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CHAPITRE XXII. SAUVEGARDONS JUSQU’AU BOUT LE DRAPEAU DE LA REVOLUTION

1. A Xiaohaerbaling

2. La confiance en l’avenir

3. Après les messages de l’Internationale

4. L’automne 1940

5. Wei Zhengmin

CHAPITRE XXIII. L’ALLIANCE AVEC LES FORCES ANTI- IMPERIALISTES INTERNATIONALES

1. La Conférence de Khabarovsk

2. Le révolutionnaire Kim Chaek

3. Nouveau printemps en sol étranger

4. Nos actions par petites formations

5. La foi et la trahison

6. L’organisation de l’Armée alliée internationale

7. Mes compagnons d’armes des AAUNE

8. Les combattants venus de Mandchourie du Nord

9. Pour conserver saines les racines de la révolution

CHAPITRE XXIV. LA RESISTANCE GENERALE CONTRE LE JAPON

1. Pour le jour de la libération

2. Les flammes de la résistance populaire sur toute l’étendue du pays

3. Pour ouvrir la voie à la campagne décisive contre les Japonais

4. L’âme de la nation

5. Pour l’union avec les forces patriotiques antijaponaises

6. Au-delà du détroit de Corée

7. Les jours de l’ultime combat

8. Le retour triomphal


(Avril—décembre 29 du Juche (1940))


1. A Xiaohaerbaling

La Conférence de Xiaohaerbaling est une conférence historique au cours de laquelle furent adoptées de nouvelles orientations stratégiques propres à hâter la victoire finale de la révolution antijaponaise et à faire le nécessaire pour préparer le grand événement de la libération nationale.

Ce fut l’œuvre de l’effort et de la sagesse du Président Kim Il Sung, qui, au profit de la révolution antijaponaise alors en difficulté, travailla intensément, sans se ménager, à transformer les désavantages en avantages, à remédier aux handicaps dont souffraient la lutte de libération nationale et le mouvement communiste en Corée.

Le Président Kim Il Sung, en maintes occasions, en a évoqué par la suite la préparation et le déroulement.

Après avoir anéanti la «troupe punitive de Maeda» à Hongqihe, nous avons gagné la forêt de Hualazi. Là, nous avons passé en revue les actions de l’ARPC (Armée révolutionnaire populaire coréenne). C’était le bilan de sa Longue Marche, pour ainsi dire, car, en effet, nous avions parcouru jusque-là deux cent mille ri, soit 80 000 km.

La Longue Marche s’est avérée riche en résultats, et nous devions les consolider pour porter notre lutte à un nouveau palier. Les tâches étaient légion; le chemin, devant nous, s’annonçait plus long, plus ardu. Aussi ai-je insisté:

«Nous avons mené à bonne fin la Longue Marche, uniquement grâce à notre force morale et à notre art de la guérilla. C’est d’ailleurs le bilan de notre longue campagne. Aujourd’hui, la situation se dégrade rapidement, de façon inquiétante. Nous devrons donc opérer plus énergiquement, mettant en œuvre l’art varié de la guérilla, conformément aux circonstances et aux particularités de chaque région. Mêlons-nous plus étroitement à la population et intensifions le travail de sensibilisation à son endroit. La victoire finale est encore loin. Ne perdons pas confiance en la victoire de la révolution. Restons imperturbables sous son drapeau. Tenons-nous constamment sur l’offensive et frappons dur l’ennemi.»

Le printemps 1940 a été marqué par le grand acharnement que mettait l’«état-major de l’expédition punitive de Nozoe» à pourchasser l’ARPC. Il lançait des effectifs pléthoriques contre nous, ajustait et complétait sans cesse ses plans d’action dans l’espoir d’anéantir l’ARPC.

Mais nous ne pouvions ni ne voulions lui laisser l’initiative. Jusque-là, nous avions nettement dominé la situation en nous tenant fermement sur l’offensive. Même si le vent tournait à notre désavantage, nous n’aurions pu rester acculés à la défensive.

Mais que faire? Sur quoi compter? Sur notre force morale, sur notre art de la guerre. Oui, c’était bien notre seul et unique atout. En fait d’effectif et d’armement, nous n’étions pas de taille à nous mesurer avec l’ennemi, mais nous prenions nettement le dessus pour ce qui est de la fermeté d’âme et de l’habileté au combat. La question était de savoir lequel des deux belligérants l’emporterait par l’efficacité de son art de la guerre, et la balance penchait nettement de notre côté,

Or, alors que nous campions dans la vallée de Hualazi, les «troupes punitives de Nozoe» battaient les montagnes et gardaient obstinément tous les passages éventuels de notre armée.

Ainsi, bien que nous ayons déclaré notre volonté de rester invariablement sur l’offensive, la situation était très grave. Jugeant insuffisantes les forces dont il disposait en Mandchourie de l’Est, Nozoe avait fait venir des troupes de Tonghua en renfort. Selon O Paek Ryong, celles-ci avaient déjà atteint Liangbingtai, situé aux confins des districts de Yanji et de Dunhua, et un détachement chargé d’on ne savait quelle mission était arrivé du district de Changbai.

Quelles mesures prendre face à un ennemi qui, augmentant ainsi sans cesse ses forces, intensifiait ses opérations «punitives» contre nous?

Nous avions brisé sa première campagne, «opération spéciale pour le maintien de l’ordre public au Sud-Est», par nos opérations de conversion en grandes formations. Quel moyen employer cette fois-ci? Comment réagir à sa nouvelle offensive plus massive et plus acharnée? Revenir une fois de plus à l’opération de conversion, puisqu’elle avait donné des résultats? Ou user d’autres tactiques? Mais lesquelles? Les événements qui se succédaient à l’Est comme à l’Ouest laissaient entendre que l’incendie de la guerre allumé par l’Allemagne et le Japon ne tarderait pas à embraser le monde entier et à engloutir toutes les puissances et les autres pays. Face à cette situation alarmante, quelle ligne stratégique adopter?

A mon sens, deux tâches s’imposaient: adopter immédiatement des mesures énergiques pour briser l’imminente «expédition punitive» et élaborer une ligne stratégique nouvelle, conforme aux exigences de la situation en rapide évolution.

Il faudrait, me disais-je, commencer par mettre au point des moyens tactiques propres à aplanir les difficultés ayant surgi après la bataille de Hongqihe, puis, élaborer une stratégie nouvelle.

Du moment que l’ennemi avait lancé toutes ses troupes dans la fouille des régions de montagnes, nous devions opérer par petits détachements dans les régions de collines. C’était là, à mes yeux, le seul moyen de rester maîtres du champ de bataille.

La plupart des troupes ennemies parties, seuls la police et le corps d’autodéfense restaient à garder les agglomérations urbaines et les villages de regroupement. Il faudrait donc pénétrer dans les arrières de l’ennemi, y engager des opérations perturbatrices énergiques pour disperser ses forces d’«expédition punitive» si nous voulions gagner la partie.

Une fois la décision prise, le gros de l’ARPC a quitté discrètement, à la mi-avril 1940, son camp secret de Hualazi, et s’est embarqué sur le chemin des combats décisifs à l’encontre de l’«opération spéciale pour le maintien de l’ordre public au Sud-Est» entreprise par l’ennemi. Pour commencer, nous avons attaqué en même temps deux gros bourgs de regroupement, Dongnancha et Yangcaogou, situés sur la rivière Xiaosha, puis avons battu à plate couture, dans la vallée de Shujiefeng, une troupe qui nous talonnait; enfin nous avons semé l’ennemi et, arrivés aux environs de Chechangzi, nous nous sommes éclipsés sans laisser de traces.

Les unités d’An Kil et de Choe Hyon qui opéraient respectivement à Yanji et à Wangqing nous ont soutenus énergiquement par leurs opérations perturbatrices fulgurantes au cœur de ces deux districts.

Or, contrairement à nos attentes, la réaction fut molle, sinon nulle, de la part de l’ennemi.

Il fallait des coups plus forts, plus retentissants, un appât plus alléchant. Nous ferions donc une descente dans trois villages à la fois à l’est du chef-lieu du district d’Antu, puis on verrait. Sitôt dit, sitôt fait. Par une nuit, nous avons pris d’assaut Nanerdaogou, Beierdaogou et Xinchengtun.

Cette fois, le coup portait. L’ennemi se jette à corps perdu sur l’appât. Croyant que le chef-lieu du district d’Antu allait tomber, les troupes de l’armée japonaise du Guandong qui, jusque-là, se tenaient obstinément en position aux confins sud d’Antu et de Helong, ont accouru en force. S’y sont jointes des unités de la garde frontalière mandchoue-coréenne.

Pourquoi avions-nous mis tant de peine à attirer l’ennemi vers le centre de la région d’Antu? Pour le frapper dur, d’une part, après avoir dispersé ses forces, et d’autre part, étendre de nouveau notre lutte armée à la Corée en faisant quitter aux troupes japonaises les régions riveraines du Tuman qu’elles gardaient obstinément.

L’unité de Kim Il était désignée pour un raid en Corée. J’ai ordonné au 8e régiment d’avancer, sans trop se hâter, divisé en plusieurs petits détachements, en direction de la frontière, et j’ai expédié le 7e régiment et la compagnie des gardes du corps vers le nord du district d’Antu. Dès lors, nos unités se sont mises à frapper l’ennemi presque quotidiennement.

Peu de temps après, Kim Il, à la tête d’un petit détachement, a pénétré en Corée sans bruit et, arrivé à la mi-mai aux abords du canton de Samjang, dans l’arrondissement de Musan, a attaqué un poste de garde frontalière, puis, pendant deux jours, a mené l’information parmi la population.

Il y avait alors un ordre formel de Minami, gouverneur général japonais en Corée: ne pas laisser les troupes de partisans violer la frontière; faire en sorte que pas un seul homme ne puisse la passer. Et voilà que tout un détachement de l’ARPC était venu opérer en Corée, tirant des coups de feu au vu et au su de tout le monde et menant à loisir son information politique. Voilà un fait notable dans les annales de la révolution antijaponaise de la première moitié des années 1940.

Pour consolider et développer le succès de nos raids en Corée, nous avons multiplié nos opérations dans les régions riveraines du Tuman, au centre et au nord du district d’Antu, et avons rudement frappé l’ennemi.

Ainsi, dès le tout début, la nouvelle «expédition punitive de l’état-major de Nozoe» est allée à la dérive devant notre contre-attaque énergique. L’état-major de Nozoe en accusait les commandements des «troupes punitives régionales et locales» tandis que ceux-ci s’égosillaient à en rejeter la responsabilité les uns sur les autres. Pas un jour sans engueulade; l’état-major de Nozoe, dépité, débordé, multipliait les directives.

Nous préparions de nouvelles opérations lorsque, de Mandchourie du Sud, sont venus nous rejoindre une soixantaine d’hommes, une partie des débris de la 1re armée de route, conduits par Han In Hwa. C’était Wei Zhengmin qui nous les envoyait, nous a dit celui-ci qui voulait se joindre à mes troupes. Cadre de l’état-major de la 1re armée de route, il était aussi commissaire politique de la brigade des gardes du corps.

J’ai estimé nécessaire de leur remonter le moral en les faisant participer à nos opérations.

Au début de juin, nous avons pris d’assaut Dongjingping et Shangdadong. Entrés dans ce premier bourg, nous avons constaté que le lieu était sans défense. C’est que le bourg ayant fait l’objet de notre attaque une dizaine de jours auparavant, personne ne s’était douté que nous y reviendrions. Par la suite, nous avons attaqué plusieurs autres bourgs à la fois.

Après une descente à l’exploitation forestière de Gudonghe, le lendemain, nous avons célébré la fête du Tano avec les camarades de Mandchourie du Sud par un dîner copieux grâce à notre butin.

Han In Hwa, entre deux vins, a pris ma main dans les siennes et m’a confié: «Je pense comprendre maintenant pourquoi Wei nous a envoyés auprès de vous. Ce qui se passe ici montre que la situation au Jiandao est pire qu’en Mandchourie du Sud. Mais, les “troupes punitives” de l’adversaire, elles, paraissent agir, non sur les ordres de Nozoe ou de Umezu, mais bien sur les vôtres. On dirait qu’elles vous obéissent au doigt et à l’œil.»

Profondément impressionné par nos opérations, il déclarait: «La 2e colonne n’a pas son égale. Aucun adversaire ne pourrait oser se mesurer avec l’armée du Commandant Kim. Maintenant, nous aussi, nous nous sentons assez forts et habiles pour nous battre. Après mes rendez-vous avec Chen Hanzhang à Emu ou à Dunhua et avec Zhou Baozhong à Ningan, nous montrerons à notre tour de quel bois nous nous chauffons.» Les actions intrépides et habiles de l’ARPC ont jeté le désarroi parmi les Japonais. Désemparés, ils ne savaient où donner de la tête.

Toutefois, dans l’espoir de relancer leur «opération spéciale pour le maintien de l’ordre public au Sud-Est», ils ont entrepris de tendre un réseau serré de surveillance et de garde sur toute l’étendue du Jiandao. C’est alors qu’un grave incident s’est produit dans notre troupe. Lu Boqi, responsable politique de la 2e colonne, a été fait prisonnier à proximité de Damalugou, dans un camp secret où il était allé se faire soigner, et il a livré à l’ennemi tout ce qu’il savait sur notre compte.

De nouvelles difficultés surgissaient, et pour les écarter, nous avons décidé d’intensifier nos opérations en changeant de tactique.

L’idée m’est venue de diviser l’armée en plusieurs petits détachements et de les lancer vers divers endroits, déclenchant ainsi une guerre d’usure audacieuse et habile contre un ennemi qui arrivait en force. Il y avait à cela plusieurs avantages. Nos petits détachements pourraient se déplacer aisément et rapidement, percer sans trop de difficulté le cordon serré de surveillance ennemie, pénétrer sans être aperçus le camp ennemi, et y semer la confusion.

Au cas où ils seraient repérés, ils pourraient, avec leur effectif réduit, semer sans grand-peine les poursuivants.

Après en avoir pesé mûrement le pour et le contre, nous nous sommes lancés dans l’entreprise sans regarder en arrière. Désormais, c’était la guerre menée par de petits détachements de partisans, une guerre d’usure proprement dite.

De cette façon, sans hésiter le moins du monde devant la nouvelle offensive de l’ennemi, nous y avons réagi de façon prompte et résolue en entreprenant une contre-attaque énergique.

Si, au contraire, pris de peur, nous avions voulu décrocher et nous mettre à l’abri, que serait-il advenu de nous? Nous aurions subi des pertes incalculables, cela ne fait pas de doute. Or, nous sommes sortis victorieux du grand duel, car, toujours maîtres de la situation, nous avons frappé l’ennemi tant et si bien que, étourdi, celui-ci n’a pu en revenir facilement.

L’ennemi avouera de lui-même l’échec de sa campagne «punitive» du printemps et de l’été 1940 contre l’ARPC.

«La troupe de bandits, ayant habilement échappé aux coups de notre expédition punitive de l’automne et du printemps derniers, se montre très active à la faveur de la belle saison. Tout dernièrement, elle a eu l’audace de pénétrer profondément dans nos arrières, jusqu’aux deuxième et troisième lignes, et d’y attaquer des villages. C’est le comble de l’insolence, et les revers qu’elle nous a causés sont loin d’être négligeables. Je partage votre profond chagrin et votre regret. En fait, nous avons pour nous les troupes des armées japonaise et mandchoue, la gendarmerie, la police, la garde des chemins de fer, l’Association de la concorde et autres, dont l’effectif monte à plusieurs dizaines de milliers d’hommes. Ainsi, quelque défavorables qu’aient pu être le temps et le terrain, si elle a eu toute la marge d’action, il faudrait en incriminer avant tout le chef de l’expédition punitive en l’occurrence moi-même, et toutes les autres personnes concernées. Mais si on y regarde de plus près, on ne tardera pas à s’aviser de l’absence de coordination et de coopération entre nos troupes et nos autres organisations, à relever certains défauts dans leur comportement. Tout observateur en viendra à se demander si ce n’est pas ces insuffisances et ces défauts qui entravent le développement de notre campagne spéciale et laissent aux bandits une marge d’action.» [«Dossier concernant l’opération pour le maintien de l’ordre public», état-major de l’expédition punitive de Nozoe, 15 de Showa (1940)]

En effet, très instructive a été l’expérience de nos petits détachements au printemps et à l’été 1940. Jusque-là, nous avions opéré principalement par grosses unités et rarement par petits détachements.

Or, dès l’été 1940, nous avons procédé par petits détachements en divers endroits à la fois, assenant à l’ennemi des coups simultanés, répétés et successifs, et faisant preuve de souplesse d’esprit. L’expérience de ces actions nous a convaincus que plus de forces l’ennemi lance contre nous et plus il resserre son étau d’encerclement et son réseau de surveillance, plus nous devons réduire l’effectif de notre unité d’action et intensifier la guérilla. C’était un grand capital entre nos mains pour élaborer les orientations stratégiques et les moyens d’action pour l’étape suivante.

N’était cette expérience, je n’aurais pas osé, en août 1940, lors de la Conférence de Xiaohaerbaling, proposer l’action de petits détachements à la place de celle de grandes unités. Mais cette expérience et la conviction que nous avions en sa pertinence nous ont permis d’opter sans hésiter pour ce moyen d’action comme principale forme de lutte à même de nous permettre de rester maîtres de la situation dans la première moitié des années 1940.

Certaines gens considèrent la Conférence de Xiaohaerbaling comme le début des actions par petits détachements après les opérations par grandes formations. C’est faux.

La guérilla a ceci de particulier qu’elle exige une grande souplesse d’esprit et une grande capacité d’adaptation, car elle doit faire face à tous les changements éventuels de la situation militaire et politique ainsi qu’à l’évolution imprévisible de l’action. Même dans la seconde moitié des années 1930, bien que nous nous battions principalement par grandes formations, nous n’avions pas oublié d’évaluer à sa juste valeur l’action des petits détachements et de faire appel, au besoin, à cette forme d’action.

Ainsi, après une période d’essai au cours du premier semestre de 1940, toutes les troupes de partisans se sont mises, après la Conférence de Xiaohaerbaling, à opérer en plusieurs petits détachements.

Voilà ce qui a suivi les années de nos opérations de conversion en grandes formations. Aujourd’hui, j’en ai fait un assez long exposé, car nos historiens se plaignent souvent de manquer de documents sur cette période de l’histoire.

Si l’on envisage les choses par rapport à la Conférence de Xiaohaerbaling, on pourra voir nos actions du printemps et de l’été 1940 comme l’étape préparatoire de cette réunion.

La guerre ayant éclaté en Europe s’étendait rapidement ailleurs dans le monde quand l’idée nous était venue pour la première fois de changer de stratégie pour faire face aux rapides changements de situation.

Désireux de réaliser leur ambition de «sphère de coprospérité de la grande Asie orientale», les impérialistes japonais se démenaient follement, cherchant par tous les moyens à étendre la guerre à l’Asie du Sud-Est, bien qu’ils fussent loin de mener à terme la guerre d’agression entreprise contre la Chine, et en même temps, s’évertuaient à assurer la sécurité de leurs arrières.

Comme je viens de vous le rappeler, s’ils avaient engagé obstinément une vaste campagne contre nous et intensifié la répression et le pillage chez nous, c’est qu’ils se raidissaient dans leur politique de guerre d’agression.

Cependant, nous envisagions les choses d’un autre œil: plus ils étendraient la guerre, plus ils se trouveraient aliénés au Japon comme dans le reste du monde, et plus profondément ils s’enliseraient dans la crise politique, économique et militaire.

Tout ce qui se passait attestait que le glas avait sonné pour l’impérialisme japonais, et que, sa fin n’étant désormais qu’une question de temps, le peuple coréen ne tarderait pas à recouvrer son indépendance.

Je me suis mis à analyser les victoires et les expériences des dix dernières années de notre lutte armée contre les Japonais et à méditer sur une nouvelle orientation: il fallait désormais préserver et accumuler nos forces face aux rapides changements de situation pour préparer le grand événement de la libération nationale.

C’était aussi ce qu’exigeait la révolution en rapide progrès.

Or, pour aborder une nouvelle étape stratégique, il ne fallait pas seulement suivre le cours des événements, s’y conformer, mais aussi et surtout lutter énergiquement; il fallait absolument rester maîtres de la situation, bien connaître les forces motrices de la révolution, appelées à réaliser la victoire et analyser à fond les luttes antérieures.

J’ai commencé par voir si nous avions atteint les objectifs stratégiques que nous nous étions fixés à l’étape précédente.

J’ai passé en revue, point par point, tout ce que nous nous étions proposé d’accomplir lors de la Conférence de Nanhutou. Et j’ai constaté avec satisfaction que rien n’avait été négligé ou abandonné à mi-chemin: pose des bases organisationnelles et idéologiques du futur parti, formation et extension d’un front uni national contre les Japonais, déplacement de nos théâtres d’action vers la région frontalière, extension de notre lutte armée à la Corée. Le bilan était encourageant.

Un autre point important dans la définition d’une étape de la lutte armée concerne les rapports de force entre les parties adverses.

A l’époque, pas question de nous mesurer en fait d’effectif avec l’ennemi qui nous appelait un «grain de sable dans la mer». En effet, on ne pouvait pas parler de rapport de force entre nous et l’ennemi.

Mais selon nous, il ne s’agissait pas de calculs arithmétiques. Chacun de nos combattants valait mieux qu’une centaine, qu’un millier de soldats ennemis.

Depuis la Conférence de Nanhutou, l’ARPC s’était renforcée incomparablement sur les plans idéologique, politique, militaire et technique. Peu nombreuse, elle détenait cependant l’initiative de l’action entre ses mains, et se battait efficacement contre un adversaire qui lui était des dizaines, des centaines de fois supérieur en nombre; elle n’avait inscrit qu’un palmarès de victoires dans ses annales. Ayant maîtrisé les arcanes de l’art de la guerre, elle pourrait maintenant venir à bout de toute adversité.

L’ARPC était une armée révolutionnaire de type nouveau qui se battait pour réaliser non seulement des tâches militaires, mais aussi des tâches politiques.

Elle tenait une position-leader et jouait un rôle de protagoniste croissant dans la lutte armée contre les Japonais et dans l’ensemble de la révolution coréenne, et cela prouvait que nous avions eu mille fois raison de nous efforcer en toute priorité de mettre sur pied les forces armées révolutionnaires et de les développer.

En règle générale, les communistes, dans leur lutte pour la prise du pouvoir, s’emploient avant tout à fonder leur parti en tant qu’organisation politique dirigeante, et ensuite, à constituer leurs forces armées. C’est un principe universellement reconnu ou peu s’en faut.

Mais j’avais tenu compte du rôle déterminant des forces armées révolutionnaires et de la violence dans la lutte révolutionnaire en général et dans la lutte de libération nationale en particulier, et j’étais parti des réalités de notre pays, pour décider d’établir d’abord les forces armées et ensuite le parti.

Nous avons créé l’Armée de guérilla populaire antijaponaise en avril 1932. C’était la première troupe armée au service de notre révolution; nous l’avons développée et renforcée constamment pour la transformer par la suite en l’ARPC. Nous nous en sommes servis comme pilier dans notre lutte armée et dans l’ensemble de la lutte de libération nationale contre les Japonais, que nous n’avons cessé de développer. Grâce à son rôle prépondérant et à son soutien armé, nous avons réussi la préparation organisationnelle et idéologique de la fondation du parti et la constitution de l’Association pour la restauration de la patrie, avons étendu le front uni national et avons préparé le soulèvement national de toute la population.

En fait, l’ARPC était le moteur, le pilier de notre révolution, la force politique dirigeante et le défenseur armé des intérêts de la nation coréenne à l’époque de notre lutte contre l’agresseur japonais. Elle était une armée entièrement à notre service, qui tenait office de parti et de pouvoir.

Tout cela témoignait de la présence de forces parfaitement à la hauteur des tâches issues de la nouvelle étape stratégique.

Des succès notables ont marqué également notre effort pour la sensibilisation et l’organisation des masses populaires. L’Association pour la restauration de la patrie comptait alors plus de deux cent mille adhérents.

De plus, il existait en Corée plusieurs organisations semi-militaires, dont les troupes de choc d’ouvriers et les troupes de producteurs-partisans. Autour de celles-ci qui jouaient un rôle pilote, divers détachements armés se sont constitués ici et là en préparant ainsi un soulèvement populaire à l’échelle nationale.

Les masses restées hors du réseau ne laissaient pas à désirer, elles non plus, quant à leur disposition d’esprit.

Voici ce qui s’est passé lorsque le détachement de Kim Il atteignait le fleuve Tuman après son raid à l’intérieur du pays.

Un paysan boiteux le suivait à distance sans se laisser semer. Enfin, il s’approche et dit: «Ah, messieurs les partisans, je vois que vous voulez traverser le fleuve par ici; il ne faut pas. Ce soir, vous devriez aller ailleurs passer les eaux, cet endroit grouille d’ennemis.»

Kim Il et les siens ne savaient s’il fallait faire confiance à l’inconnu. Voyant les nôtres hésiter, ce dernier a sorti une coupure de journal et la leur a tendue. «Voilà en guise de papiers. Vous pouvez me croire.» Ce geste n’avait fait qu’ébranler nos camarades, car un petit morceau de journal à peine large comme la paume de la main n’avait vraiment pas de quoi susciter la confiance.

Puis, ils ont vu que c’était un article d’information sur nos actions dans la région de Musan (en Corée — NDLR) en mai 1939. Alors, en partisans avertis et expérimentés, ils ont jugé favorablement l’inconnu et lui ont demandé le chemin.

Celui-ci leur a alors proposé de les guider: «Là où je vous conduis, vous trouverez des surveillants. Mais rien à craindre. Ce sont tous de bonnes gens.»

Ainsi, aidés par ce paysan, nos camarades ont traversé tranquillement le fleuve à la faveur de la nuit.

Les quelques paysans mobilisés pour monter la garde sur le fleuve avaient bien vu les nôtres passer le fleuve, mais avaient fait semblant de rien. Même, certains chuchotaient: «Non, pas par là, c’est profond. Mais par ici, c’est un gué.»

L’excellente disposition politico-morale de la population et son soutien toujours croissant à l’ARPC ont puissamment encouragé notre lutte armée contre les Japonais.

Un troisième point important dans la définition d’une nouvelle étape est de saisir les intentions stratégiques et tactiques de l’ennemi, qui ne cessent de changer.

Nous avons fait prisonnier, à l’été 1940, un officier de génie japonais au chantier de construction de route à Huanggouling et, en l’interrogeant, nous avons appris que l’ennemi construisait un vaste réseau de routes à usage militaire au Jiandao et en Mandchourie du Sud. Ce réseau qui, autour d’Antu, relierait Helong, Yanji, Dunhua, Huadian, Fusong, s’étendrait jusqu’en Corée, dans les vallées profondes de la région nord-est du mont Paektu, où personne n’osait se hasarder.

Et jour après jour, l’«état-major de l’expédition punitive de Nozoe» et, par son intermédiaire, le QG de l’armée japonaise du Guandong se tenaient au courant du progrès de la construction. Selon les aveux du prisonnier, Nozoe lui-même inspecterait sous peu ces routes en cours de construction qui devaient permettre de rapides déplacements de ses troupes lors des campagnes «punitives» contre l’ARPC. Donc, une fois ces routes achevées, des forces pléthoriques afflueraient de Corée et du nord-est de la Chine dans nos zones d’action.

L’ennemi avait installé dans le plus grand secret de nombreuses pistes d’atterrissage dans les environs. Selon les renseignements, sur l’ordre de Nozoe, des bases aériennes militaires allaient être établies dans les trois provinces du Sud-Est. L’officier japonais a indiqué l’emplacement de chacune et affirmé que tous les escadrons aériens relevaient, à sa connaissance, des commandements des «troupes punitives régionales ou locales».

A l’en croire, nous nous trouvions entourés d’un réseau de bases aériennes militaires de l’ennemi.

L’état-major de Nozoe s’apprêtait à cette époque à déplacer son siège de Jilin à Yanji, et le commandement des «troupes punitives de la région est», de Yanji à Tumen.

Les informations pleuvaient au QG de notre armée, confirmant que l’ennemi amenait de plus en plus de forces dans nôtre zone d’action, syndrome de fièvre chez lui, prêt à risquer le tout pour le tout pour avoir raison de nous.

Ces changements brusques intervenus dans le camp ennemi rendaient inutiles les orientations stratégiques que nous avions suivies jusque-là. Il en fallait de nouvelles.

Eviter les pertes en nous abstenant d’actions irréfléchies, préserver et accumuler les forces de notre révolution tout en restant maîtres du champ de bataille, telle devait être la nouvelle ligne à suivre, la plus pertinente en l’occurrence pour mener à bien notre révolution.

Cette nouvelle ligne de conduite en vue de préparer la libération nationale a été adoptée en août 1940 lors de la Conférence de Xiaohaerbaling.

Nous étions arrivés aux confins des districts d’Antu et de Dunhua quand Ri Ryong Un, commandant du 15e régiment et Im Chol, chef de compagnie, sont venus nous voir, accompagnés de quatre ou cinq gardes du corps.

J’ai expliqué à Ju Jae Il la raison pour laquelle je tenais à convoquer une réunion de cadres militaires et politiques à Xiaohaerbaling et lui ai ordonné de faire venir tous les cadres de l’armée depuis les chefs et les instructeurs politiques de compagnie, avant le 9 août (ou le 7 du 7e mois lunaire). Quant à An Kil et Choe Hyon qui opéraient à Wangqing et à Dongning, pas la peine de les convoquer; on les informerait du résultat de la conférence plus tard, et, des 13e et 14e régiments, on ferait venir seulement les cadres des compagnies qui se battaient à proximité. Pas la peine non plus d’appeler les cadres du 15e régiment, puisque Ri Ryong Un et Im Chol étaient là.

La Conférence de Xiaohaerbaling a duré deux jours, soit les 10 et 11 août.

L’ordre du jour s’est ramené à discuter de la pertinence de définir l’étape suivante comme celle du grand événement révolutionnaire. Autrement dit, pourrait-on réellement libérer le pays?

J’ai dit oui. Et d’expliquer: «L’armée japonaise est encore assez forte, mais c’est désormais une armée en déclin. A preuve l’émeute dans une unité d’aviation, élite de l’armée japonaise du Guandong; les déserteurs et les transfuges ne cessent de se signaler sur le front sino-japonais, les autorités concernées sont sur les dents à les contrôler. Inutile d’en dire plus long. Le jour n’est pas loin où l’empire nippon tombera en poussière.»

Les Japonais avaient décrété une levée spéciale de volontaires et enrégimentaient en masse les jeunes Coréens pour s’en servir comme chair à canon. Même recrutement à Taïwan et en Mandchourie.

Ainsi, ils s’évertuaient à jeter dans les champs de bataille jusqu’aux jeunes et aux adultes des pays colonisés qui leur gardaient rancœur, tellement ils souffraient de manque d’effectifs.

Depuis les Evénements du 18 Septembre1 jusqu’à ceux du 7 Juillet2, l’armée japonaise a perdu, rien qu’en Mandchourie, environ deux cent mille hommes. Les pertes en vies qu’ils avaient subies en un an sur le front sino-japonais ont été beaucoup plus importantes.

Leurs réserves d’articles d’usage stratégique touchaient aussi à leur fin.

Peu avant notre Conférence de Xiaohaerbaling, les Japonais tiraient des cartouches fabriquées après 1939. Lors de la bataille du mont Jiansan, ils avaient utilisé des cartouches produites dans les années 1920. Cela montrait que leurs réserves de munitions s’étaient aussi épuisées.

D’autre part, la situation politique ne cessait de se dégrader au Japon: on assistait tous les trois ou quatre jours à un renouvellement du cabinet des ministres, et des disputes éclataient continuellement en son sein. Des antagonismes déchiraient les milieux militaires. Les généraux et les officiers, divisés en plusieurs factions, se querellaient, sans arriver à coordonner leurs opérations ni à collaborer. Par surcroît, l’hostilité entre les capitalistes et les ouvriers, entre l’armée et la population, entre la métropole et les colonies, atteignait à son paroxysme. Il fallait que les impérialistes japonais noyautent toutes les agglomérations dans leur propre pays pour bâillonner la population.

J’ai donc insisté sur ce point: «En élaborant une nouvelle ligne stratégique, nous avons tenu spécialement compte du fait que le Japon avait laissé explicitement entendre que l’axe de sa politique était d’attaquer l’Asie du Sud-Est à la faveur de la guerre déclenchée en Europe. S’aventurer réellement dans ce sens reviendrait à creuser de ses mains sa propre tombe.»

Lors de la conférence ont été également discutées et définies les tâches stratégiques à réaliser à l’étape du grand événement de la libération nationale.

C’était préserver l’ARPC, pilier de la révolution coréenne, et former des cadres politiques et militaires compétents.

La libération du pays supposait une lutte à outrance, une lutte finale qui absorberait tout le potentiel politique et militaire des deux parties adverses, et si nous voulions en sortir victorieux, il fallait préparer chacun de nos combattants de telle façon qu’ils puissent assumer des missions revenant habituellement à de haut-gradés puis, après la libération du pays, participer à l’édification d’une patrie nouvelle en jouant un rôle de premier plan.

Le combat final et l’édification d’une patrie nouvelle, voilà deux tâches stratégiques qui s’imposaient et dont l’exécution marquerait le début d’une ère nouvelle dans l’histoire de notre pays, et un tournant décisif dans la vie de notre peuple. Or, personne ne pourrait s’en charger à notre place. C’était à nous, c’est-à-dire à l’ARPC et au peuple coréen de les mener à bien.

Or, qu’avons-nous pour nous y mettre et réussir? Les forces que nous avions formées nous-mêmes au cours de longues années de révolution antijaponaise. Nous livrerions le combat final. Que les autres viennent nous aider de leur gré, nous n’en demanderions pas mieux. Mais nous-mêmes devions décider de tout. «Eh, camarades, pouvez-vous améliorer votre compétence de façon à pouvoir assumer des missions de deux, trois grades supérieurs?» Tous ont répondu en chœur par l’affirmative. «Pouvez-vous armer toute la population et la pousser à un soulèvement populaire général?» Ils ont également répondu oui.

Pour mener à bonne fin ces deux tâches, nous avons décidé de passer de l’action des grandes unités à l’action des petits détachements.

Cette mesure avait soulevé quelque controverse. Certains craignaient: en voulant faire face à la nouvelle offensive massive de l’ennemi par l’action de petits détachements, ne risquerait-on pas une perte après l’autre?

Et j’ai dit: «Le temps n’est plus aux grandes unités. Il ne convient plus de faire du remue-ménage en opérant par grandes unités. L’ennemi vient en force et ne souhaite pas mieux que de nous prendre tous d’un seul coup de filet, pour nous écraser d’emblée. S’obstiner à opérer par grandes formations revient à tomber dans les trappes posées par l’ennemi, à aller au-devant de la mort. C’est, comme on dit, pénétrer, la tête coiffée d’un potiron, dans une tanière de sanglier. Nous devons opérer par petites formations et frapper l’ennemi un peu partout tout en menant l’information parmi la population. Il ne nous sera alors pas difficile de trouver de quoi nous nourrir, et nous aurons plus de liberté et de facilité dans nos mouvements. Combien de nos compagnons d’armes ont donné leur vie lors d’une mission d’acquisition de vivres? Or, les provisions acquises au prix de leur vie n’ont pas suffi à nourrir d’importantes troupes. D’autre part, en opérant par petits détachements, nous pourrons entraîner ici et là les troupes ennemies pour ainsi les disperser au maximum.

L’efficacité de ce mode d’action a été démontrée par la campagne énergique du printemps dernier et de cet été de nos petits groupes de partisans. Ce que nous voulons, c’est n’offrir à l’ennemi que des cibles modestes.

Il faut, à cette fin, opérer, dans les vastes régions en Corée et en Mandchourie, par petits détachements en faisant preuve de souplesse, intensifier l’information politique parmi la population, prendre sans tarder les mesures nécessaires pour améliorer la formation politique et militaire des partisans, resserrer nos liens de solidarité avec les forces anti-impérialistes internationales.» Voilà ce que nous avions souligné une fois de plus. Puis, nous avons convenu des mesures précises à prendre avant de clôturer la réunion.

La Conférence de Xiaohaerbaling a ainsi décidé de changer de ligne stratégique au seuil d’une nouvelle époque qui allait marquer un tournant dans le cours de notre révolution. Réunion de portée historique au même titre que la Conférence de Mingyuegou de décembre 1931 et de celle de Nanhutou de février 1936 qui définirent les lignes stratégiques à suivre pour déployer et développer la lutte armée contre les Japonais.

Si nous n’avions pas alors réagi promptement aux changements de situation, et si, préoccupés seulement des succès immédiats, nous nous étions obstinés à opérer par grandes formations, nous n’aurions pu conserver nos forces; loin de là, nous aurions tous péri, ne laissant derrière nous que de tristes noms de martyrs disparus.

Xiaohaerbaling est situé à l’extrémité de la crête des monts Haerba qui longe la frontière entre les districts de Dunhua et d’Antu. La réunion s’était tenue sur le flanc nord de la colline devant lequel s’étendait un pré.

Aujourd’hui encore, je revois le pré luxuriant chaque fois que l’on parle de cette conférence. Personne n’y venait alors faire les foins, peut-être parce qu’il était loin des agglomérations. En contemplant le beau pré, j’ai songé aux camarades de la Mandchourie du Nord, comme Kim Chaek, Ho Hyong Sik, Pak Kil Song: ils se battent à cheval et comme ils seraient ravis de trouver un aussi luxuriant pré! Or, ces camarades chers à mon cœur, je ne les verrai que plus tard, en territoire soviétique extrême-oriental.

2. La confiance en l’avenir

Cela s’est passé au printemps 1940.

Le gros de l’ARPC opérait alors au nord-est du mont Paektu, notamment à Antu et Helong, où il multipliait faits d’armes et actions politiques.

C’était, il faut le dire, une époque de rudes épreuves pour nous: nous tenions à rester maîtres de la situation, quoique peu nombreux, et nous avons dû, de ce fait, passer par d’innombrables difficultés.

Le plus grand mal venait de l’«expédition punitive» d’envergure entreprise par l’ennemi spécialement contre le QG de l’ARPC. Des vagues d’assauts furieux et successifs: des centaines, des milliers d’hommes se jetaient sur nous de tous côtés dans une clameur assourdissante. L’acharnement et la furie que mettait l’ennemi à nous attaquer avaient bien de quoi faire perdre la tête.

Nozoe râlait et fumait; il était décidé à risquer le tout pour le tout. Cela se comprenait. N’avait-il pas affirmé naguère encore qu’il allait «lancer son coursier à l’assaut du mont Paektu et détruire le repaire des bandits, une fois pour toutes»? Mais, après un hiver de campagne fiévreuse, le voilà à plat, à bout de souffle, rudement molesté par l’ARPC. Celle-ci lui avait riposté par les opérations de conversion de ses grandes unités. Et Nozoe devait être traité de tous les noms par le chef de l’armée du Guandong et l’état-major général de l’armée nipponne.

Dépité et excédé, il eut un dernier soubresaut de rage; il avait fait venir du renfort de Fengtian et de Tonghua; il avait même appelé des unités de la garde en poste sur la frontière soviéto-mandchoue pour les jeter dans son «expédition punitive».

D’autre part, les traîtres, dont Rim Su San, s’étaient offerts à guider les troupes ennemies qui s’évertuaient à mettre la main sur le QG de l’ARPC, ce qui rendait notre situation plus difficile encore.

Ce n’était pas tout. L’ennemi avait implanté ses agents secrets jusqu’au plus profond des montagnes, et ceux-ci, planqués dans des huttes de chasseurs, des cabanes à culture de champignons, des huttes de cultivateurs secrets de pavot, épiaient les mouvements des troupes de partisans. Par surcroît, des bandes de laquais de l’ennemi appartenant à un quelconque «détachement d’opération» venaient rôder aux abords de nos secteurs d’action pour tenter cyniquement leur chance: «La situation tourne en faveur de l’empire nippon. La révolution est sans avenir. A quoi bon verser du sang pour une révolution condamnée? Rendez-vous.» Voilà ce qu’ils nous criaient de loin.

Notre plus grand handicap était le manque de vivres.

L’ennemi s’était mis en quatre pour nous couper toute voie de ravitaillement, ne laissant rien passer entre nos mains. Tous les stocks que nous avions aménagés au fond des montagnes, l’ennemi n’avait pas tardé à les découvrir avec un flair de félin et à les détruire.

Dans les villages de regroupement, un contrôle drastique sur la circulation des denrées alimentaires. Les sentinelles aux portes de la muraille d’enceinte fouillaient les paysans qui allaient aux champs, ouvrant jusqu’à leur casse-croûte. D’autre part, dans bien des cas, l’ennemi tenait cachées ses réserves de vivres, d’uniformes et de munitions dans des entrepôts secrets, loin des agglomérations, et seul le personnel préposé au service de manutention y avait accès. Au besoin, celui-ci allait ouvrir discrètement les stocks avec la clef dont il ne se séparait jamais, et l’ennemi y puisait par infimes quantités ce qu’il transportait dans les villages de regroupement. Comme nous faisions souvent la descente dans les villes et les villages et prenions tout ce qui nous tombait sous la main en fait d’approvisionnement, l’ennemi avait eu l’idée d’en faire autant.

Il en était de même dans les mines et les chantiers d’exploitation forestière: peu de céréales y étaient conservées pour la consommation immédiate, et la provision était renouvelée tous les deux ou trois jours.

Une fois de plus, notre provision de vivres a touché à sa fin lorsque nous opérions à Chechangzi. Il ne nous est resté même pas un grain de sel. Les 7e et 8e régiments avaient battu toute la région d’Antu en quête de vivres, mais en vain. Période de disette. On sautait plusieurs repas de suite.

Le Premier Mai cette année-là, nous n’avons eu qu’un petit plat de grenouilles. C’est un plat très estimé, dit-on, servi seulement dans des restaurants de luxe dans certains pays étrangers. Mais pas du tout chez nous. Parfois on voyait les petits enfants qui jouaient sur les diguettes d’une rizière ou au bord d’un ruisseau en attraper une ou deux, les embrocher et les faire griller sur un feu de brindilles pour les manger. Mais là encore ce n’était pas par goût, mais par jeu.

Quelque difficile que fût la vie dans le maquis, nous n’avions jamais auparavant passé le Premier Mai à jeun. En 1939, nous avons célébré cette fête sur le plateau de Xiaodeshui et nous avons même consommé de l’alcool.

Mais en 1940, nous n’avions rien à manger sans parler d’alcool; force nous était de tromper la faim avec des grenouilles attrapées dans des torrents à proximité. S’il en était ainsi un jour de fête, inutile de parler d’autres jours.

Nous avons souffert de la faim non seulement à Chechangzi, mais aussi dans la vallée de Yangcaogou.

Toute ma troupe buvait alors une macération d’herbes. La disette était si terrible que le nom de cette localité me restera gravé à jamais dans la mémoire.

Un jour, je suis passé par la cantine de la section des mitrailleurs, et je les ai réprimandés: on est en plein dégel depuis des jours; vous auriez très bien pu aller cueillir des herbes comestibles et en apprêter une soupe aromatique, ce qui vous aurait aidés à vous tirer d’affaire avec peu de céréales. Or, le chef de la section, Kang Wi Ryong, m’a dit qu’il ne demanderait pas mieux, lui aussi, seulement il manquait d’hommes, son effectif n’étant pas suffisant même pour monter la garde.

Cet argument m’a fort déplu, car on pouvait très bien en cueillir en allant prendre la relève au poste et en revenant après mission. Pour peu que l’on y pense et que l’on s’organise, on pourrait sans grand-peine en obtenir une quantité suffisante pour la soupe d’un jour.

J’ai fait remarquer au chef de la section qu’un chef ne devrait pas oublier son obligation de veiller sur la vie de ses hommes. Puis, je lui ai dit d’aller cueillir des herbes comestibles et de prendre avec lui mes plantons s’il manquait d’hommes.

Le lendemain, Kang Wi Ryong est parti cueillir des herbes en compagnie de Han Chang Bong et de mes deux plantons, Jon Mun Sop et Ri Ul Sol, mais le soir, ils sont revenus avec un panier rempli à peine aux trois quarts de légumes sauvages. C’est que, pendant de longues heures, ils s’étaient amusés à des parties de lutte. Comment cela, alors qu’ils avaient une tâche spéciale à accomplir? Voici ce qu’ils m’ont dit en guise d’explication: un temps superbe, une brise douce qui chatouille, des parfums enivrants de fleurs, un pré vert et moelleux comme du tapis, tout cela leur avait rappelé de façon irrésistible leur pays natal, leur enfance et leurs ébats sur les collines verdoyantes derrière leur village. Ils s’étaient laissé aller insensiblement à la tentation, et s’étaient amusés sans s’apercevoir du temps qui passait.

Jon Mun Sop et Han Chang Hong étaient presque du même âge et aussi vigoureux l’un que l’autre, d’où la prolongation indéfinie de leur partie. De plus, Kang Wi Ryong, de stature géante, ne trouvant pas de partenaire, avait servi d’arbitre et à la fin de chaque partie, il avait battu des mains et crié: «Bravo! Allez-y. Un peu plus de jeu du coude. Allez une fois de plus!» Comme le chef de section lui-même les incitait ainsi en battant des mains, en tournoyant autour d’eux, les deux lutteurs, surexcités, avaient redoublé d’ardeur.

Quelle histoire désarmante! J’avais même eu soin d’adjoindre à l’équipe de cueillette deux de mes plantons, mais les voilà de retour avec à peine un panier d’herbes comestibles après une journée de randonnée, alors que toute l’armée mourait de faim. Quel temps précieux avaient-ils laissé passer. C’était vraiment un comble.

Je les ai repris vertement et leur ai donné un avertissement. Vu la gravité du cas, j’aurais pu leur infliger une sanction plus sévère. Jusque-là, dans notre armée, aucun combattant n’avait transgressé de façon aussi flagrante l’ordre du Commandant. Or, paradoxalement, les quatre coupables étaient des hommes consciencieux, fidèles et travailleurs. Quelque tâche qu’on leur confiât, ils s’en acquittaient à merveille, payant de leur personne. Ils comptaient parmi les meilleurs de la troupe, dignes de servir de modèle aux autres.

Ce soir-là, une fois couché, je n’ai pu m’endormir. Le petit panier aux trois quarts chargé de légumes sauvages planait, tournoyait devant mes yeux. Ce panier avait valu à quatre de mes gars le rappel à l’ordre. En même temps, je les revoyais, eux qui s’amusaient à cœur joie en luttant. Notre situation était extrêmement difficile, mais loin de s’en soucier ni de désespérer, ils avaient eu le cœur à se divertir. Quel flegme, quelle insouciance! Ils avaient eu le courage et l’optimisme de s’amuser et de rire à gorge déployée dans ces conditions intenables. A cette idée, je n’ai pu m’empêcher de sourire de satisfaction.

Qui n’a pas de force d’âme et une vision optimiste de la vie ne peut songer à se divertir de façon aussi insouciante dans des conditions aussi difficiles. Seuls les possesseurs d’une foi et d’une volonté inaltérables comme nos partisans peuvent songer à l’avenir, chanter, faire des parties de lutte et vivre de façon optimiste même en plein encerclement ennemi.

En effet, l’ARPC était la communauté d’hommes au cœur optimiste et romantique par excellence. Il y avait dans le monde bon nombre d’armées et de troupes de partisans célèbres, mais aucune n’était aussi fortement portée vers l’avenir, aussi optimiste, aussi pleine d’entrain et de vie. Hommes capables d’affronter toute adversité, le sourire aux lèvres, qui ont la force de transformer les désavantages en avantages et croient pouvoir venir à bout de tout et réussir leur œuvre, même si le ciel s’écroulait sur eux, tels étaient les hommes de l’ARPC.

On pourrait en dire autant de Jon Mun Sop par exemple. Garçon d’apparence placide ou plutôt timide, c’était une âme forte, un cœur romantique. En quittant le toit paternel pour aller rejoindre l’armée de guérilla, il avait dit à ses parents en guise d’adieu: «Attendez-moi, père et mère. Je reviendrai le jour de la victoire de la révolution prolétarienne, le jour de la libération du pays. Votre fils reviendra alors vous saluer dans une grosse voiture.» Voyez-vous, revenir dans une grosse voiture! Quelle idée romantique et ambitieuse!

An Kil aussi était un grand optimiste. Je l’ai bien aimé non seulement pour sa loyauté infinie envers la révolution, mais aussi et surtout pour son optimisme à toute épreuve. C’était un révolutionnaire étranger à la dépression et au désespoir.

La plupart des combattants de la guérilla antijaponaise étaient optimistes. Tous ceux qui ont eu le courage de prendre les armes pour se jeter dans le combat à outrance contre l’agresseur japonais étaient des romantiques. Sans se laisser aller au découragement même dans la pire adversité, ils ont manifesté un optimisme révolutionnaire inaltérable.

Si je me suis contenté d’appliquer un simple rappel à l’ordre à mes quatre fautifs, c’est que j’ai apprécié par-dessus tout le sain optimisme et le cran sous-jacents à leur conduite.

Ce petit incident m’avait convaincu une fois de plus que même si nous devions faire encore dix ou cent autres Dures Marches, ils nous suivraient de pied ferme jusqu’au bout.

D’expérience, je suis persuadé que ceux qui font la révolution, confiants en l’avenir, demeurant optimistes en toutes circonstances, restent imperméables à l’action de tout vent faisant rage autour d’eux et imperturbables même sur l’échafaud. Mais ceux qui n’ont pas de foi, qui ont rejoint la révolution par lubie, désireux de se mettre à la page, finiront par l’abandonner tôt ou tard pour aller trouver une vie tranquille et confortable.

Vous devez avoir lu le souvenir d’un ancien combattant antijaponais sur la pêche à l’écrevisse que nous avions eue lors d’une marche. Cet épisode atteste de l’importance que revêt l’optimisme dans la vie quotidienne et le combat des révolutionnaires. Notre campagne de Dunhua à l’automne 1939 marque la première phase de nos opérations de conversion en grandes formations, et c’est au cours de cette campagne qu’a eu lieu ladite pêche à l’écrevisse.

A cette époque également, la disette sévissait. Il aurait fallu décrocher et semer l’ennemi pour aller nous procurer des vivres. Mais les adversaires nous poursuivaient de près avec une obstination de tique, et nous ne pouvions rien faire pour nous procurer à manger. Dans la forêt profonde par où nous passions, pas un lapin ne se montrait; région déserte loin des agglomérations humaines, il n’y avait pas âme qui vive, personne à qui confier la commission de nous acheter des victuailles.

Mes hommes, fourbus et exténués, contournaient les troncs d’arbres gisant par terre, sans force pour les enjamber. Au cri de halte, ils se laissaient choir sur place et s’allongeaient où que ce soit, morts de fatigue. Au signal de départ, plusieurs d’entre eux, terrassés par l’épuisement, n’arrivaient pas à s’arracher au sommeil comateux. Les rives des affluents du Songhua comme Toudaobaihe, Erdaobaihe, Sandaobaihe, Sidaobaihe étaient couvertes de denses forêts et riches en marécages. Aussi, même les chasseurs n’aimaient pas s’y aventurer. Notre marche dans ces parages ne pouvait donc qu’être lente.

«Camarades, du courage! Il ne faut pas vous laisser aller. Un peu d’effort et nous serons bientôt à Liangjiangkou, et une fois là, nous dormirons et mangerons tout notre soûl.»

Je cherchais ainsi à encourager, en les aidant à se relever, ceux qui restaient cloués au sol. N’étais-je pas épuisé, moi? N’avais-je pas l’estomac douloureusement tiraillé? Mais, commandant, je n’avais pas le droit d’en laisser paraître le moindre indice.

Un jour, à midi, arrivé sur une colline à pente douce, j’ai fait faire halte à la colonne et j’ai envoyé mes gardes du corps en reconnaissance. Ils sont revenus et m’ont dit n’avoir rien remarqué de particulier, sauf un petit torrent coulant au fond de la vallée.

J’ai descendu la colline, accompagné de quelques hommes. Arrivé au bord de l’eau, je retrousse mes pantalons jusqu’aux genoux, j’entre dans l’eau. Je retourne avec précaution, l’une après l’autre, les pierres, et tâte le lit du torrent. Je ne tarde pas à attraper une grosse écrevisse. Je la jette sur terre au pied de mes hommes; ils poussent un cri de joie et de surprise: «Ah, une écrevisse!»

Et de se jeter dans l’eau à qui mieux mieux. Tous, subitement de bonne humeur, se lancent à la pêche. Les croirait-on hommes à jeun depuis des jours? L’eau est glaciale, et, quand ils se sentent les pieds geler, ils sautent hors de l’eau mais reviennent aussitôt. Toute la colonne, même ceux qui avaient traîné et titubé en queue se sont élancés dans l’eau. Une animation inattendue.

Peu après, nous regagnons le lieu de halte, nous allumons un bon feu de bois et faisons griller notre pêche. Les écrevisses rosissent et exhalent une odeur agréable. De-ci, de-là, des rires, des boutades joyeuses fusent. Ainsi un moment de pêche à l’écrevisse a-t-il eu la magie de changer du tout au tout l’atmosphère de la troupe.

Evidemment, quelques petites écrevisses grillées ne pouvaient dissiper la faim, mais en faisant la chasse, mes hommes avaient oublié fatigue et faim. Par la suite, la colonne a repris sa marche avec entrain et à vive allure.

En voyant mes hommes aussi subitement redevenus gais et alertes, j’ai réfléchi. Peu avant, exténués et à plat, ils préféraient faire un détour, se jugeant incapables de sauter par-dessus un arbre tombé et, au cri de halte, croulaient comme des sacs, moulus de fatigue. Mais les voilà complètement métamorphosés, gais et alertes. D’où vient ce changement magique?

De la pêche à l’écrevisse dans le petit torrent? Oui, elle avait réveillé l’optimisme dans le cœur de mes combattants. En se bousculant, en s’interpellant, en courant ici et là, absorbés par la pêche, ils avaient oublié jusqu’à leur fatigue, et la bonne humeur était revenue. Ils se retrouvaient rafraîchis, ragaillardis. Difficile de croire qu’ils n’avaient rien mangé depuis des jours!

Oui, la pêche à l’écrevisse avait réveillé l’esprit romantique de mes hommes.

Comme je l’ai déjà évoqué, le jour de la fête du Tano en 1939, nous avions organisé, avec les habitants du village de Yushigou, un spectacle et une compétition sportive. Il y a même eu un match de football entre ma troupe et les villageois. Quel événement! Comme on n’avait pas joué au football depuis longtemps, les joueurs rataient fréquemment leur balle, et cela déclenchait l’hilarité générale.

Oui, les footballeurs jouaient mal, mais personne ne s’en prenait à eux. Au contraire, chaque coup manqué, chaque geste maladroit provoquait une grande explosion de rires.

Des forces ennemies pléthoriques s’avançaient de tous côtés, décidées à en finir avec l’ARPC depuis nos raids dans la région de Musan et, à ce moment périlleux, organiser un spectacle et un match de football au beau milieu de la région de Helong constamment ratissée par les «troupes punitives» ennemies, n’était pas aussi facile que de le dire.

Nul autre que les hommes de l’ARPC n’aurait pu le faire. Ils avaient maîtrisé les arcanes de l’art de la guerre et avaient une force d’âme à toute épreuve et un optimisme inaltérable, de façon à pouvoir faire face à tout.

Le révolutionnaire a une confiance inébranlable en l’avenir. La révolution suppose les rêves de l’avenir et l’aspiration à une vie nouvelle. Le révolutionnaire est celui qui se propose un noble idéal pour l’avenir et lutte inlassablement, de toutes ses forces, pour le réaliser. Sans la foi en l’avenir et en la victoire, on ne peut se résoudre à s’engager sur la voie de la révolution, et, même si l’on s’y mettait, on ne pourrait surmonter les multiples épreuves qui jalonnent son chemin.

Le révolutionnaire se distingue des autres par sa conception de la vie, sa personnalité, son credo, son mode de vie. Il a non seulement la foi, la force d’âme et la volonté, mais encore et surtout un idéal élevé, un grand espoir en l’avenir même dans la pire adversité, car il est convaincu que son idéal ne manquera pas de se réaliser. La foi, la fermeté et l’optimisme sont, à mon sens, trois qualités majeures, trois traits caractéristiques du révolutionnaire.

Un jour, des journalistes étrangers m’ont demandé quel était le secret de ma bonne santé, disant: «M. le Président, octogénaire, vous jouissez d’une santé de quinquagénaire.»

Je leur ai répondu que je vis toujours dans l’optimisme et que c’est peut-être ce qui m’aide à me porter comme un charme malgré mon grand âge. Ils ont alors applaudi longuement. L’espérance de vie d’une personne dépend, entre autres, de sa vision optimiste de la vie. De la même façon, l’issue et la vitalité de l’œuvre révolutionnaire d’un pays dépendent dans une grande mesure de l’optimisme de son peuple. Telle est mon opinion.

L’homme doit vivre de façon optimiste s’il veut vivre une vie digne.

Une armée qui, le moral bas, traîne une existence terne, ne peut réaliser l’unité de ses rangs ni se battre bravement.

La foi et la fermeté révolutionnaires se raffermissent davantage et demeurent immuables jusqu’au jour de la victoire si elles sont nourries par une confiance inaltérable en l’avenir.

Devenir un révolutionnaire, c’est s’embarquer sur le chemin du combat, prêt à braver la prison et l’échafaud, à affronter la mort. En d’autres termes, c’est croire fermement en l’avenir, se déterminer à demeurer fidèle à la révolution et se consacrer corps et âme à l’œuvre de libération nationale, à l’œuvre d’affranchissement social et d’émancipation humaine. C’est, en fin de compte, se résoudre à se sacrifier pour la victoire de la révolution. Nous disons souvent qu’il faut vivre de façon révolutionnaire, c’est-à-dire à l’instar des révolutionnaires. Les révolutionnaires s’engagent volontiers sur une voie inconnue, jamais explorée pour édifier un beau lendemain; ils surmontent sans murmurer difficultés et épreuves et en tirent plutôt le sens de leur vie, et n’hésitent pas à se jeter au feu comme à l’eau s’il le faut, car ils sont convaincus que, sur le chemin du combat pour le parti, le leader, le pays et le peuple, vie et mort sont gloire.

C’est d’ailleurs là que résident le sens et la valeur de la vie des révolutionnaires.

Tous ceux qui nous ont faussé compagnie au cours de la révolution étaient sans exception des gens sans foi en l’avenir, des pessimistes. C’étaient des gens venus rejoindre la révolution de façon tout à fait fortuite, poussés par le courant de l’heure, lors de l’essor de la révolution. Puis, voyant les épreuves se multiplier et la situation tourner à notre désavantage, ils avaient pris la clef des champs, se disant: «Advienne que pourra. Au diable la révolution, je dois sauver ma peau.» Des veules, des chiffes.

La décennie 1940 a été une période de mise à l’épreuve de notre force d’âme et de notre optimisme. La fermeté et l’optimisme étaient alors le critère même de la valeur et de la fidélité de chacun envers la révolution. En effet, ceux qui croyaient en la victoire nous ont suivis jusqu’au bout, mais ceux qui doutaient et manquaient de foi nous ont quittés à mi-chemin, désertant la révolution.

Or, l’optimisme révolutionnaire ne s’acquiert pas par le simple désir ou le bon vouloir. C’est une qualité morale que l’on acquiert au bout d’un Jong effort de formation et d’endurcissement idéologique. Envisager l’avenir avec une sereine confiance alors que l’ennemi est puissant et redoutable, et que la victoire de la révolution paraît incertaine, ce n’est pas aussi facile que de le dire. Seul un effort persévérant d’endurcissement moral peut y mener. Si l’ARPC s’est raffermie pour devenir une armée d’acier capable d’affronter toute tempête, aussi violente soit-elle, c’est parce que nous avions consacré dès le début un grand effort à la formation idéologique de ses combattants.

Nous nous sommes constamment efforcés de leur insuffler un esprit de fidélité à la révolution, un esprit militant inflexible et une attitude optimiste révolutionnaire; nous avons tout fait pour les amener à se convaincre de la justesse de notre cause et de la certitude de sa victoire.

J’ai tâché de profiter de toutes les occasions pour cultiver en eux l’optimisme. Je disais à mes hommes: «Une fois le pays libéré, nous irons ensemble à Pyongyang goûter la célèbre soupe de mulet et les nouilles au consommé froid, puis monterons à la colline Moran pour admirer la vue du Taedong.» Mes hommes serraient alors les poings et disaient: «Oui. Il faut que nous hâtions l’avènement de ce jour», et partaient tout feu tout flammes pour de nouvelles missions de combat.

Le Premier Mai en 1940, nous n’avons eu qu’un petit plat rebutant de grenouilles sur notre table. Cependant, j’ai tâché, là encore, d’insuffler dans le cœur de mes hommes l’optimisme et la foi en la victoire de notre combat.

Le soir, nous nous sommes installés autour d’un grand feu de bivouac et nous avons causé longtemps avec animation sans même nous apercevoir que les heures passaient. Nous avons parlé de la révolution, de la patrie, de nos proches et parents restés au village; nous avons parlé de notre avenir, de notre victoire imminente. Et nous avons ressenti une chaleur bienfaisante envelopper nos cœurs.

Je disais: «Aujourd’hui, nous célébrons le Premier Mai avec seulement un petit plat de grenouilles, mais plus tard, quand nous aurons écrasé l’impérialisme japonais, nous célébrerons à Pyongyang la libération du pays, et nous mangerons le célèbre plat de mulet du Taedong. Aujourd’hui l’ennemi veut nous anéantir et nous attaquer avec acharnement, mais nous ne reculerons devant rien ni ne nous laisserons faire. Nous resterons confiants en l’avenir et fiers d’être Coréens, fiers d’être des communistes de Corée. Nous nous battrons plus énergiquement, nous déferons l’agresseur japonais et libérerons la patrie.»

J’ai promené mes yeux sur les visages de mes combattants éclairés à la lueur du feu de bois, et j’ai vu que, ravivés et sereins, ils respiraient tous la ferme volonté de venir à bout de toute difficulté par leur force d’âme et leur optimisme et de recouvrer à tout prix l’indépendance du pays.

Si ce jour-là, dévoré par les soucis, j’étais resté à contempler la silhouette des montagnes lointaines, les bras croisés sur la poitrine, ou si, après avoir fait manger le plat de grenouilles à mes hommes, je leur avais dit d’aller se coucher sous leurs tentes, l’atmosphère générale n’aurait pas été si gaie et alerte. Nombre d’entre eux n’auraient pas fermé l’œil, s’inquiétant: aujourd’hui j’ai trompé la faim avec des grenouilles mais qu’aurons-nous à manger demain?

A mon ordre d’aller attraper des grenouilles et d’en apprêter un plat pour la fête, tous avaient poussé des cris de joie et s’étaient lancés à la chasse, les manches retroussées; le soir où j’ai parlé de l’avenir de la révolution auprès d’un feu de bivouac jusque tard dans la nuit, personne n’a voulu aller se coucher, buvant mes paroles. Cela parce qu’ils lisaient sur mon visage et dans mes gestes une confiance inaltérable en la victoire de la révolution et une volonté de lutte inflexible.

Que l’ennemi nous pourchasse avec acharnement sans nous laisser le temps de dormir, de nous reposer, de manger, l’ARPC ne baissera pas pavillon ni ne mourra, telles étaient alors ma conviction et ma volonté.

Ainsi l’état d’esprit du commandant a-t-il une grande influence sur celui de ses combattants. Si le commandant reste ferme, ses hommes le sont aussi. Un commandant immuable dans sa volonté voit ses hommes devenir stoïques à leur tour. L’optimisme des combattants, c’est celui de son chef. De même, la foi et la volonté du dirigeant déterminent l’optimisme des masses populaires. Au moment d’épreuves, celles-ci interrogent le visage des dirigeants.

Les partisans me croyaient en tout. Ils croyaient à la victoire de l’opération si je leur disais que nous gagnerions la partie; en me voyant sourire, ils croyaient en l’avenir de la révolution; en me voyant pêcher à la ligne ou en m’entendant fredonner un air à la veille d’une action, ils estimaient l’engagement d’ores et déjà réussi.

Les autres commandants se sont également efforcés d’insuffler l’optimisme à leurs hommes. Choe Kyong Hwa et Kang Don ont poussé leur zèle jusqu’à s’entretenir avec les leurs même en pleine marche, pour soutenir leur moral.

Les activités littéraires et artistiques ont été un moyen puissant à cette fin. En effet, en dehors de celles-ci on ne pourrait parler de la vie de l’armée de guérilla antijaponaise: coupé du chant et de la danse, on ne pourrait penser aux annales du combat victorieux de l’ARPC.

Le camarade Kim Jong Il a dit: «La révolution coréenne a démarré, progressé et triomphé dans le chant.» Remarque pertinente. En effet, aucune autre révolution ne serait aussi étroitement et aussi intimement associée au chant.

La révolution est une grande symphonie épique. Une grande source de chant. Il ne peut y avoir de révolution coupée du chant. Impossible de penser à l’histoire de l’extension du mouvement ouvrier international, détaché de l’Internationale.

Lors de notre expédition en Mandchourie du Nord, nous avons gagné, au moyen du chant, la confiance de la population locale qui auparavant nous tenait à distance. C’est par ailleurs à l’aide du Chant de Su Wu que nous avons trouvé la voie du cœur des Chinois qui s’étaient enfuis à notre approche. Ce chant, les Chinois l’aimaient beaucoup.

Le chant a marqué toute ma vie. Ma première enfance s’est passée au milieu de la Berceuse3. Mon combat révolutionnaire a débuté avec la Chanson de l’Amnok4. J’ai traversé le fleuve Amnok à l’embarcadère de Phophyong en fredonnant cette chanson, le cœur résolu de recouvrer la patrie. Depuis, chaque fois que j’ai eu envie de la chanter, j’ai renouvelé l’engagement que j’avais pris sur l’Amnok, et pressé le pas sur le chemin du combat.

C’est depuis le temps de mes études secondaires que je me suis mis à écrire et à composer. D’où le Chant de la Corée5, le Chant de la guerre antijaponaise, le Chant du Programme en dix points de l’Association pour la restauration de la patrie. J’ai fait appel au chant toutes les fois que je me sentais à bout de force, aux prises avec de grandes difficultés, et je me suis relevé avec un courage et une force centuplés. Quand notre provision était épuisée et que nous n’avions plus que de l’eau claire, nous avons chanté pour ne pas tomber de découragement. Ainsi, c’est au milieu du chant que j’ai acquis la trempe de combattant et que la révolution a progressé.

Chaque fois que la faim nous tenaillait de façon insupportable, nous avons chanté à en oublier la souffrance. Quand nous nous sentions épuisés, incapables de faire quoi que ce soit, nous avons chanté et nous nous sommes relevés avec une force retrouvée.

Voici ce qui s’est passé lors de notre Dure Marche. Mes gardes du corps étaient tombés dans une neige profonde et ils n’arrivaient pas à se relever; ils faisaient un effort suprême, mais leur corps refusait d’obéir. N’ayant rien mangé depuis des jours, ils s’étaient complètement épuisés. Moi aussi, exténué je ne pouvais même pas remuer les petits doigts. Pourtant, à grand-peine, je me suis rapproché d’eux qui restaient étendus dans la neige, immobiles comme des momies, et je me suis mis à fredonner le Chant du drapeau rouge. En m’entendant, mes hommes ont repris peu à peu leurs esprits et, un à un, se sont relevés.

A une époque, l’ennemi avait investi notre zone de guérilla de Chechangzi avec des milliers d’hommes et beaucoup d’habitants de l’endroit moururent de faim. Subissant les «expéditions punitives» successives de l’ennemi, et privée de vivres, la population était à deux pas de la mort, mais elle a trouvé la force de se relever et de livrer un combat à mort contre l’assaillant aux chants révolutionnaires qu’entonnaient les membres du Corps des enfants.

Contrairement à aujourd’hui, nous n’avions alors ni troupe artistique ni écrivains ou artistes professionnels. Les partisans eux-mêmes ont écrit et mis en musique de nombreux beaux chants révolutionnaires dont la Marche de l’Armée de guérilla, et créé des pièces de théâtre, des opéras, des danses de haute valeur artistique.

Nous avons alors souvent organisé des représentations artistiques dans la zone de guérilla, tout comme nous l’avions fait lors de nos activités au sein du mouvement de la jeunesse et des étudiants. Plus tard, quand nous avons dissous nos zones de guérilla pour aller opérer par grandes unités dans de vastes régions, nous nous sommes également livrés quotidiennement à des activités artistiques variées. Nous avons organisé des représentations artistiques au fond des montagnes aussi bien que dans les agglomérations.

Avant de commencer un spectacle, nous postions des mitrailleuses aux alentours, à tout hasard, de façon à pouvoir poursuivre la représentation sans craindre l’attaque surprise de l’ennemi.

Nous avons préparé des spectacles les jours de fête, à l’issue d’importantes batailles et quand nous avions reçu un grand nombre de nouveaux combattants. Quand et où que nos spectacles aient eu lieu, ils visaient à insuffler à l’armée et à la population la volonté de combattre l’ennemi, au péril de leur vie, et à faire de chaque homme un révolutionnaire irréductible.

Nous avons également eu soin de conformer à cet objectif l’annonce des spectacles en y conférant un caractère incitatif.

La 2e compagnie du 7e régiment a donné un spectacle sous forme de séance de distraction militaro-civile à Taoquanli et l’a annoncé sous le titre de «grande compétition de rires». Les partisans ont affiché: la grande compétition de rires aura lieu à tel endroit, telle date, et tout le monde est bienvenu. La cour de la ferme choisie pour le spectacle et ses alentours ont été rapidement bondés.

La «grande compétition de rires», quel titre amusant et plein d’esprit! Rien qu’en le lisant, les gens souriaient.

Dans l’ARPC, des représentations artistiques ont été programmées non seulement pour fêter les heureux événements mais aussi pour dissiper la répercussion des incidents dramatiques.

Deux grands spectacles ont suivi de près la disparition d’O Jung Hup et de Kang Hung Sok. Jamais combattants et commandants de l’ARPC ne s’étaient plus profondément affligés. Le soir de l’enterrement d’O Jung Hup, on a servi dans le bivouac du riz blanc et du maquereau saumuré grillé, mais personne n’y a touché. Même après la Libération, Kim Jong Suk avait des larmes aux yeux quand elle voyait ce poisson: elle disait que le poisson rappelait le souvenir d’O Jung Hup. Imaginez donc à quel point devaient alors être affligés les hommes de l’ARPC!

Aussi avais-je fait faire halte à la colonne en pleine marche et programmé une séance de chants et danses et de prestidigitation, afin d’alléger l’atmosphère qui pesait sur la troupe.

Quelques jours plus tard, après une descente à Jiaxinzi, un grand spectacle a eu lieu dans une forêt sur la rive du Songhua. Nos historiens et les anciens combattants de la guerre antijaponaise aiment écrire aujourd’hui que ce spectacle avait été préparé pour saluer les nouvelles recrues; c’était vrai, mais il y avait un second motif: dissiper l’affliction causée par la disparition d’O Jung Hup et rétablir l’optimisme.

Le spectacle a réussi.

Nous avons improvisé une estrade avec des troncs de peupliers blancs et tendu, en guise de rideau, des toiles de tentes reliées l’une à l’autre. Comme le bois gelé rendait le plancher glissant, nous avons étendu des couvertures. Avant le spectacle, les nôtres ont affiché un programme très varié: chœur, solo vocal, danse, pièce d’harmonica, tour de prestidigitation. Le rideau devait s’ouvrir et se fermer aux coups de sifflet.

Après le dîner, les partisans, les nouvelles recrues et les ouvriers qui avaient transporté nos bagages se sont rassemblés.

Ce soir-là, Kim Jong Suk a chanté le Chant de la libération des femmes, puis a dansé tandis qu’on entonnait des airs de danse derrière la toile de fond.

L’intermède comique a été également très prisé.

Un combattant de très grande taille, venu de Diyangxi, et un autre originaire de Yanji ont imité le jeu de l’acteur de doublage des films muets. Le public se tordait de rire.

La Paebaeng-i gut6, pièce de théâtre folklorique, a été très appréciée aussi; j’ai oublié qui l’avait interprétée.

Un partisan chinois a fait montre de son adresse en dansant sur une paire d’échasses comme le font de nos jours les acrobates. Ce numéro peu commun a été applaudi. C’est cet homme qui, lors de la marche, effaçait les traces de pas de notre colonne en se déplaçant sur ses échasses.

Jo To On a fait un tour de trompe-l’œil. L’ensemble vocal des nouvelles recrues avec accompagnement au violon à trois cordes a aussi été très réussi.

Le spectacle s’est clôturé sur une petite pièce en un acte qui dépeignait la vie des guérilleros. Je l’avais écrite pendant la marche en profitant des haltes.

Le spectacle a duré de quatre à cinq heures, mais le public ne l’a pas trouvé long. Après la représentation, beaucoup d’hommes ont demandé à s’enrôler dans notre armée.

Les représentations artistiques que nous avons données au temps de la lutte révolutionnaire contre les Japonais ont clairement démontré l’importance de la littérature et des arts dans l’enseignement de l’optimisme.

La révolution, on la fait non seulement avec la force de volonté et le sens de la discipline; il faut certes la volonté, la conscience, le sens du devoir, mais aussi un esprit romantique et une grande sensibilité. Sans un amour ardent pour les montagnes, les rivières et le sol de son pays natal, sans l’amour pour ses proches et parents, on ne peut aimer sa patrie. Sans aimer la collectivité, sans la détermination de se dévouer à elle, on ne peut faire sien le communisme, cette doctrine profonde, cette grande et éternelle vérité. Celui qui prétend pouvoir le faire n’est qu’un esprit simpliste.

Le long chemin de la révolution antijaponaise est là pour le démontrer: des combattants, sensibles et romantiques, peuvent demeurer fidèles jusqu’au bout à leur chef et à sa pensée; ils peuvent lutter sans ménagement pour la victoire de la révolution, en y croyant fermement, et accomplir des exploits dignes de rester gravés dans la mémoire de la patrie et du peuple.

Rappelez-vous ce qu’a déclaré Pak Kil Song à ses derniers moments: «O, mon pays, je suis fier de toi. Le communisme, c’est la jeunesse de l’humanité, le berceau d’un avenir radieux pour la patrie. Nous en sommes conscients et convaincus et nous mourrons le sourire aux lèvres.»

Rappelez-vous ce qu’a clamé Choe Hui Suk en tombant. L’ennemi lui avait arraché les yeux avant de l’assassiner, mais aveugle, elle a crié qu’elle voyait clairement le jour de la victoire de notre révolution, le jour où notre peuple crierait des vivats en saluant la libération du pays.

Les tortionnaires japonais avaient dit à Ri Kye Sun ligotée qu’ils ne la tueraient pas mais lui assureraient une vie de luxe si elle se repentait en public de ses actions antérieures; notre combattante a préféré mourir: «Ah, vous me salissez les oreilles avec vos propos abjects. Vous ne connaissez toujours pas de quelle trempe sont les communistes coréens», et, sur l’échafaud, elle nous a quittés sur le cri: «Le jour n’est pas loin où le pays sera libéré.»

Tous les combattants tombés au cours de la révolution antijaponaise croyaient en la victoire, avaient un cœur sensible et romantique.

Un révolutionnaire est avant tout celui qui croit en l’avenir, qui accorde plus de prix à l’avenir qu’au présent, et pour cet avenir, n’hésite pas à donner sa jeunesse, sa vie.

Pourquoi j’insiste tant aujourd’hui sur ce point? Parce que la situation prévalant dans le pays et dans le reste du monde l’exige: elle exige que chacun de nous fasse preuve d’un optimisme révolutionnaire.

Le socialisme s’est effondré dans plusieurs pays et les impérialistes s’acharnent sur nous en multipliant les sanctions. D’où les nombreuses difficultés qu’enduré aujourd’hui notre peuple. En tout, politique, défense, économie, culture, nous devons relever de graves défis. Ce n’est pas encore une guerre, mais une confrontation tendue non moins dure et éprouvante.

Or, l’épreuve ne peut durer indéfiniment, cent ou deux cents ans. Les difficultés sont momentanées; elles passeront.

Croyez en l’avenir, comptez sur vos propres efforts et persévérez. Nous devons écarter au plus vite les difficultés actuelles et rendre notre patrie riche et prospère.

A cette heure, notre optimisme doit reposer sur la conviction que la victoire nous appartient puisqu’une nouvelle génération conduite par le camarade Kim Jong Il s’occupe de notre révolution. Nous pouvons donc regarder notre avenir avec confiance et optimisme.

J’aimerais vous dire encore une fois: «Fiez-vous au camarade Kim Jong Il, à lui seul. Alors tout ira bien.» Il porte sur lui l’avenir de la Corée et le progrès du XXIe siècle. Cela, l’histoire le confirmera sans faute.

3. Après les messages de l’Internationale

Tout au long de la lutte antijaponaise, conduisant en toute indépendance la révolution coréenne, le Président Kim Il Sung consentit beaucoup d’efforts pour la solidarité avec les forces révolutionnaires internationales.

La période allant de la fin des années 1930 au début des années 1940 vit la révolution coréenne élargir sa sphère d’action internationale en fonction de l’approfondissement de ses liens avec l’Internationale communiste et l’Union soviétique, et la résistance coréo-chinoise au Japon aborder une nouvelle étape de lutte, plus avancée par sa forme, et intégrant l’Union soviétique.

Voici comment le Président Kim Il Sung évoqua cette période historique:

C’est en 1939 que nous avons renoué après plusieurs années nos liens avec l’Internationale communiste. Nous étions à la veille de nos opérations de conversion en grandes formations, et nous avions adopté, dans cette perspective, un nouvel uniforme ouaté.

Le gros de notre ARPC séjournait alors au camp secret de Hualazi dans le district d’Antu et poursuivait ses études politico-militaires.

Un jour, Kim Il, en mission avec un petit détachement, apparut au Quartier général flanqué de trois inconnus ligotés et en dabushanzi noir (robe chinoise – NDLR). A l’entendre, il les avait appréhendés sur son chemin de retour à la vue de leur tenue et de leurs comportements bizarres pour les paysans montagnards. Il se demandait, disait-il, s’ils n’étaient pas des agents des Japonais.

On les a fouillés et a trouvé sur eux des revolvers, une petite marmite et du soja grillé.

Je me suis entretenu avec eux.

Constatant que nous étions de la 2e colonne et que j’étais Kim Il Sung en personne, ils ont enfin révélé leur identité et l’un d’eux a sorti une boîte d’allumettes. Ils étaient, disaient-ils, des agents de liaison de l’Internationale. Les allumettes, particulièrement longues, n’étaient pas de fabrication mandchoue ni coréenne, mais soviétique; cependant personne parmi nous ne le savait alors.

Nous avons exigé d’autres pièces à conviction.

L’un d’eux nous a alors présenté un canif. C’était celui que j’avais envoyé autrefois en guise de mot de passe, lors du départ de Wei Zhengmin pour l’Internationale.

En dépit des années passées et des orages terribles depuis, nous ne l’avions point oublié. En le remettant à Wei Zhengmin, je lui avais recommandé de le laisser à l’Internationale comme code de reconnaissance pour les rendez-vous ultérieurs s’il parvenait à Moscou, et de prier encore l’Internationale d’en munir les hommes qu’elle enverrait chez nous.

A la seule vue de ce canif, nous avons pu établir l’identité des trois hommes que le petit groupe de Kim Il avait pris pour d’éventuels agents des Japonais. Quel que fût le but de leur mission, nous étions contents de ce que l’Internationale ne nous ait pas oubliés et ait bien voulu nous les envoyer.

Voilà comment les liens avec l’Internationale, coupés après la Conférence de Nanhutou, ont été rétablis. L’envoi de ces agents par l’Internationale constituait un encouragement pour nous qui préparions alors de nouvelles opérations à la veille d’un affrontement décisif contre une armée de 200 000 hommes.

S’il faut en croire les trois agents, l’Internationale nous avait envoyé six hommes; les trois autres, dont un Coréen, étaient tombés malades au bout d’une longue recherche de notre piste et avaient rebroussé chemin; eux seuls avaient continué.

En les envoyant, disaient-ils, l’Internationale n’avait pu leur indiquer exactement nos coordonnées: elle leur avait seulement recommandé d’aller du côté de Yanji et de contacter les unités de Kim Il Sung. Ils en avaient dû errer par-ci, par-là, longtemps et endurant d’insupportables souffrances. Ils étaient certes munis d’une carte, mais nos unités se déplaçaient constamment pour leurs opérations et ils n’avaient pu nous retracer.

Finalement, la population ne daignant pas non plus leur faire confiance et les tenant à distance, ils avaient décidé eux aussi de renoncer à leur mission et de retourner en Union soviétique. Heureusement, ils passaient par le village de Sandaogou du district d’Antu quand un homme leur avait conseillé d’aller voir dans la direction de Hualazi, et ils avaient ainsi poussé jusque-là.

Ils racontaient qu’en route, ils avaient failli une fois être brûlés vifs dans une cabane où ils dormaient. Le feu leur avait ravi habits et vivres, et depuis, ils calmaient leur faim avec du soja grillé. Ainsi avaient-ils décidé de tout laisser tomber et de regagner l’Union soviétique s’ils n’arrivaient pas à nous rattraper à Hualazi. Ils se sentaient naufragés, selon leur expression, au beau milieu d’une mer déchaînée dès le premier jour de leur errance en Mandchourie tant leur trajet avait été compliqué, désolant, interminable.

J’ai donné l’ordre de leur livrer notre uniforme neuf et un assortiment complet d’articles d’usage courant. Après s’être changés et avoir calmé leur faim, ils ont pu enfin se reposer tranquillement et tout leur content sous la tente du Quartier général.

Les archives administratives des impérialistes japonais gardent d’ailleurs des documents relatifs à l’envoi par l’Internationale communiste, à la fin de 1939, d’agents de liaison au Président Kim Il Sung et à la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est. En voici quelques passages:

«...Le 11 octobre de la 6e année de Kangde (1939), alors que la bande de Kim Il Sung campait dans la forêt de Zhenfeng, au nord-ouest de Sandaogou dans le district de Helong, huit Russes armés de revolvers et vêtus du même uniforme que les bandits communistes, ont visité Kim Il Sung en compagnie de deux interprètes coréens et ont eu des entretiens importants. Ils ont alors défendu l’approche de toute personne, sauf quelques cadres importants, et après un séjour d’une dizaine de jours, ils sont partis, ramenant avec eux douze soldats affaiblis de la bande de Kim Il Sung. C’est un fait confirmé. Ces Russes seraient des agents de liaison venus d’Union soviétique... les détails de leur visite n’ont pas encore été révélés nettement, mais tout porte à croire qu’ils sont venus pour une mission importante.» [Compte rendu de Kiuchi, consul japonais à Hunchun, le 26 juillet 15 de Showa (1940)]

«Un autre point, c’est la ligne de direction du parti. Il est à noter à cet égard l’arrivée d’Union soviétique de quatre agents de liaison à la 1re armée de route en décembre de l’an passé (1939). Rien n’a encore filtré au sujet du fond et du but de leur mission. Toutefois, ce fait a été clairement mentionné dans la lettre de Wei Zhengmin à Yang Jingyu, saisie à Fusong le 22 janvier de l’année en cours (1940)... il est évident que leur trajet passe de Tunhua à Dapuchaihe, et que de là, ils ont procédé via Liangjiangkou.» [«A propos de la tendance de la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est», mensuel des idées, n° 77, département de la criminalité du ministère de la Justice du Japon, novembre 15 de Showa (1940)]

Le message envoyé alors à notre adresse par l’Internationale était court et comportait deux points: primo, elle demandait à l’ARPC et à la 1re armée de route d’envoyer leurs représentants à la conférence des commandants des unités de partisans de Mandchourie qu’elle entendait convoquer; secundo, elle suggérait aux unités de guérilla antijaponaise du Nord-Est de reconsidérer pour quelque temps leurs opérations en grandes formations.

A l’époque, l’Internationale communiste et l’Union soviétique envisageaient sous un angle nouveau le développement du mouvement de guérilla antijaponaise en Chine du Nord-Est. A examiner de plus près le mouvement des Armées antijaponaises unifiées à la fin des années 1930, on peut dire qu’il était un peu instable. Les 2e et 3e armées de route opérant en Mandchourie du Nord et dans la région de Jidong étaient alors en désaccord sur certains points entre autres à propos du commandement et de l’unification.

En vue d’aplanir ces différends, ceux de l’Internationale avaient procédé en Union soviétique à des consultations censées nécessaires avec les représentants de ces deux armées. Au cours de délibérations réitérées, ils avaient eu l’idée, me semble-t-il, de profiter de l’occasion et d’élargir l’envergure de ces consultations en y conviant les représentants de l’ARPC et de la 1re armée de route opérant en Mandchourie du Sud, pour prendre ainsi non seulement des mesures pouvant déclencher l’essor de la révolution antijaponaise dans l’ensemble de la Chine du Nord-Est mais aussi pour accorder le mouvement de guérilla en Mandchourie avec la politique de l’Union soviétique en Extrême-Orient.

Les agents de liaison de l’Internationale ne nous en ont certainement pas dévoilé les détails de fond. Notre jugement était néanmoins assez plausible, eu égard à la situation politico-militaire prévalant alors dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique et à la politique que pratiquaient celle-ci et l’Internationale.

Yang Jingyu et Wei Zhengmin, tout comme moi, étaient dans l’impossibilité de quitter leur zone opérationnelle. Si nous partions pour l’Union soviétique, laissant là nos unités alors que le danger d’une grande «expédition punitive» de l’ennemi paraissait imminent, cela pouvait entraîner de graves conséquences sur la marche de nos opérations prévues et influer sur le moral de nos hommes.

Nous ne pouvions pas non plus accepter sans réflexion la proposition de l’Internationale de reconsidérer nos actions en grandes formations. Interrompre nos activités en grandes unités, c’était une question à étudier sérieusement pour savoir si cela n’équivalait pas, à la fin, à une résistance passive, plus exactement à une dispersion ou à une fuite.

Je me suis fait un devoir d’expliquer aux agents de liaison notre position face aux deux propositions de l’Internationale, puis j’en ai envoyé probablement un à Wei Zhengmin. Un de nos agents de liaison du Quartier général, portant le nom de code «Mangang», l’a accompagné comme guide.

Quand les agents de liaison de l’Internationale ont enfin quitté notre camp de Hualazi, nous leur avons remis documents et matériaux photographiques attestant des activités de notre ARPC. Nous pensions que ces documents et photos pourraient être conservés en sécurité en Union soviétique et que nous pourrions nous exempter de les transporter lors de nos déplacements. La photo où l’on me voit avec lunettes au camp secret de Wudaogou dans le district de Linjiang en faisait partie. Ces documents remplissaient à peu près un sac à dos.

Les agents de liaison de l’Internationale communiste sont malheureusement tombés, dit-on, entre les mains d’un corps d’autodéfense ennemi au moment où ils franchissaient une voie ferrée dans le district de Helong. Nos documents et matériaux photographiques n’ont pu parvenir à l’Internationale: ils sont entrés intégralement en possession de nos ennemis. Cette malchance a été mise en évidence par l’apparition ultérieure de nos photos dans les documents des autorités japonaises.

Le groupe d’agents de liaison de l’Internationale comprenait entre autres un Chinois du nom de Ning, qui avait été blessé dans un accrochage avec l’ennemi d’après une missive de Wei Zhengmin à l’adresse de l’Internationale.

Le point de vue de Wei Zhengmin était identique au nôtre.

Quant à nosrelationsavecl’Internationalecommuniste, elles remontent au début des années 1930. Elles avaient été, peut-on dire, relativement bonnes au cours de la première moitié de cette décennie.

Pourtant, entre le début de 1936 et l’automne 1939, nous n’avons presque pas eu d’échanges avec l’Internationale: nous ne lui avons pas dépêché de nos hommes, et elle non plus ne nous a pas envoyé ses messagers. C’est au début de 1936 que, je vous le rappelle, Wei Zhengmin s’était rendu à Moscou pour discuter des différends surgis à propos de la lutte contre le Minsaengdan8 que la Conférence de Yaoyinggou7 n’avait pu régler.

A franchement parler, nous n’éprouvions pas alors le besoin d’y aller. Nous avions déjà trouvé une solution équitable et raisonnable au problème d’importance touchant l’avenir de notre révolution en définissant notre ligne de conduite, et pensions qu’il nous suffisait de continuer notre révolution suivant l’orientation définie à la Conférence de Nanhutou.

Forts de cette ligne clairement définie, nous poursuivions notre révolution et étendions la lutte armée à l’intérieur de la Corée à partir du mont Paektu. C’était notre position et notre style de lutte que de nous fixer en toute indépendance une ligne d’action et une politique, de les appliquer avec une confiance révolutionnaire en nos propres forces. Nous autres, communistes coréens, étions alors à court de trop de choses et en butte à de multiples difficultés; nous savions néanmoins les surmonter par nos propres moyens. Nous n’étions pas enclins à implorer de l’aide ou à demander l’aumône inutilement.

C’est grâce à cette tradition historique et aux expériences acquises en adhérant fermement à notre ligne indépendante en matière de révolution depuis les années de la résistance au Japon que notre Parti, notre nation et notre pays sont reconnus aujourd’hui encore dans le monde entier comme un puissant parti, une puissante nation et un puissant pays par leur esprit d’indépendance.

Il n’est pas rare de trouver des pays qui ont mené une guérilla ou une guerre moderne avec une armée régulière contre les envahisseurs étrangers. Il est pourtant difficile de trouver des pays ayant entrepris une résistance armée dans des conditions aussi difficiles que le nôtre. Si nous disons souvent avoir combattu quinze années durant sans avoir un Etat comme arrière et en l’absence d’une armée régulière, ce n’est pas du tout exagéré. C’est l’expression exacte de faits réels, indiquant l’âpreté de la révolution coréenne.

C’est bien connu, chez nous aussi, la lutte exemplaire des partisans yougoslaves pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faudrait cependant rappeler que leur lutte ne couvre que quelques années, leur pays ayant été occupé par l’armée allemande en avril 1941. De plus, quand Tito lança la guérilla, la Yougoslavie disposait encore d’une bonne part de son ancienne armée régulière.

Par surcroît, l’aide des Soviétiques aux partisans yougoslaves fut bien importante. L’Union soviétique leur a livré, s’il faut en croire les Mémoires de Joukov, des centaines de milliers d’armes légères, telles que fusil et mitrailleuse, voire même des armes lourdes comme char et canon.

On peut en dire autant de la résistance antijaponaise du peuple chinois.

Jiang Jieshi avait sous ses ordres une armée régulière de millions d’hommes. Impossible de prétendre que toute cette grande armée s’en soit prise uniquement aux communistes. Quoique passivement et confusément, elle a levé elle aussi le drapeau de la résistance au Japon et a eu des accrochages avec l’armée japonaise. C’est un fait incontestable. Et si elle a quelque peu freiné les Japonais, cela a dû constituer, il faut l’admettre, une aide de l’armée régulière à la guérilla entreprise par le peuple chinois. Le terme même de la collaboration du Guomindang et du Parti communiste chinois devrait être considéré comme l’expression de leur résistance commune au Japon.

Chez nous, l’armée nationale régulière a mis fin à son existence en 1907, et c’est plus de vingt ans plus tard que nous avons commencé notre lutte armée. Il n’y avait alors chez nous aucune armée régulière, voire même ses restes.

Inutile de parler de notre arrière, notre pays ayant été colonisé et n’existant plus alors en tant qu’Etat.

Il restait seulement quelques fusils de vieux modèle, abandonnés par les francs-tireurs ou l’armée indépendantiste, mais devenus inutilisables. Nous avons donc dû nous procurer chaque arme au risque de notre vie.

On n’en finirait pas de raconter les difficultés que nous avons dû surmonter au cours de la lutte armée et les souffrances que nos partisans ont endurées pendant une dizaine d’années dans les montagnes.

Nous nous sommes pourtant abstenus de quémander du secours. Comme je l’ai plus d’une fois fait remarquer, l’Internationale avait prêté assez d’attention à la révolution dans les grands pays tels que la Chine ou l’Inde, mais pas tellement à la révolution coréenne. Un certain nombre de ses personnalités considéraient la nôtre comme une dépendance de la révolution chinoise ou japonaise.

Même dans le cas de la révolution chinoise, l’Internationale montrait, peut-on dire, beaucoup d’intérêt à la lutte révolutionnaire en Chine intérieure mais peu en Chine du Nord-Est. Il est de notoriété publique qu’elle ait envoyé comme conseillers Borodine et Blücher aux nationalistes, Voïtinski, Maring, Otto Braun aux communistes, mais personne en Chine du Nord-Est.

S’il faut quand même parler de son assistance à cette dernière, elle se limitait aux 2e et 3e armées de route. Il ne serait pas erroné d’affirmer qu’elle ne faisait presque pas de cas de l’ARPC ni de la 1re armée de route de Mandchourie du Sud, opérant loin de la frontière soviéto-mandchoue.

Cette négligence de sa part a été encore révélée par l’envoi de la plupart des commandants originaires de Mandchourie, recyclés en Union soviétique, en Chine intérieure et non en Chine du Nord-Est. Liu Hanxing, ex-chef d’état-major de la 2e armée, et Li Jingpu de la 5e armée de l’Armée révolutionnaire populaire du Nord-Est, sont du nombre. Ils avaient déployé une lutte commune avec nous en zone de guérilla fixe de Jiandao, mais ils ont été nommés au terme de leur recyclage à Yan’an; ils ne sont revenus en Chine du Nord-Est qu’après la défaite de l’impérialisme japonais.

Les écrits laissés par les Japonais présentent l’évolution de la révolution en Chine du Nord-Est comme tributaire du soutien de l’Union soviétique ou de l’Internationale, mais ce n’est qu’une présomption gratuite, contraire à la réalité.

La propagande japonaise a, pour un certain temps, prétendu que j’avais été formé à l’université communiste à Moscou, qu’en été 1938 j’étais revenu en Mandchourie à la tête d’une unité d’élite. Certains documents officiels des autorités japonaises ont soutenu, pour leur part, que j’avais entraîné mes hommes assez longtemps en Union soviétique et regagné la Mandchourie, fort d’une aide substantielle; une autre version a affirmé que j’étais rentré en Mandchourie après l’incident du mont Zhanggufeng9 et que depuis je faisais des ravages dans la province du Dongbian.

Toute cette propagande avait pour but de nous décrire comme des individus agissant à l’instigation ou sous la manipulation de l’Union soviétique ou d’autres forces extérieures, et de réduire ou supprimer ainsi notre ascendant sur le peuple de Corée.

Si je présente les choses telles qu’elles sont, nous ne devons pas grand-chose à l’Union soviétique ni à l’Internationale. A l’époque de notre activité à Wangqing, nous avions une fois sollicité par une lettre l’aide de l’Union soviétique à la construction d’une usine de grenades à main, mais la partie soviétique ne s’était même pas donné la peine de nous répondre. C’est ce qui nous avait poussés à inventer et fabriquer nous-mêmes une sorte de bombe baptisée «bombe de Yanji» dont nous avions largement fait usage par la suite.

Mais voilà qu’en 1939 l’Internationale communiste, jusqu’alors froide et impassible à l’égard de la révolution en Chine du Nord-Est et en Corée, a bien voulu nous dépêcher ses agents de liaison et nous inviter en Union soviétique! Comment en était-elle arrivée à cette mesure exceptionnelle? En bref, ce virement d’attitude avait été dicté par la situation politico-militaire de l’Union soviétique exposée à une imminente agression japonaise. L’Union soviétique avait une fois de plus constaté, et suffisamment, les ambitions d’expansion territoriale et la nature agressive de l’impérialisme japonais à travers les incidents du lac Khassan et de Khalkhin-gol10; elle ne doutait pas que le Japon lancerait un jour l’«attaque contre le Nord», et elle cherchait, avec le concours de l’Internationale, les moyens d’y faire face.

A cet égard, la question à laquelle l’Internationale attachait une importance toute particulière était de trouver des alliés pouvant soutenir par les armes l’Union soviétique en frappant l’ennemi dans ses flancs et ses arrières, et de réaliser avec eux une coalition politico-militaire. Or, il n’y avait alors en Orient que l’ARPC et les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est, comme forces capables de venir en aide à l’Union soviétique. L’Internationale, voyant en elles une composante et des forces périphériques de l’armée extrême-orientale soviétique, entendait en faire, en cas de guerre, des commandos de celle-ci. Là-dessus, la position de l’Union soviétique était la même.

Durant la première moitié des années 1930, les Soviétiques ne s’étaient pas sérieusement intéressés à l’existence du mouvement antijaponais de la Chine du Nord-Est. Mais lors des incidents du lac Khassan et de Khalkhin-gol, voyant les unités de l’ARPC et les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est entreprendre de puissantes attaques pour défendre leur pays, ils se sont aperçus, paraît-il, que les partisans de Mandchourie n’étaient guère négligeables. Dès lors, ils se sont efforcés par divers moyens de resserrer les liens avec nous. L’Internationale agissait de concert avec eux à notre égard. Subordonner tout son travail à la défense de l’Union soviétique, c’était là en fait sa mission fondamentale, sa politique invariable.

Cela ne veut pas dire pour autant que l’Internationale et les autorités militaires soviétiques de la région extrême-orientale ont eu dès le début un point de vue complètement identique à l’égard des forces antijaponaises du Nord-Est. La première préconisait qu’on mette l’accent sur la conservation de ces forces dans la perspective de la guerre à venir, tandis que les secondes affirmaient qu’elles devaient lancer de fortes offensives pour faire obstacle au déplacement de l’armée japonaise vers la Chine intérieure, du moment que la Chine entière était en état de guerre et que les pertes étaient inévitables.

De toute façon, l’intérêt accru de l’Internationale pour le mouvement antijaponais du Nord-Est, et l’invitation qu’elle nous avait adressée pour d’importantes consultations d’ordre stratégique et tactique accusaient un changement de politique de sa part méritant notre attention. C’était en fait le résultat de l’accroissement de nos forces, devenues si puissantes qu’elles étaient parfaitement en mesure d’assister par les armes l’Union soviétique dans les arrières ennemis.

Nous avons alors émis des réserves sur les propositions de l’Internationale et nous n’avons pas interrompu nos activités en grandes formations ni pris le parti de nous acheminer vers l’Union soviétique. Nous sommes restés en Mandchourie pour déployer avec détermination des opérations de conversion en grandes unités selon notre calendrier établi et mettre en pièces l’offensive ennemie.

Grâce à l’aboutissement victorieux de nos opérations de conversion en grandes formations, nous avons pu prendre l’initiative de nos actions et nous fixer une nouvelle orientation de lutte. Si nous étions partis pour Khabarovsk, comme nous le demandait l’Internationale, ou avions passé tout de suite aux activités de petits détachements, nous n’aurions pu développer des opérations de taille.

L’automne 1940, le Président Kim Il Sung reçut une autre invitation de l’Internationale pour une réunion convoquée sous son patronage. Des messagers parvinrent jusqu’à lui en passant par mille dangers. Repassant ses souvenirs d’alors, le Président dit:

C’est à la mi-octobre 1940 qu’un nouveau message de l’Internationale m’est parvenu. Toutes les unités de notre ARPC opéraient alors un peu partout par petits détachements à la lumière de l’orientation adoptée à la Conférence de Xiaohaerbaling.

Deux agents de liaison de l’Internationale m’ont révélé qu’ils avaient été envoyés par le général Rouchenko du commandement de l’armée extrême-orientale soviétique et qu’ils avaient pour mission de m’inviter, au nom de l’Internationale, à la conférence qu’elle allait convoquer à Khabarovsk en décembre. Ils m’ont également transmis les directives de l’Internationale enjoignant à toutes les troupes antijaponaises opérant en Mandchourie de renoncer à leurs activités en grandes formations pour passer à celles de petits détachements et de gagner sans tarder la région extrême-orientale de l’Union soviétique pour y fonder des bases, rétablir et regrouper leurs forces.

Rouchenko, en service au commandement de l’armée extrême-orientale soviétique, s’occupait des affaires du ressort de l’Internationale. J’aurais plus tard l’occasion de le rencontrer à Khabarovsk. A ma vue, il a d’abord déclaré en guise de salutation: «Oh! c’est pas facile de vous serrer la main, camarade Kim Il Sung», puis il m’a fait part des détails de l’envoi de petits détachements et de petits groupes pour nous contacter. J’ai senti dès le premier instant en lui une passion et une affabilité qui subjuguent le cœur de ses interlocuteurs.

Il a souvent emprunté, dans ses activités, le nom chinois de Wang Xinlin et s’occupait la plupart du temps de la liaison entre l’Internationale ou l’Union soviétique et nous.

Au dire des agents de liaison, la conférence des commandants des partisans de Mandchourie que l’Internationale voulait tenir à Khabarovsk au début de 1940 n’avait pu avoir lieu, à cause de la non-participation des représentants de l’ARPC et de la 1re armée de route; elle avait fini par devenir une rencontre des représentants des unités de partisans de Mandchourie du Nord et de la région de Jidong.

L’Internationale n’a cependant pas renoncé à son plan initial; elle voulait à tout prix organiser un rendez-vous des commandants de toutes les unités armées antijaponaises du Nord-Est pour délibérer sur l’orientation à adopter par le mouvement antijaponais dans cette partie et surmonter à cette occasion les difficultés dans lesquelles se trouvait l’Union soviétique.

Les agents de liaison étaient parvenus chez nous en octobre. En réalité, le plan de convocation de cette conférence avait été communiqué en septembre 1940. Les 2e et 3e armées de route en avaient été informées tout de suite par le télégraphe mais nous, qui ne disposions pas d’un tel appareil, avions dû attendre l’arrivée des agents de liaison. L’Internationale invitait à la conférence les commandants en chef, les commissaires politiques et les secrétaires du parti de toutes les armées de route ainsi que d’autres cadres militaires et politiques importants.

J’ai mis Wei Zhengmin au courant de l’arrivée des agents de liaison et lui ai proposé que nous prenions une décision commune.

Wei Zhengmin pensait qu’il aurait dû participer à cette conférence qui allait avoir lieu sous les auspices de l’Internationale, mais qu’il ne pouvait pas quitter sa place à cause de sa santé précaire. Là-dessus, il m’a prié de représenter l’ARPC et, en outre, la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est et le comité du parti de Mandchourie du Sud.

Les recommandations de l’Internationale au sujet des activités des petits détachements concordaient avec l’orientation que nous avions adoptée à la Conférence de Xiaohaerbaling.

La situation politico-militaire prévalant alors s’avérait beaucoup plus grave qu’à la période de nos activités en grandes formations de la fin de 1939 au début de 1940. Une grosse unité avait du mal à se déplacer.

D’abord, l’ennemi ayant parachevé le regroupement des villages, le ravitaillement de grandes unités s’avérait vraiment difficile. Le ravitaillement en vivres, une poignée de riz ou quelques morceaux de pain de maïs, nous coûtait toujours du sang de nos compagnons.

C’était l’époque où l’ennemi redoublait d’efforts tout spécialement pour son opération de pacification à la racine et sa politique de transformation idéologique.

La politique de regroupement des villages qu’il pratiquait alors était beaucoup plus perfide que celle qu’il avait mise en œuvre à Xijiandao. Il poursuivait avec force la «séparation de la population d’avec les bandits» en mettant le feu à toutes les habitations dispersées et en fondant des «villages armés», intensifiait le contrôle sur les vivres, les marchandises et les munitions, multipliait la rafle et la chasse aux éléments en «intelligence avec les bandits», et resserrait la surveillance aux embarcadères. Le contrôle sur l’opium de contrebande était également très sévère.

D’autre part, il prônait à grand bruit son «aide aux nécessiteux» ou son «œuvre pour la stabilisation de la vie du peuple» et cherchait par là à désagréger idéologiquement les masses révolutionnaires et autres couches de la population.

Notre expérience a prouvé que les petits détachements pouvaient se ravitailler en vivres plus facilement que les grandes unités. Force nous fut de tenir compte de l’approvisionnement en vivres lors de la définition de notre stratégie et de notre tactique. La primauté devait être accordée aux vivres et non à la tactique. Peut-on se battre sans manger? Si je préfère mettre en tête le mot «nourriture» dans notre expression figée «habillement, nourriture et logement», c’est, peut-on dire, un reflet des souffrances que nous a causées la faim dans les années de guérilla.

Si nous opérions par petits détachements en franchissant souvent la frontière soviétique de la région extrême-orientale, cela pouvait faciliter nos activités politiques au sein de la population et rendre plus efficaces l’entraînement et la formation des cadres de nos unités. Nous pouvions, par exemple, entreprendre des actions militaires en été, et, en hiver, disposer de temps pour procéder à la formation militaire et politique en zones choisies par les Soviétiques pour nous. Cela était donc favorable à la conservation et à la formation de nos forces.

Soit dit en passant, nous avions perdu beaucoup de nos cadres à la suite des «expéditions punitives» d’envergure de l’ennemi à la fin des années 1930 et au début des 1940.

J’ai communiqué aux agents de liaison de l’Internationale que nous avions déjà adopté, à la Conférence de Xiaohaerbaling, partant de l’exigence elle-même du développement de la lutte armée contre le Japon, l’orientation pour passer à la conservation de nos forces et aux activités en petits détachements, et que, quant à notre déplacement en Union soviétique, j’y reviendrais plus tard.

Disposer de temps et d’espace nous permettant de remettre en ordre et de réformer nos rangs alors que l’ennemi se lançait le mors aux dents pour nous anéantir, cela pouvait être une mesure indispensable pour l’avenir aussi bien que le présent de notre lutte armée. De telles bases stables étaient indispensables à la conservation et à la formation de nos forces.

Si nous sommes arrivés vers cette époque à nous préoccuper de plus en plus de la conservation de nos forces, c’est parce que nous avions la certitude de l’approche du jour de la victoire finale de la révolution coréenne.

Vers la deuxième moitié de 1940, les flammes de la Seconde Guerre mondiale se répandaient sur toute l’Europe. Et chacun pressentait l’imminence d’un conflit entre l’Union soviétique et l’Allemagne. Le Japon, quant à lui, projetait de provoquer de nouvelles hostilités contre le Sud sans avoir mis un terme à sa guerre en Chine. S’il déclenchait une nouvelle conflagration contre les Etats-Unis et l’Angleterre, il n’était pas difficile de prévoir la fin de cette aventure.

Dans ces circonstances, le mieux était d’éviter l’affrontement direct et de préserver et augmenter nos forces. Notre point de vue était à peu près identique à celui des Soviétiques et de l’Internationale.

Si l’Union soviétique nous offrait sur son territoire des sites où nous pourrions rétablir et réformer nos forces, les conserver et grossir, et nous accordait l’assistance militaire et matérielle requise, c’était une bonne chose.

Je n’étais toutefois pas pressé de m’acheminer vers l’Union soviétique. J’avais besoin d’y réfléchir sérieusement, vu l’importance du problème. En cas de déplacement dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique, la première question qui se posait était la durée de notre séjour: quelque temps seulement ou bien longtemps? En cas de séjour prolongé sur des bases fixes, comment continuer notre lutte armée? Pourrions-nous, par exemple, les quitter librement selon nos besoins, pour revenir dans notre pays ou pénétrer en Mandchourie? Et comment diriger depuis ces bases le mouvement à l’intérieur de notre pays? Un large éventail de problèmes surgissaient, et il fallait prendre les mesures qui s’imposaient.

Partant, je pris le parti d’examiner et de régler la question de notre déplacement en en supposant plusieurs cas.

Le premier était de laisser le gros de nos forces sur place et d’aller à la conférence avec les commandants seulement pour revenir et continuer la lutte; le deuxième était de partir avec les commandants seulement et de participer à la conférence, puis d’observer un temps la situation locale pour y appeler toutes nos troupes au moment convenable, enfin le troisième était de faire concorder temporellement la participation à la conférence et l’acheminement de toute l’armée vers l’Union soviétique, d’y rester temporairement pour prendre définitivement les mesures qui s’imposeraient.

Même dans le cas de notre passage ultérieur dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique, j’ai veillé à traiter toutes les affaires en prenant pour principe de fonder nos nouvelles bases en territoire soviétique, à condition de mieux raffermir préalablement nos bases secrètes du mont Paektu. Il me fallait, dans cette perspective, du temps et les détails de la situation.

Nous étions alors en train de préparer l’arrivée de l’hiver en opérant par petits groupes dans les limites de notre champ d’action à la lumière de l’orientation définie par la Conférence de Xiaohaerbaling. Nous ne pouvions donc laisser tomber cette entreprise non plus.

C’est à partir de cette analyse et de ce jugement que j’ai ajourné la réponse à l’Internationale, confié à mes hommes envoyés en Union soviétique en guise d’avant-garde la tâche d’observer minutieusement la situation là-bas et de nous en informer, d’une part, et d’autre part, donné l’ordre à mes unités de poursuivre les préparatifs pour passer l’hiver.

Par ailleurs, j’ai ordonné à Ri Ryong Un d’ouvrir un nouveau passage en Union soviétique et de vérifier une fois de plus la précision et la sûreté du chemin utilisé jusqu’alors.

Ri Ryong Un était un chef de régiment bien connu dans les unités de la 3e colonne. Il avait succédé à Jon Tong Kyu, mort dans la bataille de Dashahe-Dajianggang dans le district d’Antu en août 1939.

Il avait dû initialement partir pour l’Union soviétique avec le message de Wei Zhengmin à l’Internationale, mais un événement imprévu l’en avait empêché.

C’était un homme de haute stature et il paraissait plus vieux que son âge. Taciturne, sérieux, discret, paisible d’habitude, mais d’une intrépidité et d’une agilité étonnantes sur le champ de bataille.

Voici un épisode qui l’illustre. Cela est arrivé, dit-on, lors de l’attaque d’un village de regroupement du district de Dunhua. Son unité alors en marche étant à court de provisions, on décida de prendre d’assaut un village de regroupement et y dépêcha des éclaireurs, qui en revinrent avec des informations d’après lesquelles il n’y aurait eu que trois ennemis. Selon le plan d’opération initial, une escouade de mitrailleuses devait y pénétrer en tête et mettre les ennemis hors de combat, mais Ri Ryong Un, rappelant l’inutilité d’une telle démonstration de force pour ces trois ennemis, décida d’y entrer seul avec son planton; l’unité y entrerait quand il donnerait le signal après avoir soumis les ennemis. Son planton était Thae Pyong Ryol.

A la tombée de la nuit, Ri Ryong Un part avec son planton. Il descend au village et entre droit dans la caserne. Mais dans la pièce où ils se sont introduits, plus d’une trentaine d’officiers assis en cercle paraissaient discuter de leur plan d’opération. Leur chef de file qui pérorait en indiquant des points sur la carte militaire écarquille les yeux à la vue de Ri Ryong Un.

Evoquant plus tard cet instant inoubliable, Thae Pyong Ryol qui s’était glissé dans la pièce derrière son chef, racontera qu’il avait cru ne jamais s’en sortir vivant.

Cependant, Ri Ryong Un, dégainant et levant calmement son mauser, enjoint aux officiers de lever les mains et ajoute qu’ils sont cernés.

Or, le chef de file, poussant un cri horrible, se saisit du canon du mauser de Ri Ryong Un. Celui-ci tire mais le coup ne part pas. Il retire son arme si vivement que l’officier japonais s’en blesse la paume et lâche le canon.

Ri Ryong Un recharge son arme et le descend; puis en tirant ou en donnant des coups de pied formidables, il parvient à soumettre à lui seul ceux qui tentent de s’opposer. Plusieurs officiers sont terrassés sur place.

Thae Pyong Ryol, dira-t-il plus tard, n’a pu tirer un seul coup de feu pendant cette bagarre. Il restait coi près de la porte quand Ri Ryong Un lui a crié: «Hé, Pyong Ryol, regarde le mur!»; c’est alors qu’il a aperçu derrière lui des dizaines de revolvers pendus au mur.

Pendant que Thae Pyong Ryol ramasse les armes, Ri Ryong Un fait prisonniers les survivants. Cette nuit-là, il en fera autant avec son planton pour de nombreux soldats ennemis qui revenaient d’une «expédition punitive» contre la guérilla.

Ri Ryong Un est devenu célèbre par sa vaillance, sa fermeté de décision et sa compétence dans plusieurs batailles dont l’attaque surprise du chef-lieu du district d’Emu, la bataille de Dashahe-Dajianggang et la bataille de Yaocha.

Je lui ai confié la nouvelle mission quelque part à l’orée de Xiaohaerbaling. Je l’ai reçu en même temps qu’Im Chol. Quand je lui ai recommandé de trouver une bonne voie de communication avec l’Union soviétique, il m’a rassuré par un «Ne vous en faites pas.»

Il se frayait ainsi avec Im Chol cette voie aux abords de la frontière soviéto-mandchoue quand Rim Chun Chu et Han Ik Su se sont mis en route pour l’Union soviétique à la tête de notre groupe de blessés et de faibles.

Ceux-ci dont nous nous souciions tant arriveront sains et saufs à destination, mais notre envoyé spécial tombera héroïquement dans un accrochage avec une troupe japonaise. Il s’est pourtant acquitté à merveille de sa mission d’ouvrir une nouvelle voie de communication et de conduire par cette route les blessés en Union soviétique.

Il restait enfin à Ri Ryong Un la tâche de gagner lui aussi l’Union soviétique et de nous renseigner sur la situation là-bas. Pour la remplir pleinement, il prit la direction de la frontière, mais il remarqua que la tenue de ses hommes tombait en loques. Un tel accoutrement était indigne des mandataires du commandement de l’ARPC; il leur faudrait sauver au moins les apparences. Il se mit en tête de se procurer des habits avec l’aide d’un charbonnier avec lequel il entretenait des rapports depuis des années.

Or, cet homme était un malin. Il avait fait la révolution, mais entre-temps, il avait retourné sa veste et était devenu un mouchard au profit des Japonais. Il dupa donc Ri Ryong Un: il partit en lui promettant d’acheter des vêtements, mais il revint avec plus d’une centaine d’ennemis. Ri Ryong Un en a abattu à lui seul des dizaines avant de tomber héroïquement.

Tels sont les détails de la reprise, après une longue interruption, de nos relations avec l’Internationale.

Depuis, je n’ai pas cessé de resserrer nos liens et je me suis efforcé de renforcer la solidarité avec les forces révolutionnaires internationales.

4. L’automne 1940

Ces jours-ci, en lisant des textes traitant du point de vue historique la révolution antijaponaise, j’ai constaté que nos historiographes avaient réalisé un bon travail mais qu’il restait toutefois plusieurs domaines à explorer et à approfondir.

Les matériaux relatifs à la période d’avant et après la Conférence de Xiaohaerbaling font particulièrement défaut.

L’automne 1940 n’a pas été ordinaire pour nous. Les péripéties subies en cette saison sont tellement nombreuses que plusieurs volumes ne suffiraient pas pour les relater. Nous venions alors de passer de nos activités en grandes formations aux opérations par petits détachements ou groupes, et nous n’avions pas encore livré de batailles d’importance comme celle du chef-lieu du district de Fusong ou celle du mont Jiansan.

Tous sont unanimes à affirmer que l’histoire de la révolution antijaponaise ne connaît pas de marche aussi ardue que celle baptisée «Dure Marche», et de période aussi pénible que celle-là. C’est bien juste. Cependant, les épreuves que nous avons connues en automne 1940 n’ont pas été moins cruelles. Si la Dure Marche a été pour nous une suite d’épreuves qui ont poussé nos souffrances physiques au-delà de leur limite, les adversités qui nous ont frappés cet automne-là sont une série d’épreuves qui nous ont causé des souffrances morales non moins terribles.

Une volonté de fer est indispensable pour vaincre les souffrances, qu’elles soient physiques ou morales, et cet effort de volonté est toujours accompagné d’une lutte contre soi-même. C’est ce que nous avons compris en automne 1940.

La Conférence de Xiaohaerbaling avait marqué la fin de nos activités en grandes formations. Nous avions réorganisé nos unités et mis sur pied, selon la nouvelle stratégie de lutte, plusieurs petits détachements subordonnés à chaque colonne d’armée.

J’avais désigné une zone d’activité et défini des tâches pour chacun d’eux avant de partir moi-même à la tête d’une petite formation dans la direction de Yanji.

Comme j’en avais donné l’ordre, le détachement de Kim Il devait opérer dans les parages de Wangqing et de Dongning et celui d’O Paek Ryong devait se procurer, dans les districts de Yanji et d’Antu, les provisions de bouche nécessaires pour l’hiver.

Arrivé au fond de la vallée de Facaitun dans le district de Yanji, j’ai attendu le détachement d’O Paek Ryong. Plusieurs jours passèrent sans aucune nouvelle.

Rien d’étonnant, vu la conjoncture: c’était une époque où il fallait verser du sang pour avoir un épi de maïs. Et pour une livre de riz, il fallait pénétrer dans un village de regroupement, une entreprise où l’on risquait sa peau.

Nous avions dû ainsi, durant tout l’été, nous nourrir de chicorée sauvage bouillie. La montagne en abondait, mais on avait beau en consommer, l’estomac criait toujours famine.

C’est alors que mes hommes partis à la recherche de quoi se mettre sous la dent m’ont avisé qu’ils avaient trouvé une hutte de paysan au creux de la vallée. A leur dire, elle était habitée par trois paysans coréens; autour s’étendait une assez vaste terre labourée, et il serait possible de nous procurer un peu de vivres si on réussissait à motiver ces paysans.

J’y ai dépêché tout de suite Kang Wi Ryong. Je lui ai recommandé de convaincre les paysans, de leur dire franchement qui nous étions.

A en croire son rapport, quand il a sollicité leur aide, les paysans se sont montrés embarrassés. C’est que pour nous procurer des vivres, ils auraient dû se rendre à Mengyuegou, ce qui leur paraissait difficile à cause de la surveillance rigoureuse. Pourtant, ils ne pouvaient pas rester insensibles à la requête des partisans, disaient-ils, et ils sont donc partis pour Mengyuegou.

Après avoir écouté ce compte rendu de Kang Wi Ryong, j’ai enjoint à mes hommes de redoubler de vigilance et de renforcer la garde.

Ce jour-là, à la cantine, on cuisinait une bouillie de racines de todok (codonopsis lanceolata—NDLR). Si on écrase et bat ces racines et les cuit longuement dans de l’eau, elles prennent la forme d’une bouillie et, si on y ajoute un peu de céréales, cela devient un aliment appétissant, d’une saveur spéciale. Un mets nourrissant, peut-on dire, mais composé seulement d’herbes et de racines.

Cette préparation mijotait pour de bon quand Son Jang Chun qui montait la garde accourut et fit un grand vacarme affirmant que toute une troupe ennemie en uniforme jaune approchait de notre camp secret. Mes hommes s’empressèrent d’aller voir; ils avaient bien regardé, ils ne voyaient pas d’ennemis lancés à l’assaut. Son Jang Chun prétendait pourtant toujours voir les soldats ennemis en indiquant le pied de la pente. Or, il n’y avait là que des souches.

Chacun peut avoir des hallucinations après une typhoïde, et Son Jang Chun venait d’avoir une forte fièvre.

Je blâmai le chef de faction qui lui avait fait monter la garde. Ceux qui préparaient la bouillie l’avaient renversée dans leur précipitation en entendant l’alarme. Cette bouillie préparée avec tant de soin et prête à être servie!

Quelques jours plus tard, on m’a informé du retour des paysans de la hutte censés nous ravitailler en vivres. On m’a annoncé aussi que deux d’entre eux et un homme en complet élégant venu à leur suite étaient là; ce dernier demandait à me voir, c’était nul autre que Choe Yong Bin, ancien chef de compagnie de notre troupe de guérilla de Wangqing.

Choe Yong Bin avait été autrefois un guerrier renommé, d’une force herculéenne.

Un jour, il était venu me dire qu’il se sentait un peu affaibli, qu’il voulait se reposer quelque temps loin de sa compagnie. Je lui avais volontiers accordé une permission, lui recommandant d’aller dans la vallée de Xiaowangqing refaire sa santé en chassant et d’aider à cette occasion l’organisation locale du parti.

Mais peu après, quand il avait été étiqueté de Minsaengdan, il avait laissé une lettre à sa femme et pris la fuite pour la zone sous contrôle ennemi. Dans sa lettre, disant adieu à sa femme, il la priait de s’occuper avec soin de leur enfant, lui faisait savoir qu’il s’en allait pour éviter une mort déshonorante et qu’il continuerait son activité révolutionnaire dans la zone ennemie. Sa femme qui venait d’accoucher était venue me montrer la lettre, les larmes aux yeux. Probablement pas encore remise de l’accouchement, elle avait le visage boursouflé, et son bébé était sur le point de rendre l’âme.

Mon cœur grondait d’un courroux violent: «Ah, Choe Yong Bin, es-tu un être humain? Tu as filé pour sauver ta peau en abandonnant ta femme et ton enfant à l’agonie.» Je le vilipendais dans mon for intérieur pour sa conduite inhumaine, mais je souhaitais en même temps qu’il ne change pas et poursuive son travail révolutionnaire, comme il l’avait écrit.

Depuis, c’est nous qui, à sa place, avons pris soin de sa femme et de sa petite fille. Plus tard, nous les avons envoyées avec les blessés en Union soviétique.

Mais voilà que ce Choe Yong Bin, parti sans un mot, nous revenait après cinq ans! Et ce, alors que notre situation était plus difficile qu’en ces années de lutte contre Minsaengdan.

Choe Yong Bin gravissait à grandes enjambées la pente de la montagne. Il avait un sac à dos auquel pendait une marmite ballante. Il avait bonne mine, vraisemblablement peu éprouvé par la vie. En entrant sous la tente du Quartier général, il se précipita vers moi et s’écria: «Ça fait combien de temps, hein?»

Je lui fis moi aussi bon accueil. N’avait-il pas été, en fait, un de mes subalternes dans les années de lutte à Wangqing?

Puis il se mit à me raconter avec volubilité ses pérégrinations dans la montagne pour retrouver, disait-il, sa place dans la guérilla. A ma question s’il avait déjeuné, il répondit qu’il venait de s’apprêter lui-même quelque chose et de manger là-bas, au pied de la montagne. Là-dessus, il sortit de son sac un sachet de riz, des limandes séchées et de l’eau-de-vie.

Or, la marmite pendue au sac n’était point couverte de suie. Il prétendait néanmoins avoir erré par la montagne à notre recherche, s’en être servi pour préparer son repas tout à l’heure. C’était bien bizarre que sa marmite semble encore toute neuve.

Je ne doutais pas de sa déchéance. C’était un salopard du genre de Ri Jong Rak. D’ailleurs, la rumeur de sa reddition avait couru un temps dans nos unités.

Ignorant encore pour qui je le prenais, il me remplit un verre à ras bords et m’invita à boire à nos retrouvailles.

Je refusai net. Sa main tenant le verre se mit subitement à trembler. Entendant ma voix courroucée, il avait compris que son vrai visage était démasqué.

Alors, je me mis à le questionner en toute règle.

«Ecoute Choe, tu me diras la vérité, rien que la vérité. Comment as-tu rencontré les paysans de la hutte d’en bas? Et quel est le véritable objectif de ta randonnée par ici?»

Choe Yong Bin comprit tout de suite l’inutilité de tout faux-fuyant. Il avoua que les trois individus étaient ses mouchards et que lui, tuyauté par eux, avait entraîné là trois unités d’«expédition punitive». Il ajouta que ces unités avaient cerné la vallée avant son entrée dans notre camp, qu’il ne lui restait qu’à leur donner un signal pour qu’elles se lancent à l’assaut.

Instinctivement, je me rendis compte que nous étions pris dans un étau. Mais en cet instant, l’air pitoyable de Choe Yong Bin dégénéré en chien de l’impérialisme japonais, qui avait pourtant eu le culot de paraître devant moi sans l’ombre de la honte, m’affligea plus que le danger qui nous attendait et allait nous imposer des sacrifices.

Et par-dessus tout ce qui m’ahurissait littéralement, ce furent les absurdités qu’il débitait faisant montre de son don d’éloquence pour me persuader de retourner ma veste. En jetant furtivement de temps à autre un coup d’œil vers moi pour lire mon humeur, il se donnait la peine de m’appâter par des propos séduisants: «Je sais dans quel embarras vous vous trouvez, général Kim. Toute la Mandchourie grouille de soldats japonais; inutile de vous donner tant de peine désormais, croyez-moi. Vous avez tout essayé et fait de votre mieux pour la nation. Personne ne vous blâmerait si vous vous rendiez tout de suite. Tous ceux qui ont cédé vont bien. Les Japonais promettent de vous accorder le poste de préfet de la province du Jilin si vous quittez le maquis de votre gré.»

Ne pouvant plus supporter ses balivernes, je lui ai coupé la parole: «Arrête, Yong Bin! Comment as-tu pu déchoir à tel point? Un ancien chef de compagnie à Wangqing, n’as-tu pas honte? Nous étions toutefois désolés d’avoir perdu un commandant de valeur quand tu t’es éclipsé en laissant femme et enfant. Ah! tu as le toupet de te montrer devant nous sous cet aspect hideux? Penser abandonner femme et enfant et te jeter dans les bras de l’ennemi! N’as-tu pas un peu de cœur? Tu as dégénéré vilement et totalement.»

Quand un homme ne pense qu’à soi, il finit par se dégrader comme Choe.

La déchéance de Choe Yong Bin avait déjà commencé, peut-on dire, quand il avait quitté sa compagnie et passé ses jours au fond de la vallée de Xiaowangqing sous prétexte de mauvaise santé. Il était alors plus soucieux de l’entretien de sa santé que de la révolution. Il avait prétendu s’être enfui dans la zone sous contrôle ennemi pour éviter une mort déshonorante quand il s’était vu taxé d’appartenir au Minsaengdan, mais au fond c’est que sa foi en la révolution avait été sérieusement ébranlée.

Comme son cas l’illustre, un recul sur le chemin de la révolution aboutit finalement à la trahison. C’est pourquoi je n’ai jamais laissé échapper les occasions de dire à mes hommes: «Le révolutionnaire n’a qu’un chemin à suivre, celui de la révolution, vivant ou mort. S’il s’en détourne, il finit par devenir réactionnaire, renégat et rebut du genre humain. Tous ceux qui abandonnent à mi-chemin la révolution, craignant la pluie et la neige, les balles, la faim, la marche dans les montagnes, la prison et la potence ne tardent pas à baisser pavillon devant les tortionnaires pour peu que ceux-ci leur jettent deux ou trois fois de l’eau pimentée au nez.»

La trahison commence par l’abandon de la conscience; c’est la leçon que nous avons tirée du cas de Choe Yong Bin.

Au fort de la complication de l’affaire de Minsaengdan qui avait entraîné bien des exécutions dans la région de Jiandao, un assez grand nombre de gens avaient quitté la zone de guérilla comme Choe Yong Bin pour aller dans les zones sous contrôle ennemi. Cependant, la plupart des révolutionnaires compromis dans cette affaire, injustement accusés et persécutés, n’avaient pas abandonné la zone de guérilla; ils étaient restés à leur poste. Pourquoi? Parce qu’ils étaient incapables de vendre leur conscience, dussent-ils en mourir, et savaient très bien qu’ils n’auraient plus que la voie de la contre-révolution à suivre s’ils tournaient le dos à la révolution. C’était pour eux une honte et une mort que de faire fi de leur conscience et de jeter le drapeau rouge de la révolution. Autrement dit, un acte indigne de l’être humain.

Une partisane du nom d’In Suk de la compagnie de Pak Song Chol était du nombre. Cela s’est passé dans la zone de guérilla de Shenxiandong.

Un jour, cette partisane s’approcha de Pak Song Chol qui montait la garde et lui montra discrètement un papier. C’était la lettre de son mari, alors chef de compagnie dans une autre unité. Il avertissait sa femme: «Je suis attaché par la corde rouge.» C’était un argot signifiant qu’il était impliqué dans l’affaire de Minsaengdan.

Pak Song Chol était alors le responsable des affaires de la jeunesse de sa compagnie. Qu’In Suk soit venue lui montrer la lettre et demander conseil pour sa conduite ultérieure, c’était un acte louable dans l’optique de la vie militante. Elle était d’avis que son mari, ayant été accusé d’appartenir au Minsaengdan, elle n’aurait pas non plus la vie sauve, qu’il lui vaudrait mieux partir elle aussi pour la zone sous contrôle ennemi que subir une mort honteuse sous une fausse accusation.

Pak Song Chol, surpris, lui fit savoir que se réfugier dans la zone ennemie signifiait au fond abandonner la lutte révolutionnaire, que cela équivalait à la capitulation, qu’un tel acte était indigne d’elle.

Mais elle objecta que ce n’était pas ce qu’elle voulait; elle ne pensait pas cesser la lutte révolutionnaire mais seulement éviter de se compromettre.

Pak Song Chol se mit alors en devoir de lui démontrer patiemment que la désertion des rangs de la révolution la conduirait finalement à la contre-révolution, que c’est un aboutissement logique.

Finalement dissuadée, la partisane s’aperçut qu’elle avait failli s’engager dans la voie à éviter pour les révolutionnaires. Si Pak Song Chol l’avait exhortée à s’enfuir pour sauver sa peau, qu’aurait-il pu lui arriver? Heureusement, il l’avait remise dans la bonne voie!

En effet, à ce que je sais, elle n’a pas quitté la zone de guérilla; elle a poursuivi sa lutte et est héroïquement tombée par la suite au champ d’honneur.

Si, devant l’alternative: révolution ou fuite, elle a pu opter pour la première, c’est qu’au lieu d’agir impulsivement, elle s’est adressée au responsable des affaires de la jeunesse, et une fois le conseil reçu, elle s’est ressaisie, a fait appel à la raison et a su vaincre sa perplexité par sa fermeté révolutionnaire.

Or, Choe Yong Bin qui était un homme n’a même pas daigné demander conseil à ses camarades révolutionnaires et il a lâchement déguerpi après avoir laissé quelques mots à sa femme. S’il avait fait cas, tant soit peu, de la conscience humaine, il n’aurait pas eu le courage de détaler, laissant lâchement sa femme qui venait d’accoucher.

Il n’a pu vaincre ses sentiments personnels. Son sort était déjà fixé à ce point-là. Un homme incapable de maîtriser ses sentiments individuels est capable de perpétrer des plus horribles et inconcevables forfaits. Celui qui ne pense qu’à soi et met ses sentiments au-dessus de tout peut un jour trahir la révolution. Le «moi» est en toute circonstance le point de départ de la trahison; c’est le «nous» qui sauve du parjure.

Aussi le révolutionnaire doit-il toujours maîtriser son «ego» et tâcher de penser «nous». Voilà en quoi réside la conscience pure de ceux qui se sont engagés dans la révolution, le processus d’autoperfectionnement continuel, jour après jour, heure après heure.

L’égoïste ne peut absolument pas faire la révolution, ni en suivre jusqu’au bout la voie.

Ri Jong Rak, affublé d’une tenue de civil attaché à l’armée japonaise, est apparu à Nanpaizi pour me conseiller la «soumission», Ri Ho Rim s’est enfui et Rim Su San a retourné sa veste au cours de la Dure Marche; et ce jour-là c’était Choe Yong Bin qui s’amenait pour débiter des bêtises du même acabit. Vous pouvez vous figurer la colère qui bouillait dans mon cœur.

Mais la question n’était pas seulement là. Choe Yong Bin comme Ri Jong Rak avaient été tous les deux des hommes que j’avais chéris et dans lesquels j’avais mis tant de confiance. Mon âme n’aurait pas été tellement bourrée de chagrin s’ils m’avaient été moins chers.

Le poste de chef dans ces années où nous militions au sein de l’Armée révolutionnaire coréenne n’était pas à négliger. Le chef de compagnie de l’Armée de guérilla antijaponaise n’était pas non plus une simple responsabilité. Trahir et rester enfermé chez soi, passe encore. Mais paraître devant son ancien chef sans aucune gêne, sans remords ni honte et tenter de lui prêcher la «reddition», cela dépassait toute imagination. Mon cœur en était des plus ulcérés.

Comment pouvaient-ils ignorer la honte et se montrer devant moi?

Ils étaient tellement obtus politiquement et tellement déchus en tant qu’êtres humains qu’ils avaient cru, la révolution étant désormais fichue, pouvoir prêcher à leur ancien chef de «se rendre».

Choe Yong Bin a subi le même sort que Ri Jong Rak.

L’ennemi avait bouclé doublement et triplement la montagne où nous nous trouvions. On voyait des feux de bivouac un peu partout autour de nous. Il pouvait certes tendre ses filets par-ci par-là, mais non en couvrir toute la montagne. Il plaçait d’habitude, quand il nous investissait, des sentinelles sur les crêtes et au fond des vallées.

Nous avons toutefois quitté le lieu en nous frayant un chemin à travers le flanc de la montagne après avoir pris soin de dresser les soldats ennemis les uns contre les autres. Nous avons franchi la route reliant Antu et Mengyuegou, puis gagné la forêt. En reprenant notre souffle, nous avons pu voir les soldats ennemis en uniforme kaki fourmiller et se battre entre eux au fond de la vallée de Facaitun.

Puis, nous avons pénétré dans les profondeurs de la forêt sans laisser de traces.

Cette tournure imprévue dressait des obstacles à la réalisation de notre plan: le détachement d’O Paek Ryong devait nous retrouver au fond de la vallée de Facaitun. Il fallait donc que quelqu’un y retournât pour contacter les messagers du détachement d’O Paek Ryong, ce qui n’était pas sans risque.

Mais le plus grave, c’est qu’ils ignoraient que la vallée de Facaitun était tombée entre les mains de l’ennemi.

Nous avons dépêché Ji Pong Son et Kim Hong Su au point de rendez-vous. Ce dernier, enrôlé à Changbai et surnommé «jeune marié», était connu pour son sens élevé des responsabilités. Tous deux ont pu rejoindre les messagers le lendemain soir et sont revenus sains et saufs avec le message d’O Paek Ryong.

A les entendre, en pénétrant à travers les filets tendus par l’ennemi, ils avaient à chaque pas côtoyé le danger et avaient dû aller d’arbre en arbre pour ne pas se faire remarquer.

Le détachement d’O Paek Ryong avait entre-temps pris d’assaut des villages de regroupement et mis en réserve une certaine quantité de provisions dont il enverrait plus tard la plus grande partie au Quartier général.

Après Facaitun, nous nous sommes basés au mont Huanggou dans le district d’Antu. Nous envisagions d’y passer l’hiver 1940 et d’opérer de là par petites formations.

D’impeccables préparatifs d’hivernage s’imposaient pour relever les organisations révolutionnaires démantelées et raffermir les assises de masse tout en entreprenant d’intenses activités par petits groupes.

C’est dans cette perspective que j’ai chargé, à part le détachement d’O, plusieurs autres de la tâche de se procurer vivres, sel et tissu ainsi que des articles de première nécessité.

Le plus important de ces préparatifs était l’aspect politico-idéologique. A cet égard, un travail de formation idéologique efficace était indispensable pour amener les partisans à garder la foi révolutionnaire dans l’adversité: de même, l’instauration d’une discipline de fer était plus que jamais nécessaire pour prévenir tout accident.

Or, peu après, un acte d’imprudence fut commis par le groupe de Kang Wi Ryong. Au retour d’une mission, il a tiré à toute volée sur les poissons qui grouillaient dans un ruisseau. Il était parti pour trouver un emplacement convenable à l’installation d’un campement.

Mon sang se glaça à cette nouvelle. Sur un col, non loin du ruisseau, l’ennemi faisait grand tapage à construire une tour d’observation. Et voilà qu’on y avait fait retentir des coups de feu. C’était un acte des plus téméraires.

Ainsi, quelques coups de feu avaient-ils failli gâcher notre plan de réaliser bien des choses tout en passant un hiver tranquille dans un camp secret.

Un autre épisode inoubliable de cet automne est l’affaire du bœuf.

Le protagoniste en est Jang Hung Ryong, chef d’escouade d’une section de mitrailleurs. Parti à la tête d’un petit groupe avec la mission de se procurer des vivres dans les parages de Jiapigou, il était rentré avec un bœuf qui ne semblait ni celui d’une exploitation forestière ni celui d’une association dite populaire, avec le sceau du caractère chinois signifiant «roi» sur les cornes, mais sûrement celui d’un paysan.

C’était en fait l’aboutissement d’un concours de circonstances. Jang avait vu le bœuf dans une vallée se dirigeant vers le village. Il en avait cherché le maître dans les environs, mais en vain. Finalement, il avait ordonné à ses hommes de ramener le bœuf au camp, et lui, il était resté là à attendre le propriétaire afin de lui donner des explications et de le dédommager. Mais le propriétaire ne s’était pas montré. Force lui était de rentrer lui aussi sans avoir versé la somme due.

Quant au paysan, on le saura plus tard, il était revenu chercher son bœuf, mais voyant à sa place un homme armé qui faisait les cent pas, il avait pris ses jambes à son cou, tout apeuré.

Le délit du groupe de Jang Hung Ryong me mit dans une violente colère.

S’il s’était agi d’une recrue ne connaissant pas à fond le règlement de conduite de l’armée révolutionnaire, j’aurais peut-être pu faire preuve de compréhension; mais quand on m’a dit que Jang Hung Ryong, avec à son actif de longues années de lutte révolutionnaire, avait commis un acte si grave, je n’ai pu en croire mes oreilles.

En 1932, il avait perdu un doigt dans un accrochage avec un corps d’autodéfense. Il avait été fait prisonnier, mais il avait réussi à se sauver et avait réintégré par la suite l’armée de guérilla. Au début, ses compagnons d’armes l’avaient soupçonné d’avoir reçu une mission quelconque de l’ennemi. Pour regagner la confiance de ses camarades, il avait fait des efforts persévérants: il avait ainsi supporté la faim atroce qui sévissait dans la zone de guérilla de Chechangzi et eu raison des difficultés de la Dure Marche.

Un tel acte de la part d’un combattant de sa trempe était impensable. Entretenir de bons rapports avec la population, c’est ce sur quoi nous n’avons cessé d’insister depuis le début de la lutte armée, et ce qui était clairement indiqué dans les règles de conduite de l’Armée révolutionnaire populaire. En 1940 notamment, nos rapports avec la population étaient très bons. Ils étaient intimes et purs. A quel point? Au point de vouloir dédommager la population pour son assistance.

Voici, en guise d’exemple, ce qui est arrivé au printemps 1940 à Yangcaogou. Après la bataille, les villageois nous ont fait don de plusieurs poulets. Nous leur avons remis, de notre côté, une somme qui dépassait de dizaines de fois le prix des volailles. Les paysans bondirent d’indignation à la vue de notre argent. «Vous dites que l’armée révolutionnaire est composée de fils et filles du peuple? Comment pouvez-vous nous croire capables de vendre nos poulets à nos enfants? C’est bien méconnaître notre bonne volonté.» Et nous voilà incapables de trouver de réplique à ces propos. Quelle ne dut pas être leur déception en voyant l’armée de guérilla vouloir compenser, pensaient-ils, leur dévouement sincère par de l’argent! Cependant, nous leur avons fait comprendre que s’ils refusaient que nous payions, nous ne pouvions pas accepter leurs poulets. L’argent et les poulets passèrent plusieurs fois de leurs mains aux nôtres et vice versa. Cette discussion s’est terminée par l’acceptation de la volaille par nous, de l’argent par les paysans. Mais en quittant le village, nous y avons laissé les volailles que nous avions payées.

Vous voyez, il n’y avait pas plus de quelques mois que cela s’était passé quand Jang Hung Ryong avait fait fi de cette belle tradition et perpétré un grave méfait. Vous pouvez vous faire une idée de mon état d’âme.

Mes hommes le mirent au pilori par une critique virulente. Ils déclarèrent que seule la mort pourrait expier son crime.

Jang Hung Ryong reconnut de son côté son délit et ses conséquences. Vu son autocritique sincère, nous ne lui avons qu’infligé une sanction et lui avons enjoint de rendre la bête à son propriétaire.

Il allait tomber plus tard, en 1941, au cours de son activité dans le cadre du groupe de Kim Il, quand je reviendrais en Mandchourie à la tête d’un détachement.

Un cas de désertion s’est également signalé lors de notre séjour à la base du mont Huanggou.

Le déserteur était un Chinois nommé «Petit Cai», un homme qui n’arrivait pas à vaincre sa nostalgie. Le jour du dernier Chusok (le 15 du 8e mois lunaire, fête des récoltes—NDLR), il avait même versé des larmes en mangeant des yuebing (gâteaux de lune que l’on consomme à cette fête—NDLR). Il était faible de caractère. Aussi l’organisation du parti a-t-elle dû mettre beaucoup d’efforts pour sa formation.

Quand il fut atteint d’une maladie contagieuse, nous l’avons transféré à un hôpital de l’arrière. Plus tard il tenta d’inciter une partisane de l’équipe de cuisiniers à s’enfuir avec lui dans son pays natal, ce dont le Quartier général fut informé. Il n’était pas non plus loyal dans sa vie militaire: il sommeillait quand il prenait le quart; il grimaçait et se tortillait disant qu’il avait une crampe d’estomac quand il devait monter la garde. On ne peut faire la révolution à contrecœur.

Il a fini par déguerpir, faisant fi de notre bonne volonté. Mais ce qui était grave, c’était sa conduite après la désertion. Il s’est lancé aussitôt contre nous avec des «troupes d’expédition punitive».

Le pire, c’est qu’alors au camp secret, il n’y avait que quelques plantons et moi-même, la plupart de mes hommes étant partis en mission.

Force nous fut de déplacer par la suite le Quartier général à Mengshancun, une localité reculée où les petits détachements durent par la suite se rendre au retour de leurs missions.

Le détachement d’O Paek Ryong s’était procuré entre-temps des centaines de sok de céréales (1 sok —144 kg—NDLR). Il avait acheté des champs entiers de maïs encore sur pied, les avait moissonnés et mis en sacs, transportés et stockés dans un silo aménagé dans les profondeurs secrètes de la forêt, à une vingtaine de kilomètres de Fuerhe.

C’est vers cette époque que parvint le message de l’Internationale nous invitant en Union soviétique pour une conférence des commandants militaires coréo-sino-soviétiques. Comme je vous l’ai déjà dit, après réception de ce message, j’ai pris soin d’y envoyer d’abord une avant-garde pour nous renseigner en détail sur la situation là-bas, et d’autre part, de parachever les préparatifs pour passer l’hiver en Chine du Nord-Est conformément à l’orientation définie auparavant.

Or, la nouvelle que tout ce stock de céréales était tombé entre les mains de l’ennemi vint nous surprendre. Le secret du silo avait été trahi par le colonel Bi. Ce colonel, surnommé «Petit Bi» n’était autre que celui que Kim Myong Hwa avait ramené à la vie par ses soins dévoués dans la forêt de Dunhua. Cet ancien chef de régiment, incapable de venir à bout des épreuves, avait opté pour la trahison.

L’ennemi qui avait eu vent de l’emplacement du silo mit le feu à la montagne et y amena des hommes pour ouvrir le silo et emporter tout notre stock de vivres. Les fruits de quelques mois de peines s’envolèrent comme des bulles de savon.

Mais toutes ces mésaventures ne m’ont pas pris au dépourvu. Nos difficultés d’alors étaient certes bien grandes, mais y heurtions-nous pour la première fois?

Les souffrances que nous avions endurées sur le plateau de Luozigou, les pénibles tribulations que nous avions connues au cours de nos deux expéditions en Mandchourie du Nord et à Fusung, les péripéties terribles par lesquelles nous avions dû passer lors de la Dure Marche sont autant d’adversités qui nous avaient mis à l’épreuve.

Nous avions cependant eu raison de toutes ces adversités: aussi bien de la fièvre et de la faim que du désespoir, comme du chagrin profond et de la douleur cuisante que la perte de nos camarades nous causait. Nous nous étions toujours redressés avec détermination.

Comment cela avait-il été possible? C’est que nous avions conservé la foi en la victoire de la révolution en toutes circonstances; nous n’avions jamais oublié la mission et la responsabilité dont nous étions investis devant la patrie et la nation, ni la conscience révolutionnaire.

«Il faut vaincre les épreuves envers et contre tout et relancer la révolution. Nous verrons bien qui en sortira victorieux!»

Telle était la pensée qui m’animait alors à Mengshancun. Plus j’étais en butte à des épreuves, plus mon courage paraissait grandir, ma passion et mon sentiment de responsabilité s’allumer vivement. Peut-être, était-ce la manifestation de ma conscience révolutionnaire ou du cran?

Alors où trouver la voie du salut? Elle était dans une marche forcée en pareilles circonstances. Et en vue d’une marche forcée, pour inspirer confiance et courage, un travail de sensibilisation idéologique s’imposait.

La tenue d’une réunion à Mengshancun fut précisément dictée par cette nécessité.

J’ai alors dit à mes hommes en termes crus:

«La situation va s’aggravant et devient plus pénible pour nous. Notre œuvre révolutionnaire portera ses fruits et notre pays accédera à l’indépendance. Chacun de nous en est certain, mais personne ne sait encore quand ce jour viendra. Nous nous sommes battus dix années durant en supportant toutes les peines possibles. Il est cependant encore difficile de préciser combien de temps nous devrons en endurer encore, 5 ans, 10 ans ou plus.

«Ce qui est pourtant clair, c’est que la victoire finale sera à nous.

«Ce chemin vers la victoire sera évidemment plein d’embûches. Des difficultés dix fois plus grandes que celles que nous avons connues peuvent nous attendre. Celui qui n’est pas sûr de lui-même pour me suivre et continuer la révolution est donc libre de rentrer chez lui.

Si quelqu’un veut rentrer, je le ferai munir des frais du voyage et de vivres. Et je vous promets de ne pas mettre en question cet acte d’abandon de la lutte. Si la force lui manque, si la foi lui manque, rien à y faire. Je vous le répète: chacun est libre de partir ou de rester. Seulement, celui qui veut s’en aller, qu’il nous dise adieu avant de partir.»

A peine avais-je terminé que mes hommes accoururent et, en s’accrochant à mes bras, jurèrent de leur fidélité, les larmes aux yeux: «Mon Général, nous voulons vous suivre. Aucun regret, même si nous devons mourir avant d’avoir vu la révolution victorieuse. Nous voulons rester à vos côtés, vivants ou morts. Un homme, combien d’années peut-il vivre? Mieux vaut mourir en combattant là, auprès de vous, que de vivre en se soumettant à l’ennemi après avoir trahi les camarades en quittant le maquis. Nous partagerons la vie et la mort avec vous!»

Leurs propos émouvants m’ont tellement touché que je sentais mes yeux chauffer. Impossible de dire combien ils m’ont réconforté. Toutes paroles, si belles soient-elles, n’auraient pu émouvoir autant l’auditoire.

Le serment que nous avons alors fait était la preuve de notre détermination de ne pas rendre vain le sang que nous avions versé tout au long de notre lutte révolutionnaire antijaponaise de longue haleine

Le rassemblement tenu à Mengshancun a constitué une réaffirmation de l’unicité organique du commandant et de ses soldats, de l’unité et de la cohésion entre les masses et leur dirigeant, qui ne peuvent ni ne doivent se séparer. Il a permis aux partisans antijaponais de pénétrer plus profondément que la seule force susceptible de sauver la lutte armée contre le Japon était de garder jalousement la conscience de révolutionnaire et d’unir jusqu’au bout leur destin à celui de leur commandant.

Après la réunion de Mengshancun, nous nous étions encore raffermis dans la certitude que les révolutionnaires coréens ne manqueraient pas de triompher s’ils gardaient constamment leur foi et leur volonté et se montraient inflexibles dans leur lutte.

C’est en ce moment significatif que mes hommes envoyés les premiers en région extrême-orientale de l’Union soviétique nous ont communiqué que l’Internationale communiste réitérait sa demande aux représentants de l’ARPC et de la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est à commencer par Wei Zhengmin et moi, d’aller dans les meilleurs délais en Union soviétique pour participer à la conférence des commandants militaires des trois pays, la Corée, la Chine et l’Union soviétique, qui devait avoir lieu à Khabarovsk, ajoutant que si, à cette occasion, les unités de guérilla opérant en Chine du Nord-Est entendaient entrer en territoire soviétique, tout était prêt pour les accueillir.

L’Internationale nous proposait également d’examiner, en fonction de l’évolution de la situation, les mesures à prendre pour les activités ultérieures, après l’hiver en Union soviétique.

Compte tenu de la clarté de l’objectif de la conférence à convoquer par l’Internationale et de l’arrivée des commandants des autres troupes des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est, j’ai pris la décision de partir pour l’Union soviétique et de prendre part à la conférence, de prendre aussi avec moi une partie de mes unités.

Mais cette entreprise n’était pas chose aussi facile que je le croyais. Le regret de s’éloigner encore de leur pays, de leur terre, et de quitter de nouveau leur zone d’opération, ne serait-ce que pour un bref délai, accablait mes hommes.

Quand j’ai porté à leur connaissance la décision prise à la réunion des commandants de partir pour l’Union soviétique, une partie de nos hommes ont proposé que je parte avec quelques autres commandants invités par l’Internationale mais pas les troupes: ils voulaient rester là et continuer leur lutte.

C’était aussi, bien sûr, une issue possible.

Je croyais néanmoins avoir raison, en l’occurrence, de conduire mes unités dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique, et j’entrepris de convaincre mes hommes en ces termes: «Nous déplacer en Union soviétique ne signifie nullement abandonner la révolution ou renoncer à tout, encore moins nous y établir pour toujours. Je n’ai pas assisté à la conférence convoquée par l’Internationale l’an dernier, et je veux cette fois y prendre part pour procéder à un plus large échange de vues sur l’avenir de la révolution coréenne avec l’Internationale et les autorités soviétiques. Cette conférence peut nous servir. Or, je ne sais pas combien de temps elle va durer. Elle peut se prolonger; voilà pourquoi je tiens à vous emmener avec moi. Je ne peux pas vous laisser ici, sachant bien l’insuffisance des préparatifs d’hivernage. Il vaut donc mieux passer l’hiver en territoire soviétique puis revenir au printemps continuer notre lutte.»

En me remémorant plus tard ce dur automne 1940, je me suis dit que j’avais bien fait de prendre une telle décision, opportune, en qualité de commandant.

C’est vers la fin d’octobre que nous avons quitté la vallée de Chechangzi pour l’Union soviétique après une préparation impeccable.

Je n’ai pas oublié d’envoyer un messager à Wei Zhengmin et O Paek Ryong avant de nous mettre en route. Ces deux hommes, étant malades, ne purent partir avec nous.

Quant à O Paek Ryong et ses hommes qui n’avaient pu joindre notre agent de liaison, ils durent fouiller tous les coins et recoins d’Antu pour nous trouver. Quand ils arrivèrent à Chechangzi, nous étions déjà partis.

C’est justement alors qu’ils découvrirent vivres et habits ouatés que nous avions enterrés et versèrent des larmes d’émotion. Les deux sacs de riz et quelques dizaines d’uniformes ouatés que nous y avions laissés à leur intention furent une aubaine inespérée qui les sauva.

O et son détachement nous rejoignirent plus tard en Union soviétique. Notre chemin pour l’Union soviétique fut aussi plein d’embûches. Nous avons dû très souvent nous cacher de jour dans les forêts et poursuivre de nuit notre marche qui devenait ainsi plus pénible et plus lente. Nous avons pourtant pu pousser d’un trait jusqu’à Laotougou.

C’est sur le chemin vers Baicaogou que nous nous sommes heurtés à une «troupe punitive». Nous commencions à descendre un col en file indienne quand nous avons aperçu des soldats ennemis qui montaient à notre rencontre. Nous avons tout de suite rebroussé chemin pour nous élancer de nouveau vers le haut du col.

C’est alors que Kim Jong Suk qui, portant de lourdes charges, ne put nous suivre de près et faillit avoir un malheur.

En redescendant de l’autre côté du col, je parcourus des yeux le rang de mes hommes. Kim Jong Suk n’était plus parmi eux. J’ai regagné à la hâte le sommet et jeté un coup d’œil en bas. Kim Jong Suk, ployée en deux sous le poids de son sac énorme, montait péniblement. Des soldats ennemis la poursuivaient en criant: «Qu’on la capture vivante!»

J’ai tiré mon pistolet et abattu les poursuivants. Mes gardes du corps accourus à ma suite mitraillèrent les ennemis. Voilà comment nous avons pu sauver Kim Jong Suk.

Nous avons fait halte aux abords de Hamatang après avoir réussi à semer la troupe ennemie. Ce jour-là, son mouvement était si intense que nous avons dû rester couchés dans les sillons d’un champ de millet jusqu’à la tombée du jour.

Nous avons pu calmer un peu la faim avec du chou et du navet qui étaient encore sur pied, mais non refouler le froid pénétrant. N’en pouvant plus, nous avons allumé des bougies pour nous chauffer tant soit peu les mains engourdies.

A partir de Hunchun, ce furent deux paysans coréens qui nous guidèrent jusqu’aux environs de la frontière soviéto-mandchoue. En indiquant une montagne qui se dressait au loin devant nous, ils nous apprirent qu’au-delà s’étendait la terre soviétique. La montagne franchie, nous ne voyions devant nous qu’une vaste étendue déserte. Aucune indication, aucun repère. Impossible de savoir où finissait la Mandchourie, où commençait l’Union soviétique.

J’ai ordonné à Ri Tu Ik de grimper sur un arbre et de voir s’il n’y avait pas quelque part une rivière et des habitations, et, le cas échéant, dans quelle direction elle coulait. Ri Tu Ik était depuis son enfance très habile à grimper. Redescendant de l’arbre, il me dit qu’il n’y avait ni rivière ni habitation quelconque aux alentours.

Nous avons donc continué notre marche vers l’est et dans une forêt, nous avons remarqué des fils téléphoniques. Les isolateurs, nous avons remarqué, différaient de ceux de Chine ou de Corée. Nous avions le pressentiment de nous trouver en territoire soviétique, mais cela devrait être confirmé avant que nous nous remettions en marche.

Cette nuit-là, après avoir dépêché des éclaireurs, nous nous reposions quand une mitraillade désordonnée se fit entendre du côté est. Peu après revinrent nos éclaireurs. Ils étaient entrés dans un poste de garde-frontière. Ils exploraient l’intérieur et examinaient les verres et la bouilloire qui étaient là quand ils furent surpris. Une aventure qui avait failli mal tourner. A en juger d’après la bouilloire et les verres particulièrement grands et grossiers, le poste de garde-frontière devait être soviétique. Je leur ai demandé à quelle distance était ce poste; il se trouvait à environ 4 km.

Les gardes frontaliers soviétiques tirèrent toute la nuit, pour nous intimider probablement. Nos éclaireurs avaient dû les avoir beaucoup effrayés.

Le lendemain, j’ai chargé Ri Ul Sol et Kang Wi Ryong de s’y rendre et de ramener des gardes soviétiques.

Quand nous nous sommes trouvés face à face, eux et moi, nous avons eu beaucoup de mal à communiquer. J’ai dû leur expliquer, je ne sais combien de fois, que nous étions des partisans coréens et que j’étais le chef, Kim Il Sung. Heureusement, ils avaient probablement saisi les mots «partisan» et «Kim Il Sung».

Comme vous pouvez le voir, notre route pour l’Union soviétique n’a pas été sans accrocs. Nous étions venus là sur l’invitation de l’Internationale, mais notre trajet et le moment de notre arrivée n’avaient pas été communiqués aux postes de frontière.

Une fois en territoire soviétique, nous avons été retenus plusieurs jours en quarantaine.

Mes hommes s’ennuyaient, toute la journée enfermés et désœuvrés dans la baraque. Les uns se mirent à chanter du matin au soir. Ils épuisèrent vite leur répertoire de chants révolutionnaires. Alors ils s’attaquèrent aux vieilles chansons entendues ou apprises autrefois. Quel spectacle!

Mes hommes puisaient ainsi dans un riche répertoire.

Je suis allé auprès d’eux pour les encourager, leur dire de ne pas se faire trop de bile: «Cela peut vous déplaire qu’on vous retienne là, à la frontière, depuis quelques jours. Vous avez tort de penser que les Soviétiques ne sont pas aimables à notre égard. Chaque pays a ses règlements régissant le passage de la frontière. En vertu de ces règlements, on peut procéder, si besoin est, à la vérification de notre identité. Et le contrôle sanitaire a pour but de déceler les porteurs de maladies contagieuses. Ces derniers temps, le groupe de recherche sur la guerre bactériologique de l’armée du Guandong en Mandchourie avait répandu des maladies contagieuses dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique. Le gouvernement soviétique en est arrivé à adopter un décret pour renforcer le contrôle aux frontières. Nous avons de multiples tâches à accomplir et de nombreuses difficultés à surmonter. Notre révolution va désormais prendre une nouvelle tournure. Et le jour de la victoire n’est pas loin. Il faut donc dès maintenant nous préparer solidement et lutter farouchement jusqu’au jour de la libération de notre patrie en entonnant à haute voix nos chants révolutionnaires.»

Peu après les Soviétiques nous ont conduits dans une localité appelée Poziette.

Pendant notre séjour au poste de frontière, j’ai rencontré Kim Sung Bin, ancien interprète des troupes de Hong Pom Do. Il nous a également servi de traducteur dans nos rapports avec les Soviétiques. Il connaissait bien Chechangzi.

Nos combattantes, en regardant les femmes soviétiques splendidement habillées déambuler librement dans les rues, se demandèrent, les larmes aux yeux, quand les Coréennes pourraient se vêtir et se promener comme elles.

Comme vous pouvez le voir, l’automne 1940 fut pour nous une saison rude, un enchaînement de jours marqués de difficultés et d’épreuves. Si nous avons pu résister et survivre à leur pression, c’est parce que nous sommes allés contre vents et marées avec une volonté inébranlable et que nous avons jalousement gardé notre foi révolutionnaire dans l’adversité.

Nous n’avons jamais contourné les obstacles, si énormes fussent-ils; nous avons toujours couru droit vers la libération de la patrie. Si c’était un raccourci, nous nous y sommes engagés, au-devant de toute épreuve.

Le révolutionnaire et les épreuves forment fatalement, peut-on dire, un couple inséparable. C’est que la vie quotidienne du révolutionnaire porté à transformer ce qui est caduc et à créer du nouveau comporte toujours des difficultés. Celui qui craint ou fuit les épreuves ne peut être qualifié de révolutionnaire.

Je ne peux oublier l’automne 1940, surtout la fin de cette saison. Je revois encore clairement les paysages du Jiandao, les feuilles mortes qui nous servaient de couchette dans ces jours de l’automne tardif.

Arrivés dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique sans coup de feu ni mort, nous avions l’impression d’être projetés dans un autre monde. Mais nous savions que des montagnes d’épreuves à surmonter étaient là devant nous, car cinq années nous séparaient encore de la libération de la patrie.

5. Wei Zhengmin

Plus d’une fois, le Président Kim Il Sung a évoqué le souvenir de Wei Zhengmin, un des chefs politiques et militaires chinois des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est, souvenir qui en dit long sur l’amitié particulière qui le liait au commandant chinois, sur l’homme qu’était ce révolutionnaire, sur les tourments et les vœux qui lui avaient serré le cœur avant qu’il finisse pathétiquement ses jours.

Wei Zhengmin participait, en qualité d’envoyé du comité du parti de Mandchourie, à la Conférence de Dahuangwai11 dans le Jiandao quand j’ai fait sa connaissance. Depuis lors, nous avons partagé une chaude amitié qui ne s’est jamais démentie tout au long de la guerre de résistance contre le Japon.

Dès sa jeunesse, Wei Zhengmin s’était lancé dans la lutte patriotique contre les Japonais, devenant un révolutionnaire professionnel. Il avait suivi les cours d’une école militaire à Anyang, puis il avait poursuivi à Beijing ses études pendant lesquelles il avait pris part à des manifestations antijaponaises.

Une nouvelle période s’inaugurait pour ce révolutionnaire quand il alla combattre en Mandchourie à la suite des Evénements du 18 Septembre. Il s’établit d’abord dans la banlieue de Haerbin où il devait militer comme secrétaire du parti.

Wei Zhengmin avait l’apparence d’un professeur universitaire. Tout en lui annonçait la plume plutôt que l’épée. Un esprit méditatif qui, n’eût été la révolution, eût donné toute sa vie à la recherche scientifique ou à la rédaction d’œuvres.

Ce qui le caractérisait, c’étaient la simplicité, l’amabilité, la douceur, autant que le sérieux, la sincérité et la modestie.

Voici ce qu’on lit dans le paragraphe consacré à Wei Zhengmin dans les «Observations sur les commandants des troupes de partisans de Mandchourie» versées aux archives de l’Internationale:

«Wei Zhengmin,

Chef adjoint du groupe du Sud, membre du Parti communiste chinois, secrétaire du comité du parti de Mandchourie du Sud...

Cadre de bonne formation politique.

De l’avis des partisans, il bénéficie de beaucoup d’influence. Aucun renseignement sur son passé.

Ni la Direction de la reconnaissance ni le ministère de l’Intérieur ne disposent de renseignements négatifs sur lui.»

Chinois, Wei Zhengmin a témoigné son soutien aux révolutionnaires coréens, se donnant beaucoup de peine pour aider leur cause. On sait qu’un grave danger s’était créé lors de la Conférence de Dahuangwai et la situation aurait pris alors très mauvaise tournure pour nous pour peu que l’envoyé du parti qu’était Wei Zhengmin se fût montré partial. Il m’a écouté attentivement, me donnant son approbation ou tenant compte de mes affirmations. Après la Conférence de Yaoyinggou qui avait suivi, il s’est rendu lui-même au siège de l’Internationale, à Moscou, chercher une réponse à mes propositions de principe.

Périple qui allait profiter beaucoup à la révolution coréenne. A le voir venir à Nanhutou après un voyage plein d’embûches, je me suis hâté de l’étreindre et tous deux, joue contre joue, nous sautions de joie, scène à jamais gravée dans ma mémoire.

Wei Zhengmin m’a alors rapporté l’avis de l’Internationale, disant qu’elle trouvait conforme à l’internationalisme mon principe selon lequel les Coréens devaient combattre sous la bannière de la révolution coréenne, qu’elle m’approuvait également quand je relevais que l’extrémisme de gauche avait entaché la lutte menée contre le Minsaengdan, disant encore qu’elle soutenait que les communistes coréens disposent d’une force armée nationale pour opérer en Corée et dans le bassin de l’Amnok. Sur ce, il a serré mes épaules avec ferveur. Jamais je n’oublierai la peine qu’il s’est donnée pour notre révolution, me suis-je dit alors en mon for intérieur.

Or, la Conférence de Nanhutou allait être l’occasion de cimenter notre amitié. Séjournant tous deux pendant une quinzaine de jours dans cet endroit, nous avons pu échanger nos vues avec beaucoup de compréhension. Cela m’a donné de lui une connaissance approfondie.

Ensuite, ce fut la Conférence de Mihunzhen, où Wei Zhengmin a soutenu mon projet de réorganisation des troupes. Puis, il a fait un accueil enthousiaste à la nouvelle de la fondation de notre Association pour la restauration de la patrie.

Vers cette époque-là, il s’est mis à apprendre le coréen, qu’il était utile de connaître, selon lui, pour comprendre les camarades coréens, compagnons d’armes des Chinois. Par ailleurs, son affection pour les simples soldats coréens était sans borne. Tout cela témoignait de son soutien et de sa sympathie internationalistes avec la révolution coréenne.

Pour notre part, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour Wei Zhengmin. Amitié pour amitié, comme on dit.

A l’issue de notre conférence à Mihunzhen, il faisait mouvement avec nous en direction du mont Paektu quand, aux environs de Fuerhe, il a été blessé. Comme nous disposions de quelques chevaux militaires, butin d’un combat, nous avons choisi le meilleur pour l’offrir à Wei Zhengmin. Celui-ci, en selle, a pu pousser avec nous jusqu’au mont Maan.

Là, j’ai ordonné à Pak Yong Sun de mettre sur pied un dispensaire à Dajianchang pour qu’on puisse y soigner Wei Zhengmin.

Par la suite, revenant de transmettre à Yang Jingyu les directives de l’Internationale concernant l’expédition de Rehe, Wei Zhengmin est venu me voir au mont Paektu alors que nous avions débouché dans le Xijiandao et que nous étions près d’achever l’aménagement d’un camp secret.

Wei Zhengmin avait une mine pitoyable, marque du voyage en Mandchourie du Sud. Deux maladies invétérées le suppliciaient: maladie de cœur et d’estomac. De constitution fragile, il ne s’en dépensait pas moins pour le travail, d’où l’aggravation de son état.

Un jour, il escaladait un mont et passait un col au premier rang de ses troupes lorsqu’il fut terrassé par une crise cardiaque et tomba dans le coma. Quand il en sortit, son moral était resté inaltéré. Quand je lui proposais des soins, il disait en riant: «Le mal du corps, ça peut passer encore. Le plus grave, c’est quand la conscience est atteinte.»

J’ai donné à Pak Yong Sun et à Kang Wi Ryong l’ordre d’aller improviser aux environs du mont Heng une maison de cure pour Wei Zhengmin. On eût pu choisir à cet effet le camp secret de Heixiazigou mais l’endroit, situé en première ligne, n’était pas indiqué pour le séjour d’une personne physiquement diminuée.

C’est donc le camp secret du mont Heng qui accueillit Wei Zhengmin. J’ai alors détaché Kang Wi Ryong et Kim Un Sin à Changbai se procurer les divers médicaments et toniques nécessaires à Wei Zhengmin, dont du sang de cistude d’élevage. Ils ont alors profité d’une collecte de plus de 200 yuan pour acheter, outre le sang de cistude, du riz blanc, de la farine de blé, des conserves, du lait et même des «crackers» qui seraient offerts à Wei. Je savais que le Chinois avait un faible pour les pâtes.

Le jour de l’an du calendrier lunaire de cette année-là, je l’ai fêté en compagnie de Wei Zhengmin au camp secret du mont Heng. Nous avons pu alors, tous deux, après avoir pris quelques verres d’alcool, goûter des nouilles de fécule de pomme de terre, occasion dont nous étions redevables à Pak Yong Sun qui avait fabriqué une presse à nouilles en perçant des trous au fond d’une boîte de conserve.

Soit dit en passant, Dian Yinglin, chef du 8e régiment, était lui aussi de la fête. Un véritable cordon-bleu. Il avait apporté spécialement un couteau à viande et un autre à légumes pour préparer lui-même tout un éventail de plats. Il hachait la viande, puis distribuait les morceaux sur les assiettes et les assaisonnait, tout cela avec la rapidité de l’éclair.

Wei Zhengmin nous demandait parfois des hommes et nous y acquiescions toujours. Ainsi, comme il me demandait nommément Hwang Jong Hae et Paek Hak Rim, je lui concédai ces combattants que je chérissais pourtant tellement.

L’un d’eux, Hwang Jong Hae, était, par son intelligence, capable d’assumer les fonctions de chef de compagnie ou de régiment. Il était rompu à tout et, de plus, parlait couramment chinois. Il était donc tout indiqué pour agir auprès de la population.

Quant à l’autre, Paek Hak Rim, il était lui aussi depuis plusieurs années planton à mon service.

Comme il était si loyal, si simple et si plein d’abnégation, je l’ai toujours gardé à mes côtés.

Il avait été auprès de moi lors de l’attaque de Pochonbo (en Corée – NDLR) par exemple. Je dirigeais l’opération au pied d’un peuplier blanc au bord de la rivière Karim, et Paek Hak Rim se répandait alors de tous côtés pour transmettre mes ordres.

Lorsque la 4e division sous le commandement de Choe Hyon avait été investie au mont Jiansan, j’avais donné au 7e régiment et à la compagnie des gardes du corps l’ordre d’assaut afin de venir à sa rescousse. Celui qui leur avait porté l’ordre, c’était encore Paek Hak Rim.

Un jour, il m’avait demandé de le laisser aller se battre dans une unité de combat. C’est dans un régiment qu’il a été envoyé. Quelques jours après, je lui ai demandé s’il s’y plaisait: «C’est épatant de se battre mais je ne peux vivre loin de vous, mon Général. Permettez-moi de redevenir votre planton.» Rien à redire, je l’ai réincorporé au Quartier général.

Paek Hak Rim avait participé à notre Dure Marche. Il compte parmi ceux qui ont partagé avec moi la fameuse poignée de farine de riz grillé.

Quand on se sent aussi proches entre supérieurs et subalternes, on s’aime et se chérit plus que les personnes du même sang. Paek Hak Rim était de ceux que pareils rapports liaient à moi. Le concéder à un autre ne pouvait donc que me causer du chagrin.

Si, toutefois, j’ai pris ce parti, c’était par égard pour Wei Zhengmin, gravement malade.

Un jour, la nouvelle de la mort de Yang Jingyu a fait le tour des troupes, affligeant plus que personne Wei Zhengmin qui se refusa toute nourriture.

Wei Zhengmin s’est battu en vrai guerrier à la tête de la 1re armée de route dont il avait pris le commandement après la disparition de Yang Jingyu.

A l’automne de cette année-là, il a reçu sa deuxième blessure dans un combat. La tuberculose pulmonaire venant s’y ajouter, il s’est trouvé dans l’impossibilité de conduire ses troupes.

Or, la conjoncture était alarmante. Les impérialistes japonais ayant tué Yang Jingyu ont décapité le mort et suspendu sa tête dans une rue, proclamant l’anéantissement complet des troupes des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est opérant en Mandchourie du Sud et annonçant la fin imminente de la lutte armée contre le Japon en Chine du Nord-Est.

En effet, les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est traversaient une rude épreuve à l’intérieur comme à l’extérieur. Les expéditions «punitives» japonaises sévissaient, gagnant en férocité alors que dans nos rangs on voyait se révéler successivement renégats et éléments hésitants. Au reste, Fang Zhensheng, chef de brigade pendant un temps, était tombé entre les mains de l’ennemi à la même époque qu’avait été tué Yang Jingyu, puis avait retourné sa veste. Pis encore, la 1re armée de route de Mandchourie du Sud avait sensiblement perdu du terrain auprès des masses.

La situation telle qu’elle se présentait a infligé un rude choc au commissaire politique de la 1re armée de route et secrétaire du comité du parti de Mandchourie du Sud qu’était Wei Zhengmin.

Il croyait découvrir des lacunes, des défauts graves, intolérables, dans son travail.

Tout exigeant qu’il était envers lui-même, ce cadre militaire et politique avait la modestie d’accepter l’expérience et les qualités des autres. Ainsi, reconnaissant l’énorme travail effectué par les camarades coréens en faveur de l’édification du parti et des organisations de masse dans de vastes régions de Mandchourie de l’Est, de Corée et de Xijiandao après la dissolution des zones de guérilla, il a exprimé son désir d’en écouter une relation.

En effet, avant le démantèlement des zones de guérilla, les organisations révolutionnaires ont suscité beaucoup d’animation dans tous les districts du Jiandao par exemple. Et même enfants de six à sept ans, une matraque au côté, menaient leur campagne dans le cadre de leur organisation ou ailleurs. De leur côté, les femmes, s’affranchissant du carcan de la féodalité, se sont regroupées au sein de l’Association des femmes. Ces diverses organisations ont mobilisé les masses qui, côte à côte avec les partisans, ont, dans un grand élan d’enthousiasme, livré combat, travaillé la terre, établi le gouvernement révolutionnaire populaire.

Mais les troupes opérant en Mandchourie du Sud, elles, dès qu’elles avaient quitté les zones de guérilla appelées à disparaître, ne se sont plus préoccupées que des activités militaires, se désintéressant des masses, ces gens qui avaient mené jusque-là une existence si exaltante mais avaient dû aller rejoindre les zones contrôlées par l’ennemi. Elles n’ont guère pris soin d’eux ni n’ont songé à préparer de nouveau le terrain au sein des masses. Par voie de conséquence, les liens qu’elles devaient entretenir avec le peuple se sont rompus spontanément.

Et, lors de l’expédition de Rehe12, cette tendance à des activités militaires exclusives s’est révélée la plus grave, tendance à voir dans les activités et la lutte militaires une panacée.

La lutte armée ne doit pas supposer l’exclusivité du facteur militaire. La guérilla est impossible sans les masses, ce facteur de soutien et d’aide pour la force armée, ce réservoir de ressources humaines, sa base sociale.

Pour être franc, au moment d’organiser notre armée de guérilla antijaponaise, nous ne disposions que de quelques fusils et d’un effectif infime. Pourtant nous avons proclamé sans hésitation notre guerre sacrée contre les Japonais. Nous nous sommes jetés éperdument dans cette guerre, certains de notre victoire et débordant de cran. Nous n’étions pas sans savoir qu’entre la machine de guerre du Japon appuyée par un énorme potentiel économique et notre si modeste armée de guérilla, il n’y avait pas de commune mesure.

Sur quoi comptions-nous alors pour mener notre guerre? Nous fondions nos espoirs, pour vaincre les impérialistes japonais, sur nos capacités politiques et idéologiques, morales et tactiques basées sur une vision révolutionnaire du peuple.

L’expédition de Rehe se caractérisait par son manque de toute réflexion. Ses organisateurs auraient dû d’abord penser aux liens à entretenir avec le peuple et procéder à des études tactiques mais, loin de là, se laissant emporter par leur volontarisme, ils ont abandonné leurs anciens théâtres d’opération et ont tenté d’attaquer de front les forces japonaises.

Quant à nous, nous avons, après la dissolution des zones de guérilla, décidé, lors des conférences de Nanhutou et de Donggang, de nous appliquer à développer le parti, de mettre sur pied une organisation pour le front uni, de réorganiser l’Union de la jeunesse communiste en Union de la jeunesse antijaponaise, de gagner jusqu’au bassin de l’Amnok et à la Corée pour étendre notre lutte armée; puis, nous nous sommes établis dans la région du mont Paektu, mettant sur pied des organisations de l’Association pour la restauration de la patrie et les étendant en un tour de main à une large partie de la Corée. Tous ces efforts visant à assurer la réussite militaire témoignaient de l’importance attribuée aux activités menées en direction du peuple.

L’Armée révolutionnaire populaire coréenne a énormément profité de l’aide de ces organisations. N’eussent été ces structures, à une époque où l’ennemi se mettait en quatre pour séparer les partisans et une population cloîtrée dans des villages de regroupement, d’où un seul kilo de riz, une seule bobine de fil ne devait s’échapper, nous aurions été au bout de notre rouleau, si ingénieux que nous fussions.

L’armée et le peuple, ces deux entités inséparables comme l’aiguille et le fil, doivent ne faire qu’un en toutes circonstances.

Lors d’une réunion convoquée par le comité du parti de Mandchourie du Sud, Wei Zhengmin a décidé d’envoyer dans différentes régions de Mandchourie des partisans cadres bien formés. Sans doute voulait-il réparer les erreurs commises.

C’est par chance que, fût-ce tardivement, il s’était rendu compte des erreurs et s’était déterminé à remédier à la préférence aveugle accordée au facteur militaire.

Et, tout en étant aux prises avec sa maladie dans le camp secret, Wei Zhengmin s’était concentré pour trouver comment remédier aux énormes pertes humaines et matérielles subies par la 1re armée de route et réorganiser ses effectifs, comment donner, en Mandchourie du Sud, de l’essor à une révolution fortement éprouvée par les échecs.

S’il s’avisait qu’il était impérieux d’établir une stratégie souple et de procéder aux changements tactiques correspondants en vue du grand événement qui s’annonçait, il doutait de sa capacité de prendre une décision qui réponde au contexte.

Tout en recherchant une solution qui permît l’unification militaire avec la 8e armée de route opérant en Chine intérieure, il attendait, le cœur serré, une réponse de l’Internationale à sa lettre d’avril.

Voici un passage de cette lettre où perce son angoisse:

«...Depuis l’automne 1935 que toute liaison avec le Comité central du parti a été coupée, que, par conséquent, nous ne recevons ni ses instructions détaillées ni les autres documents et les informations qu’il rédige, nous sommes attaqués de tous côtés par un ennemi rusé.

...Nous ne sommes qu’une petite barque sans batelier, à la dérive sur l’immensité d’une mer déserte; nous ne sommes qu’un enfant aveugle vaguant à tâtons dans son obscurité. Au mépris de la grande révolution qui tourbillonne en flots violents, nous sommes comme enfermés dans un abri exécrable ou dans un énorme tambour hermétique et, depuis que toute liaison avec nos supérieurs a été coupée, nous subissons de graves pertes.»

Wei Zhengmin avait écrit sa lettre afin de mieux informer l’Internationale et le Comité central du Parti communiste chinois des difficultés éprouvées par la 1re armée de route et d’en recevoir un concours efficace dans le redressement de la situation.

Or, cet espoir était mal fondé en l’occurrence.

L’Internationale et l’Union soviétique, soucieuses de leur sécurité, pratiquaient une politique de radoucissement qui tendait à éviter d’exciter les Japonais en Mandchourie, et le Comité central du Parti communiste chinois, de son côté, n’était pas, lui non plus, en état de venir en aide à la révolution en Chine du Nord-Est, tout préoccupé qu’il était de combattre à des centaines de kilomètres.

Si toutefois Wei Zhengmin s’attendait à une aide de l’Internationale ou du Comité central du Parti communiste chinois, c’est qu’il avait été pendant assez longtemps absent de la vie militaire et politique et dépourvu de renseignements objectifs de nature à fournir une appréciation exacte de la situation d’ensemble, sans parler de son extrême faiblesse physique et morale causée par la maladie.

Son impatience à l’égard de la réponse de l’Internationale venait surtout de l’ardeur avec laquelle il avait sollicité un renfort de cadres et de provisions pour la 1re armée de route.

A ses yeux, l’assistance de l’Internationale était l’unique moyen de remettre à flot son armée.

Or, le fait était que l’Internationale avait de la difficulté même à envoyer un agent de liaison et qu’on se demandait où et comment elle trouverait les cadres nécessaires et par quelle voie et quel procédé elle acheminerait le matériel militaire. A quoi bon fonder des espoirs sur une assistance qui ne pouvait venir? Mieux valait, à mon avis, remettre sur pied les organisations clandestines démantelées et renforcer la base de masse de l’armée, après quoi bénéficier du soutien du peuple.

A l’issue de la Conférence de Xiaohaerbaling, je suis allé au camp secret de Hanchonggou voir Wei Zhengmin qui était en traitement. Cela me faisait de la peine de voir sa pâleur maladive. Les Coréens chargés de veiller sur lui m’ont dit que sa blessure par balle était en train de se cicatriser mais que sa maladie de vieille date récidivait, empêchant l’amélioration de son état de santé. Selon toute apparence, les conditions réunies par le camp secret étaient trop mauvaises, même pour que l’état du malade reste stationnaire.

Wei Zhengmin s’est plaint d’une pierre qu’il sentait monter du ventre à la gorge. Cela m’a effrayé, ma mère, souffrant de douleur épigastrique, ayant fait souvent la même plainte.

Malgré sa souffrance, Wei Zhengmin s’efforçait de ramener sans cesse notre conversation sur les tâches immédiates, la stratégie et la tactique du mouvement des partisans. Nous lui avons alors communiqué que nous avions adopté la ligne de conduite consistant à préserver et à regrouper nos forces révolutionnaires, et à opérer en formations réduites en nous conformant aux impératifs de la situation intervenue, que nous avions déjà pris les premières mesures nécessaires à cet effet. Mon interlocuteur m’a témoigné son soutien, faisant mention de l’exactitude de notre appréciation de la situation et de la validité de la stratégie que nous avions définie.

La situation qui prévalait à l’époque et nos activités ultérieures ont également défrayé notre long entretien. Ce jour-là, nous nous sommes consultés notamment sur l’envoi des blessés et des malades en Union soviétique et sur la préparation opportune des provisions de bouche dont auraient besoin en hiver les petites formations tactiques.

A la même occasion, j’ai conseillé à Wei Zhengmin d’aller se faire soigner en Union soviétique. Pourtant, toujours accablé par la situation de la 1re armée de route, il a refusé, arguant de nombreuses affaires à régler. Par contre, il m’a prié, une fois en Union soviétique, de faire à l’Internationale un rapport circonstancié sur la situation de la 1re armée de route et de me renseigner si la lettre qu’il lui avait adressée était arrivée à destination.

Il était navrant de le voir s’inquiéter, plus que de son état de santé, du sort d’une armée mise à rude épreuve depuis la mort de son commandant Yang Jingyu.

Quant à moi, contrairement à son vœu, je n’étais pas en état d’aller immédiatement en Union soviétique. D’ailleurs, je n’en avais pas l’intention. Finalement, nous sommes convenus d’entretenir nos liaisons par le truchement de nos agents de liaison.

«Commandant Kim, je m’en remets à vous», m’a-t-il dit au moment où nous avons quitté le camp secret.

Pour moi, c’était comme une dernière volonté de sa part, parce que je ne le reverrais plus.

Un mot simple, banal, ce qu’il a dit. Mais cela a sonné alors à mes oreilles avec tout le poids de son sens profond. Certainement, il avait voulu me demander de faire une réussite de l’œuvre révolutionnaire qu’il avait prisée et à laquelle il s’était donné toute sa vie. Et, plus concrètement, il eût voulu confier à mes soins les affaires de la 1re armée de route.

Je revois encore son regard posé sur moi, un regard submergé de tristesse. J’ai fait laisser dans le camp secret un stock de provisions de bouche et autres approvisionnements pour Wei Zhengmin mais pourtant je n’avais toujours pas le cœur léger. Le riz ou les vêtements ouatés pourraient-ils le ranimer autant que je l’avais voulu? Ce qu’il lui fallait, c’était recouvrer la santé physique afin de poursuivre la lutte révolutionnaire.

J’ai sollicité avec instance Hwang Jong Hae et Kwak Ji San de tout mettre en œuvre pour le rétablissement de Wei Zhengmin. Me suivant encore loin du camp secret, ils m’ont rassuré, disant qu’ils le soigneraient du mieux qu’ils pourraient.

Tout peiné de devoir laisser Wei Zhengmin comme les deux autres dans une vallée reculée et déserte, je sentais mes pieds lourds à remuer, et j’ai réitéré ma demande, différant sans cesse mon départ définitif.

Plus tard, lorsque je suis allé à Khabarovsk, j’ai fait tout ce que Wei Zhengmin m’avait demandé.

D’abord, je me suis enquis de sa lettre. Des collaborateurs de l’Internationale m’ont répondu qu’elle était parvenue à destination.

Cette lettre secrète a été publiée pour la première fois après avoir été insérée intégralement en décembre 1940 dans le numéro 25 du «Rapport sur les idées», recueil de documents officiels des impérialistes japonais.

Comment était-elle tombée entre les mains des Japonais? A l’automne de cette année-là, Ri Ryong Un, chef de régiment de la 3e colonne, est tombé au champ d’honneur à Wangqing. Les Japonais ont alors récupéré ses effets personnels parmi lesquels figurait ladite lettre.

Aussi a-t-on cru au début que la lettre avait été interceptée par l’ennemi et n’avait pu atteindre l’Internationale.

De quelle lettre s’agissait-il alors quand l’Internationale avait confirmé avoir reçu celle de Wei Zhengmin?

Le document suivant, tiré des archives de l’Internationale, apporte sans doute un éclaircissement sur ce point.

«Confidentiel.

Au comité exécutif de l’Internationale.

J’envoie le rapport du 10 avril 1940 du camarade Wei, commandant en chef adjoint de la 1re armée de route des Armées antijaponaises unifiées et secrétaire du comité du parti de Mandchourie du Sud, ainsi que la traduction de ses deux lettres.

Sheliganov

Le 10 août 1940»

Ce message est également daté du 23 janvier 1941 et porte la signature de Dimitrov. Au début de la lettre, on lit:

«Notre information se divise en quatre parties. Par précaution ou par mégarde, nous avons omis beaucoup de choses qu’il aurait été pourtant utile de mentionner. Aussi vous demande-je d’éclaircir, en conférant avec Wang Runcheng, le porteur du message, tous les problèmes qui nous intéressent.

Car celui-ci vous fera part des points secrets qu’il faut éviter de mentionner par écrit. Je me porte moi-même garant de notre envoyé.»

Ce passage fait supposer que Wei Zhengmin avait confié sa lettre adressée à l’Internationale non seulement à Ri Ryong Un mais aussi à Wang Runcheng. A part les quelques différences insignifiantes relevées dans un certain nombre d’endroits, les deux lettres sont identiques. Cependant, la lettre que portait Ri Ryong Un ne fait pas mention de Wang Runcheng.

Wang Runcheng, surnommé «Wangdanaodai» (Wang la Grosse Tête — NDLR), entretenait depuis longtemps déjà—depuis ses activités en Mandchourie de l’Est—d’étroits rapports avec le camarade Kim Il Sung. Il avait été commissaire politique dans le 4e régiment de la 2e division de la 2e armée de l’Armée révolutionnaire populaire du Nord-Est, puis commissaire politique dans la 2e division de la 2e armée des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est.

Au printemps 1941, se frayant un chemin au risque de sa vie, le camarade Kim Il Sung déboucha en Mandchourie à la tête d’un groupe. Il se rendit alors à Hanchonggou, endroit où avait eu lieu sa dernière rencontre avec Wei Zhengmin. Il n’y retrouva ni Wei ni ses gardes du corps.

C’est plusieurs mois après, à la fin 1941, qu’il reçut des nouvelles détaillées d’eux.

J’étais de retour de Mandchourie et de Corée où j’avais fait mouvement à la tête d’un groupe, quand les camarades soviétiques m’ont demandé d’urgence une entrevue. En l’occurrence, un colonel de l’armée soviétique en civil, venu de Vladivostok s’est présenté à moi. Selon lui, quelques hommes, apparemment membres d’un groupe relevant des Armées antijaponaises unifiées, avaient passé la frontière soviéto-mandchoue et séjournaient à Vladivostok. Ils suppliaient les Soviétiques de leur permettre de me voir, parce que j’étais seul capable de les identifier.

Roulant dans une voiture vers Vladivostok avec le colonel soviétique, j’étais tenaillé par diverses pensées: ledit groupe ne comprend-il pas Wei Zhengmin par hasard? N’est-il pas faux qu’il ait succombé à la maladie?

Une tortue serait plus rapide que notre voiture, me disais-je, poussé à bout.

Dès notre arrivée à Vladivostok, le colonel soviétique a amené sous mes yeux l’intendant-chef Kwak Ji San. Quel n’a pas été mon étonnement à la vue d’un homme qui avait tellement vieilli en un an qu’on lui en eût donné soixante! Son aspect retraçait sans doute les péripéties sans nom qu’avaient traversées Wei Zhengmin et ses compagnons.

Ancien enseignant dans la région de Yanji, Kwak Ji San avait rejoint l’armée de guérilla où il s’était formé comme cadre politique. Au début, il avait été chef de compagnie dans la troupe de partisans de Yanji.

Un révolutionnaire expérimenté, qui en avait vu de toutes sortes. Beaucoup de gens lui devaient de savoir lire. De nature agréable, doué de beaucoup de discernement, il en imposait, et était aimé de tous pour l’abnégation qu’il manifestait envers ses camarades.

Large d’esprit, par surcroît. Certains l’ont nommé «Jupe à douze pièces», voulant rappeler la générosité dont il faisait preuve envers tout le monde, sans discrimination aucune et avec la sollicitude d’une mère qui doit avoir l’œil à tout dans la famille.

Lorsqu’il était question d’organiser le régiment des gardes du corps dans la 1re armée de route, je l’ai recommandé à Wei Zhengmin comme intendant-chef. Et depuis lors, les soldats l’ont appelé avec affection «intendant-chef Kwak».

Kwak Ji San s’est dévoué sincèrement pour Wei Zhengmin. Maintes fois, il s’est aventuré lui-même dans une zone contrôlée par l’ennemi pour se procurer provisions de bouche et médicaments. Aussi, à la première occasion, Wei Zhengmin disait-il qu’il devait sa survie à l’intendant-chef Kwak.

Mon arrivée a mis en émoi Kwak Ji San. Lorsqu’il en est revenu, il a demandé au colonel soviétique le mauser qu’il lui avait confié. Dès que l’arme a été apportée, il me l’a tendue, articulant d’une voix étranglée: «Voilà le mauser du camarade Wei Zhengmin.»

J’ai pris le pistolet sans toutefois oser demander: «Mais qu’est-ce qui lui est arrivé?» A voir cette arme présentée en l’absence de son propriétaire, il fallait forcément conclure à sa mort.

Le jour même, Kwak Ji San m’a fait un rapport détaillé sur le sort de Wei Zhengmin.

Après mon départ de Hanchonggou où j’avais retrouvé Wei Zhengmin, celui-ci s’était déplacé avec ses compagnons à Jiapigou dans le district de Huadian. Cette toponymie de Jiapigou se retrouve dans les districts de Wangqing et de Dongning et ailleurs encore en Mandchourie.

Dans la nouvelle région, le groupe s’est divisé, se casant dans deux camps secrets. L’un de ces camps se situait à une dizaine de kilomètres au nord, et l’autre plus loin encore au sud-ouest.

Wei Zhengmin s’est installé dans le premier camp, occupé également par Hwang Jong Hae, Kim Pong Nam, et le médecin Kim Hui Son ainsi que l’équipe de mitrailleurs au nombre de sept ou huit. Dans le second camp, étaient hébergés Kwak Ji San, Kim Chol Ho, Ju To Il, Ri Hak Son, Jon Mun Uk et Kim Tuk Su.

Seul à connaître la position des deux camps, Kwak Ji San s’acquittait de la difficile tâche de faire la navette entre eux, assurant les liaisons et transportant les provisions de bouche. Il obtenait les vivres nécessaires aux deux camps avec l’aide d’officiers de l’armée mandchoue liés avec lui par la Jiajiali, (famille—NDLR) et qui acquiesçaient à toutes ses demandes. Il avait aussi le chef du service spécial de la gendarmerie dans sa manche.

Ces officiers mandchous et le chef du service spécial nageaient entre deux eaux: ils apportaient aux partisans dans la montagne des vivres ou du sel et en emportaient des vêtements et des chaussures usés ou des cuvettes trouées jetés par les habitants des camps. Ils s’en servaient valablement pour prouver à leurs supérieurs avoir mis hors combat tel ou tel nombre de partisans, «exploit» pour lequel ils étaient récompensés.

Wei Zhengmin n’a cessé d’écrire jusqu’à la mort, dit-on. Il a rédigé des rapports et un bilan de guérilla, et a préparé un document concernant les affaires de la 1re armée de route. On dirait qu’il s’était fait, en tant que révolutionnaire, un devoir d’occuper tout son temps jusqu’à son dernier souffle.

A l’approche de l’agonie, Wei Zhengmin a remis à ses compagnons son mauser et son paquet de documents, leur confiant:

«Débordant de la vigueur de la jeunesse, vous vous devez de poursuivre la lutte jusqu’à la victoire. La révolution compte sur vous. La lutte est dure, elle réclame inévitablement du sang, des sacrifices. Il ne faut cependant pas en avoir peur. Notre sang n’aura pas été versé pour rien.

Je vous prie d’aller revoir le camarade Kim Il Sung. N’y manquez pas.»

Wei Zhengmin est mort en mars 1941, à l’âge de 32 ans. Un âge où la mort est encore plus déplorable. Les funérailles ont été simples, sans salve ni oraison, mais ses compagnons ont mis tous les soins requis à l’enterrement.

Par malheur, peu de temps après, un partisan chinois, ayant dévalé le maquis, s’est fait poursuivre, à son retour, par l’ennemi qui découvrit ainsi le tombeau. Etrange, d’autant plus que Wei Zhengmin avait adoré ce partisan.

L’ennemi a prétendu avoir tué le commandant chinois dans un combat. C’est faux, la maladie ayant été la cause de sa mort. Les Japonais étaient rompus à ce genre de mensonges. L’ennemi a fouillé la sépulture afin d’obtenir le prix attaché à la tête de Wei Zhengmin, un acte qui ne peut être qualifié que de barbarie.

La relation qu’on m’a faite des circonstances dans lesquelles le pistolet de Wei Zhengmin est parvenu jusqu’à moi m’a éclairé sur les péripéties qu’avaient eu à connaître ses compagnons même après sa mort.

Wei Zhengmin avait remis son arme à Hwang Jong Hae, qu’il aimait tant, en qui il avait tellement confiance.

Celui-ci avait été, au début, chargé des transmissions, servant en même temps, au besoin, d’interprète à Wei Zhengmin. Par la suite, nommé chef de la section des gardes du corps, il s’est occupé entièrement de la sécurité du commandant chinois qu’il assistait par ailleurs dans son travail. Il traduisait documents ou renseignements à sa demande et même le remplaçait dans la rédaction quand la maladie le clouait au lit.

Hwang Jong Hae s’est dévoué de tout cœur comme Kwak Ji San à la personne de Wei Zhengmin.

Un jour, on a constaté la disparition du cheval blanc de Wei. Tout de suite, Hwang Jong Hae a confié le commandant chinois aux soins d’un mitrailleur pour aller lui-même à la recherche de l’animal. Il suivait les traces de sabots quand, à deux pas du camp, il a vu des soldats ennemis s’approcher furtivement. Ils étaient, de leur côté, en train de suivre les traces de sabots en sens inverse afin de parvenir au camp. Le danger était imminent. La section des gardes du corps étant partie se procurer des provisions, Hwang Jong Hae et le mitrailleur étaient les seuls à veiller à la sécurité de Wei Zhengmin.

Rebroussant chemin, Hwang Jong Hae a caché les documents secrets, puis, portant Wei Zhengmin sur le dos, s’est précipité au fond de la forêt. Sans tarder, une grêle de balles est venue en sa direction. Il a pris alors Wei Zhengmin dans ses bras, sans s’arrêter, décidé à braver même la mort pour le sauver. Une balle l’a atteint à l’épaule. Hors d’état de porter Wei Zhengmin, il l’a remis au mitrailleur, puis a tiré avec une mitrailleuse pour couvrir la retraite du groupe.

Voilà Hwang Jong Hae tel qu’il était, et Wei Zhengmin n’eût pu s’empêcher de l’aimer. Ce n’est pas pour rien qu’il lui a remis son mauser.

Plus tard, à la tête de son groupe, Hwang Jong Hae a déménagé dans le camp secret où était installé Kwak Ji San. Le groupe chassait des sangliers ou des ours pour se nourrir et se faire une provision de vivres.

Or, une chasse à l’ours allait être fatale à Hwang Jong Hae. Il poursuivait un ours déjà atteint d’une balle lorsque, brusquement, la bête fit volte-face et se jeta sur l’homme. Un accident bien malheureux.

Le mauser gardé par Hwang Jong Hae est ainsi passé entre les mains de Ri Hak Son, du même village que Paek Hak Rim. Le nouveau détenteur de l’arme s’est fait une habitude de la nettoyer quotidiennement, se repaissant du souvenir ineffaçable du commandant chinois. Or, c’est encore un imprévu qui mit fin à ses jours.

Le pistolet de Wei Zhengmin est alors revenu à Kwak Ji San.

Avec ses compagnons, Kwak opérait par groupes de quelques hommes, tout en cultivant le pavot afin de se procurer le nécessaire pour aller en Union soviétique.

Vers cette époque-là, le groupe de Ryu Kyong Su s’est rendu aux environs de Jiapigou où il a rencontré un vieux qui avait des liens avec Kwak Ji San. Ce vieil homme gardait si strictement le secret que Ryu Kyong Su s’en est retourné sans avoir retrouvé Kwak Ji San.

L’équipe de Kwak a employé toute la récolte d’opium pour se procurer des uniformes et s’approvisionner en vivres et sel. Malgré ces préparatifs minutieux, les hommes ont beaucoup peiné en route avant de passer à gué le fleuve à la frontière soviéto-mandchoue, après avoir enlevé leurs pantalons.

Par combien de mains le pistolet est-il passé avant de parvenir à moi! Par la suite, Kwak Ji San a rejoint le groupe de Kim Il pour déboucher en Mandchourie. Il a mis sur pied des organisations clandestines en tirant profit du concours offert par la Jiajiali regroupant des officiers de l’armée mandchoue déjà en rapport avec lui et, d’autre part, il s’est livré au travail politique parmi la population.

Kwak Ji San et les autres communistes coréens qui ont veillé sur la personne de Wei Zhengmin se sont attachés à remédier à la préférence exclusive accordée au facteur militaire, tendance qui avait tant inquiété le commandant chinois, et à renforcer la base de masse de la lutte armée.

L’intendant-chef Kwak devait tomber au champ d’honneur en 1943, si je ne me trompe. Il rentrait d’une mission de reconnaissance fructueuse en Mandchourie quand il a été atteint d’une balle ennemie.

Wei Zhengmin nous a accordé un soutien sincère dans les années les plus dures de notre révolution, et c’est ce qui me le rend à jamais inoubliable.

Il me témoignait d’une confiance particulière au point qu’il s’enquérait de mon avis quand il rencontrait un problème épineux sur lequel il avait du mal à prendre son parti. Ainsi, après la mort de Yang Jingyu, il m’a consulté, comme le fera après sa disparition l’Internationale, sur tous les problèmes concernant la 1re armée de route et le comité du parti de Mandchourie du Sud. Et il a introduit chez moi tous les cadres de la 1re armée de route qui venaient demander son approbation.

C’était un homme et un révolutionnaire admirable. Aussi avons-nous mis, pour notre part, toute notre bonne volonté à l’aider.

Plus d’un combattant internationaliste s’est donné du mal à cette fin, sans hésiter au besoin à faire le sacrifice de sa vie.

Wei Zhengmin était un cas particulier par l’intérêt qu’il portait à la révolution coréenne et l’amitié qu’il me manifestait.

Selon l’expression des Coréens qui ont travaillé pendant longtemps auprès de lui, il a toujours lié l’avenir de la révolution coréenne à mon nom, leur recommandant à la première occasion de me soutenir de leur mieux.

La vie de Wei Zhengmin brille d’une beauté pure, marquée d’un même souffle noble du début à la fin. Celui qui a su s’engager pour la patrie, le peuple, l’humanité dès ses premiers pas dans la vie doit continuer jusqu’à la fin de ses jours. Son souvenir se perpétuera alors, honoré par ses semblables.

Dans les années de la révolution antijaponaise, le monde a eu en général une mentalité pure.

Or, depuis l’apparition d’un révisionnisme de type nouveau, contemporain, au sein du mouvement communiste international, peu de gens parlent d’internationalisme. Même d’anciens partisans fervents de la solidarité ne se creusent la tête que pour remplir leurs poches.

Heureuses ces années passées, où nous, révolutionnaires, tout en souffrant de privations, nous entraidions avec un total désintéressement sans tenir compte les uns de la nationalité des autres! Les communistes doivent se défendre de renier jamais leurs obligations internationalistes.


(Janvier 30 du Juche(1941)—juillet 31 du Juche(1942))


1. La Conférence de Khabarovsk

L’été 1984, au retour d’une visite officielle d’amitié historique en Union soviétique et autres pays socialistes d’Europe de l’Est, le Président Kim Il Sung s’arrêta pendant une journée à Khabarovsk. Il évoqua alors ses souvenirs émus de la vie de jadis à la base d’entraînement en territoire extrême-oriental soviétique et de la Conférence de Khabarovsk.

J’ai longtemps soupiré après Khabarovsk. A l’aller, nous sommes passés par la Mandchourie pour entrer en Union soviétique, ce qui excluait le passage par Khabarovsk. Mais au retour, comme notre itinéraire passait par Khassan, puis par la gare de Tumangang, j’ai décidé de m’y arrêter une journée. J’avais souhaité y aller pendant plusieurs décennies.

L’Armée révolutionnaire populaire coréenne (ARPC) et les Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est (AAUNE) ayant constitué l’Armée alliée internationale (AAI) avec les troupes de l’armée extrême-orientale soviétique menaient une lutte conjointe lorsque Khabarovsk est devenu un important lieu de rencontre des collaborateurs de l’Internationale et des communistes des trois pays, la Corée, l’Union soviétique et la Chine, responsables militaires, qui y ont échangé leurs vues, étudié l’orientation à suivre dans leur lutte commune et les moyens de la mener à bien.

Khabarovsk abritait le Quartier général des troupes extrême-orientales soviétiques et, pendant un certain temps, le service d’information en Orient de l’Internationale aussi.

En novembre 1940, j’ai passé la frontière soviéto-mandchoue et suis entré en territoire soviétique afin de participer à une réunion convoquée par l’Internationale.

Les formalités remplies, j’ai pris congé de nos camarades et me suis mis en route pour Khabarovsk en compagnie d’un guide, un officier soviétique.

Par la portière de la voiture, on voyait filer la plaine enneigée. Aussitôt, mes souvenirs des militants indépendantistes et autres patriotes coréens qui avaient arrosé cette région de leur sang se sont réveillés.

Combien avaient-ils été en effet à se lamenter de l’occupation de leur pays, à se débattre en vain, implorant le rétablissement de la souveraineté nationale!

Ils y étaient allés qui se procurer des armes, qui mettre sur pied des organisations, qui manifester tout simplement l’amertume poignante d’une nation faible.

On y voyait débarquer tant de Coréens, mais aucun d’entre eux n’y était allé admirer le paysage.

Malgré ces remous, l’indépendance nationale restait à venir.

Aux âmes des aînés gisant en paix sous ces cieux étrangers, j’ai juré alors en mon for intérieur d’exaucer leurs vœux inassouvis en rendant l’indépendance à la Corée.

Pour une autre raison, le voyage à Khabarovsk me remplissait d’une foule de pensées. Pour la première fois, notre mouvement serait représenté à une réunion de l’Internationale. Le fait qu’elle nous ait invités était digne d’attention, témoignant de l’importance qu’attribuait sa direction à l’Armée révolutionnaire populaire coréenne.

En effet, l’Internationale n’avait guère invité de Coréens jusque-là à ses réunions.

Dans les années 20, des personnes impliquées dans le Parti communiste coréen ont fréquenté cet organisme, divisées en groupes rivaux, munies de documents portant un sceau taillé dans une pomme de terre. Ces voyages, loin de servir au développement du mouvement communiste, avaient pour but de prendre l’hégémonie dans le parti. En voici la conséquence: subir la honte de la dissolution du Parti communiste coréen autant que l’obligation pour les communistes coréens combattant à l’étranger de passer au parti étranger conformément au principe: un parti par pays.

Autant que je m’en souvienne, la direction de l’Internationale n’a jamais mis à l’ordre du jour d’une réunion la révolution coréenne.

Depuis la dissolution du Parti communiste coréen, la révolution coréenne a presque perdu son intérêt pour l’Internationale qui avait surtout l’œil à la révolution dans les grands pays tels la Chine et l’Inde. Certains de ses collaborateurs, s’opposant même à ce que les Coréens militant en Chine du Nord-Est crient le mot d’ordre de la révolution coréenne, ont lancé successivement des directives qui heurtaient la situation réelle, portant un grave préjudice à cette révolution.

C’est après son 7e Congrès que l’Internationale a reconnu l’indépendance de la révolution coréenne et lui a, pour la première fois, exprimé officiellement son soutien.

Indifférents au peu d’intérêt qu’elle montrait à la révolution coréenne, nous lui avons témoigné un soutien invariable, attachant du prix à ses mérites et à son existence même.

L’Internationale avait fait beaucoup pour organiser les rangs du mouvement communiste et assurer leur pureté après la Première Guerre mondiale, et nous appréciions à leur juste valeur les mérites de cette fidèle avant-garde internationale dans la lutte pour la victoire de la révolution mondiale.

Les communistes coréens, fiers à la fois d’être responsables de la révolution coréenne et de faire partie en toute dignité du mouvement communiste international, ont lutté pour la victoire de leur révolution, d’une part, et d’autre part, se sont attachés à exécuter les directives de l’Internationale en faveur du développement de la révolution mondiale.

Je fondais de grands espoirs sur la réunion de Khabarovsk. Comme des représentants des forces armées des trois pays allaient discuter pour la première fois de problèmes d’intérêt commun, le débat s’annonçait plutôt orageux mais pourtant j’étais optimiste quant aux résultats de la réunion.

Nous avons débarqué à Khabarovsk alors que la neige nous arrivait jusqu’aux genoux et qu’il faisait un froid glacial.

Habitants permanents du maquis, nous voyions d’un œil émerveillé la nouvelle région. Les grandes artères paisibles où l’on n’entendait pas de coups de feu, où l’on ne voyait pas trace du pillage ou de la faim, les heureux citoyens qui circulaient d’un pas léger, échangeant librement les paroles, autant d’aspects de la vie dont nous rêvions.

Sur certaines cartes, Khabarovsk est dénommé Hapbu ou Paekryok. Les Coréens ont appelé Vladivostok Haesamwi. Au reste, ils avaient donné à différentes régions extrême-orientales soviétiques des noms du genre: Sangsongja, Yonchu, Suchong, Sosong, etc.

L’appellation de Khabarovsk provient du nom de Khabarov, un des explorateurs de l’Extrême-Orient soviétique, dit-on. Une impressionnante statue de Khabarov s’élevait sur la place de la gare, dans le centre de cette ville de plus de 200 000 habitants.

Le jour même de mon arrivée, j’ai rencontré So Chol et le lendemain An Kil. Tous deux étaient venus prendre part à la réunion, disaient-ils, le premier en qualité de membre du comité du parti de Mandchourie du Sud et le deuxième en qualité de chef d’état-major de la 3e colonne. Compagnons d’armes qui, l’un en Mandchourie de l’Est, un autre en Mandchourie du Sud et le troisième en Mandchourie du Nord, n’avions eu guère l’occasion de nous revoir, accaparés que nous étions par des combats interminables, nous avions maintenant la chance de nous retrouver. La joie bombait à flots dans mon cœur; je n’avais pas de mots pour l’exprimer.

Comme Yang Jingyu, chef de la 1re armée de route, avait été tué, que Wei Zhengmin était alité, que Cao Yafan, Chen Hanzhang et autres chefs de colonne étaient tombés au champ d’honneur, nous trois représentions, outre l’ARPC, le comité de Mandchourie du Sud du Parti communiste chinois et la 1re armée de route des AAUNE, autrement dit les organisations du parti et toutes les troupes de partisans opérant en Mandchourie du Sud.

So Chol et An Kil m’ont annoncé que Zhou Baozhong, commandant en chef de la 2e armée de route était arrivé dès le début de novembre, suivi par Zhang Shoujian, Feng Zhongyun et Ji Qing, respectivement commandant en chef, commissaire politique de la 3e armée de route et responsable politique adjoint de la 5e armée. Selon eux, Kim Chaek et Choe Yong Gon, déjà à Khabarovsk, m’attendaient. Tout compte fait, les trois armées de route des AAUNE, les comités du parti du Jidong, de Mandchourie du Nord et de Mandchourie du Sud étaient représentés à Khabarovsk.

Avant l’ouverture de la conférence, j’ai eu un entretien avec Rouchenko, représentant de l’Internationale et général de l’armée extrême-orientale soviétique.

Il m’a expliqué la raison et le but de la convocation des représentants des partisans de Mandchourie et de l’armée soviétique, me proposant que nous prenions de concert des mesures valables face à la nouvelle conjoncture. Il m’a demandé de lui fournir, si possible, des renseignements sur l’organisation interne et les activités du comité du parti de Mandchourie du Sud et de la 1re armée de route.

Ayant accepté la requête, j’ai rédigé avec An Kil et So Chol des renseignements détaillés, rapports que nous avons envoyés le premier janvier 1941 à Wang Xinlin.

Wang Xinlin n’est rien d’autre que le pseudonyme de Rouchenko, chef du service de renseignements des troupes extrême-orientales soviétiques. Alors que les troupes de l’ARPC et des Armées antijaponaises unifiées du Nord-Est étaient entrées en territoire soviétique, celui qui représentait l’Internationale, le parti soviétique et l’armée extrême-orientale soviétique avait pris le nom de Wang Xinlin.

La Conférence de Khabarovsk touchait à sa fin quand Sorkine, général de l’armée extrême-orientale soviétique, prit non seulement les fonctions que Rouchenko assumait jusque-là, mais aussi son nom d’emprunt: Wang Xinlin.

Les archives de l’Internationale gardent le manuscrit des renseignements rédigés par le Président Kim Il Sung en janvier 1941 au nom des représentants du comité du parti de Mandchourie du Sud (ou la 1re armée de route). En voici l’introduction:

«Camarade Wang Xinlin,

Nous tâcherons de répondre, autant que le permet notre connaissance limitée des faits, à toutes les questions qui nous ont été posées en ce qui concerne les activités du printemps et de l’été 1940 de la 1re armée de route des AAUNE. Aussi le présent compte rendu ne peut-il évoquer l’ensemble de la situation de la 1re armée de route.

……