imagination. Ils ont bâti, partout où ils se rendaient, un royaume de morale sublime. Même dans le combat ils s’aimaient, ils se mariaient. Poésie et chant, larmes et rires abondent dans leur vie.
Depuis les années 1940, notre révolution a connu un progrès fécond, avec un sens et un contenu nouveaux. Dans ces années, notre lutte contre les Japonais avançait vers la victoire finale et nous avons vu naître la deuxième génération de révolutionnaires, ce qui remplissait notre cœur de nouveaux espoirs, de joies nouvelles.
Kim Jong Il est né le 16 février 1942, à l’aube, au camp secret du mont Paektu.
Sa naissance était, pour notre famille, un heureux événement. Kim Jong Suk et moi avons formé de tout cœur des vœux pour l’avenir de Kim Jong Il né comme fils de la Corée sur le champ de bataille, au milieu du fracas de combat.
Quand il a vu le jour, j’ai regretté mes parents; comme ils auraient été contents! Ils l’auraient adoré tout comme mes grands-parents l’ont fait avec moi en m’appelant Jangson (premier fils du fils aîné–NDLR). On dit que l’on aime son petit-fils mieux que son propre fils, mais notre nouveau-né n’avait plus ni grand-père ni grand-mère.
Il avait ses arrière-grands-parents cependant, mais impossible de leur faire part de sa naissance, car ils habitaient loin dans leur village natal.
Dans mon enfance, j’ai été l’objet d’un amour chaleureux des adultes de ma famille. Ils étaient plus de dix à prendre tendrement soin de moi et me considérer comme le futur pilier de la famille. Les gens de mon village aussi m’affectionnaient, peut-être parce que j’étais d’une famille entièrement consacrée au mouvement indépendantiste.
Cependant, Kim Jong Il n’a pu connaître ce genre d’affection. Il a passé le plus clair de son enfance au camp secret du Paektu et à la base d’entraînement de la région extrême-orientale soviétique, et ces endroits étaient presque déserts. Nous avons passé les années de notre jeunesse dans des cabanes, sous des tentes en pleine forêt couverte de glace et de neige.
Kim Jong Il, pendant son enfance, n’a côtoyé que des uniformes militaires. L’amour qu’il n’a pu recevoir de ses grands-parents et proches, il l’a reçu de mes compagnons d’armes. Il a grandi dans l’affection des partisans beaucoup plus chaleureuse que la mienne propre.
A sa naissance, mes camarades s’étaient extasiés et avaient exprimé leur joie en disant qu’un futur général avait vu le jour au mont Paektu. Kim C
Tous les combattants de l’ARPC ont raffermi leur confiance en l’avenir de la révolution coréenne en voyant un enfant de la nouvelle génération de révolutionnaires naître dans le feu de la guerre contre les Japonais, et grandir vigoureux comme un mélèze du mont Paektu, et ont combattu avec plus de force et de courage pour hâter le jour de la libération de la patrie.
A la vue de mes compagnons d’armes qui faisaient de la naissance de Kim Jong Il un heureux événement personnel et qui prenaient affectueusement soin de lui, j’ai pensé que l’amour qu’ils témoignaient à notre famille était celui, véritable, qu’une génération accordait à une autre.
Comme je l’ai dit autrefois, toute ma vie j’ai bénéficié de l’attention de mes camarades. Si, jusqu’à ce jour, j’ai dirigé en bonne santé la révolution et le développement du pays, c’est grâce aux attentions de mes camarades et du peuple.
J’ai quitté ma mère à l’âge de 14 ans; depuis, j’ai été constamment parmi les camarades, parmi le peuple. Mes camarades m’ont aidé et soutenu de leur mieux dans les années de la guerre contre les Japonais, dans les années de l’édification d’une patrie nouvelle aussi bien que dans les années de la guerre de Libération de la patrie. Ils m’ont protégé des balles, de la neige, de la pluie, de la maladie, de tout. Si je souffrais et me tourmentais, mes camarades et le peuple me donnaient force et courage.
Si je me sentais à bout de force ou avais des chagrins, j’allais voir mes camarades, j’entrais dans le peuple. Une fois auprès d’eux, je me sentais réconforté et je voyais le chemin devant moi s’éclairer. J’avais alors la conviction de pouvoir accomplir n’importe quelle tâche, si difficile fût-elle.
Je voudrais vous raconter ici ce qui est arrivé lors de notre séjour à la base d’entraînement de la région extrême-orientale soviétique.
L’année où nous nous étions installés au camp nord après avoir formé l’armée internationale, il a beaucoup neigé dans cette région et en Mandchourie. La neige était si profonde que même les bêtes sauvages descendaient dans les villages chercher de quoi manger. La neige nous arrivait aux genoux et, un temps, toute circulation était coupée.
A ce temps-là, Kim Il était allé accomplir une mission à la tête d’une petite formation, puis, revenu à la base avec un sac de riz sur le dos, il a demandé à voir Kim Jong Suk à qui il a dit: «J’ai apporté du riz parce qu’à la base on ne mange que du pain. Je vous prie de servir ce riz uniquement au Commandant.»
Ce n’était pas la première fois qu’il apportait du riz pour moi. Il se souciait toujours de m’en faire servir, lui-même se contentant de maïs.
Ryu Kyong Su aussi remettait souvent à Kim Jong Suk le peu de riz que l’intendance fournissait de temps à autre aux combattants, la priant de me le préparer sans faire de bruit.
La chaleureuse camaraderie révolutionnaire et l’obligation communiste qui nous unissaient, mes compagnons d’armes et moi, se sont dirigées depuis la naissance de Kim Jong Il vers Kim Jong Suk et le nouveau-né.
Kim Jong Suk, faute de mieux, habillait l’enfant des vêtements qu’elle avait confectionnés avec mon vieil uniforme et le sien.
Il en était de même lorsque nous étions à la base d’entraînement.
En ce temps-là, les Soviétiques en guerre devaient se contenter d’une alimentation maigre. Manger peu, dormir peu et se vêtir passablement était le mot d’ordre qu’ils s’étaient donné. Et on n’avait pu fournir ni langes, ni couverture, ni couvre-chef au nouveau-né. Les partisanes ont confectionné une couverture avec de petits morceaux de tissu qu’elles avaient ramassés ici et là.
Jusqu’au jour de la libération du pays, cette courtepointe mosaïquée a servi à l’enfant.
Mes compagnons d’armes étaient navrés de voir le fils de leur Commandant dormir sous cette couverture. Rim Chun Chu en était tellement affligé qu’après la Libération, alors qu’il était en mission au nord-est de la Chine, il est venu en congé avec 500 couvertures de laine qu’il nous a remises. Kim Jong Suk et moi les avons envoyées à notre tour à l’Ecole révolutionnaire de Mangyongdae.
La vie était difficile, cependant les combattants de l’ARPC ont entouré de sollicitude Kim Jong Suk et Kim Jong Il.
Les partisanes surtout se sont donné beaucoup de mal pour aider Kim Jong Suk.
Kim Jong Il en est venu à se familiariser, dès sa tendre enfance, avec les militaires et à admirer leur monde. Par amour, mes compagnons d’armes s’amusaient à le coiffer de leur casquette. Certains taillaient un pistolet dans du bois pendant leur mission en zone ennemie, pour le lui donner plus tard.
Comme notre maison côtoyait la caserne lors de notre séjour à la base en Union soviétique, différemment de ce qui était au camp secret du Paektu, mes hommes profitaient de la pause entre deux séances d’entraînement et des jours de repos pour venir chez nous : ils prenaient Kim Jong Il dans leurs bras, l’aidaient à marcher, le levaient en l’air, lui apprenaient des chansons. Parfois, ils l’emmenaient au bord de l’Amour pour lui faire voir des bateaux à moteur et des oiseaux migrateurs.
Ainsi, né de partisans, vêtu de vêtements sentant la fumée de la poudre, nourri de ration militaire, grandissant au milieu de cris de commandement d’assaut, l’enfant a connu, dès le début, une vie extraordinaire.
Si Kim Jong Il a pu se montrer droit et courageux dès sa tendre enfance, c’est certainement dans son tempérament mais c’est aussi et surtout parce qu’il a grandi sans contrainte, s’initiant à la grande vérité de la lutte et de la vie, parmi les combattants, hommes épris de justice et irréductibles dans leur foi.
Kim Jong Il était précoce parce qu’il a côtoyé quotidiennement les partisans dont le noble univers moral a pénétré son âme comme un aliment nutritif, dont l’esprit inflexible tel les pics du mont Paektu a raffermi son caractère naturellement viril.
Les hommes ne l’ont pas cédé aux femmes pour entourer de sollicitude Kim Jong Suk et Kim Jong Il. Nombre d’entre eux se sont efforcés d’alléger la charge de Kim Jong Suk.
Comme au camp secret du Paektu, à la base d’entraînement aussi il était difficile de trouver des aliments nutritifs. On vivait dans la privation, et on ne pouvait faire grand-chose malgré son désir.
On s’imposait des privations pour aider le front de la guerre soviéto-allemande, cependant Rim Chun Chu et plusieurs autres économisaient leur ration de pain pour la donner à Kim Jong Suk.
Kim Jong Suk n’en consommait qu’une partie et gardait le reste et le leur remettait.
Une fois, Rim Chun Chu a été envoyé en Mandchourie pour une mission, avec un appareil TSF. Il y a déployé des activités politiques pendant plusieurs mois, maintenant le contact avec le commandement. Puis, sa mission accomplie, il est rentré à la base avec des dizaines d’œufs. Une grande distance séparait la base d’entraînement de la localité de sa mission, et la route n’était pas très commode. Son chemin passait par une forêt de fusils et de baïonnettes. Il était déjà difficile de s’occuper de soi-même, avec un appareil TSF, sans parler des œufs.
Le voyant arriver avec le paquet d’œufs, j’étais profondément touché de sa sollicitude pour Kim Jong Suk et Kim Jong Il.
Rim Chun Chu et Kim Jong Suk se connaissaient depuis longtemps. Quand cette dernière fréquentait les cours du soir dans le village de Fuyandong, Rim Chun Chu y enseignait en même temps que Kwak Ji San.
Rim Chun Chu avait aussi donné des soins médicaux aux habitants du village. Kim Jong Suk elle-même, quand elle avait été malade, et sa famille en avaient bénéficié.
Non seulement au temps de l’AAI, mais toute sa vie, Rim Chun Chu s’est beaucoup efforcé d’aider notre famille.
Le pays libéré, il a fait l’impossible pour retrouver les parents et proches de Kim Jong Suk.
Il considérait comme son devoir de porter à la connaissance du grand public la vie et les faits d’armes de Kim Jong Suk, de Kim Chol Ju et de Kim Ki Song; il a écrit sur eux avec les renseignements qu’il avait recueillis durant de longues années de recherches.
C’est l’intellectuel type qui a apporté sa contribution à notre œuvre avec son savoir tout en luttant les armes à la main. Cultivé, il a entrepris, dès le début de notre lutte armée contre les Japonais, d’en rédiger les annales.
Il a débuté comme notre historien en enregistrant mes entretiens avec les cadres du parti et de l’Union de la jeunesse communiste à Chaoyangchuan dans le district de Yanji. Depuis, il a assisté en qualité d’historiographe de l’ARPC à la Conférence de Nanhutou, à la Conférence de Nanpaizi, à la Conférence de Xiao
Il a aussi écrit dans des publications de l’Internationale.
Une année, la revue Tikhi Okean (le Pacifique–NDLR) a publié l’entrevue entre son correspondant spécial et lui. En lisant l’article, j’ai compris que Rim Chun Chu avait beaucoup parlé de notre troupe à son interlocuteur.
Il avait affirmé que l’ARPC était une troupe indéfectible, forte de la pertinence de son plan d’opération, de l’ingéniosité de ses tactiques, de la rapidité et de la précision de ses coups, de l’intrépidité de ses combattants et que c’était une troupe marquée par un vif esprit d’indépendance, un haut niveau culturel et un optimisme inaltérable.
Le correspondant de la revue avait noté, entre autres, que Rim Chun Chu avait envoyé à sa revue des articles sur des faits d’armes de l’ARPC et sur la fin héroïque de Kim Kum Sun, membre du Corps des enfants.
Rim disait souvent à ses compagnons d’armes: «Ecrire dans des publications de l’armée, rédiger des rapports ou d’autres documents pour l’Internationale, recueillir des matériaux concernant les faits d’armes de l’armée révolutionnaire, tout ça, c’est bien important, mais le plus important, c’est d’enregistrer systématiquement et chronologiquement la lutte que mène le Commandant Kim pour le mouvement communiste et pour la lutte de libération nationale de Corée. Bien que je n’aie pas de talent d’écrivain et que mes bagages soient pauvres, j’écrirai la biograp
Nombreux sont les partisans qui ont contribué, les armes à la main, à notre œuvre révolutionnaire, mais bien peu sont ceux qui ont écrit l’histoire de la guerre des partisans, avec une ferme conviction, au bénéfice de la postérité.
Rim Chun Chu a été un cadre politique chevronné ayant à son actif de longues années de travail dans le Parti. Mais nous parlons de lui le plus souvent comme homme de lettres et historien parce qu’il a accompli, en consignant jour après jour l’histoire de notre lutte, un exploit incomparable. C’est bien lui qui a synthétisé et systématisé l’histoire de notre révolution.
Il a pu fournir d’abondants documents sur notre lutte contre les Japonais parce qu’il n’a jamais cessé de consigner quotidiennement et minutieusement les événements dans son journal intime, sans quoi bien des détails historiques de nos activités auraient sombré à jamais dans l’oubli.
Il a joué le rôle de protagoniste dans l’écriture de notre histoire et dans sa diffusion. Peu après la Libération, alors qu’il travaillait au comité du Parti du Phyong-an du Sud, il a raconté à Jo Ki Chon17, à Jong Kwan Chol18 et à de nombreux autres hommes de lettres la lutte des partisans, surtout la bataille de Pochonbo.
Il a écrit sur les traditions de notre révolution et publié ses souvenirs de nombreux partisans, contribuant ainsi à enrichir les archives de notre Parti.
Il ne reculait devant rien quand il s’agissait de défendre et de glorifier les idées et l’histoire révolutionnaires de son leader et les traditions révolutionnaires de notre Parti.
Au temps de l’AAI, Rim Chun Chu a donné un cours politique sur mon article les Tâches des communistes coréens, alors que certains commandants étrangers se demandaient s’il y avait lieu d’inscrire cet article au programme des cours.
Rim Chun Chu avait rétorqué: «Nous avons depuis longtemps le Commandant Kim Il Sung comme dirigeant de la nation coréenne. De quoi vous mêlez-vous quand je donne un cours sur un de ses écrits.» Sur ce, il a poursuivi son cours.
Par ailleurs, il s’est beaucoup préoccupé de ma santé.
Quand il était secrétaire du parti du régiment, il m’a annoncé un jour qu’on avait décidé lors d’une réunion que je ne devrais plus porter de havresac pendant les déplacements.
Je lui ai fait observer: «Vous qui faites la révolution depuis de longues années, comment pouviez-vous discuter d’une telle question en réunion?» Alors, il m’a répliqué: «C’est à la demande des membres du parti. A voir notre Commandant porter le havresac, les autres nous montreraient du doigt. Vous devriez vous y plier parce que c’est la volonté de la majorité.»
S’il était dévoué à moi, il l’était aussi au camarade Kim Jong Il. Pourquoi Rim Chun Chu adorait-il tellement son Leader et son Dirigeant et restait-il si fidèle à leur direction? Parce qu’il avait connu, comme Kim Hyok, Cha Kwang Su et Kim C
Le camarade Kim Jong Il considérait Rim Chun Chu comme membre de la première génération de notre révolution et le tenait en haute estime. Son affection et sa sollicitude envers lui étaient infinies.
Lorsque Rim Chun Chu, ambassadeur dans un pays étranger, s’était disputé violemment avec les autorités locales pour défendre ses principes et était rentré au pays, les fractionnistes serviles envers les grandes puissances terrés dans le Parti ont clamé qu’il fallait le mettre en cause dans son organisation parce qu’il avait contrevenu aux usages protocolaires.
Cependant, le camarade Kim Jong Il lui a fait cadeau de pêches tardives cueillies dans notre jardin en affirmant qu’il avait montré aux révisionnistes étrangers ce dont était capable la Corée en leur tenant tête. Il l’a hautement apprécié, disant qu’il avait créé un trésor historique pour notre Parti en compilant dès le début les documents sur le combat de nombreux révolutionnaires avec qui il avait lutté. Il a ajouté qu’il avait achevé, pendant sa mission diplomatique à l’étranger, un livre digne d’être qualifié de trésor national, Souvenirs de l’époque de la lutte armée contre les Japonais, qui définit la lutte armée contre les Japonais comme la nôtre, comme celle de l’ARPC, la systématise, et il l’a remercié de son travail.
Rim Chun Chu a bénéficié, en écrivant ses livres, de la direction et du soutien du camarade Kim Jong Il. Ce faisant, il a été fasciné par sa personnalité et a commencé à le considérer comme son maître, comme le dirigeant du pays.
Dès lors, il lui a confié toutes ses affaires personnelles et tous ses problèmes, lui demandant conseil. Partout où il se rendait, il donnait des conférences et écrivait sur ce qui faisait la grandeur de Kim Jong Il.
Dans la seconde moitié des années 1960 où il s’absorbait dans l’écriture, s’est posé, sur la scène du mouvement communiste international, le problème de la continuation de l’œuvre révolutionnaire, en particulier celui du choix d’un successeur. C’était le thème central de la discussion, l’exigence de l’époque.
Le choix du successeur décide de l’issue de la révolution et de l’effort de développement du pays; c’est un problème touchant au destin du pays et du peuple. N’avons-nous pas eu de nombreux exemples montrant que si l’on fait un mauvais choix, la révolution et le pays se ruinent?
Le facteur principal qui avait permis au peuple soviétique de faire de son pays une puissance mondiale en peu de temps après la Révolution d’Octobre est que Lénine avait bien choisi son successeur. Staline, son compagnon d’armes et disciple fidèle, était toute sa vie resté fidèle à l’œuvre de son leader.
A la disparition de Lénine, Staline a pris l’engagement en six points devant sa dépouille, et l’a tenu scrupuleusement en dirigeant la révolution et le développement du pays.
Quand les troupes allemandes sont arrivées aux portes de Moscou, il est resté au Kremlin après avoir fait évacuer tous les membres du Bureau politique et les autres cadres, à diriger le front.
Du vivant de Staline, tout a bien fonctionné. Mais depuis l’arrivée de Khrouchtchev au pouvoir, la situation s’est gâtée. Le révisionnisme contemporain a fait son apparition au sein du parti de ce pays et les Soviétiques ont commencé à dégénérer sur le plan idéologique.
Oubliant les bienfaits du leader qui l’avait formé, Khrouchtchev a calomnié Staline pour avoir, prétendait-il, répandu le culte de la personnalité, renvoyé du Bureau politique tous les vétérans révolutionnaires fidèles à Staline, et les a même expulsés du parti.
Un jour Rim Chun Chu qui visitait à Moscou le mausolée de Lénine a rencontré par hasard Molotov, alors destitué.
Molotov lui a dit: «Ne donnez jamais dans le révisionnisme. Rappelez-vous ce qu’en est devenu le parti de l’Union soviétique? Continuez fidèlement la pensée et l’œuvre de votre leader.»
Rim Chun Chu a alors compris que le parti se désagrégerait et la révolution irait à la dérive si l’on ne réglait pas adéquatement la succession.
Comme le montre la leçon tragique de l’histoire, le trait essentiel du successeur est la fidélité au leader et à son œuvre, et l’engagement envers lui. La fidélité ne serait pas possible sans l’engagement, deux qualités majeures du successeur.
Aussi faut-il de grandes capacités et de hautes qualités de dirigeant pour faire honneur à l’œuvre du leader, selon sa pensée et ses intentions.
Notre peuple admire les grandes capacités et le profond attachement aux principes révolutionnaires dont le camarade Kim Jong Il a fait preuve en implantant le système idéologique et le système de direction du leader, ainsi que la force de volonté, l’énergie et l’esprit de dévouement qu’il a manifestés en défendant et en réalisant les idées et les desseins du leader; il est convaincu que le camarade Kim Jong Il est bien le dirigeant à même de conduire, jusqu’à son achèvement, de génération en génération, l’œuvre révolutionnaire du Juche selon la pensée et la volonté du Leader.
Depuis longtemps, notre peuple, les anciens combattants de la lutte révolutionnaire antijaponaise les premiers, le tient en haute estime et le soutient sans réserve.
Si ces derniers ont élu le camarade Kim Jong Il unique successeur à la direction, c’est qu’ils avaient la ferme conviction que, s’il dirige l’Etat, le Parti et l’armée, l’avenir de notre nation sera garanti et que l’œuvre révolutionnaire Juche, entamée au mont Paektu, se développera fructueusement, de génération en génération, sans la moindre déviation. Qu’ils aient élu le camarade Kim Jong Il à la direction, cela revient à dire que l’armée l’a élu dirigeant de notre nation.
Là encore, ensemble avec Kim Il, C
Si les anciens combattants de la guerre antijaponaise l’ont choisi comme mon successeur, c’est avant tout parce qu’ils ont été fascinés par ses qualités d’homme.
Kim Il disait souvent que le monde ne connaîtra pas d’homme aussi dévoué à son dirigeant; Rim Chun Chu affirmait que nul ne pourrait égaler son respect pour les aînés et sa défense des traditions révolutionnaires ni moins encore son génie dans l’idéologie et le leadership; O Jin U disait qu’on ne connaît pas de général aussi ferme et aussi éclairé. C
Ri Ul Sol a beaucoup fait pendant de longues années pour nous aider, Kim Jong Suk, Kim Jong Il et moi-même.
Je le revois nettement encore qui prenait son repas avec Kim Jong Il dans la cuisine chez moi après avoir fait, à l’aube, une tournée pour vérifier l’état de la garde. Il était mon officier d’ordonnance après la Libération. Il s’est lié ainsi d’amitié avec le petit Kim Jong Il.
Chaque fois que je partais pour une tournée d’inspection en province, il prenait Kim Jong Il à ses côtés pour m’accompagner. Il le comprenait bien et prenait soin de lui.
Je me souviens bien de mon entrevue avec Kim Jong Il à Sinuiju au temps de la guerre. Il y arrivait après un assez long temps passé dans un refuge.
Il a alors prié Ri Ul Sol, qui m’accompagnait comme chef des officiers d’ordonnance, de veiller attentivement à ma sécurité à la place de sa mère. Ces paroles résonnent encore aujourd’hui à mes oreilles.
Pourquoi Kim Jong Il se fie-t-il tant à lui même aujourd’hui? Se montre-t-il reconnaissant? Parce que Ri Ul Sol a pris méticuleusement soin de lui après la disparition de sa mère, en tant que chef de mes officiers d’ordonnance.
Kim Jong Il a perdu sa mère à l’âge tendre qui réclame affection et tendresse des parents. De surcroît, à cause de la guerre, sa petite sœur et lui ont été séparés de moi longtemps. La guerre finie, j’ai dû faire des tournées d’inspection un peu partout dans le pays pour veiller au relèvement de l’économie, et n’ai pu m’occuper d’eux. Ainsi, quand ils passaient leur enfance dans la solitude en regrettant leur mère, Ri Ul Sol et mes autres compagnons d’armes se sont occupés d’eux avec une attention paternelle à la place de leurs parents et proches.
Je voudrais raconter ici un épisode qui montre quels soins attentifs Ri Ul Sol prodiguait au petit Kim Jong Il.
C’est à l’été 1953, alors que je conduisais une délégation du Parti et du gouvernement en Union soviétique.
Avant de quitter Moscou, au banquet d’adieu donné en mon honneur par les Soviétiques, j’ai remarqué que la pastèque servie avait un goût particulièrement exquis.
Après le banquet, je suis rentré à mon hôtel. En me voyant revenir, Ri Ul Sol qui emballait quelque chose s’est troublé. Je lui ai demandé ce que contenait le carton. Après un moment d’hésitation, il m’a répondu que c’était une pastèque qu’il avait acquise pour mes enfants.
Cette pastèque était aussi grosse qu’une jarre à eau.
Kim Jong Il était ravi de recevoir cette surprise. Il a dit combien il serait heureux de pouvoir donner à goûter de telles pastèques au peuple qui avait tant souffert de la guerre, et a suggéré qu’on ramasse les graines pour les semer.
L’année suivante, Ri Ul Sol a semé dans le jardin devant notre pavillon les graines qu’il avait ramassées avec Kim Jong Il. Ainsi cette pastèque a fini par se répandre ici et là.
Ri Ul Sol avait quitté, encore enfant, le toit paternel, et a vécu la plus grande partie de sa vie auprès de moi. Me servant pendant des dizaines d’années de garde du corps, il a combattu contre les impérialistes, les chauvinistes, les réactionnaires, les fractionnistes; il en a vu de rudes, a connu toutes sortes d’amertume, d’ennuis et de vicissitudes. Mais ces années de combat ont fait de lui un homme à la foi inflexible.
Après la Conférence de Khabarovsk, je l’ai envoyé avec Pak Yong Sun à Vorochilov, à un cours spécial de formation pour télégraphistes, leur disant de regagner l’unité dès la fin du cours.
Pendant que nous opérions à la tête de petits détachements dans la région nord-est du mont Paektu et en Corée, Ri Ul Sol a terminé ses études avec de bonnes notes et s’apprêtait à rentrer.
Or, le jour où l’on a dressé le bilan des études, un haut cadre de l’armée soviétique est venu lui dire: «Préparez-vous à aller en Corée; c’est la demande de l’Internationale.»
Ri Ul Sol est resté bouche bée, saisi d’étonnement.
L’autre a poursuivi: «Nous voulons vous envoyer là parce que nous vous faisons confiance; nous attachons une grande importance stratégique à Songjin, votre ville natale. Vous irez vous y installer et vous nous informerez des mouvements de l’ennemi par sans-fil.»
Ri Ul Sol a refusé net: «Je voudrais bien aller accomplir la mission dans ma ville natale, mais j’ai reçu l’ordre de mon Commandant de regagner mon unité sitôt après la fin du cours pour instruire les autres.» Et il l’a prié de le comprendre.
Le lendemain, le Soviétique est revenu pour le persuader, disant qu’il obtiendrait le consentement du camarade Kim Il Sung. Sans doute voulait-il lui imposer sa volonté au nom de l’Internationale.
Ri Ul Sol a persisté: «Non. Je ne peux aller nulle part avant d’exécuter l’ordre de mon Commandant. Peut-être ne savez-vous pas combien de sang les nôtres ont versé parce que nous n’avions pas de télégraphiste? Pour ne pas répéter ce drame, je dois rentrer au plus tôt dans mon unité comme me l’a ordonné le camarade Commandant.»
A ce temps-là, nous cantonnions provisoirement dans la région extrême-orientale soviétique et l’armée internationale n’avait pas encore été formée. Il n’y avait donc pas de système de commandement unifié. L’ARPC et les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est obéissaient à leur commandement respectif et agissaient selon leurs propres ordre et système.
C’était donc bien déplacé qu’un cadre de l’armée soviétique cherche à destiner à une autre mission Ri Ul Sol qui devait regagner son unité. Cela, de plus, au nom de l’Internationale, sans demander notre avis.
Si Ri Ul Sol avait déclaré qu’il ne pouvait accepter aucune autre tâche avant d’exécuter l’ordre de son Commandant, c’est qu’il nous était absolument fidèle.
Toute sa vie il a veillé à ma sécurité, depuis son service dans la compagnie des enfants jusqu’à ce jour. Il n’a jamais transgressé mes ordres ni négligé l’exécution des tâches que je lui ai confiées. Il ne pensait qu’à son leader, à la santé et à la sécurité de son leader.
Quand, en 1939, je pêchais à la ligne au bord de la rivière Wukou, c’est lui, alors un de mes gardes du corps, qui a monté la garde derrière moi avec une mitrailleuse.
Après la Libération, il en a fait autant.
Au temps de la guerre, bien des éléments contre-révolutionnaires s’étaient terrés à proximité du Commandement suprême. Des données hautement confidentielles, directement liées au sort du pays, passaient sans cesse aux Américains. C’était le fait de Pak Hon Yong et Ri Sung Yop.
Eté 1952, Ri Sung Yop a dit à ses hommes de télégrap
Une bombe à retardement d’un gros calibre est alors tombée tout près du bâtiment du Commandement suprême, à deux pas de ma demeure.
Ri Ul Sol a alors convoqué en réunion extraordinaire les officiers d’ordonnance et les autres membres de la garde et les a invités à se préparer à affronter la mort. Puis, il a remis, suivi par les autres, sa carte du Parti et a transporté la bombe à l’aide de cordes et de tiges de bois, pour la faire rouler au fond de la vallée.
Après cet incident, il a arrêté tous les éléments subversifs et autres réactionnaires tapis aux environs du Commandement suprême.
Il a aussi lutté énergiquement contre les fractionnistes antiparti, contre-révolutionnaires.
Un jour de 1956, je revenais d’un voyage en Union soviétique et dans d’autres pays socialistes d’Europe, quand Ri Ul Sol, alors chef des officiers d’ordonnance, m’a informé en détail des démarches de C
Nam II aussi m’a dit la même chose par téléphone.
Ri Ul Sol s’est aussi opposé de front à la bureaucratie militaire de Kim Chang Bong.
Il a été fidèle au camarade Kim Jong Il comme il l’était à moi-même. De retour au camp sud, lui et Pak Yong Sun ont formé de nombreux télégraphistes.
Plus tard, il a été envoyé maintes fois en mission avec de petits détachements sur les points stratégiques où des combats décisifs allaient se livrer pour la libération du pays et où se trouvaient massées les forces principales de l’armée japonaise.
Une fois, il est allé avec une petite formation en mission de reconnaissance aux alentours du mont Laohei dans le district de Wangqing, équipé d’un appareil TSF.
On nous avait informés que l’ennemi avait disposé des centaines d’avions à un aéroport vaste nouvellement construit aux environs du mont Laohei, ainsi que des centaines de canons et de camions. Or, nous n’avions pu le vérifier et cela créait un grand embarras dans la préparation de nos opérations. Les Soviétiques s’impatientaient, de leur côté, sans pouvoir obtenir confirmation. Nous y avons donc envoyé un détachement qui a pénétré jusqu’à l’aéroport et constaté que les avions, les camions, les canons de nouveau modèle étaient tous des faux, faits de bois.
Ri Ul Sol me l’a rapporté par TSF.
A présent, de nombreuses personnes disent que nous avons brillamment résolu le problème de la succession. Je voudrais dire que les anciens combattants de la révolution antijaponaise y ont joué un rôle de premier plan. Jadis, ils ont donné à Kim Jong Il des vêtements, des victuailles et lui ont appris à marcher. Et déjà à cette époque-là, Kim Jong Il éprouvait confiance et estime pour eux. C’était réciproque. Ils ont exercé une heureuse influence sur la formation idéologique et spirituelle de Kim Jong Il et sur le développement de son univers affectif.
La foi en la victoire, la fermeté d’âme et l’optimisme révolutionnaire qui caractérisent le camarade Kim Jong Il ont pris forme et se sont raffermis, peut-on dire, au cours de ces années d’amitié avec eux.
En prenant contact avec lui, les combattants antijaponais ont, à leur tour, appris de lui la fidélité et l’obligation envers le leader, l’amour et le dévouement pour le peuple et la ferme volonté d’achever, à travers les générations, l’œuvre entreprise par les aînés révolutionnaires, selon la pensée et les intentions du leader. Ils sont convaincus que le camarade Kim Jong Il est bien le dirigeant capable de forger avec assurance et responsabilité le destin de la patrie et de la nation.
Quand on dit que le camarade Kim Jong Il est fils du mont Paektu, cela signifie qu’il est l’enfant de la révolution antijaponaise, qu’il est le fils de la nation. En effet, il est le fils de la Corée; il a fait ses premiers pas avec les combattants de la guerre contre les Japonais, et soutenu par eux, il est devenu l’étoile-guide de notre révolution.
Ceux-ci ont aussi joué un rôle de choix dans l’établissement du système de direction du camarade Kim Jong Il. Choisir un successeur ne suffit pas pour que tout fonctionne.
C’est bien pour cela que, quand je rencontre les anciens combattants antijaponais, je leur dis de soutenir efficacement le camarade Kim Jong Il longtemps encore.
L’important pour continuer, jusqu’à son achèvement, l’œuvre du leader est de former le noyau et la réserve, susceptibles de soutenir loyalement la direction du successeur. Sans quoi, on ne pourrait ni établir un système de direction du successeur ni appliquer les orientations qu’il trace.
Après la Libération, nous avons développé la révolution, soutenus par ceux qui avaient combattu au mont Paektu et qui constituaient le noyau. Nous disposons aujourd’hui d’une armée de millions d’éléments-piliers, membres du Parti, militaires et jeunes. Rien à craindre tant qu’on a le dirigeant et le noyau. L’avenir de la révolution coréenne, dirigée par le camarade Kim Jong Il, est radieux comme un ciel limpide.
La vallée qui abrite la maison natale de Kim Jong Il est appelée vallée de Sobaeksu. Elle offre un paysage d’une rare beauté pour une région de hautes montagnes. C’est dans les années 1980 que nous avons fait réaménager notre ancien camp secret qui s’y trouvait. Autrefois, cette contrée était couverte d’une forêt vierge.
Même ceux qui ne s’y connaissent pas dans l’art de la guerre diraient que cette vallée forme une forteresse naturelle imprenable. Elle était bien indiquée pour le siège du Q.G. de l’ARPC.
Le pic Jangsu a été rebaptisé pic Jongil pour glorifier à jamais ses exploits. Le peuple a même composé sur ce pic un chant pour lui rendre hommage.
C’est le mont Paektu qui a formé Kim Jong Il comme dirigeant de notre nation. Les combattants du mont Paektu ont fait de lui l’étoile-guide. L’esprit du Paektu, c’est l’esprit de Kim Jong Il.
La lignée de notre révolution est solide, parce que le camarade Kim Jong Il, né et formé dans les flammes de la guerre révolutionnaire contre les Japonais, dirige la nation. C’est le dirigeant du peuple, aimé et acclamé par lui.
L’œuvre du camarade Kim Jong Il qui est venu au monde comme fils de partisans, qui est devenu successeur du leader et dirigeant de la nation, avec le soutien et la confiance absolus de l’armée et du peuple, ne peut que se poursuivre brillamment.
Août 31 du Juche(1942)—août 34 du Juche(1945)
1. Pour le jour de la libération
Après la Libération, la plupart des combattants de la guerre révolutionnaire contre le Japon écrirent dans leur curriculum vitae «école d’officiers 88» ou «école de campagne 88» pour indiquer leur niveau d’instruction.
Et les fonctionnaires chargés du travail d’encadrement en étaient fort surpris: croirait-on que les combattants de la dure guerre de guérilla étaient tous des diplômés d’une école militaire? Quelle était l’«école d’officiers 88», si fièrement mentionnée par les vétérans de la première génération de notre révolution?
On n’en trouva l’explication que plus tard, dans les évocations du Président Kim Il Sung concernant la formation politique et militaire menée au sein des forces alliées internationales.
Après la constitution de l’Armée alliée internationale, nous nous sommes livrés pour de bon à la formation politique et militaire, tout en menant d’intenses opérations par petits détachements et en nous livrant à des activités de reconnaissance.
Le programme d’études était beaucoup plus vaste, plus diversifié et plus profond que celui des écoles militaires ordinaires. Les exercices étaient aussi plus intenses.
Le programme visait à former des commandants. Aussi, ceux qui ont suivi ces cours, pourraient-ils dire être passés par une école d’officiers. C’est donc sans doute pour cela que les vétérans de la guerre contre le Japon inscrivaient «école d’officiers 88» ou «école de campagne 88».
Certes, il n’y a pas eu alors ni enseigne ni diplôme, mais après avoir suivi une formation de plusieurs années, nos camarades pouvaient bien se considérer comme diplômés d’une école moderne pour la formation militaire et politique.
Ils avaient appris la théorie de l’art militaire et des méthodes de combat de la guerre régulière moderne.
L’enseignement ne s’était pas borné à l’instruction militaire; c’était plutôt une formation universelle, soit politique autant que militaire. Cela devait tenir lieu de préparation pour les opérations de libération de la patrie, et plus, de celle de la création du parti, de l’Etat et des forces armées dans la patrie libérée.
Aussi avons-nous accordé une égale importance à la formation politique et à l’instruction militaire, et avons-nous traité outre l’art militaire, économie politique, philosop
Cependant, tout n’a pas été facile dès le début.
Entre la fin de 1942 et le début de 1943, le cours de la Seconde Guerre mondiale a tourné subitement à l’avantage des forces antifascistes. La grande victoire de l’armée soviétique à Stalingrad avait déprimé l’Allemagne fasciste et avait détruit son élan initial; elle avait renversé le cours de la guerre soviéto-allemande et celui de la Seconde Guerre mondiale.
J’avais à accomplir de nombreuses tâches à l’approche du jour de la libération de la patrie, jour que nous avions tant attendu. Le plus sérieux de mes problèmes était comment édifier la patrie après la libération.
Il faudrait fonder le parti, créer l’Etat, mettre sur pied des forces armées, édifier l’économie, la culture; mais nous manquions de cadres, personnel dirigeant et pilier de la révolution.
Après réflexion, nous avons décidé de former les combattants de la guerre antijaponaise déjà endurcis et éprouvés dans le feu du combat pour en faire des cadres compétents capables de s’occuper aussi bien des affaires militaires que du travail du parti, de l’administration de l’Etat, de l’économie, de l’enseignement, de la culture. Je pensais résoudre le problème par la formation politique et militaire au sein de l’AAI. Or, le programme initial accordait peu d’heures aux études politiques par rapport à l’instruction militaire et je ne le trouvais pas juste. Lors de mon entrevue avec le général d’armée Apanassenko, je le lui ai fait observer mais il m’a répliqué qu’une des tâches majeures de l’AAI consistait à former des cadres militaires pour la révolution nationale en Corée et en Chine du Nord-Est; il s’agissait donc d’inculquer à ces hommes la stratégie et la tactique de la guerre moderne ainsi que la connaissance du matériel de guerre en intensifiant les exercices, cela pour les rendre capables de combattre de concert avec l’Armée rouge lorsque la situation changerait en Corée et en Mandchourie.
J’ai objecté: «Non, il ne faut pas penser seulement à l’entraînement militaire, à la formation des cadres militaires. Pour édifier une patrie nouvelle après la Libération, nous aurons besoin de cadres dans les divers domaines, cadres à même de se charger de l’édification d’un pays souverain et indépendant. Pour cela, il faut absolument accorder plus de temps à la formation politique. Or, il ne s’agit pas de prendre sur le temps affecté à l’exercice militaire; seulement attribuer autant de temps à l’instruction politique.»
Apanassenko a fini par me donner raison.
Ainsi le nombre d’heures consacrées à l’étude politique a-t-il été augmenté sensiblement.
Avant de commencer les cours, nous avons engagé une énergique mobilisation idéologique des combattants. Les groupes du parti et les organisations de l’Union de la jeunesse communiste ont tenu des réunions à ce sujet; on a publié les résolutions des combattants par les journaux, les affiches et les haut-parleurs.
Les chargés de cours politiques ont été choisis parmi les cadres politiques et militaires compétents de toutes les armées.
A la suite de la constitution de l’AAI, le commandement des troupes de la région extrême-orientale soviétique a organisé des cours de formation accélérée à l’intention des chargés de cours politiques.
Or, l’assistance n’était pas très satisfaite. Un Russe donnait les cours, mais il parlait si mal le chinois que l’auditoire ne comprenait presque pas un mot. Aussi, tenant compte de l’avis général, lui a-t-on adjoint un interprète chinois. Cette méthode n’allait pas non plus: la moitié du temps passait à traduire le conférencier.
Pour remédier à la situation, nous avons traduit en coréen les manuels russes, avons rédigé un texte conforme à nos réalités, et l’avons distribué aux chargés de cours.
Au début, les matières traitées s’étaient bornées à des théories générales, telles que philosop
Mais il était inconvenant de ne pas enseigner parallèlement aux combattants de l’ARPC l’histoire de la Corée et le Programme en dix points de l’Association pour la restauration de la patrie.
Aussi avons-nous inclus dans les matières d’étude le Programme en dix points et la Déclaration constitutive de l’Association pour la restauration de la patrie, les Tâches des communistes coréens et quelques autres textes qui figuraient auparavant dans la bibliograp
Les chargés de cours politiques se sont donné beaucoup de mal pour préparer leur cours. Ils ont dû se dépenser beaucoup plus que les autres puisqu’ils devaient préparer et donner le cours, puis participer aux exercices à l’égal des autres.
Ils se sont pourtant assez bien acquittés de leur tâche. Leurs cours étaient intéressants, car, vétérans de la lutte, ils possédaient une riche expérience de la lutte.
J’ai souvent assisté aux cours d’An Kil. Il savait captiver l’auditoire. Cadre politique de longue date, il donnait son cours d’une manière particulière. Il émaillait ses explications d’humour et de métaphores et faisait comprendre, dans le rire, la vérité de la révolution.
Par-ci par-là, il citait un poème, chantait une chanson ou récitait une page entière de telle ou telle thèse de Lénine.
C’était un homme remarquable. Si, au cours d’une marche, il voyait ses combattants, fourbus, ralentir le pas, tout de suite il ordonnait de faire halte et les invitait à danser ou à chanter en battant lui-même du tambour ou en jouant de l’harmonica. Cette personnalité originale se révélait telle quelle dans son cours.
Rim Chun Chu était aussi un conférencier estimé et un excellent pédagogue qui dirigeait avec art les études individuelles. Il organisait des discussions et se rendait compte du niveau de chacun et de son degré de compréhension de la matière traitée, puis dirigeait leurs études individuellement. S’il y avait quand même quelqu’un qui ne comprenait pas, il allait se coucher à ses côtés pour lui donner des explications pendant la nuit.
Kim Kyong Sok aussi était un conférencier recherché. Il n’avait pas le don de la parole mais il mettait beaucoup de soin à préparer son cours, qui, par conséquent, était apprécié. Il passait toute la nuit à rédiger son cours du lendemain, puis venait me demander conseil. Homme profond et sérieux, il mettait par écrit tout le contenu de son cours, de la première à la dernière phrase.
Même après la Libération, poursuivant cette habitude, il rédigeait lui-même ses discours et ses rapports.
Grâce aux efforts persévérants des conférenciers, les combattants ont fait de rapides progrès.
Les cours donnés par An Yong, Jon Chang Chol et Ri Pong Su étaient également bien appréciés.
Liu Yalou, diplômé de l’Académie militaire Frounze, a bien travaillé. Je me rappelle le cours qu’il a donné sur «Katioucha» (appellation russe des orgues de Staline–NDLR), nouvelle arme soviétique.
Moi aussi, j’ai souvent donné des cours politiques.
Lors du bilan des études, les combattants de l’armée coréenne ont obtenu les meilleures notes dans les forces alliées.
Feng Zhongyun, du département politique de l’AAI, en était surpris et m’a demandé, plein d’admiration, quel en était le secret. Et je lui ai répondu en riant: «Il n’y a pas de secret. Seulement le résultat de l’effort. Les nôtres ont bûché en s’aspergeant le visage d’eau froide ou la tête serrée dans une serviette.» Il a alors fait de la main un geste, en disant: «Quant à l’opiniâtreté, personne ne peut égaler les Coréens.»
En effet, nos camarades ont travaillé dur. Ils étaient toujours des modèles dans les forces alliées, et cela tenait au fait qu’ils avaient conscience de leurs responsabilités devant la révolution.
Or, même parmi nos combattants, certains prenaient les études pour un casse-tête comme c’était le cas pour Pak Chang Sun autrefois, lors des études organisées à Matanggou. On peut citer Pak Rak Gwon comme exemple.
Il avait combattu en Mandchourie de l’Est dans l’armée des jeunes volontaires, puis avait été chef de la garde personnelle de Zhou Baozhong dans la 5e armée où je l’avais envoyé avec d’autres officiers et soldats excellents sur la demande des camarades de Mandchourie du Nord.
C’était un dur qui ne reculait devant rien dans le combat; un commandant intelligent et vif.
Lorsqu’il se battait dans la troupe de guérilla de Wangqing, il était, un jour, tombé inopinément sur une «troupe punitive» japonaise, et avait été gravement blessé à l’abdomen mais, retenant de la main ses entrailles qui sortaient, il avait regagné en rampant la zone de guérilla.
Quand il servait dans la troupe de Mandchourie du Nord, Zhou Baozhong l’a beaucoup apprécié pour son service loyal en tant que chef des gardes du corps. Il disait que Pak l’avait tiré d’affaire plus d’une fois.
Cet homme possédait un don particulier pour manier n’importe quelle arme. A peine avait-il touché une arme, il pouvait la démonter et la remonter même les yeux fermés. Une habileté peu commune!
Or, il détestait l’étude, surtout théorique. Si l’on lui disait d’y aller avec un peu plus de zèle, il faisait la grimace comme qui aurait avalé une potion amère, et, pendant le cours, il restait blotti dans un coin, évitant le regard du conférencier.
Je l’ai fait venir et lui ai dit: «Maintenant vous commandez une section, mais à l’avenir, lors d’une guerre moderne d’envergure, vous devrez commander un régiment ou même une division. Si vous répugnez à étudier l’art de la guerre moderne comme à présent, comment pourriez-vous le commander? Si vous pensez faire valoir votre seule expérience pour commander votre unité, vous risquez de subir d’importantes pertes en vies, ce qui est inadmissible.»
Par la suite, il a changé d’avis et pris la ferme résolution de s’adonner à l’étude. Je l’ai vu une fois passer toute la journée à bûcher les tactiques d’infanterie au bord de l’Amour. Il était tout en nage comme un malade fiévreux.
Après la libération de la Corée, il a été envoyé au nord-est de la Chine où il a participé, à la tête de son régiment, à la bataille de libération de Changchun. Il a commandé habilement son unité dans le combat de rue de cette grande ville. Y avait dû être pour beaucoup, je crois, son étude des tactiques à la base d’entraînement dans la région extrême-orientale soviétique. Il est tombé au champ d’honneur, frappé d’éclats d’obus de mortier alors qu’il fonçait sur l’ennemi à la tête de ses combattants. Une mort digne de lui. Comme héros, il vivra toujours dans la mémoire des peuples coréen et chinois.
L’étude, c’est aussi le combat, telle est la vérité que nous avons expérimentée dans la vie même. Un révolutionnaire ne doit jamais interrompre son étude. S’il la néglige, il se rouille et perd sa faculté de voir clair et loin.
C’est bien pour cela que le camarade Kim Jong Il considère l’étude comme la première phase de la formation révolutionnaire de l’homme et insiste sur la nécessité d’étudier en tout temps.
Nous nous sommes également efforcés de tirer le plus possible de profit des installations culturelles et des moyens d’information dont disposait l’armée alliée pour la formation et l’élargissement de la vision politique de nos hommes.
A la base d’entraînement, il y avait un club doté d’une cabine de projection de films, d’une bibliothèque et d’un studio de radio; les officiers et soldats de l’armée alliée y ont tenu des réunions et ont vu des films.
Aux heures d’émission, on présentait des militaires, des sections, des compagnies et des bataillons qui s’étaient distingués dans les études, l’entraînement et la vie quotidienne. On donnait régulièrement des informations sur la situation internationale et, tous les jours, les communiqués du front soviéto-allemand.
Dans l’AAI, on publiait un journal. Dans chaque armée et compagnie, un journal mural; les sections avaient un tableau d’affichage. On y plaçait des articles pouvant servir à l’éducation morale et des avis concernant la préparation et le bilan des séances de formation militaire et politique.
Nous avons aussi cherché à tirer profit pour la formation révolutionnaire et l’éducation de classe de nos hommes des festivités organisées pour l’anniversaire de la fondation de l’Armée rouge, celui de la Révolution d’Octobre, le Premier Mai, etc. On a souvent présenté des héros soviétiques de la guerre soviéto-allemande, et cela a eu une bonne influence sur nos militaires. Nous avons aussi fait des funérailles solennelles à nos compagnons d’armes tombés dans une optique révolutionnaire, dans un but d’édification.
Quand Ryu Yong Chan a trouvé la mort, nous avons célébré ses funérailles à notre base d’entraînement. C’est Kim Jong Suk qui, lors de sa mission clandestine à Taoquanli, l’avait intégré dans une organisation révolutionnaire, puis l’avait amené et engagé dans notre troupe. Depuis, il s’était bravement battu. Or, il s’est noyé dans l’Amour en transportant du sable pour la construction de la caserne; son bateau avait chaviré.
Nous avons également célébré les obsèques des commandants des fronts, Apanassenko, Vatoutine et Tcherniakhovski.
Lors des funérailles, la fanfare de l’armée alliée exécutait la marche funèbre.
Dans l’AAI, on a souvent organisé des conférences et des rencontres avec des combattants de la guerre soviéto-allemande.
Nous avons mené de pair l’étude et l’exercice militaire. Nous avons fait divers exercices pour préparer les combattants à la guerre moderne: manœuvres, tir, natation, ski, parachutage et communication par sans-fil.
Beaucoup de temps a été consacré aux exercices d’attaque et de défense, l’accent étant mis sur les manœuvres sur terrain. On en a dédié aussi au mécanisme des armes, à la topograp
Les exercices de guérilla étaient axés sur le raid et l’embuscade. Puisque tous les combattants possédaient une riche expérience de ce genre de combat, ils y participaient avec joie et entrain.
Pendant les exercices, nous vivions sous des tentes dressées dans la vaste plaine russe, plaine que je revois devant moi encore aujourd’hui.
Je traçais l’orientation à suivre dans les exercices, et les chefs de compagnie et de section élaboraient chacun leur plan d’entraînement. Nous avons tenu à adapter les exercices aux conditions topographiques de notre pays et à la constitution physique des Coréens, et aussi tenu compte de l’expérience acquise dans notre combat contre les Japonais et dans la guerre soviéto-allemande.
Quant aux exercices tactiques, on y procédait après l’étude de chaque matière, puis on évaluait le degré d’assimilation de la matière.
Je m’occupais moi-même de l’entraînement aux manœuvres des officiers. L’exercice de manœuvres avait pour but d’augmenter la capacité de chacun de façon à permettre aux chefs de compagnie et de section ou aux soldats d’assumer des fonctions supérieures.
L’exercice tactique était effectué par section ou compagnie. On donne à celui qui est désigné comme commandant de l’unité les circonstances et la mission; celui-ci les étudie, prend sa décision, organise l’action et donne des ordres.
Voici ce qui s’est passé à la première période de l’entraînement.
Un jour, je suis allé inspecter l’exercice d’une compagnie. Son Jong Jun était désigné comme chef de section.
Il la commandait avec assurance. Je lui ai fourni une nouvelle circonstance: différents obstacles et barrages se dressent devant lui, et une compagnie ennemie renforcée se tient sur la colline. Et le voilà qui essayait d’attaquer de front avec sa section déployée comme pour une bataille en règle. Par diverses évocations, je l’ai amené à faire un détour, puis, à foncer.
Rien d’étonnant que Son Jong Jun ait tenté de lancer une attaque frontale, ce qui ne convenait pas à la circonstance; cela tenait au fait qu’on avait mené les exercices suivant seulement les règles alors en vigueur. Elles disaient en effet d’attaquer en ordre déployé et précédé d’une unité motorisée. Cette méthode ne convenait pas à notre pays au relief fort accidenté.
Nous avons passé en revue tous les manuels d’exercices tactiques et en avons rédigé de nouveaux, conformes aux réalités de notre pays, à la lumière de l’expérience acquise pendant notre guérilla. J’ai chargé O Jin U d’établir un plan d’exercice d’attaque modèle d’une section d’infanterie. Il était alors sous-officier, mais il en a rédigé un impeccable avec mon aide. Toute l’armée coréenne a pris part à l’exercice en présence de toutes les forces alliées et on l’a bien apprécié. O Jin U a rédigé même un plan de manœuvres pour toute l’armée.
L’exercice de tir comprenait essentiellement le tir sur but fixe à différentes distances, le tir sur but mobile et le tir sur but intermittent. Le champ de tir se trouvait à environ 10 km de notre caserne.
Au tir, l’armée coréenne s’est classée la première parmi les forces alliées internationales. Ri Tu Ik s’y est distingué.
Nous avons sélectionné de fins tireurs et organisé pour eux un entraînement au tir en embuscade pour faire d’eux des tireurs de précision. Cet entraînement a été mené de pair avec l’étude de la carte. Au début, on les a entraînés au tir sur but désigné. Ils ont alors tiré tant de balles que les oreilles leur bourdonnaient encore après le retour à la caserne. Puis, on leur enjoignait de se rendre à un endroit désigné en s’aidant d’une boussole et d’une carte, d’y tirer sur des oiseaux et de rentrer avec leur butin à l’heure fixée. Ce n’était pas une tâche facile.
La carte indiquait où il fallait tourner en quelle direction sous quel angle, et par où revenir; il fallait toute une journée, et de plus, il fallait rapporter quelques oiseaux. Cet exercice visait à perfectionner l’habileté au tir et à apprendre à lire la carte.
Beaucoup de temps a été consacré à l’entraînement au ski et à la natation. Il fallait savoir faire du ski et nager si l’on voulait entreprendre la guérilla dans les massifs de Rangrim et de Hamgyong et lancer des opérations pour la libération de la patrie sur les fleuves Amnok et Tuman quand serait venu le moment du grand événement de la libération nationale.
Nous nous sommes entraînés à la natation en été sur l’Amour. Compte tenu que la Corée est un pays maritime, nous avons accordé une attention particulière à la natation. Or, la plupart des combattants de notre armée n’avaient jamais vu la mer et quelques-uns ne savaient pas nager ou peu s’en fallait. Presque tous craignaient l’eau. L’exercice le plus difficile après le parachutage, disaient-ils.
On a donné d’abord les rudiments de la natation sur le sol, puis ceux qui savaient nager l’ont enseigné aux autres dans l’eau, geste par geste, par démonstration.
Après quelque temps, on a enfin mis tout le monde à l’eau pour nager en s’aidant d’une corde tendue entre les deux rives.
Or, malgré l’entraînement réitéré, Feng Zhongyun et quelques autres n’avaient fait aucun progrès. Une fois à l’eau, ils calaient comme une pierre. Feng Zhongyun avait même perdu ses lunettes dans l’eau.
Kim Kyong Sok a failli se noyer en s’essayant à nager seul. Il s’en est sorti à grand-peine en marchant au fond de l’eau.
En revanche, Jon Sun Hui était un as. Elle nageait bien; elle avait habité au bord d’une rivière. Avant de savoir nager, elle se faisait porter sur le dos de grandes personnes pour passer la rivière. Mais depuis qu’elle avait atteint l’âge de raison, elle en avait honte et s’était mise à apprendre à nager. Elle était infirmière à l’hôpital militaire des forces alliées depuis son arrivée à la base d’entraînement; en l’affectant à l’hôpital, on avait tenu compte qu’elle avait été infirmière dans la 7e armée. Nombreux sont ceux qui ont appris la natation auprès d’elle.
L’entraînement à la natation a été suivi de l’exercice de traversée du fleuve. C’était un exercice synthétique: il fallait marcher environ 25 km avec équipement complet puis traverser le fleuve avec sa section à bord d’un radeau improvisé.
S’il y avait un traînard, la section perdait un point. Celle de C
Celui-ci, ancien valet de ferme, était un brave homme. Seulement, il était lent et n’avait pas l’allure militaire. Un hiver, il avait laissé brûler par inadvertance deux ou trois casques. Il était si amorphe qu’il ne se pressait pas même en voyant son pantalon griller au feu de bivouac.
Quand il était dans la 5e armée, il avait fait partie de la section de C
C
J’ai dit à C
Je l’observais à distance. Kong tombait dans l’eau aplat ventre au lieu de piquer de la tête, et criait de douleur disant qu’il avait le ventre crevé. Pourtant, il ne renonçait pas à l’entraînement. Quel homme original! Après la Libération, il fut un temps mon officier d’ordonnance, puis garde du corps de C
Nous avons aussi fait du canotage sur l’Amour, avec une espèce d’embarcation à une place, appelée «Amourotchika». Les Nanaïs y excellaient. Nos combattants ont fait la course aller-retour en canot à une rame jusqu’à Khabarovsk. Le fleuve Amour m’a laissé des souvenirs inoubliables.
Il y eut également l’exercice de débarquement. Notre pays est baigné par la mer sur trois côtés et traversé par de nombreux cours d’eau. Aussi devions-nous absolument nous y connaître dans l’art du passage des fleuves et du débarquement si nous voulions nous lancer bientôt dans une offensive générale contre le Japon. Nous avons fait une fois cet exercice en supposant que nous allions prendre le port de Rajin.
Le parachutage était plus difficile que la natation. Or, les femmes s’y sont montrées plus courageuses que les hommes. Certains hommes reculaient, mais pas une seule des combattantes ne l’a fait.
On a commencé par un simulacre de parachutage; sauter du haut d’un tremplin sur terre couverte d’une couche de sciure de bois, puis s’installer dans une grande roue qui devait tourner. Les femmes en ont souvent éprouvé la nausée et le vertige, mais aucune n’y a renoncé.
Nous nous sommes exercés au parachutage sur une vaste prairie aux environs de Vorochilov, près d’une base aérienne.
D’abord, on a appris la technique de pliage du parachute.
Puis on sautait avec parachute déployé d’une tourelle d’environ cinquante mètres. On devait, en descendant, faire un tour sur soi-même, dans la direction du vent. Il fallait y réussir pour pouvoir ensuite sauter de l’avion. On formait une équipe de dix ou vingt et sautait d’abord de 1 000 mètres d’altitude, puis de 600 mètres. D’ordinaire, l’ordre était donné à 800 mètres.
Autour de l’aéroport s’étendaient à pete de vue des champs de betteraves. A notre descente au sol, les kolkhoziennes accouraient; elles nous aidaient à ramasser nos parachutes et nous offraient des betteraves pelées.
Un insigne vert a été décerné comme souvenir à ceux qui avaient fait plusieurs sauts. Dans notre armée coréenne, C
Moi aussi, j’ai participé à cet entraînement plusieurs fois. J’ai été témoin de toutes sortes de petits incidents: au cours du parachutage, un homme perd son casque, un autre une de ses bottes, un troisième se foule la cheville, un quatrième reste suspendu en l’air, son parachute accroché à une branche d’arbre.
On a interdit à ceux qui pesaient plus de 80 ou moins de 40kg de participer au parachutage par mesure de sécurité. Celui qui pèse trop risque de tomber rapidement et de se blesser; celui qui manque de poids risque de s’envoler, emporté par le vent. Jon Sun Hui, légère, a été emportée en l’air plus haut que l’avion et est redescendue à grand-peine. Kim Jung Dong, lui aussi, était allé loin ailleurs. Il était très petit. Emporté par le vent, il a fini par rester suspendu en l’air, accroché à un arbre. Je l’ai fait descendre, le prenant dans mes bras, et j’ai vu qu’il était aussi léger qu’un enfant.
Or, plus tard, à l’époque de la guerre de Libération de la patrie, il allait recevoir le titre de Héros de la République pour ses faits d’armes lors des batailles de libération de Séoul et de Taejon.
Le saut et la descente en parachute ont été associés aux diverses opérations aéroportées, cela surtout après 1944.
Nous nous sommes entraînés à exterminer, en descendant, l’ennemi qui résisterait du sol, à nous déployer rapidement en ordre de bataille sitôt après l’atterrissage et à reprendre l’ennemi à revers.
A faire du parachutage, on perdait du poids et on avait faim. Or, malgré l’intensité de l’entraînement, l’intendance avait diminué la ration pour aider le front de la guerre soviéto-allemande.
Nous avons donc défriché des terres à cultiver et nous sommes parvenus à nous suffire à nous-mêmes en pommes de terre, soja et légumes. Cette culture d’appoint nous a beaucoup aidés.
Nous avons aussi cueilli des herbes comestibles pour pallier à la pénurie de nourriture. La fougère, le takjissak et l’aralie poussaient dru aux alentours de notre base d’entraînement.
En nous voyant manger de la soupe de légumes sauvages, les médecins soviétiques de l’hôpital des forces alliées ont poussé des cris d’alarme et ont voulu nous arrêter de manger puisque ces herbes, disaient-ils, étaient inconnues. Mais après avoir goûté, ils se sont exclamés: «Quelle soupe exquise!» Là-dessus, nous leur avons expliqué que ce genre d’herbes avait des vertus fortifiantes et curatives, et, depuis, ils ont demandé qu’on leur en serve à eux aussi.
Un jour, une altercation a éclaté entre un major soviétique d’origine juive, chef du service d’intendance des forces alliées et nos camarades, pendant qu’ils semaient des pommes de terre dans un champ d’exploitation d’appoint. En voyant les nôtres planter des germes de pommes de terre, le Soviétique a grondé en déclarant que la récolte serait ratée, mais nos camarades lui ont répliqué que ce serait à voir en automne.
Cette année-là, la récolte a été très bonne. Alors que dans les champs où l’on avait planté les pommes de terre entières, on n’en a récolté que de petites, de la grosseur de petits cailloux, on en a obtenu de grosses comme des poings d’homme dans les champs ensemencés par nos camarades. Le major n’a pu que rendre justice à notre méthode. De plus, si le printemps dernier, après avoir enlevé les germes des pommes de terre, nous avions fait bouillir le reste et l’avions consommé, il n’en reste pas moins que la production avait doublé.
Nos camarades ont aussi chassé en groupe, et les jours de repos, ils ont pêché dans l’Amour. Le fleuve foisonnait de poissons carnivores. Il y en avait de gros pesant des dizaines de kilogrammes.
Les saumons remontaient le fleuve par bancs à la saison du frai. On en prenait au filet puis salait. On extrayait les œufs et les salait également avant de les consommer.
Nous avons envoyé au front ouest quantité de produits de notre chasse et pêche.
On s’est entraîné aussi à la TSF.
Parmi les combattants venus de Mandchourie du Nord, certains savaient manipuler l’appareil; ils l’avaient appris en Union soviétique dès la seconde moitié des années 1930. Mais dans notre armée coréenne, Pak Yong Sun et Ri Ul Sol étaient les seuls à s’y connaître; ils s’y étaient initiés après leur arrivée à la base provisoire. Ils avaient suivi un cours de trois mois de radiotélégrap
Avant, il n’y avait presque pas eu de radiotélégraphistes dans la plupart des troupes de Mandchourie de l’Est et du Sud. Pour en former, il fallait s’adresser à l’Internationale ou aux Soviétiques, mais ce n’était pas facile. Aussi ne pouvait-on pas utiliser les appareils TSF enlevés à l’ennemi.
Notre Quartier général et nos diverses troupes disposaient en revanche d’agents de liaison qui assuraient à pied la communication sur de longues distances. Chaque pas pouvait leur coûter la vie, et plus d’un camarade a péri au cours de sa mission.
Ri Chi Ho a servi d’agent de liaison au QG de notre armée pendant plusieurs années après son enrôlement. Ce faisant, il a souvent souffert de la faim; arrêté par l’ennemi, il a été battu au sang. Il a beaucoup peiné, mais il a accompli de notables exploits.
Malgré les multiples souffrances et sacrifices supportés pour réaliser la communication par la force humaine, on n’avait pu assurer la rapidité requise. Cette leçon présente à l’esprit, nous avons accordé une attention particulière à l’exercice de manipulation de l’appareil de radiotélégrap
D’autre part, il fallait former des éléments d’ossature de la communication si nous voulions mettre sur pied des forces armées régulières, et établir un réseau de communication, système nerveux du pays, et mener des activités d’information culturelle après la libération du pays.
A l’époque, Kim Jong Suk était souvent allée opérer avec de petits détachements dans différentes régions du pays tout en participant à divers entraînements dont la communication par sans-fil et le parachutage.
Les femmes se sont distinguées dans la communication. Elles y mettaient du cœur et prenaient part aussi, à l’égal des hommes, à l’entraînement au ski, à la natation, au parachutage, à la traversée du fleuve. Les exercices étaient pénibles. Même les officiers soviétiques reconnaissaient que nos exercices étaient beaucoup plus durs que ceux qu’ils avaient faits à l’école d’officiers. Pourtant, nos combattantes y participaient sans murmurer ni s’en plaindre le moins du monde.
Avant d’aller à l’exercice de parachutage, nous avions pris soin d’en exclure les combattantes affaiblies et les mères, mais celles-ci s’en trouvaient très mortifiées. An Jong Suk était venue me voir, elle protestait en larmes: «Si nous ne pouvions participer à l’exercice, pourquoi serions-nous ici sur le sol russe, loin de nos enfants?»
Elle s’était séparée de son enfant à la porte d’une maison, en partant pour l’Union soviétique. Ri Jong In, pour sa part, avait dû laisser derrière sa petite fille dans la hutte d’un champ potager.
Elles imploraient de les laisser participer à l’exercice, disant: «Hâter le jour de la libération du pays, c’est avancer le jour de reprendre dans nos bras nos chers enfants.»
Alors, l’état de Pak Kyong Suk ne lui permettait pas de toucher aux mets servis à la cantine, mais elle n’avait pas quitté la table de télégraphiste. Elle a participé à l’exercice avec zèle même après ses couches. Comme elle s’adonnait à l’étude et à l’exercice, l’instructeur russe de la section de TSF a fait son éloge en disant que les Coréennes étaient vraiment travailleuses et courageuses.
Une fois, équipée d’un appareil sans-fil, elle a suivi le petit détachement de Kim C
Kim Jong Suk, elle aussi, a fait preuve de persévérance. Un jour, elle s’est foulé une cheville mais elle a poursuivi l’entraînement au ski avec son pied enflé. Comme je m’inquiétais pour elle, elle m’a donné un petit cube de sucre enveloppé dans un morceau de papier et, plutôt soucieuse de moi, m’a dit que si on faisait l’exercice avec un morceau de sucre dans la bouche, on s’essoufflait moins.
Ce qui m’inquiétait le plus lors de l’entraînement au parachutage, c’était de savoir si les femmes qui pesaient peu pourraient atterrir sans accident. Cependant, elles ont gardé assez de sang-froid pour déployer à temps leur parachute et atterrir au point désigné. Certaines d’entre elles avaient mis des briques dans leur havresac pour augmenter leur poids.
Telles ont été les années de jeunesse de nos combattants.
Nous avons surmonté de bon cœur les difficultés et les obstacles à seule fin de bâtir une patrie libre, et nous en avons tiré bonheur, joie et sens de la vie.
L’entraînement intense, le peu d’heures de sommeil et l’épuisement physique nous accablaient, mais nous avons tout supporté, le sourire aux lèvres, songeant à la patrie libérée.
Les anciens combattants gardent encore aujourd’hui ces souvenirs chers à leur cœur. Il n’est pas facile de vivre ses années de jeunesse de façon à pouvoir se les remémorer avec fierté. Combien digne et noble chaque instant de celui qui s’est consacré corps et âme à la patrie et à la nation et a surmonté difficultés et épreuves avec passion et fermeté!
J’ai la certitude que nos jeunes conserveront l’esprit des combattants de la guerre révolutionnaire contre les Japonais et lutteront énergiquement pour la patrie et la révolution contre vents et marées.
A l’approche du grand événement de la libération nationale, le Japon et l’Allemagne étant d’ores et déjà condamnés au déclin, nous avons pu consacrer plus d’effort à mieux connaître la patrie; cela, pensions-nous, contribuerait à raffermir la force motrice de la révolution coréenne. Sans posséder la théorie, la stratégie et la tactique correctes de la révolution coréenne, sans connaître l’histoire, la géograp
Or, la plupart de nos camarades ne connaissaient pas la Corée et pour cause. Ils étaient nés et avaient grandi en Mandchourie. Pak Song Chol disait qu’il était né dans le Kyongsang du Nord, mais il avait quitté son pays natal à dix ans pour aller vivre en Mandchourie. Ri Ul Sol aussi, originaire de Songjin, avait traversé le fleuve Tuman encore enfant et presque toujours vécu à Changbai avant de s’enrôler dans l’armée de guérilla.
J’avais donc décidé d’initier les combattants à la ligne de la révolution coréenne et à leur patrie.
Mais le problème était que nous n’avions pas assez de livres sur la Corée à la base d’entraînement.
Pour en obtenir, nous nous sommes adressés à ceux qui allaient opérer en Corée et à nos amis soviétiques. Nous avons une fois mis la main sur l’Aperçu général de la géograp
Un jour, j’ai dit à Rim Chun Chu de dessiner une carte de Corée où figureraient toutes les montagnes, rivières, plaines et lacs importants, d’y marquer les ressources du sous-sol et les spécialités de chaque région, ainsi que les sites pittoresques et les monuments culturels.
Rim a mis beaucoup de soin à la tâche. Il a d’abord relié quelques feuilles de papier blanc, et puis y a tracé une grande carte de Corée presque sans défaut.
Lors de mon cours politique, j’ai suspendu la carte au mur et prononcé devant tous les cadres politiques et les chargés de cours politiques de l’ARPC, un discours intitulé: Les révolutionnaires coréens doivent bien connaître la Corée. J’ai expliqué pourquoi les révolutionnaires coréens devraient connaître l’histoire et la géograp
C’était aux environs du jour du Chusok, la fête des récoltes, si je ne me trompe. Le soir, nous avons causé, sans remarquer le temps qui passait, de la patrie et de notre région natale en contemplant la pleine lune au-dessus de la forêt.
Le regret et l’amour de la patrie étaient pour nous une source inépuisable de force et de courage. Et nous nous sommes remis avec plus d’ardeur à l’étude et à l’exercice.
Les combattants de notre armée ont ainsi terminé un programme d’études équivalant à celui d’une université régulière, tout en remplissant de nombreuses tâches: combats incessants, exercices intenses, ce qui n’était point facile.
Les efforts qu’ils avaient alors soutenus ont produit leurs effets dans la patrie libérée.
Après la Libération, il y avait parmi nos collaborateurs bon nombre de diplômés d’écoles renommées, dont l’Université communiste orientale pour travailleurs en Union soviétique. Je me suis souvent entretenu avec d’anciens élèves de cette école, et j’ai constaté qu’ils ne savaient pas grand-chose sur l’édification du parti et de l’Etat.
Mais les vétérans de la lutte antijaponaise s’y entendaient bien dans n’importe quelle matière.
J’ai demandé à Kim C
Pour ce qui était du travail envers les masses et du travail politique, nul n’a pu égaler les anciens combattants de l’armée de guérilla.
Tout au long de notre combat révolutionnaire contre les Japonais, nous nous sommes inlassablement préparés à nous charger du destin de la patrie après la libération, regardant loin devant nous et profondément confiants en la victoire de notre révolution.
Quand, au plus fort de la guerre de Libération de la patrie, nous avons donné l’ordre d’élaborer des plans pour la reconstruction de Pyongyang, certains ont fait les yeux ronds: «Comment ça, des plans pour la reconstruction alors qu’on ne sait même pas quand la guerre prendra fin?» Cependant, à deux ans de là, nous avons pu entreprendre, sitôt après la guerre, la reconstruction de la ville avec des plans déjà prêts.
Les révolutionnaires doivent savoir établir des projets et pousser le travail non seulement suivant la nécessité du présent mais aussi en prévoyant le lendemain.
Ne vaut-il pas mieux élaborer des projets d’avenir et hâter l’instauration d’une vie nouvelle en allant contre vents et marées que de se plaindre des difficultés? Devancer le temps et aller de l’avant vers l’avenir, c’est l’esprit d’offensive qu’il faut posséder. A l’approche du grand jour de la victoire finale de notre lutte contre les Japonais, nous nous sommes adonnés à la formation politique et militaire avec toujours plus d’entrain, d’optimisme et de confiance et nous avons tout fait pour hâter la libération du pays.
Ceux-là seuls qui œuvrent sans répit jour et nuit pour l’avenir de la patrie en surmontant de bon cœur difficultés et obstacles, qui travaillent intensément et réfléchissent constamment pour bâtir un avenir heureux au profit de la postérité, sont dignes d’être appelés de vrais communistes, de fervents révolutionnaires.
2. Les flammes de la résistance populaire sur toute l’étendue du pays
Pour la campagne finale contre les impérialistes japonais, le Président Kim Il Sung eut l’idée d’associer l’offensive générale de l’ARPC et le soulèvement général du peuple entier ainsi que diverses opérations conjointes dans les arrières ennemis; c’est la ligne stratégique qu’il proposa pour la libération du pays. Ce projet ambitieux traduisait la confiance absolue que le Président mettait dans le peuple endurci au feu de la lutte contre les Japonais.
Quelques pionniers ou militants d’élite ne peuvent à eux seuls réaliser l’indépendance du pays, tels étaient le bilan de l’histoire du mouvement révolutionnaire international et la leçon du mouvement de libération nationale de Corée.
Nous avons préconisé, dès le début de notre lutte contre les Japonais, une résistance populaire générale. C’était amener les masses à se solidariser avec la révolution et les engager dans le combat contre les Japonais. En d’autres termes, libérer le pays par une résistance générale, bien organisée et dynamique.
Or, pour qu’il se solidarise avec la révolution, le peuple doit être conscientisé et organisé. Pour renverser l’impérialisme japonais par son engagement général, il doit être préparé sur les plans politique et militaire; c’est ce que nous appelions résistance populaire.
Les préparatifs de cette résistance remontaient à l’époque de nos opérations au mont Paektu; nous avions étendu nos opérations au bassin de l’Amnok et à la Corée d’une part, et d’autre part, préparé la fondation du parti, étendu le mouvement du front uni et multiplié les organisations de masse sous la bannière de l’Association pour la restauration de la patrie. Le Programme en dix points de cette association qui préconisait la mobilisation de toute la nation pour libérer le pays était, en fait, une déclaration de la résistance populaire.
C’est dès le début de la guerre sino-japonaise que nous avons proposé la résistance populaire comme ligne de notre lutte et avons pris des mesures efficaces pour l’appliquer. Nous avions tenu des réunions à ce sujet au camp secret du mont Paektu, puis à Chushuitan et à Sinhung. L’Appel de Septembre visait, au fond, à soulever le peuple entier.
C’est déjà au temps de nos opérations au mont Paektu que nous avons proposé de fonder la troupe de guérilla populaire antijaponaise de Pukson.
Nous avons formé, au centre de formation du mont Kanbaek, un grand nombre d’éléments comme noyau dirigeant de la future résistance générale en y réunissant des hommes endurcis et choisis dans des organisations locales, et avons mis sur pied des organisations semi-militaires un peu partout en Corée, surtout au Nord, et les avons renforcées.
Nos agents politiques, envoyés en Corée, ont organisé des troupes de choc d’ouvriers et de producteurs-partisans.
A l’approche du grand jour du combat final, nous avons intensifié la préparation de la résistance populaire.
C’est alors que les commandants de l’armée coréenne de l’AAI ont tenu une réunion.
L’ordre du jour se ramenait à la préparation de la campagne décisive. Toute l’assistance a approuvé mon idée de préparer le peuple à une résistance générale et de libérer le pays par nos propres forces.
Plus tard, après avoir étudié la dissémination des organisations du parti et des masses, ainsi que les activités des organisations militaires clandestines dans le pays, j’ai présenté une ligne en trois points pour la libération du pays: elle consistait à réaliser cette œuvre historique par le truchement de l’offensive générale de l’ARPC, du soulèvement de tout le peuple et des diverses opérations conjointes dans les arrières ennemis.
C’était une ligne parfaitement réalisable. Pour la juger telle, je me fondais sur les sentiments et la disposition d’esprit du peuple. A l’époque, nous faisions l’objet de l’attention de notre peuple. Nombreux étaient ceux qui levaient leurs yeux sur le mont Paektu ou venaient nous trouver. Ils pensaient: il faut rejoindre l’armée de guérilla et se battre sous les ordres de Kim Il Sung. Ceux qui avaient fui la réquisition ou le recrutement japonais fabriquaient des armes dans la montagne, dans des ateliers de forge de fortune, décidés à en finir à tout prix avec les Japonais.
On en avait assez de la domination des Japonais; quand les troupes de partisans de Kim Il Sung marcheraient sur la Corée, nous nous soulèverions tous ensemble et les abattrions. Morts ou vifs, il fallait en finir avec eux; telle était la volonté du peuple.
C’est à cette époque qu’ont été trouvés, à la grande confusion des Japonais, des «graffitis séditieux»: «Kim Il Sung, Commandant de l’armée indépendantiste coréenne» au plafond d’une cabine de troisième classe du traversier Koanmaru, qui faisait la navette entre Shimonoseki et Pusan, et «Le Commandant Kim Il Sung rentrera dans la patrie dans quelques jours» sur le mur de la porte sud à Séoul.
Dans la première moitié des années 1940, les différentes couches de la population nous confiaient leur destin, c’est-à-dire, le destin de la nation, et attendaient impatiemment le jour où nous viendrions libérer le pays.
Volonté du peuple, volonté du Ciel, dit-on. Et l’opinion publique se fait l’écho de ses aspirations et de ses vœux. Si le peuple veut et agit, toute entreprise, quelle qu’elle soit, réussit.
Voilà la possibilité dont nous avons tenu compte pour proposer la ligne en trois points en vue de libérer le pays.
Les unités principales de notre armée avanceront rapidement dans le pays, occuperont toutes les provinces et y engageront des combats, d’une part, et d’autre part, lanceront un appel à tout le pays, rassembleront les ouvriers, les paysans et les étudiants réfugiés dans les montagnes, organiseront avec eux des détachements armés, soulèveront toute la population dans une insurrection armée. Nous abattrons ainsi d’emblée l’ennemi et libérerons le pays. Tel était grosso modo notre plan d’opérations pour la campagne finale.
Ce plan avait toutes les chances de réussir. Si nous élargissions les rangs de nos forces armées ayant pour noyau les combattants de l’armée révolutionnaire endurcis par la lutte armée, avec des patriotes jeunes ou adultes du pays et engagions des combats à mort contre l’ennemi un peu partout, nous pourrions bel et bien libérer le pays par nos propres forces.
Le tout était de savoir comment soulever le peuple entier dans la résistance au moment décisif, et ce n’était pas alors une tâche ardue. Lors du Soulèvement populaire du Premier Mars, plus de deux millions de personnes avaient manifesté en réclamant l’indépendance du pays, et lors de l’appel au combat final, un plus grand nombre encore se dresseraient, cela ne faisait aucun doute.
Certes, ce n’est pas sans controverse que cette ligne avait été adoptée. Lorsque nous en avions fait part, certains avaient hoché la tête, mais la plupart l’avaient approuvée dès le début, la jugeant pertinente.
Les commandants des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est aussi avaient exprimé leur admiration mêlée d’étonnement: comment avez-vous pu élaborer une telle ligne alors que votre pays est une colonie et que vous menez votre lutte armée principalement hors frontière?
Je leur ai répondu: «Armer le peuple et déclencher une insurrection populaire générale, ce n’est pas une invention de notre subjectivisme, mais bien ce que le peuple souhaite et désire. Nous n’avons fait que le définir comme mot d’ordre.»
Dès la première moitié des années 1940, le système de domination des impérialistes japonais avait commencé à chanceler, frappé de paralysie. La défaite japonaise dans la guerre du Pacifique étant devenue chose certaine, divers signes de sabotage se sont révélés parmi les fonctionnaires japonais.
Voici ce que Jo Myong Son m’avait alors raconté.
Lorsqu’il opérait en Corée avec un petit détachement, un jour, dans la montagne, il a fait prisonnier un policier japonais, et il lui a demandé: «Pourquoi rôdes-tu oisif dans la montagne alors que la situation est bien critique pour les tiens?» Et l’agent a avoué: «Tout me paraît ennuyeux à l’idée que le Japon va tomber et je suis venu chasser comme dérivatif à mon angoisse.»
Tel était l’état d’esprit des fonctionnaires japonais.
Comment leur système de domination pourrait-il ne pas chanceler? Cette fragilité qui le marquait a donné à nos organisations de résistance en Corée la possibilité d’entreprendre des préparatifs de résistance sur une vaste échelle.
Nos agents politiques et les militants de la résistance ont pris à leur profit cette vulnérabilité et ont fait trembler l’ennemi en envoyant des manifestes, des avertissements à des fonctionnaires de canton, à des policiers, à des préfets de province, au gouverneur général, voire au premier ministre et à l’empereur nippons.
En février 1943, des organisations de résistance du pays ont envoyé à Tojo, premier ministre japonais, plusieurs lettres d’avertissement relatives à la mise en vigueur du système de conscription. En voici une, expédiée au nom de la jeunesse de l’arrondissement de Pyoksong:
Destinataire: Son excellence M. le premier ministre Tojo à sa résidence à Tokyo.
…
La Corée deviendra indépendante.
...Japon, pays ennemi, prend garde! Tu veux mettre en application en Corée ton système de conscription, et recruter les Coréens pour étendre ton armée. Bon, la Corée attend ce moment avec impatience. Donne-nous les armes. Notre ennemi, ce sont les Japonais. ...
Nous sommes décidés adonner notre vie à la patrie, à la Corée; nous résisterons au Japon, pays ennemi, par tous les moyens jusqu’à la mort et au-delà. Nous irons volontiers dans ton armée, cela pour mieux réaliser le vœu de notre vie: résister au Japon et l’écraser! [Rapport mensuel de la haute police spéciale, service de sécurité, département de la sûreté, ministère de l’Intérieur, février 18 de Showa (1943), p. 72]
En hâtant la préparation de la résistance populaire, nous avons veillé tout particulièrement d’abord à créer de nouvelles bases secrètes provisoires en territoire coréen tout en transformant celles qui existaient déjà en solides points d’appui, militaires et politiques, au service du soulèvement populaire; ensuite à envoyer en Corée un grand nombre de petits détachements, de groupes de partisans et d’agents politiques pour préparer les forces de la résistance en fonction des changements de situation à participer aux opérations de libération de la patrie; puis à exercer une direction unifiée sur les forces de la résistance.
La résistance populaire était inconcevable à moins d’être associée à une insurrection armée, et sa réussite sans les points d’appui. Voilà pourquoi, exposant cette ligne, nous avons veillé surtout à créer, dans les chaînes de montagnes Rangrim et autres, des bases secrètes d’action, d’opération et de ravitaillement des unités de l’ARPC, qui seraient en même temps des points d’appui militaires des forces de la résistance.
Par conséquent, un grand nombre de bases de ce genre ont été disséminées dans le pays: dans la région nord-est autour de la chaîne Paektu, dans la région intérieure septentrionale des monts Rangrim et Pujonryong, et dans les régions occidentale et centrale.
Dès le début des années 1940, conformément aux changements de situation, nous en avons créées de nouvelles, provisoires, sous diverses formes et dimensions, à des points d’importance stratégique et tactique à travers toute la Corée.
En même temps, nous avons expédié un grand nombre de petits détachements, de groupes de partisans et d’agents politiques en Corée. Moi aussi, à la tête d’un petit détachement, j’ai fait plusieurs incursions dans le pays.
Nos détachements, groupes de combattants et agents politiques ont déployé d’énergiques activités politiques et militaires, et préparé les larges masses à la résistance générale, dans la région frontalière des bassins du Tuman et de l’Amnok, et dans le centre du pays, dont Séoul, et dans le sud, dont Pusan et Jin
A propos des activités des agents politiques envoyés par le camarade Kim Il Sung, un dossier des autorités japonaises notait:
«Arrestation d’un chef d’équipe de travail idéologique sous les ordres de Kim Il Sung.
Kim Il Sung, chef des Coréens rebelles en Mandchourie, se livre fébrilement depuis longtemps à des activités subversives contre le Japon et, un de ses hommes de main, un certain Kim, chef d’une équipe de travail idéologique, a pénétré à Tumen, province du Jiandao, pour un objectif séditieux et y a entrepris des activités clandestines. Arrêté par la garde de l’endroit, il est soumis à un interrogatoire sévère et voici ce qui a été découvert jusqu’ici concernant son objectif et ses activités.
1) Objectif de l’infiltration: Perturber nos arrières en Mandchourie et en Corée en cas de conflit armé nippo-soviétique; organiser une unité de Coréens de la 5e colonne, s’approvisionner en devises japonaises.
2) Activités: Avec mission susmentionnée, en tant que chef d’une équipe de travail idéologique de Kim Il Sung, il est passé subrepticement de Khabarovsk en Mandchourie, et a réuni à Tumen une vingtaine de Coréens rebelles.
3) Rapports et contacts: Nul doute que le quartier général de la 5e colonne se trouve à Kyongsong (Séoul); se poursuit l’interrogatoire pour obtenir des précisions.» [Rapport mensuel de la haute police spéciale, service de sécurité, département de la sûreté, ministère de l’Intérieur, février 18 de Showa (1943), p. 82]
Il était tout aussi important, pour préparer une résistance populaire générale, de mettre sur pied un organe capable de diriger de façon unifiée l’ensemble de la lutte en Corée.
A la suite de la constitution du comité d’action du parti à l’intérieur du pays, on a vu naître un peu partout des groupes du parti se proposant d’orienter les organisations de masse. Et pour diriger de façon unifiée les groupes du parti et les organisations de masse antijaponaises apparues sporadiquement dans différentes régions dès la fin des années 1930, des comités régionaux du parti ont vu le jour et se sont mis à jouer un rôle de direction locale.
On peut citer comme exemple le comité régional du parti de Yonsa, mis sur pied par Kim Jong Suk.
Dans la première moitié des années 1940, dans la province du Phyong-an du Sud, un comité régional du parti a été constitué par des communistes. Il avait sous son contrôle des groupes de militants du parti dans différentes localités de sa province dont Pyongyang, Kaechon et Nampho, et dirigeait, par leur intermédiaire, la ramification de l’Association pour la restauration de la patrie et celle de la résistance de la province.
Le comité régional du parti de Chongjin, dans la province du Hamgyong du Nord, avait implanté de nombreuses cellules dans des usines de ce secteur dont l’usine sidérurgique Ilchol.
Grâce aux énergiques activités politiques et militaires que nous avions déployées pour préparer une résistance nationale, les forces de la résistance s’étaient considérablement accrues dans la première moitié des années 1940 en Corée. Notons que les impérialistes japonais avaient dénombré en 1942 en Corée, plus de 180 organisations clandestines qui comptaient, disaient-ils, plus de 500 000 adhérents. Les chiffres seraient beaucoup supérieurs si l’on y ajoutait les organisations non découvertes.
Ces organisations qui opéraient en Corée et à l’étranger étaient toutes des organisations politiques et militaires et s’assignaient pour objectif de lutte et tâche majeure un soulèvement populaire général et une résistance armée. La plupart d’entre elles avaient déclaré ouvertement: notre objectif de lutte est de soulever le peuple entier dans la résistance, dans un soulèvement général, dans une insurrection armée pour soutenir l’offensive finale de l’ARPC. Et certaines d’entre elles s’étaient dénommées de façon à marquer la relation directe qu’elles voulaient avoir avec nous: «Corps Kim Il Sung», Association Paektusan.
Le «Corps Kim Il Sung» fondé à Séoul, puis étendu à différentes régions du pays, dont Mosulpho dans l’île Jeju, voire jusqu’au Japon, a été une organisation de résistance remarquable par son objectif et son mode d’action, parmi celles qui ont opéré dans la dernière période de la lutte révolutionnaire contre les Japonais.
Autant que je me souvienne, c’est vers juin 1945 que l’existence de cette organisation a été découverte. La police de la préfecture de Niigata avait flairé qu’une organisation appelée «Corps Kim Il Sung» opérait parmi les Coréens emmenés de force au Japon par voie de réquisition et s’était démenée fiévreusement pour mettre la main dessus.
Le «Corps Kim Il Sung» se proposait de regrouper les larges masses antijaponaises pour les préparer à la résistance et de se joindre à notre armée révolutionnaire quand elle marcherait sur le pays dans le combat final de libération de la patrie.
Cette organisation avait ses ramifications dans des usines de guerre et autres entreprises importantes, des ports et des chantiers de construction d’ouvrages militaires japonais.
Selon un document confidentiel des anciennes autorités japonaises, le «Corps Kim Il Sung» a répandu l’idée que la guerre pour la grande Asie orientale finirait bientôt par la défaite japonaise, et que la Corée accéderait à l’indépendance; que le régime politique que la Corée adopterait après la guerre serait tel que tout le monde vivrait heureux, dans l’égalité, sans riches ni pauvres, et que Kim Il Sung serait le dirigeant suprême de la Corée indépendante, etc.
A l’heure actuelle, nombre de chercheurs soutiennent que la révolte de taille des ouvriers coréens en mars 1942 dans un aéroport de l’île Jeju avait été préparée par ce corps-là. Je pense qu’il y a du vrai dans leurs affirmations.
Voici un article du numéro du 18 juillet 1942 du New York Times: «Une importante base japonaise a été détruite par des Coréens. Les ouvriers se sont livrés à un coup de force à Quelpart (île Jeju) située à l’entrée de la mer de l’Ouest de Corée, et ont tué 142 membres de l’aviation japonaise.
Les révoltes des patriotes se poursuivent.
…
Selon les informations données le 17 juillet par une agence de Washington... une violente émeute antijaponaise a éclaté en mars dernier en Corée. Elle a causé de sérieux dégâts à la base aérienne japonaise dans l’île de Quelpart ou Saishu. ...
Cette île, située non loin de l’extrémité sud de la péninsule coréenne, constitue un important point à l’entrée du détroit de Corée et de la mer de l’Ouest de Corée.
Selon les informations, les ouvriers coréens de l’île ont attaqué le 29 mars la base aérienne. Ils ont démoli le poste de TSF et mis le feu à quatre hangars souterrains d’avions. Au cours du coup de force, 142 pilotes et techniciens japonais ont trouvé la mort et quelque 200 autres personnes ont subi brûlures ou blessures.
Deux réservoirs d’essence et 69 avions ont été abîmés. Par la suite, les Japonais ont massacré tous les 400 survivants coréens.
Selon les informations, le 1er mars, les Coréens ont fait sauter trois centrales électriques en Corée du Nord.»
Quant à l’Association Paektusan, elle a vu le jour en été 1942 à Songjin (actuellement ville Kim C
Dans la région de Pyongyang opérait une autre organisation de résistance dénommée Corps de libération de la patrie. Mon cousin Kim Won Ju en était membre.
C’était une organisation de résistance dynamique qui se proposait de déclencher une révolte armée pour soutenir les opérations de l’ARPC au moment de la libération de la patrie.
Elle avait ses ramifications dans les zones industrielles et dans les campagnes des régions centrale et occidentale de la Corée, dont Pyongyang, et englobait diverses couches de la population, ouvriers, paysans, jeunes et étudiants. Elle avait su noyauter des organes de police et d’administration ennemie.
Son plan d’action était ambitieux et audacieux. Elle projetait par exemple de détruire les organes qui recrutaient ou réquisitionnaient de jeunes Coréens, de se procurer des armes avec l’aide de nos troupes et, avec les meilleurs de ses adhérents, de déclencher une lutte armée.
De plus, elle se proposait d’attaquer les commissariats de police, les mairies de canton, et de reprendre le riz que les Japonais avaient réquisitionné, d’arracher les documents concernant le recrutement et la réquisition, de détruire les réseaux de communications et d’installer de petits ateliers de forges dans les monts Kuwol pour fabriquer des armes blanches, etc. Ses projets étaient, comme on le voit, variés et ambitieux. La direction du corps comptait étendre son réseau jusque dans l’armée japonaise et dans des usines de guerre.
Won Ju m’avait dit que ce corps avait vu le jour dans la commune de Tudan.
Won Ju, soupçonné d’avoir volé un revolver, avait été arrêté vers la fin de la domination japonaise.
Après son arrestation, les policiers avait perquisitionné plusieurs fois à sa domicile afin de retrouver l’arme.
On dit qu’ils avaient fait grand tapage clamant qu’ils avaient arrêté le cousin de Kim Il Sung.
La société secrète de l’usine sidérurgique Ilchol et la société pour la préparation de la révolte armée constituée par d’anciens étudiants de l’université impériale de Kyongsong (Séoul–NDLR) ont été les plus importantes à opérer alors en Corée.
La société secrète d’Ilchol, constituée principalement des ouvriers de l’usine, avait été mise sur pied par un agent politique de notre détachement.
Ce n’est pas par hasard qu’une organisation pour la reconstruction du parti communiste a surgi dans cette usine au début des années 1940. La plupart des militants de cette organisation appartenaient à la génération précédente du mouvement communiste, et avaient fait plusieurs séjours en prison pour avoir participé au mouvement des syndicats ouvrier ou agricole.
La société secrète d’Ilchol se proposait principalement de déclencher une insurrection armée lors de la marche de l’ARPC sur la Corée et en avait fait les préparatifs. Après avoir installé une base secrète dans le secteur de Puyun, elle avait stocké des armes, des vivres et des médicaments, et avait imprimé tracts et brochures. Elle avait ses commandos dans des usines importantes, avait établi des plans précis d’action indiquant le signal et la date de l’insurrection, les cibles et l’ordre de priorité des attaques pour l’enlèvement d’armes, et les méthodes à y adopter.
Jusqu’à sa découverte, elle avait mené énergiquement des activités de subversion visant à freiner la production de guerre des impérialistes japonais.
Elle a même projeté d’enlever une mitrailleuse antiaérienne de l’armée japonaise mise en batterie à proximité de son usine.
L’Association antijaponaise d’Ilchol a saboté la production de fer, organisé le boycottage du chargement de fonte destiné au Japon. Nombre de cargos ont dû stationner dans le port de Chongjin pendant des jours sans avoir leur charge.
La société secrète de Séoul pour la préparation de la révolte armée était aussi d’une grande taille et dynamique.
Y appartenaient de nombreux communistes de l’ancienne génération et des intellectuels. Aucune autre société secrète qui opérait alors sur le territoire coréen n’a compté autant d’adhérents intellectuels. On l’appelait aussi Société secrète de la Songdae. «L’affaire de la Songdae», qui a fait tant de bruit avant la Libération, la concernait.
L’université impériale de Kyongsong était appelée Songdae en abréviation. C’est un de nos agents politiques qui l’a dirigée en coulisse.
Kim Il Su et So Jung Sok, animateurs de cette société, étaient des communistes de longue date. Je les ai connus au temps de mes études à Jilin.
Kim Il Su était passé dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique avec Ri Yong, fils de Ri Jun, et avait un temps servi dans la Garde rouge comme chef de compagnie dans le bataillon des Coréens. A ce qu’on dit, il avait participé à de nombreux combats contre la garde blanche et avait accompli bien des faits d’armes. Au début des années 1920, il avait un temps collaboré avec Ri Tong Hwi du parti communiste du Coryo.
Puis il avait participé au mouvement de reconstruction du parti communiste coréen, et il jura, plus tard, que si c’était à recommencer, il travaillerait encore à reconstruire le parti, mais sans répéter la farce d’aller au siège de l’Internationale muni d’un sceau taillé dans une pomme de terre pour obtenir son aval.
Il a aussi accepté volontiers mon idée de créer le parti, non en établissant d’abord le centre puis en le proclamant fondé, mais bien en mettant sur pied des organisations de base dans les masses.
Plus tard, passé en Mandchourie, il a travaillé au comité du parti de la région spéciale de Mandchourie de l’Est. Arrêté par la police japonaise, il a été prisonnier pendant plusieurs années.
On dit que, sorti de prison, il a parcouru la Chine du Nord-Est à la recherche de notre armée, mais que n’ayant pu nous joindre, il est retourné en Corée pour se mêler aux ouvriers.
Qu’il se soit mêlé à la classe ouvrière, cela montre qu’il avait bien changé.
So Jung Sok et son frère So Wan Sok aussi, je les connaissais bien. Le premier avait été membre, au début, du groupe de Séoul, puis du groupe M-L. A Jilin, il a fréquenté Hwang Paek Ha, père de Hwang Kwi Hon.
Je l’ai connu quand il militait au sein de la jeunesse à Jilin. Comme il habitait dans le voisinage de Jang Chol Ho chez qui je logeais, il nous a été donné de faire connaissance. Nous avons beaucoup discuté ensemble.
Plus tard, il a déclaré qu’il romprait à jamais avec le jeu fractionniste. Alors que les autres passaient tous dans le parti chinois suivant le principe avancé par l’Internationale: un seul parti par pays, il s’est entêté jusqu’au bout à s’occuper du mouvement de reconstruction du parti communiste coréen. Arrêté, il a été détenu pendant plusieurs années. Il avait ses propres jugements et convictions, et est resté fidèle à sa foi.
Après la Libération, les frères So ont beaucoup fait pour la réunification du pays et la révolution sud-coréenne.
Les combattants de la résistance qui avaient créé la société secrète de Séoul ont étendu son réseau à des usines, à des mines et à des écoles de différentes régions, dont l’usine d’engrais azotés de Hungnam.
Ladite société a installé des bases secrètes et entrepris diverses activités, à savoir acquisition d’armes, impression de publications, collecte de renseignements militaires, etc. Elle a même enseigné le maniement d’armes à ses adhérents et leur a fait faire l’exercice militaire.
A l’époque, l’université impériale de Kyongsong était le seul établissement d’enseignement supérieur en Corée, et ses étudiants étaient des jeunes doués, en majeure partie issus de familles riches. Ce n’était pas pour instruire les Coréens que les Japonais avaient fondé cette école, mais pour faire obstacle aux Coréens qui avaient entrepris de créer leur propre université; ils avaient nommé l’école université impériale, car ils voulaient y former des hommes de main au service de leur domination coloniale. Aussi l’apparition, dans une telle université, d’une société secrète pour la préparation d’une révolte armée avait-elle bien de quoi étonner le monde.
An Hyong Jun aussi a bravement lutté après avoir fondé à Séoul des organisations de résistance populaire. Il avait commencé à militer, sous la direction de mon oncle Kim Hyong Gwon, au sein du mouvement de la jeunesse antijaponaise dans la région frontalière septentrionale de Corée.
A Séoul, il a affiché une enseigne de société anonyme dans l’avenue de Jongro, puis a établi ses filiales sous ce couvert, a lancé ses activités clandestines pour la mise sur pied d’organisations, d’une part et, de l’autre, a entrepris sur une vaste échelle la collecte de fonds pour la révolution. Des organisations de résistance ont été implantées parmi les bûcherons et les flotteurs de ses entreprises.
Il a acheté de concert avec ses camarades, à prix modique, la tannerie d’un Japonais qui avait fait faillite, l’a transformée en base de ravitaillement et de communication, puis, avec l’argent tiré de l’usine, des dizaines de milliers de won qu’il portait cachées sur lui, il a acquis des armes.
Après la Libération, il a été le premier chef du département d’information au Comité populaire de Séoul.
Au printemps 1946, je l’ai rencontré en compagnie de Kim C
Ri Kuk Ro et autres membres de la Société de la langue coréenne ont aussi lutté, regroupés dans une organisation.
Les gens du Hamgyong du Nord se vantent souvent de leurs détachements armés d’alors en parlant de la troupe armée populaire du mont Kachi à
L’organisation des jeunes ouvriers de la mine de Musan, dénommée Association Paek-ui, a mené des activités d’information et organisé des luttes: elle écoutait régulièrement l’émission soviétique en langue coréenne.
On a alors signalé, un peu partout dans le pays, l’existence de détachements armés sous différentes appellations, tels que le Corps patriotique de Cholsan ou le Corps armé antijaponais de l’usine sidérurgique de Sunan.
Nombre de ces organisations ont été mises en place par ceux qui avaient milité avec nous ou qui avaient été envoyés par nous.
Les organisations de résistance du secteur de Hungnam, qui ont été sous notre influence, ont mené une lutte à outrance pour entraver la production d’une arme d’extermination massive que les Japonais cherchaient secrètement à mettre au point, et leur ont fait obstacle jusqu’à leur chute.
De plus, Ri Kwi Hyon, qui avait travaillé dès le début avec Pak In Jin et Ri Chang Son à implanter des organisations de masse antijaponaises dans la région de Phungsan, a été envoyé opérer dans la région de Hochon, province du Hamgyong du Sud, où des ouvriers du chantier de la centrale électrique et de nombreux patriotes, après avoir constitué une organisation, ont lutté ferme.
Des organisations de résistance étaient aussi implantées dans l’armée japonaise d’agression.
Vous connaissez bien la fameuse histoire de désertion collective des jeunes Coréens du corps de marines de Jin
Une année, alors que j’étais en visite en Chine, Zhou Enlai et Peng Dehuai m’ont dit qu’à l’époque de la guerre contre les Japonais, un grand nombre de jeunes Coréens qui se battaient sur le front chinois étaient venus les voir tout en armes. Ils demandaient qu’on les autorise à aller se joindre à l’armée de Kim Il Sung, mais les circonstances d’alors ne le permettant pas, on les avait affectés dans l’armée des volontaires en Chine du Nord.
On dit que dans la 30e division de l’armée japonaise stationnée à Pyongyang, les jeunes Coréens ont constitué une troupe antijaponaise d’étudiants mobilisés et ont voulu rejoindre collectivement l’ARPC.
C’était une troupe bien structurée, ayant sous son commandement deux détachements dont chacun avait quatre ou cinq sous-détachements.
Au début, ne sachant par quoi commencer, ils avaient tâtonné, puis aussitôt pris contact avec nous, ils ont suivi la bonne voie et intensifié leurs actions.
Cette organisation avait un plan d’action fort audacieux. Ils comptaient déserter collectivement la fête Chusok (le 15 du huitième mois lunaire–NDLR), puis se réunir au pied du mont Puktae, dans l’arrondissement de Yangdok, se procurer armes, munitions et vivres en attaquant des commissariats de police ou de gendarmerie, et aller, par les montagnes, du côté de Pochonbo.
Là, ils pensaient grossir leurs rangs avec ceux qui, fuyant la réquisition et le recrutement, se seraient réfugiés dans la montagne, aménager un point d’appui d’activité, entreprendre la guérilla et se joindre à l’ARPC quand celle-ci viendrait libérer la patrie.
Lors de la dernière réunion d’opération, ils ont lancé le mot d’ordre: «Notre destination est le mont Paektu» et parachevé leurs préparatifs mais, par la faute d’un de ses adhérents, ce plan a avorté.
A l’époque, les autorités militaires japonaises ont poussé des cris de détresse à propos de cette affaire, en disant que c’était là le projet d’émeute le plus sérieux qu’elles eussent connu depuis la fondation de leur armée.
Un grand nombre de ceux qui, auparavant, avaient milité dans telle ou telle organisation du mouvement communiste en Corée, ont approuvé notre ligne pour une résistance populaire générale et se sont joints à notre lutte au moment du combat final pour écraser l’impérialisme japonais.
Ri Hyon Sang a dit, par exemple, qu’il avait été informé de notre projet de résistance populaire quand il était dans la prison de Sodaemun à Séoul à la suite de l’affaire du groupe communiste. Y étaient aussi à ce moment Pak Tal, Kwon Yong Byok et Ri Je Sun. Ce sont eux, à ce qu’on dit, qui lui ont appris notre plan d’opération pour la libération de la patrie.
Mis au courant de ce plan, il a fait la grève de la faim. Il fallait absolument sortir de prison, puis regrouper les résistants pour se battre contre les Japonais.
Tombé malade après vingt jours de grève de la faim, il a été remis en liberté sous caution pour raison de santé; après une brève période de soins, il est allé au mont Jiri où il a formé un détachement armé avec des jeunes, des adultes et des étudiants qui s’y étaient réfugiés en fuyant le recrutement ou la réquisition.
Le mont Jiri, sous son contrôle, était devenu une base d’opération sous forme de zone libérée; il a envoyé au mont Paektu des agents de liaison afin d’entreprendre des opérations conjointes avec nous.
Jo Tong Uk, un de nos envoyés à Séoul, y a mené des préparatifs de résistance populaire. L’Union du 6 Juin qu’il avait créée tenait sous son contrôle plusieurs organisations légales telles que le club d’alpinisme et l’équipe de football, et entretenait une relation étroite avec les organisations antijaponaises opérant dans la ville. Même après la Libération, il s’est beaucoup efforcé à Séoul de conduire le mouvement de la jeunesse sud-coréenne selon notre volonté. Le jour même de son retour à Pyongyang il était venu me rapporter ses dix ans d’activités.
Kim Sam Ryong figure lui aussi parmi ceux qui ont travaillé même en prison à appliquer notre orientation pour la résistance populaire en y créant une organisation secrète. Dans la prison de Sodaemun, il a organisé un cercle communiste et a déclenché une lutte contre la conversion forcée imposée par les Japonais. Impliqué dans l’affaire du GCS, dont il était chef du département d’organisation, il avait été arrêté et incarcéré. GCS est l’abréviation du «groupe des communistes de Séoul», organisation vouée à la reconstruction du parti.
Nombre de ses adhérents ont accepté notre direction sur le mouvement communiste à l’intérieur du pays et, plus tard, se sont joints à la résistance populaire.
Comme je l’ai dit autrefois, nos agents ont pénétré jusqu’à Séoul, et distribué aux membres du GCS le Programme en dix points de l’Association pour la restauration de la patrie et les ont informés des faits d’armes de l’ARPC.
On rapporte que ce groupe contrôlait les syndicats ouvriers de plusieurs usines dans la région de Séoul et avait mené diverses activités à caractère antijaponais.
Kim Sam Ryong, organisateur et dirigeant de cette lutte, n’a pas plié même en prison. Pak Tal, venu de Séoul, m’a parlé souvent de lui, disant que c’était un révolutionnaire de haute morale et de solide foi, une des quelques personnes qui ont tenu ferme en prison, sans jamais fléchir.
Comme Ri Hyon Sang, Kim Sam Ryong a fait connaissance avec Pak Tal dans la prison de Sodaemun; les deux hommes se sont liés d’amitié. Kim Sam Ryong a fait hospitaliser à Séoul Pak Tal au sortir de la prison et s’est occupé de lui. Alors que Pak, convoqué par nous, allait partir pour Pyongyang, Kim a fait les démarches nécessaires à son insu et, par l’intermédiaire de Pak Tal, m’a envoyé une lettre de salutation.
Militant doté d’une foi inébranlable et de grandes capacités d’organisation, et patriote, il a consacré sa vie à son pays, à sa nation, à la cause communiste.
Quand le Parti du Travail de Corée du Sud a cessé d’être reconnu, inquiet pour sa vie, je lui ai dit de passer sans tarder dans la moitié nord si la situation empirait. Mais ne voulant pas quitter son poste, il est passé dans la clandestinité et a continué à diriger le travail du parti en Corée du Sud, de façon responsable. Dénoncé par des renégats, il a été arrêté et fusillé par la police sud-coréenne.
Dans la première moitié des années 1940, notre révolution a vu le peuple entier parfaitement préparé au grand événement de la libération nationale. Comment se fait-il que le système de domination de l’ennemi se soit écroulé d’emblée en août 1945 dans notre pays? C’est parce que nos organisations de résistance, disséminées un peu partout, ont démoli les organismes de domination des Japonais.
A propos de l’essor de la lutte menée par les forces de résistance contre les Japonais un peu partout dans le pays dans la première moitié des années 1940, la presse de l’ancienne URSS rapportait:
«Au temps de la guerre du Pacifique, le mouvement antijaponais a été intensifié en Corée, ce qui devait empirer la situation du Japon.
De nombreux cas de sabotage et de subversion se sont signalés en Corée, dans les usines de guerre et autres implantations militaires japonaises.
En février 1942, par exemple, à Sinuiju, sept wagons chargés de munitions ont été détruits, et une papeterie incendiée. A Unggi, six entrepôts de carburant ont sauté et un dépôt a brûlé. Dans l’île Jeju, des ouvriers coréens, embauchés dans une base aérienne japonaise, ont détruit 69 avions...» (La Corée par V. Yarovoï, pp. 43-44, Editions de la Marine soviétique, septembre 1945)
A l’époque des préparatifs de la campagne finale pour la libération de la patrie, toute la nation a été mobilisée.
La grande résistance nationale antijaponaise, qui engageait toutes les forces patriotiques, était précisément le nouvel aspect de notre révolution dans la première moitié des années 1940, et sa plus grande réalisation.
On peut affirmer qu’à cette époque les forces communistes et nationalistes auparavant opposées se sont unies pour collaborer, par-dessus les différences d’idéologie.
Ri Yong était-il communiste? Non. Il était nationaliste. D’ailleurs, il faisait partie de la vieille génération comme mon père. Cependant il a pris le même chemin que nous. Pour un patriote authentique, la question de savoir s’il s’agit de communisme ou de nationalisme ne se pose pas.
Kim Ku était-il communiste? Non. Il était nationaliste et même un anticommuniste irréductible. Malgré cela, il est allé jusqu’à lancer un appel à nos compatriotes coréens des Etats-Unis pour la collecte de fonds militaires pour nous. A la fin, il nous a expédié son agent de liaison pour tenter une alliance militaire avec nous.
Ce n’est pas parce que les étudiants coréens au Japon étaient adeptes du communisme qu’ils ont exprimé l’ardent désir de devenir des hommes de Kim Il Sung. Cela parce qu’ils étaient bien au fait que le chemin du mont Paektu les conduirait à la contribution patriotique et à l’accès de la restauration du pays.
Ne chercher qu’à mettre en valeur des idéaux ou opinions quelconques, cela n’aboutit jamais à une cohésion nationale. Je veux souligner qu’il faut laisser de côté les opinions personnelles pour tendre absolument vers un but commun comme on l’a fait dans la première moitié des années 1940. Vus sous cet angle, l’expérience et l’enseignement tirés de la révolution antijaponaise s’imposent.
3. Pour ouvrir la voie à la campagne décisive contre les Japonais
D’innombrables combattants de l’ARPC tombèrent héroïquement au champ d’honneur pendant qu’ils opéraient par petits détachements en mission de reconnaissance, sous le drapeau de la libération de la patrie et de l’internationalisme prolétarien, à la veille de la dernière campagne contre les Japonais.
Par leur abnégation, ils ouvrirent la voie à la victoire sur l’ennemi.
Les souvenirs du Président Kim Il Sung donnent une idée des exploits héroïques qu’ils accomplirent alors.
A l’époque où la campagne décisive contre les Japonais pour la libération de la patrie était à l’ordre du jour, c’est l’ARPC qui en a ouvert la voie.
A la veille et même au cours de cette campagne, l’ARPC a opéré dans le cadre d’un grand détachement des forces alliées internationales aussi bien que par ses troupes appartenant à ces forces alliées.
La situation d’alors réclamait de toute urgence qu’on renforce, en prévision d’une dernière campagne contre le Japon, la reconnaissance militaire, en particulier, la reconnaissance conjointe des forces alliées.
Pour saisir à temps les desseins stratégiques des impérialistes japonais, il fallait redynamiser la reconnaissance aux confins de l’Union soviétique, notamment en Mandchourie et en Corée, et non seulement sur le territoire du Japon.
Ainsi, dans la première moitié des années 1940, à l’approche du grand événement de la libération de la Corée, nous nous voyions imposer des tâches de reconnaissance sans commune mesure avec celles des années précédentes.
Comme nous prévoyions une bataille décisive finale contre le Japon, nous devions nécessairement être renseignés sur tant de choses. Auparavant, nos combats ayant consisté principalement en assaut, destruction et embuscade, les cibles de notre action étaient choisies d’après nos chances de victoire, et nous pouvions nous borner à en faire la reconnaissance. Mais maintenant nous devions connaître tout ce qui appartenait à l’ennemi, notamment les zones de stationnement, les secteurs fortifiés, les aérodromes, les positions des éléments d’artillerie, voire les sièges et la structure des organisations réactionnaires et la tendance des populations.
L’importance attribuée à cette reconnaissance à l’époque venait également du mouvement fréquent des troupes japonaises et de la modification répétée de leur commandement.
Aussitôt après l’attaque de l’Allemagne contre l’Union soviétique, les autorités japonaises ont accru de centaines de milliers d’hommes l’effectif de leur armée du Guandong. Dès que les troupes hitlériennes auraient occupé Moscou et que l’Union soviétique irait à la débandade, elles fonceraient sur le Nord, songeaient-elles. C’est dans ce but qu’elles ont déplacé une pléthore d’effectifs militaires en Mandchourie.
Or, les troupes hitlériennes ont commencé à piétiner sans parvenir à prendre Moscou. Les Japonais, très rusés, jugeant alors que la marche sur le Nord était prématurée, ont opté pour «la défense au Nord et l’attaque contre le Sud». Et, en prétendant attaquer Pearl Harbor et prendre Singapour, ils ont déplacé au Sud une grande partie des effectifs stationnés en Mandchourie. Le vide ainsi apparu, il fallait de nouveaux déplacements pour le combler.
Les combattants de l’ARPC ont parcouru de long en large de vastes régions de Mandchourie et de Corée pour recueillir quantité de renseignements utiles à la campagne de libération du pays.
Je mettrais au premier rang les renseignements obtenus sur les forteresses et les secteurs fortifiés situés dans les parages des frontières entre la Corée et l’Union soviétique, entre la Corée et la Mandchourie, entre l’Union soviétique et la Mandchourie. Sans ces renseignements, nous n’aurions pu mener à si bonne fin la campagne contre les Japonais. Comme nous étions au courant de leur dispositif, les troupes d’élite de l’armée japonaise du Guandong, formées des soi-disant «fils du tigre», ont capitulé sans pouvoir nous opposer une résistance digne de ce nom.
Les Japonais se vantaient pourtant de leurs secteurs fortifiés «inexpugnables» et pour cause. Tout le monde sait que la ligne Maginot de France et la ligne Siegfried d’Allemagne étaient d’une étonnante solidité, mais n’a apparemment guère idée des forteresses et des secteurs fortifiés japonais.
Ces fortifications reliées et disposées en ligne, totalisaient plus de 1 000 km. Depuis longtemps le Japon avait investi d’immenses quantités de ressources matérielles pour leur construction. D’ordinaire, un secteur fortifié comprenait une moyenne de 500 blockhaus en béton armé ou en bois, plus des postes de commandement, des miradors, des positions de tir, toutes sortes de couvertures et de tranchées, des boyaux, des obstacles antichars et antifantassins, au point que rien ne pût y passer. Et c’était le gros de l’armée japonaise du Guandong qui y était affecté, témoignage de l’importance stratégique attribuée par les Japonais à ces ouvrages.
Voilà pourquoi nous avons accordé la priorité à la reconnaissance des secteurs fortifiés.
Un jour, alors que je faisais la navette, à la tête d’un petit détachement, entre la Mandchourie et la Corée, je suis passé par le flanc nord du secteur fortifié de Dongxingzhen: à chaque pas, nous avons vu des blockhaus et des couvertures bien camouflées. Quand, après une nuit de campement, nous nous sommes réveillés au petit jour, nous avons eu la surprise de nous trouver sur le toit d’un abri ou à côté d’un blockhaus.
Une autre fois, il en fut de même à côté d’un poste de garde ennemi au pied d’un mont.
J’ai réveillé doucement mes hommes pour les conduire loin du regard de l’ennemi. Lors du petit déjeuner, je leur ai signalé cette contiguïté où nous avions passé la nuit: tous sont restés ébahis.
Pour la reconnaissance de chaque secteur fortifié, nous avons expédié de façon permanente des éclaireurs. Par exemple, plus de dix groupes d’éclaireurs ont été chargés du secteur fortifié de Kyonghung (actuellement Undok), province du Hamgyong du Nord, et un nombre non moins important de chacun des secteurs fortifiés de Hunchun, de Dongxingzhen et de Dongning.
Pénétrant dans les secteurs fortifiés, nos éclaireurs opéraient avec beaucoup de minutie, allant jusqu’à détacher des morceaux de béton des blockhaus pour les rapporter.
La taille d’un blockhaus ou le calibre d’un canon, il suffisait d’une ficelle ou d’une règle pour les mesurer, mais on aurait du mal à croire qu’on puisse enlever sans bruit et à la dérobée des morceaux de béton sous le nez de la sentinelle ennemie, tâche dont mes hommes se sont pourtant acquittés admirablement.
Nos éclaireurs ont opéré non seulement sur les secteurs fortifiés des régions frontalières, mais aussi ceux de Rajin, de Chongjin et de Wonsan, et même les forteresses de Jin
Ils ont obtenu tous les renseignements nécessaires sur les forteresses construites dans de vastes régions avec ce qu’elles comprenaient: les effectifs militaires, les pièces d’artillerie, les aérodromes et leur nombre d’avions, les installations de port, les navires de guerre – type et tonnage –, l’ordre d’entrée aux ports, la position des centres de transmissions et les dépôts de matériel de guerre.
Le groupe d’éclaireurs conduit par O Paek Ryong, comprenant Kim Chol Man, Han Chon Chu et Kim Hyok Chol, s’est distingué dans ce genre de reconnaissance, s’acquittant de dizaines de missions à l’intérieur de la Corée.
Au début, manquant d’appareil de télégrap
Pour entrer en Corée, les éclaireurs endossaient le plus souvent ce que les Japonais appelaient des «vêtements nationaux», mettaient des chaussures de travail et apportaient de la nourriture sèche. Une fois en Corée, ils évitaient de prendre le train, la voiture ou une bête comme monture, mais allaient à pied.
Nous avons veillé à ce qu’ils s’habituent à la géograp
L’ennemi était tout le temps sur ses gardes pour barrer la route aux petits détachements et aux groupes de l’ARPC dans le bassin du fleuve Tuman et ailleurs dans la région frontalière nord. Il tendait des fils minces sur les collines susceptibles de leur offrir un passage. Dès que les fils étaient coupés, il mobilisait des effectifs militaires et policiers ainsi que la population pour une battue. Même les traces de pas ne passaient pas inaperçues; elles devaient lui indiquer si des éclaireurs étaient passés.
Le groupe d’O Paek Ryong a eu à franchir plusieurs fois le moment difficile. Un jour, il a rencontré un des pires membres du corps de sûreté sur le col Josul situé entre Unggi (actuellement Sonbong) et Kyonghung. Le lendemain matin, dès que le cadavre de ce membre a été découvert, militaires et policiers japonais ont procédé, aux environs du col, à une vaste fouille qui mobilisait des centaines de civils de l’endroit.
Par bonheur, ces civils ont fait semblant de n’avoir rien remarqué quand ils ont vu nos hommes cachés dans une forêt de chênes.
Voici comment cela s’est passé: Kim Chol Man avait accroché à une branche de chêne une feuille de papier où il avait écrit: «Nous sommes l’armée révolutionnaire combattant pour l’indépendance de la Corée.»
A la lecture de ce message, les civils se sont chuchoté la nouvelle puis, ayant convenu de dire qu’ils n’avaient vu personne, ils sont allés ailleurs.
Le groupe d’O Paek Ryong a aménagé, en opérant en Corée, de nombreuses bases secrètes provisoires, notamment au mont Poroji, au petit Kamaewon et au mont Chonghak.
Du reste, ces bases secrètes servaient à nos éclaireurs de points d’appui pour opérer efficacement auprès des masses, parmi lesquelles ils ont décelé un grand nombre d’éléments de valeur.
Par exemple, ils ont formé un vieux charbonnier pour qu’il recueille des renseignements pour eux et leur procure journaux et revues. Dès que l’homme eut acquis de l’expérience, ils l’ont envoyé en reconnaissance dans les ports de Chongjin et de Wonsan. Pendant longtemps, demeurant chez un proche, il s’est renseigné sur la forteresse de Wonsan, puis a fait rapport au groupe d’O Paek Ryong.
O Paek Ryong a associé pendant quelque temps aux activités de reconnaissance un homme qui cultivait la terre et produisait du charbon de bois au fond du mont Poroji. Comme il parlait assez bien japonais, il l’a envoyé au Japon. A l’époque, chaque année à l’automne, les Japonais emmenaient dans leur pays les chevaux entraînés par les services chargés d’élever les chevaux de guerre établis dans cette région. Chaque fois, des cochers coréens devaient les conduire jusqu’au Japon. O Paek Ryong a eu la ruse de glisser son homme parmi eux. Chargé d’une mission spéciale, celui-ci s’est attaché à ouvrir une piste allant de Corée au Japon dans les lignes de navigation Rajin–Niigata et Chongjin–Tsuruga.
Le groupe d’éclaireurs d’O Paek Ryong se caractérisait par l’étendue de sa sphère d’action et l’exactitude de ses renseignements.
C’est ce groupe qui a obtenu aussi des renseignements sur les régions de Jin
Les éclaireurs du groupe d’O Paek Ryong ont opéré avec largeur d’esprit, habileté et précision. Le plan d’opération de débarquement dans les principaux ports de la côte est, dont ceux de Rajin, de Unggi et de Chongjin, établi par les Soviétiques au seuil de la guerre contre les Japonais, reposait entièrement sur les renseignements recueillis par le groupe d’O Paek Ryong, qui s’est distingué par son courage à cet égard.
Kim Hyok Chol, membre de ce groupe, est l’un des héros de l’ARPC. Il était entré pour la dixième fois en reconnaissance en Corée quand il a été tué. Le groupe, composé de trois hommes, comprenait un arthritique. La mission avait été accomplie mais le groupe s’est trouvé en panne, le combattant malade ayant du mal à marcher. Kim Hyok Chol l’a alors porté sur son dos. La neige tombait à gros flocons, rendant la marche difficile. Les trois hommes avançaient ainsi à pas de tortue, s’attardant, lorsque l’agent chargé de les accueillir qui les attendait au-delà d’un cours d’eau s’est retiré.
Comme la faim menaçait de mort ses compagnons d’armes, le responsable du groupe s’est précipité vers le village pour se procurer de la nourriture. En son absence, Kim Hyok Chol a mis tous ses soins à s’occuper de l’arthritique qui n’a cependant pas survécu.
Quant à Kim Hyok Chol, il ne tenait lui-même le coup qu’à grand-peine. Il a rampé dans la neige jusqu’au moment où, épuisé, il est tombé pour ne plus se relever. Les années de la lutte armée contre le Japon pullulent de pareils cas.
Au printemps suivant, les paysans du village ont découvert le corps de Kim Hyok Chol qu’ils ont enterré au bord du fleuve Tuman. A côté de lui, ils ont inhumé l’arthritique. La main de Kim Hyok Chol serrait toujours le revolver dont la vue a permis aux paysans d’identifier des partisans.
Kim Hyok Chol, c’est Kim Jong Suk qui l’a amené à notre unité alors qu’elle militait dans la clandestinité à Taoquanli. Il était d’un courage et d’une fidélité remarquables, un exemple des partisans de Taoquanli qui ont tous très bien combattu.
Le groupe d’éclaireurs de Son T
Se servant d’une base secrète provisoire qu’il s’était aménagée dans la montagne se dressant derrière Unggi, il a recueilli bien des renseignements. A l’été 1942, Son T
Son T
Cette appréciation n’était nullement exagérée. D’ailleurs, ses compagnons d’armes aimaient beaucoup ce partisan, vétéran enrôlé la même année que Kim Ju Hyon, ce bel homme aux cheveux ondulés naturellement.
Son T
A Helong, où vivait sa famille, ses parents avaient promis à des voisins de le leur donner comme gendre.
Indépendamment de l’entente entre les parents, les deux jeunes éprouvaient de la passion l’un pour l’autre. Or, leur amour s’est heurté à des vicissitudes quand le frère de la jeune fille, un révolutionnaire, a été arrêté et emprisonné et que toute sa famille s’est vu obligée d’habiter un entrepôt de brancards servant à transporter des morts, le propriétaire foncier lui ayant repris sa masure pour dette.
A l’époque, comme Son T
Comment aller au secours de cette malheureuse famille? Son T
Le bœuf ainsi obtenu, il le vend et, avec l’argent qu’il en tire, il rembourse la dette de la famille de sa fiancée, laquelle retrouve sa maison. Il raconte alors à la jeune fille les moindres épisodes de l’histoire.
Toute en pleurs, celle-ci s’écrie qu’elle refuse tout autre parti. Son T
Or, le jour des noces, une troupe «punitive» fait irruption dans le village. Tout est mis sens dessus dessous et les jeunes époux doivent décamper précipitamment en tenue de noce. La famille se disperse, le nouveau marié allant à l’armée de guérilla, tandis que la nouvelle mariée reste à militer dans l’Union de la jeunesse communiste sur les arrières de l’ennemi.
Son T
Le jeune époux Kim a combattu dans la guérilla de Wangqing jusqu’à ce qu’il tombe au champ d’honneur. La jeune femme malheureuse a vécu seule toute sa vie, fidèle à la mémoire de Son T
J’ai toujours chargé Son T
Son T
Kim Hak Song est un autre partisan qui a été tué pendant une tournée de reconnaissance dans le secteur fortifié de Kyonghung. Encerclé par l’ennemi, comme l’a été Son T
Le groupe de Han T
Cependant, quelque habiles qu’ils fussent à se travestir et à s’adapter, la garde de l’ennemi était trop sévère pour qu’ils reconnaissent les positions des pièces d’artillerie antiaérienne sur des collines, c’est-à-dire pour qu’ils s’en approchent afin de vérifier le calibre et le nombre des canons.
Un jour, ils aperçoivent un vieux qui tire péniblement une charrette à bras sur le chemin montant menant aux positions d’artillerie. Ils lui donnent un coup de main en poussant la charrette. Le vieil homme se répand alors en remerciements. A l’instant, Han T
Les renseignements tirés de lui se sont avérés identiques à ceux qu’on avait obtenus par une autre voie.
Les groupes d’éclaireurs de Pak Kwang Son et de Hong Chun Su ont fait beaucoup dans la reconnaissance des secteurs fortifiés et des forteresses de la région frontalière nord, notamment d’Onsong, de Kyongwon et de Kyonghung.
Le premier a étroitement combiné la reconnaissance militaire avec la formation des masses. Il s’est attaché à la reconnaissance sans pourtant négliger un seul instant le travail politique visant à gagner les masses à la cause de la révolution. Ainsi s’explique l’aide efficace qu’il a reçue de la population dans sa mission.
Les régions d’Onsong, de Unggi, de Kyongwon, de Kyonghung et de Rajin abritaient de nombreuses organisations que nous avions créées dès le début des années 1930. Si le groupe de Pak Kwang Son a pu recueillir bien des renseignements, c’est qu’il a eu recours à leur intervention.
Après la Libération, Pak Kwang Son, se remémorant les années des petits détachements, mentionnera l’assistance incomparable qu’avait reçue son groupe d’éclaireurs des gens d’Onsong dans la région septentrionale du Hamgyong du Nord. Qui étaient-ils? D’après lui, depuis la première moitié des années 1930, exposés au «vent de Jilin» et au «vent du Jiandao» et militant dans les organisations révolutionnaires, ils n’avaient cessé d’apporter de l’assistance à l’armée de partisans, tâche à laquelle ils avaient associé maintenant même leurs enfants. Le maire d’un village avec qui les éclaireurs se sont liés par hasard à Onsong faisait partie lui aussi d’une organisation clandestine. Celui-ci passait à temps à nos éclaireurs les renseignements nécessaires, les prévenant par exemple en ces termes: «Prenez garde de traverser le fleuve, car un ordre a été lancé pour qu’on renforce ce soir le contrôle à l’embarcadère du Tuman», «Pour intercepter en sécurité des messages téléphoniques, il faut choisir l’endroit X.»
Parmi ceux qui ont aidé le groupe d’éclaireurs de Pak Kwang Son, on trouvait même un caporal de l’escouade de gendarmes japonais de Namyang. Si l’on rencontrait parfois des aides-gendarmes coréens comme Hong Jong U, il était rare qu’un Coréen fût caporal de gendarmerie.
Le groupe de Pak Kwang Son a décidé de rallier ce caporal et s’est employé à l’approcher. Une fois en contact avec lui, les éclaireurs ont établi qu’il était membre spécial de l’Association pour la restauration de la patrie et avait eu des liaisons avec Son Jang Chun dès le début des années 1940. Depuis que Son avait été tué alors qu’il opérait dans un petit détachement dans l’arrondissement de Kyongwon, le caporal avait pris soin de garder son secret en attendant que le réseau de l’Armée révolutionnaire populaire l’atteigne.
Il a transmis au groupe d’éclaireurs tous les renseignements parvenus à la gendarmerie. Par ailleurs, il a protégé la sécurité des combattants des petits détachements de l’ARPC et des membres de l’organisation révolutionnaire.
Un jour, un groupe d’éclaireurs appartenant à un petit détachement a été arrêté par l’ennemi, pendant une reconnaissance des secteurs fortifiés du bassin du Tuman. Ledit caporal est intervenu alors, parlant de vérifier lui-même le fait, aux mouchards et aux membres du corps de sûreté qui avaient arrêté nos hommes. L’instant d’après, il fulminait, disant qu’ils avaient agrafé des mouches de la gendarmerie, autrement dit des amis. Ensuite, il a relâché nos hommes.
Namyang était un point de relais assurant la liaison entre les secteurs fortifiés de la région frontalière nord de la Corée et le territoire du Japon. C’est par Namyang que passaient les routes et chemins de fer principaux et les lignes de communications du nord de la Corée au nord-est de la Chine, c’est donc toujours par là que passaient les ravitaillements en munitions à destination de la région nord-est de la Chine.
A ce compte-là, le groupe d’éclaireurs a eu tout à fait raison d’associer ledit caporal de gendarmerie de Namyang à sa mission de reconnaissance.
Les petits détachements et les groupes de l’ARPC ont eu l’audace d’engager dans leur reconnaissance même des gens qui servaient dans les organismes ennemis. Un garçon de courses du commissariat de police de Sosura a apporté une aide importante à nos combattants dans leur reconnaissance du secteur fortifié de Kyonghung et de la forteresse de Rajin. Montrant du zèle, il a gagné la confiance du chef du commissariat, puis il a mis la main sur toutes sortes de renseignements, soustrait même des documents secrets militaires de haute importance. Han Chang Bong et Jo Myong Son fréquentaient Chonghak lorsqu’ils opéraient dans la région frontalière nord. L’un des agents de police japonais de l’endroit ayant subi leur influence les aida ainsi du mieux qu’il pût dans leur mission de reconnaissance.
Nos petits détachements et nos groupes, épiant les desseins d’opération des impérialistes japonais et les mouvements de leurs effectifs militaires, ont mis la main sur des renseignements sans nombre et de haute valeur qui allaient servir à élaborer le plan de nos opérations offensives finales.
Les Japonais usaient de tout un arsenal de subterfuges pour se camoufler sans pourtant parvenir à berner nos éclaireurs qui répétaient leur tentative.
Par exemple, Yun T
Nous avons veillé également à infiltrer pour un long délai de nombreux agents dans les zones contrôlées par l’ennemi. Ainsi pénétraient-ils dans tel ou tel poste important et même dans l’armée et la police mandchoues et l’armée japonaise.
Voici un principe important que doit observer au risque même de sa vie un agent clandestin: ne jamais quitter l’endroit qui lui a été désigné sans avoir reçu l’ordre de rappel de son supérieur, ni révéler le secret de son travail.
Nos camarades y ont fait honneur au péril de leur vie.
Voyons le cas de Ji Kyong Su. A l’approche de l’offensive finale, notre Quartier général lui a ordonné de se faufiler à long terme sur les arrières de l’ennemi où il opérerait incognito. On lui a assigné la région frontalière soviéto-mandchoue comme théâtre d’opération.
Ji Kyong Su a acheté avec son fonds secret des terres cultivables et une maison d’habitation et a même fondé un foyer. Se conduisant en propriétaire foncier, il a gagné habilement les faveurs de militaires et de policiers japonais dont il tirera des secrets de haute importance envoyés aussitôt à notre Quartier général. Ces renseignements produiront leur effet dans la campagne finale pour la libération du pays.
Même après la libération de la Corée, nous l’avons laissé en l’état: d’ores et déjà des combats décisifs contre les troupes de Jiang Jieshi s’annonçaient là où il se trouvait.
Entre-temps, cette région a été libérée. Tout de suite, Ji Kyong Su a cédé de sa propre initiative ses terres et sa maison à ses fermiers avant qu’ils ne se jettent sur lui et s’est mis aux travaux de culture. Il a pu ainsi éviter d’être massacré.
Or, quelque temps après, la région est tombée entre les mains des troupes du Guomindang. Ji Kyong Su s’est hâté de récupérer ses terres distribuées aux fermiers, puis, en se conduisant de nouveau en propriétaire foncier, il s’est lié d’amitié avec des officiers de l’armée du Guomindang dont il a tiré des renseignements de valeur.
La Chine du Nord-Est a enfin été libérée du joug de l’armée du Guomindang. Or, Ji Kyong Su, malgré les nombreux exploits qu’il avait accomplis sans bruit, s’est vu traiter de réactionnaire et mettre au banc des accusés, les paysans le rossant, prêts à l’achever. Pourtant, roué de coups, il a gardé le silence sur son identité.
Heureusement, nos camarades étaient sur les lieux et ils se sont portés garants de lui, le déclarant membre de l’armée de guérilla. Sinon, on peut juger de ce qui lui serait arrivé.
Nous en avons eu vent: sans tarder, nous l’avons rappelé en Corée. Aux environs de Mijiang dans le district de Hunchun, il y a un trou appelé la vallée Soksae. Un vieux du nom de Ryom qui vivait de chasse y demeurait. A cette époque-là, les impérialistes japonais interdisaient la chasse aux gens du commun, sauf dans les cas où ils posaient comme condition l’obtention de renseignements pour eux. Condition acceptée par Ryom pour chasser.
Le groupe d’Im Chol, lorsqu’il avait été chargé de reconnaître Tumen, a abordé le vieux chasseur, sollicitant son aide. Ryom a accepté volontiers, s’assignant ainsi un double rôle: exécuter et l’ordre des Japonais et la requête des partisans.
Seulement il a fourni de faux renseignements à l’ennemi mais de vrais aux partisans.
Le groupe d’Im Chol a réussi dans la reconnaissance de Tumen et c’est qu’il avait recouru aux services du vieux Ryom. Cela le distinguait des groupes d’éclaireurs expédiés avant lui dans le secteur de Tumen dont l’action s’était brisée devant le contre-espionnage de l’ennemi, ce secteur réunissant des services d’espionnage, des organismes militaires et policiers des Japonais.
Après la libération de la région, tous les biens des Ryom ont été confisqués, le vieux ayant été accusé d’être un réactionnaire et d’avoir fait de l’espionnage pour le compte des Japonais. Selon toute apparence, il a éprouvé comme Ji Kyong Su les peines de la justice. Cela a changé au début de 1946, quand Im Chol s’est porté garant de Ryom, qui depuis lors a bénéficié du respect général dû à un patriote.
Nos activités politiques et militaires visant à préparer la dernière campagne contre le Japon ont gagné en dynamisme au fur et à mesure qu’approchait le moment de la déclencher.
Dans les milieux politiques et militaires japonais, placés devant l’imminence de leur défaite, on a vu s’affirmer la thèse de la «sauvegarde de la Corée». A leurs yeux, la Corée était, dans leur système de subsistance et de combat indépendants, non seulement leur base logistique et leur dernier point d’appui pour la guerre sur le continent mais aussi leur dernière source de sang. Combattre jusqu’au bout afin de survivre, faisant de la Corée leur dernier point d’appui, voilà où se ramenait cette thèse. La voir s’appliquer, c’était voir la Corée se transformer en théâtre de la bataille finale qui enterrerait l’impérialisme japonais.
A ce compte-là, nous avons consacré plus d’effectifs à la reconnaissance de la Corée afin de nous emparer de nouveaux secrets militaires capitaux de l’ennemi.
La reconnaissance des bases aériennes militaires était d’une importance particulière.
En faisant une escalade dans leur guerre, les impérialistes japonais avaient construit bien des aérodromes en Corée et en Mandchourie, sans parler de l’agrandissement des anciens. Il en a été ainsi sur la côte est de la Corée, notamment à Chongjin, à Kilju et ailleurs.
Voici de drôles renseignements recueillis par nos camarades en mission dans cette région: sur l’aérodrome récemment construit à Kilju, comme les avions quittaient la piste d’envol, ils piquaient du nez vers la terre. Ce n’est qu’après plusieurs vols d’essai que les Japonais ont découvert que le courant d’air de l’endroit se régalait des avions. Ils ont aussitôt condamné l’aérodrome. Combien sa construction avait-elle chassé de paysans de leurs terres!
Le groupe en reconnaissance à l’aérodrome de
Le groupe conduit par Kim Ja Rin, parvenu à Pyongyang le long de la côte est, a pris, du haut de la colline Moran, des photos d’un aérodrome avoisinant.
On y trouvait un atelier de réparation d’avions et de véhicules automobiles, un dépôt de pièces de rechange, un atelier de transport, un hôpital, une cantine et divers autres bâtiments annexes. Tout cela est passé sur l’objectif de nos éclaireurs qui avaient pénétré dans l’enceinte, travestis en gendarmes japonais.
Kim Tae Hong, expédié en Mandchourie du Nord, a fourni un autre exemple de reconnaissance fructueuse d’un aérodrome. Il s’est déguisé en journalier pour surveiller pendant quatre mois un aérodrome de la région frontalière soviéto-mandchoue. Vingt avions seulement en étaient de vrais.
Que dire maintenant des peines éprouvées par nos éclaireurs! Certains ont dû rester cachés quelques jours durant dans l’eau sale d’un ouvrage d’art près du chemin de fer pour déterminer l’horaire des mouvements et la composition des trains militaires et reconnaître ainsi te déplacement des troupes, alors que d’autres ont dû, malgré la chaleur de l’été, rester tapis à longueur de journée dans une véritable taupinière pour épier les exercices tactiques de l’ennemi.
Voici mes souvenirs d’un groupe d’éclaireurs qui sont héroïquement tombés au cours de leur mission, à des centaines de kilomètres de leur base d’entraînement.
Le groupe ne manquait jamais de rapporter par radio au jour fixé au Quartier général les résultats de la reconnaissance. Ses renseignements étaient si riches et exacts et parvenaient si à point qu’ils enchantaient les camarades soviétiques autant que nous-mêmes.
Or, un jour, un message d’urgence nous est parvenu: le groupe était investi et son télégraphe placé sur une colline allait envoyer ses derniers renseignements qu’il nous faudrait capter.
«La troupe ennemie resserre l’étau de son encerclement, disait notamment l’opératrice. Un jeune homme est allé le premier en ligne, se faisant tuer dans un combat à outrance, puis, un autre, plus âgé, a fait de même; la transmission terminée, je ferai exploser une réunion de grenades avant de périr avec les soldats ennemis.»
Telle a été la fin héroïque de la jeune femme, originaire de Mandchourie du Sud.
Kim Hong Su aussi a fini ses jours héroïquement.
En 1943, avec mission de reconnaissance, il est allé aux environs de Hunchun, où il est tombé aux mains de l’ennemi. On lui a infligé toutes sortes de supplices pour lui tirer les vers du nez, pourtant il est resté muet.
L’ennemi l’a mis dans une machine à écraser des pommes de terre.
Le journal des forces alliées s’est fait l’écho ému de sa mort, une fin trop affreuse pour croire que je l’adorais pour l’abnégation avec laquelle il se portait volontaire aux tâches pénibles.
Au printemps de la même année, Ji Pong Son est aussi tombé à Hunchun, au cours de la reconnaissance.
Je n’en finirais pas d’évoquer les activités de reconnaissance des petits détachements et des groupes de l’ARPC et leurs actes d’héroïsme.
Les succès obtenus dans notre reconnaissance à cette époque étaient impensables sans le soutien du peuple qui n’a rien ménagé pour nous.
Dès le début, en préparant la difficile reconnaissance sur les arrières de l’ennemi, j’ai misé beaucoup sur l’aide des populations et insisté de nouveau pour que les petits détachements et les groupes comptent sur le peuple et se fassent aider par lui. Je m’inquiétais, il est vrai, de savoir si dans cette nouvelle forme de combat qu’était la reconnaissance sur les arrières de l’ennemi, nous pourrions nous lier intimement avec le peuple et bénéficier de sa compréhension, de sa sympat
Vaine appréhension, car dans cette dure lutte qui devait précéder une dernière campagne contre le Japon, le peuple nous a accordé invariablement soutien et aide, confirmant le bien-fondé de notre attitude envers lui.
Nous apprendrons alors avec attendrissement que le peuple combattait de son côté, confiant en l’ARPC, les espoirs tournés vers le mont Paektu, tout comme nous comptions sur lui.
La certitude que nous vaincrions tant que nous compterions sur le peuple et le peuple sur nous, et que toute la nation nous soutiendrait, a décuplé notre force et notre courage, nous incitant à la bataille décisive contre l’impérialisme japonais.
Les renseignements au nombre de plusieurs milliers que nous avons ramassés serviront efficacement à préparer et à mener la campagne contre le Japon, à remporter la victoire finale. Si l’ARPC n’avait pas eu des activités de reconnaissance si audacieuses et si vastes, cette campagne ayant pour cible une armée japonaise du Guandong forte d’un million d’hommes n’eût pu être couronnée de victoire en si peu de temps.
Aussi pouvons-nous tirer fierté du rôle avant-gardiste et décisif joué par l’ARPC dans l’anéantissement de l’impérialisme japonais dans la première moitié des années 1940, en déblayant au prix de son sang le terrain pour la campagne finale contre le Japon grâce au dynamisme de ses petits détachements et de ses groupes, grâce à sa reconnaissance militaire persévérante et intrépide.
4. L’âme de la nation
Dans la première moitié des années 1940, la nation coréenne se trouva devant cette grave alternative: survivre ou périr, retrouver ou non son identité foulée aux pieds. Car adopter un nom japonais, faire une révérence au «temple shintoïste» et parler le japonais, non le coréen, tel était le sort imposé aux Coréens.
Malgré cette situation périlleuse, les regards tournés vers le mont Paektu où le prestigieux Commandant Kim Il Sung combattait contre les Japonais, les patriotes et les intellectuels progressistes de Corée poursuivirent leur lutte pour préserver l’âme de la nation.
Voici les évocations du Président Kim Il Sung à ce sujet:
Au début des années 1940, les impérialistes japonais ont redoublé de frénésie dans leur tentative pour «transformer les Coréens en sujets du grand empire japonais». Une politique de colonisation dont la scélératesse saute aux yeux, leur objectif étant de nipponiser en quelques décennies seulement une nation qui avait derrière elle une histoire cinq fois millénaire.
Le premier chant qu’ils ont fait apprendre aux nouveaux écoliers des écoles primaires, c’était le chant dédié au drapeau japonais. C’était pour leur inculquer la «fidélité à l’empereur» et le «patriotisme». Et ce n’est pas par hasard que les manuels à l’usage des écoliers contenaient l’histoire de Nogi, monarchiste fanatique qui s’était suicidé par «fidélité» et chef du militarisme dans lequel les Japonais voyaient un parfait spécimen de cette «fidélité». Le «serment du sujet de l’empire japonais» comme la «gymnastique du sujet de l’empire japonais» imposés aux Coréens avaient également pour but de les assimiler.
Certes, l’extorsion des ressources matérielles du pays nous causait une autre douleur aussi poignante que si l’on avait arraché de la chair à notre corps. Non contents de piller nos richesses naturelles, les Japonais allaient jusqu’à nous enlever nos bols à riz et nos couverts en laiton, voire nos bougeoirs et nos coupes en cuivre destinés à la table sacrificielle, et à mettre la main sur les épingles à cheveux de nos femmes.
Autrefois les monts Kumgang étaient couverts de gros arbres plusieurs fois centenaires, mais dans les années qui avaient suivi l’éclatement de la guerre sino-japonaise, les Japonais les ont tous abattus, jusqu’à ceux qui poussaient aux abords des temples.
Les biens extorqués étaient incommensurables et les Coréens ne pouvaient qu’en éprouver une indignation légitime.
Mais il y avait pire: les Japonais ne reculaient devant rien pour supprimer l’identité nationale des Coréens, les obliger notamment à porter la «tenue colorée», à changer leur nom de famille, à employer la «langue maternelle (le japonais, selon eux–NDLR)», à faire une révérence au «temple shintoïste», à «prier en silence à midi».
Ce que je trouvais de plus méchant dans la politique des Japonais, c’était la volonté de défendre aux Coréens de parler leur propre langue pour les obliger à parler le japonais. Une nation, c’est avant tout l’identité de sang et de langue qui la distingue des autres. La nation coréenne est inconcevable sans le coréen.
Vouloir imposer le japonais aux Coréens, c’était, à n’en pas douter, vouloir supprimer à jamais la nation coréenne. Car notre nation s’éteindrait avec la disparition du coréen.
Brandissant le mot d’ordre: «L’unité entre la Corée et le Japon commence par l’usage de la langue maternelle», les impérialistes japonais ont cherché à imposer aux Coréens l’emploi du japonais en famille, dans les temples, voire aux bains publics sans parler des établissements d’administration, des sociétés, des écoles et des usines.
Le journal Komin Nippo était spécialisé dans la «diffusion de la langue maternelle».
Renchérissant sur tout dans l’emploi de la «langue maternelle», ils ont exigé des écrivains coréens qu’ils écrivent en japonais, qu’ils publient même la revue Littérature nationale en japonais.
Vers la fin de leur domination, ils ont exigé qu’une pièce de théâtre comprenne un ou plusieurs actes en japonais. Après la Libération, lors d’un entretien qu’ils ont eu avec moi, Hwang Chol, Mun Ye Bong, Jo Ryong Chul ont relaté que les Japonais avaient exigé que les acteurs coréens de cinéma fassent des doublages en japonais, et que les chanteurs coréens, pour enregistrer des disques de chansons coréennes en chantent obligatoirement un ou plusieurs couplets en japonais. Allant plus loin, ils ont lancé une «campagne de transformation des chansons nationales» pour faire chanter des chants militaires de nature fasciste.
Dans les écoles, les élèves qui ne parlaient pas le japonais étaient traités comme des éléments indignes. L’administration refusait de traiter avec les Coréens qui parlaient le coréen, leur coupant le rationnement et prenant garde qu’on ne leur donne les billets de train dont ils avaient besoin.
«Kamidana» est une boîte sacrée japonaise contenant le nom d’Amaterasu Omikami, le prétendu «Dieu, fondateur de l’Etat japonais». Les Japonais l’ont fait accrocher dans chaque foyer pour proclamer que
«les Japonais et les Coréens ont les mêmes aïeux et les mêmes racines». Au retour dans la patrie, après la Libération, j’ai appris qu’un Coréen avait même été jeté en prison pour avoir fait ses besoins près d’un «temple shintoïste».
Voici une histoire que j’ai entendue à la base d’entraînement de la région extrême-orientale soviétique: un paysan coréen, qu’on a menacé de mettre son enfant à la porte de la classe s’il n’adoptait pas un nom japonais, y a consenti à contrecœur, après quoi, désespérant d’expier envers ses ancêtres le crime commis, il a fini par se jeter dans un puits, une grosse pierre entre les bras.
Somme toute, les Coréens, tout en vivant, équivalaient à des morts.
Ce n’est certes pas étonnant de voir les occupants pratiquer une politique d’assimilation dans les colonies: la Turquie en a fait autant en Bulgarie, l’Angleterre en Irlande, la Russie tsariste en Pologne et la France au Viêt-nam, chacune à sa manière. Cependant, les impérialistes japonais seraient seuls à avoir cherché à priver un peuple de sa langue et de son écriture, à l’obliger à changer de nom.
De quoi ne seraient-ils pas capables, eux qui n’avaient pas hésité à prendre d’assaut le palais royal d’un pays étranger et à tuer la reine à coups de sabre! Au début des années 1940, les impérialistes japonais se sont livrés impudemment dans tous les domaines de la vie sociale en Corée à des actes diaboliques du genre de l’outrage à la famille royale à la fin du dernier siècle. Les Coréens devaient littéralement choisir entre la survie et la mort.
Et les intellectuels coréens se voyaient présenter l’alternative: faire front ou se plier à la politique d’anéantissement racial des Japonais.
Bien entendu, la plupart d’entre eux ont opté pour le premier cas. Cependant on en a noté d’autres qui, fuyant la réalité, avaient tourné le dos à la nation ou n’avaient fait qu’acheter leur confort personnel par leur soumission, dont un allant jusqu’à faire un accueil enthousiaste et à collaborer à la politique d’assimilation pratiquée par les impérialistes japonais.
A la base d’entraînement en Union soviétique, j’ai lu souvent des publications parues en Corée, parvenant ainsi à savoir qui se conduisait en patriote et qui en traître, qui faisait carrière et qui allait en prison, qui avait retourné sa veste et qui était monté sur l’échafaud.
Quelqu’un parmi vous a-t-il lu l’article de Ri Kwang Su sur le changement des noms de famille? C’est dans le journal Maeil Sinbo (quotidien—NDLR) que je l’ai lu. L’article se ramène à ceci: «Je suis un sujet de l’empereur. Mes enfants le seront eux aussi. J’ai changé mon nom en Kayama, jugeant que c’est plus digne d’un sujet de l’empereur.» Ri Kwang Su a avoué qu’il avait choisi le nom de Kayama d’après celui du mont de la région où l’empereur Jinmu était monté sur le trône.
L’article est dépourvu de tout sens de la dignité ou de toute fierté de Coréen. Ri Kwang Su a changé, et bien vilainement. Si, dans son article «De la transformation de la nation», il a quitté le manteau et le veston coréens, il est allé, dans le texte mentionné, jusqu’à délaisser le pantalon et les sous-vêtements coréens pour proclamer ouvertement sa japonophilie.
Pire encore, il a publié, dans une revue, un article à la louange du système de recrutement par engagement.
Après la Libération, il a présenté sa japonophilie comme un acte patriotique visant à «préserver la nation». Il aurait donc été contraint, mais pourquoi a-t-il fait l’éloge du système de recrutement par engagement s’il avait tenu vraiment à préserver la nation? Combien, parmi les Coréens qui sont allés au front, sont restés vivants?
Parmi les bouddhistes figurait un poète nommé Han Ryong Un, un des 33 délégués nationaux lors du Soulèvement populaire du Premier Mars. Ce bonze était un homme d’action: d’après lui, l’indépendance de la Corée était possible non par dépôt de pétition, mais par une action à outrance de la nation elle-même. Arrêté, il a refusé avocat, repas apporté de l’extérieur, mise en liberté provisoire. La plupart des délégués nationaux, pris de peur, laissaient voir leur indécision quand il leur a jeté le pot de chambre de la cellule, vitupérant: «Quelle saloperie vous êtes, et vous osez prétendre servir la nation et le pays!»
Plus tard, dans l’espoir de le corrompre, les Japonais lui promettront des terres du domaine de l’Etat, offre qu’il a rejetée catégoriquement. Quand ses collègues et ses amis intimes ont voulu lui bâtir une maison dans la commune de Songbuk à Séoul avec l’argent tiré de leur propre poche, il l’a fait placer en direction opposée à l’édifice en pierre du gouvernement général dont la vue lui faisait horreur.
Un jour, dans l’avenue Jongro, il a croisé Ri Kwang Su alors en tournée pour exhorter les étudiants coréens à aller au front. Les deux étaient amis.
Or, Han Ryong Un, avec l’air de ne pas l’avoir remarqué, a poursuivi son chemin. Stupéfait, Ri Kwang Su l’a alors saisi par le bras et lui a dit: «Comment! Alors, tu ne me reconnais pas? C’est moi-même, Chun Won (autre nom de Ri Kwang Su—NDLR).» Hochant la tête, Han a répondu: «Ri Kwang Su, alias Chun Won, que je connais est mort, il n’est plus de ce monde.» C’était la sentence de mort prononcée par un moine bouddhiste contre ce misérable qui avait abandonné l’âme de la nation.
C
Un autre individu, C
Certaines gens de lettres ont écrit des poèmes à la louange des Japonais pour recevoir un prix décerné par le gouvernement général.
Si, regrettant d’être nés Coréens, certains intellectuels changeaient leur origine, mettaient l’habit japonais, vénéraient de loin le palais impérial japonais, voire criaient stupidement: «Donnons-nous une mort digne au nom de l’empereur!», trahissant ainsi la nation, d’autres, à la conscience honnête, dont des hommes de science, des enseignants, des hommes de lettres, des journalistes à l’âme patriotique, ont craché sur ces projaponais et gardé avec opiniâtreté leur foi de Coréen.
Citons en exemple Ri Ki Yong.
Il a séjourné deux fois en prison, impliqué dans l’affaire de la KAPF19 (sigle anglais de la Fédération artistique prolétarienne coréenne–NDLR). A l’opposé d’un Rim Hwa qui a tourné casaque une fois en prison, Ri Ki Yong a gardé intact son credo d’homme de lettres patriote.
A l’époque, les impérialistes japonais avaient proclamé une soi-disant loi sur la garde et la surveillance des accusés politiques coréens, pour ligoter et bâillonner tout bonnement les patriotes et les progressistes. Et ils exigeaient d’eux qu’ils «se dévouent à la patrie» comme le voulait la japonisation. «Se dévouer à la patrie», c’était se convertir.
Sorti de prison, Ri Ki Yong, sans emploi, n’a pu qu’errer dans les rues de Séoul. Et tous les quatre jours, il s’est vu appelé à la police où l’on exigeait qu’il se convertisse, qu’il écrive des œuvres en japonais et donne dans cette langue des conférences favorables aux Japonais.
Cependant, il était d’une nature trop ferme pour plier sous la contrainte. Seule la «littérature nationale» était autorisée, mais il a répondu à leur «politique de transformation en sujet du grand empire» en écrivant des romans en coréen. Il n’a pas tardé à être enregistré sur la liste noire. Et depuis lors, sa famille a tiré le diable par la queue. Lorsque son deuxième fils mourut, Ri Ki Yong a dû écrire la nouvelle l’Argent au chevet du corps inanimé, la famille n’ayant pas de quoi payer l’enterrement.
Fuyant la persécution policière, Ri Ki Yong est allé trouver refuge avec sa famille dans une vallée au pied des monts Kumgang. Mais il n’a pas échappé pour autant à la surveillance de l’ennemi. Maintes fois, les pierres lancées par les projaponais ont défoncé la porte de sa demeure.
Tout cela n’a pourtant pu l’amener à renier sa foi d’intellectuel patriote. La nuit, des insoumis ayant fui le recrutement ou la réquisition en se réfugiant dans la montagne descendaient chez lui pour demander conseil. Il leur recommandait alors de rester là, dans leur cachette, et de tenir tête ainsi aux Japonais, dussent-ils, pour cela, se contenter d’herbe comme les bêtes domestiques. Une fois la patrie libérée, ces jeunes formés par l’écrivain occuperont des postes de responsabilité dans l’endroit.
Si Ri Kwang Su a changé son nom de famille en un nom japonais, Ri Ki Yong a refusé, jusqu’à la défaite des Japonais, d’en faire autant. Qui change son nom est fils de c
Après la Libération, à Pyongyang, je rencontrerai l’écrivain pour la première fois. Je lui dirai alors:« C’est étonnant que vous, malgré une constitution chétive, ayez fait face avec tant de fermeté aux ennuis de la prison et résisté à la campagne en faveur du changement des patronymes.»
«Comment un homme de lettres comme moi se permettrait-il de plier, me répondra-t-il, alors que Ryu Kwan Sun, une jeune fille de 17 ans, ose garder sa foi au risque de sa vie? J’ai vu à Tokyo, lors du grand tremblement de terre de Kanto, les Japonais massacrer des Coréens à coups de lance, de sabre et de tisonnier. J’ai alors pris le parti de régler leur compte à ces démons même dans l’autre monde.»
Sin C
A la fois historien faisant autorité et écrivain et commentateur politique renommé, il excellait en lettres. Au temps de mes études à Jilin, j’ai eu la chance de lire l’acte d’accusation qu’il avait écrit, lequel était gardé par le pasteur Son Jong Do. Ce long article mettant au pilori Syngman R
A Shanghai ou à Beijing, Sin C
Arrêté à la fin des années 1920 par les Japonais, il a passé près de dix ans en prison à Lüshun sans pourtant se soumettre aux occupants. Pendant son incarcération, il n’a cessé d’écrire des œuvres palpitant de l’âme de la nation.
Notamment il a contribué à rédiger en prison l’Histoire ancienne de Corée et l’Histoire culturelle ancienne de Corée, ce qui témoigne clairement de l’effort qu’il a voué à la sauvegarde de l’identité et de l’âme de la nation coréenne.
Il a consacré jusqu’à la dernière goutte de son sang à la rédaction et s’est éteint dans une cellule triste sous des cieux étrangers.
Témoin de l’intrépidité des patriotes et des intellectuels qui, jusqu’au moment de périr derrière les barreaux, se dépensaient pour préserver l’âme de la nation et éveiller l’esprit national, je me suis senti obligé de protéger leur aspiration et de rassembler les desiderata des uns et des autres pour en faire une des forces importantes de la résistance populaire générale.
La sauvegarde de l’âme de la nation et la préparation de la résistance de tout le peuple étaient inséparables. La première constituait la base spirituelle de la seconde en même temps qu’une de ses composantes. Sans la lutte pour préserver l’âme de la nation, il était impossible de rassembler toutes les forces patriotiques au sein de la résistance générale.
Conscients de la mission qui incombait aux intellectuels de sauvegarder l’histoire, la culture et les traditions de la nation, nous avons expédié sans cesse des agents parmi eux tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Corée.
Quand ces agents allaient partir en mission en Corée, j’ai insisté auprès d’eux: « Tout comme un enfant doit sa vie à sa mère, chacun naît et meurt au sein de sa nation. Nous tous formons une grande famille, la nation, par l’identité de notre sang. Aussi chacun doit-il se faire un devoir de défendre au même titre la nation. Il ne peut ni ne doit y avoir protagonistes et spectateurs. La révolution, c’est pour servir la nation qu’on la fait; la lutte armée, c’est toujours pour servir la nation qu’on la mène. Ce que nous tenons à récupérer par notre lutte, ce n’est pas seulement notre territoire mais aussi notre histoire, notre culture et notre nation elles-mêmes. Vous veillerez donc à la fois à ce que tout le peuple se prépare à la lutte et sauvegarde l’âme de la nation. C’est-à-dire que simultanément à la préparation d’une résistance générale, vous étendrez le réseau des organisations de l’Association pour la restauration de la patrie parmi de nombreux intellectuels dont hommes de science, enseignants, journalistes, hommes de lettres et artistes, pour qu’ils servent d’étincelles et de balles pour défendre l’âme de la nation.»
A la fin de 1938, le journal Tong-a Ilbo s’est attiré l’attention du public par un article faisant état de l’arrestation de personnes soupçonnées d’appartenir à une association secrète dite Cercle d’études rouges à l’Ecole spécialisée de Yonhui à Séoul. Paek Nam Un, premier ministre de l’Education nationale de notre République, faisait alors partie de cette organisation.
Se soumettre, c’était se permettre d’être «traité comme un homme»; s’opposer, c’était se faire traiter en animal. Et Paek Nam Un, intellectuel, avait opté pour la résistance, pour la sauvegarde de l’identité nationale.
Passé au Japon, Paek avait suivi, tout en gagnant sa vie, les cours de l’Ecole des hautes études commerciales, puis était entré, à titre d’enseignant, à l’Ecole spécialisée de Yonhui.
L’Histoire socio-économique de Corée est son ouvrage type. Tout en enseignant, il s’est appliqué à le rédiger.
Ecrire une histoire socio-économique de notre pays alors que les impérialistes japonais s’évertuaient à étouffer notre économie nationale et à supprimer la notion même de «nation coréenne», c’est un remarquable acte patriotique.
A l’Ecole spécialisée de Yonhui à Séoul, fonctionnait une organisation légitime appelée Cercle d’études économiques. C’est Paek Nam Un qui a fait l’essentiel pour la transformer en une organisation à couleur fortement révolutionnaire.
Conjointement avec ses collègues professeurs, il a fait de cette organisation à simple vocation de recherche scientifique le Cercle d’études rouges, organisation à caractère politique procommuniste.
Depuis que l’agent politique que nous avions envoyé était entré en contact avec cette organisation, celle-ci se guidait entièrement sur le Programme en dix points de l’Association pour la restauration de la patrie. Pendant les vacances, dit-on, ses membres allaient sur le terrain éduquer les masses.
Un document officiel intitulé: «l’Ordre public en Corée ces derniers temps», publié par la direction de la police du gouvernement général en Corée signale: «Le Cercle d’études rouges a poursuivi avec dynamisme ses activités, tenant notamment, dans l’optique d’une révolution communiste, des colloques, des cours spéciaux, des séances de lecture pour inculquer à ses membres les idées communistes.»
Jusqu’à la défaite de l’impérialisme japonais, vivant reclus sans emploi, Paek Nam Un s’est consacré à la traduction des Chroniques de la dynastie des Ri. Tout ce qu’il a fait, — rédaction de l’Histoire socio-économique de Corée, transformation du Cercle d’études économiques en Cercle d’études rouges, traduction des Chroniques de la dynastie des Ri—, était un défi à la politique de «transformation en sujets de l’empire» pratiquée par les impérialistes japonais.
Notons qu’à partir de l’année où il avait appris la nouvelle de la bataille de Pochonbo, il s’est contraint à passer l’hiver dans une chambre non chauffée. Pourquoi? Il avait su que Kim Il Sung et tous ses officiers et soldats passaient les quatre saisons en plein air, se contentant la nuit de se couvrir de feuilles mortes; il en a éprouvé de la gêne.
Lors de la formation du Conseil des ministres, nous l’avons nommé ministre de l’Education nationale, son premier mandat. Il a été pendant un temps président de l’Académie des sciences, puis vice-président du Présidium de l’Assemblée populaire suprême, fonctions qu’il a remplies de façon consciencieuse.
Kye Ung Sang, généticien et spécialiste de la sélection naturelle de renommée mondiale issu de notre peuple, se distinguait par sa fierté nationale et la fermeté de sa foi en la science.
Dès son bas âge, il s’appliquait particulièrement à l’étude. Matériellement très défavorisé, il écrivait sur des feuilles mortes, faute de papier. Si, par chance, une paire de chaussettes lui tombait entre les mains, il la gardait dans sa poche pour ne s’en servir que quand il allait en visite; les chaussures aussi, il les portait à la main, soucieux de ne pas les user.
Grâce à son assiduité dans les études qu’il poursuivait en économisant sou par sou, il a pu terminer au Japon ses études universitaires et même suivre le cours de doctorat.
Connu comme surdoué lors de ses études universitaires, il a été assailli, à peine le cours de doctorat terminé, d’invitations de toutes parts au Japon. Son directeur d’études lui a proposé d’aller travailler à ses côtés dans une excellente ferme d’essais agricoles qui allait se créer en Mandchourie.
Cependant, Kye Ung Sang a repoussé toutes ces offres, son désir étant de poursuivre ses travaux séricicoles, loin de la vue des sacrés militaires japonais. Il eût tant souhaité rentrer en Corée, mais ce n’était pas le cas.
Après de longs tourments, il a décidé d’aller en Chine, précisément au sud où on ne trouvait pas encore de Japonais. En effet, les troupes japonaises n’y pénétreront qu’après les Evénements du 7 Juillet.
Ce n’est qu’après l’occupation de Guandong par les Japonais que Kye Ung Sang s’est avisé de regagner son pays. «Du moment que les Japonais sont partout, s’est-il dit, il n’y a qu’à rentrer dans le pays où gisent mes aïeux.» En rentrant de Chine du Sud, il a apporté des œufs de ver à soie d’une variété dont la création lui avait coûté mille peines.
La Corée était libérée, mais écœuré par l’attitude de l’administration militaire américaine en Corée du Sud, il est venu à Pyongyang apportant avec lui la valise contenant les œufs de ver à soie. Lors de notre première rencontre, il s’est épanché: «Sous l’administration militaire américaine, j’ai trouvé que la vie était insupportable tant que j’avais l’âme coréenne.» Cet aveu m’a fait voir la force de la fierté qu’il tirait de sa nation.
Après son arrivée dans la moitié nord du pays, il a créé de nombreuses variétés de ver à soie de haute productivité et très résistantes à la maladie.
L’âme de la nation, seuls ceux qui ont une foi ferme sont capables de la préserver.
Si un intellectuel veut servir efficacement la patrie et le peuple, il doit nourrir un ardent amour pour la patrie et une foi inébranlable en la science.
Vers la fin de la domination japonaise, une organisation parmi d’autres livrait en Corée une lutte acharnée pour la sauvegarde de l’âme de la nation: c’était la Société de la langue coréenne.
D’après Ri Kuk Ro, cette organisation, tirant son origine du Cercle d’étude de la langue coréenne, a vu le jour au début des années 1930.
Cette société a accompli beaucoup de travail sans faire de bruit. Chez nous, la rédaction d’un dictionnaire de la langue coréenne n’a commencé qu’après l’apparition de cette organisation, un bon dictionnaire de ce genre ayant manqué jusque-là.
Certes, plus d’un homme de lettres a tenté l’entreprise, qui s’avérait pourtant bien difficile sous l’occupation étrangère.
Or, cette lourde tâche, ce sont les membres de la Société de la langue coréenne qui s’y sont attaqués.
Le développement de la culture est impensable à moins que la langue et l’écriture qui sont à sa base ne soient codifiées et unifiées selon un système rationnel. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est un dictionnaire qui rassemble les ressources linguistiques nationales.
La rédaction d’un dictionnaire de la langue coréenne réclamait énormément de travail. Au reste, les membres de la société manquaient de ressources financières. Et comme le travail devait se faire à la dérobée, loin du regard des Japonais, tout appel à un appui de la population était exclu. Qu’on juge des difficultés que présentait cette vaste entreprise, d’autant plus qu’ils n’avaient aucune donnée digne de ce nom pouvant servir de critère commun dans la notation des mots et des caractères.
La Société de la langue coréenne a, à tout hasard, préparé deux exemplaires originaux pour les garder cachés séparément. La Corée n’existait plus depuis plusieurs décennies et ceux qui ignoraient le japonais étaient condamnés à l’humiliation plus que les muets. Pourtant ces chercheurs ont recueilli avec le soin qu’on mettait à recueillir des joyaux et ont enregistré dans leur dictionnaire les mots coréens si méprisés. Quels braves et louables patriotes!
La Société de la langue coréenne a milité énergiquement, incognito, sur le plan extérieur. En participant à la réunion internationale des sociétés phonétiques en 1935 en Angleterre, et au congrès linguistique mondial au Danemark l’année suivante, elle a stigmatisé à la face du monde les tentatives des impérialistes japonais pour anéantir la langue coréenne.
Le premier établissement à s’occuper de l’étude et de la codification de la langue coréenne avait été le Jongumchong (bureau de prononciation—NDLR) institué par le roi Sejong. Ce souverain a encouragé l’emploi de l’alphabet coréen Hunmin Jongum, malgré l’opposition farouche des hommes de lettres serviles envers les pays étrangers, C
Or, sous Yonsangun, le Jongumchong a été aboli et l’alphabet coréen a été laissé à l’abandon. Il a croupi dans l’oubli, méprisé et humilié, durant plusieurs siècles jusqu’à la Réforme de l’an Kabo, 1894, quand il est revenu à la vie.
A peine ressuscité ainsi à la fin du dernier siècle, il a eu le malheur d’être foulé de nouveau aux pieds, cette fois par les Japonais qui parlaient d’«emploi de la langue maternelle», violation contre laquelle s’est élevée la Société de la langue coréenne.
L’organisation militait pour l’indépendance du pays et la codification de la langue coréenne quand, à l’automne 1942, la persécution de l’ennemi l’a atteinte.
Plusieurs dizaines d’hommes de lettres membres et d’autres personnes impliquées ont été arrêtés par la police japonaise.
La rumeur transmise par ceux qui étaient allés en Corée opérer par petits détachements, m’a bouleversé.
Elle arrivait à contretemps dans notre camp qui jubilait à la nouvelle de la victoire de l’armée soviétique à Stalingrad où les Allemands avaient perdu des centaines de milliers d’hommes. J’ai même perdu l’appétit à la pensée des ennuis que devaient subir les dizaines d’hommes de lettres coréens conduits sous escorte.
Ils ont souffert terriblement dans la prison de Hamhung, objet de tortures si atroces que certains d’entre eux ont trouvé la mort au cours de l’instruction.
Si la police japonaise mettait à l’index la Société de la langue coréenne pour sa tendance indépendantiste antijaponaise, elle n’a pu cependant déceler qu’elle était sous notre influence: les intellectuels détenus avaient gardé le secret jusqu’à la fin au prix de leurs souffrances et même de leur vie.
En effet, cette société abritait en son sein une organisation clandestine regroupant des pionniers dont Ri Kuk Ro, directement liés à notre organisation. Selon mes renseignements, C
Faisant la navette entre Séoul et Changchun(en Chine—NDLR) en qualité de chef du bureau local du journal Tong-a Ilbo à Changchun, il s’est acquitté à merveille de la mission que nous lui avions assignée.
Ri Kuk Ro a été très mal traité en prison, d’autant plus qu’il prenait sur lui-même ce que faisaient ses collègues.
Après la Libération, à Séoul, loin de veiller sur sa santé si délabrée, il a, prenant comme point d’appui la Société de la langue coréenne, travaillé pour l’unité des forces démocratiques et l’édification d’un Etat indépendant et souverain.
Lorsqu’il est venu à Pyongyang participer à la Conférence conjointe d’Avril Nord-Sud20, je lui ai dit: «Avec beaucoup d’intérêt, nous avons suivi de près l’affaire de la Société de la langue coréenne. Nous nous sommes inquiétés beaucoup à la nouvelle que les Japonais vous torturaient tous les jours au point que quelques-uns d’entre vous en sont morts. En dépit de cette souffrance, les membres de l’organisation ne se sont pas laissés vaincre. Leur ferme volonté de combattre les Japonais et leur patriotisme collectif ont forcé notre admiration.»
Sur ce, Ri Kuk Ro a fait remarquer: «L’explication n’est pas ailleurs. Nous avons tenu front, car nous avions sur quoi compter. D’où peut venir notre cran, sinon du mont Paektu?» Ce disant, il m’a raconté qu’après la bataille de Pochonbo, les membres de la Société de la langue coréenne avaient vidé leurs poches pour acheter une bouteille d’alcool qu’ils ont partagée en versant des larmes de joie.
Comme Ri Kuk Ro était digne de servir de modèle dans la préservation de l’âme de la nation et était aimé à la fois des communistes et des nationalistes, nous lui avons demandé, lors de la Conférence conjointe d’Avril Nord-Sud, de prendre place à la tribune d’honneur et de donner lecture du document «Appel à tous les Coréens» adressé au peuple entier au nom des participants.
Après la clôture de la conférence, il m’a fait part de son désir de rester à Pyongyang à travailler auprès de moi. Y consentant, j’ai fait transférer sa famille de Séoul à Pyongyang. Pendant plusieurs années, il a été ministre. Une de ses qualités qui s’est révélée alors: courtois et modeste, il vouvoyait tant ses supérieurs que ses subalternes.
Il m’a été donné de lire son curriculum vitae et quel n’a pas été mon étonnement! Il avait voyagé dans tous les coins remarquables du monde tels la Chine, le Japon, l’Union soviétique, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, les Etats-Unis, et il avait même rencontré Lénine.
Cette rencontre se situait aux jours du Congrès des députés du peuple de la région extrême-orientale soviétique, convoqué à Moscou. Résidant à Shanghai, il était allé à Moscou en compagnie de Ri Tong Hui, Pak Jin Sun et autres quand il a rencontré à deux reprises Lénine au Kremlin.
Ri Kuk Ro avait rencontré aussi presque toutes les figures de renom du nationalisme. Par ailleurs, il connaissait C
Ri Kuk Ro avait été incité à aller faire ses études en Allemagne par Wilhelm Pieck, alors en séjour à Moscou. Par son entremise, Ri était entré à l’Université de Berlin où il avait obtenu un doctorat en philosop
Un jour, je lui ai demandé: «Comment cela se fait-il que vous soyez spécialisé dans l’étude de la langue coréenne alors que vous avez obtenu le titre de docteur en philosop
Il m’a répondu: «En Irlande, j’ai vu que l’anglais, et non le gaélique, était la langue officielle et que les pancartes, les panneaux de signalisation et le reste étaient en anglais. Je me suis alors demandé si notre langue serait condamnée comme la langue irlandaise. Et je me suis résolu de consacrer, de retour au pays, toute ma vie à défendre notre langue maternelle.»
L’affaire de la Société de la langue coréenne nous a causé un choc violent. En la personne des intellectuels qui bravaient la baïonnette et l’échafaud pour garder intacte l’âme de la nation, nous voyions la Corée vivante et combattante.
Pour leur part, les étudiants de l’université impériale de Kyongsong (Séoul–NDLR) se sont organisés pour militer énergiquement en faveur de la sauvegarde de l’âme de la nation.
Dès le début, les intellectuels patriotes membres de cette organisation ont levé l’étendard contre la politique d’anéantissement racial pratiquée par les impérialistes japonais et ont entrepris une lutte intrépide pour la préservation de l’âme de la nation.
Ils ont riposté aux divagations stupides des hommes de lettres projaponais et des chercheurs circonvenus et, d’autre part, profitant de moyens légaux, ils ont fait une large information en faveur des qualités de la nation coréenne.
Ils disaient: «La nation coréenne n’est ni paresseuse ni encline à des luttes fractionnelles. La cause de son mauvais sort n’est pas dans sa paresse, mais dans la conduite des Japonais qui lui prennent toutes ses richesses. Qui ose qualifier la nation coréenne d’arriérée? Par son intelligence et sa civilisation, elle se distingue tant qu’elle peut en être fière à la face du monde. Aussi cruelle que soit la répression japonaise, les Coréens préserveront leur identité nationale, quitte à le payer cher.»
Mais la parole ne peut rien faire contre la violence, telle était la leçon qu’ont tirée les intellectuels. Ils ont donc établi des bases d’opérations dans les montagnes et ont entrepris des préparatifs pour organiser des détachements armés regroupant des mineurs et des insoumis réfugiés dans le maquis pour fuir le recrutement et la réquisition.
De nombreux étudiants, hommes de science, religieux, enseignants, hommes de lettres, artistes et journalistes, regroupés dans les organisations de résistance populaire générale ont combattu ferme jusqu’au bout contre la politique d’anéantissement racial pratiquée par les impérialistes japonais. Les intellectuels en marge de ces organisations se sont élevés eux aussi, gardant leur foi, contre la politique d’assimilation des Japonais. Les chaînes ne peuvent nullement contrecarrer l’effort des intellectuels conscientisés pour défendre l’âme de la nation.
Les intellectuels de mérite qui ont laissé leur nom dans l’histoire ont tous sans exception été fidèles à leur pays et à leur nation, doués d’une volonté et d’une foi à toute épreuve. Aussi ai-je insisté à la première occasion pour que les intellectuels vouent un amour sans bornes au pays et à la nation et restent fermes dans l’adversité.
5. Pour l’union avec les forces patriotiques antijaponaises
Libérer le pays grâce à l’union de toute la nation et au rassemblement de toutes les forces patriotiques antijaponaises était l’orientation stratégique que le Président Kim Il Sung maintint invariablement au long de la lutte révolutionnaire contre les Japonais.
Dès le début de la guerre contre le Japon, il n’épargna pas son effort et sa peine pour parvenir à l’union avec toutes les forces patriotiques antijaponaises à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Et il a continué pendant la première moitié des années 1940.
J’ai fourni d’incessants efforts pour rallier les nationalistes patriotes et progressistes, en considérant cela comme une importante ligne à suivre tout au long de ma vie.
Pendant un temps, le mouvement nationaliste était, comme le mouvement communiste, une des deux composantes de la lutte de libération nationale dans notre pays. C’est le mouvement nationaliste qui a inauguré la lutte de libération nationale. Dans la première moitié des années 1940 encore, le nationalisme restait un courant d’idées et ses forces, bien que peu importantes, formaient une des composantes des forces patriotiques antijaponaises. Presque tous les nationalistes, excepté les réformistes, brandissaient comme auparavant la bannière de la lutte antijaponaise et poursuivaient leur résistance aux impérialistes japonais dans le pays et à l’étranger. D’ailleurs, ils exerçaient quelque ascendant dans le pays et sur les compatriotes d’outre-mer.
Ayant échoué dans notre effort de collaboration avec Ryang Se Bong, nous ne nous sommes pourtant pas laissés décourager; nous avons poursuivi notre tentative pour former un front uni avec les militants du mouvement nationaliste antijaponais.
A leur tour, ils ont tenté différents moyens pour nouer des liens de solidarité avec nous. Même ceux qui, parmi eux, repoussaient les communistes et les tenaient à distance avec parti pris, ont commencé peu à peu à se rapprocher de nous.
Depuis la seconde moitié des années 1930, pareils efforts de collaboration se sont généralisés, formant un courant incontestable. Lorsqu’en mai 1936, nous avions fondé l’Association pour la restauration de la patrie et entrepris de redynamiser le mouvement en faveur d’un front uni, en lançant un appel de mobilisation à la nation entière, les nationalistes avaient répondu de façon positive à notre initiative.
En voici des exemples typiques: Yun Il Pha, chef d’état-major de l’armée indépendantiste opérant en Mandchourie du Sud, nous a adressé une lettre de soutien; un certain Pak, militant indépendantiste appartenant à l’Association des résidents coréens de Shanghai, s’est rendu jusqu’en Mandchourie du Sud où il a pris contact avec Ri Tong Gwang, représentant dans cette région de l’Association pour la restauration de la patrie; un reste de l’armée indépendantiste, avec en tête C
La question se pose de savoir pourquoi les nationalistes en étaient venus à changer d’attitude et à faire grand cas de la collaboration avec nous.
En un mot, c’est que le prestige et l’influence de l’ARPC avaient augmenté. La lutte armée contre le Japon formait l’essentiel du mouvement de libération nationale en Corée et l’ARPC était le gros des forces du front de la lutte de libération nationale, le représentant suprême de la volonté d’indépendance et de la foi de la nation, l’organisateur et le guide de la lutte révolutionnaire contre les Japonais.
C’est elle qui, de toutes les forces antijaponaises de tendances diverses du mouvement de libération nationale, avait assené les plus rudes coups à l’ennemi.
Du reste, elle était la plus grande terreur des impérialistes japonais, mais l’espoir sans pareil de notre peuple.
Notre peuple voyait en l’ARPC l’unique force militante qui fût réellement en mesure de faire déguerpir l’occupant japonais du territoire coréen.
Les anciens assistants de Kim Ku raconteront qu’à la nouvelle de la bataille de Pochonbo où l’impérialisme japonais a subi une défaite, leur chef a exulté, se répandant en acclamations.
A l’époque, l’organe du parti révolutionnaire national de Corée à Nankin a relaté en détail la bataille de Pochonbo sous le titre d’«Heureuses nouvelles du mouvement armé révolutionnaire coréen». La rédaction du journal a envoyé ces informations jusqu’au bureau local de Hamhung du Joson Ilbo. Cela exprimait le soutien, la sympat
Quant à Kim Ku, il avait cherché de bonne heure les moyens d’entreprendre une résistance armée.
L’association des soldats-travailleurs qu’il avait organisée au début des années 1920 était en réalité une organisation tendant à la résistance armée. Il avait de l’aversion pour ceux qui cherchaient à obtenir l’indépendance de la Corée grâce à la formation de forces non-violentes ou par des moyens diplomatiques.
Il regrettait de ne pas pouvoir lever une importante armée pour entreprendre une vraie lutte armée. Aussi notre lutte retenait-elle son attention, lui inspirant de grands espoirs.
Au lendemain de la Libération, Joson Tongrip (indépendance de la Corée —NDLR), journal des résidents coréens paraissant à Los Angeles, a publié un article critiquant Kim Ku. Selon le journal, les Coréens des Etats-Unis avaient envoyé à Kim Ku, répondant à son appel, un gros fonds de guerre destiné à l’armée de Kim Il Sung et à l’armée des volontaires coréens, mais sous prétexte des troubles causés par la guerre, il l’avait dépensé entièrement, au lieu de le remettre aux ayants droit.
Si Kim Ku ne l’a pas remis, je crois comprendre pourquoi. Pour remettre l’argent, il aurait fallu se servir de notre réseau clandestin, mais il avait dû lui être très difficile de le dépister.
Le fait qu’il ait lancé un appel à la contribution en notre faveur m’a persuadé des efforts qu’il faisait d’une façon ou autre pour aider notre lutte armée.
La bataille de Jiansanfeng aussi a eu de profondes répercussions chez les indépendantistes coréens de Chine intérieure.
Si les organisations du mouvement national d’outre-mer nous ont témoigné une attention qui a augmenté d’un coup et ont entrepris des démarches jamais vues pour s’unir avec les communistes, cela tenait à ce que nous avions fondé l’Association pour la restauration de la patrie en proclamant le Programme en dix points, acceptable par tout le monde comme programme commun de la nation.
En ce temps-là, du fait des différences d’idéologie, d’opinion et de méthode de lutte, les forces patriotiques antijaponaises de Chine intérieure restaient divisées principalement en deux groupes. L’un était le groupe de Kim Ku, groupe des nationalistes, l’autre, celui de Kim Won Bong, groupe du front populaire, l’aile gauche du mouvement indépendantiste à tendance communisante.
Chacun des deux entretenait des rapports indépendants avec le Guomindang de Jiang Jieshi, la commission militaire du gouvernement guomindanien et le Parti communiste chinois.
Deux choses restaient à obtenir pour former un front uni avec les indépendantistes coréens opérant en Chine intérieure. D’abord, il faudrait que les organisations antijaponaises des Coréens ne fassent qu’un. Autrement dit, qu’elles passent outre à leurs différences d’idéologie, d’opinion et de méthode d’action pour former un front uni sous la bannière de la lutte patriotique contre les Japonais. Ensuite, il fallait mettre en œuvre, sur des bases nouvelles, la collaboration entre nous et toutes les forces antijaponaises regroupées dans ce front uni.
Nous avons poursuivi invariablement nos efforts dans cette perspective après avoir fondé l’Association pour la restauration de la patrie et surtout après l’éclatement de la guerre sino-japonaise, quand nous avons redoublé de dynamisme et d’initiative dans ce domaine.
Après l’éclatement de la guerre sino-japonaise, une deuxième collaboration a été conclue entre le Guomindang et le Parti communiste chinois, attirant beaucoup l’attention en Chine et à l’étranger. Cela a marqué une phase nouvelle de la guerre de résistance pour le salut national menée par le peuple chinois et stimulé notablement la révolution chinoise.
Dans cette conjoncture, en septembre 1940, le groupe de Kim Ku et celui de Kim Won Bong, divisés à leur tour en petits partis, ont réussi à former un front uni, publiant même une déclaration conjointe qui contenait de nombreuses idées identiques à celles de la Déclaration constitutive et du Programme en dix points de l’ARP. Plus tard, le gouvernement provisoire coréen à Shanghai a intégré le groupe de Kim Won Bong, inaugurant ainsi la collaboration entre la droite et la gauche.
Ces changements intervenus au sein du mouvement national ont forcément retenu notre attention.
Dans la première moitié des années 1940, nous nous sommes attachés à regrouper les forces patriotiques antijaponaises de Corée et du Japon, d’une part, et d’autre part, nous avons tenté autant que possible par différentes voies de rallier celles de Mandchourie et de Chine intérieure.
Plus la guerre du Pacifique et la guerre sino-japonaise gagnaient en âpreté, plus le Japon s’enfonçait dans le gouffre de la ruine. Des événements se succédaient un peu partout, annonçant sa défaite.
La situation dramatique exigeait que toutes les forces antijaponaises dans le pays et à l’étranger s’unissent en vue de la bataille décisive finale contre les Japonais. L’histoire des dizaines d’années de lutte contre le Japon avait persuadé les masses populaires qu’un regroupement actif des forces nationales transcendant les différences d’idéologie et d’appartenance politique était le seul moyen de hâter la libération du pays.
Parvenir à ce regroupement pour préparer les forces de résistance de tout le peuple était à la fois notre devoir historique et l’aspiration commune des patriotes de toutes les couches sociales et des masses populaires.
S’agissant des changements intervenus dans le mode d’action des indépendantistes et dans la tendance de l’opinion publique dans les années 1940, la police japonaise nota dans ses documents:
«Les mouvements des Coréens dans le pays et à l’étranger tendent à obtenir l’indépendance de la Corée grâce à la mobilisation de tous les Coréens, qu’ils soient nationalistes ou communistes. Cet objectif se précise toujours davantage. Ceux qui sont sous la protection de Chongqing ou des Etats-Unis, et ceux qui sont sous la tutelle de l’Union soviétique ou du Parti communiste chinois se proposent comme objectif final l’indépendance de la Corée.» [Document policier adressé par le directeur de la police du gouvernement général de Corée aux préfets de police de toutes les provinces, mai 19 de Showa (1944)]
«Traits spécifiques des affaires d’opinion.
Les mouvements tendent principalement à lutter pour l’indépendance de la nation coréenne, objectif essentiel, sans tenir compte comme jusque-là de la diversité des idéologies et des opinions. Aussi, les rapports d’opposition de jadis à l’égard du mouvement communiste font-ils place à un rapprochement poussé, des cas fréquents témoignant de la fusion et de la collaboration entre nationalistes et éléments de gauche.» [Rapport mensuel de la section des affaires extérieures de la haute police de sécurité n° 51, p. 5, service de la sécurité de la direction de la police du gouvernement général de Corée, mars-avril 19 de Showa (1944)]
Le gouvernement provisoire coréen de Shanghai était l’une des organisations auxquelles nous avons prêté attention pour nous lier aux forces patriotiques antijaponaises de Chine intérieure.
Après que les troupes japonaises aient attaqué la Chine proprement dite, le gouvernement provisoire coréen a changé fréquemment de siège, car il a dû suivre le gouvernement du Guomindang. Aussi était-ce à peine s’il parvenait à faire connaître son identité, tant il était incommodé. Au dire de ceux qui y ont servi, ils étaient presque toujours par monts et par vaux. Parfois, ils se mettaient en route, quittant l’hôtel pour fuir les affres de la guerre, avant même d’avoir eu le temps d’ouvrir leurs malles.
Déjà accablé par les incessantes querelles fractionnelles et les complications de la révision de la Constitution et des remaniements ministériels, le gouvernement provisoire souffrait également de la précarité des conditions d’existence et du danger que courait la sécurité du personnel.
Kim Ku lui-même racontera: «En raison de ses difficultés économiques, le gouvernement avait du mal même à garder son nom. Il n’avait à payer que 30 yuan comme loyer et 20 yuan comme mensualité aux serviteurs, mais il n’était pas en mesure de le faire au point que le propriétaire m’a poursuivi maintes fois en justice.
Je couchais sur le plancher du siège et j’allais de porte en porte chez des compatriotes qui avaient un métier lucratif pour avoir de quoi manger. J’étais plus mendiant qu’un mendiant!»
En 1940, le gouvernement provisoire a mis un terme à son existence errante et s’est installé à Chongqing, lieu d’évacuation du gouvernement de Jiang Jieshi, où il mènera une vie quelque peu stable. C’est là d’ailleurs qu’il a organisé son armée de restauration, ce qu’on pourrait considérer comme un progrès dans ses activités.
Une publication paraissant sous le contrôle de l’armée de restauration donnait parfois des informations sur les combats de l’ARPC et les activités des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est, en me nommant ainsi que Yang Jingyu, Zhao Shangzhi et d’autres.
L’armée de restauration n’était cependant qu’une force rudimentaire du point de vue de son ancienneté, de sa constitution et de ses armements. Les membres du gouvernement provisoire eux-mêmes considéraient comme limitées les perspectives de développement de leurs forces armées. Analysant la situation des forces antijaponaises d’outre-mer, Ri Chong Chon avouera que le gouvernement provisoire a eu du mal à prendre l’hégémonie, qu’il a vu intervenir la libération du 15 Août sans avoir fait aucun préparatif. Cela reflète certainement la situation où se trouvait ce gouvernement.
Voici un passage d’un document de la police japonaise sur l’armée de restauration:
«La constitution de l’armée de restauration est, en dépit de la propagande tapageuse du gouvernement provisoire, très faible: chaque détachement ne compte qu’une dizaine d’hommes, excepté le 5e détachement qui en dénombre 50 mais dont 20 sont des anarchistes rattachés à Ra Wol Han, les autres étant d’anciens prisonniers coréens, des illettrés qui ont fait le commerce des stupéfiants, donc trop indignes pour qu’on s’attende à des actions valables de leur part.» [Section de la haute police de la préfecture de police de la province du Hwang
Quoi qu’il en soit, nous avons tenté de nous unir à eux. Nous étions d’avis que si la collaboration devenait possible avec le groupe de Kim Ku, ses forces armées pourraient intervenir dans la campagne finale pour la libération de la Corée.
Au début, Kim C
C
Kim Won Bong a organisé ce qu’il appelait groupe Uiryol (des patriotes ardents) qu’il faisait se livrer à des assassinats et à des actes de sabotage en Corée, en Chine du Nord-Est et en Chine intérieure.
Par la suite, il a organisé une prétendue troupe de volontaires coréens dont le premier contingent était sous les ordres de Pak Hyo Sam, celui-là même qui sera temporairement, au lendemain de la Libération, directeur de l’Ecole centrale des cadres de la sécurité. Ce contingent comptait quelque 40 hommes.
Kim Won Bong avouera que la troupe de volontaires coréens était si peu importante et si mal équipée qu’elle ne pouvait guère opérer en toute indépendance. Elle se mêlait aux troupes chinoises où elle se livrait, s’aidant d’un haut-parleur, à la propagande contre la guerre et cherchant à désagréger les troupes ennemies.
Malgré l’insuffisance de la taille et de l’équipement de cette troupe, nous avons fait cas de son aspiration à vaincre les impérialistes japonais par la force.
Nous avons prêté attention aussi à la Ligue pour l’indépendance de Corée et à l’armée des volontaires coréens opérant en Huabei (Chine du Nord).
Mu Jong y remplissait un rôle important. Du reste, il est censé avoir contribué à l’édification de l’Armée rouge de Chine et à la lutte de libération du peuple chinois.
A son retour en Corée après la libération du pays, il sera ministre adjoint de la Défense nationale, puis commandant en chef de l’artillerie.
Quand il sera de retour dans le pays, je lui choisirai une résidence près de la mienne.
Il prendra part à l’organisation des forces armées et apportera sa pierre à l’édifice. Mais comme il était pétri d’autoritarisme militaire, pendant la guerre de Libération de la patrie, il sera critiqué et obligé de quitter ses fonctions.
En dépit de sa destitution, lorsqu’il sera gravement malade, nous prendrons toutes les mesures possibles pour son rétablissement. Il sera envoyé à l’hôpital géré par des médecins roumains à Changchun en Chine. Par la suite, comme il voudra finir ses jours à côté de nous, nous le ramènerons au pays et lorsqu’il aura expiré, je ferai célébrer solennellement ses funérailles eu égard à ses mérites.
Lors de notre premier rendez-vous, il m’avait dit: «J’ai souvent entendu parler de vous, Général Kim. Cela me donnait du courage. Mon cœur se dilatait de joie à la pensée qu’il y avait un commandant qui faisait frémir de peur ces sacrés Japonais. Mon corps était dans la 8e armée de route, mais mon cœur était toujours au mont Paektu. J’ai fait diverses tentatives pour prendre contact avec vous, en me demandant si l’armée des volontaires coréens ne pouvait se joindre à vos troupes, si elle et l’ARPC ne pouvaient combattre en commun pour anéantir les impérialistes japonais.»
Voici un document officiel des impérialistes japonais sur les activités menées par le détachement de Huabei de l’armée des volontaires coréens pour se mettre en relation avec le camarade Kim Il Sung:
«Les mouvements du détachement de Huabei de l’armée des volontaires coréens:
...Vers mai et juin 1941, on a créé le détachement de Huabei de l’armée des volontaires coréens...
Plus tard, il a commencé à opérer dans la région de Beijing-Hankou sous notre occupation d’une part, pour se faire des camarades et faire toutes sortes de propagande factieuse et, d’autre part, pour collaborer avec Kim Il Sung, insoumis coréen en Mandchourie, et établir des liaisons avec les camarades de la Corée... Il a publié une déclaration qui dit: nous resserrerons l’union de nos rangs et poursuivrons invariablement notre lutte contre les Japonais pour la libération de la nation coréenne en collaboration avec les 200 000 Coréens résidant en Huabei, les révolutionnaires, les organisations révolutionnaires et les troupes armées de Chine du Nord-Est et du pays (Corée).» [Section de la haute police de la préfecture de police de la province du Hwang
Dans les années 1940, Ho Jong Suk, qui sera au lendemain de la Libération ministre de la Culture et de l’Information, la première à ce poste, se trouvait à Yanan.
Selon elle, les nombreuses figures en vue parmi les militants coréens se trouvant à Yanan soupiraient après nos troupes. Elle nourrissait elle aussi tant de sympat
Ses propos m’ont fait mieux comprendre que les militants et autres patriotes coréens de Chine intérieure avaient recherché avec ardeur la collaboration avec nous alors que nous cherchions un moyen de prendre contact avec eux à l’intérieur de la Chine.
Accompagnant la 8e armée de route, ils ont organisé des opérations de désagrégation à l’égard de l’ennemi, visant surtout les jeunes Coréens servant dans l’armée japonaise.
De vive voix, ils leur lançaient des appels du genre: «Ne laissez pas les Japonais faire de vous des pare-balles! Osez déserter l’armée japonaise!» Ils exhortaient notamment ceux du front nord à aller rejoindre l’armée des volontaires coréens ou la 8e armée de route, ceux du front central ou sud, la troupe des volontaires coréens ou la 4e armée nouvelle, et ceux qui se battaient en Mandchourie, les troupes de Kim Il Sung.
D’autre part, ils annonçaient les faveurs promises aux conscrits coréens insurgés: telle somme d’argent et trois années de privilège sur les articles d’usage courant pour ceux qui viendraient, munis d’une mitrailleuse lourde; telle somme d’argent pour ceux qui apporteraient une mitrailleuse légère, un lance-grenades ou un fusil; le droit de s’instruire selon leur désir ou de se faire soigner au besoin pour ceux qui se rendraient. Ces opérations de désagrégation se révélaient, disait-on, très efficaces.
Parmi les Coréens patriotes militant en Chine intérieure figuraient communistes et nationalistes. Ils aspiraient tous à nouer des relations de solidarité et de collaboration avec nous, faisant abstraction des différences d’idéologie et d’opinion, chose digne d’appréciation à tous égards.
Pour notre part, nous nous sommes refusés à diviser et à discriminer les gens. Nous étions d’avis que pouvaient collaborer avec nous tous ceux qui nourrissaient des aspirations patriotiques, qu’ils soient sous l’influence du Parti communiste chinois ou sous la protection de Jang Jieshi.
Plusieurs pistes étaient à notre disposition pour nous mettre en relation avec la Chine intérieure: la ligne des autorités militaires soviétiques ou de l’Internationale, la ligne de liaison dont se servaient les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est pour faire des envois. De même, nous pouvions envoyer nous-mêmes un agent de liaison là où il le fallait.
Pendant notre lutte armée en Chine du Nord-Est, nous avons eu recours à plusieurs voies pour nous lier avec la Chine intérieure. D’abord, la voie de communication de la 7e armée des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est dans la région de Raohe et de Donggang, ensuite la voie internationale menant à Yili dans la province du Xinjiang, à Lanzhou dans la province du Gansu et à Yanan. Une troisième voie encore, c’était la route des partisans allant de Donbiandao en Mandchourie à la frontière entre la Mandchourie et la Chine intérieure.
A la base d’entraînement en territoire soviétique séjournaient alors entre autres Liu Yalou, Lu Dongsheng et Wang Peng. Les deux premiers avaient été généraux de division dans l’Armée rouge en Chine intérieure, puis, après avoir fait des études en Union soviétique, étaient venus donner des cours dans les forces alliées internationales au lieu de retourner à Yanan. Le troisième était agent de liaison du Parti communiste chinois. J’ai décidé de leur confier, s’ils devaient retourner en Chine intérieure, une lettre adressée aux Coréens militant à Yanan et à Chongqing.
Or, ces trois hommes ne sont pas retournés à Yanan avant la défaite japonaise.
Liu Yalou était chef d’état-major de l’armée du Nord-Est lors de la campagne de libération de la Chine du Nord-Est et, plus tard, il deviendra commandant des forces aériennes de l’Armée populaire de libération de Chine.
Lu Dongsheng est resté lui aussi en Chine du Nord-Est où il était commandant de la région militaire de Songjiang. On l’appelait également Song Ming, me semble-t-il. Il est tombé au champ d’honneur à la fin de 1945.
Nous avons fait aussi des tentatives pour nous mettre en liaison avec la Chine intérieure par la voie de petits détachements partant pour la Chine du Nord-Est et par le truchement d’organisations clandestines.
J’ai prêté attention à Ho Jong Suk comme Kim C
L’importance particulière que nous attachions à Ho s’expliquait non seulement par ses antécédents de combattante patriote que nous appréciions, mais également par le fait qu’elle était la fille de Ho Hon, avec lequel Kim C
En outre, à l’organisation clandestine de Sinuiju auparavant animée par Kang Pyong Son, membre de l’Union pour abattre l’impérialisme, nous avons donné l’ordre de se lier avec la Chine intérieure. Sur cet ordre, l’organisation a chargé un agent opérant à Tianjin d’ouvrir une voie de liaison à l’ARPC dans la région de Chongqing et de Yanan.
Celui-ci s’est donné beaucoup de mal, m’a-t-on dit, pour établir un point de liaison devant servir à notre collaboration avec cette région.
La police japonaise recueillit plusieurs renseignements sur les démarches faites par le Président Kim Il Sung à l’époque de l’Armée alliée internationale pour former un front uni national avec les forces patriotiques antijaponaises coréennes de Chine intérieure et un front anti-impérialiste commun avec les forces antijaponaises chinoises dont le Parti communiste.
«Activités de Kim Il Sung:
Kim Il Sung qui séjourne actuellement à l’école de campagne Okeanskaya près de Vladivostok dans la région extrême-orientale soviétique opère secrètement pour réunir les insoumis coréens de Mandchourie. Selon nos derniers renseignements, il est en train de se préparer, en vue d’agir en accord avec le bombardement aérien de Mandchourie et de Corée par l’aviation américaine basée en Chine selon un accord secret américano-soviétique sur la collaboration, à infiltrer des agents dans les principales régions mandchoues et coréennes avec mission d’empêcher les transports militaires par la destruction des chemins de fer et de semer la confusion dans l’opinion publique.
Autrement dit, Kim Il Sung a visité deux fois Moscou, à la mi-juin, puis est allé à Chongqing et à Yanan discuter divers problèmes avec les ambassades de l’Union soviétique et des Etats-Unis en Chine et l’organisme concerné du Parti communiste chinois. Après quoi, il a réformé, pour faire face à l’avenir... le groupe de destruction des chemins de fer et l’équipe d’action morale en y intégrant les bandits coréens et mandchous des Armées antijaponaises unifiées qui avaient opéré dans le bassin du fleuve Amnok, qu’il instruit et entraîne aux environs de Khabarovsk en Union soviétique en vue d’opérations subversives.» [Rapport mensuel de la haute police spéciale de la section de sécurité du département de la sûreté du ministère japonais de l’Intérieur, novembre 19 de Showa (1944), p. 76]
Pendant que nous cherchions à entrer en liaison avec les forces patriotiques antijaponaises de Chine intérieure, celles de Chongqing ont, de leur côté, fait différentes tentatives pour se joindre à nous.
Selon An U Saeng, neveu d’An Jung Gun, qui avait été secrétaire de Kim Ku, celui-ci nous a envoyé un agent de liaison.
A mon grand regret, l’agent a dû célébrer la libération du pays à mi-chemin avant d’avoir eu le temps de fouler la terre de Mandchourie.
Selon mes informations, en décembre 1942, un certain Kim, délégué par le gouvernement provisoire, est venu jusqu’à Mudanjiang d’où il est retourné à Chongqing sans avoir pu me voir.
Les Japonais disposaient de renseignements qui font savoir que nous nous tenions en liaison avec les Coréens membres du Parti communiste chinois de Chine intérieure, aux alentours de Junggangjin, de Linjiang, de
Dans les années de l’Armée alliée internationale, nous avons également prêté attention aux forces religieuses, tout en opérant par petits détachements.
A la fin de 1942, une affaire a éclaté, la police ayant arrêté à Dongjingcheng, dans le district de Ningan, un grand nombre de croyants, y compris Yun Se Bok, 3e chef suprême de la religion Taejong (religion honorant Tangun, fondateur de la Corée antique—NDLR).
Les fidèles s’étaient livrés à des activités antijaponaises, pensant que la mission de leur religion était de secouer le joug du Japon et du Mandchoukouo pour que la nation coréenne reconstruise l’Etat coréen. Une autorité de la même religion a déclaré sans détour: «La défaite du Japon dans sa guerre pour la grande Asie orientale est inévitable. Par conséquent, il faut profiter de cette occasion qui nous est offerte pour avancer la date de la libération du pays. S’il y a Ba Maw en Birmanie, il y a Kim Il Sung en Corée. L’indépendance apportera le bonheur à la nation coréenne.»
Un jour, les camarades qui sont restés à opérer par petits détachements m’ont rapporté que la préfecture de police de la province du Mudanjiang arrêtait à tort et à travers les dignitaires de la religion Taejong. J’ai aussitôt assigné à l’association antijaponaise dépendant de la 2e colonne dont le siège général se trouvait dans le district de Ningan, la mission de déjouer les tentatives de répression de l’ennemi et de prendre les mesures nécessaires pour protéger les croyants patriotes, et de promouvoir le travail visant à rallier autour de l’organisation les forces antijaponaises des régions de Huadian, de Dunhua et d’Antu.
Alors que nous préparions une campagne contre le Japon, il y avait en Corée une organisation nationaliste antijaponaise qui éveillait particulièrement notre attention: la Ligue pour l’édification nationale de Corée, organisation antijaponaise clandestine créée par Ryo Un Hyong en 1944. Elle contrôlait une autre organisation, la Ligue des paysans, principalement composée des paysans de la région de Yangphyong dans la province du Kyonggi où était né Ryo Un Hyong.
En 1944, la répression japonaise contre les organisations nationalistes atteignait son point culminant. Devant sa défaite imminente, l’ennemi arrêtait, interrogeait et condamnait tous ceux qu’il trouvait hostiles au Japon, brandissant la loi sur la mobilisation générale de l’Etat et autres instruments de répression fasciste.
Que Ryo Un Hyong ait créé, à cette époque-là, une organisation antijaponaise dans la région de Séoul, c’était digne de son audace.
La Ligue pour l’édification nationale de Corée tenait tant à garder ses secrets que même nos agents en mission à Séoul ont ignoré un temps l’existence de cette organisation qui opérait sous leur nez. Ce n’est qu’en 1945 que nous en avons eu vent.
Dès qu’il avait créé son organisation, Ryo Un Hyong m’avait dépêché un agent de liaison et un autre à la Ligue pour l’indépendance de Corée. Malheureusement, le premier ne m’a pas trouvé tandis que le dernier, m’a-t-on dit, a réussi à prendre contact avec les personnages de la Ligue pour l’indépendance de Corée à Yanan.
L’agent de liaison ne m’a pas trouvé, j’étais alors au centre d’entraînement d’Union soviétique.
Si, après la bataille de Pochonbo, Ryo Un Hyong a cherché par différents moyens à me voir, il n’en reste pas moins que nous, de notre côté, nous sommes dépensés pour parvenir à collaborer avec lui. L’agent politique en mission à Séoul a été chargé de s’occuper de lui, notamment d’entrer en contact avec lui, dût-il faire des pieds et des mains. Cependant, à ce que j’apprendrai plus tard, il n’a pu procéder avec lui à l’échange de leurs pensées secrètes, tant celui-ci était méfiant.
Ryo Un Hyong a établi un projet pour constituer une commission militaire au sein de la Ligue pour l’édification nationale et perturber les arrières des Japonais par la lutte armée. Cela répondait d’ailleurs à la résistance du peuple entier que nous nous étions proposée.
Nos efforts pour une collaboration avec toutes les forces patriotiques antijaponaises de Chine intérieure n’ont pas eu l’aboutissement escompté: le Japon a été vaincu trop vite. Alors que le gros de l’ARPC et les organisations de résistance du pays menaient, en coopération, la dernière campagne pour la libération de la Corée, les forces armées coréennes de Chine intérieure n’étaient pas dans le coup.
Kim Ku regrettera amèrement. Il dira que la nouvelle de la capitulation du Japon, plutôt que de le réjouir, lui a donné le sentiment d’une catastrophe. Il se lamentera de voir que les préparatifs de guerre qui lui avaient coûté tant d’années de souffrances s’en allaient en fumée. Au reste, il dira avec inquiétude que lui et son groupe auraient peu de crédit, n’ayant rien fait dans les opérations finales.
Pourtant, les efforts des uns et des autres pour parvenir à la collaboration ne peuvent rester vains: s’ils n’ont pas encore abouti, ils porteront leur fruit tôt ou tard. La «Grande Ourse» s’incline devant qui se dévoue, dit-on; l’Histoire ne manquera pas de récompenser les efforts fournis pour la libération nationale.
Quant à nos efforts pour nous unir avec les forces patriotiques antijaponaises, ils ont servi au développement de l’histoire, notamment à former dans la patrie libérée un front uni des diverses couches sociales.
Aujourd’hui encore, je suis persuadé d’avoir eu raison de faire, dès le début de la lutte contre les Japonais, d’un front uni un objectif majeur et d’y donner suite.
A vrai dire, pendant un temps, il y a eu antagonisme et frictions entre les jeunes communistes et les nationalistes. Après l’incident de Wangqingmen, au cours duquel les dirigeants du Kukmin-bu comme Ko I Ho et Hyon Muk Gwan avaient fait assassiner plusieurs de nos camarades, nous avons rompu pendant quelque temps avec les nationalistes, les stigmatisant avec virulence. Certains de mes camarades ont même réclamé une rupture définitive.
Toutefois, si Wangqingmen nous faisait frémir de douleur et d’horreur, nous n’admettions pas que les crimes de quelques dirigeants réactionnaires du Kukmin-bu soient rejetés sur tout le camp des nationalistes. Refoulant notre chagrin et notre indignation au nom de notre grande cause, nous devions porter invariablement la bannière du front uni. Aussi avons-nous proclamé le passé nul et non avenu et nous sommes-nous rendus en Mandchourie du Sud pour prendre contact avec la troupe de Ryang Se Bong, reste des forces du Kukmin-bu, et avons-nous recherché un moyen de collaborer avec Kim Ku, qui était l’anticommunisme en personne.
Si nous nous étions portés à des extrêmes, en proie à des sentiments pénibles, prenant les nationalistes pour des ennemis, le front uni serait resté un mot en l’air.
L’invariable bonne volonté que nous mettions dans notre effort pour former un front uni a fini par toucher un anticommuniste invétéré comme Kim Ku.
Gare à celui qui croira que Kim Ku, nationaliste, nous ait rejoints du jour au lendemain! Et il n’a pas décidé de quitter son anticommunisme et de collaborer avec le communisme parce qu’il gardait une dent contre l’administration militaire américaine qui refusait de reconnaître le gouvernement provisoire ou pour la seule raison qu’il était en froid avec Syngman R
Comme le montrent les faits, tous ceux auxquels nous avions montré un intérêt favorable depuis longtemps se sont ralliés, après la Libération, sous la bannière du front uni. Voyez les personnalités politiques qui ont pris part à la Conférence conjointe Nord-Sud en avril 1948: Kim Ku, Kim Kyu Sik, Jo So Ang, C
Ryo Un Hyong, protagoniste de la Ligue pour l’édification nationale de Corée, est venu me voir à Pyongyang; les dirigeants de la Ligue pour l’indépendance de Corée y sont venus eux aussi avec leurs collègues; et Kim Won Bong aussi, qui sera ministre du Contrôle national, le premier à occuper ce poste.
Dans la partie nord de la Corée a été fondé dès 1946 le front uni national démocratique regroupant les forces patriotiques de tous les partis, groupes et couches sociales.
Notre volonté de grande union nationale s’est raffermie au temps des préparatifs pour la campagne finale contre le Japon. Sinon, n’eût été ce raffermissement de volonté, il nous aurait été impossible, après la Libération, d’amener au front uni avec tant de patience les forces patriotiques de toutes les couches sociales à l’intérieur et à l’extérieur du pays, aux idéologies, aux opinions et aux antécédents si divers, dans un contexte où le patriotisme était aux prises avec la trahison, le progrès avec le conservatisme, la démocratie avec la réaction.
Notre nation, exposée en permanence aux menaces extérieures, doit faire d’une grande union nationale sa devise première. Selon que tous les Coréens suivront ou non ce principe, la nation prospérera ou déclinera.
Les profondes racines historiques de notre politique d’une invariable équité en faveur de la priorité de l’identité nationale sur les différences d’idéologie, d’idéal, d’opinion politique et de régime, de même que nos nombreuses réalisations et expériences sans prix dans ce domaine permettent aujourd’hui de proposer une plate-forme telle que le Programme en dix points pour une grande union de toute la nation en faveur de la réunification de la patrie et d’inciter avec fruit la nation tout entière à cette œuvre glorieuse.
6. Au-delà du détroit de Corée
Dans la première moitié des années 1940, nous accélérions par tous les moyens nos préparatifs de la libération nationale: nous avions formé une puissante résistance générale dans le pays, et nous veillions soigneusement à amener nos organisations révolutionnaires implantées au Japon à jouer un rôle important dans cette résistance.
Nos activités au Japon ont suivi deux orientations: rajuster les réseaux de l’ARP (Association pour la restauration de la patrie) et de diverses autres organisations antijaponaises sans cesser d’en créer de nouvelles, de façon à soutenir l’ARPC dans ses ultimes opérations, d’une part et de l’autre, envoyer dans le bastion même de l’impérialisme japonais des agents spéciaux de l’ARPC pour recueillir des renseignements militaires afin de parfaire les préparatifs de notre dernière campagne contre le Japon.
En fait, c’est dès la seconde moitié des années 1930 que nous avions commencé à envoyer nos agents politiques au Japon. A l’époque, le gros de l’ARPC opérait dans la région du mont Paektu et dans celle de Xijiandao où nous nous étions dès lors efforcés d’implanter un réseau de l’ARP. «Dressons une batterie de la révolution au cœur même du camp ennemi», tel était le mot d’ordre des communistes coréens dès le début de leur lutte armée.
Pour aller opérer au Japon, nos agents politiques devaient être déterminés à affronter la mort. Au mieux, c’était la prison, sinon l’échafaud qui les attendaient. De plus, l’accès au Japon n’était possible que par voie maritime, et cette voie était couverte de policiers en uniforme ou en civil, d’agents et d’espions. Pénétrer au Japon par une voie aussi étroitement gardée n’était pas une tâche facile. Cependant ce n’était pas une raison pour y renoncer.
Voici un document rédigé par le département de la sûreté du ministère de l’Intérieur du Japon, qui parle d’intenses activités de reconnaissance entreprises par l’ARPC au Japon.
«Acte sur l’envoi par Kim Il Sung d’un espion spécial en Corée et au Japon.
Il semble que les manœuvres de la bande de Kim Il Sung, Coréen rebelle en Mandchourie, sont toujours très actives. Récemment, notre envoyé spécial en Corée nous a transmis les renseignements suivants. La prise de mesures de surveillance rigoureuses s’impose face aux circonstances.
En particulier, il faut renforcer la garde des ports, la surveillance mobile par la police sur les chemins de fer et dans les préfectures.
1. But de l’envoi
Cet agent spécial, bandit communiste, envoyé spécialement d’Union soviétique, doit se livrer à l’espionnage en Corée et au Japon.
2. Destination
Divers points d’importance militaire sur les lignes ferroviaires Tumen–Jiamu, et Fengtian–Jilin
Importants ports de Corée (Chongjin, Rajin, Pusan, Mokpho, Wonsan, Kunsan, Sinuiju) et du Japon (Shimonoseki et Tsuruga)
3. Age, tenue, bagage à main de l’espion
Age: Coréen résidant en Mandchourie, 20 à 25 ans
Tenue: Habit au col croisé, couleur kaki, bottines.
Bagage à main: Valise avec plusieurs numéros de revues politiques, économiques, littéraires et artistiques, et un nécessaire de toilette, etc.
Le reste n’est pas encore éclairci. L’espion parle couramment le japonais et semble avoir de l’expérience des métiers d’instituteur et de policier. Ne diffère guère d’un Japonais par son parler et son comportement.» [Département de la sûreté du ministère de l’Intérieur, le 8 novembre 16 de Showa (1941)]
Nous avons accordé de l’importance au Japon parce que c’était le bastion et le centre de la domination coloniale de l’impérialisme japonais. Ebranler ce centre, ce serait porter un coup dur au cœur même de l’ennemi, ce serait hâter la démolition de sa domination coloniale.
Il fallait sensibiliser et organiser les Coréens résidant au Japon, en particulier les nombreux jeunes Coréens qui y avaient été amenés de force, si nous voulions recueillir des renseignements militaires et politiques pour nos ultimes opérations imminentes contre le Japon, libérer des griffes du fascisme japonais ces jeunes Coréens condamnés à lui servir de chair à canon, et les gagner à la révolution.
Il y avait d’assez importantes forces antijaponaises au Japon pour entreprendre la lutte, de même que les forces de Corée et d’outre-mer, et soutenir l’ARPC dans ses dernières opérations contre l’impérialisme japonais.
Les appellations des ères des divers empereurs japonais semblent exprimer le bon vouloir de ceux-ci envers les étrangers. «Meiji», «Taisho», «Showa» sont toutes de bon augure. Cependant, à l’ère Showa, le Japon a transformé les pays voisins en abattoirs d’hommes et, devenu bourreau international, a imposé malheurs et souffrances incalculables à des centaines de millions d’hommes. L’empereur Meiji, la tête serrée d’un bandeau portant l’inscription «gouvernement de brillante harmonie» a incité les samurai en leur criant: «Occupez la Corée, occupez l’Orient, occupez le monde entier!» C’est à l’ère Meiji que le Japon a fait la guerre aux Qing et à la Russie pour leur arracher nombre de concessions. C’est aussi à cette époque-là qu’il a envahi la Corée par la force des armes et s’en est emparé au vu et au su de tout le monde. A l’ère Taisho également, le Japon a commis beaucoup de forfaits.
Le long de l’histoire, les impérialistes japonais ont pressuré et sucé les Coréens jusqu’à la moelle et ont fait d’eux tout ce qu’ils voulaient.
Dès le début de leur séjour forcé au Japon, les Coréens étaient traités comme des bêtes. Aucun autre pays ne pourrait égaler le Japon pour traiter les hommes ainsi inhumainement, comme des c
Ce n’est pas de leur gré que les Coréens sont allés au Japon. Des soldats et des policiers japonais arrêtaient les passants, les chargeaient dans des camions comme des sacs et filaient. Parmi les victimes, certains avaient été emmenés en sous-vêtements en pleine nuit.
Après avoir pris de force les gens, ils les faisaient aligner à la militaire, les tenaient sous une surveillance étroite sans la moindre liberté de mouvement. Sur le bateau et dans le train, ils postaient des gardes même devant le cabinet de toilettes.
Les Japonais ont souvent parlé d’«égalité entre Coréen et Japonais» chez nous, comme s’ils avaient l’intention de traiter les Coréens à leur égal; mais ce n’était qu’une parole en l’air. Si c’était leur vraie volonté, pourquoi les Japonais ont-ils brutalisé tant de Coréens au Japon comme des bêtes de somme?
Dans les œuvres littéraires consacrées à l’ancien Japon, on rencontre de temps à autre le terme «Takobeya», qui signifie «maison de poulpe» ou «chambre de poulpe». La pieuvre vit dans une cavité de rocher. Les ouvriers de chantiers de construction à Hokkaïdo appelaient leur dortoir «Takobeya». Les gens y étaient si à l’étroit que l’on se dirait dans un vase servant à la culture de germes de soja. Comme ils couraient un gros risque en l’appelant «cellule de prison», ils préféraient l’appeler allégoriquement «chambre de poulpe».
Les baraques des ouvriers coréens étaient appelées «baraques des péninsulaires», c’est-à-dire baraques des gens de la péninsule coréenne. Et elles étaient pires que le «Takobeya», disait-on. La nuit, on fermait la porte à clef de l’extérieur, et postait plusieurs c
Si les ouvriers coréens parlaient leur langue entre eux, les Japonais tombaient sur eux avec des sabres de bambou ou des manches de pioche. Quant à ceux qui tentaient de s’évader, ils leur enfilaient une corde dans le nez et les promenaient par les rues. Les entrepreneurs et les patrons japonais poussaient leur cruauté jusqu’à torturer des Coréens; ils leur faisaient des entailles au dos à coups de couteau et y mettaient des boules de plomb chauffées, voire ils assommaient des ouvriers sur le chantier et jetaient leurs corps dans les eaux du fleuve ou dans du mortier.
Les Coréens fiers de leur identité nationale pouvaient-ils avaler de tels affronts et supplices? Le Coréen est bon et candide, mais aussi ferme et courageux.
Le nombre des Coréens emmenés au Japon par voie de recrutement ou de réquisition montait à un million et quelques centaines de mille, et ils nourrissaient tous un rêve. Lequel? Celui de faire tomber le Japon. Quand l’armée de guérilla antijaponaise marcherait sur la Corée, ils se soulèveraient pour abattre les Japonais.
Ce rêve n’était pas seulement celui des ouvriers mais aussi des étudiants coréens au Japon. Ils étaient plus de dix mille, nombre assez important.
Le cœur me fendait chaque fois que parvenaient les nouvelles des malheurs et souffrances que subissaient mes compatriotes au Japon. Soit dit en passant, les Coréens en Mandchourie bénéficiaient tant soit peu de notre protection, mais ceux du Japon, non. Peut-être, est-ce pour cela que nous éprouvions plus de compassion pour eux?
Mais à quoi bon la seule compassion? Pourrait-elle les sauver? La compassion est facile. Le plus précieux cadeau que les communistes puissent offrir aux masses exploitées et opprimées, c’est l’organisation. Elle seule peut sauver le peuple malheureux.
Il y avait au Japon bon nombre d’organisations de Coréens: certaines d’obédience communiste, d’autres d’obédience nationaliste; d’autres encore qui se proposaient d’éclairer le peuple, et des organisations d’étudiants, etc.
Les étudiants coréens ont joué un rôle important dans le mouvement antijaponais au Japon même. Ils avaient créé une organisation appelée «Association des étudiants coréens de Tokyo», et rédigé le manifeste de l’indépendance coréenne à la veille du Soulèvement populaire du Premier Mars. Une copie en était parvenue en Corée et avait donné un vif impact aux indépendantistes.
Quand le Japon avait occupé la Corée par la force des armes, un grand nombre d’étudiants en place à Tokyo et à Kyoto étaient retournés au pays en signe de protestation, dit-on. A ce seul fait, on peut voir combien vif était l’esprit de résistance des étudiants coréens.
D’obédience nationaliste, leur mouvement au Japon voulait affronter l’ennemi par des méthodes passives – pétition, manifestation, amélioration de soi –, mais il exerçait une influence non négligeable sur nos compatriotes.
Pak Ryol, anarchiste renommé, avait lui aussi étudié au Japon. Il avait été condamné à perpétuité sous l’inculpation d’attentat à la personne de l’empereur nippon et a passé plus de vingt ans en prison avant la Libération.
Bon nombre de fondateurs du Parti communiste coréen en 1925 avaient fait leurs études au Japon. Dès que le marxisme avait pénétré au Japon, ils avaient créé des organisations ou associations pour l’étudier et le diffuser.
Déjà au début des années 1930, on comptait plus de 30 organisations d’obédience communiste de Coréens au Japon, regroupant des milliers d’adhérents. Elles constituaient une section du Parti communiste japonais.
Sous l’influence de la nouvelle idéologie, le mouvement ouvrier s’est également développé parmi les Coréens du Japon. A Osaka existait par ailleurs une organisation d’industriels nationalistes appelée «Guilde Tong-a». Les Coréens avaient aussi fondé nombre d’organisations religieuses; l’Association Singan par exemple avait une section au Japon.
Ainsi, les Coréens du Japon disposaient d’un large éventail d’organisations. Elles différaient par leur idéologie et leur mode d’activités. Certaines d’entre elles se bornaient à sensibiliser leurs compatriotes, à promouvoir entente et assistance mutuelles.
Cependant, dans la perspective de la résistance d’ensemble du peuple, nous estimions chacune d’elles comme un fonds précieux. Eveiller les associations qui se contentaient d’éclairer leurs compatriotes et les engager plutôt dans la lutte révolutionnaire, cela n’était pas un problème: toutes les organisations souhaitaient combattre les Japonais et le reste ne dépendait que de nos efforts.
Les diverses organisations de nos compatriotes au Japon représentaient autant de bombes à retardement larguées au cœur même de l’impérialisme japonais; c’était à nous d’y mettre le feu.
Et nous avons tourné notre regard là où se trouvaient concentrés des centaines de milliers d’ouvriers coréens et le gros des forces antijaponaises.
Y envoyer nos agents était une tâche pressante pour lier le mouvement de ces Coréens contre le Japon à notre lutte armée contre le Japon et exercer une direction unifiée sur le mouvement de masse des Coréens qui se poursuivait de façon spontanée et sporadique et aussi pour développer ce mouvement en lui imprimant des améliorations qualitatives en accord avec les changements de situation.
Nous avons emprunté principalement la voie de navigation Pusan–Shimonoseki et celle Chongjin–Tsuruga pour envoyer nos agents au Japon. Aux agents politiques importants qui devaient rester longtemps cachés, nous avons fait faire un long détour par des ports d’un tiers pays.
Ceux qui pouvaient fréquenter le plus aisément le Japon, c’étaient les étudiants. Qui avait de l’argent pouvait aller, avec une valise ou une mallette d’osier sous le bras, étudier au Japon. C’était un courant de l’époque.
J’avais confié à Pak Tal et à Kim Jong Suk le soin de trouver parmi les étudiants ceux qui pourraient devenir nos agents. Ainsi Kim Jong Suk a-t-elle appris que des jeunes de Phungsan faisaient leurs études au Japon tout en gagnant leur vie et qu’ils avaient une organisation à Tokyo.
Si on réussissait à transformer l’organisation des étudiants coréens qui se trouvait dans la capitale du pays ennemi, on pourrait dégager un chemin pour sensibiliser les Coréens à la révolution depuis le centre du Japon.
La région de Keihin avec Tokyo-Yokohama comme centre était une zone industrielle importante et la plus peuplée du Japon. Y vivaient aussi la plupart des étudiants et des ouvriers coréens.
J’ai donné à Kim Jong Suk le Programme en dix points de l’ARP en disant: «Prenez contact avec les étudiants originaires de Phungsan et trouvez le moyen de gagner leur organisation à Tokyo à notre cause.»
Elle a transmis à Ju Pyong Pho nos intentions et discuté avec lui du moyen de rallier l’organisation d’étudiants de Tokyo.
La personne que Ju avait choisie pour envoyer au Japon était précisément Ri In Mo, dit-on.
L’organisation constituée par des étudiants de Phungsan à Tokyo portait le nom d’Amicale des étudiants-travailleurs de Phungsan à Tokyo. Ses membres se réunissaient souvent, discutaient de la situation, se lamentaient sur leur sort, exposaient leurs impressions de lecture. Au reste, l’amicale procurait des emplois à ses membres chômeurs. C’était à cent pour cent une amicale, rien de plus.
Si elle accusait tant soit peu un caractère politique, c’est qu’elle invectivait les Japonais et disait: «L’“unité nippo-coréenne” est une parole en l’air; la “même origine nippo-coréenne” un mensonge; l’“égalité entre Coréens et Japonais” une tromperie.»
Dès son arrivée à Tokyo, Ri In Mo a insufflé le «vent du mont Paektu» à cette association.
Les membres ont appris le Programme en dix points et la Déclaration constitutive de l’ARP, et en ont été très impressionnés. L’amicale qui, en proie aux rancœurs, se répandait en soupirs, sans objectif ni orientation précise, est devenue par la suite une organisation patriotique prête à combattre les Japonais.
A cette époque-là, les jeunes Coréens des universités du Japon se sont efforcés par différents moyens de nous soutenir dans notre combat au mont Paektu et de se joindre à nous.
Il y avait des organisations clandestines antijaponaises dans des écoles secondaires et des écoles spécialisées aussi.
Le Groupe nationaliste d’élèves coréens à Kanajawa, repéré dans le premier semestre de 1944 par la police japonaise, était l’une des organisations de résistance fondées par nos agents politiques.
Nous avons appris les activités des Coréens de l’Ecole secondaire de Kanajawa par le rapport de Ri Chol Su, agent politique de l’ARPC en mission spéciale à Chongjin. Opérant sous une fausse identité, il avait mêlé son agent aux élèves qui partaient étudier à l’Ecole secondaire de Kanajawa.
Cet agent, après son arrivée à Kanajawa, a regroupé les élèves venus de partout en Corée pour créer à l’école une organisation anonyme. Il avait choisi l’anonymat pour éviter la répression, dit-on. Cette organisation se proposait comme mission finale de soutenir la marche de l’ARPC sur la Corée par un soulèvement armé le moment venu.
Selon les données publiées par la police japonaise, les membres de cette organisation avaient déclaré: «Kim Il Sung, indépendantiste originaire de Corée du Nord, a créé une armée de guérilla au mont Paektu qui lui sert de base, et se bat pour l’indépendance de la Corée. En outre, il entraîne dans ce but les meilleurs de ses compatriotes. Nous avons voulu le rejoindre et contribuer sous sa direction au mouvement pour l’indépendance.»
Des nombreuses organisations de résistance antijaponaise de diverses obédiences, peu s’étaient aussi ouvertement proposé d’aller au mont Paektu se joindre à nous. La plupart des organisations de résistance ont lutté, fermement encouragées par les nouvelles de notre combat, se préparant à soutenir nos dernières opérations, mais, afin d’éviter la répression japonaise, nulle n’avait déclaré ouvertement son objectif.
A Osaka, par exemple, où vivaient beaucoup d’étudiants qui travaillaient pour gagner leur vie et d’ouvriers coréens venus de l’île Jeju et de la province du Kyongsang, opérait l’Association Chungsong (fidélité–NDLR) constituée par des étudiants coréens.
On dit que les natifs de l’île Jeju ont un vif esprit de résistance et sont naturellement disposés à l’union. D’après la Chongryon (Association générale des Coréens résidant au Japon—NDLR), les jeunes venus de cette île suivaient alors des cours du soir et habitaient le quartier pauvre de la ville; ils avaient une conscience nationale élevée. Là où il y a conscience nationale, il y a organisation et il y a révolutionnaires.
A Osaka, les étudiants de Jeju ont organisé un cours de littérature du soir au profit des jeunes venus de cette île, puis ont créé une amicale à tendance antijaponaise avec ceux qui avaient suivi ce cours. Quand ils ont eu vent du Programme en dix points de l’ARP par nos agents, ils ont fondé une nouvelle organisation, Association Chungsong, avec les membres de leur amicale et des élèves de l’école secondaire du soir installée à l’université du Japon.
Le programme et les tâches que cette association se fixait étaient bien appréciables.
Voici son objectif qui nous révèle sa nature: quand l’Union soviétique et le Japon entreront en guerre, les membres regagneront immédiatement la Corée où ils pousseront les jeunes compatriotes à lutter contre le Japon et s’engageront dans un mouvement pour l’indépendance; et quand Kim Il Sung aura levé pour de bon l’étendard de la révolte, ils se soulèveront intrépidement tous ensemble.
Quand cette organisation a été réprimée par les Japonais, ses membres sont retournés à Séoul où ils ont poursuivi leurs activités révolutionnaires en contact avec nos agents. Après la Libération, ils ont lutté pour la réunification du pays en Corée du Sud et au Japon. Ils ont également entretenu le contact avec les partisans de l’île Jeju.
Il y avait des organisations clandestines d’étudiants coréens même dans des écoles de théologie. On peut citer le Groupe nationaliste d’élèves coréens de l’Ecole centrale de théologie à Kobe.
Ce qu’il y avait de remarquable dans leur lutte, c’est qu’ils travaillaient à développer la conscience nationale, l’esprit d’indépendance et le patriotisme, en disant de nous qui combattions au mont Paektu, que nous étions un indépendantiste plein d’avenir.
L’Amicale d’élèves coréens de l’école secondaire n° 6 à Okayama s’était affiliée à l’ARP.
C’est Min Tok Won, étudiant à Tokyo, qui l’y avait amenée.
Min disait à ses amis: «Libérer la Corée, c’est la tâche suprême de tous les Coréens; l’ARP a appelé toutes les forces patriotiques de la nation à se regrouper dans la grande guerre sacrée pour la libération du pays; c’est aux étudiants coréens, en tant qu’intellectuels du pays, d’éclairer et de sensibiliser leurs compatriotes qui ont eu le malheur d’être emmenés de force au Japon par les impérialistes japonais, de les regrouper dans des organisations antijaponaises; et lorsque le Japon sera en proie au bouleversement, tous les Coréens devront en profiter pour se soulever afin de reconquérir l’indépendance.» Telle était en général l’idée que les militants clandestins diffusaient alors.
Min distribuait à Ryo Un Chang, à Kim Jae Ho et à d’autres membres de l’organisation des tâches à accomplir pendant les vacances, et quand ceux-ci retournaient chez eux, ils éclairaient leurs parents et proches, leurs amis et camarades d’école.
La principale matière de leur information était les faits d’armes de l’armée de guérilla antijaponaise. Ils parlaient des victoires remportées par notre armée, expliquaient le Programme en dix points de l’ARP, invitaient à s’engager dans la lutte sacrée pour la libération du pays tous ceux qui désiraient réellement l’indépendance de la Corée, demandaient sans détour à chacun s’il l’acceptait ou non. De cette manière, en commençant par les parents et proches, les amis qui partageaient leur idée, ils regroupaient dans des organisations les uns après les autres.
L’affaire de l’école secondaire n° 6 contient bien des épisodes intéressants dont voici un exemple: les membres de l’organisation de cette école avaient appris que leurs frères cadets et les amis de ceux-ci voulaient adhérer à la troupe d’aviation des adolescents, dupés par la propagande des Japonais; ils leur avaient alors recommandé d’aller plutôt rejoindre l’armée de Kim Il Sung. Leur conseil avait été suivi par plusieurs adolescents; ils étaient partis pour la Mandchourie à notre recherche, mais ne nous avaient pas atteints et étaient retournés bredouille.
Après la Libération, bien des membres de la section d’Okayama de l’ARP ont poursuivi leur lutte qui œuvrant à la réunification de la patrie, qui menant la guérilla avec Ri Hyon Sang aux monts Jiri.
Nombreuses aussi étaient les organisations de résistance implantées parmi les ouvriers dans les régions de Keihin et de Hanshin (Osaka-Kobe—NDLR), zones industrielles majeures du Japon, ainsi qu’à Hokkaïdo et à Niigata où vivaient un grand nombre de Coréens.
La plus remarquable de la région de Keihin était l’Association Tongmaeng, qui avait vu le jour à Tokyo. Organisation antijaponaise constituée surtout d’ouvriers ainsi que d’étudiants-travailleurs, elle a nié la légitimité de l’empereur nippon, s’est opposée aux pratiques fractionnelles et a loué les activités des patriotes coréens et le combat de l’ARPC.
Elle a souvent fait connaître nos activités aux ouvriers et aux étudiants-travailleurs.
Voici un texte de son information cité par les autorités japonaises:
«Kim Il Sung... Coréen résidant en Mandchourie du Nord: ses forces sont si importantes que même l’armée japonaise se tracasse beaucoup sans pouvoir en finir avec elles. Elles font souvent des raids en Corée, mais ne touchent jamais les maisons des Coréens; elles n’attaquent que les Japonais et leurs résidences. Conduite vraiment admirable...» [Rapport mensuel de la haute police spéciale, département de la sûreté du ministère de l’Intérieur, mars 17 de Showa (1942), p. 202]
La stratégie de l’Association Tongmaeng consistait à participer à l’entraînement militaire imposé par les Japonais, acceptant d’être recrutée dans leur armée, et à tourner le fusil contre les Japonais le cas échéant. Cette organisation affirmait que la Corée ne retrouverait son indépendance que par le mouvement communiste.
A quel point les ouvriers coréens de la région de Keihin vénéraient le Général Kim Il Sung et combien ils détestaient les Japonais, le serment prêté par un membre d’une organisation ouvrière de Tokyo en témoigne:
«1. Kim Il Sung opère en Mandchoukouo à la tête du corps de l’indépendance de la Corée qu’il a fondé. Il sera Président de la future Corée et nous le suivrons.
2. Nous laisser recruter et donner notre vie pour le Japon, c’est mourir d’une mort de c
La région de Keihin avait été, dans les années 1920, le siège du syndicat général des Coréens résidant au Japon. Mais ce syndicat n’avait pas tardé à se disloquer et il n’en restait que des débris. C’est pourtant avec ce reste que le mouvement ouvrier a pu survivre et se poursuivre tant bien que mal. Là-dessus, le «vent du mont Paektu» est venu souffler: les organisations anciennes ont vite été reformées pour se solidariser avec la révolution et de nouvelles ont vu le jour. Un changement subit et profond les avait marquées.
Nous avons alors envoyé un grand nombre de nos agents à Hokkaïdo. Parmi eux, un militant sous le faux nom de Kim T
Bien que sa destination fût Hokkaïdo, il n’y est pas allé directement. Il s’est d’abord rendu sur le chantier de construction d’une base militaire dans une des îles Kouriles; là, il a expliqué aux gens le Programme en dix points de l’ARP, et fondé une organisation. Puis il a été arrêté, mais pendant qu’on l’escortait à la prison, il s’est échappé et est entré dans la clandestinité. Enfin, il a gagné Hokkaïdo pour commencer son entreprise. Les ouvriers coréens amenés de force dans les houillères, les mines, sur les chantiers de construction d’aéroports et de centrales hydrauliques, il les a regroupés dans des organisations antijaponaises. Il s’est très bien acquitté de sa mission politique.
Il disait souvent aux ouvriers: «Savez-vous ce que c’est que la patrie? Vous êtes amenés ici à Hokkaïdo, à travers la mer, pour endurer toutes sortes de souffrances, parce que vous avez perdu la patrie. Dans la patrie, notre nation livre un combat sanglant pour recouvrer le pays. Dans la forêt du mont Paektu, des hommes, fusil en main, se battent au péril de leur vie contre l’armée japonaise. La patrie, c’est notre vie. Nous devons combattre de concert avec l’armée de Kim Il Sung pour la restaurer au plus tôt. Pour y parvenir, il faut fonder des organisations et regrouper les gens autour de nous.» Ensuite, il leur expliquait point par point le programme de l’ARP.
Il a intégré dans l’organisation ceux qui approuvaient le programme. Les ouvriers ainsi formés par lui ont joué un rôle de premier plan lors des grèves ayant éclaté sur plusieurs chantiers à Hokkaïdo. La révolte des mineurs de la houillère de Yubari a aussi été organisée par lui.
Le document intitulé «Réquisition forcée des Coréens et enregistrement de leur travail forcé» publié au Japon donne un aperçu assez détaillé des organisations et de leur lutte antijaponaise et anti-guerre à Hokkaïdo, Sakhaline du Sud et aux Kouriles. Ce livre a été rédigé par la Mission d’enquête sur la réquisition forcée de Coréens. Le chef adjoint de la mission, Fujishima Udaï, critique renommé, a fait plusieurs visites chez nous. Il a été le premier Japonais à visiter les anciens théâtres de combat de notre armée révolutionnaire en Corée.
Ce livre parlait, entre autres, des activités de notre agent sur le chantier de construction de Hokkaïdo: l’agent a informé les ouvriers coréens des combats de l’ARPC et les a incités à lutter contre les Japonais. Il a souvent organisé des sabotages et des évasions pour freiner la production de guerre.
Les déserteurs arrivés sur d’autres chantiers ont fait office d’étincelle pour allumer de nouveaux incendies.
A l’époque, comme le jour de leur défaite approchait, les impérialistes japonais se sont évertués à augmenter leur production de guerre, lançant le mot d’ordre: «Fabriquer, expédier et vaincre!». Et les communistes et les militants du mouvement anti-guerre japonais ont lutté en portant un mot d’ordre opposé: «Pas de production, pas de livraison, pas de victoire!»
Dans ces circonstances, que nos agents aient mobilisé les forces antijaponaises pour saboter la production de guerre a pu contribuer à la défaite du Japon aussi bien qu’à la libération de la Corée.
Un de nos agents a pénétré à Sapporo, Hokkaïdo, y a fondé une organisation clandestine avec des ouvriers coréens travaillant sur le chantier de construction d’une base militaire; puis il l’a progressivement élargie et a poussé les préparatifs d’un soulèvement armé.
Nos agents ont activé leur travail aussi dans les écoles de différents niveaux à Hokkaïdo, notamment dans les universités. Sous leur influence, les ouvriers, les jeunes et étudiants progressistes japonais ont joint leurs efforts à la lutte anti-impérialiste et anti-guerre.
La région de Hanshin, principale zone industrielle du Japon, a beaucoup subi l’influence de nos agents.
La plus remarquable des organisations de cette région était l’Association spéciale des jeunes, relevant du Corps d’entraînement pour la concorde, mise sur pied par des ouvriers coréens d’une usine dans la préfecture de Hyogo. L’agent qui avait pénétré dans cette usine avait été formé par notre agent politique.
Selon un document secret des anciennes autorités japonaises, l’agent politique s’appelait Ko Yong Sok. Or, ce nom ne m’est pas connu. C’est sûrement un faux nom.
Voici un des documents des autorités japonaises concernant cette association:
«Compte rendu de l’arrestation et de l’interrogatoire des membres de l’Association spéciale des jeunes du Corps d’entraînement pour la concorde, groupe de Coréens d’obédience nationaliste implanté à Amagasaki.
... Meneur... Pyong Gyu (27 ans)... éveillé progressivement à la conscience nationale, a pris contact par hasard avec un nommé Ko Yong Sok qui opérait sous les ordres de Kim Il Sung du mouvement indépendantiste coréen en Mandchourie. Ko lui a dit: “Sous peu, le Japon et l’Union soviétique entreront en guerre et la Corée devra alors se soulever. Vers le mois d’août 20 de Showa (1945), Kim Il Sung marchera de Mandchourie sur la Corée. Pour préparer cette opération, il m’a envoyé ici secrètement avec mission de regrouper les jeunes Coréens et d’acquérir des vivres..., les jeunes Coréens sont à la veille de l’indépendance du pays, et j’attends d’eux de grands efforts.” Pyong Gyu a estimé que, pour se faire des camarades, il faudrait passer au Japon plutôt qu’en Corée, notamment là où travaillaient un grand nombre de jeunes Coréens. Il se mêlerait à eux, déguisé en ouvrier émigré, et, partageant leur vie, les regrouperait au sein d’une grande organisation. Quand les hommes de Kim Il Sung marcheraient sur la Corée, tout le monde en Corée et au Japon devrait se soulever pour les soutenir. Il s’est fait embaucher vers la fin de mars 19 de Showa (1944) à l’usine d’Amagasaki relevant de l’Industrie lourde Otani et a entrepris d’éveiller à l’esprit national son collègue, ouvrier coréen émigré, et de favoriser l’union des ouvriers; il a poursuivi d’autres manœuvres.» [Rapport mensuel sur le Japon et la Corée, juin 20 de Showa (1945)]
Lors de notre séjour au centre d’entraînement de la région extrême-orientale soviétique, nous avons envoyé nombre d’agents politiques en Corée, en Mandchourie et au Japon, et ceux-ci ont regroupé les forces de résistance populaire aptes à soutenir l’offensive générale de l’ARPC.
A l’époque opéraient au Japon les agents politiques que nous avions choisis et envoyés nous-mêmes comme Kim Chang Guk, ou que les organisations en Corée avaient envoyés sur nos directives, ainsi que les éclaireurs spéciaux du détachement des forces alliées internationales. Quoi qu’il en soit, tous les agents politiques travaillaient activement à rassembler les forces antijaponaises dans la perspective de notre projet de résistance populaire générale.
A preuve l’activité du «Corps Kim Il Sung». Il a formé à l’usine sidérurgique de Niigata de puissantes forces antijaponaises et saboté la production de guerre, affaiblissant ainsi le potentiel militaire du Japon, et a organisé l’évasion de dizaines d’ouvriers nouvellement réquisitionnés.
Les jeunes ouvriers coréens de Kyoto se sont fixé comme objectif de réaliser l’indépendance de la Corée en s’appuyant sur le mont Paektu et ont établi des organisations antijaponaises dans plusieurs usines.
En effet, partout au Japon, de Hokkaïdo au nord à Kyushu au sud, là où vivaient les Coréens, qu’ils fussent étudiants, élèves d’écoles de théologie, mineurs de houillères ou manœuvres réquisitionnés, opéraient nos organisations.
Voici un document qui montre à quel point la police japonaise était inquiète de la présence d’agents politiques de l’ARPC et d’éclaireurs spéciaux.
Selon le document, un navire, sur la ligne de navigation du nord de la Corée, recrutait un nombre supplémentaire de marins. D’ordinaire, on ne trouvait presque pas de candidats, mais cette fois-là, à chaque port il en rencontrait près de 50, tous des hommes à l’air cultivé et parlant couramment japonais. Intrigué par leurs intentions possibles, on a renoncé à les embaucher, et le document en donne la raison.
«Selon les renseignements obtenus, les candidats sont tous d’obédience nationaliste prononcée. Ils ont compris la difficulté qu’ils avaient à pénétrer au Japon par voie de mer, et ont choisi de se faire embaucher comme marins, ce qui leur permettrait d’entrer de façon relativement facile: à peine arrivés dans un port japonais, ils comptaient abandonner le navire, puis pénétrer à Tokyo, à Osaka et dans d’autres villes importantes où ils éveilleraient la conscience nationale des Coréens et déploieraient des activités séditieuses de concert avec les Coréens de l’intérieur comme de l’extérieur. Il faut donc surveiller de près le comportement de tous les Coréens de Mandchourie qui désirent passer au Japon et celui des marins coréens suspects.» [Rapport mensuel de la haute police spéciale, département de la sûreté du ministère de l’Intérieur, août 16 de Showa (1941), p. 77]
Le Japon était alors, pour ainsi dire, sur un volcan prêt à entrer en éruption, car un dense réseau d’organisations de résistance des Coréens le couvrait. C’était le fruit de l’intense effort de nos agents politiques et des militants de nos petits groupes d’action.
Aucun Coréen qui avait du bon sens n’avait jamais cru qu’un bel avenir de la nation coréenne se déciderait à la table des négociations des puissances. Notre peuple était convaincu que la lutte armée était l’unique voie de sauver le pays et la nation, et cette conviction unanime a constitué, j’ose dire, le principal facteur de l’union de toutes les forces patriotiques de Corée autour de l’armée révolutionnaire populaire.
Si les Coréens regardaient le mont Paektu, ce n’était pas pour rien. S’ils ne parlaient jamais sans nommer le mont Paektu, c’est que là se battait l’armée révolutionnaire. Si, auparavant, le mont Paektu était aimé des Coréens comme mont ancestral, depuis l’époque où les communistes coréens y avaient déclenché la grande guerre contre le Japon, ce mont était devenu le symbole sacré de la révolution.
Que nous ayons rapidement développé la lutte armée et que nous ayons formé de puissantes forces révolutionnaires nationales, axées sur cette lutte, a vraiment une grande importance. Comme le montre tout le trajet de notre lutte révolutionnaire contre les Japonais, l’essentiel dans la lutte de libération nationale d’un pays colonisé est la lutte armée. C’est en la développant à un niveau élevé que l’on peut rapidement sensibiliser le peuple et mobiliser facilement les différentes couches de la population pour le combat contre les agresseurs impérialistes.
La fierté nationale de notre peuple, profondément blessée par la ruine du pays, s’est rétablie et raffermie cent fois, mille fois depuis que nous avons déclenché la lutte armée au mont Paektu. C’était désormais une fierté révolutionnaire, de loin supérieure à celle du passé. En fin de compte, la fierté nationale et l’amour du pays authentiques qu’éprouve notre peuple viennent du mont Paektu.
Les organisations de résistance populaire disséminées au Japon sous l’influence de notre lutte armée ont contribué, par leurs diverses formes de lutte, à raffermir l’esprit d’indépendance nationale des Coréens du Japon et à accélérer la défaite de l’impérialisme japonais.
Sans les annales de cette lutte, le mouvement de la Chongryon n’aurait pu se développer comme aujourd’hui. Si la Chongryon prend un grand essor, c’est qu’elle repose sur de solides assises.
7. Les jours de l’ultime combat
Après la guerre, lors de la visite du Président Kim Il Sung en Union soviétique, un responsable du Parti communiste d’Union soviétique qui avait accueilli le Président au Kremlin, lui présenta les cadres de son pays.
Parmi eux se trouvait le maréchal Malinovski, alors ministre soviétique de la Défense. Celui-ci, tout sourire, dit: «Nous sommes de vieilles connaissances. Pas la peine de nous présenter.» Il poursuivit: «Nous avons fait connaissance à Khabarovsk lorsque le camarade Kim Il Sung était dans la région extrême-orientale.»
Lui serrant chaleureusement la main, le Président affirma: «C’est vrai, nous sommes des compagnons d’armes de longue date.»
Les cadres des deux pays furent fort surpris de cette déclaration. Comment s’étaient-ils liés d’amitié? Que s’était-il passé à Khabarovsk?
Les préparatifs de l’ultime combat visant à anéantir l’impérialisme japonais et à libérer la Corée ont été lancés pour de bon depuis la chute de l’Allemagne hitlérienne.
En février 1945, à Yalta, a eu lieu une réunion secrète entre les chefs d’Etat des trois pays, Union soviétique, Etats-Unis et Angleterre. L’armée soviétique avait déjà libéré Budapest, capitale de Hongrie, et préparait son offensive générale sur Berlin. La chute de l’Allemagne n’était qu’une question de temps.
Un des problèmes majeurs de la Conférence de Yalta concernait l’intervention de l’URSS dans la guerre contre le Japon. On avait décidé qu’elle y prendrait part deux ou trois mois après la défaite de l’Allemagne.
Cette décision a grandement encouragé les nations opprimées et les révolutionnaires des pays d’Orient sous la domination japonaise.
Nous avons accéléré nos préparatifs en vue du grand événement de la libération nationale.
Peu de temps après le déclenchement des opérations de libération de Berlin par l’armée soviétique, le commandement du front de la région extrême-orientale soviétique nous a informés de la défaite de l’Allemagne. Les officiers et soldats soviétiques appartenant aux forces alliées internationales ont célébré toute la nuit leur victoire en un banquet. Ils ont épuisé cette nuit-là toute leur réserve d’alcool. Même l’alcool que l’on conservait à l’hôpital militaire y est passé jusqu’à la dernière goutte. Les Soviétiques aiment boire, c’est connu. Or, ce jour-là, Soviétiques, Coréens et Chinois sans distinction ont dansé et chanté, transportés de joie. Nous considérions la victoire des Soviétiques comme la nôtre. La défaite de l’Italie avait ainsi été suivie par celle de l’Allemagne, et il était évident que celle du Japon viendrait bientôt.
Les forces fascistes qui, un temps, avaient tant bouleversé le monde semblaient faire une course de relais vers leur tombe à l’Est comme à l’Ouest. Au tour du Japon maintenant de prendre le témoin.
Nous devions nous aussi tout faire pour hâter la défaite du Japon et libérer la Corée.
Après avoir célébré la victoire des Soviétiques sur Hitler, les commandants coréens de l’Armée alliée internationale (AAI) se sont réunis et ont longtemps discuté des opérations à engager. Bien que ce ne fût pas une réunion officielle, l’atmosphère était sérieuse et solennelle. Tous les participants, en proie à une vive émotion, clamaient: «Ecrasons l’impérialisme japonais! Libérons la Corée!» Tous semblaient vouloir à l’instant même traverser le fleuve Tuman et marcher dans le pays.
La discussion était centrée sur la réalisation de l’indépendance du pays par les forces nationales et l’organisation d’une résistance nationale: comment libérer par nos propres forces la patrie et, à cette fin, accroître le potentiel politique et militaire de l’ARPC et renforcer les organisations de résistance du pays de sorte qu’elles puissent déclencher une résistance générale lorsque l’ARPC lancerait la campagne de libération de la patrie; comment resserrer les relations avec les forces armées soviétiques et chinoises et préparer les opérations conjointes dans le cadre de l’offensive générale de l’armée soviétique contre le Japon.
Plus tard, j’ai maintes fois discuté des opérations conjointes sur les plans militaire et politique avec le commandement de l’armée soviétique du front de la région extrême-orientale. Je suis allé discuter tantôt en compagnie de Zhou Baozhong et Zhang Shoujian tantôt avec Kim C
Pour faire face à l’agression éventuelle du Japon, l’Union soviétique avait préparé, en secret et avec grand soin, des opérations contre le Japon avant et après la défaite de l’Allemagne.
En 1943, alors que l’URSS soutenait un effort de guerre pénible contre l’Allemagne, sa direction a pris des mesures pour renforcer le commandement de la région extrême-orientale au sein de l’état-major général, puis a réformé les forces armées de cette région de façon à répondre aux besoins du temps de guerre. Staline a fait remplacer le commandant du front et les commandants des groupes d’armées de la région extrême-orientale par des généraux expérimentés et aguerris dans la lutte contre l’Allemagne.
Apanassenko, commandant du front de la région extrême-orientale, a été remplacé par Pourkaïev, commandant du front de Kalinine; Apanassenko a été nommé commandant adjoint du front de Voronej au sud de Moscou.
En 1944, Staline a ordonné d’expédier d’urgence dans la région extrême-orientale d’importants effectifs afin d’y accroître au maximum le potentiel militaire soviétique alors que l’armée soviétique menait d’intenses opérations dans de vastes régions d’Europe de l’Est au-delà de la frontière soviétique.
L’Allemagne défaite, l’Union soviétique s’est mise à réviser pour une dernière fois son plan de campagne contre le Japon.
Nous avons entrepris, pour notre part, d’élaborer l’orientation d’opérations de l’ARPC et des plans précis d’action. Evidemment, dans la perspective de la collaboration avec l’armée soviétique.
Le haut commandement soviétique comptait beaucoup sur les actions de l’ARPC et des AAUNE. A l’approche des opérations contre le Japon, toutes les unités des forces alliées internationales ont sensiblement intensifié leurs exercices. L’attention a été accordée à mettre en valeur les caractéristiques de chaque armée nationale et à coordonner leurs actions contre le Japon.
L’important à cet effet était de répartir les tâches entre les unités nationales et de coordonner les actions des diverses armées et armes. L’attention due a été accordée aux exercices organisés par les forces alliées internationales.
Parallèlement, les unités de l’ARPC et des AAUNE se sont constamment efforcées de parachever les tactiques de la guérilla qu’elles avaient créées et pratiquées pendant des années en se battant avec les Japonais et d’en tirer profit dans les opérations d’envergure de l’armée régulière. Nous avons fait toutes sortes d’exercices, mais surtout la reconnaissance, le génie, la communication sans fil et l’opération aéroportée, absolument nécessaires à notre campagne de libération du pays. En outre, nous avons étudié les expériences de l’armée soviétique, expériences de pointe qu’elle avait réalisées au cours de son combat contre l’Allemagne, et les avons assimilées, ce qui nous a aidés à élever sensiblement notre niveau.
Les instructeurs soviétiques arrivés au centre d’entraînement sitôt après la constitution de l’AAI étaient, pour la plupart, d’anciens combattants de la guerre civile. Mais lorsque les préparatifs d’opérations contre le Japon ont atteint leur dernière phase, ces instructeurs ont été remplacés par ceux qui avaient participé à la guerre soviéto-allemande. Comme c’étaient des hommes endurcis dans la guerre moderne pendant des années, leur enseignement était plus instructif, étant plus près de la réalité.
A l’époque, nous avons expédié bon nombre d’agents politiques en Corée pour tenir prêtes à l’action les organisations de résistance du pays. Certains d’entre eux ont gagné le camp secret du mont Paektu et le mont Kanbaek, et ont lancé les préparatifs de combat final de concert avec leurs homologues qui les y avaient précédés et qui y dirigeaient les organisations de résistance locales.
Pour ma part, j’étais allé en Corée pour orienter conformément au programme de nos opérations prochaines contre le Japon les unités qui y opéraient; j’ai consacré beaucoup de temps à coordonner notre plan d’action avec les préparatifs généraux des Soviétiques pour leur campagne contre les Japonais.
En été 1945, l’URSS a mis sur pied le commandement général de l’armée soviétique de la région extrême-orientale, a nommé Vassilievski son commandant en chef et y a affecté trois armées de front. Malinovski était nommé commandant du front de Transbaïkal, Meretskov, commandant du premier front de la région extrême-orientale, Pourkaïev, ancien commandant du front extrême-oriental, commandant du deuxième front.
La principale zone d’action de l’armée du premier front comprenait la partie de la Chine du Nord-Est au sud de
A l’origine, l’AAI devait opérer avec l’armée du deuxième front. Mais les unités de l’ARPC ont entretenu le contact la plupart du temps avec l’armée du premier front. Depuis la constitution du commandement général de l’armée soviétique de la région extrême-orientale, j’ai souvent rencontré Meretskov, commandant du premier front, et Stykov, commissaire militaire. Je me suis aussi lié d’amitié avec Tchistiakov, commandant du 25e groupe d’armées, et Lebedev, membre du commandement; ils devaient marcher sur la Corée quand l’offensive générale serait déclenchée contre le Japon.
Le commandement général soviétique siégeait à Khabarovsk. En fréquentant cette ville, j’ai également noué des liens d’amitié avec Vassilievski et Malinovski.
En été 1945, le commandement général de l’armée soviétique de la région extrême-orientale a souvent convoqué des réunions pour discuter des opérations conjointes.
Vassilievski nous a expliqué en détail son plan de campagne. Les Soviétiques envisageaient d’encercler l’armée japonaise du Guandong, de la tailler en quelques groupes isolés, puis de l’anéantir d’emblée.
Quant à nous, nous nous en sommes invariablement tenus à l’orientation déjà définie pour la libération de notre patrie.
Selon cette orientation, des unités de l’ARPC, celles qui se seraient rassemblées aux environs du mont Kanbaek, avanceraient par des voies déjà définies et libéreraient, province par province, la Corée, tandis que d’autres réunies à la base d’entraînement de la région extrême-orientale soviétique seraient transportées par avion à Pyongyang et ailleurs pour prendre position dans des bases secrètes déjà aménagées, avant de foncer sur les Japonais.
En même temps, les petits détachements et les agents politiques de l’ARPC en Corée multiplieraient les organisations de résistance pour soulever toute la population dans la résistance nationale. Ainsi, le peuple entier soutiendrait partout la marche de l’ARPC.
Aujourd’hui encore, je pense que notre plan était juste et pertinent, permettant, dans la situation militaire et politique d’alors en Corée, de libérer rapidement le pays. Les troupes de partisans, parachutées dans toutes les provinces, frapperaient l’ennemi de tous côtés, de concert avec les troupes de résistance populaire, et il n’y avait donc rien à craindre.
Les points fortifiés sur les côtes seraient enlevés par l’armée soviétique après bombardements aériens et canonnades navales, et des troupes d’infanterie, précédées d’unités blindées, fonceraient telle une marée sur les frontières. Ainsi était-il convenu entre les Soviétiques et nous.
A la veille de l’offensive finale, nous avons expédié à l’intérieur du pays de nombreux petits détachements et groupes de partisans.
Nous avons aussi assigné à toutes les troupes de partisans, à toutes les troupes populaires armées et à toutes les organisations de résistance la tâche de détruire, après avoir écrasé l’ennemi, les appareils de domination coloniale et de protéger la vie et les biens de la population, de mettre en place les organisations du parti et les organes du pouvoir populaire.
C’est Meretskov que j’ai rencontré le plus souvent parmi les commandants de l’armée soviétique de la région extrême-orientale.
C’était un général au crâne marqué par un début de calvitie, qui frisait la cinquantaine.
Sa carrière me faisait comprendre que sa nomination par Staline au poste de commandant du front de la région n’était pas fortuite.
Meretskov avait été, un temps, membre du commandement d’une unité de la région extrême-orientale, puis commandant de la région militaire de Leningrad; il avait aussi commandé le 7e groupe d’armées, principale force soviétique lors de la guerre soviéto-finlandaise. Il avait été chef de l’état-major général de l’Armée soviétique, puis commandant du front de Carélie au nord-ouest de Moscou, avant de venir dans la région extrême-orientale.
Meretskov m’a serré la main amicalement comme s’il retrouvait une vieille connaissance et a dit qu’il était enchanté de me voir. Après m’avoir invité à m’asseoir, il a dit: «Les camarades coréens sont nos aînés dans la guerre contre les Japonais. Un grand rôle leur revient dans nos opérations contre le Japon. Nous comptons beaucoup sur leurs activités.»
Il s’est informé brièvement des activités de l’armée coréenne dans les forces alliées internationales, puis m’a prié de lui expliquer en détail la situation militaire et politique de la Corée. Lui et ses camarades portaient un intérêt particulier à la disposition des forces japonaises en Corée et à leur méthode de domination, à la lutte de la population, au réseau des organisations révolutionnaires et aux activités des troupes armées des camps secrets.
Avant la campagne contre le Japon, je suis allé à Moscou avec d’autres commandants des forces alliées participer à une réunion convoquée par l’état-major général de l’Armée soviétique; j’y ai vu la plupart des commandants des divers fronts devant participer à la campagne contre le Japon, dont Meretskov et Stykov que je revoyais. J’y ai rencontré une fois de plus le commandant en chef Vassilievski.
Notre plan d’opération pour la libération de la Corée axé sur le combat de troupes aéroportées a été approuvé par toute l’assistance. Les troupes des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est étaient chargées d’occuper, par parachutage, les grandes villes de la Mandchourie et d’ouvrir la voie aux troupes soviétiques qui avanceraient sur terre.
A Moscou, j’ai rencontré Joukov, alors commandant en chef des forces d’occupation soviétiques en Allemagne et délégué soviétique au Conseil d’administration et de contrôle d’Allemagne. J’ignorais le motif de sa présence à cette réunion, mais c’était une rencontre impressionnante pour moi. Général renommé, il était franc et d’un caractère ouvert.
Les Soviétiques nous ont réservé une hospitalité cordiale, libre de toute étiquette diplomatique.
Pendant notre séjour dans la ville, nous avons visité le mausolée de Lénine, le musée de l’histoire et d’anciens théâtres de combat de défense réputés de Moscou; nous avons vu aussi une nouvelle fois le film Tchapaïev.
Même après la réunion, les Soviétiques, au lieu de nous laisser repartir, on ne savait pourquoi, nous ont fait visiter la ville à loisir. Quelques jours plus tard, nous étions introduits chez Jdanov, alors membre du Bureau politique et secrétaire du CC du Parti communiste de l’Union soviétique.
Stykov y était déjà. En déclarant qu’il nous recevait comme envoyés de l’Orient, sur le mandat de Staline, Jdanov a fait l’éloge de notre combat armé contre les Japonais. Il a dit avoir souvent entendu Staline et Stykov parler du partisan coréen Kim Il Sung, et qu’il était enchanté de me trouver beaucoup plus jeune qu’il ne le croyait. Selon lui, Staline aussi accordait un intérêt particulier à nos activités.
Jdanov et moi avons causé, d’abord, de la situation militaire et politique immédiate. En m’entretenant avec lui, j’ai compris qu’il tenait beaucoup à connaître mes desseins pour faire de la Corée libérée un pays démocratique et indépendant.
Il m’a demandé à brûle-pourpoint combien d’années il faudrait aux Coréens pour édifier un Etat souverain.
J’ai dit que deux ou trois ans nous suffiraient.
A cette réponse, il s’est frotté les mains de joie, sans pourtant dissimuler sa surprise.
Je comprenais pourquoi il s’intéressait tant à ce problème et d’où venait cette confiance mêlée de doute.
La raison en était claire: lors de la Conférence de Yalta, en discutant de la Corée d’après-guerre, Roosevelt avait proposé la tutelle, prétendant obstinément que les pays petits et faibles d’Asie libérés de la domination coloniale devraient être «éduqués au régime démocratique» sous la tutelle des grandes puissances.
Déjà, lors de la conférence du printemps 1943 à Washington avec le secrétaire d’Etat américain et le ministre anglais des Affaires étrangères, Roosevelt avait insisté pour que la Corée et l’Indochine soient mises en tutelle. Il disait que les Coréens auraient besoin de «40 années de rajustement pour accéder à une indépendance complète», tellement il nous sous-estimait.
J’ai affirmé que notre peuple, éveillé et éprouvé sur le plan politique au cours de son combat armé contre les Japonais et dans sa lutte de libération nationale de longue haleine, s’était pourvu d’un solide noyau dirigeant et de vastes forces patriotiques, capables de mener à bien par leurs propres moyens l’édification du pays; que notre peuple possédait une riche expérience de la lutte, qu’il était doué d’une créativité inépuisable, d’une grande habileté d’organisation et d’une force mobilisatrice inégalée.
Après m’avoir écouté attentivement, Jdanov m’a demandé quel genre d’assistance le peuple coréen attendait dans son effort d’édification de l’Etat au lendemain de la libération.
J’ai dit: «L’Union soviétique s’est battue contre l’Allemagne pendant quatre ans, et elle doit encore mener une grande guerre contre le Japon. De quelle force pourrait-elle encore disposer? Si elle nous aide quand même, nous la remercierons naturellement, mais nous comptons rétablir le pays autant que possible par nos propres efforts. Bien que cette entreprise soit difficile, elle sera profitable à notre avenir. La servilité envers les grandes puissances a causé la ruine de notre pays pendant plusieurs générations. Nous voudrions éviter les préjudices causés par cette tendance déplorable dans la construction d’une patrie nouvelle. Ce que nous souhaitons, c’est que l’Union soviétique nous soutienne sur le plan politique surtout sur la scène internationale en veillant à ce que la question coréenne se règle conformément aux intérêts et à la volonté du peuple coréen.»
Jdanov s’est montré satisfait de ma réponse. Il a dit:
«Un homme d’un pays d’Europe de l’Est est venu me voir il y a quelque temps, et il m’a prié d’abord d’aider son pays à l’économie arriérée et de surcroît dévastée par la guerre. Les difficultés étant légion, l’Union soviétique devrait l’aider comme un frère aîné aiderait son cadet. Quel contraste avec votre attitude! N’est-ce pas là la différence entre l’Orient et l’Occident, entre le pays du levant et le pays du couchant?» C’était naturellement une plaisanterie.
La différence en la matière n’avait rien à voir avec la situation des pays au levant ou au couchant. Seulement, les dirigeants de pays d’Europe de l’Est croyaient plus en l’Union soviétique qu’en leur propre peuple. Ces pays ont presque tous été libérés par l’armée soviétique, et ils ont construit le socialisme à la soviétique en s’appuyant sur elle. Ils imitaient en tout les Soviétiques: si ceux-ci disaient «A», ils le disaient eux aussi. Ils étaient si serviles que quand il pleuvait à Moscou, ils prenaient un parapluie. Une des causes de la chute du socialisme en Europe de l’Est est justement cette tare.
Jdanov m’a dit qu’il rendrait compte de notre entretien à Staline. Plus tard, nous nous sommes encore rencontrés plusieurs fois et nous avons resserré notre amitié.
Il me semble que Meretskov, lui aussi, ait parlé de moi à Staline.
Je me rappelle encore aujourd’hui ce qui s’est passé à Lüshun au lendemain de la Libération. J’y effectuais un voyage quand j’ai rencontré Meretskov.
Nous causions de choses et d’autres quand il a demandé si je n’avais pas une sollicitation à formuler à Staline, parce qu’il allait bientôt le voir à Moscou.
Je lui ai exposé alors quelques propositions: annulation du billet militaire émis par le commandement soviétique et émission de notre monnaie nationale; nationalisation des industries; réforme de l’ARPC en une armée régulière moderne avec l’aide des Soviétiques.
Plus tard également, Meretskov nous a aidés à bien des égards. Commandant de la région côtière, il est venu de temps en temps à Pyongyang et passait alors chez moi avant de se rendre au siège du commandement de l’armée soviétique.
Une fois, il est venu à Pyongyang avec Malinovski. Le commandant des troupes soviétiques en Corée voulait les loger dans un hôtel réservé aux étrangers.
Mais les visiteurs ont repoussé son hospitalité en disant qu’ils étaient les hôtes du camarade Kim Il Sung et qu’ils prieraient son épouse de leur servir des mandus (raviolis coréens).
Ils ne s’inquiétaient pas que je sois ou non chez moi. Tous deux étaient des hommes ouverts et nullement difficiles. Néanmoins, Kim Jong Suk était très confuse en voyant arriver les hôtes imprévus.
Malinovski a prétendu qu’ils m’avaient prévenu de leur voyage à Pyongyang mais que si je n’étais pas allé les accueillir à l’aéroport ni rentré chez moi, il fallait comprendre que j’étais très occupé, et qu’il vaudrait mieux alors manger sans m’attendre. Et puis il demandait qu’on leur apporte un plat de kuksu et du «pain coréen».
Après mon entrevue avec Jdanov, je suis retourné avec Stykov dans la région extrême-orientale soviétique.
Les liens d’amitié que j’ai noués avec lui dans cette région ne se sont jamais rompus. Il a fait beaucoup d’efforts pour régler la question de la Corée; il a mené d’intenses activités diplomatiques pour la réunification et le développement indépendant de la Corée quand il conduisait la délégation soviétique à la commission conjointe soviéto-américaine constituée sur décision de la Conférence de Moscou des trois ministres.
A mon retour de Moscou, j’ai informé les officiers de l’ARPC de mes activités.
Le 9 août 1945, l’Union soviétique a déclaré la guerre au Japon et est entrée en guerre selon la convention conclue entre les pays alliés.
Le même jour, j’ai ordonné aux unités de l’ARPC de déclencher l’offensive générale pour la libération de la patrie.
Mais auparavant, j’ai fait attaquer par surprise plusieurs points importants dans les secteurs fortifiés, dont la commune de Tho dans l’arrondissement de Unggi en Corée, Nanbieli et Dongxingzhen dans le district de Hunchun en Chine pour semer la confusion dans le système de défense ennemi, anéantir des effectifs et détruire des armements disposés dans ces secteurs.
Le commandement du premier front de la région extrême-orientale, qui opérait conjointement avec nous, s’était occupé surtout du choix des cibles à attaquer. Il s’agissait de savoir quel maillon de la défense ennemie on devait frapper pour semer la confusion et j’ai décidé de résoudre ce problème moi-même.
Jusqu’en 1945, l’armée japonaise avait construit un grand nombre de blockhaus en béton armé aux confins de la Mandchourie avec l’URSS et la Mongolie. Quatre secteurs fortifiés construits en Corée servaient de base de départ à l’attaque contre l’Union soviétique.
Les impérialistes japonais avaient fortifié pendant plus de dix ans les régions frontalières coréo-soviétique, coréo-mandchoue et soviéto-mandchoue et y avaient disposé des forces pléthoriques de l’armée de terre, de mer et de l’air, notamment les troupes de l’armée du Guandong et des unités de l’armée japonaise d’occupation en Corée, et ils s’en vantaient, présentant ces zones comme une «ligne de défense inexpugnable».
Les forts étaient des ouvrages souterrains et les Japonais avaient tué tous les ouvriers qui avaient participé à leur construction pour en garder le secret. Ces forts constituaient les principales pierres d’achoppement à l’offensive contre le Japon. Les officiers soviétiques se montraient préoccupés de la présence de l’armée japonaise du Guandong derrière cette ligne fortifiée, mais moi, je trouvais que le plus difficile était de percer cette ligne même. Aussi ai-je décidé de tâter quelques points des secteurs.
Ma proposition d’engager quelques combats partiels avant la campagne a surpris les commandants supérieurs du premier front de la région extrême-orientale à qui j’ai expliqué: «Il faut attaquer quelques points d’importance de l’ennemi si l’on veut ouvrir la voie à l’offensive générale. Ainsi allons-nous obliger les Japonais à révéler leur système de défense secrètement renforcé, ainsi que les effectifs et les armements cachés.»
Par conséquent, une unité de notre armée a attaqué la commune de Tho par surprise un jour de grosse pluie à la veille de la campagne. La commune, située aux confins des secteurs fortifiés de Kyonghung et de Unggi-Rajin, constituait une aile de la forteresse construite dans le bassin du Tuman. Si la commune de Tho tombait, l’ennemi devrait évacuer la vaste région environnante, et la forteresse de Kyonghung serait alors sérieusement menacée.
Nos combattants ont mis le feu au poste de police de Tho et libéré le village.
Ce fut le premier village du pays libéré par notre armée lors de l’ultime campagne.
L’ennemi avait envoyé en toute hâte du renfort sur les lieux, mais pris de peur, ces hommes s’étaient contentés de contempler, de la colline Ungsang, le poste de police qui flambait avant de rebrousser chemin.
Une publication japonaise a écrit à ce propos:
«Le 8 août, à 23 h 50, une unité coréenne de plus de 80 hommes a traversé le fleuve Tuman à bord de vedettes en même temps que des soldats de l’armée soviétique, et attaqué Tho situé à deux pas du territoire soviétique. Le poste de police a été attaqué le premier.
Le 9, vers 3 h du matin, un camion expédié à Tho a dû rebrousser chemin de la colline Ungsang.» («Archives sur la fin de la guerre en Corée», p. 29)
Les brèches ouvertes par les actions intrépides des détachements et des troupes d’avant-garde de l’ARPC qui se battaient sur un front conjoint avec l’armée soviétique ont grandement contribué à la réalisation de nos intentions qui étaient de mener rapidement la guerre contre le Japon.
Les unités de l’ARPC qui avaient gagné le camp secret du mont Kanbaek pour en faire le point de départ de leurs ultimes opérations ont avancé suivant le plan opérationnel tout en élargissant leurs rangs, et les unités qui s’étaient réunies dans le bassin du Tuman ont foncé sur les forteresses ennemies aux frontières et se sont emparées des régions de Kyongwon et Kyonghung, puis avançant vers Unggi, cumulant leurs succès, ont libéré de vastes régions du pays. D’autre part, une partie des unités qui servaient d’avant-garde aux troupes de débarquement, ont débarqué à Unggi, et en étroite collaboration avec des unités de l’armée de terre, ont avancé vers Chongjin, augmentant leurs succès.
Les autres unités ont libéré Jinchang, Dongning, Muling et Mudanjiang en Chine puis, poursuivant l’ennemi en déroute et assenant des coups mortels à l’armée du Guandong, ont pénétré la région riveraine du Tuman.
Les petits détachements et les agents politiques de l’ARPC qui opéraient en Corée ont organisé et mobilisé pour une insurrection les troupes populaires armées, les organisations de résistance armée et de larges masses de la population. Ces dernières ont attaqué des casernes d’armée et des postes de gendarmerie et de police japonais et déployé des actions intrépides pour perturber les arrières ennemis; elles ont aidé par tous les moyens les unités de l’ARPC.
Lors de l’attaque de la forteresse de Kyonghung, Han Chang Bong, originaire de Toaquanli, s’est fait remarquer. Il a été un des premiers à traverser le fleuve Tuman avec l’avant-garde des forces alliées internationales. Aidée des militants de l’organisation révolutionnaire locale, son avant-garde a mis en pièces en un clin d’œil l’artillerie et les blockhaus ennemis et libéré le secteur de Wonjong.
Le combat livré au mont Mayu à Hunyung pour percer les forteresses du bassin du Tuman est resté célèbre. L’ennemi se vantait à grand bruit du secteur des monts Mayu et Wolmyong comme forteresse inexpugnable.
Il avait fait sauter le pont Hunyung et se préparait à un combat à mort, installé sur une colline parsemée de blockhaus.
Pak Kwang Son et d’autres éclaireurs de l’ARPC, déguisés en soldats japonais, ont traversé le fleuve Tuman en pleine nuit et sont arrivés de l’autre côté du mont Mayu pour se renseigner sur le dispositif ennemi: deux bataillons se tenaient sur la colline. Ils en ont informé leur unité par sans-fil et ont foncé sur l’ennemi à la tête de leur unité qui avait traversé le fleuve Tuman à leur suite.
La troupe populaire armée de la région du mont Mayu a fait sauter la poudrière et le dépôt de munitions en plein air avant la bataille, contribuant ainsi au succès.
L’avant-garde d’O Paek Ryong, qui avait participé à l’attaque de la commune de Tho, s’est aussi distinguée dans le combat du col de Manhyang.
Le col constituait un important poste de défense sur terre de l’ensemble fortifié Unggi-Rajin. L’unité s’était arrêtée là, et O Paek Ryong s’est porté volontaire avec son avant-garde pour détruire les blockhaus et l’artillerie ennemis sur le col. Avec ses combattants, il a grimpé jusqu’aux positions ennemies du col et mis en pièces tout ce qui pouvait entraver l’avance de l’unité.
Les officiers et soldats soviétiques ont alors dit, le pouce en l’air, que les partisans coréens étaient les meilleurs.
Parmi nos combattants, il en est un qui a trouvé la mort la veille de la libération du pays. C’est Kim Pong Sok, mon planton, un de mes favoris. Très prompt à exécuter mes instructions, il m’avait rendu plusieurs fois services. Il avait plus d’une fois étonné les autres par son habileté dans les missions politiques.
On ne pourra pas manquer de s’étonner en apprenant qu’à la fin des années 1930, suivant notre directive, lui et Yun Pyong Do étaient entrés à l’école secondaire de Longjin, base de l’«expédition punitive» ennemie, et avaient mené, portant des casquettes d’étudiants, des activités parmi les jeunes et les élèves.
C’est aussi lui qui, accompagnant
Pak In Jin à Séoul à une manifestation commémorative organisée par les chondoïstes (adeptes du chondoïsme, religion coréenne—NDLR), a exercé une influence révolutionnaire sur les hauts dignitaires de cette religion.
Il a péri sur le chemin du retour après avoir transmis mes ordres à O Paek Ryong alors en pleine opération pour la libération du pays. Je l’avais envoyé confier à O Paek Ryong les tâches concrètes concernant les opérations conjointes avec l’armée soviétique. Il a accompli sa mission et tourné aussitôt les talons. En chemin, il s’est arrêté dans une maison pour prendre un repas. Malheureusement, le maître de l’endroit l’a dénoncé à la police japonaise. Poursuivi par l’ennemi, il s’est battu courageusement avant de tomber au champ d’honneur. C’était le 14 août 1945. Nous n’avons pas retrouvé son corps. Les visiteurs du Cimetière des martyrs révolutionnaires s’arrêtent longtemps, dit-on, devant son buste, regrettant sa disparition juste la veille de la libération du pays.
Rajin a été libéré par la troupe populaire locale.
L’unité de fusiliers de la flotte du Pacifique de l’armée soviétique qui devait débarquer à Rajin estimait que le débarquement serait difficile, car c’était un secteur fortifié aménagé avec beaucoup de soin par l’ennemi. Des navires de guerre restaient ancrés dans le port, et sur les collines autour de la ville se trouvaient disposées des batteries d’artillerie antiaérienne.
Or, quand les troupes soviétiques ont débarqué à Rajin, la ville avait déjà été libérée.
Quand l’armée soviétique avait bombardé du ciel et canonné de la mer, les Japonais retranchés à Rajin avaient cru à un incident du genre de celui de Zhanggufen et s’étaient préparés à se défendre jusqu’à la mort.
Mais un petit détachement de la troupe populaire armée a pénétré secrètement dans la ville de nuit et attaqué le commandement du fort, les sièges de la gendarmerie et de la police et mis le feu à l’arsenal de l’armée de terre japonaise. Sur ces entrefaites, le reste de la troupe qui attendait le moment propice est arrivé et l’ennemi a été frappé du dedans et du dehors.
Un officier soviétique qui avait participé à la bataille de libération de Rajin a noté:
«En nous approchant de la ville, nous avons entendu des crépitements de mitrailleuses et des canonnades.
Nous avons vu des paysans coréens dans la périphérie de la ville qui agitaient les mains en criant des vivats. Ils nous ont dit que des combats se poursuivaient dans la ville depuis deux jours entre la troupe de partisans de Kim Il Sung et l’armée japonaise. Les petites places et les rues étroites étaient encombrées de camions et de charrettes de l’ennemi.
Nous avons constaté que les partisans coréens avaient coupé la retraite à l’ennemi et tenaient ainsi l’armée japonaise prisonnière dans la ville. Pris entre nous et les partisans coréens, les samurai japonais ont commencé à déposer les armes et à se constituer prisonniers. Une centaine d’hommes armés ont accouru vers nous de la périphérie. Le chef de la troupe s’est hâté de dire au colonel de l’unité de chars: “Nous sommes des partisans de Kim Il Sung!”» («Journal en Corée», I. Ourz
Les troupes populaires armées ont pris part, sous diverses dénominations, aux combats contre les Japonais partout dans le pays. Toutes les provinces leur ont servi de théâtre d’action.
Dans le Hamgyong du Nord, les troupes populaires des régions de Kyonghung et de Unggi ont combattu de concert avec les forces alliées coréo-soviétiques dès le début de la campagne.
Les troupes des régions de Chongjin, Kilju, Songjin ont achevé les débris de l’armée adverse en déroute, ont pris les usines avant la Libération du 15 août et ont détruit les organes de police.
Le détachement armé du mont Kachi formé par C
C
On dit que, lors de la constitution du détachement, on a lu une résolution et on a prêté serment. Ce détachement possédait aussi des règlements provisoires et des règles d’action.
C
Le détachement du mont Kachi a entrepris l’action bien avant le combat final. Lors des combats dans les régions frontalières septentrionales, il a achevé les forces ennemies en débandade venant du côté de Wonjong, Chonghak et du mont Mayu et a fait sauter des dépôts de poudre et de carburant. Sans attendre l’arrivée des troupes soviétiques, il a libéré
Les organisations de résistance du Ryanggang et du Hamgyong du Sud ont attaqué des commissariats de police et des organismes administratifs ennemis avant l’arrivée des troupes soviétiques.
Des organisations de résistance ont aussi opéré avec succès dans les secteurs de Cholwon, Popdong dans le Kangwon ainsi que dans les secteurs de Yomju, Sakju dans le Phyong-an du Nord.
Les organisations de résistance de la région de Sinuiju ont attaqué, dès le lendemain de l’ordre d’offensive générale, des postes de police et de garde frontière et se sont emparées de la préfecture de police et du siège de l’administration provinciale. Elles ont désarmé les Japonais en débandade retranchés dans l’aéroport, et les ont livrés au commandement de l’armée soviétique qui y est arrivé vers la fin du mois d’août.
Dans la province du Phyong-an du Sud et à Pyongyang, une troupe de résistance importante axée sur le Corps de libération de la patrie a attaqué un arsenal, pris la préfecture et la municipalité et achevé les débris de l’armée ennemie.
Dans la province du Hwang
Quand je me souviens de l’époque de la bataille finale, je regrette le fait que la force principale de l’ARPC qui s’était préparée depuis des années à la base d’entraînement en Union soviétique à libérer le pays n’ait pu opérer suivant son plan initial.
Lorsque nos unités se battaient avec l’armée japonaise dans les régions frontalières nord, nous dirigions les actions de nos troupes sur le front, d’une part, et d’autre part, nous achevions nos préparatifs pour avancer en Corée à la tête des troupes aéroportées. Nous les avions réformées partiellement conformément aux besoins du front et leur avions fourni armes et munitions, et de l’équipement neuf.
Or, nos unités aéroportées qui se rendaient à l’aéroport en camion avaient dû rebrousser chemin. C’est que les Japonais avaient subitement capitulé. Nous avions eu du mal à croire à cette nouvelle. Que le Japon, cet ennemi encore puissant du reste, si arrogant, si féroce, si tenace, se soit rendu moins d’une semaine après l’éclatement du conflit armé, c’était incroyable. Pourtant, la capitulation du Japon était une réalité incontestable.
La chute du Japon, c’était le vœu qu’avaient formulé nos aînés même en rendant leur dernier soupir; c’était le couronnement de la résistance que notre peuple avait poursuivie opiniâtrement pendant plusieurs décennies, malgré de terribles souffrances et sacrifices. La chute du Japon ouvrait devant notre pays et notre nation de larges perspectives de renaissance et de prospérité.
Certains estimaient que la capitulation précipitée du Japon était une cabale nippo-américaine. Que cela soit vrai ou non, si le Japon avait résisté quelques mois de plus, nous aurions bel et bien libéré le pays entier par nos propres forces.
Voici un document sur les circonstances qui ont suivi la capitulation subite du Japon.
«Lorsque le Japon courait à sa perte et que l’Union soviétique préparait son offensive contre lui avec l’arme de justice, le Général Kim Il Sung a établi son plan pour anéantir l’armée japonaise du Guandong en expédiant à nouveau ses troupes d’élite en Mandchourie.
Sur tous les points stratégiques de Mandchourie étaient disposées des unités de son armée et plus de 20 avions se tenaient prêts à l’action. L’armée foncerait, et aussitôt en contact avec elle, les soldats et officiers coréens recrutés de force par l’armée japonaise se mutineraient. Mais justement à la veille de l’exécution du plan historique, le Japon a capitulé et le plan a été annulé. Si ce plan avait été élaboré un peu plus tôt ou que le Japon ait capitulé un peu plus tard, le Général Kim Il Sung aurait donné la mesure de son inégalable génie militaire et aurait fait son entrée dans le pays, au milieu des hourras, à pas cadencés, au milieu des vrombissements d’avions et des canonnades de son armée. C’est le grand regret du Général Kim Il Sung et de notre nation tout entière.» [«De Kim Il Sung», article de la revue Munhwa Joson, publiée à Tokyo, Japon, mai 22 de Showa (1947)]
Le jour où la nouvelle de la chute du Japon a été rendue publique, tout le monde a pleuré de joie, dit-on. Toute la journée, on a dansé devant les pavillons Ryongwang et Ulmil à Pyongyang. Quarante années d’extorsion de la souveraineté nationale, 36 années d’annexion du territoire national, de longues années de vie dans les ténèbres, de vie d’esclaves prenaient fin. Les cris de joie de la nation secouaient le sol de la Corée de trois mille ri.
Or, après le 15 août, même si l’empereur du Japon avait proclamé sa capitulation, l’armée japonaise n’a pas cessé sa résistance. C’était le résultat des complots que les impérialistes américains et japonais avaient tramés afin de parer à l’extension du communisme en Corée après la guerre et d’empêcher son indépendance.
Le 16 août de la même année, le gouvernement général et le commandement japonais de la région militaire de Corée ont promulgué le «précis du contrôle du mouvement politique» et ont ordonné à leurs troupes cantonnées dans différentes régions de notre pays de réprimer la lutte de libération du peuple coréen.
En disant que l’armée japonaise d’occupation de la Corée était saine et sauve, l’ennemi a osé avertir de ne pas agir à la légère, sans quoi il n’hésiterait pas à recourir aux forces armées au moindre mouvement pour l’indépendance.
Cela signifiait que, même après sa capitulation inconditionnelle, le Japon n’avait pas cessé son action en Corée. Le gouvernement général et l’armée d’occupation méconnaissant la capitulation, nos forces de résistance dans le pays ont exterminé impitoyablement les débris de l’armée japonaise qui continuaient de résister et détruit les appareils de domination ennemis.
Les organisations de résistance et les troupes armées de Pyongyang et de la province du Phyong-an du Sud ont désarmé les Japonais en fuite avant l’entrée de l’armée soviétique, et ont mis sur pied des organisations du parti et des organismes administratifs autonomes locaux. Ceux-ci, à caractère populaire et ramifiés jusqu’à la base, administraient la province et réglaient les problèmes politiques dans leur région.
D’après les documents, les organisations de résistance et les troupes armées du pays, excepté celles du Hamgyong du Nord et du Sud, ont attaqué un millier d’organismes de domination ennemis en une seule semaine à la mi-août.
Ainsi la libération de notre pays a-t-elle été l’œuvre de la mobilisation générale de toutes les forces de résistance du pays, soit l’ARPC qui avait secoué l’impérialisme japonais jusque dans ses fondements en lui assenant des coups pendant plus de 15 ans, et toutes les couches de la population. Si l’offensive soviétique a été menée à bonne fin en si peu de temps, c’était grâce à la résistance de longue haleine de notre armée et de notre peuple.
La libération de la Corée est une grande victoire que notre peuple et l’ARPC ont remportée par leurs propres forces, en profitant de la situation favorable qui voyait l’armée soviétique écraser l’armée japonaise du Guandong. Les organisations de résistance et les troupes armées du pays que nous avions organisées depuis les années 1930 ont attaqué suivant le plan d’ultime offensive de l’ARPC et exterminé les forces d’agression japonaises un peu partout, puis détruit les appareils de domination coloniale, pour ainsi libérer le pays.
Voici quelques documents témoignant que la Corée a été libérée par les forces du peuple coréen lui-même.
Les Américains ont dit, dans un document diplomatique d’avant le 15 août 1945, que «l’armée communiste coréenne (troupe de Kim Il Sung) pourrait marcher sur la péninsule coréenne à un moment propice.» Un professeur aux Etats-Unis a écrit: «L’ancienne Mandchourie (la Chine du Nord-Est) était le cœur des campagnes du Pacifique, et la résistance dirigée par le Général Kim Il Sung est devenue, plus tard, une cause majeure de l’échec du Japon dans son effort d’expansion militaire.»
Sur le rôle joué par l’ARPC dans la défaite du Japon et la libération de la Corée, les Soviétiques ont écrit: «La Corée n’a pas cessé pendant 40 ans (depuis 1905) de mener sa lutte, de façon autonome, contre les oppresseurs. Jusqu’en août 1945, des troupes de partisans ont opéré en Corée et ont soutenu énergiquement l’armée soviétique dans ses opérations contre le Japon.» (L’armée japonaise du Guandong a été écrasée, R. Malinovski, version coréenne, p. 311)
Après la défaite japonaise, lors de son entrevue avec le colonel-général Tchistiakov, commandant du 25e groupe d’armées soviétique, le général Takeshita, chef de la garnison japonaise de Pyongyang, a avoué que l’objectif majeur des Japonais en disposant en Corée deux corps d’armée, neuf divisions et un effectif important de gendarmes et de policiers, était d’écraser la guérilla des Coréens, tout en préparant la guerre contre l’Union soviétique.
Notre peuple a derrière lui une histoire de plusieurs siècles de lutte contre les Japonais. Déjà à la fin du XVIe siècle, notre pays a mené la guerre patriotique de l’an Imjin pendant sept ans contre l’armée d’agression japonaise forte de centaines de milliers d’hommes.
A ne considérer que l’époque moderne, la lutte des Coréens contre les Japonais a duré plus de soixante-dix ans. Lors de l’incident du navire Unyogo en 1875, notre peuple s’est battu farouchement contre l’armée d’agression japonaise. Les gouvernants tremblaient alors devant la puissance adverse, mais l’armée nationale et la population l’ont combattue résolument.
Par la suite, notre peuple a lutté inlassablement pour repousser les forces étrangères pendant plusieurs dizaines d’années, par divers moyens, violents et non-violents, légaux et illégaux, à savoir le mouvement pour la justice contre les injustices21, le mouvement des francs-tireurs, le mouvement d’éducation et le mouvement de l’armée indépendantiste, etc.
De même que le mont Paektu, mont ancestral, domine les montagnes de la Corée, de même la lutte armée que nous avons lancée dans la forêt de ce mont constitue le principal courant de la lutte de notre peuple pour la libération nationale et le progrès social.
On peut dire que la libération de la Corée est le couronnement de vingt années de lutte révolutionnaire contre le Japon, l’aboutissement de plusieurs dizaines d’années d’héroïque résistance des larges forces patriotiques coréennes du pays et d’outre-mer qui n’ont pas hésité à verser leur sang et leur sueur, et à soutenir tant de sacrifices.
8. Le retour triomphal
Août 1945, toute la Corée palpitait de la joie de la libération.
Au milieu de la grande liesse qui animait le pays de trois mille ri (1 ri équivaut à 0,4 km—NDLR), le peuple attendait avec impatience le retour triomphal du Général Kim Il Sung, héros de la nation.
Le vieux Pyongyang, ville natale du chef de la nation, veillait des nuits à l’attendre. Il avait quitté sa terre natale en 1925, un jour de neige. Quand donc reviendrait-il? Demain, après-demain? L’impatience était unanime chez les 400 000 habitants.
A Séoul, Ryo Un Hyong, Ho Hon, Hong Myong Hui et autres personnalités de renom avaient constitué un comité d’accueil du Général Kim Il Sung. La place de la gare de Séoul était tous les jours bondée: des dizaines de milliers de personnes venaient chaque jour l’attendre.
Trente millions de cœurs battaient à l’unisson à travers le pays.
Dès la nouvelle de la capitulation inconditionnelle du Japon, tous les combattants de l’ARPC à la base d’entraînement, en proie à une vive émotion, se préparaient à rentrer au pays. Moi aussi, qui avais vécu sous un ciel étranger pendant vingt ans, désirais retourner au plus tôt dans ma terre natale. Cependant, cette envie, nous avons dû la refouler, et différer pour quelque temps notre retour.
Nous n’ignorions pas l’impatience de la population du pays qui attendait le retour de l’ARPC, mais nous ne nous pressions pas pour le départ. Accomplir au mieux les préparatifs, telle était notre idée. Quels préparatifs? Ceux de l’édification d’une patrie nouvelle. La tâche de libération nationale ayant été réalisée, nous devions avancer l’horaire de l’édification nationale.
Le 2 septembre 1945 a eu lieu à bord du cuirassé américain Missouri amarré dans la baie de Tokyo la cérémonie internationale de confirmation de la capitulation inconditionnelle du Japon. Ce jour-là, au nom du gouvernement et des autorités militaires japonais, Shige-mitsu, ministre des Affaires étrangères, et Umezu, chef d’état-major général, ont signé l’acte de reddition. Le premier avait perdu une jambe lorsqu’il était ministre en Chine, à la suite de l’attentat à la bombe contre lui par le patriote coréen Yun Pong Gil. Quant à Umezu, figure de proue du haut commandement de l’armée japonaise, il avait été commandant de l’armée du Guandong, de l’automne 1939 à l’été 1944, l’avant-dernier parmi une dizaine d’hommes qui s’étaient succédé à ce poste. C’était à l’époque où il commandait cette armée que les Japonais avaient entrepris une vaste expédition «punitive» contre l’ARPC, baptisée d’un nom retentissant: «opération spéciale pour le maintien de l’ordre au Sud-Est».
La Seconde Guerre mondiale, qui avait apporté à l’humanité des malheurs et souffrances incommensurables pendant des années, a pris fin, sur capitulation du Japon, par la victoire des forces antifascistes.
Quand cet Umezu même, notre ennemi juré, a signé l’acte de capitulation, pleurant la défaite, nous qui étions sortis vainqueurs de la guerre et avions écrit une nouvelle page historique, celle de la libération nationale, nous apprêtions à regagner le pays.
La fin de la Seconde Guerre mondiale offrait la possibilité d’édifier une nouvelle société, sur des bases démocratiques, à plusieurs pays d’Europe, sol natal des idées communistes, et à des pays d’Asie, premiers théâtres de combat de libération des pays colonisés.
La situation chez nous était également favorable.
Sitôt après la Libération, des comités populaires avaient été créés dans tous les coins du pays. Les révolutionnaires des organisations du parti implantées dans le pays et les militants des organisations de résistance avaient mis sur pied un peu partout des organisations du parti et des masses. De partout, même de l’étranger, venaient à Pyongyang, à Séoul, à d’autres villes importantes des hommes de lettres et des artistes désireux d’édifier une nouvelle culture nationale. Les ouvriers avaient organisé des troupes d’autodéfense armées et montaient la garde aux usines, aux houillères, aux mines, aux ports et sur les chemins de fer. L’exaltation patriotique que notre peuple avait manifestée pour le salut national lors de la résistance nationale contre les Japonais s’était transformée, à la Libération, en zèle pour l’édification du pays.
Tout semblait favoriser l’exécution des tâches immédiates de la révolution coréenne ainsi que la réalisation de son objectif final.
Néanmoins, nous ne pouvions nous permettre le moindre relâchement. Malgré la chute de l’impérialisme japonais, la contre-révolution ne lâchait pas prise.
Les débris de l’armée japonaise continuaient leur résistance au mépris de la proclamation de la capitulation inconditionnelle par l’empereur japonais.
Les projaponais, les traîtres et les représentants des classes exploiteuses ourdissaient des complots visant à torpiller l’édification d’une patrie nouvelle. Les renégats de la révolution, les éléments malsains, les ambitieux politiques se faufilaient dans les organisations du parti et les organes du pouvoir populaire, cachant leur vrai visage.
C’est lors de notre séjour dans la région extrême-orientale soviétique que nous avions appris que l’armée américaine allait débarquer au sud du 38e parallèle en Corée. Cela signifiait l’entrée simultanée de deux grandes puissances en Corée. La présence de deux armées étrangères sur le sol de notre pays qui n’était pas un pays vaincu n’était pas normale, quels que fussent les motifs.
Quand la Guerre paysanne de l’an Kabo22 avait éclaté, le Japon et la Chine des Qing avaient envoyé leurs troupes en Corée, mais notre peuple n’en avait tiré aucun profit. L’intervention de ces deux armées avait fini par provoquer la guerre sino-japonaise, et le sol de notre pays en avait subi toutes les calamités.
Le stationnement des armées soviétique et américaine en Corée pouvait transformer le pays en théâtre de confrontation entre le socialisme et le capitalisme, et sur ce fond, les forces de notre nation pouvaient se diviser en forces de gauche et de droite, en forces patriotiques et traîtresses. Le combat entre les factions et leur coalition avec des forces étrangères finissent toujours par ruiner un pays.
Cela étant, nous devions préparer solidement les forces autonomes pour sauvegarder notre souveraineté et accélérer l’œuvre d’édification d’une patrie nouvelle.
Les forces principales de notre révolution, c’est notre peuple lui-même. Dès les premiers jours de notre lutte, nous avons consacré tous nos efforts à former, préparer, mobiliser le peuple directement chargé du combat contre les Japonais. Ceux qui s’étaient jetés dans le combat final pour la libération du pays se comptaient par plusieurs millions, et ce n’étaient pas des gens accourus impromptu, sous l’impulsion du moment, mais des hommes formés par nous pendant des années.
Nous n’hésitions pas à parcourir un long chemin si nous pouvions gagner une seule personne à notre révolution. Nous soutenions volontiers tout sacrifice pour protéger le peuple.
Tout le trajet de la révolution antijaponaise est marqué par la sollicitude et la confiance témoignées aux masses; on les tenait pour sujet de l’histoire, on les sensibilisait et amenait à opérer sur la première ligne de la guerre sacrée pour la restauration. C’est, en fin de compte, l’histoire d’une grande lutte et d’une éclatante création au cours de laquelle les masses ont confirmé leur statut d’artisans de l’histoire au prix de leur sang et de leur labeur. Ce peuple, avec les combattants de notre armée, constituait la force motrice de notre révolution et pouvait mener à bien l’édification d’une patrie nouvelle. Quand on bénéficie de l’affection et du soutien du peuple, et que l’on croit en lui et s’appuie sur lui pour lutter, on peut vaincre toute difficulté et sortir vainqueur de toute lutte; c’est une vérité précieuse que nous avons expérimentée dans le feu du combat révolutionnaire contre les Japonais.
A la libération du pays, la plupart des gens pensaient: libérer le pays a été une tâche difficile, mais maintenant on pourra sans grand-peine édifier une patrie nouvelle. Je ne partageais pas leur vision: le relèvement du pays serait ardu et compliqué.
De même que nous avions accompli la révolution antijaponaise en nous appuyant sur la force de notre peuple, nous devrions mener à bien l’édification nationale par la force des Coréens eux-mêmes. Accomplir toute tâche par la force de notre peuple: créer le parti, fonder l’Etat, mettre sur pied l’armée, construire l’économie, établir l’enseignement et la culture nationaux, développer la science et la technologie, tout par nos propres moyens, telle était notre résolution. Or, il fallait établir un état-major de la révolution, un pouvoir capables d’éduquer et de mobiliser le peuple si l’on voulait édifier une patrie nouvelle; et il fallait créer une armée capable de défendre cette œuvre.
Dans cette optique, j’ai convoqué, le 1920 août 1945, à la base d’entraînement, une réunion des cadres militaires et politiques de l’ARPC, et j’ai présenté trois tâches majeures: fonder le parti, établir l’Etat et mettre sur pied l’armée, autant d’objectifs stratégiques visant à raffermir la force motrice de notre révolution.
Pour les exécuter, nous avons fixé après discussions l’orientation de nos activités et les moyens à employer, et pris des mesures organisationnelles. Ensuite, nous avons organisé des groupes d’action et défini leurs zones d’opération. Nous avons décidé d’envoyer Kang Kon, Pak Rak Gwon, C
Avant de partir pour la patrie, nous avons organisé un cours spécial de quelques jours à l’intention de ces groupes d’action sur les tâches à accomplir, la méthode de travail, les us et coutumes des diverses régions, etc. Kim C
Sitôt après, nos camarades m’ont prié de les laisser partir pour la patrie. Tous jubilaient et exultaient comme des enfants en songeant au jour de leur retour.
En partant, nous avons laissé les combattantes mères à la base d’entraînement en leur promettant de venir les reprendre plus tard.
L’ARPC a regagné le pays par plusieurs voies. Et pour cause. Ses unités s’étaient engagées dans le combat dans différentes régions suivant le plan d’opérations conjointes avec l’armée soviétique, et voilà que le Japon impérialiste avait capitulé sans condition.
L’unité qui attendait à la base d’entraînement le moment d’être aéroportée vers plusieurs régions du pays était appelée à gagner la patrie par voie de terre, via Khabarovsk, Mudanjiang, Wangqing et Tumen. Mais la situation l’obligeait à abandonner son plan initial et à changer d’itinéraire, pour se rapatrier en bateau. Les débris de l’armée japonaise du Guandong en déroute avaient fait sauter le tunnel de chemin de fer au sud de Mudanjiang. Ils avaient aussi détruit les ponts sur notre chemin de détour et la piste de l’aéroport de Mudanjiang; nous n’avions donc pu utiliser ni l’automobile ni le train ni l’avion. Nous étions passés jusqu’à Mudanjiang, mais nous avions dû rebrousser chemin pour retourner dans la région extrême-orientale soviétique et monter sur un navire de guerre à Vladivostok.
Un colonel du commandement de l’armée soviétique du premier front de la région extrême-orientale m’a escorté.
Le capitaine du navire nous a assurés que l’on arriverait en une nuit et un jour à Wonsan même naviguant à vitesse moyenne.
Le jour où nous avons quitté Vladivostok, les vagues étaient très hautes. Elles venaient se briser sur les deux côtés du pont du navire, et le spectacle était impressionnant. La plupart de nos hommes en étaient à leur première expérience et beaucoup ont souffert du mal de mer.
Nous avons passé une nuit à bord, et le lendemain, la mer s’était calmée.
Contemplant la mer qui s’étendait à perte de vue devant moi, j’ai senti mon cœur battre précipitamment. Je ne peux oublier ce jour. Je revoyais le fleuve Amnok; je l’avais traversé à l’âge de 13 ans. Ce fleuve et d’autres qui étaient gelés à pierre fendre, malheureux d’être privés du pays, auraient-ils fondu à la chaleur joyeuse de la libération et auraient-ils formé cette mer?
Regagnant la patrie après vingt ans, laissant derrière moi mes parents, mes amis et camarades qui reposaient en sol étranger, j’étais en proie à des sentiments mêlés de joie et de tristesse inexprimables.
C’est le 19 septembre 1945 que nous avons débarqué à Wonsan.
Des hommes du haut commandement de l’armée soviétique qui stationnait à Wonsan nous ont accueillis.
Parmi les Coréens venus à notre rencontre, il y avait, autant que je me souvienne, Han II Mu, alors officier dans l’armée soviétique. Plus tard, il sera président du comité du parti de la province du Kangwon.
Puisque le commandement de l’armée soviétique avait gardé secret notre retour, les habitants de la ville n’étaient pas venus nous saluer.
Les personnalités de renom du pays qui avaient attendu avec impatience notre retour, notamment Ho Hon, Hong Myong Hui et Ryo Un Hyong, apprenant plus tard cette lacune, s’en plaindront: «De quoi a l’air notre peuple si vous arrivez si discrètement sans prévenir personne?» Ri Ju Ha du comité du parti de la ville de Wonsan en dira autant.
Selon Ho Hon, si notre retour avait été annoncé, la plupart des habitants de Séoul, sans parler de ceux qui nous attendaient chaque jour à la gare de cette ville, seraient venus à flot à Wonsan ou à pied ou en train.
Cependant, nous ne souhaitions pas un bruyant accueil. Nos combattants ne voulaient pas la moindre récompense des peines endurées pendant des milliers de jours, du sang versé et des vies éteintes pour la libération nationale. A peine arrivés dans la patrie, nous nous sommes remis au travail, lançant les préparatifs pour la fondation du parti, l’établissement de l’Etat et la mise sur pied de l’armée. Nous saluerions la population de la patrie plus tard, pensions-nous.
A Wonsan, prenant contact avec les cadres du comité local du parti, nous avons ressenti une fois de plus la nécessité de nous mêler au plus tôt au peuple.
Le jour même de mon arrivée à Wonsan, je me suis entretenu avec plusieurs personnes: des permanents du comité du parti de Wonsan au siège de ce comité, des délégués du syndicat ouvrier et des personnes influentes de la communauté locale à l’hôtel Tongyang. En particulier, j’ai causé longtemps avec Ri Ju Ha.
Lors de ces entretiens, j’ai compris qu’aucun groupe, aucune organisation du pays ne savait quelle était la juste orientation à proposer au peuple pour l’édification nationale.
Certains permanents du comité voulaient le soviet; quand la voie à suivre était mise à l’ordre du jour, ils se sont prononcés pour une révolution socialiste immédiate. Le mot d’ordre affiché au mur du bâtiment du comité reflétait leur opinion: «Prolétaires, unissez-vous sous la bannière communiste!»
J’ai demandé aux permanents du comité s’ils voulaient édifier une patrie nouvelle avec la seule classe ouvrière, et ils m’ont répondu: «Du moment que nous luttons pour la révolution communiste, sur qui pourrions-nous compter si ce n’est sur la classe ouvrière?»
Leurs affirmations ne différaient guère de celles des communistes de la première heure que nous avions souvent rencontrés dans la seconde moitié des années 1920. En les entendant répéter les mêmes déclarations vingt ans après dans la patrie libérée, j’ai éprouvé un profond sentiment de déception.
On ne pouvait remarquer dans leur opinion politique et leurs affirmations aucun progrès sensible ni aucune volonté sincère de s’adapter au courant de l’époque.
Je leur ai expliqué: «Ce mot d’ordre ne convient plus aux réalités de notre pays qui doit, dans l’immédiat, procéder à une révolution démocratique anti-impérialiste et antiféodale. C’est sous le drapeau de la démocratie que l’on doit s’unir. Si l’on veut édifier sur le sol de la patrie libérée une société démocratique qui garantisse les libertés et les droits au peuple, il faut regrouper sur le front uni non seulement les ouvriers mais encore les paysans, leurs alliés, et les autres couches patriotiques de la population intéressées par l’édification d’une société nouvelle. Ainsi devrons-nous édifier avec les forces unies de toute la nation un Etat indépendant et souverain, riche et puissant.»
J’ai causé avec eux longtemps avant et après le dîner. Ils me harassaient de questions et je ne pouvais quitter les lieux.
Kim Ik Hyon qui m’accompagnait alors avec So Chol s’est approché de moi et m’a dit que minuit allait bientôt sonner et se demandait si, même dans la patrie libérée, on allait passer la nuit à travailler comme on l’avait fait dans la montagne. Je lui ai dit que, le pays libéré, on se trouvait dans une nouvelle position de départ, et qu’il devait s’en souvenir.
Ce sont les premiers entretiens que j’ai eus dans la patrie, et j’ai alors indiqué aux militants du pays les grandes lignes de l’orientation à prendre pour l’édification nationale à la lumière du Programme en dix points de l’Association pour la restauration de la patrie. J’ai déclaré que le type de pouvoir à établir en Corée était une république populaire démocratique.
Mes rencontres avec Ri Ju Ha et d’autres permanents du comité du parti de la ville de Wonsan ainsi qu’avec des personnages influents de la ville m’ont convaincu que nous avions eu mille fois raison de tracer immédiatement après la Libération, le 15 août, la ligne pour l’édification d’une Corée nouvelle, axée sur la fondation du parti, de l’Etat et de l’armée, d’en accomplir les préparatifs avant de regagner le pays et de vouloir, à peine rentrés au pays, partir chacun pour la région désignée.
Sitôt après notre arrivée à Wonsan, nous avions envoyé par le train du nord certains des groupes d’action dans les provinces du Hamgyong du Nord et du Sud. Le même jour, les camarades chargés de la région de Cholwon étaient partis par le train du sud pour leur destination.
En leur demandant de partir sans se reposer un seul jour, eux qui en avaient vu de rudes sans jamais connaître ce qu’était le repos et qui avaient consacré leur jeunesse à la révolution, j’avais le cœur gros.
De surcroît, le jour de notre arrivée à Wonsan était la veille de la fête du Chusok. J’aurais bien voulu leur permettre de la célébrer à Wonsan et de se remettre de leur fatigue, mais la situation du pays ne le permettait pas. Les groupes qui étaient partis pour les provinces du Hamgyong du Nord et du Sud ont dû célébrer la fête dans le train. Le train était, disait-on, bondé de gens qui se rendaient sur les tombes de leurs ancêtres.
Parmi nos envoyés figuraient Kim C
Moi aussi, j’étais attristé. C
C
Nous devions escalader de nouveaux sommets et pics pour édifier un pays indépendant et souverain, riche et puissant. On devrait verser du sang et de la sueur pour les franchir. Si la guerre contre les Japonais avait été pour nous un chemin inexploré, l’édification d’une patrie nouvelle l’était aussi. Sinon nous ne nous serions pas tant hâtés.
J’ai prié Kim C
Mais jusqu’au moment du retour à Pyongyang après leur mission, ils ne se sont pas permis d’y aller. Ce n’est pas qu’ils ne l’aimaient pas, seulement ils tenaient tellement à leur mission, à leurs responsabilités. Vous avez écrit un chant sur la bifurcation des routes de Mangyongdae et de Kangson, parce que j’avais refusé d’aller voir ma maison natale en me rendant à l’Aciérie de Kangson. Mais tous les combattants de la lutte révolutionnaire contre les Japonais en ont fait de même à leur retour dans la patrie pour s’occuper des préparatifs de la fondation du parti, de l’Etat et de l’armée. Il n’est pas permis d’aller revoir les nôtres avant d’avoir exécuté les ordres et les directives du Commandant, s’étaient-ils dit.
Ainsi, dès le jour de notre arrivée dans la patrie, nous étions allés voir le peuple. Nos combattants étaient partis l’un après l’autre, chacun pour son nouveau théâtre d’opération, sans même avoir défait les lacets de leurs chaussures qu’ils avaient serrés au mont Paektu. Ils considéraient comme un nouveau théâtre d’opération la région dans laquelle ils devaient aller travailler. Notre retour dans le pays n’était à nos yeux qu’un déplacement stratégique destiné à préparer une nouvelle phase de la révolution et non un retour triomphal.
Le 20 septembre 1945, accompagné de ceux qui allaient travailler dans la région côtière ouest, j’ai pris le train pour Pyongyang.
Pour nous accueillir, un représentant du commandement des troupes soviétiques stationnées en Corée du Nord était venu à ma rencontre depuis Pyongyang jusqu’à la gare de Puraesan. Il m’a serré chaleureusement la main et m’a félicité de mon retour triomphal dans la patrie.
Nous sommes arrivés à Pyongyang dans la matinée du 22 septembre. Les combattantes mères laissées à la base d’entraînement sont rentrées dans la patrie vers la fin de novembre, en passant par Sonbong dans le Hamgyong du Nord. Kim Jong Suk, arrivée à Chongjin, m’en a informé par téléphone. Puis, aidées par les combattants expédiés à Chongjin, notamment An Kil, C
Kim Jong Suk a visité l’Usine sidérurgique de Chongjin, la Cimenterie de Komusan, l’Usine métallurgique de Puryong et d’autres entreprises, ainsi que des établissements d’enseignement et de culture; et elle a mené un travail politique énergique auprès des masses de différentes catégories. Elle rencontrait des ouvriers, des paysans, des employés de bureau, des femmes au foyer, des cadres du parti, des organes du pouvoir et des organisations de travailleurs et même des élèves d’écoles secondaires.
On dit que les citadins de Chongjin lui ont réservé un accueil chaleureux. Le journal Saegil Sinmun a alors présenté à la une ses activités révolutionnaires sous le titre en gros caractères: «La vie de Madame Kim».
Elle avait tellement été impressionnée par les villes du nord que même après son retour à Pyongyang elle ne parlera un temps que de Chongjin. Elle s’est souvent souvenue des photos prises avec des élèves d’écoles secondaires comme de la bienveillance du personnel du restaurant de kuksu de Rajin qui avait préparé un déjeuner en l’honneur des combattantes.
Le petit Kim Jong Il, lui aussi, est rentré dans la patrie avec les combattantes.
Dès le lendemain de mon arrivée à Pyongyang, je me suis mis au travail de même que mes compagnons d’armes pour accomplir les tâches de fondation du parti, de l’Etat et de l’armée. C’était la période où je me trouvais le plus occupé depuis le 15 août.
L’essentiel de mon travail portait, comme toujours, sur l’homme, sur les masses. Je me rendais dans les usines, les campagnes et les quartiers d’habitation pour rencontrer le peuple, et mangeant et couchant dans mon bureau ou dans un dortoir avec mes compagnons d’armes comme à l’époque de notre combat au mont Paektu, je recevais des gens de différents milieux de divers coins du pays et de l’étranger, et discutais avec eux des affaires de l’Etat.
Mes compagnons d’armes, chaque fois qu’ils venaient me voir, me suggéraient de passer dans mon village natal pour saluer mes grands-parents. Comme je faisais la sourde oreille, Rim Chun Chu était allé à mon insu à Mangyongdae et, sous le couvert d’un voyageur de passage, s’était renseigné en détail sur la vie de mes proches parents. Grâce à lui, j’ai reçu de leurs nouvelles.
Vers la fin de septembre, le secret avait été divulgué, on ne savait comment et le bruit courait dans la ville que j’étais revenu à Pyongyang. La rumeur était parvenue jusqu’à mon oncle Hyong Rok; il est venu au comité du parti du Phyong-an du Sud et l’a prié de l’aider à me trouver.
Rim Chun Chu lui a demandé de dire tout ce qu’il savait de son neveu. Mon oncle a précisé: «Le vrai nom de mon neveu est Kim Song Ju. On l’appelait Jungson à Mangyongdae lorsqu’il était petit. Quand il sourit, on lui voit une fossette sur la joue.» Le soir, Rim Chun Chu l’a amené chez moi.
En m’apercevant, mon oncle a dit: «Comme tu as dû souffrir!», et a fondu en larmes. En effet, il devait avoir la gorge serrée au souvenir de ses proches reposant sous le ciel étranger, sans personne pour entretenir leur dernière demeure, et aussi au souvenir de ses vingt années de martyre, d’angoisse et de tourments, exposées à tous les vents; il devait en avoir vu de bien dures.
«Te voilà revenu après avoir libéré le pays, mais moi, je n’ai pas su aller jusqu’à ce jour me recueillir sur les tombes de mon frère aîné et de ma belle-sœur, occupé que j’étais à veiller sur la maison. Je ne sais pas pourquoi les nôtres ont la vie si courte.»
Puis, il m’a examiné un moment avant de dire, l’air affligé: «Jadis, tu avais les joues si lisses. Maintenant, elles sont devenues rugueuses; le vent du mont Paektu doit être bien rude.»
Or, pour dire la vérité, ses traits étaient plus tirés que les miens: il paraissait plus vieux que son âge, deux fois plus vieux que vingt ans auparavant. J’ai senti les larmes me monter aux yeux. Que de rides!
Chacun de ces plis devait contenir les amertumes et les douleurs qu’il avait connues.
«Si le mont Paektu n’était pas si loin, j’aurais confectionné du moins des chaussures pour ton armée, mais excuse-moi, moi, ton oncle, je n’ai rien fait pour l’aider pendant ses vingt années.»
J’ai répliqué: «Mais non, oncle, vous vous êtes occupé de la famille.»
Toute la nuit, lui et moi avons causé en échangeant nos vieux souvenirs. Ce n’est que le lendemain que je l’ai laissé repartir pour Mangyongdae. Je l’ai prié de taire mon retour et il me l’a promis. Mais une fois à Mangyongdae, il en a glissé un mot à mon grand-père, qui s’est exclamé:
«Voilà, je m’en doutais bien. Le mont Paektu peut changer, mais notre Song Ju, non. Ces derniers jours, des bruits courent disant que Kim Il Sung est de la province du Jolla ou du Hamgyong. Mais il ne peut y avoir autant de Kim Il Sung en Corée.»
J’ai fait une visite à l’Aciérie de Kangson le 9 octobre et puis nous avons fondé le parti. Enfin, le 14 octobre, j’ai salué pour la première fois le peuple lors du rassemblement organisé à Pyongyang pour me souhaiter la bienvenue.
A franchement parler, je n’ai jamais pensé rencontrer le peuple de façon si solennelle. Cependant, les personnalités du pays et mes compagnons d’armes avaient tenu absolument à organiser cette manifestation.
Le jour où je m’étais présenté pour la première fois, lors d’une réunion, sous mon vrai nom à la place de mon pseudonyme Kim Yong Hwan, un homme était monté sur la tribune et avait proposé de tenir un rassemblement d’envergure nationale en l’honneur de mon retour dans la patrie, et toute l’assistance l’avait approuvé.
En fait, les préparatifs en avaient déjà été entrepris discrètement sous les auspices du comité du parti et du comité politique populaire du Phyong-an du Sud. La veille de la cérémonie, un arc fait de branches de pin et une estrade avaient été dressés au stade public de Pyongyang au pied de la colline Moran.
Dès le début, j’avais dit à Kim Yong Bom de ne pas organiser de cérémonie pompeuse mais le personnel du comité du parti du Phyong-an du Sud n’avait pas voulu m’entendre. Il avait affiché dans toutes les rues l’avis que j’étais rentré à Pyongyang et que le 14 aurait lieu au stade public ma rencontre avec le peuple.
Le 14 octobre 1945, vers midi, me rendant au stade en voiture j’ai été frappé par les flots de gens sur les places et dans les rues. Le lieu de rassemblement était bondé de monde. Il y avait même des curieux perchés sur les arbres autour du stade, et on voyait des foules jusque du côté des pavillons C
Au rassemblement étaient présents le colonel-général Tchistiakov, commandant du 25e groupe d’armées soviétique et le major-général Lebedev.
Plusieurs personnes sont intervenues, dont Jo Man Sik. Je me rappelle un passage de son discours qui a fait rire tout le public. D’une voix modulée, il disait: «A la nouvelle de la libération de la Corée, j’ai douté un moment, et pour m’assurer que ce n’était pas un rêve, je me suis pincé le bras et j’ai ressenti de la douleur.» En parlant, il refaisait le geste.
Les acclamations de la foule «Vive la Corée indépendante!» avaient atteint leur paroxysme quand je suis monté à la tribune. A ces cris, j’ai senti se dissiper en moi la fatigue accumulée pendant les vingt dernières années. Ces acclamations, telle une brise, ont réchauffé mon cœur et mon âme.
C’est un bonheur insigne qui s’est emparé de moi lorsque j’étais à la tribune, applaudi et acclamé par plus de 100 000 personnes.
Si l’on me demandait à quel moment de ma vie je me suis senti le plus heureux, je répondrais: à ce moment-là. Ce sentiment venait de la fierté d’avoir combattu pour le peuple en tant que son fils et de me sentir aimé et applaudi par lui, du bonheur de me retrouver dans ses bras.
On peut dire que les cris de joie des masses qui ont explosé le 14 octobre au stade public de Pyongyang étaient une récompense inestimable des innombrables épreuves et difficultés que nous avions endurées pendant de longues années pour le bien de la patrie et de nos compatriotes. C’était pour moi le témoignage de l’affection et de la confiance du peuple. Comme je l’ai souvent dit, il n’y a pas plus grande félicité que de se sentir aimé et soutenu par le peuple.
Jusqu’à ce jour, j’ai considéré l’affection et le soutien du peuple comme critère absolu pour juger de la valeur d’un révolutionnaire et du bonheur qu’il peut connaître. Sans affection et soutien, que lui reste-t-il?
Les politiciens bourgeois cherchent à séduire le peuple par l’argent, mais nous avons gagné la confiance du peuple au prix de notre sang et de notre labeur. J’étais profondément touché de la confiance que le peuple me témoignait; c’était le plus grand bonheur de ma vie.
Le discours que j’ai prononcé ce jour-là se résume en un appel à la grande union de la nation: j’invitais à participer à l’œuvre patriotique, chacun selon ses possibilités, soit avec sa force physique, son savoir ou son argent: toute la nation devait s’unir pour édifier un Etat indépendant et souverain, riche et puissant.
Le public y a répondu par un tonnerre d’applaudissements et d’acclamations.
Le journal de l’époque Pyongyang Minbo a écrit sous le titre: «Les ovations de 400 000 personnes ont secoué les montagnes et les rivières du pays»:
«Pyongyang, ville de 400 000 habitants, a-t-elle jamais vu, au cours de ses 4 000 années d’existence, un rassemblement aussi important? A-t-elle jamais assisté à une réunion aussi solennelle et significative?...
...Ce qui rend cette réunion historique et émouvante, c’est la présence du Général Kim Il Sung, le grand patriote de la Corée et le héros de Pyongyang; il a prononcé une allocution chaleureuse et encourageante à l’adresse du peuple... Dès que sa figure aux traits virils et dynamiques est apparue à la tribune, le public, qui l’adore et qui l’avait si longtemps attendu, l’a applaudi frénétiquement et a pleuré de joie. La foule était si émue qu’elle a poussé des hourras à en faire s’écrouler les montagnes. Tous étaient animés d’une ferme détermination de lutter en le suivant jusqu’au bout, à la vie et à la mort.»
On peut dire que ce rassemblement a marqué l’engagement solennel de notre peuple dans l’édification d’une patrie nouvelle.
Ce jour-là, sur les lieux, j’ai rencontré ma tante Hyon Yang Sin et mon oncle maternel Kang Yong Sok.
Les larmes me montent encore aux yeux au souvenir de ces retrouvailles que j’ai faites avec ma tante en descendant de la tribune après la cérémonie.
Je ne sais comment ma tante s’était frayé un chemin à travers cette foule compacte. Mais elle était là, dans ma voiture, le visage mouillé de larmes. Ju To Il, à ce qu’on disait, l’avait conduite jusqu’à la voiture, l’ayant aperçue qui avançait obstinément vers la tribune.
— Mon cher neveu, ah, depuis combien d’années, s’est-elle exclamée d’une voix émue, me prenant les mains.
— Tante, vous devez avoir beaucoup de mal à vous occuper de la grande famille, ai-je dit en guise de salut.
— Les peines, mon neveu, tu dois en avoir connues plus que moi dans la montagne. Est-ce pénible d’habiter une chambre chaude en toute saison? En venant ici, j’étais bien inquiète: ton oncle m’a dit que tu étais rentré, mais s’il s’était agi du Kim Il Sung de la province du Jolla? Or, à la tribune, je t’ai reconnu tout de suite. Comme j’étais heureuse! Puis elle a pleuré un Jong moment. Mes compagnons d’armes étaient émus aussi.
— Tante, pourquoi pleurer en ce jour heureux où tout Pyongyang rit et danse?
— Comme je te vois, je me souviens de ma belle-sœur et de mon beau-frère. S’ils étaient vivants et s’ils avaient écouté ton discours, combien ils seraient contents!
— Tante, aujourd’hui vous tenez la place de ma mère.
A ces mots, elle s’est jetée dans mes bras et a éclaté en sanglots.
Je savais bien qu’elle pleurait ma défunte mère à qui elle était plus liée qu’avec ses propres sœurs. On dit qu’elle avait été unie à ma famille à l’âge de 15 ans. Mariée à un homme trop pauvre, elle avait eu du mal, au début, à s’adapter au nouveau ménage. Mais entourée de soins par ma mère, elle s’était prise d’affection pour notre famille.
Ma mère, de son vivant, l’avait beaucoup aimée. Quand on allait travailler au champ, ces deux femmes allaient ensemble. Entre deux sarclages, ma mère, soucieuse de la santé de sa belle-sœur qui semblait se consumer ne pouvant dormir son content tous les jours, lui prêtait son genou comme oreiller pour qu’elle puisse se reposer ne fut-ce qu’un moment, puis, dès qu’elle était assoupie, ma mère lui peignait doucement les cheveux. Comme elle avait fait l’objet d’une telle affection dès son mariage, ma tante n’avait pu oublier ma mère. Elle regrettait beaucoup de n’avoir pu aller présenter ses derniers hommages à la défunte à Antu.
Ma tante a ajouté: «Je suis ingrate. Les femmes de mon espèce, même si elles étaient cent, ne pourraient remplacer ta mère. Mais aujourd’hui, il me semble que son âme plane ici, sur ce stade.» Ce disant, elle s’est essuyé les yeux de sa manche. Puis, tantôt pleurant, tantôt riant, elle m’a raconté l’altercation qu’elle avait eue avec son mari, mon oncle Kim Hyong Rok:
«Ce vieux sournois était allé à mon insu à la ville pour te rencontrer. Ce n’est qu’
Ce jour-là, dans l’après-midi, je me suis rendu à Mangyongdae en compagnie de mon oncle et de ma tante. Nous n’avons pas pris le même chemin qu’aujourd’hui. Nous avons laissé notre voiture au débarcadère de la rivière Sunhwa, et pris un bateau pour gagner mon village natal. Le terrain marécageux du bord était semé de loin en loin comme autrefois de grosses pierres en guise de quai. Quand j’étais petit, j’attrapais là des crabes, les pantalons retroussés.
Je ne peux oublier encore les bruits des maillets de foulage et la senteur des pins de la colline Mangyong. Si mélodieux étaient ces bruits, si suave cette odeur! Les longs beuglements des bœufs venant du côté de la plaine Kalmaeji achevaient de m’émouvoir; j’étais enivré par le parfum du sol natal que je retrouvais après de si longues années.
Les années de ma tendre enfance où je ne pouvais dormir tranquillement à la pensée de mon père en prison me revenaient à l’esprit comme si c’était d’
D’avoir libéré le pays après quarante ans d’occupation étrangère, d’avoir regagné mon pays natal au bout de vingt ans, n’est-ce pas trop long?
On perd le pays en un instant, mais on met des siècles à le retrouver. Il est facile de perdre la patrie, mais difficile de la récupérer, voilà une des leçons majeures que j’ai tirées de mes vingt années de combat contre les Japonais. Telle est la rude vérité de ce monde.
C’est un fait notoire que l’Inde a accédé à l’indépendance après 200 ans de domination anglaise. Jugez combien cher a coûté la perte de la souveraineté nationale quand on apprend que l’indépendance a été reconquise au bout de 300 ans aux Philippines et en Indonésie; au bout de 130 ans en Algérie; et 150 ans après au Sri Lanka; 100 ans au Viêt-nam.
C’est pourquoi je dis souvent à nos jeunes gens: celui qui est privé de son pays ne vaut pas mieux qu’un cadavre vivant; si vous ne voulez devenir des esclaves, défendez votre pays; pour ne pas pleurer la perte du pays, travaillez à le rendre plus riche et plus fort et à bâtir une puissante forteresse en y ajoutant ne serait-ce qu’une seule pierre.
Ce qui me reste comme souvenir de ce jour est l’image d’un enfant de deux ou trois ans, vêtu d’une culotte fendue, agitant les mains vers nous au bord de la route. Je ne sais pourquoi cette image ordinaire m’a si profondément touché. L’image de ce petit enfant à l’air serein, au milieu du monde paisible qu’était mon beau village natal, m’a paru comme le symbole d’une Corée nouvelle.
J’ai senti mon cœur battre fort quand j’ai pénétré dans la cour de ma maison natale, précédé de ma tante. La cour qui m’avait paru large comme une place publique vingt ans auparavant me semblait réduite à la dimension de la paume de la main. J’avais l’impression d’avoir enfin touché la terre ferme après un long voyage en mer, réalisant que c’était là le terminus de mon rude pèlerinage d’une vingtaine d’années.
En apercevant le toit de la maison familière, je ne pouvais avancer davantage, en proie à une hallucination: mon père et ma mère, qui m’avaient chanté leur Berceuse et avaient soufflé sur mes mains engourdies de froid pour les réchauffer, et qui maintenant reposaient, telles des fleurs printanières tombées, en sol étranger, semblaient prêts à se précipiter au-devant de moi comme autrefois pour me prendre dans leurs bras, en criant: «Song Ju!»
Mon grand-père qui était accouru dans la cour, pieds nus, m’a étreint et a dit dans les larmes: «Te voilà enfin de retour, mon premier petit-fils. Ah, laisse-moi te regarder!» Ma grand-mère a fondu en larmes: «Tu es revenu seul. Où as-tu laissé ton père et ta mère? Ils auraient dû revenir avec toi!»
A table, je leur ai offert du vin que j’avais apporté de Pyongyang.
— Grand-père et grand-mère, excusez-moi d’avoir négligé mes devoirs de petit-fils envers vous jusqu’à plus de 30 ans.
— Mais non, il ne faut pas dire ça. Tu as reconquis l’indépendance du pays, ce que n’a pas réussi à faire ton père. C’est là la marque du meilleur dévouement envers les tiens. Se consacrer au pays et au peuple, c’est se dévouer aux siens.
Cela dit, mon grand-père a vidé son verre d’un trait, puis a dit en souriant que ce jour-là, le vin aussi avait un goût particulier. Mais sa main tremblait légèrement. Ma grand-mère aussi a eu le courage de vider son verre.
Toutefois, je n’ai pu me débarrasser d’un sentiment de culpabilité envers eux. L’idée de leur avoir causé tant de soucis ne me quittait pas. J’étais reconnaissant à mon grand-père de ses paroles: le dévouement au pays et au peuple, c’est le dévouement aux siens.
Ce jour-là, presque toute la commune de Nam s’était réunie chez nous. A la nouvelle de mon retour, même de nombreux habitants des îlots de Tudan et de Chuja étaient venus me voir. Mes amis d’enfance étaient arrivés les uns après les autres avec des victuailles.
Un modeste dîner de famille s’est transformé en un banquet réunissant plusieurs dizaines de personnes. Les gens ont dansé et chanté pour me féliciter. Le vieux C
Le soir, je m’apprêtais à passer la nuit dans ma maison natale.
Or, la chambre était alors en réparation, le plancher avait été défait pour remplacer le système de chauffage et la porte était enlevée. Le sol, qui n’avait pas encore séché, était couvert de paille de blé et de riz et une natte de paille y était étendue.
Mon grand-père m’a dit qu’il avait fait préparer, pour moi, une chambre chez un voisin, et que je devrais y aller passer la nuit, bien que ce ne soit pas commode.
Je l’ai rassuré: «Je n’ai pas connu le confort dans la montagne; j’ai couché à la belle étoile. Le ciel était mon toit, les feuilles mortes, ma couverture. Pourquoi irais-je chez autrui, mal à l’aise, alors que je suis chez moi? Je coucherai ici même.»
A ces mots, mon grand-père, l’air content, a dit: «D’accord. Je décommanderai la chambre chez le voisin; en effet, ce n’est pas convenable pour un homme qui revient chez lui après vingt ans d’aller coucher ailleurs.»
Ma grand-mère a étendu sur la natte une couverture de coton, qui se transmettait de génération en génération dans la famille. L’enveloppe de la couverture avait été tissée de ses propres mains.
En pleine nuit, elle a glissé la main sous mon oreiller et m’a demandé doucement:
— Tu as dit que tu t’es marié dans la montagne. Ta femme, était-elle aussi dans la montagne?
— Oui, elle a fait la guérilla avec moi.
— Ton fils te ressemble-t-il?
— On le dit.
— Ah, Dieu soit loué.
Ma grand-mère m’a posé beaucoup d’autres questions encore. De crainte qu’elle n’ait mal au bras, je lui ai demandé si ma tête ne pesait pas trop et elle a répondu que non en enfilant plus avant son bras sous ma nuque. Quelle tendresse dans le bras qu’elle offrait comme oreiller à son petit-fils de plus de 30 ans comme elle le faisait autrefois quand j’étais petit!
«Maintenant que le pays est libéré, il faudrait faire venir les dépouilles de ton père et de ta mère de Mandchourie.»
C’est le dernier sujet dont elle m’avait parlé cette nuit-là. Cette question la préoccupait, et je partageais bien son désir de transférer dans le village natal les restes de ses enfants enterrés en sol étranger.
— Grand-mère, je m’en occuperai, mais je dois commencer par retrouver nos bienfaiteurs. Je devrais chercher monsieur Hwang qui avait aidé mon père à s’échapper des mains de la police à l’auberge de Yonphori, le vieux Kim originaire de Jonju au mont de Kaduk et le vieux Jo qui m’avait sauvé de la mort lorsque j’étais tombé gravement malade. Ensuite, je ferai transférer les restes de mes parents.
— Bien, ton père s’en réjouirait aussi.
Toute la nuit, je lui ai parlé de mes bienfaiteurs, de mes compagnons d’armes et de mes amis, qui m’avaient aidé à Jilin, au Jiandao et au mont Paektu. Et au souvenir de mon père, de ma mère, de mon oncle Hyong Kwon et de mon frère cadet Chol Ju, qui gisaient en terre étrangère, dans un coin de plaine ou sur un versant de montagne sans nom, j’ai pleuré en silence, alors que ma grand-mère aussi étouffait à grand-peine ses sanglots.
Enfin, elle m’a consolé, en caressant mon bras. «C’est bien affligeant que ton père et ta mère ne soient plus de ce monde, mais à leur place, Jong Suk est entrée dans notre famille. Et puis Jong Il est venu au monde pour continuer la lignée de notre famille.»
En me rappelant les années passées au mont Paektu et dans les plaines enneigées de la Mandchourie, j’ai pensé à mes compagnons d’armes qui n’avaient pu revenir dans la patrie, à mes bienfaiteurs et à mes amis d’enfance, et j’ai songé aussi à l’avenir de la patrie nouvelle que nous allions édifier.
La nuit passée à Mangyongdae après vingt ans d’absence a été calme et paisible. Deux mois s’étaient déjà écoulés depuis la libération du pays et la fin de la Seconde Guerre mondiale mais trente millions de Coréens restaient animés d’un vif enthousiasme, d’une grande liesse.
Nul ne se doutait alors que la libération du pays serait suivie du partage du territoire national et de la division de la nation, et que cela entraînerait un profond drame national prolongé.