TABLE DES MATIERES
CHAPITRE XVI. A TRAVERS LE FLEUVE AMROK 1
1. L’expédition de Fusong 1
2. Cent lieues d’une seule traite depuis Xiaotanghe 21
3. Mes gardes du corps 41
4. A travers les trois mille ri du pays 60
5. Kwon Yong Byok 83
6. Des épisodes dignes d’intérêt 106
7. La mère des partisans 120
CHAPITRE XVII. LA COREE EST VIVANTE 139
1. Les flammes de Pochonbo (1) 139
2. Les flammes de Pochonbo (2) 157
3. Fête conjointe de l’armée et de la population à Diyangxi 170
4. La photograp
5. La bataille du mont Jiansan 199
6. Les enfants en armes 212
7. Réflexions sur les obligations révolutionnaires 242
CHAPITRE XVIII. DANS LE FEU DE LA GUERRE SINO-
JAPONAISE 270
1. Face à une situation nouvelle 270
2. Kim Ju Hyon 290
3. La préparation de la paysannerie 305
4. C
5. L’Appel de Septembre 349
6. La leçon de l’«affaire de
CHAPITRE XVI. A TRAVERS LE FLEUVE AMROK
(Mars – mai 1937)
1. L’expédition de Fusong
Une fois des coups mortels assenés à Taoquanli et à Limingshui à l’ennemi qui s’acharnait contre nous avec sa «grande expédition punitive d’hiver», je résolus de remonter vers le nord, de nouveau à travers la chaîne des Changbai, à la tête du gros de notre armée.
Lorsqu’ils apprirent mon projet d’expédition de Fusong, mes hommes restèrent muets de surprise, et je crus lire dans leurs yeux cette objection: «Comment ça, remonter vers le nord, alors qu’on n’attend, le cœur battant, que l’ordre d’aller frapper l’ennemi dans la patrie? Pourquoi abandonner la région de Xijiandao et le mont Paektu que nous avons eu tant de peine à conquérir, et opérer ce revirement autant inattendu qu’inexplicable? Maintenant que tout va si bien et que nous avons le vent en poupe, pourquoi nous transporter dans la région de Fusong?» Voilà ce qu’ils devaient penser, et non sans raison.
L’armée de guérilla et la population avaient le moral au zénith: des combats sanglants se succédaient et nous en sortions toujours victorieux; l’ennemi faisait feu de tout bois pour faire de son expédition «punitive» et de sa politique de blocus militaire, politique et économique contre nous un succès, mais l’armée de guérilla ne cessait de gagner en force, c’est-à-dire que ses rangs grossissaient au fil des jours avec toujours de nouveaux contingents de volontaires, et son armement et son potentiel de combat allaient croissant.
Nous tenions sous notre contrôle la région du mont Paektu et le
bassin du fleuve Amrok; l’initiative était fermement entre nos mains; un réseau dense de nos organisations clandestines couvrait la région de Xijiandao. Ainsi l’objectif No 1 que nous nous étions fixé lors du départ de Nanhutou avait été, on peut le dire, pleinement atteint.
Restait à exécuter la marche vers la Corée. Il fallait étendre au plus vite notre lutte armée à la patrie pour y soulever un vent puissant de front uni national contre les Japonais et activer la fondation d’un parti de type nouveau. Du reste, aller frapper l’ennemi dans la patrie était le rêve le plus cher à notre cœur, et nous voir venir combattre les Japonais, le vœu suprême de notre peuple.
Un épisode comme celui-ci, par exemple, témoignait de l’impatience de la population de voir notre armée venir combattre dans la patrie.
Dans le secteur de Diyangxi, il y avait un village appelé assez bizarrement Nande ou Nahade, dont le maire, Ryu Ho, était membre spécial de l’Association pour la restauration de la patrie. Celui-ci ne ménageait pas ses efforts pour aider l’armée de guérilla. Un jour, il vint à notre camp secret, avec un groupe de gens de son village, nous apporter du ravitaillement. Le groupe comprenait, entre autres, trois paysans de Kapsan.
Ceux-ci avaient risqué leur vie pour traverser, chargés de lourds fardeaux de millet, de farine d’avoine grillée, de sandales de chanvre, le fleuve Amrok que l’ennemi surveillait étroitement. S’il était étonnant qu’ils nous aient apporté tant de choses, il l’était plus encore qu’ils n’aient pas touché aux denrées alimentaires qu’ils portaient avec eux: ils avaient dû sauter plusieurs repas, tandis qu’ils erraient, fourvoyés, dans la forêt vierge du mont Paektu, ce pour nous les remettre en totalité.
Les sandales de chanvre qu’ils avaient apportées nous émurent aussi: plus de deux cents paires de sandales, belles et solides, à lanières de fils de chanvre, à semelles de cordes de chanvre et d’écorce d’orme.
Kim San Ho remercia les Kapsanais, qui, éperdus de confusion, ne savaient plus où se mettre. Enfin, l’un d’entre eux, âgé, visiblement leur doyen, portant une barbe abondante comme un ermite de conte, prit les mains de Kim San Ho et dit:
«Nous ne sommes ni assez loyaux ni assez bons, puisque nous n’offrons rien de meilleur que des sandales de chanvre à nos vaillants guerriers du mont Paektu. Et, vous avez eu la gentillesse d’apprécier si bien notre effort insignifiant que nous en sommes troublés. Je vous prie de porter ces sandales médiocres comme si c’étaient des brodequins militaires de qualité et d’exterminer ces barbares insulaires de Japonais, chez nous, à Kapsan. Nous aurons alors l’âme en paix même dans l’autre monde. C’est seulement en vous, l’armée révolutionnaire, que nous plaçons tous nos espoirs. »
Non seulement eux, mais tout le monde dans la patrie attendait avec impatience l’Armée révolutionnaire populaire coréenne. Une fois, le vieux Ri Pyong Won, originaire de la province du Kyongsang, m’avait dit lorsqu’il était venu au camp secret nous remettre du ravitaillement:
«Général, quand est-ce qu’on verra les Japs déguerpir de chez nous? Aurai-je la chance de voir ce grand jour?»
Le désir ardent que le peuple avait de nous voir et l’amour brûlant qu’il nous portait, nous les ressentions à chaque instant, de toutes nos fibres. Et, une paire de sandales de chanvre, cadeau de paysans de Kapsan, en mains, chacun de nos combattants avait senti son cœur battre à coups redoublés du désir brûlant d’aller combattre au plus vite dans la patrie. Je partageais pleinement leur impatience.
Cependant, j’avais ordonné à mes compagnons d’armes de se diriger vers le nord, de marcher dans la direction opposée à celle de la patrie. A eux qui restaient interloqués, battant des paupières, je dis: «Camarades, il nous faut remonter vers le nord. Ce n’est nullement reculer. Non, ce chemin rejoint celui du sud menant à la patrie. Il nous faut passer par là si nous voulons gagner la patrie. Si, cette fois-ci, nous nous dirigeons pour un temps vers Fusong, c’est, sachez-le bien, pour faciliter notre marche vers la patrie. »
L’objectif principal visé par cette expédition était de semer la confusion chez l’ennemi, de disperser au maximum ses forces «punitives» concentrées dans la région de Changbai et de détourner son attention, en lui assenant des coups foudroyants par la tactique de guérilla «apparaître et disparaître comme par magie», afin de protéger notre réseau clandestin en plein essor dans cette région et de créer des conditions favorables aux opérations des grandes unités de notre armée à l’intérieur de la Corée.
La «grande expédition punitive d’hiver» que l’ennemi avait entreprise en hiver 1936 s’était soldée par un échec total, mais, loin de renoncer à son ambition chimérique d’isoler et d’écraser notre armée révolutionnaire, il ne cessait de jeter d’énormes forces dans la zone où nous opérions; il y transportait des troupes de son armée d’occupation de Corée, des troupes de ses gardes frontière, des troupes de l’armée fantoche mandchoue et de sa police. Dans cette situation, force nous était de changer, ne fût-ce que temporairement, de théâtre d’action si nous voulions conserver l’initiative et développer toujours plus énergiquement la révolution comme nous le projetions. Nous arriverions ainsi à mettre l’ennemi sur la défensive et à favoriser l’essor du mouvement révolutionnaire dans la région de Xijiandao et la région frontalière de la Corée.
En dispersant les forces de l’expédition «punitive» ennemie et en protégeant les organisations révolutionnaires en place dans le bassin de l’Amrok, nous favoriserions du même coup la marche de l’ARPC vers la Corée. Or, pour lancer cette armée en Corée et y engager des opérations de grandes unités, il nous fallait empêcher l’ennemi de se concentrer dans la région de Xijiandao qui nous tenait lieu d’arrières et de base d’opérations.
Comme en témoignait la «conférence de Tumen»1, l’ennemi cherchait, certes, en concentrant ses forces dans cette région, à écraser l’armée révolutionnaire populaire, après l’avoir acculée dans les profondeurs des monts Changbai, mais il tâchait plus encore de l’empêcher coûte que coûte de passer en Corée.
Que d’importants contingents de l’ARPC passent opérer en Corée, c’était un fait inéluctable, une question de temps pour lui, et c’est ce qu’il redoutait plus que tout. Si cette armée pénétrait en Corée et y déployait des actions militaires et politiques énergiques, l’impact en serait aussi spectaculaire que si elle avait lancé une attaque directe contre le territoire du Japon lui-même.
L’ennemi avait pris nettement conscience de la gravité du danger qu’il courrait au cas où nous viendrions tirer ne fût-ce que quelques coups de feu en Corée. Aussi, dès l’hiver de l’année du transfert du gros de l’ARPC dans la région du mont Paektu, s’était-il mis à s’évertuer à empêcher à tout prix nos combattants ou nos troupes de passer en Corée. Il alla jusqu’à mobiliser de force chaque nuit la population pour lui faire casser la glace du fleuve Amrok: dans son affolement, il était devenu incapable de s’apercevoir du caractère futile de cette mesure, tant il redoutait le passage de notre armée en Corée.
Comme je l’ai déjà dit en passant, l’empereur du Japon avait dépêché son aide de camp inspecter pendant trois jours les frontières coréo-mandchoues, tandis que les chefs politiques et militaires japonais avaient les yeux rivés sur la frontière septentrionale de la Corée. Le même aide de camp avait transmis aux troupes chargées de la garde de la frontière les instructions de l’empereur exigeant de faire de cette frontière une muraille d’airain «infranchissable», ainsi que les cadeaux des époux impériaux. Les journaux couvrirent la cérémonie de remise des cadeaux, cérémonie qui ne manquait pas de faste, et nos combattants, à cette nouvelle, eurent un rire joyeux: voilà l’empereur du Japon qui est sur des charbons ardents, de peur que l’ARPC ne vienne se battre en Corée.
Or, pour lancer les unités de notre armée en Corée, il fallait pratiquer des brèches dans le système de surveillance de l’ennemi, cette «muraille d’airain infranchissable» selon son expression. L’opération préliminaire, destinée à ouvrir ces brèches, consistait justement à disperser au maximum les forces «punitives» qui grouillaient dans les plaines et les montagnes de la région de Changbai. A cet effet, il nous fallait, pour le moins, faire semblant d’évacuer cette région. Si nos troupes faisaient mine de s’éloigner, l’ennemi ne pourrait pas ne pas se déplacer à son tour pour nous suivre, et il relâcherait sa surveillance de la frontière.
Nous comptions, par ailleurs, rejoindre l’unité de C
Un autre objectif était de donner une formation politique, militaire et morale ainsi que la trempe nécessaire à nos jeunes recrues conformément aux exigences de la situation qui prévalait alors et à la mission de l’ARPC.
Une fois établie une base de type nouveau dans la région du mont Paektu, nous avions vu venir plusieurs centaines de conscrits, tous des volontaires. Les jeunes de la région de Xijiandao, exaltés par les actions militaires et politiques énergiques de notre armée, s’étaient pressés pour s’enrôler dans notre armée, tandis que de Corée étaient venus chaque jour nous rejoindre de nombreux jeunes, animés d’un élan patriotique.
Les rangs de nos troupes ayant ainsi rapidement grossi, nous étions tenus de les consolider et de les raffermir.
Pour accroître les aptitudes de combat d’une troupe, il fallait élever avant tout le niveau de ses combattants, commandants et hommes du rang, c’est-à-dire qu’il fallait élever leur conscience et leur niveau de formation militaire. C’était indispensable pour les rendre invincibles. Nos plusieurs centaines de recrues ne laissaient guère à désirer quant à leur conscience de classe et à leur ardeur révolutionnaire, mais, n’ayant pas la moindre expérience des combats, ces jeunes n’avaient pas la moindre idée de ce qu’était la guerre de partisans, et ils manquaient aussi de formation politique et culturelle, étant tous de jeunes montagnards, candides, qui,
Bien qu’endurcis par la vie dure et les labeurs, ils n’étaient pas encore à la hauteur des épreuves de la guérilla. Aussi voyait-on souvent certains d’entre eux se laisser aller ou murmurer. Les uns grognaient, mécontents qu’on ne les laissât pas dormir suffisamment ou que la marche fût dure; d’autres préféraient ne pas se soucier de leurs souliers et de leur uniforme déchirés, laissant le soin à leurs aînés de s’en occuper à leur place.
Bref, c’étaient tous des novices qui ne savaient ni comment se tenir dans les rangs, ni comment marcher de nuit, ni s’orienter, qui confiaient leur fusil hors d’état à réparer aux anciens et restaient eux-mêmes plantés là comme des bornes à regarder ceux-ci faire. Il n’était pas question d’aller opérer dans la patrie avec de tels novices.
Depuis leur arrivée, j’avais cherché par tous les moyens, en y consacrant tous mes loisirs, à les instruire; je leur avais adjoint des combattants expérimentés pour les former rapidement en organisant des exercices, en leur donnant les fragments de connaissances nécessaires. Mais, de tels expédients étaient insuffisants pour former les nombreuses recrues sur divers plans, conformément aux exigences de la guérilla. Ce qu’il y avait de mieux à faire était de nous trouver une forêt dense à l’abri de l’attention de l’ennemi et d’y organiser pendant un certain temps des cours de formation politique et militaire à leur intention. Sans une telle période de formation intense, il serait impossible de faire d’eux des combattants dignes de ce nom. Or, nous n’avions pu trouver d’endroit approprié dans la région de Changbai, où les plaines et les montagnes étaient soumises aux opérations de ratissage de l’ennemi. Nous avions donc jeté notre dévolu sur la région de Fusong où se trouvaient concentrés les camps secrets de l’intendance de l’armée révolutionnaire.
En somme, l’expédition de Fusong s’imposait. C’était une mesure tactique énergique de nature à nous permettre de garder l’initiative face à l’offensive téméraire d’importantes forces ennemies, une mesure tactique souple et perspicace destinée à continuer à accroître le potentiel de combat de notre armée révolutionnaire et à créer des conditions favorables à l’entrée de celle-ci en Corée. Cette expédition devrait ainsi consolider et développer ce que nous avions accompli pendant les six mois qui avaient suivi notre transfert dans la région du mont Paektu.
Ce fut un jour de mars 1937 que nous nous mîmes en route pour notre expédition de Fusong. Y prirent part, outre les unités de combat, celles de l’intendance, comme l’équipe de couturières, l’équipe de cuisiniers, le personnel de l’atelier de réparation des armes, etc.
Wei Zhengmin aussi nous accompagnait, ainsi que Jon Kwang et Cao Yafan.
Nous comptions, le premier jour, franchir le mont Duogou; et nous marchâmes toute la journée, mais la neige était si profonde et le froid si vif que nous fûmes obligés de bivouaquer à mi-pente pour la nuit.
Cet hiver-là, la neige était si abondante dans les monts Changbai que, dans certaines vallées, il y en avait plusieurs toises. Là, nous devions avancer pas à pas en écartant la masse de neige en pesant de tout notre corps.
Pour se faire une idée exacte de l’abondance des neiges dans ces monts, la nouvelle génération devrait écouter le récit des anciens combattants qui ont participé à cette expédition. Lorsque nous redescendîmes vers le mont Paektu, au temps du dégel, après notre expédition de Fusong, nous aperçûmes une sandale de chanvre suspendue à la cime d’un mélèze. C’était celle qu’une des recrues de Changbai avait perdue dans la neige lors de notre marche vers Fusong.
Au début de mars, le dégel bat son plein dans les plaines de la patrie, mais au mont Paektu l’hiver fait encore rage.
Les rafales de neige beuglaient furieusement, et nous ne pûmes dresser nos tentes. Si même on parvenait à grand-peine à les monter, celles-ci ne supportaient pas la violence des coups de vent. Alors, nous creusions dans la neige un trou assez large pour abriter une escouade, et nous nous y glissions pour passer la nuit, allongés sur un morceau de fourrure de cerf ou d’écorce d’arbre étendus à même la neige et le buste appuyé sur notre havresac. Pour empêcher le vent de s’engouffrer dans ce dortoir improvisé, nous tendions un large carré d’étoffe blanche à l’entrée du trou. Nous avons ainsi fait l’expérience, pendant notre expédition de Fusong, du secret de l’existence des Esquimaux qui habitent des maisons creusées sous la neige ou faites de glace, sans succomber au grand froid.
Nous portions alors des posons (chaussettes coréennes ouatées—NDLR) longs montant jusqu’aux genoux et des sandales de chanvre, cadeaux des paysans de Kapsan. Sans s’être ainsi solidement équipé, on ne pouvait pas s’aventurer dehors dans la région du mont Paektu. La nuit, nous dormions, allongés autour de feux de bivouac, sans nous déchausser.
Enfin, le lendemain, nous franchîmes le mont Duogou. Cette expédition a été, il faut le dire, l’une des plus dures et des plus pénibles que nous ayons faites. Quand on dit la «Dure Marche», on évoque chez nous habituellement celle de l’hiver 1938, de Nanpaizi à Beidadingzi. Certes, cette dernière mérite pleinement l’épithète de «dure». Mais l’expédition de Fusong ne lui cède en rien quant à la rudesse des épreuves. D’un trajet d’à peine 100 kilomètres, couvert en environ 25 jours, elle pourrait n’avoir l’air de rien au regard des cents jours de grandes épreuves de la «Dure Marche»; mais, elle n’en a pas moins été l’une des plus dures.
Quelles épreuves n’avons-nous pas endurées alors! Le froid, la faim, le manque de sommeil et les combats, qui nous ont coûté cher à nous aussi.
L’expédition de Fusong nous a fait affronter des épreuves terribles devant lesquelles même les plus endurcis d’entre nous ont dû se raidir de toutes leurs forces pour ne pas flancher. Inutile de dire combien pénible elle a dû être pour ceux qui étaient engagés depuis à peine quelques mois.
Je fis en sorte que les combattants aguerris s’occupassent chacun d’une des jeunes recrues, et je pris moi-même en charge trois ou quatre conscrits de constitution faible. Les premiers prirent soin des secondes comme de leurs jeunes frères. Lors des marches, ils prenaient avec eux le fusil et le havresac des recrues; lors des haltes, ils allumaient des feux de bois pour les y faire se chauffer, et, lors du bivouac, ils leur préparaient des couchettes de fortune et raccommodaient leurs vêtements, leurs chaussures et leur casquette.
A peine l’ordre de halte fut-il donné que je vis un nouvel engagé, venu du village de Zhujiadong, se laisser choir comme une masse à côté d’un feu de bivouac et se mettre à ronfler sans le moindre souci de ses chaussures déchirées, qui laissaient passer les pouces de ses pieds. Les autres partisans portaient encore les sandales de chanvre, cadeaux des paysans de Kapsan, qu’ils avaient mises en quittant la région de Changbai, mais celui-ci avait déjà usé, outre les siennes, jusqu’à ses brodequins de rechange.
Je lui mis mes chaussures de rechange et pris les siennes, que je réparai avec une grosse aiguille et rangeai dans mon sac à dos—je les donnerais plus tard à une autre recrue. Chaque fois que je trouvais des chaussures à rapiécer, je faisais mon boulot de cordonnier en cachette, à l’abri des regards, pour ne pas gêner les propriétaires. Or, un jour, je fus surpris par le propriétaire des chaussures que j’étais en train de raccommoder, et celui-ci, les larmes aux yeux, arracha de mes mains souliers et aiguille.
Ce jour-là, je dis aux jeunes recrues:
«Chez vous, votre père vous confectionnait des sandales de paille, votre mère vous cousait des vêtements, vous n’avez donc jamais eu jusqu’ici à coudre ou à raccommoder. Mais un partisan doit savoir réparer lui-même ses vêtements et ses souliers; il est tenu de se débrouiller seul en tout. Eh bien, profitons de cette occasion pour apprendre comment on répare ses chaussures...»
Ces jeunes, troublés, s’excusèrent d’avoir fait peiner le Commandant pour de telles vétilles.
Les chaussures et les vêtements s’usaient et se déchiraient le plus lors des marches en terrain recouvert de neige durcie à surface rugueuse. Et je leur appris aussi la façon de s’y prendre pour passer un tel terrain.
L’expédition de Fusong a été, dirais-je, une lutte pénible contre la faim. Des multiples difficultés et obstacles que nous avions eu à combattre sur notre chemin, c’était la faim qui nous avait marqués le plus durement. Le ryt
Et où aurions-nous pu obtenir des vivres alors qu’on ne pouvait même pas espérer trouver une petite racine d’herbe gelée dans la neige profonde qui recouvrait les montagnes? Le seul moyen aurait été d’attaquer une unité ennemie, pour nous emparer de ses vivres, mais nous ne savions même pas où il s’en trouvait.
La grande faim endurée pendant cette expédition m’a laissé un souvenir si pénible que, plus tard, je dis, en l’évoquant, à un de mes camarades: «Ce fut, pour tout dire, l’“expédition de la faim”.» Nous avions alors marché plusieurs lieues par jour sans même pouvoir nous offrir un seul grain de maïs et en trompant notre faim uniquement avec de l’eau et de la neige. Comment pourrais-je oublier les tiraillements douloureux qui déchiraient alors nos estomacs vides?
Je voudrais évoquer ici un petit épisode qui nous arriva dans une forêt près de Donggang, vers la fin de notre expédition de Fusong. Nous découvrîmes en pleine forêt une maison de Chinois. La vue d’une maison habitée nous réchauffa le cœur de l’espoir de trouver un tant soit peu de vivres, car nous trompions notre faim avec de l’eau bouillie depuis déjà deux jours. D’ordinaire, les cultivateurs de pavot habitant dans les profondeurs des montagnes cachaient des céréales pour les mauvais jours.
Nous priâmes donc le maître de céans de nous vendre un peu de céréales comme nous étions à jeun depuis des jours. Cependant, celui-ci, disant qu’une troupe de montagne avait tout saccagé chez lui, ne voulut rien entendre. A en juger par le monceau de son de maïs qu’on voyait sous une meule, il était évident qu’il avait moulu quantité de maïs pour en faire de la semoule ou de la farine. Pourtant, il fit la sourde oreille à nos supplications; faute de mieux, nous ramassâmes le son de maïs traînant par terre et essayâmes d’assouvir notre faim avec lui.
Or, à la différence du son de millet ou de millet sauvage, il était très difficile de l’avaler, parce qu’il collait au gosier. Nous le moulûmes pour le rendre moins difficile à ingurgiter, mais en vain; en désespoir de cause, nous le délayâmes dans de l’eau et essayâmes de l’ingérer; toujours peine perdue. Il n’était guère comestible et ne donnait pas de sensation de satiété.
En dernier recours, j’appelai mon ordonnance Paek Hak Rim et lui dis: «Va à la recherche de la troupe de Wu Yicheng qui doit cantonner quelque part, au-delà de quelques collines. Son commandant n’est pas là, mais nombre de ses hommes sont restés pour poursuivre la résistance. Dis-leur que je suis là et demande-leur en mon nom de nous céder un peu de vivres. S’ils en ont, ils ne refuseront pas de nous en donner un peu ne fût-ce qu’au nom de l’amitié d’autrefois.»
Paek Hak Rim courut chez ceux de Wu Yicheng, mais rentra les mains vides. Un commandant de cette troupe vint s’excuser auprès de moi avec un sac de son de maïs sur le dos:
«Comment pourrions-nous ignorer la demande du Commandant Kim? Nous sommes bien disposés à tout faire pour vous venir en aide; seulement, nous sommes nous aussi à court de vivres, et je suis venu vous voir avec une chose aussi piètre que voici. Je vous prie de nous en excuser.»
Ce jour-là, mes hommes, en examinant les alentours de la maison du Chinois, aperçurent, dans un coin de la cour, un cercueil qui était rempli jusqu’au bord de semoule de maïs. Les Mandchous avaient coutume de préparer à l’avance leur cercueil qu’ils gardaient dans un coin de la cour de leur maison: c’était, pour eux, un ornement funèbre sacro-saint, coutume bizarre qui a donné lieu à de nombreux épisodes en Mandchourie à l’époque de la révolution antijaponaise.
Il n’était donc pas difficile pour moi de deviner pourquoi le maître de maison avait caché des céréales dans le cercueil. Mais mes hommes en furent soulevés d’indignation, surtout les jeunes recrues. Même l’une d’entre elles, originaire de Zhujiadong, vint s’en plaindre à moi:
«Général, le maître de ce logis est un gredin! On donne à manger même à un bœuf ou à un cheval qui viennent chercher pâture dans la cour de chez soi. La morale l’exige, c’est pure civilité. Or, les gens de cette maison, ils sont vaches, ce sont des sans-cœur. Il faut leur en faire voir, à ceux-là, et confisquer leurs céréales.»
Je dus me mettre en devoir de lui faire entendre raison:
«Non, il ne faut pas agir de cette façon. Nous ne devons pas toucher à leurs céréales, dussions-nous jeûner...»
Le conscrit, à court de réplique, s’en alla, l’air mécontent et désappointé.
Sans nullement trahir que nous connaissions leur secret, nous trompions notre faim avec du son de maïs et tâchions patiemment d’éduquer les gens de la maison.
Or, jusqu’à notre départ, ils ne nous révélèrent pas la cachette de leurs provisions.
La recrue, celle-là même qui était venue me proposer de confisquer leurs denrées, vint à nouveau les accuser auprès de moi: «Quels méchants types sont ces gens-là! Aucun effort d’éducation n’a prise sur eux.
—Mais non, répliquai-je. S’ils se sont refusés à nous donner de leurs denrées, ils ont commencé à se rendre compte que nous sommes une très bonne armée. »
Ce fut une bonne expérience pour nos recrues: très différents étaient les gens du peuple, et l’éducation à leur dispenser ne devait pas être uniforme; une entreprise ne réussirait que lorsqu’elle aurait gagné le cœur des hommes; l’armée devait se garder de toucher aux biens du peuple ou d’exiger de lui des services ou de l’aide sous prétexte qu’elle se trouvait en difficulté, voilà ce qu’elles comprirent par cette expérience.
Si, nous laissant aller à notre colère, nous avions rudoyé les gens de cette maison ou que nous eussions confisqué leurs céréales sous prétexte qu’ils avaient menti, nos recrues auraient pu, passant outre à notre devise: il est impossible de vivre isolé du peuple, agir à la manière des bureaucrates ou des bandits à cheval et se complaire à brutaliser le peuple, à exiger de lui des faveurs.
Nous marchions vers l’aval de la rivière Manjiang, lorsque nous aperçûmes deux hommes à l’allure de manœuvres qui nous suivaient à distance. C’étaient des bûcherons de l’exploitation forestière du mont Duantou. Trouvant leur conduite suspecte, nous leur demandâmes pourquoi ils nous suivaient, et ils avouèrent, sans se faire trop tirer l’oreille, que c’était pour se renseigner sur les mouvements de l’armée de guérilla, y ayant été forcés par l’ennemi. S’ils rentraient avec des renseignements sur nous, ils seraient payés selon la valeur des informations fournies, mais, s’ils rentraient les mains vides, ils seraient accusés d’«avoir des accointances avec les bandits» et sévèrement punis, voilà ce que l’ennemi leur avait dit, selon eux.
Nous sûmes par eux qu’un grand nombre d’ouvriers travaillaient à l’exploitation forestière du mont Duantou et qu’une unité de police forestière y était stationnée. Quitte à avoir un combat pénible, je pris le parti d’opérer un coup de main contre l’exploitation forestière pour obtenir des vivres.
Je dépêchai les 7e et 8e régiments attaquer le chantier. Ils s’en emparèrent vite et fouillèrent l’entrepôt, qui, à notre vive déception, ne contenait aucune denrée alimentaire. De peur que les partisans ne viennent les attaquer, les propriétaires de l’exploitation forestière avaient choisi de ne pas stocker de riz et d’apporter chaque jour la consommation journalière. Une troupe ennemie, cantonnée dans le village de bûcherons et dont nous n’avions cependant guère soupçonné la présence, se mit à résister; elle était forte de sept à huit cents hommes. C’était un supplément que l’ennemi avait lancé dans son opération «punitive» sitôt après avoir pris connaissance des mouvements du gros de notre armée vers Fusong.
Nos deux régiments revinrent, poussant devant eux une vingtaine de bœufs pris à l’exploitation forestière.
Aussitôt, un groupe d’hommes fut expédié sous les ordres d’O Jung Hup pour couvrir leur retraite. Celui-ci avait pris, dans différentes sections, des volontaires décidés à tout braver et se battit furieusement contre les poursuivants; il avait déjà eu plus de dix accrochages, et, à la pointe du jour, il aperçut, dit-il plus tard, l’ennemi à 50 mètres de lui.
Pendant que son détachement de couverture tenait en respect les poursuivants, le gros de la troupe alla, sur mes ordres, prendre position sur les deux collines qui s’élevaient à l’est; puis je dépêchai mon ordonnance dire à O Jung Hup de se replier par le pré entre les deux collines en y entraînant l’ennemi. Celui-ci mordit à l’appât que nous lui tendions: il s’engagea dans le pré sans se douter de rien, pour virer aussitôt sur ses talons et prendre la fuite, laissant derrière lui de nombreux cadavres.
Avant que le gros de la troupe ne commençât le combat, un certain nombre de combattants s’étaient mis à abattre les bœufs derrière un promontoire et à faire griller la viande à mesure. Le fumet du bœuf retournait notre estomac vide. Quant à la viande qu’on n’avait pas eu le temps de griller, nous l’avions dépecée et mise dans nos havresacs. Nous reprîmes notre marche, et, tout en marchant, nous mâchâmes de la viande crue. Mais celle-ci aussi s’épuisa au bout de deux ou trois jours.
L’ennemi s’acharnait toujours après nous, et Jon Kwang partit pour le camp secret de Dongmanjiang, d’où il nous renvoya nos combattants qui lui avaient servi d’escorte avec quelques mal (un mal équivaut à environ 14 kg—NDLR) de blé non décortiqué.
Mes hommes se moquèrent de lui royalement: «Hein? Voilà bien ce qu’il vaut, ce chef politique! Il faut convenir, à en juger par sa démarche, qu’il n’est pas ce qu’il veut paraître.»
Certains le blâmaient ouvertement: à leurs yeux, il manquait de courage et d’humanité. Ils ne pouvaient pas oublier la confusion qu’il avait provoquée dans l’ensemble des opérations de nos troupes, lors de la bataille du chef-lieu du district de Fusong. N’avait-il pas renoncé de lui-même à attaquer Wanlianghe comme il en avait été chargé à titre d’opération auxiliaire? Il cherchait toujours à se prévaloir de sa position, mais il évitait soigneusement d’affronter le danger quand celui-ci se présentait. Aussi mes hommes ne le tenaient-ils guère en estime. Juste était l’œil des masses. Plus tard, il tourna casaque et porta gravement préjudice à notre révolution.
Notre troupe continuait sa marche vers Fusong en longeant la rivière Manjiang, avec l’ennemi sur ses talons. Les quelques mal de blé envoyés par Jon Kwang s’épuisèrent vite, et de nouveau la faim se mit à nous torturer.
Nous réussîmes enfin à donner le change à l’ennemi et à le semer, et nous fîmes halte à Toudaoling. Sans nous approvisionner en vivres, il nous était pratiquement impossible de poursuivre la marche. En ce moment, quelques conscrits, originaires de Manjiang, dont Kang T
Ayant appris que nous approchions de Manjiang, ils vinrent me trouver, précédés de Kim T
«Général, autorisez-nous à aller nous procurer des vivres. Manjiang est à deux pas d’ici, et il n’est pas possible de laisser l’armée de guérilla souffrir de la faim. La contrée n’est pas riche en riz, mais, en revanche, on y trouve autant de pommes de terre que l’on veut. L’autre fois, les habitants de l’endroit avaient stocké une bonne quantité de pommes de terre à l’intention de l’armée de guérilla, et nous savons où ils les tiennent cachées.»
Leurs paroles nous réconfortèrent un peu.
Une dizaine de combattants partirent donc pour Manjiang. Mais ils revinrent bredouilles. Le stock de pommes de terre avait été attaqué par des sangliers, et il n’en était presque rien resté. En désespoir de cause, nos combattants ramassèrent les bribes du festin des sangliers, avant de rebrousser chemin: celles-ci même n’étaient pas à négliger, parce que nous n’avions absolument rien à nous mettre sous la dent.
Or, un fâcheux incident se produisit tandis qu’ils revenaient. Arrivés à proximité de notre bivouac, ils cédèrent à la tentation d’allumer un feu de bois pour faire griller des pommes de terre. Ils commirent là une erreur de taille.
En allumant à l’aube un feu aux abords du campement de la troupe, non seulement ils s’étaient fait remarquer eux-mêmes, mais encore ils avaient permis à l’ennemi de localiser notre campement. Pire encore, ils accoururent tout droit au bivouac sans même donner l’alerte. Ainsi, nous fûmes surpris en plein sommeil.
L’indiscipline entraîne souvent des conséquences désastreuses.
J’avais souligné plus d’une fois auprès des jeunes recrues: «L’indiscipline est incompatible avec l’armée de guérilla. Il n’est pas facile d’observer la discipline, mais cela ne doit pas servir de prétexte pour la considérer comme une corvée. La discipline est vitale pour l’armée. Ne vous déchaussez pas avant de vous coucher au bivouac. Ayez soin, où que ce soit, de ne pas laisser de traces après une halte. N’allumez pas de feu sauf là où on vous le permet. Si vous êtes poursuivis par l’ennemi, courez dans la direction opposée à celle du camp secret ou du bivouac de la troupe en entraînant l’ennemi à vos trousses. Il ne faut pas manger les herbes dont vous ne connaissez pas bien la nature...» En un mot, je leur avais parlé de la discipline et des normes de conduite à observer dans l’armée de guérilla.
Nous payâmes cher la bévue commise par les combattants du groupe de ravitaillement: elle coûta la vie à plusieurs de nos compagnons d’armes qui valaient chacun son pesant d’or.
Cependant, je m’abstins de critiquer les fautifs. Si ma critique avait pu ressusciter mes chers combattants, je n’aurais souhaité rien de mieux. Mais ils étaient morts et ma critique était donc superflue. N’était-ce pas la plus cinglante, la plus douloureuse punition pour les fautifs?
Mon ordonnance C
Frappé par plusieurs balles, blessé grièvement, C
Ri Pong Rok le souleva sur son séant alors qu’il gisait dans la neige et le mit sur son dos; et je les protégeai en tirant avec mon mauser en marchant derrière eux. Chaque fois que le porteur du blessé se sentait à bout de forces, je le remplaçai et portai, à mon tour, l’agonisant sur mon dos.
Lorsque, après avoir percé l’encerclement ennemi, nous l’eûmes descendu du dos de Ri Pong Rok pour le poser à terre, nous le trouvâmes sans vie.
C
Garçon plein d’imagination et de rêves, il rêvait de faire de longs voyages par le train. Il avait souvent dit qu’il se ferait, après la libération de la patrie, conducteur de locomotive.
«Ah, comme il est jeune! Je regrette sa grande jeunesse, ce garçon n’a pas encore vingt ans», fit une voix dans mon dos lorsqu’on eut couché C
Cette observation fut la goutte qui fit déborder la coupe: l’affliction contenue jusque-là éclata; toute la troupe fondit en larmes.
Avant de l’enterrer, nous défîmes son havresac, qui contenait une paire de sandales de chanvre, cadeau des paysans de Kapsan, et un sachet de farine de riz grillé.
Fils d’un émigré coréen qui n’avait pas de demeure fixe et ayant grandi sous des cieux étrangers, il désirait ardemment fouler le sol de la patrie; c’était le rêve de sa vie. Au cours de notre longue et épuisante marche depuis Nanhutou dans la lointaine Mandchourie du Nord jusqu’au mont Paektu, chaque jour, il m’avait bombardé de toutes sortes de questions, en marchant à mes côtés en sa qualité d’ordonnance: «Combien de lieues avons-nous encore à faire pour arriver dans la patrie? — Peut-on goûter dans la région de Xijiandao des pommes coréennes? — Avez-vous jamais été à la mer de l’Est dont le paysage est si splendide à ce qu’on dit? — Dans combien d’années pourrons-nous aller assiéger Pyongyang, puis Séoul et Pusan?», etc. Il n’en finissait pas de me questionner ainsi. Ses sandales de chanvre, marque de l’affection des paysans de Kapsan, avaient été sans doute mises de côté pour le jour de notre entrée dans la patrie.
Ordonnance affectionnée, jeune compagnon d’armes, il avait servi pendant de longues années auprès du Q.G. de notre armée, et, au bivouac, il avait partagé avec moi une même couverture. Peut-être était-ce pour cette raison-là que j’ai pleuré sa mort plus amèrement que celle des autres.
La terre de Toudaoling était si gelée que nous ne pûmes en détacher même une mince plaque ni à coups de hache ni à coups de baïonnette. Faute de mieux, nous recouvrîmes son corps de neige et laissâmes un repère à l’endroit, pour le retrouver plus tard et l’enterrer selon les règles.
Plus tard, quand, après avoir dressé le bilan de notre expédition de Fusong, nous redescendîmes vers le mont Paektu, au temps du dégel, je conduisis la troupe à l’endroit où reposait mon ancienne ordonnance.
Nous lui enfilâmes un uniforme neuf que nous avions apporté exprès pour lui du camp secret de Donggang, et nous l’enterrâmes à un endroit bien ensoleillé, selon les règles, puis nous transplantâmes quelques touffes d’azalées devant sa tombe. Que ces fleurs répandent le parfum de la patrie sur sa tombe! Ecloses sur le sol étranger, elles n’en exhaleraient pas moins le parfum de l’azalée coréenne, fleur préférée de mon ancienne ordonnance.
«Adieu, mon cher Kum San. Nous voilà de nouveau en route vers le mont Paektu; cet été, je serai dans la patrie, à la tête de notre armée, comme tu le souhaitais tant de ton vivant; une fois là, je te vengerai cent fois, mille fois. »
Ce fut avec ce monologue intérieur que je lui fis mes derniers adieux. Aujourd’hui encore je ressens un poignant serrement de cœur chaque fois qu’il m’arrive d’évoquer ce moment douloureux. S’il était resté en vie, il serait aujourd’hui du même âge que Paek Hak Rim.
Au printemps 1937, lors de notre expédition de Fusong, nous avons perdu beaucoup de nos compagnons d’armes irremplaçables.
Comme il est dit dans une strophe d’un chant: «Traces de sang sur la chaîne des Changbai», nous avons versé beaucoup de sang au cours de cette expédition. Nous avons déblayé notre chemin pas à pas, au prix de notre sang.
Que je sois incapable de décrire ici fidèlement les brillants exploits que mes compagnons d’armes ont accomplis et les grandes peines qu’ils ont endurées, je le regrette. Mais, si ma plume est obtuse, sans finesse, ma meilleure volonté est là pour combler cette lacune. J’écris ces pages comme si je gravais, lettre par lettre, à coups de ciseau, l’épitaphe de la stèle funéraire sur la tombe de mes compagnons d’armes, inoubliables, ceux qui nous ont priés, en rendant leur dernier soupir sur les monts abrupts, dans les vallées profondes de Fusong, de libérer à tout prix la Corée; eux qui, en tombant, m’ont dit avec un dernier sourire: «Bonne santé! Soyez toujours victorieux!»
2. Cent lieues d’une seule traite
depuis Xiaotanghe
Après des combats acharnés aux environs de Manjiang, notre troupe s’éclipsa: nous nous rendîmes aux camps secrets de Yangmudingzi.
Depuis Xinancha, on arrive à Yangmudingzi situé à mi-pente du mont Laoling. Ce nom de Yangmudingzi signifie contrée riche en saules. Un sentier montait vers le sommet, et des deux côtés se cachaient deux camps secrets, l’un appelé camp secret de Yangmudingzi est, et l’autre, camp secret de Yangmudingzi ouest. C’est à ce dernier où cantonnait la troupe commandée par l’officier d’état-major Yu que nous nous rendîmes. Au sud du camp secret de l’est au-delà d’une côte, se trouvait un troisième camp secret, celui de Gaolibuzi. Ces trois camps, disposés en triangle autour du mont Laoling, étaient connus la plupart du temps sous le nom de camps secrets de Yangmudingzi.
Ceux-ci se maintinrent pendant plusieurs années avant d’être assiégés et détruits en mars 1940 lors de l’expédition «punitive» de Rim Su San, qui les incendia, faisant de nombreux morts.
Yangmudingzi est un endroit inoubliable pour moi: c’est là que Ri Tong Baek, mon compagnon d’armes et mon conseiller sûr, trouva la mort; c’est aussi là que Ri Tal Gyong, chef de la compagnie des gardes du corps, grièvement blessé, expira sur un brancard; c’est aussi là que j’écrivis mon article intitulé Les Tâches des communistes coréens pour le journal Sogwang et que je discutai à plusieurs reprises avec Wei Zhengmin et autres cadres du haut commandement de l’armée des opérations conjointes.
C’est aussi dans les camps secrets de Yangmudingzi que je mûris mon plan de marche vers la patrie, fixée pour l’été 1937, et que j’en organisai les préparatifs.
L’un des problèmes majeurs posés par cette préparation se trouvait être celui du ravitaillement de nos hommes.
Aussi formai-je un détachement sous les ordres d’O Jung Hup et le fis-je partir pour la région de Changbai où Kim Ju Hyon devait l’attendre. Le détachement comprenait, entre autres, l’équipe de couturières, les malades et les affaiblis, dont ceux qui souffraient d’engelures. Il serait moins pénible pour eux, estimais-je, de travailler à se procurer du ravitaillement à Changbai que de marcher dans la neige, avec à peine un bol de bouillie de maïs par jour pour assouvir leur faim.
Outre ce détachement, nous envoyâmes d’autres combattants en mission politique dans la région de Xijiandao et en Corée.
Puis nous quittâmes à notre tour Yangmudingzi pour nous rendre dans la forêt de Xiaotanghe, au camp secret de l’intendance de la 4e division. Nous avions fait ce chemin pour semer l’ennemi, disperser ses forces et obtenir des vivres. Le camp regorgeait de provisions; on y trouvait même des tonneaux d’eau-de-vie, des caisses d’oranges et de pommes, butin d’un combat livré contre une unité de l’armée Chingan, selon les camarades de la 4e division qui ne cachaient pas leur fierté en nous le disant; on y voyait même trois mitrailleuses.
Ils nous donnèrent une quantité de maïs suffisante pour nous nourrir deux jours. Avant le départ, quelques-uns de mes hommes avaient même obtenu un tonneau d’eau-de-vie, en amadouant le surnommé «Petit Bi».
A la vue de ce tonneau, je donnai l’ordre de ne pas boire d’alcool. Je n’ai jamais encouragé l’usage de l’alcool et du tabac. En effet il m’était arrivé plus d’une fois de constater que ces choses nuisaient à nos actions.
Une année, notre troupe avait été prise de confusion au cours d’une marche, deux hommes manquant à l’appel lors d’une halte, et nous nous étions immédiatement mis à leur recherche. Comme nous l’avons appris plus tard, les deux hommes s’étaient éloignés à la dérobée de la colonne en marche pour aller boire un coup dans une auberge. Il va sans dire qu’ils avaient été l’objet d’une critique sévère par la suite.
Ravis de voir le tonneau d’eau-de-vie, les gaillards se mirent à cajoler leur chef de compagnie Ri Tong Hak pour qu’il leur permette d’en boire en prétextant le grand froid.
Celui-ci finit par céder aux supplications de ses hommes qui ne cessaient de tourner autour de lui et en fit donner un gobelet à chacun.
«Seulement une gorgée et à l’insu du camarade Commandant, dit-il, rien qu’un doigt, ça ne fera rien.»
Ainsi, tous les hommes de la compagnie des gardes du corps burent de l’alcool, ainsi que ceux des autres compagnies. Cette distribution égalitaire et absurde d’alcool faillit nous coûter cher lors du combat à Xiaotanghe.
Si jamais Ri Tong Hak a commis des fautes, celle de ce jour-là était la plus grave, pensé-je. Ses hommes étant exténués et affaiblis à l’extrême, la boisson avait eu un effet quasi foudroyant sur eux.
Par ailleurs, ce jour-là, notre sentinelle eut l’imprudence d’enfreindre le règlement. Un combattant du 8e régiment montait la garde ce matin-là à l’entrée de notre camp, alors que des centaines de combattants de l’armée fantoche mandchoue s’approchaient en silence pour nous encercler. Ayant perçu des bruits insolites, il cria: «Qui vive!»
Or, l’ennemi surpris par lui eut l’aplomb de répliquer: «Nous sommes de la 4e division. N’êtes-vous pas de la troupe du Commandant Kim?» Berné, le garde dit: «Si. Mais d’où venez-vous, vous autres?» Entre-temps, la troupe «punitive» qui avait occupé des endroits avantageux se mit à resserrer l’étau de son encerclement.
De son côté, l’ennemi lança: «Envoyez-nous votre délégué, si vous êtes bien la troupe du Commandant Kim.» Il n’était pas dans le règlement de l’armée révolutionnaire populaire d’échanger des délégués avec les unités voisines en cas de rencontre. Pourtant, la sentinelle prit la liberté de se conformer à cette demande. L’ennemi, qui avait pris position sur une crête, arrêta et désarma le délégué, puis se rua sur nous. Ainsi nous nous vîmes pour un moment acculés dans une mauvaise passe.
Rétablir la situation? Mais comment? Déjà, les ennemis grimpaient le versant de la colline où se trouvait notre Q.G. Il ne fallait pas perdre de temps; j’ordonnai à mes hommes de monter rapidement sur la colline.
Ce fut alors que se révélèrent les effets de l’alcool que Ri Tong Hak avait donné à boire à ses hommes. Malgré mes ordres, je vis plusieurs hommes s’attarder au bas de la colline, au lieu de l’escalader promptement. Comme je l’ai su plus tard, c’étaient ceux qui avaient bu de l’alcool sans en avoir l’habitude. Kang Wi Ryong, mitrailleur de la compagnie des gardes du corps, était de leur nombre. Je lui criai à plusieurs reprises de monter rapidement sur la colline, mais il tardait toujours à s’exécuter. Comme il l’avouera plus tard, sous l’effet de l’alcool, il avait les jambes flageolantes et la vue brouillée et était incapable de marcher. A voir agir ainsi le mitrailleur, je me sentis, un moment, déconcerté, moi aussi.
Les ennemis se jetaient sur nous, et une mêlée s’engagea sur la colline. Ri Tong Hak eut son havresac troué à plusieurs endroits par des balles, tandis qu’un autre combattant eut une oreille emportée par une balle.
Pour comble de malheur, la 2e compagnie du 7e régiment, sous le commandement de Kim T
Toutefois, ce jour-là, les mitrailleurs de la compagnie des gardes du corps jouèrent leur rôle. Changeant de position, ils arrosèrent l’ennemi d’un feu nourri et aidèrent le 8e régiment à rompre l’encerclement. La compagnie de Kim T
Le combat dura de l’aube au soir. Nous mîmes hors de combat plusieurs centaines d’ennemis et obtînmes un butin important. Nous avions gagné le combat, mais il nous avait laissé à tous une profonde plaie au cœur. De notre côté, nous avions subi, nous aussi, des pertes affligeantes. Kim San Ho avait couru de tous côtés pour secourir ses hommes et fut lui-même atteint par plusieurs balles.
Au dernier moment, il avait appelé Kim Hak Ryul, réputé pour son habileté au combat à la baïonnette, et lui avait ordonné de frayer un chemin à son unité.
Kim Hak Ryul avait une force herculéenne, il s’était enrôlé dans l’armée à Xinchangdong, en même temps que Han T
Aussitôt qu’il eut reçu cet ordre, il fonça sur les ennemis, en terrassa une dizaine à coups de baïonnette, lui-même touché en huit endroits. C’était un combattant-phénix. Ne pouvant plus se battre à la baïonnette, il se mit à abattre les ennemis à coups de grenades. A la fin, sa dernière grenade à la main, il se jeta dans la co
La plus grande perte fut celle de Kim San Ho, commissaire politique du 8e régiment. Cet homme avait partagé joies et souffrances avec moi pendant plusieurs années depuis Wujiazi. Chaque fois que nous parlions de la rapidité avec laquelle se formaient les gens du commun engagés dans la révolution, nous citions son cas en exemple. Ainsi, on disait: «L’ancien valet de ferme est maintenant commissaire politique de régiment», raccourci qui décrivait le rapide développement des jeunes ouvriers et paysans dans le creuset de la révolution, leur rapide mûrissement politique, idéologique, militaire, culturel et moral.
Le jour de sa mort, je ne pus toucher à mon repas.
Mes hommes allumèrent un feu de bois et vinrent me chercher. Mais comment aurais-je pu me chauffer au feu, alors que, rien que de porter mes yeux sur le feu de bois, il me semblait commettre une action coupable envers Kim San Ho qui gisait dans la neige.
Qian Yonglin, chef du 8e régiment, ne prit pas non plus son repas. Kim San Ho était Coréen, lui, Chinois, mais la différence de nationalité n’avait nullement affecté leur amitié révolutionnaire. Qian Yonglin avait toujours respecté les opinions de Kim San Ho qui, à son tour, avait aidé le premier de son mieux.
Qian Yonglin fut si profondément affligé de la mort de Kim San Ho que ses hommes non plus ne voulurent pas manger; les combattants qui avaient pu percer l’encerclement ennemi grâce à l’intervention de Kim San Ho et de Kim Hak Ryul ne purent avaler quoi que ce soit à la pensée de ces compagnons d’armes qui les avaient sauvés au prix de leur vie et des autres tombés sur le champ de bataille.
Le combat avait pris fin, mais l’adversaire ne semblait guère disposé à se replier. De toute évidence, il tenait, en se faisant envoyer des renforts, à nous encercler complètement et à nous anéantir après nous avoir en fermés au fond de la vallée de Xiaotanghe. Nous serions battus à plate couture si nous nous laissions prendre dans son étau. En pareil cas, l’art de la guérilla exige d’arracher l’initiative à l’ennemi et de le mettre sur la défensive en inversant la situation.
Je fis semblant de conduire mes hommes dans les profondeurs de la forêt, puis leur fis regagner en catimini le récent champ de bataille pour y bivouaquer pour une nuit. C’était une tactique de notre invention qui consistait à circuler sans changer d’endroit, pour donner le change à l’ennemi.
Entre-temps, l’ennemi faisait venir de nouvelles forces. Sans doute était-il décidé ce printemps-là à faire feu de tout bois pour venger la défaite cuisante qu’il avait subie dans sa «grande expédition punitive d’hiver». Des troupes ennemies ne cessaient d’affluer dans la vallée de Xiaotanghe. On aurait dit que toutes les forces ennemies disponibles en Mandchourie fonçaient sur nous. A la tombée de la nuit, en regardant d’une hauteur dans la plaine, je vis une mer de feux de bivouac sur plusieurs lieues à la ronde. Le spectacle faisait penser aux feux d’une grande ville. Je fis compter, par points cardinaux, les feux de bivouac disposés en plusieurs cercles autour de nous, et je calculai les effectifs ennemis par feu; il en ressortit un nombre prodigieux d’hommes, soit plusieurs milliers.
Mes hommes avaient pris un air grave et tendu en regardant cette mer de feux. Ils devaient être tous la proie d’une idée fixe, celle qu’il allait falloir livrer un combat à mort sur cette colline de Xiaotanghe.
«Camarade Commandant, nous voilà pris dans une souricière; pas moyen de nous en sortir. Ne nous faut-il pas nous préparer à un combat à mort?» me dit d’une voix brisée par l’émotion Sun Changxiang, chef du 7e régiment, arrivé à ma hauteur. Les autres commandants avaient aussi le visage tendu.
Or, le mot «combat à mort» avait résonné désagréablement à mes oreilles: engager quelque 500 hommes contre un adversaire fort de plusieurs milliers, ce n’était, à mes yeux, qu’un dernier sursaut motivé par le désespoir.
Comment pourrions-nous hésiter à soutenir un combat à mort et à donner notre vie si la révolution pouvait en profiter et triompher dès le lendemain? Mais il n’en allait pas ainsi, et nous devions survivre à toute adversité, pour conduire la révolution à la victoire.
«...Camarades, il est parfois plus difficile de rester en vie que de mourir. Nous devons tous, sans nous laisser abattre, survivre pour continuer la révolution. Nous devons réaliser cette grande tâche qu’est la marche vers la patrie, tâche sacrée et glorieuse, que l’époque et l’histoire nous assignent. Il ne nous est pas permis de nous laisser abattre à la veille de ce grand événement. Nous devons tous survivre et passer coûte que coûte dans la patrie qui attend avec impatience notre armée révolutionnaire populaire. Réfléchissons ensemble au moyen de nous sortir de cette situation...
—Camarade Commandant, n’est-ce pas trop compter sur notre chance? Comment sortir de ce cul-de-sac?» me dit Sun Changxiang.
Il semblait avoir déjà pris son parti.
Toute la troupe, les yeux rivés sur moi, en proie à une vive anxiété, attendait mes ordres. Jamais je n’avais ressenti de façon plus poignante et plus convaincante le poids de mes responsabilités de Commandant.
Les yeux fixés sur la vallée illuminée par les feux de bivouac de l’ennemi, je cherchais fiévreusement dans mon esprit un moyen de nous en sortir.
«Comment, de quel côté, percer l’encerclement? Comment semer l’ennemi? Les effectifs des troupes «punitives» ennemies qui grouillent là sont au nombre de plusieurs milliers. Si des forces aussi importantes sont massées là, leur arrière doit être complètement dégarni, ou peu s’en faut. D’autre part, l’ennemi croit, cela ne fait aucun doute, que nous irons nous enfoncer dans les montagnes si nous perçons son encerclement. C’est donc du côté des grandes routes que nous devons tenter notre percée, puisque la garde doit y être moins vigilante.», cette idée me traversa l’esprit comme un éclair.
Et je lançai mes ordres:
«Camarades, je vous sais décidés à donner votre vie ici-même, et je vous complimente pour votre courage, mais personne ne doit mourir. Et voici la voie du salut qui s’offre à nous. Il faut abandonner la forêt et pénétrer dans les zones habitées, puis nous acheminer vers Donggang par les grandes routes. Voilà la décision que j’ai prise. »
Au mot de «grandes routes», tous les commandants levèrent la tête, surpris, et pour cause. C’était la règle de la guérilla que de tenir secrets tous les mouvements des unités de partisans, et voilà que j’exigeais d’eux qu’ils pénètrent dans les zones habitées et empruntent les grandes routes pour décrocher, et ce alors qu’ils se trouvaient encerclés par d’immenses forces ennemies.
Sun Changxiang s’approcha de moi et glissa d’une voix pleine d’angoisse: «N’est-ce pas là tenter un coup trop périlleux?» En fait, ses inquiétudes n’étaient pas gratuites. Mon plan de percée était plus que périlleux. C’était risquer notre va-tout: l’ennemi pouvait tenir également sous sa garde les grandes routes et avoir laissé une partie de ses effectifs à l’arrière.
Je m’étais opposé, dès le début de la lutte armée contre les Japonais, à toute aventure dans la guérilla. Nous ne livrions de combats que lorsque nous étions sûrs de gagner. Nous avions eu soin d’éviter toute action dont l’issue s’annonçait à notre désavantage. Certes, nous avions risqué plus d’une fois le tout pour le tout en exécutant des opérations extrêmement périlleuses, mais ce n’était que lorsque nous y étions forcés, et, dans ces cas-là aussi, nous avions risqué le coup après nous être assurés de la possibilité de la réussite et en y mettant toutes nos forces.
Pour réussir les opérations périlleuses, voire aventureuses, sans essuyer d’échec, il faut posséder une foi, une force de volonté et un courage assez forts pour affronter le pire danger et garder son sang-froid même si le ciel devait crouler sur soi.
Et voilà que j’étais là, sur une hauteur de Xiaotanghe, ordonnant une opération de percée extrêmement périlleuse, demandant à mes hommes de passer dans les zones habitées et de se replier par les grandes routes: or, ce plan, tout plein de danger qu’il fût, n’en était pas moins prometteur. Prometteur parce qu’il symbolisait notre volonté d’offensive et de tourner l’adversité à notre avantage pour garder toujours l’initiative entre nos mains sans jamais consentir à rester sur la défensive. Prometteur aussi parce qu’il reposait sur une évaluation exacte des points faibles de l’ennemi.
Une bataille, c’est, après tout, un affrontement au niveau de l’intelligence, de la foi, de la volonté et du courage.
En concentrant des milliers d’hommes dans le secteur de Xiaotanghe, l’ennemi comptait nous encercler et nous anéantir par la tactique de la marée humaine, soit sa supériorité numérique écrasante. C’était le procédé habituel qu’il utilisait dans ses expéditions «punitives» contre l’armée révolutionnaire populaire. Cette fois aussi, c’est en recourant à cette tactique, rebattue, plate et banale qu’il voulait nous avoir. L’ennemi comptait uniquement sur sa supériorité numérique, et c’est là que résidait son point faible.
En couvrant la vallée de Xiaotanghe longue de quelques lieues de ses feux de bivouac, il avait exposé devant nous ses effectifs et la tactique qu’il allait utiliser contre notre armée. C’était une faute irréparable de sa part, comme s’il eût jeté entre nos mains tous ses plans d’opérations. Dès lors, l’initiative nous appartenait entièrement.
J’avais la conviction que nous en sortirions. Je mis, en souriant, la main sur l’épaule de Sun Changxiang et dit aux commandants:
«... L’ennemi a massé ici des milliers d’hommes. Cela veut dire qu’il a amené tous ses effectifs, ceux de son armée, de sa police, voire du corps d’autodéfense, qui étaient cantonnés dans différentes agglomérations de Xiaotanghe et de Fusong. Maintenant, les villages et les routes alentour doivent être vides, sans surveillance. L’ennemi ne porte attention qu’aux forêts. Il est incapable d’imaginer que nous puissions nous replier par les grandes routes. C’est là la lacune de sa tactique, dont nous devons tirer parti pour nous ruer vers le camp secret de Donggang...»
J’avais alors parlé, pensé-je, avec beaucoup de conviction.
Les visages des commandants se rassérénèrent du coup, et ils donnèrent avec entrain l’ordre de départ à leurs unités. Le 8e régiment descendit le premier vers la vallée, suivi par la compagnie des gardes du corps et par le 7e régiment. Nous marchâmes, en contournant les feux de bivouac de l’ennemi, sans faire de bruit, vers la grande route. Dans les moments périlleux où le sort de toute la troupe est en jeu, l’attitude et les propos du commandant ont une action décisive sur le moral des combattants. C’est bien ce que j’ai ressenti alors de toutes mes fibres. Que le commandant garde son sang-froid ou qu’il le perde, ses combattants en font autant.
Comme je l’avais prévu, il n’y avait pas âme qui vive sur la route, seulement des traces de feux de bivouac à l’entrée du premier village que nous abordâmes. Nous fonçâmes vers Donggang en coup de vent, traversant sans accroc plusieurs villages.
Nous avions traversé sans coup férir les arrières ennemis restés déserts. Le seul coup de feu tiré fut le coup d’alerte que j’avais fait donner, ayant aperçu la colonne du 8e régiment coupée en deux parties à plus de 500 mètres l’une de l’autre. Tandis qu’ils traversaient les villages et suivaient les grandes routes, les combattants s’étaient insensiblement laissés aller au relâchement; pas mal d’hommes du 8e régiment somnolaient en marchant.
J’avais fait tirer un coup de feu au chef de l’arrière-garde pour les remettre en état d’alerte. Depuis, ils avaient doublé le pas, et personne n’avait plus sommeillé.
Cette tactique de marche par les grandes routes, utilisée pour la première fois à Xiaotanghe, fut reprise plus tard, dans la patrie, alors que nous nous dirigions vers le secteur de Musan, après avoir quitté le mont de l’Oreiller. C’est la tactique «Il
Comme je l’ai appris plus tard dans un numéro de la revue Tiexin, l’ennemi avait invité à venir assister à ses opérations de Xiaotanghe un groupe de journalistes japonais, allemand et mandchous. On voyait souvent des journalistes servir de correspondants de guerre lors des conflits, mais l’arrivée d’un journaliste de la lointaine Allemagne fasciste en Mandchourie, sur le champ de bataille, n’était pas chose banale: elle témoignait du grand intérêt que les experts japonais en expéditions «punitives» accordaient aux opérations de Fusong et de leur confiance en leur succès.
L’article intitulé «Reportage sur l’expédition punitive contre les bandits dans la préfecture de Dongbian», publié dans cette revue, disait que le groupe était composé de journalistes du Tokyo Nichinichi Shimbun, du Yomiuri Shimbun, du Hochi Shimbun, journaux japonais des plus importants, de reporters de la radio de Xinjing, de fonctionnaires des Affaires étrangères du Mandchoukouo et de Johann Nebel, correspondant de l’agence télégraphique nationale de l’Allemagne nazie. C’était donc un groupe de visiteurs fort importants, comprenant des hommes des milieux de la presse et de l’information, des diplomates, du Japon, d’Allemagne et du Mandchoukouo. Il semblait que l’ennemi eût été la proie d’une folle envie de faire connaître dans le monde entier les «faits d’armes» éclatants qu’il ne manquerait pas d’accomplir dans ses opérations «punitives» de Fusong, estimées à l’avance par lui comme un modèle des opérations de ce genre, digne d’être vanté à la face du monde.
Egalement se rendirent sur les lieux Washizaki, personnalité importante du service de renseignements militaires du gouvernement militaire du Mandchoukouo, Nagashima, fonctionnaire du même service, et Tanaka, chef des services spéciaux d’Andong. Ceux-ci aussi caressaient une chimère en croyant que, ce printemps-là, les troupes japonaises finiraient par anéantir, sur les montagnes abruptes et dans les vallées profondes de Fusong, l’armée révolutionnaire populaire, ce «cancer de la paix en Orient». Quant à Washizaki, c’était un expert bien au courant des réalités du mouvement communiste en Mandchourie, un tacticien rusé qui avait joué un rôle majeur dans l’élaboration des stratégies japonaises de destruction de ce mouvement. Doué pour la plume, il avait été principal collaborateur de la rédaction du livre confidentiel «Etude sur les bandits communistes de Mandchourie».
Vers la fin de la Guerre de libération de la patrie (1950-1953), Syngman R
Sous-estimer et mépriser les autres tout en ayant une haute idée de soi-même, voilà la tare que partageaient Hitler, Mussolini, Tojo et Syngman R
Le chef des troupes «punitives» japonaises avait déclaré, devant le groupe de reporters, que ses troupes avaient eu dans la montagne des affrontements avec les troupes communistes de Kim Il Sung, commandées par celui-ci même, qui, âgé de moins de 30 ans, avait fait ses études à l’université communiste de Moscou et était à la tête de quelque cinq cents fusils, la plus importante force adverse qu’il y eut dans la préfecture de Dongbian, mais que celle-ci se trouvait «maintenant prise dans une souricière». Il parlait couramment l’allemand et s’était adressé au correspondant nazi sans faire appel à un interprète. Les journaux japonais de l’époque avaient fait beaucoup de bruit au sujet de mes prétendues études à l’université communiste de Moscou. Les journalistes poussèrent des exclamations en entendant le chef japonais affirmer que nous étions «pris dans une souricière».
Or, quand nous eûmes lestement percé l’encerclement ennemi et disparu sans laisser de traces, celui-ci réapparut devant les journalistes et les invita piteusement à questionner un «prisonnier», le seul que ses troupes aient pris, les autres, au nombre d’environ trois cents, ayant «pris la fuite». Or, en répondant aux questions des journalistes, le «prisonnier» aurait affirmé qu’il était récemment passé dans l’armée révolutionnaire, ayant servi avant dans l’armée mandchoue à Tonghua et, un sourire effronté aux lèvres, aurait dit qu’il ne connaissait même pas le B.A.-ba du communisme. A dire vrai, jamais nous n’avions poussé jusqu’à Tonghua.
Le jeu était trop maladroit même pour être une mise en scène, et il n’était pas difficile d’imaginer quels auraient été l’ébahissement et la déception de ces journalistes.
Les feux de bivouac de l’ennemi nous avaient non seulement permis d’élaborer la tactique de déplacement par les grandes routes, mais aussi nous avaient persuadés que nous avions atteint pour l’essentiel le but de notre expédition qui était d’attirer du côté de Fusong les forces ennemies concentrées dans la région frontalière.
L’ennemi fut ahuri en apprenant que l’armée révolutionnaire populaire avait disparu sans laisser de traces, après avoir rompu l’encerclement établi par des milliers de ses soldats. Pris en défaut, il se débattait sans savoir où donner de la tête. Des rumeurs couraient parmi ses soldats: «Les tactiques de l’armée de guérilla sont à faire pleurer même les dieux — La troupe de partisans coréens a un stratège qui ferait pâlir même Zhou Geliang (célèbre stratège chinois de l’ancienne époque)! — D’ici quelques années, l’Armée révolution-naire populaire coréenne viendra assiéger Séoul et Tokyo.» Ces bruits finirent par arriver jusqu’à la population, pour enfin défrayer les conversations des vieux campagnards qui se réunissaient chaque soir pour bavarder. La tactique de marche accélérée ajouta ainsi aux légendes circulant sur notre compte.
Notre marche de Toudaoling à Donggang fut marquée par une disette de vivres extrême.
Arrivés dans une forêt près de Donggang, nous décidâmes d’y rester environ un mois, et nous nous mîmes à stocker des vivres. Ce n’était pas une tâche de tout repos que de nous procurer des provisions suffisantes pour nourrir plusieurs centaines d’hommes pendant un mois.
Un heureux hasard nous permit cependant d’aplanir la difficulté. Une nuit, des partisans en faction découvrirent par hasard un champ de maïs, non loin de leur poste de guet. Le champ avait été ensemencé l’année précédente et laissé pendant tout l’hiver avec la moisson sur pied. On trouvait souvent des champs de ce genre aux environs du mont Paektu.
Vivant uniquement de son et d’eau depuis des jours, sans le moindre grain, nos sentinelles, après leur relève, cueillirent des épis, pour les donner à leurs camarades restés au campement, sans cependant avoir demandé l’autorisation du propriétaire du champ, car, selon elles, celui-ci n’avait pas apparu et qu’on ne savait pas où il habitait, pas plus qu’on n’avait eu le temps de s’en enquérir, l’heure de la relève étant arrivée.
Après avoir reçu une sévère critique de ma part, ils repartirent à la recherche du propriétaire et, au bout de quelques heures, revinrent en compagnie d’un vieux Chinois.
Je lui présentai des excuses au nom de mes hommes et lui offris 30 yuan.
Mais, le vieil homme sursauta en s’écriant presque: «Quelle importance ont ces quelques sacs d’épis de maïs? Et vous qui êtes chef, vous daignez vous excuser auprès du simple vieux que je suis. Je regretterais ce que me prendraient des brigands, mais jamais ce que me prennent les hommes de l’armée révolutionnaire. Jamais, je ne saurais me faire payer par l’armée révolutionnaire une infime quantité de maïs. Si, plus tard, les gens de mon village l’apprenaient, que me diraient-ils? Je ne peux en aucune façon accepter votre argent ni reprendre mon maïs.»
Je lui dis qu’il était tout naturel qu’il les accepte parce que le maïs venait de son champ et que l’argent était pour le dédommager du dégât que nous lui avions causé.
Cédant enfin à mes instances, le vieux prit l’argent et les sacs de maïs et retourna dans son village. Chemin faisant, il demanda aux partisans qui, sur mon ordre, l’accompagnaient qui était celui qui venait de s’entretenir avec lui.
Apprenant que c’était le Général Kim Il Sung, lui-même, le vieux s’accusa d’avoir commis un grand péché, puis resta plongé dans une profonde méditation. De retour à son village, il appela sa famille et ses proches parents et moissonna tout le champ de maïs en question, puis revint me voir avec sa récolte de maïs chargée sur un traîneau.
«Aujourd’hui, j’ai eu l’insigne honneur de rencontrer le Général Kim. A vous voir témoigner tant d’égards à l’homme du commun que je suis, je me sens infiniment confus. Je tiens à rendre votre bienveillance, veuillez donc accepter, je vous en prie, le maïs que voici sur ce traîneau.»
Cette fois, je dus céder. Son maïs nous permit de résoudre notre problème alimentaire pour un temps.
Le vieux me suggéra ensuite un moyen de nous procurer des vivres: on trouverait un champ d’insam à environ 8 kilomètres de là en descendant le long de la rivière Manjiang; et nous n’aurions qu’à nous entendre avec les propriétaires de ce champ, qui avaient semé du soja et du maïs et ne voulaient pas les moissonner comme les siens, mais vendre la récolte sur pied. Si la troupe du Général Kim le souhaitait, dit-il, il servirait d’intermédiaire et marchanderait avec eux pour notre compte.
Je fis partir une de mes ordonnances avec le vieux pour le champ d’insam, et celle-ci, au retour, me dit que tout allait s’arranger comme nous l’entendions.
Je choisis quelques hommes robustes dans la compagnie des gardes du corps et dans le 7e régiment et les envoyai sur les lieux.
Le temps qu’ils s’employaient à leur tâche, nous pûmes nous tirer d’affaire avec le maïs, don de notre brave vieux. Quelques jours plus tard, les hommes de la compagnie des gardes du corps, qui faisaient partie du groupe de ravitaillement, rentrèrent avec des tourteaux de soja sur le dos; c’étaient ceux que les propriétaires du champ d’insam avaient stockés chez eux. Nous les mangeâmes crus, cuits à la vapeur ou grillés.
Et voici ce que mes gardes du corps nous racontèrent. En apprenant que l’armée révolutionnaire manquait de vivres, les propriétaires du champ d’insam avaient témoigné une profonde compassion. Leur champ d’insam était semé, en deuxième culture, de soja et de maïs et n’était pas encore moissonné, dont la récolte pourrait procurer plus d’un mois de nourriture à notre troupe. A la demande de nos hommes de nous vendre la récolte, ils avaient dit: «Comment ça, la vendre à la troupe du Général Kim Il Sung alors que nous devrions l’aider de notre mieux? Nous pourrons nous arranger pour vivre sans ce soja et ce maïs. Prenez tout.»
Malgré leur refus, nos hommes les avaient obligés à accepter de l’argent.
Sitôt après le repas du soir, nous partîmes pour le champ, et, arrivés sur les lieux par une marche forcée, nous nous attaquâmes aussitôt à la moisson. Nous cueillîmes les épis de maïs pour les conserver tels quels et arrachâmes les pieds de soja pour en battre les gousses. Faute de fléaux, nous les battîmes à coups de bâton ou de pieds. La moisson faite, nous nous trouvâmes en possession de plusieurs dizaines de som2 de grain.
Je remerciai les propriétaires du champ.
Ceux-ci eurent encore la gentillesse de nous céder une quantité de sel suffisante pour un mois en nous encourageant à nous battre plus énergiquement encore. Une fois le problème des vivres réglé, je conduisis mes hommes vers le camp secret de Donggang choisi comme endroit propice aux études militaires et politiques lors de notre départ de la région de Changbai.
Le printemps et l’été précédents, j’avais appris par le vieux Ho Rak Yo que, quelque part dans la forêt de Donggang, se trouvaient les ruines d’un village appelé Gaolibuzi (fort koryte en coréen —NDLR) et qu’il y restait encore la pierre angulaire d’un fort où nos ancêtres s’étaient exercés au combat. Quand il était venu, à l’âge de moins de vingt ans, s’installer dans le village de Hualazi, à Manjiang, avait dit le vieillard, il y avait aux alentours de Gaolibuzi plusieurs villages habités exclusivement par des Coréens, les brûlis y étant assez fertiles.
Puis les contrecoups de la guerre sino-japonaise et de la guerre russo-japonaise arrivèrent jusqu’au pied du mont Paektu: une troupe japonaise fit irruption dans le village et s’y livra à un carnage horrible, les jeunes du village, furieux, la repoussèrent avec des arcs, des lances et des pierres. A une époque, la troupe de Hong Pom Do3 vint s’entraîner à Gaolibuzi, et la plupart des jeunes du village s’enrôlèrent dans la troupe et firent l’exercice.
Enfin, la grande expédition «punitive» de l’an Kyongsin (1920 — NDLR) avait réduit le village en cendres: l’ennemi avait incendié les maisons, fait sauter le fort et massacré les habitants. Quelques rares rescapés, qui s’étaient cachés au fond de la forêt, s’étaient dispersés de tous côtés il y avait de cela quelques années, laissant ainsi désert cet antique village.
Fort de ce renseignement donné par Ho Rak Yo, maire de village, j’avais déplié ma carte et y avais trouvé en effet le nom de Gaolibuzi.
Mais dans un rayon de 40 kilomètres aux alentours du mont Paektu, plusieurs endroits portaient ce nom. Il y en avait à Linjiang et à Changbai. Dans le district d’Antu, on trouvait une localité appelée Gaoliweizi. Ce nom signifiait endroit pourvu d’un fort des Koryotes. A l’est et au sud du mont Paektu, nombreux étaient les endroits nommés Yowabo, Pochonbo, Rananbo, Sinmusong, Changphyong, Changdong,
Au récit du vieux Ho, j’avais gravé dans ma mémoire la situation de l’endroit qui abritait les ruines d’un fort, œuvre de nos ancêtres patriotes, et les traces de leur vie pleine d’épreuves.
En recherchant les ruines du village de Gaolibuzi, nous tombâmes sur deux cabanes désertes, apparemment celles de cultivateurs d’insam. Dans la région de Fusong, nombreux étaient ceux qui cultivaient l’insam dans la forêt. Certains d’entre eux regagnaient, à l’approche de l’hiver, leurs villages situés dans les environs d’une ville pour revenir travailler dans la forêt l’été suivant.
Les deux logis que nous avions découverts se trouvaient entre deux collines du même nom de Guosong, nom qui signifie montagne riche en pins pignons. Pour désigner cette espèce de pin à feuilles quinées, les gens de Fusong l’appelaient Guosong en caractères chinois. Les deux collines se dressaient face à face telles des jumelles, l’une à l’est, l’autre à l’ouest, et abondaient en effet en pins pignons, ce qui adoucissait l’austérité du paysage de cette région de haute altitude.
Après avoir réparé les deux logis, nous nous y installâmes pour commencer nos études militaires et politiques. Un terrain d’exercice fut aménagé dans une clairière de la forêt sur la colline Guosong est.
La troupe s’étant installée ainsi dans un camp secret avec des provisions suffisantes pour plus d’un mois, bien des combattants s’en réjouissaient, croyant à un «repos à long terme», et ce n’était pas sans raison: tous aspiraient au repos, étant exténués et épuisés à l’extrême après des marches longues et dures et des combats acharnés.
Pourtant, nous n’eûmes pas le loisir de nous reposer.
Avant que nos hommes n’eussent le temps de se détendre, nous convoquâmes au camp secret de Donggang une réunion des commandants du niveau d’instructeur politique de compagnie et au-dessus et dressâmes le bilan de l’expédition de Fusong. On exalta en particulier les exemples de la bonne coordination entre supérieurs et subalternes et mit l’accent sur la nécessité de les encourager et de les développer davantage.
Cette réunion fut suivie d’une autre, la Conférence, de Xigang, qui marqua un tournant historique dans les annales de la Lutte révolutionnaire antijaponaise. Elle s’ouvrit au camp secret de Yangmudingzi ouest et dura trois jours. Y participèrent les commandants des 2e et 4e divisions ainsi que Wei Zhengmin, Jon Kwang et autres cadres du haut commandement de l’armée. On y discuta de la marche vers la Corée, au sujet de laquelle je prononçai un discours. Le projet que j’avais présenté fut adopté à l’unanimité.
La réunion fixa à chaque unité ses tâches, sa ligne et sa zone d’action.
A la suite de cette conférence, des cours de formation militaire et politique furent organisés pour préparer les combattants politiquement, militairement à entreprendre la marche vers la Corée.
Le programme d’études politiques comprenait notamment la ligne de la Révolution coréenne, sa stratégie et sa tactique, la situation nationale et internationale. Le cours sur le «Programme en dix points de l’Association pour la restauration de la patrie» aida chacun à se faire une juste idée de la ligne originale de la Révolution coréenne et permit aux jeunes recrues d’approfondir les connaissances qu’ils avaient acquises au camp secret du mont Paektu.
Comme toujours, nous nous opposions à la méthode scolastique et encouragions les discussions et les «questions-réponses» associées à la pratique.
Je pris en charge les cours pour le personnel du Q.G., les cadres militaires et politiques et la compagnie des gardes du corps. Je fis des cours sur divers sujets, notamment sur la ligne de la révolution, sur les principes de l’évolution de la société, les révolutionnaires et les héros de renommée mondiale et aussi sur les chefs du fascisme. Ce qui nous intéressait le plus alors dans la situation internationale, c’étaient la guerre entre l’Ethiopie et l’Italie, les victoires des forces armées du Front populaire d’Espagne et la fascisation de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon.
A l’époque, une revue ennemie avait inséré dans ses pages une photo d’Hitler qui inspectait une troupe régionale. Et je montrai cette photo à mes hommes, pour leur faire prendre conscience du danger que représentait Hitler.
Fang Zhimin, un des illustres militants du mouvement paysan chinois, devint aussi le sujet de nos conversations. Le récit de sa vie héroïque fit une profonde impression sur les auditeurs.
C’est Ma Tong Hui que je me rappelle aujourd’hui encore parmi les combattants cités en exemple à l’issue des cours de formation militaire et politique à Donggang. Il avait montré beaucoup de zèle dans les études et fait des interventions impressionnantes lors des discussions. Le cours lui avait permis d’acquérir la compétence de cadre politique.
Ainsi, Gaolibuzi, emplacement d’un fort de nos ancêtres, vit des cultivateurs sur brûlis et des journaliers d’
Plus tard, le bruit courut que nous avions formé un grand nombre de combattants dans les profondeurs du mont Paektu. Bruit qui finit par donner naissance, dans certaines contrées, à la légende que nous avions formé, dans une grotte profonde du mont Paektu, des dizaines de milliers de guerriers ailés. C’est Gaolibuzi, lieu de formation militaire et politique, à Donggang, qui a donné lieu à cette légende.
Au début de mai 1937, alors que les cours de formation militaire et politique touchaient à leur fin, nous fondâmes le Sogwang, organe de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne. Ce titre exprimait de façon vivante le vœu ardent de notre nation de vivre dans une patrie nouvelle et libérée, ainsi que la ferme volonté des communistes coréens de le réaliser au plus vite.
Après la parution du numéro inaugural de ce journal, nous quittâmes le camp secret de Donggang pour marcher vers la patrie.
3. Mes gardes du corps
J’ai passé, il faut le dire, une partie importante de ma vie sur les champs de bataille. D’abord, quinze ans de guerre contre les Japonais, puis trois ans de guerre contre les Américains, cela fait une vingtaine d’années que j’ai vécues dans les fumées des combats, sous des pluies de balles.
Or, pas une seule fois, je n’ai été touché, comme par miracle. Serait-ce dû à la bienveillance du ciel? Qui sait. A l’époque de la guerre contre les Japonais, il était dans les usages des unités de partisans de prêcher d’exemple. Les commandants prenaient la tête des missions pénibles, et ils en tiraient leur joie. La morale en vigueur parmi les commandants et les cadres politiques de l’armée révolutionnaire populaire exigeait que chacun fonçât aux premiers rangs lors des assauts et se repliât le dernier en protégeant ses compagnons d’armes lors des retraites. Moi aussi, j’ai fait l’impossible pour me conformer à ces usages et aux consignes de cette morale. Tantôt je me jetais à corps perdu dans une mêlée sous un feu violent pour me porter au secours de mes hommes, tantôt, malgré l’opposition de mes camarades, je m’exposais à un danger mortel. Plus d’une fois, j’ai saisi une mitrailleuse et je me suis battu en première ligne. Mais chaque fois je m’en suis tiré sain et sauf.
Quand la démocratie militaire poussée à l’extrême fut enfin remise en cause, le commandement de l’armée de guérilla décida de défendre aux commandants du niveau de chef de compagnie et au-dessus de prendre la tête des assauts. Depuis, nos commandants s’abstinrent quelque peu de s’exposer au danger. Mais cette mesure n’a pu modifier quoi que ce soit quant à la nature des communistes qui n’hésitent pas à risquer leur vie pour conjurer les dangers qui vont s’abattre sur leurs camarades.
Pendant la guerre de Corée, les Américains ont dépensé beaucoup de poudre pour nous faire du mal. Pak Hon Yong, Ri Sung Yop et consorts, infiltrés dans la direction de notre Parti, avaient informé ceux-ci par radio de la date, de l’heure et de la destination de chacun de nos voyages, et les Américains envoyaient des avions bombarder férocement l’itinéraire que nous devions emprunter. Plus d’une fois, des bombes éclatèrent tout près du siège du Commandement suprême. Mais j’ai toujours été épargné.
A l’époque de nos activités clandestines, quand nous parcourions, en tenue civile, Jilin, Changchun,
Où que j’aille, j’ai eu un protecteur, omniprésent, prêt à intervenir pour m’aider ou prendre soin de moi comme de son propre fils ou frère; partout, j’ai trouvé un bienfaiteur prêt à me secourir comme la «jeune femme de Jiaohe»7. Ce fut le peuple.
Le peuple et les communistes chinois aussi ont eu soin de me protéger comme ce fut le cas de Shang Yue, de Zhang Weihua et de Chen Hanzhang. Chaque fois que des agents de la sûreté publique venaient fouiller l’école, le professeur Shang Yue m’avait déjà aidé à m’éloigner à temps en escaladant la clôture. Chen Hanzhang m’avait donné nourriture et coucher et m’avait caché quand j’étais poursuivi par la caste militaire chinoise. Quant à Zhang Weihua que j’ai cité comme modèle d’internationalisme, il s’est donné la mort en avalant du révélateur pour ne pas mettre en cause ma sécurité. Zhou Baozhong, à chaque rencontre avec les commandants de mes troupes, avait recommandé à ceux-ci de veiller attentivement à ma sécurité.
La mort de Wang Detai, chef de la 2e armée, et celle de Cao Guoan, chef de la 2e division de la première armée, avaient mis à l’ordre du jour la question de la sécurité des commandants également dans les troupes qui luttaient contre les Japonais en Mandchourie de l’Est. A notre vif regret, Wang Detai tomba alors qu’il fonçait sur l’ennemi, son mauser au poing, à la tête de ses troupes.
Chinois, il avait grandi dans un village de Coréens, dans le district de Yanji, et était allé un temps travailler en Corée. C’est aussi dans un village de Coréens qu’il s’était enrôlé dans l’armée de guérilla. Peut-être était-ce pour cette raison que les autorités japonaises l’avaient cité comme Coréen dans un de leurs documents. Au début, il avait servi dans une même escouade que C
La mort des deux commandants et autres cadres militaires et politiques fut un choc pour tous les hommes, commandants et combattants, de l’Armée antijaponaise unifiée; elle suscita une vive discussion au sujet de la sécurité des cadres, et des unités spéciales chargées de la protection des cadres virent le jour l’une après l’autre.
Mes compagnons d’armes ne tardèrent pas à parler eux aussi de la protection du Q.G. Au début, ils en avaient discuté entre eux, mais bientôt, l’atmosphère générale s’y prêtant, ils vinrent me proposer formellement d’organiser une unité de gardes du corps.
Mais je refusai. A quoi bon créer une telle unité, puisque, d’ores et déjà, les commandants et les soldats de nos troupes veillaient suffisamment à la sécurité du Q.G.?
Néanmoins, dès le printemps 1937, je ne pus plus ignorer leur opinion. Comme nous avions aménagé des camps secrets autour du mont Paektu, à partir desquels nous lancions des opérations, l’ennemi s’évertuait à faire pénétrer chez nous et dans notre voisinage nombre d’espions et d’éléments subversifs, armés de haches, de poignards ou munis d’illustrations pornographiques ou de poison.
Il expédiait même des assassins dans nos camps secrets ou sur notre chemin. Certains espions, infiltrés dans une organisation clandestine sous nos auspices, tâchaient d’abord de gagner la confiance des gens en simulant le zèle, puis de se faire admettre dans l’armée de guérilla sur la recommandation de l’organisation, afin de guetter le moment propice pour porter atteinte au Q.G.
Les services spéciaux japonais cherchaient à liquider les commandants renommés de la guérilla, en mettant leur tête à prix. Celles, par exemple, de Wei Zhengmin, de Jon Kwang et de Chen Hanzhang étaient mises à quelques milliers de yuan, celles de C
Puisque l’ennemi faisait ainsi des pieds et des mains pour liquider le Q.G. de notre armée, nous devions prendre sans tarder des contre-mesures énergiques.
Nos commandants remirent donc sur le tapis la question de la sécurité du Q.G., et Wei Zhengmin lui-même en vint à soutenir leur opinion:
«Commandant Kim, vous avez tort de ne pas faire plus attention. N’oubliez pas que l’ennemi vise avant tout votre personne. Ce n’est pas par hasard que l’ennemi a mis un tel prix sur votre tête. Il faut vous hâter d’organiser une unité de gardes du corps. »
Il me fut impossible de ne pas me conformer à ses suggestions. Si je m’obstinais davantage, si je m’opposais à ce que tout le monde approuvait, j’aurais l’air têtu, buté dans mes seules idées.
Si je ne me trompe, c’est au printemps 1937 qu’une unité de gardes du corps vit le jour, directement attachée à notre Q.G. C’est Kim Phyong, chef du service de l’organisation du Q.G., qui s’en occupa. Quand je lui eus dit d’organiser une unité de gardes du corps de l’envergure d’une compagnie, il sauta de joie. En une nuit, il choisit les membres et fixa l’armement de l’unité à créer.
Or, je n’eus pas plus tôt examiné la liste proposée que je la rejetai: les meilleurs combattants, la crème des compagnies, y figuraient, à savoir Kim T
L’armement prévu pour cette unité était également démesuré. Le chef du service de l’organisation avait envisagé de donner plusieurs mitrailleuses à la nouvelle unité. Si on lui donnait ainsi la plupart des mitrailleuses que le gros de nos troupes possédait, on ne pourrait en distribuer une à chacun de nos régiments de combat.
Je ne pus approuver:
«Pas plus que le choix des hommes, l’armement prévu pour cette unité n’est raisonnable. A quoi bon organiser une compagnie de gardes du corps si cela risquait d’affaiblir nos compagnies? La compagnie est l’unité de combat principale pour nous, et, si elle est affaiblie, le régiment le sera aussi. Dans ce cas, le Quartier général sera comme une chandelle exposée au vent.
—Camarade Commandant, ce n’est pas mon idée à moi seul, mais bien celle de tous les cadres militaires et politiques de nos troupes. C’est le vœu de tout le monde, alors vous n’allez pas refuser, n’est-ce pas?»
En mettant l’accent sur «de tout le monde», Kim Phyong voulait, cela était évident, m’avoir à l’autorité.
Toutefois, je rejetai son projet et lui présentai le mien. Autrement, il m’eût été impossible d’avoir raison de l’obstination des commandants. Selon mon projet, la compagnie des gardes du corps devait être constituée essentiellement de novices, de jeunes recrues, y compris d’anciens membres du Corps des enfants du mont Maan8 qui n’avaient pas encore eu le temps de tirer cinq coups de feu.
Or, ce projet se heurta à des objections véhémentes de la part des commandants. Ceux-ci déléguèrent Ri Tong Baek à parlementer avec moi, sûrs qu’ils étaient que je ne pourrais repousser le conseil du «Vieux à la pipe». Ils avaient pris l’habitude de faire de celui-ci leur porte-parole quand ils voulaient me faire accepter quelque chose dont ils savaient qu’il leur serait difficile de me persuader. Et chaque fois, le «Vieux à la pipe» avait joué à merveille son rôle de médiateur. Comme de coutume, sitôt entré dans le Q.G., il aborda directement la question:
«Général, vous péchez par excès de modestie. Comment peut-on confier à ces gosses la tâche de garder le Quartier général? Ce sera déjà bien s’ils ne sont pas à la charge de celui-ci. Il faudra qu’on leur serve de nourrice. Vous feriez mieux de renoncer à votre projet une fois pour toutes.
— Rien à craindre, répliquai-je, même si on organise la garde avec de jeunes recrues. Elles se feront en peu de temps à la guérilla. Elles ont fait preuve d’un courage admirable lors de la dernière “grande expédition punitive d’hiver” de l’ennemi. Et comme elles s’adaptent vite à la vie de guérilla! Une fois terminée notre expédition de Fusong, elles seront devenues d’excellents combattants, qui ne le céderont en rien aux vétérans. Si je compte organiser une compagnie de gardes du corps avec de jeunes recrues, c’est que j’ai l’intention de les former pour en faire de braves combattants, en veillant de plus près sur elles. Si elles deviennent toutes des combattants dignes de ce nom, le Quartier général y gagnera une unité de réserve sûre. L’entreprise en vaut bien la peine. Tout homme, si peu habitué qu’il soit à la vie de guérilla, deviendra un brave combattant si nous lui donnons une bonne formation. Si nous n’assurons pas la formation des hommes, on ne saurait espérer la victoire de la révolution...»
Devant ma longue explication, le «Vieux à la pipe» resta sans réplique. Il me quitta sans rien dire, mais se mit en campagne pour persuader les commandants. Le voyant passé de mon côté, ceux-ci, de guerre lasse, renoncèrent à s’obstiner davantage dans leur opinion.
C’est donc à l’issue de ces péripéties qu’une compagnie de gardes du corps, la première de l’histoire de nos forces armées révolutionnaires, vit le jour au camp secret appelé à l’époque camp secret de Huapichangzi.
Elle était constituée de trois sections et d’une escouade de mitrailleurs. Les ordonnances et les cuisiniers du Q.G. aussi y étaient rattachés pour leurs activités militantes. Son premier chef fut Ri Tong Hak. Promu de nouveau chef de compagnie, alors qu’il était simple homme de troupe, ayant été destitué de ses fonctions de chef de compagnie pour une faute, le «Pressé» se montra fort ravi. Pour ce qui est de sa faute, quelques jeunes recrues de sa compagnie avaient contrevenu aux règles de conduite à observer vis-à-vis des masses. Et le chef avait été destitué, considéré comme responsable de la mauvaise éducation de ses hommes.
Le jour de la constitution de la compagnie des gardes du corps, Ri Tong Hak harangua ses hommes avec son élocution rapide qui évoquait le tir d’une mitrailleuse:
«Quelle mission doit assumer notre compagnie? C’est celle de veiller à la sécurité du Quartier général. Depuis l’époque des zones de guérilla, nos aînés révolutionnaires ont tout fait pour bien protéger notre Général. Et aujourd’hui, voilà qu’ils nous passent le relais. Mais où en sommes-nous, nous autres? Nous sommes tous de jeunes recrues, des novices. Je crains que ce ne soit le Quartier général qui prenne soin de nous, plutôt que ce soit nous qui le protégions. C’est nous qui devons veiller à la sécurité du Quartier général, et non le contraire. Voilà ce que je voulais vous dire. »
Cette harangue fit une profonde impression sur ses hommes. Cependant, certains d’entre eux murmurèrent, piqués dans leur amour-propre du mépris que leur chef avait témoigné, pensaient-ils, à leur égard.
On ne pouvait pour autant reprocher à celui-ci d’avoir fait un discours outrageant. Le souci du «Pressé» n’était pas dépourvu de fondement. Si l’on considérait l’état de la compagnie des gardes du corps dans ses premiers jours, il serait plutôt juste de dire que nous l’avions protégée pendant un temps. Elle dut remplir, outre sa tâche de garde du Q.G., celle d’une unité de combat. Aussi voyait-on ses hommes s’aguerrir et mûrir à vue d’œil.
Désireux de nous épargner les soucis, les jeunes tâchèrent en toute occasion de se conduire comme de grandes personnes. Ils détestaient se voir traités comme des morveux.
Une fois, dans une occasion officielle, Ri Tong Hak avait qualifié de poussins les anciens membres du Corps des enfants du mont Maan, ce qui les avait piqués au vif. Kim Jong Dok, surtout, l’air renfrogné, bouda son repas. C’était justement lui qui arborait l’air le plus sérieux et le plus mûr parmi les dizaines de garçons que nous avions amenés du mont Maan.
Je lui demandai:
«Pourquoi ne veux-tu pas manger?Peut-être te seras-tu disputé avec quelqu’un?
— Non. Le camarade chef de compagnie nous a qualifiés de poussins. Et je...»
Il rougit et se tut sans achever sa phrase.
A cette réponse, j’éclatai de rire:
«C’est cela qui t’a tant piqué? Mais c’est parce qu’il s’est pris d’affection pour vous, n’est-ce pas?
—Non, ce n’est pas seulement qu’il a de l’affection pour nous. En effet, il faut convenir que nous sommes des poussins. Et, comme tels, comment pourrons-nous veiller à la sécurité du Quartier général? Voilà la question qui est très grave. »
Ainsi, ce qui le fâchait, c’était la crainte de ne pouvoir s’acquitter comme il faudrait de la mission importante qu’il assumait, comme l’avait fait remarquer Ri Tong Hak.
En regardant le jeune homme, je me dis: «Le voilà d’ores et déjà un homme mûr. » D’ailleurs, il avait 17 ans, il ne fallait plus le considérer comme un enfant.
Soit dit en passant, d’ordinaire, à l’heure du coucher, les jeunes recrues de la compagnie des gardes du corps venaient se bousculer autour de moi en se disputant, comme des poussins, les meilleures places, à savoir les plus proches de moi. Comme je n’avais alors qu’une couverture, j’avais du mal à m’arranger pour passer la nuit quand ils venaient se coucher à mes côtés, et pourtant jamais je n’en ai éprouvé d’ennui, mais bien une joie indicible.
Quand j’allais me coucher, je les appelais en ouvrant mes bras: «Mes enfants, venez vite!» Alors, en poussant des cris de joie, ils accouraient et se bousculaient à qui se coucherait le plus près de moi.
D’habitude, les places à mes côtés étaient réservées aux plus jeunes, dont Ri O Song, âgés d’un peu plus de dix ans. Et je leur faisais changer de place chaque soir pour accorder à tout le monde le privilège de se coucher auprès de moi. S’il m’arrivait d’accorder par mégarde ce «privilège» plusieurs fois de suite à l’un d’entre eux, il s’élevait des protestations véhémentes.
En les voyant se disputer ainsi la place, Kim Phyong, fort mécontent, observa, un soir qu’il vint me voir:
«Camarade Commandant, regardez-les. Ce ne sont que des enfants. Comment pourront-ils s’acquitter de la mission de gardes du corps? A les voir se conduire ainsi comme des enfants gâtés, je pense qu’ils ne serviront à rien, et surtout pas de gardes du corps. Il faudra les réprimander sévèrement et corriger leurs manières.»
Et il les fixa d’un regard mécontent. Dès le début, il s’était opposé à l’admission, dans la compagnie de gardes du corps, des anciens membres du Corps des enfants; il leur adressa une critique virulente.
Tout en trouvant qu’il avait raison, je ne pris pas moins le parti des petits: «A quoi bon les gronder, parce qu’ils se disputent le soir la place où se coucher? Ils ont perdu de bonne heure leurs parents et frères et sont sevrés d’affection.»
A l’époque, nous appelions «coucher en turban» cette façon de se coucher: une dizaine de personnes s’allongeaient l’une à côté de l’autre, en cercle, soit en forme de turban, les pieds sous une même couverture. Dans la guérilla, on manquait toujours de couvertures, et l’on devait souvent coucher à la belle étoile; et cette méthode «en turban» inventée par ces gosses permettait souvent de pallier la difficulté.
Une fois, au lendemain de la Libération, Ri O Song, en mission dans la région de
Ce jour-là, à l’heure du coucher, les anciens combattants dépliaient des couvertures, lorsque celui-ci dit: «Quand on dort à côté du Général, il faut “se coucher en turban”», et il rejeta les couvertures. Or, les camarades qui avaient combattu en Mandchourie du Nord n’avaient aucune idée de quoi il s’agissait.
Ri O Song me tira par le bras: «Général, ne voudriez-vous pas que l’on se “couche en turban” ce soir comme au temps du mont Paektu?»
Pourtant, je ne pus acquiescer tout de suite, car il faudrait alors faire se mettre tous les camarades en forme de «turban», sous une seule couverture, et je n’étais pas sûr qu’ils condescendissent à cette fantaisie.
Me voyant hésiter, le jeune homme me fit me coucher tout de go: «Allons, couchez-vous ici, s’il vous plaît. Et courbez un peu les jambes, je vous en prie. Et vous, camarade Kim C
Par suite de cette consigne, Kim C
Je tenais beaucoup aux gosses de la compagnie des gardes du corps, mais je m’étais soigneusement gardé de les gâter.
Quand ils avaient commis des fautes, je les critiquais sévèrement au point qu’ils en versent des larmes; je leur assignais souvent des tâches difficiles afin de les endurcir. Je les postais en sentinelle par les jours de tempête de neige, alors qu’il faisait un froid de 40 degrés au-dessous de zéro. Parfois, je les engageais dans des combats sanglants à l’égal des adultes. Quand ils avaient enfreint la discipline, je leur faisais faire le tour des compagnies pour faire leur autocritique en public ou rester debout deux ou trois heures dans un cercle d’à peine un mètre carré tracé sur le sol pour réfléchir sur leur faute. Et cette mise en pénitence me déchirait le cœur.
Or, si sévères que fussent mes critiques, si dures que fussent les épreuves auxquelles je les exposais, ils ne m’en voulurent pas. Une fois, Ri O Song n’avait pas accompli à l’heure indiquée sa mission de liaison, pour s’être égaré à mi-chemin. C’est qu’il avait pris la liberté de ne pas suivre l’itinéraire que je lui avais tracé. Au courant du fait, je m’abstins de le reprendre. Mais cette indulgence, loin de le réjouir, l’avait affligé.
«Ne suis-je même pas digne d’être critiqué par le Commandant? Me prend-il pour un morveux?»
Torturé par cette idée, il finit par venir me demander: «Pourquoi ne voulez-vous pas me punir, moi, alors que vous punissez les autres?Puisque j’ai contrevenu à la discipline, je mérite un châtiment. »
Là où règnent l’amitié et la confiance, la punition est aussi une expression de celles-ci. Si mes gardes du corps acceptaient de bonne grâce mes critiques et les punitions que je leur infligeais, ce n’était point là une simulation, mais une réaction spontanée de leur cœur à l’amitié et à la confiance que je leur témoignais.
Soucieux de la formation de nos gardes du corps, nous prêtâmes une attention particulière à leurs études. Les jours ordinaires comme les jours d’études politiques et militaires au camp secret, je me faisais volontiers leur conférencier. A l’époque, le Q.G. disposait de beaucoup de publications pouvant servir de matériaux de référence, à savoir le Tonga Ilbo, le Manson Ilbo, le Joson Ilbo et autres journaux du pays et de l’étranger, ainsi que de livres comme Les Principes du léninisme, L’Essence du socialisme, L’Etat et la révolution: et nous accordâmes aux gardes du corps le privilège de les lire librement. En revanche, je leur demandai sans faute leurs impressions après lecture. Grâce à toutes ces attentions, la compagnie de gardes du corps finit par devenir un modèle à suivre dans les études pour toutes les unités de l’armée révolutionnaire populaire. On dit que l’amitié est payée de retour. Les gardes du corps me rendaient l’amitié que je leur portais.
Ils mûrissaient rapidement tant sur le plan idéologique que sur le plan militaire. Ils réussissaient admirablement dans leur mission de veiller à la sécurité du Q.G. Pour dire la vérité, ils m’aidèrent plus d’une fois à sortir des pires dangers.
Une fois, dans un camp secret du district d’Antu, nous fûmes encerclés par la «troupe spéciale» de Rim Su San. Celui-ci, ancien chef d’état-major du corps principal de notre armée, avait tourné casaque et avait pris la tête d’une expédition «punitive» contre l’armée de guérilla. Depuis, sillonnant en tous sens la région de Xijiandao, il faisait du zèle, attaquant et détruisant les camps secrets de l’intendance de notre armée.
Ce matin-là, nous avions fait préparer de très bonne heure le petit déjeuner pour quitter aussitôt le camp. Il nous fallait terminer rapidement le repas et nous dépêcher de partir. Or, on ne trouvait personne pour relever et faire manger la sentinelle. Je montai donc la garde à la place de Ri Ul Sol qui était de faction pour lui permettre de prendre son repas. Pendant que celui-ci était à table, je surveillais d’un œil vigilant les alentours. Il faisait un brouillard épais, et j’avais, malgré moi, un vague pressentiment de danger.
En effet, un bruit insolite se fit entendre non loin du poste de garde, celui d’une branche qui se cassait. Une idée fulgura dans ma tête: «L’ennemi!». Vite, me jetant sous un tronc d’arbre tombé, je tirai avec mon mauser. Au même instant, une mitrailleuse ennemie se mit à cracher à environ dix mètres devant moi.
C’était en un clin d’œil que j’avais perçu le bruit de pas et que je m’étais jeté sous le tronc d’arbre en tirant avec mon mauser. Mais voilà qu’avaient déjà accouru à moi, inquiets pour ma sécurité, Kang Wi Ryong et Ri Ul Sol qui étaient à table. Le premier me retira de force de sous le tronc d’arbre, tandis que le second déchargeait sa mitrailleuse légère sur l’ennemi. J’avoue qu’à ce moment je m’étais demandé si notre sort n’allait pas être réglé là. Aussi, tandis que Kang Wi Ryong, surnommé l’«Ours», s’évertuait à me tirer de sous le tronc, avais — je pris cette résolution stoïque: s’ils tombent, je ne survivrai pas, moi non plus.
Pourtant, ces gardes du corps se battirent furieusement et réussirent à me tirer, au péril de leur vie, de sous la pluie de balles. Comme l’ennemi approchait toujours en resserrant son étau, Ri Ul Sol bondit sur ses pieds, une grenade à la main, et cria: «Misérables, venez donc vous battre avec moi si vous voulez. C’est à qui vaincra!»
Il avait un air si menaçant, si résolu, que l’ennemi, épouvanté, esquissa un mouvement de recul. Profitant de cet instant, Kang me fit sortir de l’angle de tir de l’ennemi.
Après notre repli, Rim Su San avait fouillé le camp secret de fond en comble et emporté tout ce qui pouvait servir. Nous ne retrouvâmes pas, à notre grand regret, le sac qui contenait nos documents, nos photos, des brochures, des médicaments, etc.
Quand, après le départ de la «troupe spéciale», j’eus regagné le camp secret, je vis, à l’endroit où j’avais été en faction, une touffe de mélilot assez fournie pour qu’on pût à peine l’entourer des deux bras, coupée net par le milieu comme par un grand coup de sabre. Cela avait été l’œuvre du feu de la mitrailleuse ennemie. Voyant cela, je dis à mes hommes: «Sans vous, j’y aurais laissé ma peau. »
Nos gardes du corps mirent un tel dévouement à veiller à la sécurité de leur Commandant que même les chef chinois des troupes voisines se mirent à en parler. Ceux-ci nous enviaient d’avoir des ordonnances et des gardes du corps si excellents et, à chaque rencontre, me demandaient, d’un ton mi-plaisant, mi-sérieux, d’avoir la gentillesse de leur céder une de mes ordonnances ou quelques-uns de mes gardes du corps parlant assez couramment le chinois. Tous, dont Yang Jingyu, Wei Zhengmin, Zhou Baozhong, Cao Yafan et autres, convoitaient mes gardes du corps et mes ordonnances et me les demandèrent sans nullement se soucier de ménager les apparences.
Peu après notre expédition de Fusong, Cao Yafan me demanda de lui donner des Coréens comme ordonnances. Et je lui envoyai Kim T
Comme je le lui avais recommandé, Kim T
Celui-ci m’avait adressé plus d’une fois ses remerciements de lui avoir envoyé une brave ordonnance, dont il louait la présence d’esprit et la loyauté.
Yang Jingyu aussi nous avait demandé plus d’une fois de lui envoyer quelques-uns de nos combattants. Quand il était venu à Nanpaizi participer à la conférence des cadres militaires et politiques des première et 2e armées, je lui adjoignis plusieurs de mes ordonnances, puis je détachai des centaines de combattants et de commandants de mes troupes, pour organiser une brigade indépendante sous ses ordres.
De même que Yang Jingyu et Cao Yafan, Wei Zhengmin souhaitait, lui aussi, avoir des hommes que nous avions formés; il m’avait demandé avec insistance de lui envoyer des gardes du corps coréens, et je lui expédiai Hwang Jong
Et quand j’apprenais que les hommes que j’avais envoyés dans les différentes unités de l’Armée antijaponaise unifiée combattaient avec abnégation pour accomplir leur devoir d’internationalistes, je me réjouissais beaucoup.
Je dois ma vie à chacun des hommes de la compagnie des gardes du corps. C’étaient tous des combattants excellents prêts à tout sacrifier pour assurer la sécurité de leur Commandant. Outre les camarades sus-mentionnés, nombreux sont encore ceux qui ont tout fait pour me protéger: Kim Un Sin, C
Ri Tong Hak, premier chef de la compagnie des gardes du corps, nommé plus tard chef de régiment, était tombé au champ d’honneur vers la fin de 1938.
Son successeur, Ri Tal Gyong, avait servi, au début, comme mitrailleur dans la 4e division; c’était un tireur d’élite que tout le monde connaissait de réputation pour son étonnante habileté au tir. Il avait été un temps instructeur politique de la compagnie des gardes du corps; il fut tué dans un combat à peine un mois après sa nomination au poste de chef de compagnie à la place de Ri Tong Hak.
Pak Su Man, qui le remplaça à ce poste, était lui aussi un homme de cœur. Pour détourner le feu de l’ennemi qui convergeait sur moi, lors de la bataille de Shuangshanzi, il se battit en changeant sans cesse de position, suivi d’un mitrailleur; frappé de balles, il mourut des suites de ses blessures.
Les chefs successifs de la compagnie des gardes du corps, depuis Ri Tong Hak jusqu’à O Paek Ryong, le quatrième, ont tous été pour moi des compagnons d’armes très dévoués; ils endurèrent volontiers les plus rudes épreuves pour me servir; et pour exécuter mes ordres, ils n’hésitèrent pas à affronter les pires dangers.
Parmi ceux qui ont sacrifié leur vie pour assurer ma sécurité figure aussi Ri Kwon
Voici ce qui m’était arrivé une année, en hiver, alors que nous marchions à vive allure, poursuivis par l’ennemi. Il faisait un froid de c
Les Chinois considèrent l’insam, l’andouiller et la peau de porc comme les «trois trésors de Guandong (Chine du Nord-Est)», et parfois, l’ulocho comme l’un de ces trois trésors, car cette herbe leur évite d’avoir les pieds gelés. Mais comment se faisait-il que cette herbe ait été là pour couvrir les semelles de mes souliers, alors qu’elle ne poussait que dans les marais? De toute évidence, chaque fois qu’il en avait aperçu, Ri Kwon
Si, lors de la bataille de Shiwudaogou dans le district de Changbai, il ne m’avait pas couvert de son corps, je ne serais pas resté en vie. Ce jour-là, l’ennemi fonçait, dirigeant un feu infernal sur le poste de commandement. Ri Kwon
Mais, tout à coup, le feu de l’ennemi fut dirigé de mon côté. Et Ri Kwon
En suivant le brancard sur lequel il était couché, je lui disais pour le réconforter: «Toi, tu ne mourras pas! Toi, tu vivras!»
Or, c’est lui qui chercha à me consoler: «Camarade Commandant, ne vous en faites pas. Moi, je ne mourrai pas. Je vous prie de rester en bonne santé jusqu’à nos retrouvailles.» Il devait avoir remarqué mon affliction. Ce furent ses dernières paroles. Transféré à un hôpital de l’intendance, il m’écrivit, mais je ne reçus pas sa lettre. Ce que j’appris à son sujet plus tard, c’est qu’il avait été arrêté par l’ennemi pendant qu’il se faisait soigner à l’hôpital, qu’il avait subi quotidiennement des tortures atroces au commissariat de police du district de Changbai, mais qu’il n’avait pas révélé la position du Q.G., restant ferme jusqu’à ses derniers instants.
Parmi mes gardes du corps figurait aussi un surnommé «Rucksack» (sac d’alpiniste—NDLR). Ce surnom singulier lui venait de son gros havresac toujours plein à craquer. Or, personne ne connaissait le secret de ce sac énorme qu’il avait la manie de toujours porter sur le dos.
C’est finalement lors d’une bataille à Linjiang que se révéla son secret. La bataille était très acharnée; des deux côtés, on se battait furieusement, attaques et contre-attaques se succédaient. Et dès le début, le «Rucksack» restait collé à mes côtés. Chaque fois que des balles venaient frapper le parapet de la tranchée, je le tirais vers moi de crainte qu’il ne se fasse blesser en laissant dépasser sa tête. Alors, vite, il se dégageait; et, si l’ennemi se ruait sur notre droite, il venait s’appliquer contre mon flanc droit, et, si l’ennemi fonçait sur notre gauche, il se lançait contre mon flanc gauche.
Après la bataille, je parcourus du regard la tranchée, car je sentais une odeur d’étoffe brûlée, et j’aperçus son havresac, percé de deux trous de balle, fumer. Cependant, son propriétaire, loin de s’en douter, bousculait ses camarades en criant que leurs vêtements brûlaient. Ceux-ci fouillèrent son havresac, et deux balles, encore chaudes, tombèrent des pelotes de soie rangées dans le havresac. C’est alors seulement que je compris pourquoi il n’avait cessé de tourner autour de moi, avec toujours son havresac sur le dos. En fait, c’étaient ses pelotes de soie qui m’avaient protégé des balles.
Je lui demandai comment il avait eu une telle idée, et il me répondit qu’un jour il avait entendu Kim Jong Suk dire, en doublant d’ouate de soie mon habit d’hiver, qu’un vêtement ouaté de soie ne laissait pas passer les balles. Depuis, il avait eu l’idée de préparer un havresac tenant lieu de pare-balles à mon intention.
Il serait difficile de relater en détail tous les exploits accomplis par mes gardes du corps au cours de la guerre contre les Japonais. Pourtant, rien que par ce qu’ils ont fait pour sauvegarder la direction de la Révolution coréenne, ils méritent, dirais-je, l’admiration et le respect de la postérité. Les sublimes sentiments de camaraderie dont ils ont fait preuve en défendant le Q.G. de notre révolution sont à l’origine de la fidélité qui anime aujourd’hui toute notre société.
Lors de la Guerre de libération de la patrie, j’ai fait organiser, mettant à profit l’expérience acquise à l’époque de la révolution antijaponaise, une compagnie de gardes du corps avec des jeunes de moins de vingt ans, tous fils et filles de martyrs révolutionnaires, pour veiller à la sécurité du Commandement suprême.
Ces jeunes ont passé par de multiples épreuves et périls afin d’assurer ma sécurité. Un hiver, j’étais allé à Songchon, à une unité des Volontaires du peuple chinois, pour discuter d’une opération conjointe, et, sur le chemin du retour, je fus surpris par une escadrille de bombardement ennemie. Mes gardes du corps me couchèrent alors de force entre des sillons dans un champ et se jetèrent sur moi les uns au-dessus des autres pour me couvrir de leurs corps en formant sur moi plusieurs couches de «pare-balles». La même chose m’est arrivée plusieurs fois par la suite.
En automne 1950, lors de notre Repli stratégique temporaire qui fut pour nous une époque d’épreuves, ce furent aussi ces jeunes courageux et intrépides qui restèrent à mes côtés à Pyongyang jusqu’au dernier moment en veillant à la sécurité du Commandement suprême.
Notre armée qui avait progressé impétueusement vers le Sud comme des vagues furieuses s’était embarquée sur le chemin du repli, et ces changements brusques du cours de la guerre avaient gravement affecté le moral des habitants de la capitale. Ceux-ci avaient les yeux tournés vers le Commandement suprême et attendaient anxieusement pour entendre ce qu’allait dire le Commandant suprême des perspectives de la guerre.
Je parlai à la radio. Je dis: ce n’est qu’un repli temporaire; il faut engager partout une guerre de partisans;la victoire est à nous. Puis je demandai à la compagnie des gardes du corps de faire le tour de la ville en chantant. Ceux-ci en restèrent un moment immobiles de stupéfaction: comment ça, défiler en chantant par la ville alors que la canonnade de l’ennemi faisait trembler le sol de l’autre côté du fleuve Taedong? Mais l’instant d’après, ils changèrent d’idée: si le Commandant suprême nous demandait de faire un tour dans la ville en chantant, c’est qu’il était sûr de notre victoire dans cette guerre, et ils sortirent dans la rue d’un pas alerte en chantant d’une voix formidable.
Du coup, l’air morne et triste de la capitale à la veille de l’évacuation fut secoué par Le Chant de la défense de la patrie. Que scandait d’une voix énergique la compagnie des gardes du corps. En l’entendant, des milliers de citadins sortirent, et, de partout, fusèrent des cris: «Voilà la compagnie des gardes du corps! — Ah, la Voilà, la compagnie des gardes du corps!»
«Si elle est là, à nos côtés, le Commandant suprême doit être ici», pensèrent-ils en suivant du regard le défilé de la compagnie des gardes du corps.
Celle-ci n’a quitté la capitale avec moi qu’après s’être assuré que tous les organismes et tous les établissements avaient commencé leur évacuation.
Nos gardes du corps de l’époque de la guerre contre les Japonais ont tous dépassé aujourd’hui la soixantaine.
Aujourd’hui, à leur place, les membres de la 3e et de la 4e générations de la révolution montent la garde autour du Comité Central du Parti, et du Commandement suprême. Les générations se succèdent l’une à l’autre, et de nouveaux gardes du corps se forment sans cesse. A quoi bon préciser combien ils sont? Sont-ils des dizaines, des centaines de milliers? Mais non. Tous les militaires et tous les civils sont là pour monter la garde autour du Parti et de la révolution.
4. A travers les trois mille ri du pays
Une fois déclenché au mont Paektu, le mouvement de l’Association pour la restauration de la patrie (ci-dessous, l’ARP—NDLR) se propagea comme une traînée de poudre et gagna en peu de temps toute la Mandchourie et toute la Corée.
Son Programme en dix points, de chaque phrase duquel émanait un ardent amour pour la patrie et le peuple, avait exalté tous les esprits, animé les trois mille ri du pays en le remplissant de grandes espérances de restauration. Non seulement les communistes, mais aussi les nationalistes, non seulement les ouvriers et les paysans, mais également les intellectuels, les étudiants, les autres jeunes, les artisans, les religieux, voire les capitalistes nationalistes, bref tous ceux qui étaient attachés au pays se joignaient au front uni pour la restauration de la patrie.
Ce mouvement fut particulièrement actif en Mandchourie, y compris dans la région de Xijiandao, dont le district de Changbai, et pour cause.
Cette région avait un long passé de lutte contre les Japonais et disposait d’une base solide: les quelque neuf cent mille Coréens émigrés, dont chacun était comme un grain de poudre prêt à exploser à tout moment, constituaient une énorme poudrière qui allait sauter au contact de la moindre flammèche.
Par ailleurs, la nécessité de regrouper l’ensemble des forces patriotiques opposées au Japon n’avait rien de nouveau pour eux. Tout le monde savait bien que cette question, celle de la formation d’un front uni national contre le Japon, avait figuré comme un des points cruciaux à l’ordre du jour lors de la Conférence de Kalun et que, par la suite, les révolutionnaires coréens avaient soutenu des combats sanglants pour y parvenir et regrouper toutes les forces antijaponaises des différents milieux. Les Coréens de Mandchourie avaient à leur actif des combats pénibles à ces fins; ils en avaient fait un dur apprentissage. Les graines que le «Programme en dix points de l’ARP» avait semées dans ce sol fertile ne pouvaient pas ne pas germer et pousser rapidement.
Dans notre effort pour étendre l’ARP, comme dans toute autre tâche, nous choisîmes de créer d’abord une organisation expérimentale, puis de généraliser ce modèle. Selon cette orientation, nous nous attachâmes à implanter l’ARP d’abord dans les localités possédant la base nécessaire et une expérience des mouvements sociaux et ayant une population favorablement disposée à la révolution ainsi qu’une force capable de diriger le travail clandestin.
Nous suivîmes le principe d’organisation suivant: trois membres formaient une sous-section, et trois sous-sections, une section, puis trois sections, un comité sectoriel; et une direction au niveau de district contrôlait plusieurs comités sectoriels.
Nous veillâmes également à ce que l’ARP noyautât l’armée, la police et les organismes ennemis. A l’époque, ceux qui opéraient au sein des organismes ennemis étaient appelés membres spéciaux de l’ARP. Nos militants pénétrèrent même dans l’armée Chingan placée sous le contrôle étroit des instructeurs militaires japonais.
L’ARP prit pied d’abord dans les zones d’opérations de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne, puis s’étendit dans les régions avoisinantes et, enfin, dans de vastes régions de la Corée.
Peu après la fondation de l’ARP, nous tînmes dans notre camp secret l’assemblée des commandants et combattants du corps principal de l’ARPC, au cours de laquelle tous ceux-ci furent admis dans l’ARP à leur demande unanime: «Si notre Commandant en est élu Président, il faut que nous en fassions partie, nous aussi, et apportions notre concours au mouvement de front uni», disaient-ils. Nous les invitâmes à œuvrer comme propagandistes et organisateurs sans titre pour rassembler le peuple tout entier dans le front uni national antijaponais.
Clairement conscients de la mission historique qui leur incombait, tous les commandants et combattants se firent volontiers porte-drapeaux du mouvement de front uni: ils prirent à cœur de regrouper au sein de l’ARP des hommes de toutes origines, de différents partis politiques et groupes.
Si nous étions arrivés à implanter en peu de temps les réseaux de l’ARP dans la plupart des agglomérations de la région de Xijiandao, nous le devions en partie aux efforts de cette avant-garde.
Les agents politiques choisis parmi les combattants de l’ARPC avaient joué en cela un rôle essentiel, dont d’anciens membres du comité préparatoire pour la fondation de l’ARP. Ils avaient été les étincelles qui avaient allumé le feu d’un puissant mouvement de front uni en Mandchourie.
Dès l’automne 1936, l’ARP avait commencé à s’enraciner dans de nombreux districts, en Mandchourie de l’Est, notamment dans ceux de Wangqing, Helong, Hunchun, Yanji. A Binlanggou, qui abritait l’ancienne zone de guérilla de Dahuanggou, fut créé le comité régional de Binlanggou du district de Hunchun de l’ARP avec comme éléments clés les membres de l’association des paysans. La revue Samilwolgan avait écrit dans son numéro inaugural que les préparatifs de la création de sous-sections de l’ARP et de troupes armées étaient achevés dans les quatre principaux villages de Helong grâce aux efforts de l’un de nos agents politiques que nous avions envoyés dans la région de Beijiandao, et au soutien des révolutionnaires de la région de Helong. Ce fait témoignait de l’adhésion totale de la population à notre ligne pour la formation du front uni.
En Mandchourie du Sud, c’étaient ceux qui avaient participé à la Conférence de Donggang qui prirent la tête de cette entreprise. Ils commencèrent par affilier à l’ARP les officiers et soldats coréens de l’Armée antijaponaise unifiée, à qui ils avaient expliqué notre ligne pour le front uni, puis choisirent parmi eux ceux qui étaient politiquement bien préparés et avaient de l’éloquence pour les envoyer dans les agglomérations de Coréens, où, soutenus par les révolutionnaires locaux, ceux-ci réussirent à mettre sur pied des ramifications de l’ARP: celle-ci prit pied dans différents villages et villes de Mandchourie du Sud, dont Panshi, Huadian, Tonghua, Jian, Mengjiang, Huanren, Kuandian, Huinan.
L’ARP étendit ses réseaux également en Mandchourie du Nord.
Sitôt après sa fondation à Donggang, nous avions fait parvenir à Kim Kyong Sok, qui, alors, travaillait dans l’organisation du parti dans une unité de l’Armée antijaponaise unifiée qui opérait en Mandchourie du Nord, le textes de la Déclaration constitutive et du Programme en dix points de l’ARP. Il s’était auparavant occupé du travail du parti en Mandchourie de l’Est, principalement dans le secteur de Sandaowan, dans le district de Yanji. Je l’avais rencontré pour la première fois au secrétariat du comité du parti de la région spéciale de Mandchourie de l’Est à Sandaowan où j’étais passé. Il était alors d’humeur sombre, se sachant soupçonné d’être du Minsaengdan. Plus tard, à la nouvelle de la Conférence de Dahuangwai, il aurait pleuré de joie. Par la suite, je l’avais affecté, à la demande de Zhou Baozhong, à l’une des unités de Mandchourie du Nord. Une fois les textes reçus, il se mit en campagne pour les expliquer aux officiers et soldats coréens de la 5e armée et créa une section de l’ARP avec des éléments avancés. A notre demande, Zhou Baozhong, chef de la 5e armée, avait aidé de son mieux à la création de cette organisation.
Le réseau de l’ARP s’étendit rapidement et s’installa dans de nombreux districts de Mandchourie du Nord, à savoir Fangzheng, Tonghua, Boli, Tangyuan, Raohe, Ningan, Mishan. L’union antijaponaise du district d’Emu fut aussi intégrée à l’ARP.
Ce fut C
Quand on parle de l’extension de l’ARP en Mandchourie du Nord, on ne peut pas ne pas parler de l’effort consenti par Kim C
Les communistes coréens de Sanyitun dans le district de Raohe publièrent un appel où ils promettaient leur soutien à l’ARP. Ils y disaient: «Amis, frères et sœurs, n’oubliez pas votre patrie! Que tous nos compatriotes qui haïssent les Japonais s’unissent dans un même front uni antijaponais, sans distinction de sexe, d’âge, de région d’origine, d’appartenance politique, et sans se laisser dominer par leurs mouvements d’humeur! Que tous contribuent dans la mesure de leurs moyens au combat contre les Japonais pour reconquérir l’indépendance de la patrie: ceux qui ont de l’argent avec leur argent, ceux qui ont des armes avec leurs armes, ceux qui n’ont que leurs bras pour subsister avec leur force de travail!» L’appel de ces camarades de Mandchourie du Nord correspondait à notre position. Nos compagnons d’armes de Mandchourie du Sud abondaient, eux aussi, dans notre sens.
En somme, les Coréens de Mandchourie approuvèrent sans réserve notre ligne pour le front uni national, qu’ils estimaient équitable et patriotique, pouvant permettre de réaliser en peu de temps l’union nationale.
Cependant, il fallait étendre l’ARP avant tout en Corée où vivaient plus de vingt millions de Coréens: c’était dans les orientations de la Conférence de Nanhutou qui avait insisté sur la nécessité de prendre la Corée pour principal théâtre de toutes nos entreprises—création du parti, extension des réseaux de l’ARP, développement de la lutte armée—et de s’appuyer principalement sur la force du peuple coréen.
Ce furent encore les agents politiques de l’ARPC qui jouèrent un rôle de premier plan dans l’extension de l’ARP en Corée. Y contribuèrent aussi les plus convaincus des révolutionnaires de la région de Xijiandao formés par nos agents politiques, ainsi que les éléments avancés de la région frontalière septentrionale de Corée qui avaient adhéré au mouvement de front uni sous notre influence.
Or, cette entreprise avait dû affronter en Corée des conditions extrêmement difficiles et complexes du fait de la répression féroce des impérialistes japonais et des déviations des fractionnistes.
Les impérialistes japonais, de crainte que l’ARP ne s’étende en Corée, firent des efforts désespérés pour l’en empêcher. Le coup principal était dirigé contre les patriotes et les habitants à l’esprit patriotique de la région frontalière: toutes les organisations et toutes les personnes censées être perméables à l’action de nos réseaux clandestins, tous les patriotes et les militants qui, sympathisant avec nos idées et notre ligne, considéraient notre lutte armée comme la voie du salut national étaient mis dans leur collimateur. Les Coréens sur la rive sud de l’Amrok n’avaient pu entendre les détonations et les sons de clairon qui retentissaient dans les villes et villages de Xijiandao ni voir les flammes qui s’y élevaient. Quand l’armée révolutionnaire populaire attaquait une ville ou un village, l’ennemi, de peur que ses défaites ne fussent portées à la connaissance de la population, ne laissait personne se hasarder sur le bord du fleuve. Inutile donc de dire avec quelle sévérité il avait essayé d’empêcher la pénétration en Corée des agents politiques de l’armée révolutionnaire.
Pourtant, invoquant divers prétextes, des gens passèrent de l’autre côté du fleuve pour jeter un coup d’œil sur les lieux de combat. Les habitants de Samsu, de Kapsan et de Huchang avaient témoigné qu’après une attaque de l’armée révolutionnaire populaire le nombre de ceux qui traversaient le fleuve Amrok en passant par la douane de l’endroit pour aller du côté de Xijiandao avait été plus élevé. Témoignage qui montrait quelle grande force et quel grand courage le peuple de la patrie puisait dans notre lutte armée.
D’autre part, les fractionnistes avaient suscité de sérieux obstacles à l’extension du mouvement de front uni national contre le Japon. En se battant entre eux pour accroître l’influence de leur groupe, ils morcelèrent les forces patriotiques, hostiles au Japon. Interprétant les théories en cours de façon dogmatique, d’une façon qui d’ailleurs ne correspondait pas aux réalités de la Corée, ils mirent à l’index les intellectuels patriotes et les capitalistes de bonne foi, à tendance nationaliste. D’après eux, seules quelques personnes d’élite, aux origines sociales irréprochables, pouvaient faire la révolution.
Pour tirer le mouvement de masse du marais de l’extrême-gauche où il était entraîné et lui permettre de rallier toutes les forces patriotiques d’origines et de tendances différentes, pour éclairer les communistes du pays qui tâtonnaient dans l’obscurité, il fallait renforcer notre influence sur le mouvement révolutionnaire en Corée et y étendre l’ARP.
Nous choisîmes de commencer par implanter celle-ci dans la région frontalière septentrionale de Corée, soit le bassin de l’Amrok, la mieux soumise à l’action politique de l’ARPC, puis de l’étendre dans les profondeurs du pays. Le secteur de Kapsan, de Samsu et de Phungsan fut choisi comme la région la plus indiquée pour notre effort consenti à cet effet, car il était géographiquement proche de notre base, était l’arène d’action de militants de différents horizons, venus de différentes régions du pays, et que sa population avait des liens de parenté, d’amitié ou d’affaires avec la région de Xijiandao.
Par l’intermédiaire de Kwon Yong Byok, de Ri Je Sun, de Pak Tal et de Pak In Jin, nous dirigeâmes nous-mêmes l’entreprise dans le secteur de Kapsan et de Phungsan. Comme je l’ai mentionné plus haut, après les entretiens qu’il avait eus avec moi, Pak Tal, aidé de ses collègues, avait fusionné son Comité d’action de Kapsan dans l’ARP et l’avait rebaptisé Union coréenne pour la libération nationale, en tant qu’organisation de l’ARP dans le pays, puis il avait créé des dizaines d’autres organisations sous divers noms placées sous l’autorité de cette union.
Le comité du district de Changbai de l’ARP et les organisations placées sous son contrôle contribuèrent, eux aussi, à la mise sur pied de ramifications de l’ARP dans la région de Kapsan.
La section de Zhujiadong de l’ARP, à Shibadaogou, dans le district de Changbai, apporta sa contribution à la création de son homologue de la commune de Kanggu, dans l’arrondissement de Kapsan, sur la rive sud du fleuve, en face de Zhujiadong. Elle avait réussi à disposer en sa faveur un paysan coréen de cette commune qui, son casse-croûte à la ceinture, venait tous les jours travailler ses champs à Zhujiadong. Celui-ci réussit, à son tour, à rallier les jeunes de son village qui partageaient ses idées, pour créer une section de l’ARP.
De la même façon, une section de l’ARP fut créée dans la commune de Paekam, dans le canton d’Unhung, dans l’arrondissement de Kapsan, grâce à l’intervention de l’organisation du district de Changbai de l’ARP.
Les organisations de l’arrondissement de Kapsan de l’ARP, notamment l’Union coréenne pour la libération nationale, regroupèrent un grand nombre d’ouvriers d’exploitations forestières, de cultivateurs sur brûlis et de membres d’organisations religieuses.
Le comité du district de Changbai de l’ARP prit une part active à la constitution d’organisations de l’ARP dans la région de Samsu en Corée en face de Shanggangqu. Une section de l’ARP fut mise sur pied dans la commune de Kwangsaeng sous la direction de C
Le plus grand exploit dans cette entreprise fut accompli à Phungsan, célèbre depuis longtemps par le vif sentiment antijaponais de sa population. A cette époque-là, nombreux y étaient des cultivateurs sur brûlis originaires de la région de Ryongnam (provinces du Kyongsang du Nord et du Sud—NDLR) qui, chassés de leurs terres par l’occupant impérialiste japonais, avaient quitté leur pays natal pour aller s’établir dans le Nord et des manœuvres du chantier de construction de la Centrale électrique «Hochongang». Pour pouvoir assurer la mobilisation totale du potentiel économique de leur pays, de la Corée et de la Mandchourie pour l’extension de leur guerre d’agression, les impérialistes japonais avaient confié la construction de cette centrale d’une puissance de plusieurs centaines de milliers de kW au gros capitaliste Noguchi dont la fortune était récente. Les milliers d’ouvriers de ce chantier représentaient une grande armée susceptible de se rallier sans hésiter à notre front uni. En outre, y vivaient aussi des centaines de chondoïstes (le chondoïsme est une religion coréenne—NDLR) et de chrétiens à l’esprit patriotique.
Si nous parvenions à soumettre cette région à l’action de l’ARP, nous pourrions étendre la base du mont Paektu jusqu’au plateau de Kaema et à ses alentours et préparer un terrain favorable à l’extension de l’ARP dans différentes localités à l’est du col Huchi. Il fallait placer cette région sous notre influence révolutionnaire si l’on voulait gagner à la révolution la région côtière est de la province du Hamgyong du Sud et étendre plus loin dans le pays le mouvement de front uni national contre le Japon. Tel était l’objectif que nous nous étions proposé en choisissant la région de Phungsan.
Depuis le transfert de l’ARPC dans la région du mont Paektu, des éléments avancés de Phungsan étaient souvent venus dans la région de Changbai pour prendre contact avec nous. et beaucoup d’entre eux désiraient s’enrôler dans l’armée révolutionnaire.
Pak In Jin, Ri Chang Son, Ri Kyong Un et autres chondoïstes qui avaient les premiers semé les graines de l’ARP dans le sol de Phungsan étaient tous originaires de cette région. Ils étaient passés à Changbai, désireux de bénéficier de la direction politique de l’ARPC. Ri Chang Son fut le premier à s’enrôler dans l’armée révolutionnaire. Et c’est sur sa recommandation que Pak In Jin était venu discuter avec nous de la question du front uni et que Ri Kyong Un fut admis dans notre unité et envoyé peu après en mission politique dans la région du plateau de Kaema.
A son arrivée à Phungsan, Ri Kyong Un se mêla aux ouvriers du chantier de construction de la centrale électrique et leur expliqua notre ligne en matière de front uni et le «Programme en dix points de l’ARP». Il regroupa ceux qui approuvaient nos vues et organisa avec eux, au printemps 1937, la section de Phungsan de l’ARP. Par la suite, soutenu par Pak In Jin, il fonda une troupe de producteurs-partisans avec les plus actifs des membres du parti de la jeunesse chondoïste.
La section de Phungsan de l’ARP admit en son sein en peu de temps des centaines de chondoïstes. Au canton de Chonnam fut créée une association ouvrière antijaponaise du secteur de Honggun, organisation annexe de l’ARP. En été 1937, Kim Yu Jin, membre de l’ARP envoyé par Kim Jong Suk dans la région de Phungsan alors qu’elle militait dans les secteurs de Taoquanli et de Sinpha, créa, avec l’aide de Ri Chang Son, la section de Paesanggaedok de l’ARP avec des ouvriers du chantier de construction du barrage de Hwangsuwon acquis à nos idées.
Le succès éclatant remporté à Phungsan par les efforts déployés pour étendre l’ARP dans le secteur du plateau de Kaema s’explique, dans une large mesure, par la direction politique exercée par l’ARPC: nombre de ses détachements et de ses groupes de combattants avaient pénétré dans cette région pour y opérer et aider les organisations révolutionnaires locales. Moi aussi, en revenant de Sinhung où j’avais eu des rencontres avec des révolutionnaires du pays, j’étais passé à la base secrète de Phungsan pour éduquer les chondoïstes.
Une organisation de l’ARP fut mise sur pied également à Sinhung, endroit bien connu par la grève des mineurs de 1930, qui avait bénéficié de la sympat
Le réseau de l’ARP qui avait pris pied dans la zone riveraine de l’Amrok et aux alentours du plateau de Kaema gagna progressivement les villes et les campagnes de la région côtière est. Là aussi, les agents politiques de l’ARPC se montrèrent hautement performants, faisant preuve de grandes capacités d’organisation et de dynamisme. Plusieurs fois, à partir de l’été 1937, ils passèrent à Rangrim, à Pujon, à Sinhung, à Hongwon, à Pukchong, à Riwon, à Tanchon, à Hochon, etc., et, en étroite liaison avec Ri Ju Yon, Ri Yong, Ju Tong Hwan et autres révolutionnaires locaux, travaillèrent à étendre l’ARP.
Ju Tong Hwan, désireux d’entrer en contact avec nous, vint souvent dans la région de Xijiandao et réussit, par l’intermédiaire du maire de Wanggedong, à prendre contact avec le réseau clandestin dirigé par Kwon Yong Byok. Celui-ci et Ju Tong Hwan avaient été condisciples au Lycée Taesong à Longjing. Ayant appris que son ancien camarade d’études avait travaillé pendant longtemps à inculquer à la population les idées antijaponaises dans les régions de Changbai et de Yanji et qu’il avait passé plus de deux ans dans la prison de Sodaemun à Séoul pour avoir participé au mouvement révolutionnaire en Corée, Kwon Yong Byok lui confia la tâche d’implanter le réseau de l’ARP dans les secteurs de Pukchong et de Tanchon.
Une fois arrivé à Pukchong en Corée, Ju Tong Hwan, avec l’aide de Jo Jong Chol, gagna à son projet Kim Kyong Sik et autres, avec lesquels il organisa un comité régional de l’ARP. En peu de temps, ce comité parvint à avoir une dizaine de sous-sections.
Puis, il regagna son pays natal, où, avec ses amis, il créa la section de Tanchon de l’ARP, qui, à son tour, créa des sous-sections à plusieurs endroits, notamment au chef-lieu de l’arrondissement. Un grand nombre d’habitants, non adhérents, furent rassemblés dans des amicales, comme l’amicale du Nord et l’amicale du Sud.
Lors qu’avait éclaté la guerre sino-japonaise, le comité de Xiagangqu du district de Changbai de l’ARP envoya un grand nombre d’agents clandestins en Corée. Wi In Chan et autres furent envoyés dans la région de Hungnam, un des centres industriels, où se trouvaient de nombreuses usines d’armement, et ils y créèrent le comité régional de Hungnam de l’ARP.
Presque en même temps, d’autres agents qui opéraient dans la région de Wonsan réussirent à persuader les membres de l’association du Koryo, organisation de jeunesse progressiste et antijaponaise, à adhérer à l’ARP. Cette association travailla à sensibiliser les masses aux idées révolutionnaires, d’une part, et, d’autre part, organisa sous diverses formes la lutte contre la politique impérialiste japonaise de «nipponisation des Coréens». Elle organisa, par exemple, une grève d’élèves pour expulser un directeur japonais réactionnaire.
Les agents clandestins envoyés dans la région de Hongwon par la section de Taoquanli de l’ARP réussirent à y mettre en place une organisation locale de l’ARP sous le nom de syndicat paysan de Hongwon, qui comptait sous son contrôle plusieurs sections.
Le réseau de l’ARP couvrit plusieurs autres régions, notamment Riwon, Pujon, Hamhung, etc.
Il en alla de même dans la région nord du littoral de la mer de l’Est: l’ARP fut installée dans les centres industriels, les campagnes, les villages de pêcheurs.
Cette région fut de toutes les provinces frontalières septentrionales celle qui, depuis longtemps, avait été la plus exposée au «vent de Jilin». Lorsque nous menions la lutte armée en Mandchourie de l’Est à partir de nos zones de guérilla, la population de cette province avait subi une forte influence révolutionnaire.
Sous l’impact de la Lutte armée antijaponaise et forte de son soutien, elle s’était engagée de bonne heure dans la lutte pour le salut national contre l’occupant japonais. Le mouvement syndical paysan très actif dans cette région avait attiré notre attention par son dynamisme et sa persistance. Cette région était plus que d’autres favorable à l’éducation et au regroupement des masses.
Pour étendre l’ARP dans cette région, nous y avions envoyé un grand nombre d’agents politiques compétents et même des groupes de partisans dans les villes et les arrondissements frontaliers. En s’appuyant sur les bases secrètes et les points d’appui d’opérations qu’ils avaient aménagés dans divers endroits de la province, les détachements et les groupes de combattants de l’ARPC dirigèrent l’extension de l’ARP et le mouvement de masse.
D’autre part, nous fîmes venir à notre base des militants du mouvement antijaponais et des dirigeants d’organisations de masse de différents arrondissements et villes de cette région pour leur donner la formation nécessaire pendant un temps, puis les renvoyâmes diriger le mouvement de front uni chez eux. Nous faisions ainsi diriger ce mouvement dans chacune des régions par des personnes qui en étaient originaires, par exemple à Chongjin ou à Musan par des personnes originaires de Chongjin ou de Musan, pour adapter la direction à la réalité et pourvoir aux besoins toujours croissants en agents clandestins avec le développement de la révolution antijaponaise.
Sous l’impulsion des agents clandestins de l’armée révolutionnaire populaire et autres patriotes, le mouvement de l’ARP s’amorça dans cette province, d’abord dans des localités à population ouvrière, dont Musan, Chongjin, Odaejin, Yonsa et dans d’autres villes et arrondissements le long de la partie sud de la ligne de chemin de fer Kilju-
Dans le Hamgyong du Nord, c’était dans le secteur de Yonsa et de Musan que ce mouvement était le plus actif, ce qui s’explique par le fait que, dans la seconde moitié des années 1930, partis de la région de Xijiandao, nous avions mené nos activités politiques et militaires, la plupart du temps, dans le bassin de la rivière Wukou, en Mandchourie, de l’autre côté du fleuve Tumen, en face de Yonsa et de Musan, et que nous y avions souvent envoyé des détachements et des groupes de partisans afin de donner une nouvelle dimension au mouvement révolutionnaire dans la zone frontalière. C
Nos agents clandestins C
Au Cimetière des martyrs de la révolution sur le mont Taesong se trouve aujourd’hui le buste du martyr de la Lutte révolutionnaire antijaponaise C
C
C
C
En automne 1936, après la bataille à l’orée de Sanzhongdian, je le rencontrai dans notre camp secret: il y était venu avec des porteurs de ravitaillement. A première vue, je compris que j’avais affaire à un homme intelligent et conscient de son devoir. De taille moyenne, nullement corpulent, il savait conduire ses hommes. A peine disait-il un mot, les porteurs se rassemblaient ou se dispersaient promptement. Plus d’une fois, il nous avait fourni des renseignements sur les mouvements de troupes ennemies.
Vers mai 1937, afin d’activer l’extension de l’ARP dans la région septentrionale de la Corée, surtout dans l’arrondissement de Musan, nous envoyâmes C
Yun Kyong Hwan, collaborateur dévoué de C
L’ennemi qui tenait à l’œil tous ceux qui avaient transporté des charges aux camps de l’armée de guérilla se battit les flancs pour découvrir le réseau de nos organisations. Pressentant le danger qui allait s’abattre sur lui, il alla avec sa famille s’installer en Mandchourie de l’Est, dans le hameau d’en haut appelé Xinkaicun, à Yushidong, au bord de la rivière Wukou.
Plus tard, nous l’expédiâmes à Yonsa et le nommâmes responsable de l’organisation du parti de l’endroit. A ce qu’on m’a appris, il était venu une fois en compagnie des militants de son organisation apporter du ravitaillement à mes troupes à Zhidong et avait posé la question de la création d’un comité régional pouvant diriger de façon unifiée les sous-sections de l’ARP du secteur de Yonsa.
Or, j’avais déjà donné les conseils nécessaires à ce sujet aux camarades de ce secteur lors de la Conférence de Kuksabong. Pour donner un nouveau tour au mouvement de l’ARP en pleine extension, je leur avais proposé d’établir un système cohérent de direction de ses réseaux disséminés un peu partout, et ils avaient accepté.
Si je ne me trompe, Yun Kyong Hwan vint voir nos troupes avec du ravitaillement juste avant l’arrestation de Ri Tong Gol (Kim Jun). Ri Tong Gol avait été envoyé comme agent politique dans les secteurs de Yonsa et de Musan après avoir encouru une sanction pour des fautes commises au camp secret du mont Qing. Là, en étroite liaison avec C
Nous envoyâmes Kim Jong Suk à la place de Ri Tong Gol, comme elle avait déjà été en Corée pour une mission clandestine.
Un groupe armé l’y avait accompagnée. Elle organisa une réunion des révolutionnaires de l’endroit et constitua le comité régional de Yonsa de l’ARP. De retour au Q.G. après cette mission, elle mit devant moi une machine à coudre, je me le rappelle aujourd’hui encore, disant que c’était un cadeau des organisations du secteur de Yonsa.
C
La mort de Ri Tong Gol, de C
Nos efforts pour l’extension de l’ARP furent également couronnés de succès dans les région occidentale, centrale et méridionales de la Corée. Nous nous étions attachés à étendre l’ARP également dans ces régions de Corée.
La région occidentale, soit les provinces du Hwang
La région occidentale avait donné un grand nombre de communistes de la nouvelle génération, dont Kim Hyok, Cha Kwang Su, Kang Pyong Son. C’étaient Kong Yong et Kang Pyong Son que nous avions de bonne heure chargés de mettre cette région sous notre influence. Pour sensibiliser les masses, nos agents politiques pénétrèrent à Ryongchon, endroit bien connu dans le pays pour le conflit de fermage qui avait éclaté à la Ferme Fuji. Ce conflit avait montré l’esprit de combat inflexible et l’élan patriotique de la population de l’endroit qui cherchait son salut dans la lutte antijaponaise.
La ville de Sinuiju occupait une place importante dans l’extension de l’ARP dans la région nord-ouest de la Corée.
Une section de l’ARP fut créée à Sinuiju au début de juillet 1937, et, en août de la même année, l’association antijaponaise Risan fut constituée dans la région de Wiwon avec des paysans pauvres et des flotteurs de bois. Nos agents secrets, en allant d’un endroit à un autre sur le cours moyen de l’Amrok, mirent sur pied, l’une après l’autre, des organisations locales de l’ARP. Ses proches parents étant tous chondoïstes, Kang Pyong Son profita de l’ascendant de cette religion pour constituer plusieurs ramifications de l’ARP.
L’ARP implanta ses réseaux dans les arrondissements de Huchang et de Cholsan également.
Des groupes de partisans et des agents politiques furent aussi envoyés à Yangdok, à Tokchon, à Pyongyang, à
Ce sont Ri Ju Yon, Hyon Jun Hyok et C
Ri Ju Yon, désireux de relancer le mouvement antijaponais dans une autre région, se rendit de Tanchon à Pyongyang et organisa l’association antijaponaise des ouvriers et des employés de l’Usine de caoutchouc de Jonchang à Pyongyang, l’association antijaponaise des ouvriers de la minoterie de Pyongyang, l’association antijaponaise de Nampho et autres, qui étaient en fait des organisations locales de l’ARP.
Hyon Jun Hyok, à sa sortie de la prison de Taegu, déplaça son théâtre d’activité à Pyongyang, adhéra à notre ligne pour le front uni et s’infiltra chez les ouvriers de la cimenterie de Sunghori, où il concourut à la création d’une section de l’ARP.
La ligue pour la libération de la patrie dont faisait partie mon cousin germain Kim Won Ju et l’association Ilsim pour la restauration qui opérait dans la région de Kangso étaient toutes des organisations locales de l’ARP.
Pour sa part, C
L’ARP avait un réseau dans la région d’Onchon, dans la province du Phyong-an du Sud.
Dans la province du Hwang
Dans la région centrale du littoral de la mer de l’Est, l’entreprise fut axée sur les secteurs de Chonnae, de Yangyang, de Kosong et de Munchon où se trouvaient des masses d’ouvriers. L’association antijaponaise des ouvriers de la cimenterie de Chonnaeri était bien connue tant pour le nombre de ses adhérents que pour les hauts faits qu’elle avait accomplis. L’association pour le salut national de Sokcho à Yangyang et l’association antijaponaise de Jangjin à Kosong étaient elles aussi de l’ARP.
Du fait de la division du pays, on n’a pu jusqu’ici enquêter comme il faut sur les ramifications de l’ARP dans la région méridionale de la Corée, mais, selon les archives de la police japonaise dont nous disposons, leur nombre était considérable.
Récemment, on a découvert quelques documents concernant les ramifications de l’ARP en place sur le territoire japonais et leurs activités à Okayama, à Tokyo, à Kyoto, à Osaka et dans l’île d’Hokkaido. Mais, ce n’est, pensé-je, que la partie visible de l’iceberg.
L’ARP regroupait en son sein plus de deux cent mille Coréens et a préparé le peuple tout entier à une résistance générale. En tant que telle, elle représente, dans les annales de la lutte de libération nationale coréenne, un monument historique érigé par les communistes coréens. Sous le drapeau de la restauration de la patrie, elle a apporté une contribution inestimable à l’organisation et à la mobilisation de toutes les forces patriotiques des différentes couches de la population pour la cause de la libération nationale.
En tout premier lieu, elle a éveillé la conscience révolutionnaire des masses populaires. Notre peuple parvint, en s’associant au mouvement de front uni, à se rendre compte que la Corée ne pourrait être libérée que par lui-même, qu’il fallait opposer une résistance armée à un adversaire armé et que, pour reconquérir l’indépendance nationale, il fallait s’unir par-dessus les différences d’origine sociale, de sexe, d’âge, d’appartenance politique, de foi religieuse, et former un front commun avec les autres peuples opprimés, pour la libération nationale. La rapide prise de conscience des masses populaires détermina un puissant développement de la lutte de libération nationale dans la seconde moitié des années 1930.
Dès lors, les masses populaires furent unanimes à considérer comme principale force de lutte pour la libération de la patrie l’ARPC qui, les armes à la main, soutenait des combats sanglants contre les impérialistes japonais, à s’en remettre à notre direction et à nous confier entièrement leur destin; voilà ce qui caractérisa l’évolution de la mentalité à cette époque-là. Dès lors, la lutte de libération nationale et le mouvement communiste en Corée furent axés sur le mont Paektu, point d’appui central des opérations de l’ARPC.
Les masses populaires ne considérèrent comme valables que les appels venant du mont Paektu et y répondirent avec enthousiasme, sans hésiter à donner leur vie pour aider les combattants du Paektu.
Leur dévouement à l’âme de la Révolution coréenne s’est manifesté par leur aide désintéressée, matérielle et morale, à l’ARPC. La population n’a rien épargné pour soutenir cette armée: elle lui a consacré ses biens, son argent, sa force et son âme.
Les organisations de l’ARP lancèrent à l’échelle nationale un puissant mouvement d’assistance à l’armée de guérilla. La section de Kapsan de l’ARP achemina à notre armée, dès la seconde moitié des années 1930 les offrandes de riz que les chondoïstes de la région de Kapsan envoyaient auparavant au bureau central de leur religion. La population de Xijiandao, dès qu’elle eut appris que cette armée était à court de vivres, n’hésita pas à puiser dans le riz mis de côté pour les festins de noces et d’anniversaire, y compris celui de hwangap (60e anniversaire — NDLR).
Les membres de la section de Sinuiju de l’ARP transportèrent, à bord d’un cargo, le ravitaillement jusqu’aux zones où opéraient nos troupes, ce jusqu’en 1938, année de l’achèvement du barrage-réservoir de la centrale électrique de Suphung sur le fleuve Amrok. Les cargaisons comprenaient toutes sortes d’objets: tissus, chaussures, sel, poudre, capsules fulminantes, mèches. La ligne de navigation fluviale ayant été coupée par la construction du barrage-réservoir, on avait établi dans les rues Nos 3 et 6 de la ville de Dandong en Chine des points de rassemblement et de stockage des approvisionnements qu’on expédiait par chemin de fer ou par camions aux unités ou aux groupes de combattants de l’armée révolutionnaire populaire opérant à Kuandian, à Xingjing et à Tonghua. Un adhérent de la sous-section de Majondong de l’ARP acquit un voilier de plus de 0,5 tonne et s’en servait le jour pour gagner de l’argent et, la nuit, pour apporter secrètement à l’armée révolutionnaire populaire le ravitaillement rassemblé par ses collègues de l’organisation.
Les membres des organisations de Séoul de l’ARP, à 400 kilomètres du mont Paektu, envoyèrent des approvisionnements à l’armée révolutionnaire.
Jon Jo Hyop, membre de l’organisation de Pukchong de l’ARP, avait été arrêté et emprisonné, ayant été impliqué dans l’«affaire des pionniers» de Sokhu dans l’arrondissement de Pukchong. A peine relâché, il se rendit dès 1937, sur les directives de l’organisation, à Séoul, où il reprit ses activités clandestines.
Tout en travaillant à étendre le réseau de l’ARP, il se fit porteur d’eau pour gagner de quoi aider les troupes de partisans. A l’époque, les gens de Pukchong avaient la réputation d’être dévoués à leur progéniture au point de se faire porteur d’eau pour permettre à leurs enfants de faire des études à Séoul. Jon Jo Hyop n’avait pas d’enfant à envoyer à Séoul; s’il était cependant devenu porteur d’eau, c’était dans l’intérêt de la révolution.
Avec l’argent qu’il gagnait ainsi, il achetait des approvision-nements destinés à l’armée de guérilla: tissus, chaussures, papier, médicaments, encre pour ronéo, etc., qu’il expédiait à Pukchong, d’où l’on nous les faisait parvenir par le canal de l’organisation révolutionnaire locale.
Un matin qu’il montait une pente avec sa charge d’eau, il aperçut au sol une montre en or pour dame. Une telle montre n’était pas même à la portée des femmes riches.
Il fallait retrouver la propriétaire, pensa-t-il, et il alla de porte en porte jusqu’à ce qu’il retrouvât la propriétaire: une fille de boutiquier. C’était un cadeau de fiançailles. La propriétaire de la montre et les siens, émus, récompensèrent l’homme probe par un pourboire plus important que le prix de la montre. Avec cet argent, il acheta du ravitaillement pour notre armée.
La montre rapprocha Jon Jo Hyop et la famille de la jeune fille qui devinrent comme les membres d’une même famille. Et les gens de cette famille, sous son influence, en vinrent à sympathiser avec l’Armée de guérilla antijaponaise et à faire de leur mieux pour l’aider. Plusieurs fois, ils expédièrent à Pukchong des articles qu’ils s’étaient procurés eux-mêmes à la demande de Jon Jo Hyop. Voilà comment une famille petite-bourgeoise de Séoul en vint à aider l’armée de guérilla sous l’influence d’un membre de l’ARP.
Les réseaux de l’ARP implantés en Corée avaient organisé et dirigé avec dynamisme, dans tous les coins du pays, sous diverses formes, comme le sabotage, la grève, les manifestations, les révoltes, les conflits de fermage et en recourant à des méthodes variées, les luttes contre les spoliations cruelles de l’impérialisme japonais, contre sa politique de «nipponisation des Coréens», contre son agression du continent et sa politique de guerre.
Un autre heureux résultat qui couronna les efforts des révolutionnaires coréens pour l’extension de l’ARP fut d’avoir raffermi les bases organisationnelles et idéologiques du parti à créer. Avec comme éléments d’avant-garde les personnes triées par les réseaux de l’ARP, nous avions fondé des groupes du parti un peu partout dans le pays. C’étaient justement ceux-là mêmes qui avaient dirigé les organisations de l’ARP ainsi que les luttes de masse. Nés et aguerris dans les combats, ils ont été la base sur laquelle on a pu créer un puissant parti des masses laborieuses dans la Corée libérée.
D’autre part, en étendant l’ARP, les révolutionnaires coréens avaient acquis une riche expérience en matière de création d’organisations de masse. Sans cette expérience, on n’aurait pu créer en si peu de temps, après la Libération, des organisations de masse de différentes catégories, comme l’Union de la jeunesse démocratique, la Fédération des syndicats, l’Union des femmes, l’Organisation des enfants.
En étendant l’ARP, les communistes coréens avaient établi, pour la première fois dans la longue histoire de Corée, le modèle d’un puissant front uni, patriotique et révolutionnaire. Le front uni national contre le Japon parti du Paektu a assis la tradition du mouvement de front uni national dans notre pays et manifesté sans réserve l’esprit indomptable du peuple coréen.
Tout cela démontre que le peuple coréen préfère l’union à la désunion, la concorde à la discorde, et qu’il tient à s’unir — c’est là sa volonté inflexible — pour une cause commune sans distinction d’appartenance politique ou de foi religieuse.
A notre époque, époque du Parti du Travail, il a réalisé, depuis déjà longtemps, l’unité monolithique de la société, ce au point suprême qu’un groupe ethnique puisse atteindre. Il reste à réunifier le pays divisé en Nord et Sud. Il faut réaliser l’unité de la nation, ce qui a toujours été mon espoir et ma volonté. Notre nation, fière de son passé glorieux cinq fois millénaire, doit et peut vivre dans un seul et même Etat. C’est notre position, notre point de vue sur la question de la réunification nationale. Qu’est-ce qui donc nous permet d’affirmer pouvoir y parvenir? Nous avons avec nous la puissante arme qu’est la vaste union nationale, une riche expérience en matière de formation d’un front uni national et de mise en place des organisations de l’ARP.
Il n’y a aucune raison pour que notre nation qui, il y a un demi-siècle, a si brillamment réussi dans la grande tâche de formation d’un front uni ne puisse réaliser aujourd’hui une large union.
Tous les Coréens, qu’ils vivent au Nord, au Sud ou à l’étranger, doivent s’unir dans un front uni. Là est le seul salut de notre nation sur notre planète régie par la loi de la jungle. Le front uni est pour une nation le seul moyen de subsister en tant que telle, car il la sauve et la mène au développement et à la prospérité. Voilà ce que je voulais dire, à mes compatriotes du pays et d’outre-mer.
5. Kwon Yong Byok
Kwon Yong Byok était un homme discret. En général, un propagandiste est censé être éloquent; cependant, cet homme était avare de mots même quand il était chef de la section de la propagande d’une division. Se contentant de ne prononcer que les paroles nécessaires et de façon cohérente, jamais on ne le voyait débiter de propos vides de sens ou se répéter. Par ailleurs, ni son visage ni son aspect ne trahissaient ses pensées et ses sentiments.
Il abhorrait le mensonge et la vantardise. Il tenait sa parole même s’il lui fallait risquer pour cela sa vie. Il joignait les actes à la parole, c’était là en un mot tout son caractère et tout son charme.
Si, à l’époque de nos opérations au mont Paektu et dans la région de Xijiandao, nous lui confiâmes le poste de responsable du comité du parti du district de Changbai, c’était en raison de ces qualités.
Ce poste était important pour bien des raisons: ce comité du parti jouait un rôle de premier plan, étant toujours le premier à recevoir et à exécuter la ligne d’action et les tâches pressantes que proposait le comité du parti de notre Armée révolutionnaire populaire coréenne établi au camp secret du mont Paektu. La plupart du temps, c’était par le canal de ce comité de même que celui du Comité d’action du parti à l’intérieur du pays et du Comité d’action du parti de Mandchourie de l’Est que cette ligne et ces tâches étaient portées à la connaissance des militants des régions de Xijiandao et de Beijiandao ainsi que de Corée et que la façon dont elles avaient été exécutées était rapportée au comité du parti de l’ARPC.
L’importance du rôle dudit comité tenait aussi au fait que, une fois le point d’appui de nos opérations fixé au camp secret du mont Paektu, nous devions utiliser la région de Xijiandao comme tête de pont pour développer la révolution en Corée et en Mandchourie et que, d’autre part, un parti de nouveau type n’ayant pas encore fait son apparition après la dissolution du Parti communiste coréen, le comité du parti de l’ARPC était appelé à diriger la mise en place d’organisations du parti et l’ensemble de la révolution antijaponaise, par l’intermédiaire du Comité d’action du parti à l’intérieur du pays, du Comité d’action du parti de Mandchourie de l’Est et du comité du parti du district de Changbai.
Dans la première moitié des années 1930, nous avions combattu en nous appuyant sur la base de guérilla établie en Mandchourie de l’Est. Xiaowangqing avait alors été le foyer de la révolution antijaponaise. Dans la seconde moitié de cette décennie, c’était la base du mont Paektu — elle s’étendait jusqu’à la région de Xijiandao — qui tint ce rôle. Le camp secret du mont Paektu en était le noyau, entouré d’une vaste bande de territoire de Corée et de la région de Changbai, autour du mont Paektu. La région de Changbai abritait nos camps secrets qui étaient nombreux; et, si nous voulions les préserver, il nous fallait établir notre contrôle sur cette région, en faire un monde acquis à nous et rallier sa population à la révolution.
Des affrontements violents s’imposaient pour implanter dans cette région les réseaux de l’Association pour la restauration de la patrie. Le régime du Mandchoukouo n’y avait pas encore établi son autorité, mais les services de renseignements japonais et les forces «punitives» des armées et des polices japonaises et mandchoues n’y étaient pas négligeables. Si nous avions dû passer par la région de Changbai pour marcher vers la Corée, l’ennemi devait en faire autant pour nous attaquer. Ainsi Changbai était un point stratégique important que se disputaient les deux camps adverses.
De là les exigences élevées que nous posâmes pour choisir le responsable du comité du parti de cette région. Ce poste exigeait un homme de cœur, doué de grandes capacités de sensibilisation et d’organisation, à la fois magnanime et dynamique. Comme il était appelé à diriger le combat sur le front clandestin, il devait en outre posséder un jugement infaillible, de la circonspection et de l’esprit d’à-propos, et surtout une grande ouverture d’esprit.
Kwon Yong Byok me vint à l’esprit comme la personne la plus indiquée. Kim Phyong aussi me le proposa.
Il n’était ni mon camarade d’école ni originaire de la même région que moi, moins encore un de ces combattants qui avaient partagé avec moi le meilleur comme le pire depuis l’époque des zones de guérilla. Dans la première moitié des années 1930, époque de la pleine expansion de ces zones, j’avais combattu à Wangqing, mais lui, à Yanji. Ce ne fut qu’en octobre 1936, après l’expédition de Jiaohe à laquelle il avait participé, qu’il vint au camp secret du mont Paektu rejoindre le gros de nos troupes.
Il avait pris part au mouvement antijaponais dès l’époque de ses études secondaires. Renvoyé de l’école sous l’accusation d’être un «élève séditieux», il était devenu, comme cela avait été mon cas, révolutionnaire professionnel. C’est lors de mes activités en Mandchourie de l’Est que j’avais appris par O Jung Hwa ou Pak Yong Sun une anecdote sur son compte. Il s’agissait d’un drame qui lui était arrivé et de l’exceptionnelle maîtrise de soi dont il avait fait preuve le jour des obsèques de son père.
Un jour qu’il était en mission dans une localité, il reçut la nouvelle de la mort de son père et courut chez lui à la faveur de la nuit tombante. Or, à peine avait-il endossé ses vêtements de deuil que des gendarmes montés, ayant flairé son retour on ne sait comment, se précipitèrent chez lui et mirent dehors toute la famille. Ils demandèrent à Kwon s’il n’était pas Chang Uk – c’était son nom d’enfance. S’étant aperçu que nul d’entre eux ne le connaissait, Kwon répondit d’un ton posé et calme que, ne sachant où se trouvait son frère cadet Chang Uk qui avait quitté la maison il y avait longtemps, on n’avait pas même pu lui faire part de la mort du père. Son frère aîné, Kwon Sang Uk, étant allé au service de pompes funèbres de l’endroit, il se fit passer ainsi pour celui-ci.
Dépité de n’avoir pu mettre la main sur Kwon Yong Byok, l’ennemi mit le feu à sa maison en deuil et ne s’en retourna qu’après avoir vu celle-ci s’écrouler et réduite en cendres.
Obligé de rester à regarder la dépouille de son père s’envoler en fumée, Kwon serra les mâchoires à se faire mal, refoulant par un effort de volonté suprême sa folle colère au fond de son cœur. De retour à l’endroit où il était en mission, il ne put boire l’alcool que lui versaient ses camarades pour le consoler. Il s’était mordu la langue et les lèvres si fort que celles-ci en avaient été gravement blessées et qu’il ne put par conséquent avaler de bouillie pendant des jours.
Kwon Yong Byok en était bien connu parmi les communistes de Mandchourie de l’Est comme un jeune combattant doué d’une grande maîtrise de soi. Un révolutionnaire, s’il veut combattre l’ennemi et concourir à la victoire de la grande cause, doit savoir, pensaient-ils, maîtriser ses impulsions momentanées et supporter les douleurs comme lui.
Pourtant, tous ceux qui avaient appris ce qui s’était passé le jour des obsèques de son père ne s’accordaient pas à le louer. D’aucuns affirmèrent qu’il avait eu tort de ne pas réagir, en voyant son père mourir pour la deuxième fois, et allèrent jusqu’à le blâmer: n’aurait-il pas dû intervenir, par quelque moyen que ce soit, pour empêcher l’ennemi de brûler le corps de son père?
Ceux qui approuvaient Kwon rejetèrent ce blâme: riposter en pareil cas, cela passe pour un homme ordinaire, mais non pour Kwon; il était tenu de ne pas se trahir; s’il s’était avisé de résister, il aurait été fusillé sur place ou tout au moins arrêté et jeté en prison; il n’aurait alors pu continuer la révolution.
Avant de quitter sa famille pour s’embarquer sur le chemin de la révolution, Kwon Yong Byok avait dit à sa femme en guise d’adieux:
«Je n’ai pas espoir de revenir vivant. Même si je revenais, je ne sais pas quand ce sera. Personne ne sait si la révolution réussira dans 10 ans ou dans 20 ans. Cherche donc ton salut de ton mieux sans m’attendre. Je ne te blâmerais pas même si tu te remariais, estimant que je ne suis plus de ce monde. Seulement voici ce dont j’ai à te prier: “Elève bien mon enfant de façon qu’il continue l’œuvre de son père quand il aura atteint l’âge de raison.”»
Ces paroles aussi suscitèrent des critiques de la part de certains. D’aucuns les trouvaient cruelles pour des adieux faits par un homme à sa femme. D’autres affirmaient que c’était plutôt une insulte à la femme en général: il aurait dû dire qu’il serait de retour en vainqueur et demander à sa femme de l’attendre jusqu’à ce jour-là, car un homme aimant réellement sa femme ne saurait parler autrement; par ailleurs, les femmes coréennes ne sont-elles pas assez fidèles pour attendre jusqu’au jour de l’indépendance du pays leurs maris partis combattre pour la révolution? quelle insulte pour les femmes!
L’interprétation superficielle des paroles de Kwon avait suscité d’autres accusations plus virulentes encore.
Mais moi, j’estimai que seule une personne déterminée à se consacrer corps et âme à la révolution pouvait prononcer de telles paroles, que seul quelqu’un qui aimait profondément sa femme pouvait lui faire une telle demande, que seul un combattant prêt à donner le meilleur de soi-même à la révolution et à combattre jusqu’au jour de son aboutissement pouvait tenir des propos aussi francs, aussi stoïques lors de ses adieux. Je voyais dans ses paroles un homme de cœur.
Ce fut à plusieurs années de là, soit au printemps 1935, à Yaoyinggou que je le vis pour la première fois. Là, un cours de formation militaire et politique accélérée avait été organisé à l’intention des partisans et des militants sélectionnés dans les troupes de partisans et les organisations révolutionnaires de Mandchourie de l’Est, et il y était venu assister au cours.
La folie de la campagne anti-Minsaengdan ayant fait de nombreuses victimes parmi les jeunes patriotes coréens qui combattaient en sol étranger, ce fut une grande joie pour moi de le rencontrer, c’était comme si j’eus retrouvé un vieil ami à moi. Aussitôt après nous être présentés, nous entamâmes une conversation. Si j’ai bonne mémoire, celle-ci fut assez longue et sincère, bien que nous nous vissions alors pour la première fois.
Kwon me conta même sa séparation d’avec sa femme.
Et je lui dis, exprimant mon regret:
«Vous auriez mieux fait de lui dire des choses tendres. Elle aurait alors eu moins de chagrin.
—A quoi bon différer s’il faut en passer par là tôt ou tard? répliqua-t-il en hochant la tête en signe de négation.
—Pensez-vous toujours ne pouvoir retourner auprès de votre femme?
—Je ne souhaiterais rien de mieux que de rester en vie pour voir la patrie libérée et regagner mon pays natal, répondit-il sans changer de ton. Mais je n’en aurai pas la chance. Je n’ai nullement l’intention de rester en arrière dans le combat à outrance que nous livrons contre l’ennemi. Je tiens à me trouver toujours au premier rang dans le combat, ne fût-ce que pour venger mon père. Je dois soutenir cette guerre à mort à la tête des autres, et comment pourrais-je songer à survivre? Je n’espère pas avoir une telle chance.»
Quelle vérité austère ses paroles renfermaient-elles!
Comme en ont témoigné ses actions ultérieures, Kwon s’est toujours tenu en première ligne, là où l’engagement était le plus violent et le plus meurtrier, que ce soit sur le champ de bataille ou sur le front clandestin. Lors de l’expédition de Jiaohe du 2e régiment, il était secrétaire de la section du parti de la 2e compagnie de ce régiment. Le corps expéditionnaire avait failli à plusieurs reprises être anéanti, pris dans l’encerclement ennemi, et, chaque fois, il avait fait l’impossible avec ses compagnons d’armes, dont O Jung Hup, pour le sauver de la débâcle.
Ce fut également lui qui transmit pour la première fois mon message à Pak Tal, au-delà du fleuve Amrok, après avoir traversé le réseau de surveillance de l’ennemi si sévère et si redoutable, selon celui-ci, que même les c
Une autre raison qui nous avait fait le choisir comme candidat était qu’il avait déjà acquis une certaine expérience des activités clandestines dans la région de Jiandao dans la première moitié des années 1930.
L’un des avantages qu’il possédait à cet effet était son entregent. Il avait le don de plaire et de commander en douceur.
Aujourd’hui encore, Hwang Nam Sun (alias Hwang Jong Ryol) se souvient avec émotion du savoir-faire dont il avait fait montre pour gagner la sympat
Kwon commença son travail à son égard de façon tout à fait originale, bien à sa manière. Ayant appris qu’il ne daignait même pas s’entretenir avec les gens qu’il trouvait impertinents, il lui fit, à sa première rencontre, une profonde révérence. Il s’inclina profondément devant lui selon les règles de la politesse coréenne et lui dit: «Grand-père, je suis un pauvre journalier errant. J’ai appris que dans votre village on est très généreux, et je suis venu tenter ma chance. Je vous prie humblement d’être assez charitable pour me protéger et me guider.»
Très satisfait de ses politesses et fortement impressionné par sa personnalité, le vieillard déclara: «Que vous êtes poli! J’ignore quelle est votre ascendance, mais je vois que vous êtes bien élevé. Dans notre village, on est tous des gens comme il faut. Allons, essayons de vivre en bons termes. » Il l’invita même à partager son déjeuner. Aux yeux des nôtres, gagner ce vieillard était une tâche tout aussi ardue que celle de prendre d’assaut une hauteur. Mais, Kwon l’avait captivé par une seule révérence. Puis, sans grande difficulté, il avait rallié tout le village au service de la révolution.
Après avoir choisi Kwon comme responsable du comité du parti du district de Changbai, nous lui fîmes faire le tour du district pour y prendre connaissance de la situation.
Après un mois de voyage, il revint au camp secret.
Enfin, en février 1937, nous organisâmes, au camp secret du mont Heng, une réunion d’agents clandestins, dont Kwon, au cours de laquelle nous proclamâmes la constitution du comité du parti du district de Changbai, dont Kwon assuma en bonne et due forme les fonctions de responsable, et Ri Je Sun, celles de son adjoint. Il fut aussi décidé de former des organisations sectorielles et des groupes du parti sous le contrôle de ce comité.
Ce jour-là, j’entretins Kwon de la nécessité pressante d’élargir sa sphère d’action afin d’étendre les organisations du parti et celles de l’ARP en Corée, ainsi que des tâches de son comité du parti, à savoir fournir l’armée révolutionnaire en volontaires, persuader des fonctionnaires d’organismes ennemis et les affilier à nos organisations, engager les membres des organisations clandestines dans les reconnaissances militaires, etc.
Puis, je le fis partir pour les arrières ennemis, avec Hwang Nam Sun comme assistante; la mission l’exigeant, ils devaient se faire passer pour un couple. C’était aussi une mesure de sécurité pour eux.
Hwang Nam Sun avait fait de bonne heure l’expérience des activités clandestines. A l’âge de 15 ans, elle avait accompli une mission clandestine à Shirengou, dans un village appelé Chizanggu.
Un jour qu’elle donnait un coup de main dans une maison de paysans, elle eut la surprise de reconnaître, dans la cuisine de celle-ci, la marmite dont sa famille s’était servie dans la zone de guérilla de Fuyancun.
Comment se faisait-il qu’elle soit là? Le maître de maison ne l’aurait-il pas reçue d’une troupe «punitive» japonaise qu’il aurait accompagnée dans la zone de guérilla?
Torturée par cette pensée, Hwang ne put fermer l’œil pendant des nuits.
Mis au courant du fait, les militants de l’organisation clandestine du lieu voulurent expulser la famille du village, accusant ses membres d’être des mouchards. Mais Hwang les retint et se mit à s’en enquérir auprès des gens et finit par apprendre l’histoire de la marmite: une troupe «punitive» avait attaqué la zone de guérilla de Fuyancun, en avait incendié les maisons, détruisant tout ce qui se trouvait sur son passage, y compris les ustensiles de cuisine; et le paysan, maître de céans, forcé de suivre cette troupe avec sa charrette, avait ramassé la marmite qui traînait par terre, jetée par l’ennemi près d’une maison réduite en cendres. Les gens de cette famille qui avaient failli être chassés du village, accusés d’être des mouchards de l’ennemi, ne tardèrent pas à adhérer, qui à l’Association antijaponaise, qui à l’Association des femmes.
Cependant, Rim Su San qui avait été envoyé en mission avec Hwang Nam Sun à Chizanggu avait échoué dans son travail. C’était un homme assez fort en théorie et d’une belle prestance, mais il n’avait pas su gagner le cœur des masses, car il n’aimait pas se mêler à elles; il n’était qu’un pique-assiette à leurs yeux. Il restait assis à la turque chez un militant de l’association antijaponaise, se complaisait à donner des ordres au maître de maison et prenait chez lui trois repas par jour. Quand il sortait, ce qui lui arrivait très rarement, il déambulait, les mains croisées derrière le dos, et interrogeait les gens de façon brutale, faisant ainsi une impression désagréable à ses interlocuteurs aussi bien qu’aux tierces personnes. Finalement, ne réussissant pas à prendre racine parmi les gens de Chizanggu, il fut contraint de retourner dans la zone de guérilla.
Celui qui se considère comme un être exceptionnel, qualifié pour régner sur le peuple, finit par se voir abandonné par celui-ci. Celui qui ne se mêle pas aux gens, qui se tient comme une goutte d’huile sur l’eau ne peut gagner leur sympat
Lorsque j’expédiai en mission Kwon Yong Byok et Hwang Nam Sun dans le district de Changbai, nombreux étaient dans notre camp secret les agents clandestins venus de ce district. Je leur avais distribué les tâches à accomplir sur les arrières ennemis, et Kwon avait accepté les siennes sans aucune observation. Je n’avais cependant pas le cœur léger, car je savais que ses tâches étaient lourdes. La région de Changbai était très étendue, comprenant de nombreuses grosses agglomérations allant de Qidaogou (la 7e agglomération — NDLR) à Ershiwudaogou (le 25e — NDLR), et il n’était pas facile de la superviser même s’il avait été autorisé par les lois alors en vigueur à y accomplir le travail du parti. De plus, Kwon devait intervenir dans les affaires du mouvement révolutionnaire en Corée.
Avant notre séparation, nous invitâmes les agents clandestins qui s’apprêtaient à partir pour la région de Changbai à partager avec nous les morceaux de sucre de pomme de terre que les paysans de Diyangxi nous avaient envoyés à l’occasion du jour de l’an lunaire. A défaut de vivres, nous dûmes nous contenter d’en offrir un morceau à chacun sans pouvoir arranger un dîner. Pourtant, aujourd’hui encore, ce souvenir reste vivant dans ma mémoire.
«... C’est à vous que je confie la région de Changbai. Nous devons la contrôler ainsi que tout le reste de la région de Xijiandao si nous voulons bénéficier du soutien du peuple et assurer des réserves humaines à notre armée révolutionnaire. A moins de tenir en main la région de Xijiandao, nous ne pourrons pas effectuer d’opérations de grandes formations en Corée au-delà du fleuve Amrok. Nous passerons coûte que coûte opérer en Corée au printemps ou l’été prochains. Une fois sur les arrières ennemis, vous devez vous attacher à éduquer la population. Il est de votre devoir de la rallier à l’ARP tout en poursuivant la mise en place des organisations du parti. Ce n’est pas une tâche facile, mais tout dépend de vous, et je compte sur vous...»
Voilà ce que je dis à Kwon en le reconduisant.
Le jour où Kwon et les autres agents clandestins allaient partir pour leurs destinations, nous dûmes le matin livrer un combat inopiné, ce qui troubla leur départ.
Kwon Yong Byok passa d’abord chez Dashifu à Shiqidaogou puis chez Ri Je Sun à Ershidaogou, et arriva enfin sans accroc à Tuqidianli dans le secteur de Shiqidaogou, désigné par le Q.G. comme le théâtre de ses activités clandestines. Shiqidaogou, appelé aussi Wangjiagou du fait qu’un gros propriétaire terrien chinois du nom de Wang y exerçait une vraie tyrannie, est situé au beau milieu du district de Changbai. Cette situation favorisait la pénétration en Corée via Hoin et
En se faisant passer pour le neveu de So Ung Jin, renvoyé du chantier de construction du chemin de fer Kilju-
Kwon Yong Byok et Hwang Nam Sun, sous les faux noms de Kwon Su Nam et de Hwang Jong Ryol, commencèrent ainsi leur «vie conjugale» dans la petite maison que l’organisation avait louée pour eux. Kwon avoua plus tard qu’il lui avait souvent échappé d’appeler Hwang Nam Sun «camarade» suivant son ancienne habitude.
Kim Ju Hyon, à son retour de Shiqidaogou à la tête de son groupe de ravitaillement, nous fit savoir que les habitants de Wanggedong ne tarissaient pas d’éloges sur le nouveau «couple», et pour cause. Dès les premiers jours, ils se mirent à aider de leur mieux les villageois dans leurs diverses tâches.
Si, lors de ses tours dans le village pour sa mission, il apercevait une besogne qui traînait dans une maison nécessitant la force d’un homme, Kwon s’y attelait de lui-même, fendait du bois, hachait de la paille, balayait la cour. Si, chez quelqu’un, on célébrait un mariage ou des funérailles, il y allait donner un coup de main, piler le riz cuit pour en faire du gâteau ou tuer le cochon. Ceux qui l’avaient vu dépouiller un porc, le vider et le dépecer étaient unanimes à louer son habileté qui, selon eux, défiait celle du boucher. Aussi les villageois venaient-ils le chercher quand ils avaient à tuer un bœuf ou un porc.
En peu de temps, les deux combattants en mission clandestine avaient conquis, par leur bonne volonté et leur sincérité, le cœur des habitants. Cependant, ils se gardèrent de faire appel à l’aide d’autrui, tout en se faisant un devoir d’aider les autres. «S’il devient une charge pour d’autres, un militant clandestin peut se tenir pour dit qu’il a échoué dans sa mission», voilà ce que se disait Kwon, et il s’appliquait, tel un vrai paysan, aux travaux de son «ménage».
L’organisation de l’ARP du lieu, désireuse d’alléger un peu leur tâche, voulut, au début, leur fournir du bois de chauffage, mais Kwon refusa net. Il disait:
«Merci, mais il ne faut pas faire ça. Si vous faites du bois de chauffage pour le simple paysan que je suis, l’ennemi nous soupçonnera. Même si vous avez envie de nous prêter main-forte, vous devez vous en garder. C’est là la meilleure façon de nous aider. »
Les hommes de l’organisation clandestine inventèrent alors un autre moyen: au lieu d’apporter les fagots chez lui, ils les entassèrent à l’orée de son champ d’orge. Mais Kwon les reprit là-dessus également, ramassait lui-même son bois à brûler et transportait son fumier.
Pendant sa mission au village de Wanggedong, pas une seule fois Kwon ne s’était couché de bonne heure ni n’avait fait la grasse matinée. Dans d’autres localités non plus, il n’avait jamais dormi plus de 3 à 4 heures par nuit, dit-on.
Kwon partait souvent en voyage avec un baluchon d’aspect piteux sur le dos, et cela suscitait chez les gens non avertis le soupçon qu’il ne découchât par suite d’une mésentente conjugale. Il partait à pied, plusieurs fois par mois, pour se rendre à des dizaines de lieues, de Qidaogou dans le secteur de Xiagangqu à Ershiwudaogou dans celui de Shanggangqu. Le district de Changbai comptait beaucoup d’agglomérations, et il n’y en avait pas une seule qu’il n’eût visitée. Comment donc aurait-il pu dormir son content comme les autres?
Un jour qu’il était venu au camp secret rendre compte de son travail, je remarquai ses yeux congestionnés. Je le repris doucement: «Vous devriez vous ménager un peu. Est-ce que, par hasard, vous ne voudriez faire la révolution qu’un ou deux ans?» Et il me répondit que rien ne le réjouissait que le travail qu’il faisait pour étendre les organisations.
Grâce à son activité énergique ainsi qu’à celle de ses compagnons d’armes, des organisations clandestines du parti prirent pied dans presque toutes les agglomérations importantes du district de Changbai au début du printemps 1937. De nombreux groupes du parti, sections et sous-sections de l’ARP avaient vu le jour, sous sa direction, dont les rangs grossissaient rapidement. Des troupes de producteurs-partisans firent aussi leur apparition et opérèrent activement sous la protection et la direction des organisations du parti. Ce n’étaient donc pas les fonctionnaires du Mandchoukouo, mais les hommes de Kwon qui, la nuit, parcouraient librement la région de Changbai et y contrôlaient l’opinion publique.
Kwon aillait vivre des journées plus intenses encore. Plusieurs militants sûrs qu’il avait formés lui-même avaient été envoyés en mission en Corée. Le réseau d’organisations révolutionnaires clandestines de Shiqidaogou devint un centre de formation d’agents clandestins.
Kwon éduqua et entraîna la jeunesse dans le cadre de la troupe de producteurs-partisans qui était une organisation semi-militaire. Les jeunes et les adultes de cette troupe faisaient le jour des travaux agricoles et, la nuit, veillaient à la sécurité des organisations révolutionnaires clandestines. Ils se tenaient prêts à rejoindre la lutte armée le cas échéant.
Kwon suggéra aux maires de village, ceux qui étaient membres de l’organisation clandestine, de faire entrer dans les patrouilles de nuit du corps d’autodéfense des producteurs-partisans. Et ceux-ci se mirent à opérer, sous le titre légal de patrouille de nuit, en apparence pour le compte de l’ennemi, mais en fait pour protéger les organisations clandestines.
Sous la direction de Kwon Yong Byok, nombre de producteurs-partisans devinrent d’excellents combattants, dont C
Kwon qui connaissait bien le désir ardent qu’avait depuis longtemps C
Toujours probe, loyal, innocent dans sa vie privée, Kwon fit preuve d’une ingéniosité exceptionnelle pour donner le change à l’ennemi et protéger les camarades, les organisations et lui-même dès qu’il fut chargé de diriger le combat sur le front clandestin. Il avait infiltré les membres les plus actifs de l’organisation dans les organismes ennemis, où ils occupaient des postes importants dans un but de camouflage.
Afin de permettre aux maires de village affiliés aux organisations clandestines du parti et de l’ARP d’assister notre armée, en toute sécurité, en bénéficiant de la confiance de l’ennemi, il eut l’idée de leur distribuer des lettres signées par le chef intendant de l’ARPC; et ceux-ci les remirent au poste de police. Les lettres demandaient la fourniture à l’armée de guérilla de tels articles à telle date, avec un avertissement péremptoire que celui qui s’aviserait de prévenir la police ne tarderait pas à avoir son compte réglé.
Le chef de poste de police loua les maires qui l’en avaient informé. Or, un seul, celui du village de Wanggedong, ne vint pas lui en faire part. C’était voulu par le scénario de Kwon. Cette exception ne pouvait manquer d’attirer l’attention de l’ennemi. Un jour, le chef du poste de police de Banjiegou le convoqua dans son bureau, et, furieux, il tempêta: «Il semble que vous ayez des accointances avec les “bandits communistes”, nous en avons la preuve. Vous feriez bien de nous dire toute la vérité!
—Eh bien, répliqua celui-ci sans se troubler le moins du monde, montrez-la-moi, votre preuve. J’ai accepté d’être maire de village pour vous servir, au risque de recevoir dans ma peau une “balle rouge” de l’armée révolutionnaire, et je ne suis pas ravi de vous voir m’accuser d’“être d’intelligence avec les bandits”.
—Vous n’êtes pas honnête, rétorqua le chef du poste de police. Autrement, vous seriez venu nous rapporter quelque chose. Tous les autres maires de village sont venus, mais vous non. Vous obstinerez-vous à faire l’ignorant?» Là-dessus, il sortit de son tiroir une lettre du chef intendant de l’armée révolutionnaire.
Alors seulement, le maire sortit la sienne de dessous sa veste: «Bien sûr, moi aussi, j’en ai reçu un, de ces avertissements. Pourquoi l’armée révolutionnaire m’aurait-elle épargné? Mais non, la voici, la lettre que vous cherchez. Si je ne vous l’ai pas remise, c’était dans votre intérêt. Si je vous avais remis cette lettre, vous auriez dû prendre des mesures pour y parer, mais êtes-vous à même de le faire? Même les troupes “punitives”, fortes de plusieurs centaines d’hommes, ont été rudement éprouvées par l’armée révolutionnaire, et votre poste de police qui n’est pas si fort aurait-il le moyen de lui résister? Si je vous avais remis la lettre, cela n’aurait fait que vous embarrasser. Vis-à-vis de l’armée révolutionnaire, il faut se conduire avec prudence, de façon circonspecte. Quant à moi, je me débrouillerai moi-même, et vous, monsieur le chef, vous resterez à faire l’ignorant. »
Ces paroles touchèrent le chef du poste de police. De puis, celui-ci le crut en tout. Apparemment, le scénario de Kwon avait fait mouche.
Comme j’en ai fait l’expérience moi-même au cours de mes activités clandestines, c’est une entreprise qui exige une haute intelligence et un vif esprit d’initiative que de déguiser et de protéger ses camarades et son organisation, ainsi que soi-même.
Mais Kwon Yong Byok s’était acquitté à merveille de cette tâche difficile.
Au printemps 1937, à la veille de notre marche vers la patrie, nous organisâmes, par divers moyens, en collaboration avec la population, une reconnaissance dans la ville de Pochonbo. La tâche en fut assignée aussi à l’organisation du parti du district de Changbai.
Kwon Yong Byok qui comprenait mieux que personne l’importance de nos opérations de marche vers la patrie décida de s’en charger lui-même et hâta les préparatifs de son départ pour la ville.
Or, il lui fallait se trouver un prétexte pour quitter le village pendant plusieurs jours. S’il partait sans présenter de raison plausible, il pourrait susciter des soupçons, et même être filé. Du reste, qu’un paysan parte en voyage pour plusieurs jours au plus fort de la saison des grands travaux agricoles eût été peu raisonnable. Et cette fois aussi, il inventa un stratagème qui réussit.
Il fit partir un membre de l’organisation pour le chef-lieu du district de Changbai, d’où celui-ci devait lui expédier, par la poste, l’avis de la mort de son père. Le jour même, la dépêche arriva à son destinataire. Le facteur ayant colporté la «triste nouvelle», il se trouva que, sans parler des villageois, l’ennemi en eut connaissance.
Des vieux venaient chez Kwon lui apporter les offrandes d’usage et lui demandaient pourquoi il ne partait pas pour assister aux funérailles de son père. A sa réponse: «Parce que fermier, je crains de laisser mes champs sans maître pendant plusieurs jours, en pleine saison des travaux agricoles», les vieux l’exhortèrent à partir, en disant: «Rien n’est plus important que les obsèques d’un père. Nous nous occuperons de vos champs, et vous partirez.» Il quitta ainsi le village de Wanggedong sans éveiller de soupçons. Il accomplit la tâche de reconnaissance et vint me remettre les renseignements. Et je lui permis, cédant à ses instances, de participer à la bataille de Pochonbo.
Quand il fut de retour à Shiqidaogou après la bataille, l’organisation de son village avait tout arrangé pour le faire passer pour un «fils en deuil». Et, d’un air grave comme il seyait à quelqu’un revenant des funérailles de son père, il reçut en tenue de deuil les villageois qui venaient lui présenter leurs condoléances. Quels sentiments complexes et pénibles a-t-il dû éprouver alors, obligé de tromper les vieux de son village, ces gens si honnêtes et si simples!
Suivant toujours fidèlement la ligne d’action fixée par le Q.G., il réglait avec circonspection et habileté les problèmes auxquels il se heurtait dans ses activités clandestines, tantôt selon ses propres décisions, tantôt selon les conclusions énoncées par les instances supérieures, ce en fonction des circonstances. A l’époque, les liaisons avec le Q.G. étaient assurées par des moyens de communication peu commodes, dont les billets passés de main en main, car il n’y avait ni téléphone ni appareil de TSF. Et les militants clandestins étaient la plupart du temps obligés de régler eux-mêmes les problèmes, ne pouvant attendre pour consulter l’instance supérieure. Kwon Yong Byok ne rapportait au Q.G. que les questions d’importance touchant à la ligne d’action et nécessitant nos conclusions et réglait tous les autres problèmes lui-même après discussion avec les militants de l’organisation, puis il nous en rendait compte succinctement de l’organisation du travail et des résultats obtenus. Comme la localité où il travaillait et notre camp secret étaient séparés par une longue distance et que nous ne restions pas reclus dans le camp secret, il lui était pratiquement impossible de nous informer de toutes les affaires et d’attendre nos conclusions.
Conscient de cette situation mieux que personne, il évitait soigneusement de nous rapporter ce qui aurait pu ajouter à la charge du Q.G.; et si une telle question se posait, il préférait la taire comme si elle n’existait pas.
Pourtant, une fois, il me demanda mon avis. Il était question des mesures à prendre face à la construction par l’ennemi de villages de regroupement. Comme il l’avait fait en Mandchourie de l’Est, l’ennemi faisait construire de force dans la région de Xijiandao ce genre de villages afin de «séparer les bandits de la population». Or, la plupart des habitants de Changbai détestaient d’obéir. Il en allait de même pour Kwon Yong Byok. Une fois isolés dans les villages de regroupement, les paysans auraient une vie intolérable, et il leur serait très difficile de poursuivre leurs activités clandestines et leur assistance à l’armée de guérilla. Cependant on ne pouvait pas pour autant s’y opposer de front, d’autant plus que l’ennemi avait d’ores et déjà commencé à faire évacuer les habitants en incendiant les maisons de ceux qui rechignaient à partir pour les villages de regroupement. En cas de résistance, il ouvrait le feu. Quelle contre-mesure prendre? Kwon avait convoqué en session le comité du parti du district pour en discuter, mais sans parvenir à prendre de décision.
Je lui conseillai d’entrer dans les villages de regroupement: «Il est absurde de s’opposer à la construction de ces villages. Il faut y entrer, mais travailler à faire d’un mal un bien. Bien sûr, on aura alors bien des difficultés à poursuivre les activités. Toutefois, l’ennemi ne peut barrer les eaux d’un fleuve avec des barbelés ni couper le vent avec une muraille. Il ne peut jamais endiguer le courant de solidarité et d’assistance entre la population et l’armée de guérilla. Allez vivre dans les villages de regroupement, sans trop vous inquiéter.»
De retour chez lui, Kwon fut le premier à aller travailler sur le chantier de construction d’un village de regroupement à Guandaojuli. A son exemple, les plus récalcitrants firent du zèle à bâtir des logis, à élever des murs de terre. Selon ses directives, les membres de l’organisation clandestine firent semblant de soutenir la politique de l’ennemi. Ainsi, le village de regroupement de Guandaojuli fut le premier à être reconnu par la police du district comme «village paisible».
L’organisation clandestine de Shiqidaogou détenait tous les postes importants dans son village: So Ung Jin, chef du corps d’autodéfense, Song T
Le front clandestin que dirigerait Kwon s’étendait au-delà des limites de Changbai, jusque dans les profondeurs de la Corée, englobant les provinces du Hamgyong du Sud et du Nord et celle du Phyong-an du Nord. S’il a accompli des exploits dans l’armée, il a obtenu des succès non moins considérables sur le front clandestin périlleux, dans son effort de sensibilisation des masses populaires.
Dans une lettre qu’il m’avait fait parvenir par un agent de liaison en été 1937, il disait:
«Camarade Commandant, pour parler franchement, j’étais très navré de quitter les troupes, je me croyais alors relégué de la première ligne à la seconde. Je ne saurais vous exprimer la déception que j’éprouvais alors. Certes, j’avais souvent entendu dire que rallier les masses populaires à l’Association pour la restauration de la patrie revient à hâter la victoire de la révolution antijaponaise, mais je n’ai pu tout de même vous quitter facilement, j’avais le cœur gros quand vous m’avez serré la main pour me dire adieu. Pourtant, une fois que je me suis mis au travail ici, j’ai changé d’avis. Maintenant, je suis loin d’estimer que le front clandestin est la seconde ligne. Ce front est la première ligne. En voyant les organisations se multiplier et les gens faire des progrès au fil des jours, j’éprouve la joie de vivre dans le vrai sens du terme. Je vous remercie du fond du cœur, camarade Commandant, d’avoir fait de moi le propriétaire de ce jardin au sol fertile.»
En fait, ses paroles renfermaient une profonde vérité quand il disait qu’il éprouvait une grande joie à sensibiliser et à organiser le peuple. C’est là la grande tâche que les révolutionnaires n’ont pas le droit de négliger, ne fût-ce qu’un seul instant, car c’est justement de là que viennent la vitalité et l’invincibilité de notre révolution.
Si un révolutionnaire néglige ou délaisse ce travail de haute importance, il en verra son intégrité politique ternie, et il finira par cesser d’être un révolutionnaire.
Nettement conscient de cette vérité, Kwon se consacra corps et âme à cette tâche, et ce fut au cours de son combat pour cette cause qu’il tomba dans les mains de l’ennemi. En prison, ce qui l’affligeait le plus, c’était de voir s’écrouler les organisations, fruits de tant d’efforts consentis par ses camarades et lui-même. «Ce qu’il me reste à faire, se disait-il alors, c’est de défendre les organisations en sauvant ne fût-ce qu’un camarade de plus.»
Il décida de se faire un bouclier au service des organisations et d’arrêter autant qu’il le pouvait l’effusion de leur sang; il fit passer à Ri Je Sun un mot, un billet en lettres blanches (écrit non pas à la plume ou au stylo, mais à coups d’ongle).
«Imputez-moi tout!»
Ri Je Sun, lui, comprit sa décision et lui donna sa réponse:
«Ne faisons qu’un!»
Kwon comprit trop bien ce que voulaient dire ces mots laconiques.
Détenus dans des cellules différentes, ils ne purent plus échanger d’autre message, mais leurs cœurs battaient au même ryt
«Puisque seuls le Général, vous, le tojong (une des hautes dignités de la religion Chondo — NDLR), et moi savons que vous avez été au mont Paektu et ce que vous avez fait par la suite, taisez-vous, et l’ennemi, faute de preuves, ne pourra vous inculper.»
Voilà ce qu’avait dit Kwon à Pak In Jin, juste avant un interrogatoire au commissariat de police de
Au même moment, RiJe Sun adressait le même conseil à Ri Ju Ik.
Grâce à l’opération de secours qu’ils avaient entreprise en faisant preuve d’abnégation, Pak In Jin, Ri Ju Ik et autres détenus furent relâchés, sans être traduits devant le tribunal, ou reçurent des peines beaucoup plus légères que l’on ne s’y attendait. Et ils purent voir le jour de la restauration de la patrie. Les liens que Kwon Yong Byok avait entretenus avec les organisations de Changbai et de Corée et la direction qu’il avait exercée sur elles restèrent secrets, aucun traître n’ayant pu en révéler quoi que ce soit. Aussi les organisations et leurs membres furent-ils épargnés et, n’ayant pas subi de sérieux dégâts, purent continuer en cachette leurs activités. Cependant, pour sauver les organisations et ses camarades, Kwon avait dû se sacrifier, de même que Ri Je Sun, Ri Tong Gol, Ji T
Dans le train qui le transportait du commissariat de police de
«Monsieur le policier, achetez-moi, s.v.p., avec cet argent, des fruits et des biscuits. Puisque vous m’avez passé les menottes, c’est à vous de faire cette commission, bon gré mal gré, à la place des autorités japonaises. »
Les autres camarades fouillèrent aussi leurs poches pour y ajouter leurs 30 won.
Le policier s’exécuta sans murmurer.
Kwon distribua à ses camarades les fruits et les biscuits. En les mangeant silencieusement dans le train qui filait à toute vitesse, les cent et quelques prisonniers se sentirent envahis par un élan de tendresse fraternelle, et ils se communiquèrent ce sentiment, sans un mot, par leurs regards et leurs sourires. C’était plus qu’un festin de luxe, un régal que seuls des communistes pussent partager.
Etonnés de voir la grande amitié qui les unissait aussi étroitement qu’une famille, les policiers de l’escorte ne purent s’empêcher de s’exclamer:
«Quels étranges gens sont les communistes! Les voilà qui partagent tout en toute fraternité alors qu’ils vont être tous condamnés. Dites donc, est-ce bien le communisme qui vous fait agir ainsi?
—Oui, vous avez dit le mot, c’est la façon de vivre des communistes. Après avoir écrasé l’impérialisme japonais, nous bâtirons un pays où tout le monde vivra en bonne intelligence comme des frères.
—Mais, monsieur Kwon, les autorités ne vous le permettront pas. Vous finirez vos jours sur l’échafaud.
—Moi, je périrai, mais mes camarades resteront et ils ne manqueront pas de bâtir un tel pays. »
Cette déclaration, il la répéta une fois encore devant le tribunal; il dit:
«Nous ne sommes pas des criminels, mais des combattants patriotes, les véritables maîtres de la Corée; nous avons entrepris une grande guerre contre le Japon pour chasser les brigands de Japonais de notre pays et donner à notre peuple une vie libre et heureuse. Qui donc oserait nous juger? N’est-ce pas vous qui êtes de vrais criminels, qui devriez être jugés?Vous êtes des voleurs, des assassins de la pire espèce qu’on n’ait jamais vus dans l’histoire. Vous avez envahi notre pays, vous massacrez notre peuple et pillez ses biens. Le jour viendra sans faute où l’histoire fera justice: elle nous exaltera d’avoir combattu pour la nation, et elle vous enterrera. »
Au moment où l’armée soviétique progressait vers l’ouest, libérant les pays petits et faibles d’Europe orientale, où l’armée américaine bombardait furieusement les rues de Tokyo, en les couvrant de feu, où l’ARPC, accélérait, dans la région du mont Paektu et dans la base d’entraînement de la région extrême-orientale de l’Union soviétique, accélérait les préparatifs de ses dernières opérations contre le Japon pour libérer sa patrie, Kwon Yong Byok périt sur l’échafaud dans la prison de Sodaemun à Séoul, au cri de «Vive la révolution!» Son unique enfant, âgé d’une quinzaine d’années, tirait alors une charrette de fumier dans les rues de Chongjin.
Quand la grande Guerre de libération de la patrie eut éclaté en été 1950, je fis un séjour de quelques jours à Séoul pour diriger les affaires dans les régions libérées de la moitié sud de notre pays. Puisque c’était la première fois que je me rendais dans cette ville, j’avais envie de visiter plus d’un endroit, mais je me dirigeai d’abord vers cette fameuse prison, où bon nombre de mes amis et camarades avaient versé leur sang. Lors de leur entrée en ville, les combattants de l’Armée populaire avaient forcé le portail de la prison avec un char de combat pour en libérer les détenus.
Cette prison tristement célèbre incarnait à mes yeux les crimes perpétrés par les impérialistes japonais. C’était là qu’avaient été exécutés Kwon Yong Byok, Ri Je Sun, Ri Tong Gol, Ji T
«Je quitte ce monde en y laissant un fils. Si j’ai encore un vœu à formuler, c’est qu’il continue l’œuvre de son père quand il sera devenu grand. »
Voilà les dernières volontés que Kwon Yong Byok avait laissées à ses camarades de prison.
Lorsque je fus sorti dans la rue après avoir fait le tour de la prison, j’eus l’impression que cette parole résonnait à mes oreilles comme le son d’une cloche. N’est-ce pas là une parole que seuls des révolutionnaires qui ont vécu une vie méritoire comme lui peuvent prononcer? Aujourd’hui encore, je me la rappelle de temps à autre.
6. Des épisodes dignes d’intérêt
C’était vers la fin de mai 1937. De retour à Changbai à la tête de mes troupes après l’expédition de Fusong, je me consacrais, à proximité du village de Xinxingcun, à la préparation de la marche vers la patrie. Un jour, accompagné de mon ordonnance, je me mis en route pour aller au village appelé Jichengcun, situé non loin de Xinxingcun. Le village nous était connu depuis l’hiver de l’année de notre transfert dans la région du mont Paektu.
Depuis notre retour à Changbai, nous accordions beaucoup d’attention à la sensibilisation des masses: tantôt je rencontrais des hommes qui apportaient au camp secret du ravitaillement, tantôt je convoquais à des rendez-vous secrets ou à des rendez-vous intermédiaires les personnes que j’avais besoin de voir, tantôt je me rendais moi-même dans les agglomérations pour me mêler aux masses. Tout cela m’avait permis de me faire une idée des dispositions de la population, de sonder la mentalité de l’ennemi et d’éveiller la conscience des masses populaires.
J’avais visité de nombreux villages dans la région de Changbai. Lors de ma première visite à Jichengcun, j’y avais séjourné trois jours, temps suffisant pour connaître ses habitants, car c’était un petit hameau paisible comptant à peine une dizaine de familles paysannes. Nous travaillâmes à éduquer les habitants et causâmes avec les militants arrivant de Corée.
Une fois, nous avions arrêté dans ce village un espion japonais, du nom de Tanaka, qui circulait, déguisé en chasseur; c’était un agent secret rusé et expérimenté, spécialement formé par les services secrets japonais qui l’avaient infiltré dans la région de Changbai. Né et élevé en Corée, il parlait le coréen aussi couramment que les Coréens et connaissait si bien les mœurs et coutumes de ceux-ci que les habitants de Shijiudaogou et d’Ershidaogou avaient été à cent lieues de se douter de sa nationalité japonaise alors que celui-ci rôdait, pendant des mois, un fusil de chasse sur l’épaule, à travers toute la région de Changbai. Or, l’organisation clandestine de Jichengcun finit par l’identifier.
Je logeais chez un vieillard nommé Jang, les pièces chez lui étant assez vastes et ses moyens économiques assez aisés. Et, tous les soirs, je voyais les vieillards du village se réunir chez lui pour bavarder. Ils venaient là, une pipe sous leur ceinture, et bavardaient jusqu’à minuit, racontant d’anciennes histoires, commentant les événements, donnant leur opinion sur Minami (gouverneur général japonais en Corée — NDLR), sur le Mandchoukouo, etc.; tous des gens sans instruction, leur analyse de la situation n’en était pas moins correcte, cette faculté prodigieuse devant tenir, sans doute, à l’éveil précoce de la conscience politique chez un peuple privé de son indépendance.
Un jour, au coucher du soleil, un jeune paysan qui pouvait avoir une trentaine d’années, le crâne rasé, vint avec les vieillards chez le vieux Jang. Il avait l’air candide et naïf, ce qui contrastait avec son allure et sa prestance qui faisaient penser à un lutteur de catégorie supérieure.
Très souvent, les hommes de cet âge se vantent de connaître le monde comme leur poche. Lors des bavardages du soir dans les villages de campagne, leur voix l’emportait sur les autres: ils faisaient fi des opinions des jeunes de moins de 20 ou de 30 ans, les qualifiant de morveux, qui sentaient encore le lait de leur mère, et se moquaient souverainement des conseils des vieux entre 50 et 70 ans, déclarant que leurs propos puaient le féodalisme.
Or, ce jeune homme, blotti derrière les vieillards, se contentait de m’écouter. Quand les vieux se mirent à parler, à ma demande, des conditions de vie dans leur hameau, il ne s’en mêla pas non plus. Il ne faisait qu’arborer un sourire bon enfant, plutôt niais, chaque fois que les vieillards me posaient des questions peu faciles: «Combien d’hommes combattent sous les ordres du Commandant Kim au mont Paektu? — Est-il vrai que les partisans possèdent des mitrailleuses? — Dans combien d’années le Japon s’écroulera-t-il? — De quoi le père du Commandant Kim s’occupe-t-il?» Quand son regard croisait le mien, il baissait hâtivement la tête et se repliait plus encore sur lui-même derrière les vieillards.
Des fois, il avait l’air de vouloir me questionner, mais aussitôt, comme s’il eût été découragé, il paraissait se raviser. Les mouvements de son visage me faisaient penser à ceux d’un sourd-muet. Son manque d’assurance et son malaise m’intriguaient et me gênaient.
M’informant des conditions de vie des villageois, j’interrogeai exprès le jeune homme, qui ne sortit toujours pas de son mutisme.
Les vieux, embarrassés, lui lancèrent des regards de reproche, et l’un d’entre eux répondit à sa place:
«Général, cet homme est valet de ferme. Vieux garçon, il vit seul. Il s’appelle Kim Wol Yong. Tout ce qu’il sait sur son compte se ramène à ceci: il est originaire du Sud. Il ne connaît rien de son pays natal ni de ses parents. Il se dit âgé d’environ 30 ans, mais personne ne sait au juste.»
Ainsi, quand on perd son identité, on perd même la faculté de s’exprimer. Il avait été si maltraité qu’il s’en trouvait abruti au point de ne pouvoir répondre aux questions des autres.
Je me rapprochai de lui et lui pris les mains; elles étaient calleuses, les articulations noueuses, déformées par les labeurs. Son dos était voûté comme un arc, ses vêtements tombaient en lambeaux. S’il avait voulu se cacher derrière les vieillards, ce devait être à cause de sa tenue de gueux. Or, malgré sa grande timidité, n’avait-il pas osé venir s’asseoir dans la pièce où logeait, il le savait, le Commandant des partisans? Cela prouvait à suffisance qu’il avait des opinions à lui et qu’il était parfaitement capable de pensées profondes. Je lui en sus gré.
Quand je lui demandai depuis quand il était valet de ferme, il répondit: «C’était depuis ma tendre enfance...» puis il se replongea dans le silence. Son parler donnait à penser qu’il était originaire de la province du Jolla. Un grand nombre de gens du Jolla habitaient alors la Chine du Nord-Est, surtout la région de Xijiandao. Les impérialistes japonais avaient forcé des dizaines de milliers de paysans coréens à émigrer dans cette région de Chine sous prétexte de «colonisation collective». C’était en vertu de leur «politique de transfert de paysans coréens en Mandchourie», tristement célèbre, par laquelle ils visaient à s’accaparer de vastes étendues de terres cultivables en Mandchourie.
Une fois les vieillards partis, je demandai à Jang, maître de maison:
«Pourquoi cet homme-là ne s’est-il pas encore marié?
—C’est parce qu’il est valet de ferme depuis son enfance. C’est un homme sincère et honnête, mais personne ne veut lui donner sa fille à cause de son état, et il vit seul et peine beaucoup. Cela fait pitié à voir. Le petit garçon que vous voyez là est traité en homme, parce qu’il est marié...»
Le vieux Jang indiqua de la main une porte tendue de papier et garnie vers le milieu d’un petit morceau de vitre grand comme une feuille de ca
Or, à peu de temps de là, dans nos troupes également, nous aurions des «petits maris» de ce genre.
Par exemple, Kim Hong Su, partisan originaire de la région de Changbai, s’était marié à moins de dix ans. Sa petite taille semblait d’ailleurs justifier en quelque sorte son sobriquet de «petit mari».
Je me sentis envahi autant par la colère que par le chagrin devant ce contraste frappant: un homme d’environ 30 ans resté célibataire et un enfant d’environ dix ans marié.
Or, à tout bien considérer, leurs situations se valaient, tous les deux étant victimes de l’époque funeste. Cependant, j’éprouvai plus de compassion pour le vieux garçon que pour le «petit mari», le second ayant quand même une épouse et des jouissances.
Cette nuit-là, je ne pus m’endormir à la pensée de Kim Wol Yong. Je ne pus m’apaiser, je voyais devant moi l’image de cet homme qui avait vécu la moitié de sa vie dans le malheur. Son existence était à l’image de celle de mon pays qui traversait des buissons épineux; sa vie précaire était, en miniature, celle de la Corée sous l’occupation japonaise.
Cette nuit, l’envie me prit de lui trouver une épouse. Je me disais: «Comment pourrais-je restaurer ma patrie si j’étais incapable d’aider un homme à fonder un foyer!»
On comptait dans notre armée révolutionnaire bon nombre de vieux garçons. Or, le fait était qu’ils avaient laissé passer l’âge de se marier, engagés dans une lutte armée de longue haleine dont le triomphe appartenait encore à un lointain avenir. Du reste, la guérilla était la forme de lutte la plus dure, la plus éprouvante, supposant beaucoup de sacrifices. Forme de guerre mobile par excellence, elle avait une sphère d’action illimitée et impliquait des conditions de vie très dures: manque de vivres, de vêtements et de gîte. Pour les gens ordinaires, il était donc inconcevable et impossible de se marier dans ces conditions. Aussi la plupart des partisanes avaient-elles confié leurs enfants à leurs beaux-parents ou à des voisins avant de partir rejoindre la guérilla. Certes, on rencontrait dans les troupes de partisans également des couples enrôlés ensemble, mais leur vie conjugale n’était que nominale. Les forces extérieures nous avaient contraints à mener ainsi une vie anormale.
Les impérialistes japonais avaient bouleversé la vie normale de la nation coréenne, excepté pour une poignée de projaponais, de traîtres à la patrie. Une fois la souveraineté nationale foulée aux pieds, la vie qui florissait sur le sol de la patrie avait été flétrie. Il n’en était plus rien resté, ni la liberté, ni les droits, ni les conditions de vie dignes de ce nom, ni les mœurs traditionnelles, bref tout ce qui était nécessaire à l’existence de l’homme. Les Japonais détestaient de voir le peuple coréen se nourrir convenablement, vivre dans l’aisance et jouir d’une vie digne de l’homme. Ils s’évertuaient à le réduire à l’état d’animaux domestiques, de bêtes de somme, d’où leur politique d’obscurantisme. Cela ne les souciait pas le moins du monde que les enfants coréens d’âge scolaire ne puissent fréquenter l’école, que les mendiants et les sans-logis battent le pavé, que les garçons et les jeunes filles en âge de se marier ne puissent le faire à cause de la vie chère, que les maris et les femmes peinent dans la montagne, au lieu de connaître les délices de la vie conjugale.
Mais c’était là pour nous un sujet du plus vif intérêt. Admettons que nous n’ayons pas réussi à fonder une famille pour des raisons majeures. Mais qu’est-ce qui empêchait les vieux garçons comme Kim Wol Yong de se marier? Peut-on leur défendre de fonder un foyer sous prétexte que le pays est ruiné?
Je n’avais pas encore vingt ans que je m’étais déjà mêlé de quelques mariages; c’était à l’époque de mes activités dans le cadre du mouvement des étudiants et autres jeunes, puis à celle de la lutte clandestine.
D’abord le mariage de Son Jin Sil, fille aînée du pasteur Son Jong Do que j’ai déjà évoqué brièvement dans mes Mémoires tome 2. C’était tout à fait par hasard que je m’étais trouvé mêlé à ce mariage.
Or, cette histoire avait un temps défrayé les conversations de la communauté coréenne de Jilin. Et, quand je me rendis chez moi à Fusong pendant les vacances, ma mère me rappela tout comme mes camarades d’études de Jilin l’adage des Anciens: la réussite d’un mariage vaut trois verres d’alcool à son promoteur, et son échec, trois soufflets.
J’avais gravé ce conseil dans ma mémoire.
Jusque-là, certains de mes camarades considéraient l’amour et le mariage comme un brin de sentimentalisme petit-bourgeois; tous les rêves sans rapport direct avec la révolution, les études et le travail étaient jugés mesquins. La Corée étant ruinée, et les Coréens réduits en esclavage, il était de mauvais ton de parler d’amour; l’indépendance nationale n’étant pas recouvrée, où trouver le loisir de penser à l’amour? Du reste, quelle joie pouvait-on éprouver à l’amour? C’est ainsi qu’ils raisonnaient. Position extrême dans une certaine mesure. Mais à voir certains nationalistes et même certains communistes de l’ancienne génération se tracasser ou, pire encore, abandonner les rangs des révolutionnaires, à cause de l’amour ou de la famille, cette position devenait plus solide. D’autre part, en voyant nombre de collègues mariés se désintéresser de leurs études pour ne se préoccuper que des affaires de leur ménage, les «extrémistes» se raffermissaient dans leur opinion.
Or, la ruine du pays n’exclut nullement l’amour. Même dans un pays ruiné, la vie évolue suivant sa loi, et l’amour éclôt comme il veut. A l’âge du mariage, un garçon et une jeune fille tombent amoureux l’un de l’autre, fondent une famille et mettent au monde des enfants, tout en disant: «Heureux sont ceux qui n’ont pas d’enfant!» C’est la vie.
J’avais vu nombre de mes camarades, membres de l’UAI (l’Union pour abattre l’impérialisme—NDLR), tombés amoureux l’un de l’autre, se torturer ou s’exalter, se séparer ou s’unir. Kim Hyok aima Sung So Ok, engagé qu’il était dans la révolution; Ryu Pong Hwa, folle d’amour pour Ri Je U, se donna corps et âme à la révolution en suivant son exemple. Sin Yong Gun, militant de l’Union de la jeunesse communiste, prit pour épouse An Sin Yong, membre actif de l’Union de la jeunesse anti-impérialiste. C
L’amour ne fit pas obstacle à la révolution; au contraire, il y encouragea; il en était le moteur. J’ai déjà dit, en évoquant l’expédition de Mandchourie du Sud, que C
Tous ces faits permirent à mes camarades de se faire enfin une idée juste de l’amour, du mariage et de la famille. Ils finirent par comprendre que, même marié, on peut servir la révolution si on le désire vraiment, que la famille et la révolution ne s’excluent pas l’une l’autre, mais se trouvent en étroite liaison, la première pouvant constituer une source de patriotisme et d’esprit révolutionnaire. Voilà la conception de la famille qu’ils finirent par adopter.
A Wujiazi, j’avais arrangé le mariage de Pyon Tal Hwan. Responsable de l’organisation de l’union des paysans de Wujiazi, il était très occupé, devant militer et, en même temps, cultiver sa terre. Son père et lui étaient veufs.
Par son âge, Pyon Tal Hwan appartenait à la génération de Ri Kwan Rin. Quand je voyais cet homme qui appartenait à la génération de mon père retirer, de sa grosse main, les grains de sable mêlés au riz dans une calebasse ou s’affairer avec un pot ou une cruche pour puiser de l’eau, je ne pouvais m’empêcher d’éprouver de la compassion. Aujourd’hui, on voit souvent des jeunes gens de 30 ans vivre paisiblement, sans se soucier de se marier. Si, inquiets de leur célibat, les voisins leur conseillent de se marier, ils répondent d’un ton nonchalant: «Merci, ne vous inquiétez pas. On se mariera plus tard.» Voilà ce qui est aujourd’hui entré dans l’usage, dit-on. Cependant, à l’époque de nos activités au sein du mouvement des étudiants et autres jeunes, les jeunes filles considéraient les hommes de 30 ans comme des vieux et ne voulaient pas les épouser.
Pyon Tal Hwan était très bien de sa personne et avait un cœur d’or. Pour peu qu’il l’ait voulu, il aurait pu se remarier avec une jeune fille. Mais jamais il n’y pensait. Le voyant si indifférent à ce sujet, son père Pyon Tae U aurait dû le presser, mais, non, le vieux, lui non plus, ne savait que faire. Ce fut donc moi qui choisis, par pitié, une femme douce pour lui.
Par la suite, Pyon Tal Hwan fit preuve de plus de zèle dans le travail de l’union des paysans. Pyon Tae U et autres personnes influentes de Wujiazi ne tarissaient pas d’éloges sur nous: les jeunes de Jilin, eux qui étaient d’ardents révolutionnaires, disaient-ils, étaient aussi d’excellents humanistes. Le règlement du problème de la famille de Pyon Tal Hwan avait facilité notre travail dans ce village. Ainsi, jamais le mariage ne nuit à la révolution.
Voilà pourquoi j’étais toujours sensible à l’amour et à l’amitié entre les gens.
Voici ce qui s’était passé alors que nous opérions dans la zone de guérilla, à Wangqing. Un jour, partis de Xiaowangqing, nous marchions en direction de Gayahe, accompagnés de la compagnie d’O Paek Ryong. Alors que celle-ci franchissait une côte, nous aperçûmes une jeune fille inconnue qui venait à notre rencontre, la tête légèrement inclinée. Elle aperçut à son tour notre troupe et s’arrêta: elle nous regarda, un sourire aux lèvres. Puis, comme la compagnie s’approchait d’elle, elle passa à vive allure, les yeux baissés. Sa physionomie et sa démarche dénotaient une grande élégance pour une jeune fille rurale.
La compagnie continuait sa route, lorsqu’un partisan à la queue de la colonne se retourna pour regarder en arrière. Puis il reprit sa marche, la tête baissée, l’air méditatif. La colonne n’avait pas avancé d’une centaine de mètres qu’il se retournait de nouveau pour regarder du côté où la jeune fille avait disparu. Ses yeux exprimaient une tristesse et un regret profonds.
Je le pris à part et lui demandai à voix basse, à l’oreille:
«A quoi pensez-vous, camarade? A la jeune fille qui vient de passer, n’est-ce pas? Elle doit être quelque chose pour vous.»
Son visage s’éclaira à l’instant même d’un large sourire. C’était un homme franc et au caractère ouvert.
«C’est ma fiancée, dit-il. Depuis mon engagement, je ne l’ai pas revue. Et elle a passé en coup de vent, la tête baissée. Si elle avait eu la tête levée, elle m’aurait vu en uniforme. » Sur ce, il tourna de nouveau la tête dans la direction où sa fiancée avait disparu. L’envie me prit de l’aider.
«Allez tout de suite la rejoindre. Présentez-vous en uniforme à votre fiancée, et échangez vos souvenirs. Elle en sera très contente. Je vous en donne le temps. Le temps de vous dire tout ce que vous avez à vous dire entre vous. Nous vous attendrons dans le village d’en bas.»
Ses yeux se mouillèrent de larmes de joie et, sur un cri de remerciement, il s’éloigna en coup de vent. Je fis faire halte à la compagnie au village suivant. 30 minutes avaient à peine passé qu’il revint et voulut me rapporter ce qui s’était passé. Je voulus l’en empêcher, mais il s’obstina et me dit:
«En me voyant en uniforme, elle a dit que j’avais beaucoup changé. Et elle m’a promis de travailler mieux en tant que future femme d’un partisan. Et je lui ai dit: “Me voilà engagé dans la révolution, et je combattrai jusqu’au jour de l’indépendance de la Corée. Vous êtes donc la future épouse d’un combattant de l’armée révolutionnaire. Si vous voulez mériter pleinement ce titre, vous devrez adhérer à une organisation et soutenir la révolution.”»
Par la suite, ce partisan combattit avec courage, et sa fiancée adhéra à une organisation révolutionnaire locale, milita activement. Comme on le voit, l’amour est une source d’enthousiasme, de force créatrice, de pigments qui colorent et embellissent la vie.
Avant notre départ de Jichengcun, je dis au vieux Jang:
«J’ai une prière à vous faire. La nuit dernière, je n’ai pu dormir à la pensée de Kim Wol Yong. Et je vous prie de lui choisir une épouse et de célébrer ses noces, en collaboration avec les vieux du village.
—Excusez-moi, Général, de vous avoir causé du souci avec ce problème. Rassurez-vous, nous nous chargerons de son mariage», me répondit-il, profondément ému.
Les vieillards de Jichengcun tinrent leur promesse.
L’organisation locale de l’Association pour la restauration de la patrie me fit savoir sans tarder que Kim Wol Yong allait bientôt se marier avec une brave jeune fille. C’était le vieux Kim du village de Jolgol, dans le secteur de Shibadaogou, qui lui donnait sa fille.
La nouvelle que je m’étais inquiété du mariage d’un vieux garçon du village de Jichengcun avait gagné Shibadaogou au-delà d’Ershidaogou, et le vieux Kim s’était rendu à Jichengcun pour discuter du problème avec le vieux Jang. Il avait dit que, puisque c’était l’homme du mariage duquel le Général Kim se préoccupait, il lui donnerait sa fille. C’est ainsi que le mariage fut arrangé sans difficulté. Le vieux Kim était, il faut le dire, un brave homme.
La famille du vieux Kim, vivant de culture sur brûlis sur une montagne, était pauvre, mais elle voulut assumer les frais des noces des deux côtés. Or, les tuteurs du jeune marié s’y opposaient, et on devait célébrer le mariage chez le vieux Jang à Jichengcun.
J’ordonnai à Kim
Celui-ci accepta mon ordre d’assez mauvaise grâce et resta là, au lieu d’aller s’exécuter:
«Mon Général, devons-nous vraiment lui envoyer des présents de noces?
—Bien sûr, et pourquoi cette question? répliquai-je, étonné. Cela vous contrarie?
—Nos compagnons d’armes se marient avec seulement un bol de riz. A franchement parler, je n’ai pas envie de faire des cadeaux. Combien de nos camarades tombés au champ d’honneur n’avaient célébré leur mariage qu’avec un bol de riz? Le mariage, on le célèbre une seule fois dans la vie. »
Je comprenais son affliction; mon ordre d’envoyer des cadeaux de noces à un inconnu lui avait rappelé le souvenir de ses camarades pour le mariage desquels il n’avait pu faire rien de mieux, malgré lui, que de donner un petit bol de riz.
«Moi aussi, j’ai le cœur gros à cette idée, dis-je. Cependant, camarade
Le jour même, Kim
«Mon Général, il serait bon que nous envoyions désormais des cadeaux de noces à tous les mariés de Xijiandao.»
J’appris, plus tard, par le partisan qui avait accompagné Kim
Au récit de Kim
Quelle chose singulière que l’amitié et rattachement! J’avais vu Kim Wol Yong une seule fois; j’avais échangé à peine quelques mots avec lui. Son silence, son visage sans expression et sa grande innocence rendaient difficile la conversation avec lui. Qu’est-ce qui donc chez lui m’attirait si fort? Mystère.
Il n’avait rien de particulier. S’il y avait quand même quelque charme chez lui, c’était son innocence immaculée comme une neige fraîchement tombée, nullement souillée par quoi que ce soit. De toute façon, je brûlais du désir d’aller le voir.
Ce jour-là, le vieux Jang me conduisit chez Kim Wol Yong. Celui-ci habitait une ancienne grange désaffectée qu’on avait réparée et modifiée. A mon vif regret, le jeune marié était allé dans la montagne faire du bois. Sa jeune femme, la fille du vieux Kim, m’accueillit avec empressement. Elle n’était pas très belle, mais elle avait cet air brave et généreux, digne de la première bru d’une grande famille. Elle avait un caractère ouvert. Cette femme fera bon ménage avec son mari, pensai-je.
«Je vous remercie d’avoir bien voulu donner votre main à Wol Yong. Je vous prie de transmettre mes respects à votre père.
—Non, c’est plutôt nous qui devons vous remercier, dit-elle en s’inclinant profondément. Comme tout le monde le veut, je tâcherai de bien tenir le ménage de mon mari.
—Je vous souhaite à tous deux longue vie et prospérité.»
Pendant que je causais avec elle, mes camarades fendirent du bois et l’empilèrent devant la maison.
La rencontre avec la femme de Kim Wol Yong soulagea mon cœur. Je quittai le village de Jichengcun, convaincu que les époux vivraient heureux toute leur vie comme un couple de canards mandarins. Cette visite eut un vif retentissement; on en parlait encore quand, plus tard, mes troupes montèrent sur la colline Konjang pour prendre d’assaut Pochonbo.
La nouvelle de nos démarches pour le mariage d’un valet de ferme et de l’envoi par nous de cadeaux de noces à ce dernier se répandit rapidement à travers toute la région de Xijiandao. Elle raffermit la confiance qu’avaient les masses populaires en l’armée révolutionnaire populaire; et les quantités et la variété du ravitaillement qu’elles nous envoyaient dans notre camp secret s’en trouvèrent accrues au fil des jours.
Un vieillard qui habitait la banlieue du chef-lieu de Shisandaogou nous avait envoyé le millet de rizière qu’il avait mis de côté pour la noce de son deuxième fils; à mon grand étonnement, celui-ci même qui devait célébrer son mariage deux jours plus tard et son frère aîné vinrent trouver la troupe de partisans, avec sur leur dos le millet en question. Nous refusâmes poliment de l’accepter, mais ils ne voulurent pas céder. Ils nous implorèrent de le prendre, car, s’ils rentraient avec le millet, disaient-ils, leur père les mettrait à la porte. Nous ne pûmes insister davantage.
Nous ne savions pas comment ce jeune homme, Kim Kwang Un de son nom, s’était débrouillé par la suite pour célébrer son mariage; il avait dû avoir beaucoup de peine à se procurer le riz nécessaire. Je regrette aujourd’hui encore de ne leur rien avoir donné en retour lorsque je me séparai d’eux sur le plateau de Fuhoushui.
Depuis notre départ de la région de Xijiandao, je n’ai jamais revu Kim Wol Yong.
Je n’ai pas revu non plus Son Jin Sil11 après mon départ de Jilin. J’avais appris par ouï-dire qu’elle faisait des études aux Etats-Unis. Mais je ne savais rien sur sa vie de famille après son mariage. Toutefois, je lui souhaitais le bonheur du fond de mon cœur.
Je n’ai pas de toute ma vie oublié Son Jin Sil, Pyon Tal Hwan et Kim Wol Yong. On aime, me semble-t-il, ses amis, ses camarades et ses disciples à raison de l’affection qu’on leur a témoignée.
Son Jin Sil est morte aux Etats-Unis. A la nouvelle de son décès, je présentai mes condoléances à Son Won T
Kim Wol Yong vivrait longtemps, car il était en bonne santé.
7. La mère des partisans
Parmi les partisanes qui ont combattu à mes côtés au mont Paektu pendant de longues années, endurant mille souffrances, il y en avait une appelée «mère». Jang Chol Gu de son nom, elle était membre de l’équipe de cuisiniers du Q.G. Dans mes troupes, qui comptaient plusieurs dizaines de partisanes, dont de nombreuses cuisinières, elle seule était appelée par ce surnom.
Elle était notre aînée d’environ dix ans, différence d’âge qui aurait dû faire qu’on l’appelât «sœur» ou «camarade». Mais non. Moi aussi, je l’appelais «mère Chol Gu». Le «Vieux à la pipe», beaucoup plus âgé qu’elle, l’appelait aussi ainsi, ce qui provoquait des rires.
Elle fut membre de l’équipe de cuisiniers du Q.G. depuis le printemps 1936, époque où j’avais jeté au feu, au mont Maan, tous les documents concernant ceux qui avaient été accusés d’être du Minsaengdan.
Et c’était parmi ces documents que Kim Hong Bom m’avait donnés à examiner que j’avais appris son nom pour la première fois. Son dossier était écrit, je ne sais pourquoi, à l’encre rouge.
On y lisait: son mari, permanent du parti au district de Yanji, accusé d’être membre du Minsaengdan, a été exécuté il y a deux ans; Jang Chol Gu était accusée de l’être à son tour pour avoir enterré à dessein des vivres afin d’affamer les partisans quand elle était présidente de l’Association des femmes à Wangyugou, dans le district de Yanji, et pour avoir commis d’autres «crimes» encore.
Le fait que son document était écrit à l’encre rouge et que c’était une femme entre deux âges, portant un nom plutôt masculin, avait suffi pour retenir mon attention.
Son apparence même la distinguait des autres: sa taille très petite et ses sourcils si clairsemés qu’on aurait cru qu’elle n’en avait pas.
Jang Chol Gu avait pris part à la révolution par amour pour son mari. Elle aimait tellement son mari qu’elle admirait tout ce qu’il faisait. A la demande de celui-ci, elle colla des tracts, transmit des billets, cacha des personnes chez elle, apprit à lire et à écrire, participa à des réunions secrètes. Ce faisant, elle finit par rejoindre la révolution.
Or, son mari en qui elle avait tellement confiance et qu’elle adorait tant fut injustement accusé d’être du Minsaengdan et exécuté. Jang Chol Gu, elle aussi, arrêtée à Wangyugou où elle militait, fut détenue dans une prison où l’on jetait les gens suspects d’appartenir au Minsaengdan. Le «camarade Wang» qui était venu une fois chez elle avec son mari pour manger du millet de rizière et du kimchi de fenouil qu’elle avait préparés avec soin, hélas! cet homme l’avait frappée à coups de bâton en la saisissant par les cheveux. Pourtant, les partisans et les habitants de l’endroit n’approuvèrent pas qu’on l’exécute. Heureusement, elle put échapper à la mort, mais elle ne put se laver des soupçons qui pesaient sur elle.
Je déclarai non fondés les soupçons que faisaient peser sur les innocents des bourreaux qui cherchaient à déshonorer la révolution et à les assassiner; et je la nommai membre de l’équipe de cuisiniers du Q.G.
Dès que Jang Chol Gu se fut chargée de la cuisine du Q.G., notre ordinaire en fut sensiblement amélioré. Elle avait le talent de préparer en peu de temps de la sauce ou de la pâte de soja et du kimchi.
Les hommes d’aujourd’hui ne me croiront pas si je dis qu’on pouvait apprêter en un ou deux jours la sauce ou la pâte de soja fermenté. On grillait le soja à petit feu et le laissait macérer dans de l’eau tiède jusqu’à ce que l’eau soit devenue brune, puis, après en avoir retiré le soja, on y ajoutait du sel, et on faisait mijoter l’eau. Voilà pour la sauce de soja. Mis dans un pot tenu au chaud, le soja cuit fermente. Le soja fermenté, puis salé et bouilli, c’est ce qu’on appelle sokjang (pâte de soja fermenté non réduit en poudre—NDLR). Cette pâte a le même goût que la soupe aux myongt
Le sokjang et le kimchi de pimprenelle que Jang Chol Gu apprêtait étaient nos plats favoris et pouvaient alors égaler même ceux des festins de gala.
Elle savait aussi extraire de l’huile comestible des germes de maïs qu’elle avait fait griller au préalable.
Une fois, mon ordonnance Paek Hak Rim tomba gravement malade. D’ordinaire, il avait bon appétit, avalant et digérant même de l’aubier d’arbre, mais, une fois malade, il ne voulait pas toucher à quoi que ce soit, pas même à la bouillie de maïs, disant que cela lui donnait la nausée. Jang Chol Gu fouilla dans la neige à la recherche d’herbes comestibles séchées, en cueillit certaines, les fit tremper dans de l’eau, puis les blanchit et les fit rissoler avec de l’huile de maïs. Ce plat permit à Paek Ham Rim de recouvrer son appétit.
Jang Chol Gu était la «mère» des partisans au vrai sens du terme. Lorsque la troupe partait combattre, elle glissait furtivement de la croûte de riz dans la poche des jeunes partisans.
Sans parler des jeunes ordonnances comme C
Ri O Song, benjamin de ma troupe, était «monopoleur de la croûte de riz»: Jang Chol Gu tenait à lui plus qu’aux autres.
Quand elle voyait ce benjamin rôder au loin, elle ne manquait pas de s’approcher de lui, un morceau de croûte de riz caché sous le pan de sa jupe, pour le lui glisser dans la poche, et celui-ci le partageait immanquablement avec les jeunes partisans de son âge.
Voyant cela, je me disais: voilà comment la femme devient l’être le plus proche et le plus cher à ses enfants. Elle veille toute sa vie à leur nourriture et à leur habillement et prend soin d’eux; c’est une des tâches majeures qui reviennent aux femmes. La mère, c’est la protectrice la plus attentive qui se préoccupe mieux que quiconque de nourrir et d’habiller ses enfants.
C’est en remplissant cette mission avec dévouement que Jang Chol Gu était devenue notre «mère» à nous tous.
Pour préparer le repas du lendemain, elle épluchait des légumes sauvages, moulait, vannait jusqu’à la nuit noire, alors que nous autres, nous dormions à poings fermés. Quand elle devait piler du riz, en pleine nuit, elle sortait le faire dehors, sous la tempête de neige.
Elle passait le plus clair de son temps devant l’âtre, devant le feu, et ses vêtements s’en trouvaient abîmés plus rapidement que ceux des autres.
Lors d’une séance récréative organisée au camp secret, elle fut invitée à chanter devant ses compagnons d’armes qui désiraient la voir chanter pour la complimenter pour son habileté au chant aussi bien que pour son art culinaire. Ils l’attendaient avec impatience en applaudissant, lorsque, au grand étonnement de l’assistance, elle se leva d’un bond et s’enfuit dans la forêt.
Je pris sa défense:
«Cela n’a rien d’étonnant. Si elle n’a pas osé chanter en public, ce sera sans doute à cause de sa tenue peu présentable. Comme vous devez l’avoir vu, elle porte des vêtements rapiécés en plus de dix endroits. Imaginez donc l’embarras qu’elle a dû éprouver à se montrer devant vous dans une telle tenue.»
Tous furent d’accord. En effet, plus tard, Jang Chol Gu avoua elle-même que c’était à cause de sa tenue qu’elle s’était sauvée.
Profitant d’une occasion qui me fut donnée alors que je conduisais un détachement dans une mission de combat, je fis acquérir un coupon de tissu pour elle. J’ordonnai à un partisan de choisir un tissu de bonne qualité sans regarder au prix, et celui-ci acheta de la cotonnade grise très fine qui convenait très bien aux femmes entre deux âges. Des partisanes qui s’y connaissaient bien en tissu l’examinèrent et en apprécièrent la qualité, ce qui me rassura.
Jamais je n’avais offert de robe à ma mère. Le mal (un mal équivaut à environ 14 kg—NDLR) de riz que je lui avais laissé avant mon départ pour l’expédition en Mandchourie du Sud alors qu’elle souffrait dans son lit de malade dans sa chaumière perdue au milieu d’une roselière de Xiaoshahe, c’étaient mes camarades qui l’avaient acquis pour elle. La seule chose que j’aie achetée pour elle était une paire de chaussures en caoutchouc; je l’avais achetée à Badaogou avec l’argent qu’elle m’avait envoyé pour me permettre d’acheter des chaussures de sport. Ma mère avait quitté ce monde sans jamais bénéficier du soutien de son fils. Elle reposait maintenant, solitaire, au bord de la rivière de Xiaoshahe, sans avoir eu droit même à une poignée de terre répandue sur sa tombe par son fils ni à une larme versée par lui.
Sur le chemin du retour, avec le tissu à donner à la mère Jang Chol Gu, je pensais à celle-ci autant qu’à ma mère qui avait eu le malheur de se trouver privée du soutien de son fils, de son vivant autant qu’après sa mort.
Or, à mon retour, je ne trouvai plus Jang Chol Gu: en mon absence, elle avait été mutée, sur les ordres de Kim Ju Hyon, à l’hôpital de l’intendance. Personne ne savait pourquoi, et sa mutation chagrina tous mes hommes et moi-même.
A l’époque, dans notre troupe, le chef intendant supervisait les équipes de cuisiniers, celles de couturières, l’hôpital, la fabrique d’armes et les autres services de l’intendance. Rien d’étonnant donc à ce que, à ce titre, Kim Ju Hyon ait envoyé ailleurs une personne de l’équipe de cuisiniers.
Mais la question était de savoir quel motif il avait eu de la muter à l’hôpital de l’intendance d’autant qu’elle était estimée et aimée de tous pour le dévouement qu’elle mettait à sa tâche de cuisinière du Q.G.
J’en demandai la raison à Kim Jong Suk qui était avec Jang Chol Gu au camp secret, mais elle n’en savait pas grand-chose, elle non plus.
«C’est sans doute à la demande de l’hôpital ou pour d’autres raisons majeures. La mère Chol Gu a quitté le camp secret en pleurant. Elle en a été tellement affligée que nous en avions nous aussi le cœur gros.»
Kim Jong Suk s’essuya les yeux en me racontant son départ. A la voir pleurer, je devinai que la séparation avait été pénible pour les autres cuisiniers aussi.
Je ressentis à mon tour un serrement de cœur comme si je venais de me séparer d’un être très proche. J’en vins à en vouloir à Kim Ju Hyon: s’il était nécessaire de l’envoyer à l’hôpital de l’intendance, il aurait pu le faire après mon retour; j’aurais pu alors lui offrir tout au moins un nouveau costume.
Cependant, je frémis de colère en entendant Kim Ju Hyon s’expliquer:
«Je me suis dit qu’il ne fallait laisser travailler que des personnes sûres, irréprochables, auprès de vous, Commandant, après l’affaire de la hachette.»
C’était là le motif de la mutation de la mère Jang. Qu’il ait décidé, après cette affaire, de redoubler de vigilance pour mieux protéger le Q.G., c’était à apprécier. Kim Ju Hyon était un modèle pour toutes les troupes pour le soin avec lequel il veillait à la sécurité du Q.G. Aussi lui accordais-je une confiance et une affection particulières.
A l’automne 1936, année marquée par des enrôlements massifs dans l’armée de guérilla dans toute la région de Xijiandao, nous avions formé plusieurs nouvelles compagnies avec de jeunes volontaires, puis nous avions organisé au camp secret de Heixiazigou un entraînement accéléré pour ces recrues en y envoyant des instructeurs militaires. Or, parmi celles-ci se trouvait caché un espion armé d’une hachette et de sachets de poison, chargé d’attenter à ma vie. Jeune paysan candide, n’ayant aucun motif de se faire mouchard de l’ennemi, il avait été dupé par le machiavélisme de l’ennemi. Un jour, des soldats ennemis en uniformes de combattants de l’armée révolutionnaire populaire avaient fait irruption chez lui et fait du boucan à la manière des «bandits». Ils avaient tout raflé chez lui, l’argent qu’il avait gagné en vendant du bois de chauffage pour acheter des médicaments à sa mère malade, les céréales, les poules et le reste. Plus tard, un vaurien expédié par l’équipe de pacification japonaise apparut chez le jeune homme accablé de malheur, pour le consoler, dit-il; il s’évertua à l’enjôler, à le dresser contre les communistes, puis il le menaça pour qu’il acceptât sa demande. C’est ainsi qu’il se fit, malgré lui, un valet de l’ennemi contre la révolution et finit par s’infiltrer dans notre troupe.
Personne ne se doutait qu’il était un espion à la solde de l’ennemi. Rien de suspect: il avait caché quelque part à proximité du Q.G. la hachette qu’il avait apportée cachée sous sa ceinture.
Un jour que j’étais en visite au camp secret de Heixiazigou, j’avais appris que les combattants des nouvelles compagnies trompaient leur faim, depuis des jours, avec des feuilles de chou.
Ils avaient rejoint l’armée de guérilla, déterminés à surmonter toutes les peines, mais, ayant quitté il y avait à peine quelques mois leur maison, ils n’avaient pas encore la trempe suffisante pour surmonter de telles difficultés; aussi, si on négligeait leur formation idéologique, y avait-il risque de les voir se laisser aller ou flancher. C’est pourquoi je convoquai les recrues le soir même.
«...Loin de la maison confortable où vivent vos parents, votre femme et vos enfants, vous grelottez de froid ici en plein air, vous assouvissez votre faim avec des feuilles de chou, et il peut vous arriver de vaciller. Mais, jeunes hommes qui avez juré de libérer le pays, vous devez tenir et venir à bout de toutes ces difficultés si vous voulez réaliser l’objectif sacré que vous vous êtes assigné. Aujourd’hui, nous sommes aux prises avec mille difficultés, mais, une fois la patrie libérée, nous connaîtrons la joie et la fierté d’avoir combattu. Notre but est de mettre en place, dans la patrie libérée, sur sa terre de trois mille ri, un Etat populaire où il fera bon vivre, c’est-à-dire un paradis populaire où il n’y aura ni exploiteur ni exploité, où tout le monde mènera une vie heureuse, en jouissant tous de droits égaux. Nous voulons mettre en place un Etat centré sur les masses populaires: le peuple y sera maître des usines et des terres; l’Etat se chargera de la nourriture, de l’habillement et du logement de tout le monde, de même que de l’instruction et des soins médicaux à donner à chacun. Quand ils viendront en visite chez nous, les hommes du monde entier nous porteront envie...»
Parmi les recrues se trouvait ce jeune homme qui nous avait été envoyé en mission secrète. Or, en m’écoutant, il avait compris qu’il s’était trompé et qu’il avait failli faire du mal à un homme au bon cœur; il se décida donc à se dévoiler, à se livrer à la justice, quitte à se voir puni.
Une fois cette détermination prise, il leva son masque et exposa devant nous la hachette et les sachets de poison. Nous eûmes l’indulgence de l’absoudre, car il avait avoué de lui-même.
Cette affaire avait semé l’alarme parmi les commandants de notre armée. Chacun en avait tiré une leçon à sa manière. Certains d’entre eux en vinrent à préconiser des mesures plus rigoureuses pour la sécurité du Q.G.; d’autres proposèrent plus de rigueur lors de l’examen des candidats à l’enrôlement pour empêcher l’infiltration d’éléments douteux et malsains dans les rangs des partisans; d’autres encore insistaient pour qu’une lutte de masse soit engagée contre les laquais de l’ennemi et les réactionnaires pernicieux dans toute la région de Xijiandao de sorte qu’aucun espion, aucun mouchard ne puissent s’approcher de notre camp secret.
Kim Ju Hyon avait réfléchi à ce sujet plus que les autres.
«J’ai ressenti alors, me dit-il, la grande nécessité de resserrer la surveillance à l’intérieur comme à l’extérieur pour la sécurité du Quartier général. On ne peut pas dire que l’ennemi opère seulement au-dehors, et non au-dedans. On ne peut pas non plus affirmer que l’ennemi n’entretient pas de relations avec les éléments réactionnaires ou hésitants glissés dans nos rangs. Pour cette raison, j’ai décidé de ne pas laisser travailler auprès du Quartier général les personnes aux antécédents équivoques. »
D’après lui, quiconque était soupçonné, comme c’était le cas pour Jang Chol Ou, d’être du Minsaengdan n’était pas qualifié pour être cuisinier du Q.G.
Je ne pus plus y tenir. Comment pouvait-il se montrer si froid, si dur envers cette femme candide et loyale qui faisait tant d’efforts pour la révolution? D’autre part, le fait même que lui, d’ordinaire si généreux et si attentif à tout, ait commis une erreur aussi grave m’indignait. Je me pris à le fustiger sans ménagement:
«...Je vous suis reconnaissant pour le soin que vous avez eu de veiller à ma sécurité.
«Pourtant, aujourd’hui, je dois vous critiquer, et sévèrement. Quant à la mère Jang Chol Gu, vous n’avez pas tari d’éloges sur elle pour sa loyauté, son dévouement et sa générosité. Alors comment se fait-il que votre confiance en elle se soit aussi subitement évanouie?
«Elle nous tenait lieu de mère, de sœur à nous tous. Qui nous a préparé trois repas par jour avec toujours une soupe chaude? C’est elle. Si elle était une femme de mauvaise foi, nous ne serions plus de ce monde. Elle aurait trouvé de nombreuses occasions de nous faire du mal si elle l’avait voulu. Or, nous voilà tous sains et saufs, nous qui avons mangé le riz qu’elle avait cuit. N’est-ce pas là une preuve suffisante de sa loyauté, de son innocence, un démenti donné aux soupçons portés contre elle?»
Plus tard, Kim Ju Hyon m’avoua que c’était la première fois qu’il avait reçu une critique aussi virulente.
En effet, jamais je ne pus m’imaginer que Kim Ju Hyon ait pu commettre une erreur aussi absurde. C’était un cadre militaire et politique qui avait derrière lui une longue carrière de révolutionnaire. Lui et moi, nous avions mangé du riz dans une même marmite, discuté ensemble de notre travail et partagé en tout les mêmes idées et une même volonté. Jamais je ne pus comprendre comment lui qui saisissait toujours correctement et mieux que quiconque la ligne que je proposais et mes intentions ait pu manifester une telle indifférence qui confinait à la cruauté, en décidant du sort d’un être humain, et passer outre aux obligations de la morale communiste.
Je poursuivis:
«...Plus de six mois se sont écoulés depuis que nous avons brûlé au mont Maan les documents de ceux qui étaient accusés d’être du Minsaengdan, la plaie faite à leur cœur allait maintenant se cicatriser, et voilà que vous avez eu la cruauté de la rouvrir. Si elle était descendue de la montagne, Jang Chol Gu aurait pu, si elle l’avait voulu, se remarier et avoir une vie paisible et confortable dans une maison bien chauffée. Mais elle a préféré partager la vie dure de maquisard avec nous. C’est parce qu’elle est décidée à soutenir la révolution jusqu’au bout et qu’elle croit en nous. En l’expulsant du Q.G., vous lui avez fait croire que notre confiance en elle n’était qu’une façade. Est-ce que nous serions de ces êtres mesquins qui tentent de ranger les gens de leur côté en feignant de leur faire confiance quand cela paraît profitable, mais qui les rejettent sans hésitation au moment du péril? La confiance exclut toute affectation...»
Le jour même, Kim Ju Hyon partit pour l’hôpital de l’intendance et ramena Jang Chol Gu; le lendemain, il pressa les couturières de lui confectionner son costume.
Cependant, Jang tenait à distance Kim Ju Hyon, bien qu’elle s’appliquât à exécuter les tâches qu’il lui donnait. Quand il lui arrivait de le rencontrer dans un sentier du camp secret ou dans la cuisine, elle le saluait, sans lui adresser de parole. Et, si elle avait, pour le travail, à s’adresser à lui, elle envoyait d’autres cuisiniers à sa place.
Elle n’était pas restée beaucoup de jours à l’hôpital. Néanmoins, elle ne pouvait oublier ces jours d’humiliation et d’affliction, et elle en eut pendant longtemps le cœur gros.
La méfiance a une action néfaste sur les rapports humains. Elle provoque une rancœur qui peut durer toute une vie et détruire en un instant une amitié de dix ans.
Jang Chol Gu fut nommée de nouveau cuisinière au Q.G., ce dont tout le camp secret se réjouit.
La qualité de notre cuisine s’améliora d’emblée. La même bouillie de maïs devint plus délicieuse. Mais elle n’était pas un cordon-bleu. C’était son grand dévouement qui en relevait le goût.
Elle travaillait plus dur. Elle n’hésitait pas à faire une dizaine de lieues pour se procurer des choses qui pourraient convenir à notre goût. Un jour, j’avais goûté des bouchées de riz enroulées dans des feuilles de cacalie chez Ri Hun, de passage à Shijiudaogou. Ces bouchées que j’avais mangées pour la première fois dans ma vie m’avaient semblées plus savoureuses que celles enroulées dans des feuilles de laitue. De retour au camp secret, j’en parlai à la mère Jang, comme cela, en passant, et elle se rendit à notre insu à Shijiudaogou, à des lieues de là, pour rapporter sur sa tête quantité de cette plante potagère. Plus tard, nous découvrîmes cette plante au camp secret du mont Paektu.
Jang Chol Gu dormait toujours tant bien que mal près de sa cuisine de fortune humide, sur des feuilles et des branches d’arbre ramassées: à la longue, elle en eut le bras droit paralysé. Pour comble de malheur, elle attrapa la typhoïde.
Nous l’envoyâmes dans la vallée de Wudaoyangcha, dans le district d’Antu, pour la faire soigner. Pak Jong Suk et Paek Hak Rim l’accompagnèrent alors à titre d’«infirmiers». Plus tard, Kim Jong Suk, elle aussi, alla soigner la malade. Ils se donnèrent beaucoup de peine pour la faire guérir. Un jour, accompagné de Ji Pong Son, chef de mes ordonnances, je me rendis à Wudaoyangcha la voir dans sa hutte.
Elle guérit après des dizaines de jours de soin, mais son bras droit resta à jamais paralysé, ce qui l’empêchait de faire la cuisine et, plus encore, de manier le fusil. Dès qu’elle eut pris conscience de son état, elle se mit à se tourmenter à l’idée qu’elle ne serait qu’une charge pour la troupe. Après réflexion, elle décida de quitter la troupe pour ne pas être à la charge de ses compagnons d’armes. Au début de 1940, nous évacuions en Union soviétique les infirmes, les vieux et les débiles hors d’état de combattre, quand Jang Chol Gu se joignit à eux.
Avant de dire adieu à Kim Jong Suk, elle lui passa au doigt sa bague en argent, celle qu’elle avait toujours portée, en disant qu’elles se reverraient sans faute le jour de l’indépendance de la Corée. Or, cette promesse ne fut pas réalisée: elle reçut à l’étranger la nouvelle de la mort de Kim Jong Suk. La bague en argent que Kim Jong Suk avait reçue d’elle est aujourd’hui exposée au Musée de la Révolution coréenne.
Parmi les cuisiniers qui étaient avec Jang Chol Gu au Q.G., il faudrait citer un Chinois nommé Lian Hedong. Il était très fort en cuisine chinoise, et, si Jang Chol Gu était une cuisinière consciencieuse, celui-ci était un vrai cordon-bleu. C’est en hiver 1936 qu’il survint dans mes troupes.
Sitôt après son enrôlement, il s’était mis à apprendre les recettes de la cuisine de guérilla auprès de Jang Chol Gu, qui, à son tour, s’était initiée aux secrets de la cuisine chinoise grâce à l’aide de celui-ci. Cette collaboration les avait rapprochés.
Le départ de Jang Chol Gu attrista profondément Lian Hedong. Il apprêta des mets chinois pour en remplir le havresac de celle-ci qui regrettait également la séparation.
Voici l’histoire peu commune de l’enrôlement de ce cuisinier de talent dans mes troupes. Le principal héros en avait été Ma Jindou, un musulman, qui, au mépris des prescriptions de l’islam, buvait de l’alcool et mangeait du porc. Il avait été mon camarade d’études au Lycée Yuwen de Jilin et à l’école primaire de Badaogou.
Parmi les personnes avec lesquelles j’étais lié à l’époque de ma vie à Badaogou, bon nombre m’avaient laissé des souvenirs inoubliables. Li Xianzhang, par exemple, fils du chef du poste de police de Badaogou, était très lié à moi. Lui et moi avions fréquenté ensemble l’école primaire de Badaogou. Son père était un des familiers de l’officine de mon père. Les jours de fête, il venait chez moi avec des cadeaux, pour rendre, disait-il, à mon père ses bienfaits.
Quand je combattais à la tête des troupes de partisans dans la région de Xijiandao, j’entretins le contact, par l’intermédiaire de Li Xianzhang, avec le nouveau chef du poste de police de Badaogou qui avait succédé à son père, lui aussi, homme consciencieux comme son prédécesseur. Comme promis, il avait fermé les yeux sur le transport du ravitaillement que le peuple envoyait à l’armée révolutionnaire. Et nous avions attaqué presque toutes les agglomérations du district de Changbai, sauf Badaogou.
De même qu’il avait un caractère original, Ma Jindou avait eu une vie privée peu commune. Il se maria à l’époque de ses études secondaires, d’emblée, à deux femmes, deux sœurs.
Au début, il aimait l’aînée et se fiança à elle. Or, la cadette qui lui transmettait les billets de sa sœur tomba amoureuse de lui et malade de désespoir, au point que leurs parents vinrent le prier de prendre à la fois leurs deux filles pour femmes. C’est ainsi que Ma Jindou devint, lui qui était déjà riche en argent, riche en épouses.
Je ne savais pas ce qu’il était devenu depuis mon départ de Jilin à ma sortie de prison.
Or, par un caprice du sort, il devint mon ennemi, et je le retrouvai sur le champ de bataille, l’hiver de l’année de notre transfert dans la région du mont Paektu.
Ma Jindou commandait alors une troupe «punitive» de la police fantoche mandchoue à Erdaojiang, un des centres de l’expédition «punitive» de l’ennemi, le plus proche de notre camp secret de Heixiazigou. Y cantonnaient également des centaines d’hommes de la troupe «punitive» du 74e régiment de Hamhung de l’armée japonaise.
Certes, j’étais à mille lieues de m’en douter, quand nous attaquâmes, en automne de la même année, Erdaojiang pour la deuxième ou troisième fois. Mes hommes perquisitionnèrent chez le chef de la troupe «punitive» ennemie qui avait pris la fuite et me ramenèrent son épouse qui s’était cachée, un revolver à la main, avec son cuisinier. A mon grand étonnement, je reconnus en elle la cadette des deux femmes de Ma.
J’avais été invité à leur mariage à Jilin, et je la reconnus tout de suite. Elle aussi me reconnut. Quelle rencontre dramatique!
A ses dires, Ma Jindou était père de quatre enfants, deux fils mis au monde par elle, deux filles, par son aînée. Elle me dit: «Mon mari se souvient aujourd’hui encore de vous, M. Kim Song Ju, lorsqu’il évoque les années de Jilin. Et comment se fait-il que vous soyez là avec la bande des “bandits communistes de Kim Il Sung”?» Elle ne savait pas que Kim Il Sung était le Kim Song Ju d’autrefois.
Je lui dis:
«...Je suis ce Kim Il Sung que vous accusez d’être “chef des bandits communistes”. Nous ne sommes pas des bandits, mais l’armée révolutionnaire qui combat contre l’impérialisme japonais, ennemi commun des peuples coréen et chinois. Je vous prie de transmettre mes amitiés à votre mari. Je lui conseillerais sincèrement, et par amitié d’ancien camarade d’études, de ne pas entrer dans ce combat sans issue pour lui, mais de l’éluder autant qu’il le pourrait, et, si c’est difficile, s’il est contraint de prendre part à l’expédition “punitive”, de faire semblant de combattre. Nous ne frappons, parmi les troupes mandchoues, que celles qui résistent. Pour celles qui ne le font pas, nous les traitons avec magnanimité. Je ne désire pas voir Ma Jindou servir de pare-balles aux Japonais ni le voir tomber frappé d’une balle de l’armée révolutionnaire; à tout bien considérer, il doit rester notre ami et ne pas être notre ennemi...»
Elle me répondit que son mari aussi savait que la «bande de bandits communistes de Kim Il Sung» ne tirait pas au hasard sur l’armée mandchoue. Le commando de l’armée révolutionnaire populaire, chargé d’opérer un raid nocturne dans le camp ennemi, avait eu soin de n’attaquer que les tentes de l’armée japonaise, épargnant celles de l’armée fantoche mandchoue, lors de la bataille à l’orée de Heixiazigou. Mis au courant du fait, les chefs des troupes «punitives» japonaises, excédés, déversèrent leur bile sur les officiers mandchous qui avaient pris part à la bataille et les firent tous fusiller.
Si Ma Jindou l’avait échappé belle, c’est qu’il n’avait pas pris part à cette expédition «punitive», prétextant une grippe. Cet incident devait avoir conduit Ma à se faire une idée claire de notre conduite vis-à-vis de l’adversaire.
«Je comprends maintenant pourquoi, me dit-elle, les troupes de Kim Il Sung se montrent si magnanimes envers l’armée mandchoue. Nous savons bien que M. Song Ju accorde un grand prix, depuis ses années d’école, à l’amitié coréo-chinoise et qu’il se comportait très bien avec ses camarades d’école chinois. Mon mari en parle souvent. Je vous remercie pour le soin que vous avez eu d’épargner mes compatriotes, autant que pour la générosité que vous témoignez à l’égard de l’armée mandchoue. Je tâcherai de persuader mon mari de ne pas braquer son fusil sur l’armée révolutionnaire. Il y réfléchira sérieusement quand il aura appris que le Commandant Kim Il Sung n’est autre que M. Kim Song Ju d’autrefois. »
Je demandai à l’épouse de Ma Jindou de persuader son mari de ne pas trahir sa patrie et de ne pas souiller son nom devant l’histoire. Puis avant de quitter Erdaojiang, je la fis renvoyer avec son cuisinier.
Celui-ci vint alors nous prier, refusant de suivre la femme de Ma, de l’admettre dans notre armée de guérilla. C’était Lian Hedong. Il me suppliait de le prendre dans notre armée révolutionnaire, disant qu’il en avait assez des querelles fréquentes qu’avaient les deux femmes qui se disputaient le mari.
«J’ai entendu mon chef Ma Jindou parler souvent de M. Kim Song Ju, me dit-il. Maintenant que je sais que Kim Song Ju n’est autre que vous-même, le Général Kim Il Sung, je ne veux pas vous quitter. Je vous prie de me permettre de combattre dans vos troupes jusqu’à la fin de ma vie.»
J’acceptai sa demande. A cette époque-là, Wei Zhengmin se faisait soigner au camp secret de l’intendance du mont Heng, et j’étais ravi de trouver pour lui un cuisinier car Kim Ju Hyon et moi étions désolés de n’avoir pas de cuisinier versé dans la cuisine chinoise, pouvant satisfaire son goût.
Je fis travailler Lian Hedong pour un temps auprès de Wei Zhengmin, qui ne tarda pas à en apprécier les qualités qui défiaient celles d’un cuisinier de grand restaurant.
Lian Hedong fit la cuisine pour nous pendant de longues années, jusqu’en septembre 1945 avant notre retour triomphal dans la patrie après la défaite de l’impérialisme japonais. C’était un cuisinier de rare talent qui savait préparer divers plats exquis avec des ingrédients ordinaires. Il portait toujours sur son dos une grande marmite lors de nos déplacements, disant que le riz devait être cuit dans une grande marmite pour avoir bon goût.
Ce fut dans la première moitié des années 1940, lorsque nous cantonnions dans la base d’entraînement près de la frontière soviéto-mandchoue: nous effectuions souvent des manœuvres conjointes avec les troupes chinoises et soviétiques, et l’art culinaire de Lian Hedong était alors si bien connu que même les commandants soviétiques, sans parler des commandants chinois, fréquentaient avec plaisir la cantine de mes troupes.
Un jour, ayant goûté des plats chinois préparés par Lian Hedong, Zhou Baozhong nous demanda, en plaisantant, de lui céder Lian, et An Kil feignit d’y consentir.
Lian prit cette plaisanterie au sérieux et vint me voir, désolé: «Est-il vrai que vous voulez m’envoyer dans une troupe de Chinois?
—Je ne sais pas au juste à quelle troupe on va vous affecter. Mais me voilà fort embarrassé puisque beaucoup vous convoitent. Les Soviétiques, eux aussi, vous demandent. S’ils vous réclament avec insistance, vous devrez aller les rejoindre. »
A ces mots, il sursauta.
Les yeux fixés sur moi, il refusait d’aller rejoindre les troupes tant chinoises que soviétiques.
Après la défaite du Japon, je compris que ce n’étaient pas des paroles en l’air. Avant notre retour dans la patrie, je le convoquai pour lui communiquer, après avoir cité les actes méritoires qu’il avait accomplis en exécutant un dur labeur pendant environ dix ans, la décision de l’organisation du parti de le muter dans les troupes de Zhou Baozhong qui avait promis de le nommer chef de régiment.
Mais il m’implora de l’emmener en Corée:
«Je ne peux pas vivre séparé de vous, Général. Ce n’est pas parce que je suis Chinois que je dois rester en Chine. Je ne désire ni le poste de chef de régiment ni un autre. Tout ce que je vous demande, c’est de me laisser travailler auprès de vous, Général. Ni les baïonnettes des Japonais ni le vent violent de la Mandchourie n’ont pu relâcher les liens d’amitié qui m’unissent à vous. Et comment peut-on maintenant oser les renier sous prétexte de nationalités différentes?»
Ses paroles me touchèrent profondément. Il avait raison. Ses paroles résumaient la conception que se font de la vie ceux qui n’hésitent pas à verser leur sang, ceux qui connaissent le prix de chaque larme versée et sont prêts à tout supporter pour leurs compagnons d’armes sur le chemin de la révolution. Comme il l’a dit, l’homme vit d’amitié, et non pas des charmes du paysage de l’endroit. Ce sont l’humanité et l’amitié qui avaient rallié les combattants antijaponais en une grande famille au fond de la forêt antique du Paektu et dans les plaines de la Mandchourie. Sans l’humanité, sans l’amitié, le paysage n’aurait pas de charme.
Ses implorations traduisaient son noble esprit internationaliste.
Je ne désirais pas moi non plus l’envoyer ailleurs. Je lui déclarai enfin: «Vous êtes libre d’agir comme bon vous semble. Vous pouvez rester si vous y tenez. Est-ce que je veux me séparer de vous, moi? Je ne fais pas cas des différences de nationalité. Je crains seulement que vous ne vous trouviez dans une position délicate. Comme vous le savez bien, la Chine est à la veille d’une guerre civile et, pour soutenir la révolution chinoise, nous avons promis à Zhou Baozhong d’expédier de nombreux combattants coréens, dont Kang Kon et autres cadres politiques et militaires. Ainsi les Coréens partent se battre pour la révolution chinoise, et si, vous, un Chinois, vous vous détournez de la révolution de votre pays, pour aller vivre en Corée, votre conduite ne paraîtra-t-elle pas lâche? Dans ce cas, vous ne pourrez avoir la conscience tranquille. »
Lian Hedong finit par décider de rester en Chine. Il plaisanta en me disant de lui choisir pour épouse une des beautés de Pyongyang lorsqu’il reviendrait en Corée, après la victoire de la révolution chinoise. Pourtant je n’ai pu exaucer son désir, car, chef de régiment, il se fit une grande réputation de bravoure au combat contre l’armée du Guomindang de Jiang Jieshi (Tchang Kaïchek— NDLR) et tomba au champ d’honneur. La nouvelle de sa mort m’a fait beaucoup regretter de ne pas l’avoir amené en Corée. Mais, Lian Hedong vivra à tout jamais dans la mémoire du peuple chinois, car il a consacré sa vie à la guerre révolutionnaire qui assura la mise en place d’une Chine nouvelle.
A la place de Lian Hedong, c’est Jang Chol Gu qui vint nous voir en Corée, après les trois années de guerre, de la lointaine Asie centrale. Peu de temps après son retour, les anciens compagnons d’armes de l’époque du mont Paektu se réunirent. Et Jang Chol Gu me téléphona:
«Général, ici sont présents tous les camarades qui ont combattu au mont Paektu. Ne pourriez-vous pas prendre sur votre temps pour venir vous joindre à nous?
«Je voudrais que vous veniez goûter un bol de bouillie de maïs non broyé que j’ai préparée comme il y a 20 ans. Je suis rentrée de l’étranger les mains vides. Je n’ai que cette bouillie à vous offrir.
—Je vous remercie. J’avais grande envie d’aller les rejoindre, mais la situation ne me le permettait pas. Je dois partir pour une province. Je ne peux pas manquer à la parole donnée au peuple. J’irai vous voir plus tard. »
Ce jour-là, mes anciens compagnons d’armes mangèrent avec appétit la bouillie de maïs non broyé cuite au feu de bois comme ils en faisaient au mont Paektu.
Par la suite, quand j’éprouvais la nostalgie de l’époque du mont Paektu, je demandais à Jang Chol Gu de me préparer de la bouillie de maïs non broyé.
Elle habitait une maison située sur un tertre en face de ma demeure. Elle venait souvent chez moi et, moi aussi, j’allais souvent la voir à mes loisirs.
De retour dans la patrie, elle racontait souvent aux générations montantes les hauts faits de ses anciens compagnons d’armes du mont Paektu.
Jang Chol Gu mourut en 1982.
Sa mort me causa une aussi vive affliction que celle de ma propre mère. Elle a tout fait pour moi comme pour son propre frère. Son affection à mon égard se confondait avec l’amour de ma propre mère.
Nous célébrâmes ses funérailles comme un deuil national, tout comme celles des combattants qui avaient beaucoup contribué à la mise en place et au développement de nos forces armées révolution-naires.
J’ai fait ériger son buste au Cimetière des martyrs de la révolution sur le mont Taesong et tourner un film intitulé Le Rhododendron, avec Jang Chol Gu pour personnage central, de façon que les générations montantes n’oublient pas cette femme simple et modeste.
Nous avons donné à l’Ecole supérieure de commerce de Pyongyang le nom de Jang Chol Gu, cuisinière de l’armée de guérilla, ce dont tout le peuple se réjouit. Les gens disent qu’une telle mesure n’est concevable que dans notre pays, où il n’y a pas de sots métiers, et que sous notre régime socialiste, où l’on apprécie les serviteurs et les héros longtemps restés inconnus malgré leur grande contribution à l’amélioration des conditions de vie de la population: nourriture, habillement et logement.
Si nous avons fait appeler l’Ecole supérieure de commerce de Pyongyang Université Jang Chol Gu, c’est avec l’espoir de voir les nouvelles générations se montrer aussi fidèles que Jang Chol Gu à leurs tâches révolutionnaires.
CHAPITRE XVII. LA COREE EST VIVANTE
(Mai – juin 1937)
1. Les flammes de Pochonbo (1)
La bataille de Pochonbo a fourni matière à de nombreuses études et relations qui en évaluent la portée historique. Mais, beaucoup de mes souvenirs personnels sur cette opération que j’ai moi-même organisée et commandée relèvent plutôt de mon expérience psychologique. Aujourd’hui encore, plus d’un demi-siècle après, je revois défiler devant mes yeux des scènes sans nombre datant de cette époque-là.
La bataille de Pochonbo fut, en un mot, comme des retrouvailles entre une mère et ses enfants après une longue séparation forcée. Ce fut l’occasion, pour la Corée, de revoir les meilleurs de ses fils et filles, ceux-là mêmes qui lui vouaient, plus que personne, amour et attachement. Ce fut, en d’autres termes, un de ces événements d’importance décisive qui ont concouru à remettre la patrie en ruines sur le chemin de la restauration.
Une fois de retour dans la patrie, après la Libération, j’ai souvent eu, à la demande de personnalités de différents milieux, à évoquer les combats que j’avais livrés à l’époque de la Lutte armée antijaponaise, et chaque fois j’ai fait honneur à la bataille de Pochonbo. J’aurais, certes, pu évoquer de nombreuses autres batailles, beaucoup plus importantes que celle-là, à l’issue de laquelle, en effet, on ne mit hors de combat qu’un nombre insignifiant de soldats et policiers ennemis. Et toutefois, quand j’ai à présenter les opérations principales de la guerre contre les Japonais, c’est toujours à cette bataille que je me
réfère en premier lieu, tant il est vrai que je suis tenté de lui attribuer une signification toute particulière.
Beaucoup de gens s’intéressaient à la bataille de Pochonbo. Non qu’ils voulussent se renseigner sur les pertes et les dommages qu’elle avait causés aux Japonais, les journaux de l’époque les ayant rapportés sitôt après l’incident, mais parce qu’ils désiraient en apprendre plus long, par exemple savoir quels avaient été les motifs de l’attaque, pourquoi on avait décidé de prendre d’assaut précisément cette petite ville, parmi tant d’autres semblables—des dizaines—disséminées le long de la frontière.
Cette bataille avait eu, pourrait-on dire, pour objectif à long terme de donner une nouvelle dimension à la lutte pour la restauration de la patrie et pour objectif immédiat de faire amorcer un tournant décisif, un développement marquant à notre Lutte révolutionnaire antijaponaise.
La Corée, en butte au calvaire imposé par l’impérialisme japonais, s’était décidée à résister. La lutte armée fut l’expression de la volonté de résistance de ses fils, le moyen d’action qu’ils avaient choisi. Sous le mot d’ordre de la révolution démocratique, anti-impérialiste et antiféodale, nous avions mené la lutte armée, d’une part, et, d’autre part, nous nous étions appliqués à créer des organisations du parti et à développer le mouvement de front uni national et le mouvement de front commun international anti-impérialiste, le tout devant concourir au développement de la révolution antijaponaise.
Notre chemin était hérissé d’obstacles et d’embûches. Certains, aux yeux desquels il était criminel que les Coréens se réclament de la Révolution coréenne, allèrent jusqu’à exiger d’eux qu’ils subordonnent tout à l’intérêt et à la politique de leur parti.
Dès le jour de notre engagement dans la voie de la révolution, nous avions toujours axé nos pensées sur la Révolution coréenne. Exilés, nous l’étions, pourtant nos pensées étaient toujours dans la patrie, auprès de nos compatriotes. Ainsi, depuis la seconde moitié des années 1920, nous nous étions consacrés exclusivement aux
intérêts de notre patrie, à la cause de la libération nationale. Communistes coréens, nous avions réclamé avec force pour nous le droit et le devoir légitimes de combattre sous la bannière de la Révolution coréenne.
Lors de la Conférence de Nanhutou, on avait discuté, en même temps que d’une série d’autres questions d’importance, de la nécessité de pénétrer en plein cœur de la Corée, afin d’y étendre la lutte armée.
Cette conférence avait manifesté la volonté des communistes coréens de pénétrer en territoire coréen afin d’y faire retentir de puissants coups de feu, autrement dit, d’y étendre leur sphère d’action pour imprimer un nouvel essor à la Révolution coréenne. Jusque dans la première moitié des années 1930, ils avaient opéré principalement en Mandchourie, bien qu’ils eussent passé plusieurs fois la frontière aux environs de la fondation de l’Armée de guérilla antijaponaise, ces opérations n’ayant eu qu’une envergure limitée.
Dans la première moitié des années 1930, nos activités en étaient restées pour l’essentiel au stade de l’accumulation des forces. Les forces armées des communistes coréens s’étaient accrues par la suite jusqu’à pouvoir former plusieurs divisions, effectifs suffisants pour aller opérer en Corée avec la certitude de pouvoir s’y imposer. Basés sur le mont Paektu, ils auraient pu placer une division sur chacun des monts Rangrim, Kwanmo, T
Au printemps 1937, à Xigang, après avoir dressé le bilan de nos quelques années de lutte armée, nous nous proposâmes pour tâche immédiate d’effectuer des raids de grandes unités en Corée, et nous prîmes à cet effet des mesures pratiques. En fonction de celles-ci, nous établîmes un plan d’opérations précis prévoyant le mouvement de nos forces armées révolutionnaires dans trois directions: l’unité de C
Tout laissait présager alors que les impérialistes japonais étendraient leur guerre d’agression à la Chine propre. C’était clair comme de l’eau de roche. La guerre sino-japonaise n’était plus qu’une question de temps. Plus l’armée japonaise, enivrée par ses victoires, étendrait les flammes de la guerre, plus la crainte admirative éprouvée à l’égard de cette «armée impériale invincible» allait grandir. Toute illusion sur la puissance de l’ennemi tend à émousser la conscience révolutionnaire. Il fallait détruire le mythe de l’armée japonaise, cet opium de la conscience révolutionnaire, et montrer par des faits concrets qu’à force de combattre on parviendrait à la vaincre, voire à l’anéantir complètement, cette armée japonaise, aussi puissante qu’elle puisse être.
Et, en effet, la lutte armée que nous avions livrée depuis près de cinq ans dans les régions de Beijiandao et de Xijiandao et aux alentours aurait suffi à détruire le mythe du Japon, si la sévérité de la censure et la propagande fausse n’avaient pas empêché les nouvelles des victoires de notre armée de parvenir dans tous les coins du pays.
J’étais sûr des puissants effets que produirait, à ce moment, l’apparition en Corée de nos grandes unités: tout le pays serait d’un coup mis en effervescence, et la population se frotterait les mains en voyant une armée coréenne capable d’écraser l’impérialisme japonais et de rendre son indépendance au pays. La fierté que l’on tirerait de l’existence d’une telle armée révolutionnaire coréenne devrait susciter le courage et la détermination des vingt-trois millions de Coréens à intervenir sur le front de la restauration de la patrie.
Tel était l’objectif stratégique de notre offensive en territoire coréen.
A ce moment-là, je réfléchissais à ces deux objectifs à atteindre: d’une part, lancer des attaques contre les importants points stratégiques en Corée afin de secouer tout le pays; de l’autre, étendre nos réseaux clandestins de façon à pouvoir préparer le peuple tout entier à la résistance contre les Japonais. Voici ce que j’entendais par là: quand le moment décisif viendrait de libérer la patrie, la lutte armée, associée avec le soulèvement populaire général, devrait nous permettre de renverser l’impérialisme japonais et d’obtenir l’indépendance nationale. Il s’agissait là d’une stratégie bien difficile, dont l’exécution s’imposait pourtant malgré les gros sacrifices à consentir éventuellement, les autres solutions étant exclues. C’est à la réalisation de cette ligne de conduite qu’étaient subordonnées toutes nos activités dans la région du Paektu et celle de Xijiandao.
Ce qui me préoccupait surtout à la veille de la marche vers la Corée, c’était d’obtenir des précisions sur la situation qui y prévalait. Comme je ne pouvais pas me contenter des seules publications, je fus amené à m’entretenir le plus souvent possible avec les agents clandestins qui revenaient de Corée. Certaines fois, je fis venir pour les consulter des membres d’organisations clandestines qui opéraient en Corée. Ce dont j’avais besoin, ce n’étaient pas seulement des statistiques récentes ou des renseignements sur des événements sensationnels. Même la description d’un marché ou des bribes de commérage saisies au passage devant une auberge nous fournissaient souvent des informations de premier ordre, introuvables dans les mauvais articles des journaux officiels.
Les renseignements sur l’état d’esprit de la population nous intéressaient au premier chef: nous étions à l’écoute de ce qui faisait souffrir le peuple et de ce qu’il pensait.
Un jour d’avril ou de mai de la même année, autant qu’il m’en souvienne, un membre d’un groupe armé, à son retour d’une mission dans la région de Manpho, en Corée, vint me présenter un rapport sur ses activités et me raconta, entre autres choses, ce dont il avait été témoin dans la montagne.
«Chose inattendue, dit-il, j’ai rencontré dans un bosquet de pins une bande de garçons d’une dizaine d’années, tous avec les bras et les jambes aussi maigres que des fils de fer, en train de ramasser des branches mortes. Pour quoi faire? Ils voulaient avoir de quoi payer l’amende infligée, en plus d’une correction en règle, pour avoir parlé coréen à l’école. Ils étaient en deuxième année à l’école primaire. »
Aux dires de ces enfants, leur maître, un Japonais, les avait frappés, avec un sabre de bois, sur le dos et les jambes jusqu’à l’enflure, leur avait enfoncé un seau sur la tête, puis les avait obligés à rester longtemps à genoux, immobiles, au milieu de la cour de l’école. Ensuite, il les avait mis à l’amende. Dans leur classe, une règle était en vigueur: un élève surpris une fois à parler coréen était condamné à une amende de cinq jon, deux fois, de dix jon, trois fois à l’exclusion de l’école. Ainsi, ce Japonais imposait à ses élèves l’«usage exclusif de la langue nationale», soit du japonais, alors même que ce n’était pas encore le cas des autres classes. Il n’était guère étonnant en soi que les Japonais aient infligé une amende à des élèves coréens pour avoir parlé coréen.
L’impérialisme japonais ne reculait devant rien dans le pays occupé. Déjà, plus d’une fois, j’avais entendu dire que le gouvernement général japonais en Corée cherchait par tous les moyens à imposer l’usage du japonais aux Coréens. Dans une école primaire de la province du Kyongsang du Nord, l’usage du coréen avait été interdit dès la fin de 1931. Au printemps 1937, le gouvernement général japonais en Corée avait décrété l’emploi du japonais dans toutes les administrations de Corée pour tous les documents officiels.
Tout cela était l’aboutissement de l’évolution des choses, une évolution inéluctable sous l’occupation japonaise. Ce n’était donc pas une nouveauté pour moi, mais cependant tout mon être se révoltait en y pensant.
Privés de leur langue maternelle, un homme risque de perdre sa faculté de penser, et une nation cesse d’exister en tant que telle. Chacun reconnaît que la communauté de langue de même que celle de descendance constituent les plus importants signes distinctifs d’une nation.
Une langue représente l’esprit d’une nation déterminée. Enlever à une nation sa langue maternelle équivaut, après tout, à lui enlever de même qu’à chacun de ses membres leur moyen de communication et, partant, leur esprit, acte rien de moins que monstrueux. Une nation, en effet, quand elle a perdu son territoire et sa souveraineté, n’a plus rien en propre que sa langue et son esprit.
Assurément, les impérialistes japonais voulaient faire de la nation coréenne un cadavre respirant. S’ils voulaient «transformer les Coréens en sujets de l’empire japonais», ce n’était pas pour faire d’eux des «citoyens à part entière» de leur pays et leur permettre de se nourrir de bon riz. Loin de là, c’était pour faire d’eux leurs valets prêts à «s’incliner profondément vers la Cour impériale» chaque matin, à «visiter le temple» et à prêter le «serment des sujets de l’empire».
Interdire l’usage du coréen, ce n’était pas seulement rendre malheureux ou sacrifier quelques Coréens, mais compromettre l’existence même de la nation coréenne tout entière, condamner à mort les vingt-trois millions de Coréens.
Tout le monde sait que la cruauté, la cupidité et l’impudence sont les principaux traits des colonialistes et de tous ceux, sans distinction de nationalité et de couleur de peau, qui s’emparent d’autres pays. Mais je n’ai jamais vu de colonialistes aussi féroces et aussi effrontés que ces Japonais qui ont osé chercher à priver le peuple du pays occupé de l’usage de sa langue et de son écriture et à le forcer à s’incliner dans leurs temples.
Voilà où en était le destin de la nation coréenne. Le rapport du membre du groupe armé me fit bouillir le sang d’indignation.
«Il faut aller le plus vite possible en Corée pour leur régler leur compte, me dis-je. Il faut leur montrer que la nation coréenne n’a pas péri, qu’elle vit, qu’elle n’abandonnera jamais sa langue maternelle et son écriture, qu’elle ne reconnaît pas leurs arguments comme quoi “le Japon et la Corée ne font qu’un — les Japonais et les Coréens ont la même origine”, qu’elle refuse de se faire “sujette de l’empire japonais”, qu’elle n’abandonnera pas ses armes, qu’elle n’aura pas de cesse que le Japon n’ait rendu les siennes. Il faut passer à l’action. Le plus tôt sera le mieux. »
Au début de mai 1937, une autre nouvelle sensationnelle provenant de Corée me surprit: Ri Jae Yu, une des figures proéminentes du mouvement communiste coréen, venait d’être arrêté. Le numéro spécial du quotidien Maeil Sinbo s’en fit l’écho sur quatre pages entières. Le journal évoquait d’une manière un peu trop détaillée l’événement et la personne du héros. A l’en croire, celui-ci avait déjà été arrêté à six reprises et avait réussi à s’évader autant de fois. Mais il venait d’être capturé pour la septième fois. En le présentant comme le «dernier rempart du mouvement communiste coréen au bord de la ruine» ou la « dernière des grandes figures de vingt années d’histoire» du mouvement communiste, le journal en venait à conclure, non sans emphase, que son arrestation marquait à tout jamais la fin de ce mouvement en Corée.
Si la politique bourgeoise en général est faite d’escroqueries subtilement combinées, un journal gouvernemental, appelé à la servir, reflète toujours les intentions sournoises, voilées, de la classe dominante. Le numéro spécial du quotidien Maeil Sinbo ne faisait pas exception. Du premier coup, je devinai qu’il s’agissait là d’une mascarade ambitieuse mise en scène par de vieux intrigants anticommunistes installés dans un bureau retiré du gouvernement général.
Ri Jae Yu était une des célébrités du mouvement communiste, c’était vrai. Originaire de Samsu, il s’était rendu au Japon, où il avait fait ses études tout en gagnant sa vie, et, plus tard, il participa au mouvement ouvrier. De retour en Corée, il se joignit au mouvement communiste, à Séoul; étant chargé surtout de diriger les organisations du Syndicat ouvrier de tout le Pacifique, il avait circulé dans différentes régions, dont celle de Hamhung, pour superviser les activités des syndicats ouvriers et paysans.
Son courage tranquille, sa présence d’esprit, son art du déguisement lui avaient permis, disait-on, de s’évader chaque fois qu’il avait été arrêté. Le journal affirmait qu’une nouvelle évasion étant exclue le mouvement communiste coréen était maintenant condamné sans retour.
La répression et la propagande pernicieuses auxquelles se livraient obstinément les impérialistes japonais contre le mouvement communiste avaient jeté un grand trouble dans l’esprit de beaucoup de gens. L’ennemi pouvait estimer avoir réussi son coup de façon magistrale. Les vagues successives d’arrestations massives avaient abouti à l’effondrement du parti communiste, et le peu de communistes qui y avaient échappé s’étaient retirés sous leur tente à la suite de l’arrestation de Ri Jae Yu. Inexprimables étaient le découragement et le désespoir qui s’étaient emparés d’eux. Même beaucoup de ceux qui se consacraient à l’étude du mouvement communiste en étaient restés désemparés.
Nos adversaires avaient visé juste: ils voulaient briser l’esprit de résistance de la nation coréenne. Et ils étaient prodigues de tous propos, menaçants, mielleux ou trompeurs, pour atteindre leur objectif.
D’une part, en braquant le fusil, ils grondaient: «La soumission ou la mort»; de l’autre, ils essayaient d’abuser les gens par des paroles mièvres du genre: «Allez, “les Japonais et les Coréens sont de la même origine”, “le Japon et la Corée ne font qu’un.” Il faut donc que nous nous rendions ensemble dans les temples! — En Mandchourie, les fleurs du “pays de la justice et du bonheur” et de la “concorde entre cinq nations” sont en plein épanouissement, tandis qu’au Japon un éden enfoui dans un jardin de sakura en fleurs vous attend. Vous êtes invités à aller faire fortune en Mandchourie ou au Japon — Vous pourrez dominer toute l’Asie, soit en cultivant le coton dans le Sud, soit en élevant des moutons dans le Nord, en dignes sujets du grand empire japonais. »
Le plus grand drame pour la nation coréenne résidait dans la veulerie générale qui la menaçait. Tout ce qu’imposaient les impérialistes japonais, depuis l’appareil de dictature jusqu’aux disques de gramophone contenant des chansons érotiques qui faisaient fureur à l’époque, conspirait à extirper l’esprit de la nation coréenne, à supprimer la Corée même. Celle-ci était devenue un enfer. Les ténèbres mortelles qui couvraient ce pays d’Orient persistaient à n’en plus finir et s’épaississaient de plus en plus.
«Nous serons indignes de nous considérer comme les jeunes gars de la Corée, tant que nous ne parviendrons pas à dissiper ces ténèbres, celles de la servitude et de l’humiliation. Il nous faut pénétrer au plus vite sur le territoire coréen pour redonner goût à la vie à nos compatriotes qui souffrent interminablement en proie à un sombre désespoir!»
Ces pensées nous occupaient, les commandants et soldats, tandis que nous préparions notre marche vers la patrie.
Vers la mi-mai, nous atteignîmes le plateau de Diyangxi via Tianshangshui et Xiaodeshui. Là, pour nous préparer à pénétrer en Corée, nous procédâmes à une remise en ordre de nos effectifs et à un travail d’explication sous diverses formes. D’autre part, pour m’informer plus en détail de la situation en Corée, je fis venir Pak Tal.
Il nous apprit une nouvelle étonnante: d’importants effectifs de la garde frontière de
C’était en avril 1937, après la Conférence de Xigang, que C
Une fois installé à Antu, Ri To Son s’était fait d’abord chef des gardes du corps de Shuang Biengzhen, gros propriétaire terrien de Xiaoshahe. A ce titre, disait-on, il menait une vie de débauche et traitait ses fermiers avec la dernière brutalité, les faisant battre à coups de baïonnette. Par leurs raids, les partisans avaient fait quelques exemples; cela l’avait rendu plus féroce, et il ne manquait pas une occasion d’attaquer des villages, de brûler des maisons et de décapiter des innocents, disant que tous les pauvres faisaient cause commune avec le parti communiste. La population en gardait contre lui une rancune permanente.
La cruauté de Ri To Son, homme de main fieffé, plut aux impérialistes japonais, qui le nommèrent à la tête de la troupe «punitive» d’Antu relevant du commandement de la garnison de la région de Jiandao, troupe d’hommes de sac et de corde, issus de la classe possédante, qui gardaient rancune contre la révolution. Ce qui frappait dans sa conduite, c’était sa férocité de fauve: il ne relâchait jamais son gibier vivant. C’était un tireur infaillible reconnu de ses hommes comme de ses adversaires.
Avec son unité, C
Zhou Shudong fut tué. L’ennemi qui avait pris l’initiative de l’engagement sembla avoir l’avantage, le temps que C
Le coup d’éclat de Jinchang devint célèbre, car il avait assouvi le désir de vengeance de la population. Les journaux firent la une sur l’exploit de C
La nouvelle de sa mort au champ d’honneur arracha des pleurs à tout le monde.
Elle était née dans une famille d’ardents patriotes, qui s’étaient sacrifiés à la cause révolutionnaire. Elle avait, dans son enfance, perdu ses frères, ses oncles, puis sa grand-mère. Son père combattait dans l’armée de guérilla. Ri Kyong Hui, elle aussi, avait rejoint le maquis pour venger ses parents qui avaient péri, la haine de l’ennemi ancrée au cœur. Au début, les commandants avaient hésité à l’admettre parce qu’elle était trop jeune et surtout qu’elle devait survivre à sa famille. Mais l’insistance de la jeune fille avait eu le dessus.
Si ses compagnons d’armes l’aimaient comme leur propre fille ou sœur et l’appelaient la «Fleur de la 4e division», c’est parce qu’elle était habile à toute besogne et avait un cœur d’or, sans compter qu’elle était jolie comme tout. Elle excellait à chanter et à danser, et toute l’unité en était fière. A son entrée dans notre armée de guérilla, le commandant lui avait donné un revolver, certain qu’un fusil serait trop lourd à porter pour cette jeune fille, petite et faible. Cependant, trouvant le revolver indigne d’elle, une combattante, elle avait demandé à porter un fusil, une carabine. Et lorsqu’elle dansait avec ce fusil, ses camarades ne manquaient pas de lui demander de bisser, en battant des mains.
Intelligente comme elle l’était, Ri Kyong Hui savait fort bien agir sur le moral de la troupe. Ainsi, quand elle voyait un partisan fâché ou mélancolique, elle s’approchait de lui, le cajolait avec une rondeur amicale jusqu’à le faire rire. Même ceux qui tombaient de fatigue se redressaient aussitôt en l’entendant chanter ou en la voyant danser. Elle était bonne aussi à la couture et à la broderie. Une blague à tabac confectionnée de sa main était un «cadeau sans prix» pour quiconque avait eu la chance d’en recevoir une. On disait que même une poignée d’herbes amères, une fois dans les mains de Kyong Hui, se transformait en mets agréable.
Lors des combats contre les troupes «punitives», elle se tenait sciemment à l’écart de ses camarades et tirait en visant bien, n’oubliant pas de compter les morts qu’elle faisait. Dans un combat, elle avait abattu six soldats ennemis de suite. Pendant qu’elle rechargeait, elle avait laissé échapper deux ou trois soldats: elle en avait pleuré de dépit.
Après la bataille de Pochonbo, les unités qui avaient opéré dans les trois directions firent leur jonction à Diyangxi, où fut organisée une grande fête conjointe de l’armée et de la population. C
Quand C
«...Vous dites que nous sommes sur le sol de la patrie? J’ai quand même de la chance. Je vous prie, vous tous, de bien combattre. Et vengez-moi!»
Tels furent les mots qu’elle avait dits à ses compagnons d’armes, avant d’expirer dans les bras de C
Plus tard, son père fut tué par l’ennemi à
C’est ainsi que nos compagnons d’armes ont jalonné de leurs sacrifices notre longue route vers la patrie.
L’unité de C
J’étais sûr que ce brave commandant expérimenté parviendrait à surmonter les handicaps. Il ne nous était pas permis pour autant de nous montrer trop optimistes, car l’évolution brusque de la situation risquait d’influer sérieusement sur nos opérations. Les circonstances exigeaient que nous cherchions un moyen de faire les deux choix à la fois: sauver l’unité de C
Je fis réunir les commandants et leur posai ainsi la question:
«...La 4e division est investie. C
Tous les auditeurs, visiblement tendus, me regardaient fixement. Les deux choses leur semblaient pressantes et cruciales, l’une autant que l’autre. La discussion fut vive dès le début. Elle divisait les polémistes essentiellement en deux groupes.
Les uns proposaient de sauver d’abord l’unité de C
Les autres préconisaient d’attaquer au plus vite, comme prévu,
Mais cette proposition souleva également des objections. Elle avait, en effet, l’inconvénient de ne pas envisager la possibilité que l’unité de C
Je fis une proposition qui tenait compte des deux possibilités.
«...Il nous faut marcher coûte que coûte sur la Corée. Il ne peut être question de modifier ni d’annuler en aucune façon ce plan d’opérations. C’est par ailleurs à nous de nous porter rapidement au secours de l’unité de C
Le mot «un certain point» sembla avoir piqué la curiosité de tous; et Ri Tong Hak, comme s’il eût voulu exprimer le sentiment général, me demanda de le préciser.
En me référant à une carte, je repris:
«...Pour choisir ce point, nous devons prendre en considération ce qui suit: il ne doit pas être trop éloigné du mont de l’Oreiller où se trouvent concentrées les forces ennemies. Au contraire, il doit en être tout proche, car ainsi seulement notre opération aura les deux effets attendus. Le point important le plus proche du mont de l’Oreiller, c’est Pochonbo, situé à mi-distance entre ce mont et
Chacun des commandants présents fit un signe de tête approbateur.
Je leur posai alors les questions suivantes:
«...Pour attaquer Pochonbo, il faut faire divers calculs. Premièrement, une troupe de plusieurs centaines d’hommes peut-elle en un clin d’œil traverser le réseau serré des gardes frontière ennemis pour surprendre l’ennemi et s’éclipser avec la rapidité de l’éclair? En un mot, peut-elle faire une opération-éclair? Deuxièmement, la bataille que nous allons livrer ne sera pas un simple échange de coups de feu. Comme elle a pour objectif essentiel de donner confiance en la victoire à la population, il faut qu’elle soit accompagnée d’une propagande politique prompte et efficace. Est-ce que nous en avons la possibilité? Troisièmement, nous tenons à profiter de cette opération pour donner un exemple de coopération entre l’armée révolutionnaire et l’organisation clandestine pour atteindre le but commun. Pouvons-nous parvenir à réaliser cette coopération?»
Il y eut un silence. Chacun avait le visage tendu, incapable de répondre.
Kwon Yong Byok rompit le silence, en répondant posément:
«Nous pouvons faire tout cela, camarade Commandant! Nous n’attendons que vos ordres.
—Comment pouvez-vous l’affirmer? redemandai-je en hâte, tout certain que je fus qu’il ne pouvait penser autrement.
—Je le dis parce que Pochonbo, c’est un coin de notre patrie!»
J’eus l’impression que ses paroles étaient l’écho des miennes propres. Je m’étonnai de m’apercevoir de l’identité de nos sentiments. Certainement, les autres, eux aussi, dans leur for intérieur, se disaient la même chose. La réponse de Kwon Yong Byok reflétait en effet les sentiments de toute l’assistance.
Les communistes coréens avaient remporté victoire sur victoire sur un sol étranger battu par des pluies maussades en été et par de violentes tempêtes de neige en hiver. Pourquoi, a fortiori, ne pourraient-ils triompher dans leur patrie bien-aimée, à laquelle ils devaient leur vie, leur âme?
Ce fut une réunion de courte durée, mais une réunion inoubliable par la diversité de son ordre du jour, dont le temps a enseveli les détails dans l’oubli, sauf la parole pleine de foi de Kwon Yong Byok: «Pochonbo, c’est un coin de notre patrie!» qui me reste vivante dans la mémoire. Le fait est que comme toujours, à la veille de cet événement historique que serait la marche sur la Corée, l’amertume d’avoir perdu cette grande chose que représentait la patrie emplissait nos cœurs.
2. Les flammes de Pochonbo (2)
A Diyangxi dans le secteur de Shijiudaogou, dans le district de Changbai, nous réorganisâmes nos troupes dans la perspective de la marche prochaine vers la patrie, puis fîmes changer tous les combattants de tenue puisque l’été commençait. Ainsi, en longue colonne, vêtus d’uniformes flambant neufs, nous nous remîmes en marche. En toute franchise, jamais nous n’avions été mieux vêtus.
Notre marche n’était pas un simple mouvement stratégique. Elle avait été préparée de longue date, depuis des années, par les communistes coréens, ceux-là mêmes qui, accablés par la ruine du pays et désireux de lui faire recouvrer son indépendance, avaient consenti les plus dévoués des efforts, voire le sacrifice suprême, sous des cieux étrangers, afin de faire retentir de puissants coups de feu sur le territoire de leur patrie martyrisée. Nous avions mis le plus grand soin à améliorer l’habillement et l’équipement de nos troupes afin de pouvoir montrer à la population de la patrie le prestige et la puissance de l’armée révolutionnaire: nous étions comme des fils et filles qui voulaient montrer ce qu’ils étaient devenus à leurs parents qu’ils désiraient tant revoir, après une longue séparation.
Auparavant, l’habillement des partisans n’avait pas toujours été régulier. Si la confection des uniformes de l’armée révolutionnaire était confiée d’habitude à l’équipe de couturières, il n’en arrivait pas moins que le manque de bras nous obligeât à faire appel pour cette tâche à l’aide des femmes du lieu où nous cantonnions, d’où il résultait des vêtements de forme irrégulière. Plus grave encore, des vêtements civils se mêlaient parfois aux uniformes, rendant le tableau bigarré.
Une fois la décision prise de marcher vers la patrie, j’avais fait faire pour les partisans des uniformes d’une coupe nouvelle fixée par le Q.G.
La coupe prévoyait une casquette garnie d’une étoile rouge et des pattes d’épaule pour tous, puis, pour les hommes, un pantalon de style culotte de cheval légèrement transformée de façon à être commode pour la guérilla, et, pour les femmes, un pantalon ou une jupe plissée, et une veste traditionnelle à col fermé pour les deux sexes.
Nous étions à Yangmudingzi lorsque nous avions décidé de confectionner 600 uniformes et envoyé à cet effet l’intendance, l’équipe de couturières comprise, à Changbai. A l’époque, vu les circonstances, nous n’avions pas le temps de penser du problème de l’habillement, car nous avions toutes les difficultés imaginables à surmonter dans notre expédition de Fusong, la mort planant en permanence sur nos têtes. Plus que des vêtements, il nous fallait de quoi préparer les repas du jour même. Cependant, la prochaine marche vers la patrie n’en devait pas moins nous préoccuper, et nous avions décidé de faire faire 600 uniformes.
O Jung Hup et Kim Ju Hyon s’étaient donné beaucoup de mal pour accomplir cette tâche.
Plusieurs anciens partisans ont témoigné des grandes difficultés que la mission du service de l’intendance dirigée par O Jung Hup avait dû surmonter en se rendant de Xigang à Changbai, mais le grand public n’en est pas encore tout à fait au courant. Nous avions eu de la chance quand nous étions partis vers le nord, vers Fusong, car nous disposions alors d’une certaine quantité de vivres, le butin de la bataille de Limingshui. Or, le groupe d’O Jung Hup, lui, n’avait rien à se mettre sous la dent, quand il partit pour Changbai. Epuisés, l’estomac dans les talons, les hommes n’avaient pas la force de marcher. On peut tromper sa faim avec de l’eau pendant un jour ou deux, mais pas plus longtemps. Faute de mieux, ils changèrent de route pour se diriger vers le mont Duantou, dans l’espoir d’y retrouver les têtes de bœuf qu’on y avait enterrées après la bataille sur ce mont.
Or, une fois là, ils ne retrouvèrent, hélas! que les ossements: les bêtes sauvages avaient pris les devants. Pourtant, il firent, avec ces têtes décharnées, un bouillon qui leur donna un regain de force.
La faim ne tarda cependant pas à revenir. Vint s’y ajouter la menace de mourir de froid. Une neige glacée aussi tranchante qu’un couteau déchirait les habits qui laissaient voir la chair.
S’ils n’avaient pas été motivés par l’idée de la grande marche vers la patrie, peut-être auraient-ils fini par tomber pour ne plus se redresser et être à jamais ensevelis sous la neige dans les montagnes de Fusong ou de Changbai.
A en croire Kim Ju Hyon, quand ils arrivèrent à Xiaodeshui, ils n’avaient presque plus figure humaine, leur aspect horrible faisait pleurer. La population de Xiaodeshui se chargea de soigner ces hommes dont la vie semblait sur le point de s’éteindre. Il fallut découper avec des ciseaux leurs vêtements en lambeaux, puis désinfecter avec de l’eau salée les plaies au sang gelé qui recouvraient leur corps, avant de les habiller de nouveaux vêtements. C’est dire que tous avaient été atteints de gelures.
Mais le plus étonnant fut que, à peine revenus à eux, ils s’attelèrent à l’ouvrage, se mettant devant leur machine à coudre. A cette nouvelle, les membres de l’Association pour la restauration de la patrie et autres habitants de Xiaodeshui vinrent donner le meilleur d’eux-mêmes pour les soigner. Aussitôt les partisans, aidés par la population, réussirent à se procurer le tissu nécessaire et à confectionner 600 uniformes.
Un jour, Pak Yong Sun me dit que, s’il évoquait dans toute leur vérité les souffrances qu’ont eu à endurer l’armée et la population à Chechangzi au cours de la Lutte révolutionnaire antijaponaise, les jeunes générations auraient du mal à y croire et qu’il préférait pour cette raison se contenter d’en dégager l’essentiel en passant sur les épisodes les plus durs. Je pense qu’il avait raison. Ceux qui n’ont pas connu ces souffrances auraient beau faire appel à leur imagination, ils auraient du mal à se les représenter telles qu’elles ont réellement été.
J’ai eu l’occasion de lire dans une revue militaire parue en Union soviétique un article qui disait que le patriotisme soviétique occupait une place substantielle dans les idées militaires de l’URSS. J’approuvais ce point de vue des Soviétiques, en l’occurrence l’idée de patriotisme socialiste. Pour notre part, l’amour de la patrie et du peuple était à la base de nos idées militaires et déterminait le caractère et les activités de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne. Nous n’avons pas cessé de former les partisans de sorte qu’ils se conduisent, toujours et en tous lieux, en véritables libérateurs, en défenseurs jaloux de la patrie et du peuple. Donner volontiers sa vie à la patrie, sans aucun regret, pour se transformer en une poignée de terre, c’était là la nature de notre patriotisme qui gouvernait l’existence de notre armée de guérilla.
A la fin de mai, O Jung Hup fit enfin son apparition à Diyangxi avec les 600 uniformes fraîchement confectionnés.
Dans nos tenues nouvelles, dues au sang et à la sueur de nos frères d’armes, nous quittâmes, au début de juin 1937, Shijiudaogou, et, en passant par Ershidaogou, Ershiyidaogou et Ers
Nous séjournâmes quelque temps dans le village de Kouyushuishan avant de monter sur le plateau de l’Hirondelle, à l’aube du 3 juin. Les montagnes en dents de scie de la patrie semblaient nous accueillir à bras ouverts.
Nous passâmes une journée sur le plateau de l’Hirondelle à nous remettre de la fatigue de la marche. Kim Un Sin et autres membres de l’avant-garde installèrent un pont flottant sur le fleuve Amrok, au niveau du barrage de Kouyushui.
Enfin dans la nuit du 3 juin, nous pûmes traverser le fleuve.
J’avais les nerfs tendus, tandis que j’attendais que le dernier de mes hommes eût traversé le fleuve. Une double, triple ou même quadruple ligne de gardes était en place à la frontière, un dispositif de surveillance serré, rigoureux. Les commissariats et les postes de police de la région frontalière septentrionale, au nombre de 300 et plus, totalisaient des milliers d’agents de répression, d’une très grande mobilité. Le commissariat de police de
Les postes de police et les agences de voyages étaient entourés de tranchées et de fortifications constituées de murs en terre battue, de barbelés, de clôtures de bois ou autres obstacles artificiels, et, là où il le fallait, de miradors et de boyaux. La garnison de police de la province du Phyong-an du Nord, équipée d’avions, de deux embarcations à moteur, munies d’une mitrailleuse et de projecteurs, pouvait, si nécessaire, observer les moindres mouvements de tous les êtres vivants. Celle de la province du Hamgyong du Nord disposait également d’une embarcation à moteur. On parlait partout de mitrailleuses, de projecteurs, de longues-vues, de casques lourds distribués à tous les services de police le long du fleuve. La pénétration d’une grande formation en Corée semblait presque impossible.
Cette ligne de garde assez serrée et rigoureuse pour surveiller toutes pénétrations était cependant loin de nous faire hésiter.
Le barrage de Kouyushui, par son bruit tumultueux, couvrit notre traversée. C’était le tumulte de l’histoire de la Corée contemporaine qui bourdonnait à mes oreilles.
Sans tarder, nous escaladâmes la colline Konjang, dormant sous sa végétation luxuriante, et nous passâmes la nuit, gardés par les partisans en faction.
Le lendemain, dès le matin, dans les taillis de la colline, nous nous attelâmes aux préparatifs de la bataille. On rédigea des proclamations, des tracts, un appel, on tint une réunion des commandants, on organisa une reconnaissance. Le plus important fut de vérifier sur le terrain l’exactitude des renseignements déjà recueillis sur le dispositif de l’ennemi. Ma Tong Hui et Kim Hwak Sil furent envoyés en mission de reconnaissance. Déguisés en un couple de paysans débonnaires, ils descendirent dans les rues de Pochonbo. Ils inventèrent des ruses pour pouvoir s’approcher de services publics, où leur manège improvisé leur permit d’obtenir les renseignements nécessaires. Ils réussirent si bien leur mission qu’ils apprirent même qu’un festin aurait lieu le soir même pour fêter la promotion du chef du service de la protection forestière qui allait partir pour un nouveau poste.
Déjà, nous nous étions informés amplement sur cette ville par différentes voies, notamment par le canal du réseau de Kwon Yong Byok et de Ri Je Sun ainsi que de celui de Pak Tal.
La nuit venue, nos troupes descendirent la colline. Une fois dans la ville, elles se divisèrent en plusieurs groupes qui occupèrent chacun la position prévue.
Je fis installer mon P.C. sous un peuplier baumier, à l’entrée de la ville, à 100 mètres à peine du poste de police, un des principaux objectifs de l’attaque. Rarement poste de commandement fut installé aussi près de la ville à attaquer, entend-on dire, au sujet de cette bataille. C’était là certainement une de ses caractéristiques. Les commandants m’avaient proposé d’éloigner un peu le P.C. de la ville, ce que j’avais refusé. Je tenais à me trouver à un endroit d’où je pourrais suivre de près, à tout moment, la tournure de l’opération et me jeter moi-même dans la mêlée.
Et voici que j’aperçus, dans la cour d’une maison paysanne près du P.C., des paysans en train de jouer aux échecs. C’est une scène que je revois encore aujourd’hui, parmi tant d’autres qui précédèrent la bataille. Si cela avait été à un autre moment, par exemple quand je militais dans la clandestinité, je leur aurais adressé la parole et me serais mêlé moi-même au jeu.
A 10 heures du soir, je levai mon revolver et tirai.
Le bruit de ce coup de feu retentit dans les rues nocturnes de Pochonbo, comme un écho de ma pensée, un reflet de ce que je tenais à dire à la population de la patrie depuis plus d’une dizaine d’années. C’était, selon l’expression de nos poètes, à la fois le salut que j’adressais à ma patrie mère que je retrouvais après tant d’années d’absence et la proclamation du châtiment à infliger à l’occupant, les impérialistes japonais.
Ce coup de feu fut le signal du commencement de l’assaut. De toutes parts, des rafales partirent. L’attaque fut concentrée sur les services publics ennemis. Le coup principal fut dirigé contre le poste de police, symbole de la répression et des atrocités. La mitrailleuse d’O Paek Ryong crépita en direction de ce poste de police sur ses fenêtres, tandis qu’un autre groupe, sur mon ordre, frappait dur le service de la protection forestière où, selon les renseignements, devaient à ce moment-là festoyer nombre d’ennemis. En un clin d’œil, toute la ville fut transformée en une fournaise. Des ordonnances accouraient l’une après l’autre au P.C. pour m’informer du déroulement de l’action. Je n’oubliais pas de leur signaler qu’il fallait absolument prendre garde à ne pas porter atteinte à la vie de la population locale.
Aussitôt des flammes s’élevèrent de toutes parts. On pouvait voir clairement la mairie du canton, le bureau de poste, le service de la protection forestière, la caserne des sapeurs-pompiers et plusieurs autres organismes japonais. Tout Pochonbo était éclairé comme en plein jour, on dirait d’une scène de théâtre éclairée par de grands projecteurs.
Les partisans, en fouillant le bureau de poste, découvrirent dans un coffre-fort quantité de monnaie japonaise, qu’ils jetèrent çà et là sur leur passage en se retirant. O Paek Ryong se jeta dans le poste de police et en ressortit, portant une belle capture: une mitrailleuse portant, sur la crosse, l’inscription «Don de l’Association des femmes patriotes». Inoubliable est le sourire de contentement qui illuminait alors son visage.
Suivant Kim Ju Hyon, je me dirigeai vers le centre de la ville. Les détonations inattendues avaient effrayé les habitants, mais, aux mots d’ordre criés par nos propagandistes, tous les volets s’étaient ouverts, et maintenant les gens, se déversant de toutes parts, affluaient vers le centre de la ville. Une «masse qui se mouvait comme une mer nocturne», selon la description, tout à fait juste, qu’en a donnée le poète Jo Ki Chon.
Un attroupement se forma autour de nous, la foule bouillonnait. Me parlant à l’oreille, Kwon Yong Byok me proposa de prononcer un discours pour saluer la population de la patrie.
Je regardai autour de moi: tous les yeux, brillants, étaient fixés sur moi.
Je me découvris, puis, levant haut la main vers la foule, je fis un discours pour l’inviter à lutter contre les Japonais et la persuader de l’inéluctabilité de notre victoire.
«Chers compatriotes, nous nous retrouverons le jour où le pays aura été libéré!»
Ce fut sur ces mots que je criai à la foule que nous quittâmes la cour de la mairie du canton encore tout éclairée par les flammes. Nous cheminions, tandis que le chagrin nous déchirait le cœur. Nous avions tous la sensation de laisser, dans cette petite ville frontalière, une partie de notre cœur. Au moment de se séparer, les deux parties de ce cœur pleuraient silencieusement.
Quand nous eûmes atteint le sommet de la colline, une scène imprévue se produisit: la colonne se rompit, sans que l’ordre en eût été donné. Chacun se mit à ramasser une poignée de terre pour l’introduire dans son havresac.
Les commandants, eux aussi, en firent autant. Une poignée de terre, ce n’est rien par rapport aux 220 000 kilomètres carrés du territoire de la patrie. Mais, aux yeux des partisans, cette infime quantité de terre équivalait au territoire de la Corée, à la nation elle-même avec ses vingt trois millions d’âmes et, au demeurant, à la patrie même, si précieuse, si chère à eux.
En leur for intérieur, ils prêtèrent serment à leur patrie:
«Aujourd’hui, nous n’avons attaqué qu’une seule de tes villes, mais demain nous reviendrons donner l’assaut à une centaine, à un millier de villes. Aujourd’hui, nous emportons de toi une poignée de terre, mais demain nous te rendrons tout ton territoire libre pour que tu vives éternellement!»
Nous retraversâmes le fleuve.
Ce fut une petite bataille qui ne mobilisa ni canons, ni avions, ni chars d’assaut, un assaut ordinaire où nous n’avions employé que des fusils, des mitrailleuses, des tracts. Elle ne fit que peu de morts et de blessés. Aucune perte de vie de notre côté.
Le combat avait été d’ailleurs inégal si bien que certains partisans s’en montraient mécontents. Ce n’en était pas moins une bataille modèle du point de vue des exigences de la guérilla. La définition des cibles d’attaque, le choix de l’heure H, l’attaque-surprise, l’incendie pour accroître l’effet de l’agitation, l’emploi d’une propagande active, tous ces facteurs de la guerre de partisans y avaient joué dans un parfait agencement.
L’importance d’une guerre ou d’une bataille ne dépend pas seulement de sa portée militaire, mais également de celle politique. Cela n’est pas si difficile à comprendre pour quiconque sait qu’une guerre est le prolongement sous une autre forme de la politique. A ce compte-là, on peut dire que nous avons livré une bataille d’une grande importance.
La bataille de Pochonbo a été un extraordinaire coup d’éclat tenté contre les impérialistes japonais qui voulaient s’imposer en Corée et en Mandchourie comme «empereurs» de l’Asie. En pénétrant en territoire coréen malgré une garde frontalière considérée comme parfaite par le gouvernement général japonais en Corée et en faisant sauter d’un seul coup tous les services administratifs d’un chef-lieu de canton, l’ARPC avait frappé de terreur les impérialistes japonais. En effet, les Japonais ont dû en être foudroyés. La preuve en est les aveux de représentants de l’armée et de la police ennemies d’alors: «J’ai l’impression d’avoir reçu un coup violent sur l’occiput. — J’ai éprouvé le même regret que si ma récolte de foin de mille jours avait brûlé en un instant.»
Naturellement, grand fut le retentissement dans le monde entier quand on apprit que ce petit pays faible, la Corée, qui avait, en vain, envoyé des délégués à la Conférence internationale de la paix12 pour dénoncer les crimes du Japon et quémander son indépendance s’était pourvu d’une force armée révolutionnaire assez forte pour affronter l’armée d’une des cinq grandes puissances du monde et que ses combattants, ayant franchi comme le vent le «mur d’airain» des impérialistes japonais, avaient infligé des coups sévères aux agresseurs.
La bataille de Pochonbo a montré que l’impérialisme japonais n’était qu’un déchet que l’on pouvait détruire à coups d’épée ou anéantir par le feu. Pour la Corée, qui vivait les plus sombres jours qui fussent et pour qui même le soleil et la lune avaient pâli, le flambeau qui avait éclairé la nuit de Pochonbo fut comme l’aurore de la libération de la patrie.
Les grands journaux de Corée, notamment le Tonga Ilbo, le Joson Ilbo et le Kyongsong Ilbo, firent tous une mention spéciale de l’événement.
L’agence de presse Tomei, le Tokyo Nichinichi Shimbun, l’Osaka Asahi Shimbun et autres médias du Japon, le Mandchouririxinwen, le Mandchoubao, le Taiwanririxinbao et autres journaux chinois donnèrent d’amples informations sur cette bataille. L’agence et les journaux soviétiques Pravda et Krasnoye Znamya n’épargnèrent pas leurs colonnes pour présenter l’événement. Les détonations qui avaient retenti dans une région frontalière d’un petit pays suscitèrent l’étonnement et l’admiration du monde entier. La revue soviétique Tikhy Okean, sous le titre: La Lutte des partisans dans la région nord de la Corée donna un exposé relativement détaillé de la lutte que nous menions contre l’impérialisme japonais. C’est alors, autant que je m’en souvienne, que la presse soviétique a commencé à faire connaître au grand public mon nom et mes activités.
Des informations sur la bataille de Pochonbo parurent également dans la revue en espéranto Orienta kuriero.
Orienta kuriero se fixait pour objectif de dénoncer la brutalité et le pillage des impérialistes japonais, de présenter la guerre contre les Japonais et de faire connaître la culture orientale. Les articles de la revue pouvaient être traduits dans les pays où elle était diffusée, pour être reproduits. Grâce à cette publication, le public de nombreux pays fut mis au courant de la bataille de Pochonbo.
La bataille de Pochonbo a montré dans le pays comme à l’étranger la volonté révolutionnaire du peuple coréen de renverser la domination coloniale japonaise et de reconquérir son indépendance et sa souveraineté nationale, ainsi que sa combativité à toute épreuve. Elle a manifesté sans réserve la fermeté de la position anti-impérialiste et indépendante à laquelle les communistes coréens adhéraient dans toutes leurs activités; elle a démontré leur grande capacité d’action et leur immense combativité.
Elle a attesté également que les communistes, force dirigeante de la Lutte armée antijaponaise, étaient les plus ardents patriotes, les combattants les plus dévoués et les plus conscients de leurs responsabilités, capables de mener à la victoire l’entreprise de libération nationale. Cette bataille permit à la population de la patrie de s’engager dans la révolution antijaponaise axée sur la lutte armée et créa un cadre favorable pour hâter la mise en place des organisations du parti et de l’Association pour la restauration de la patrie.
La portée de la bataille de Pochonbo réside avant tout en ce qu’elle a montré à notre peuple que la Corée n’était pas morte comme il pouvait le croire, mais qu’elle vivait toujours, de même qu’elle lui a donné la certitude que, s’il combattait, il finirait par obtenir sa libération et retrouver son indépendance nationale.
Cette bataille eut un immense retentissement parmi la population de la patrie. La nouvelle de l’attaque de Pochonbo par l’Armée révolutionnaire populaire coréenne émut à ce point Ryo Un Hyong13, dit-il, qu’il se résolut à aller visiter le champ de bataille.
Lors de notre rencontre à Pyongyang, après la Libération, il m’a avoué:
«A la nouvelle de l’attaque de Pochonbo par les partisans, j’ai senti fondre d’un seul coup toute l’amertume que j’éprouvais depuis plus de vingt années, sous la domination japonaise, où nous étions traités en esclaves et méprisés. Une fois à Pochonbo, je n’ai pu réprimer un geste de joie, et je me suis dit à part moi: “Nous sommes sauvés! La Corée de Tangun14 respire toujours!” Et, malgré moi, j’ai pleuré.»
Si l’on en croit An U Saeng, la nouvelle de cette bataille émut Kim Ku15, lui aussi. Pendant longtemps, il servit dans le gouvernement provisoire à Shanghai comme secrétaire de Kim Ku.
Un jour, en fouillant dans des journaux, Kim Ku avait trouvé des informations sur la bataille de Pochonbo et en fut si ému qu’il courut à la fenêtre, l’ouvrit et cria plusieurs fois: «La nation paedal16 est toujours en vie!»
Kim Ku confia alors à son secrétaire: «La situation est sombre par les temps qui courent. Comme une guerre sino-japonaise approche, tous ceux qui prétendaient militer ont quitté la scène pour disparaître une fois pour toutes. Mais lui, Kim Il Sung, à la tête de ses troupes, a osé pousser une pointe jusqu’en territoire coréen pour attaquer de front les Japonais. Un vrai événement! Bravo! Il est temps que notre gouvernement provisoire soutienne le Général Kim Il Sung. Dans quelques jours, il faudra envoyer un messager du côté du mont Paektu. »
Le fait est suffisant pour démontrer la confiance que les personnalités coréennes, dans le pays comme à l’étranger, dont Kim Ku, ont témoigné, après la bataille de Pochonbo, aux communistes engagés dans la lutte armée contre les Japonais. Cette évolution de la mentalité était de nature à faciliter le regroupement des patriotes de toutes origines dans un front uni national contre les Japonais. Après cette bataille, de nombreux partisans du mouvement nationaliste commencèrent à avoir de nous une bonne opinion. Après la Libération, ce sentiment favorable persista et les poussa à collaborer à notre effort de création d’une Corée nouvelle. C’est pourquoi on peut dire que la bataille de Pochonbo nous a beaucoup servis.
Kim Jong Hang, un de mes inoubliables amis du temps de Badaogou, faisait ses études à Tokyo en gagnant lui-même sa vie comme porteur de journaux à domicile, dit-il, lorsqu’un jour il apprit la nouvelle de la bataille de Pochonbo dans le journal Asahi Shimbun.
Au petit jour, il s’était rendu au bureau local du journal et avait reçu du patron l’ordre de distribuer une centaine d’exemplaires en plus du nombre qu’il avait à porter d’ordinaire. Comme il voulait comprendre la raison de cette augmentation inattendue, il parcourut le journal, où il trouva un article sensationnel annonçant l’attaque de Pochonbo par les troupes de Kim Il Sung.
Il ne se doutait pas alors que celui qui avait attaqué Pochonbo, sous le nom de Kim Il Sung, n’était autre que le Kim Song Ju du temps de Badaogou.
Avec la nouvelle de cette bataille, lui, l’intellectuel, commença à se tourmenter: «Alors que les jeunes patriotes, les armes à la main, combattent les Japonais, qu’est-ce que je fais, moi, en terre japonaise? se reprochait-il. En faisant des études supérieures pour me procurer un gagne-pain, puis-je avoir une vie digne d’être vécue?»
Son examen de conscience le décida à chercher à rejoindre l’armée de guérilla pour combattre. Il ne tarda pas à quitter le Japon pour regagner sa patrie. Puis, il fit l’impossible pour prendre contact avec l’Armée de guérilla antijaponaise. Son désir de gagner le mont Paektu grandit encore lorsqu’il eut appris que Kim Il Sung, le vainqueur de Pochonbo, était le jeune Kim Song Ju d’autrefois. Rejoindre nos troupes resta malheureusement pour lui un vain espoir. C’est à la Libération que nous nous retrouvâmes.
Comme le montre le cas de Kim Jong Hang, la bataille de Pochonbo provoqua un changement profond dans la vie des intellectuels coréens honnêtes. Le flambeau qui éclaira la nuit de Pochonbo inspira tous les patriotes et autres Coréens de bonne foi, désireux de jouir d’une existence d’homme authentique.
3. Fête conjointe de l’armée et de la
population à Diyangxi
Après l’attaque de Pochonbo, nous prîmes le chemin du retour. La colonne entrait dans la vallée de Kouyushuigou, lorsque des combattants, par l’intermédiaire de commandants, me demandèrent un jour de repos. Jamais, auparavant, ou presque, dans notre guerre contre les Japonais, je pense, il n’était arrivé que des combattants demandent du repos au Q.G. On pouvait donc imaginer leur fatigue. En effet, à l’époque, nos combattants et commandants n’avaient pas eu un seul jour de vrai repos. Nous avions passé un jour entier sur la colline Konjang, mais tout le monde était alors si ému que personne n’avait dormi. Pourtant, on n’avait pas ressenti la fatigue. Mais une fois la bataille terminée, la tension d’esprit s’était relâchée sans qu’on s’en fût rendu compte. Tous, des combattants aux commandants, aspiraient à la détente et au repos. Moi aussi, j’éprouvais de la fatigue et un besoin de sommeil.
Par ailleurs, les paysans du village de Kouyushuigou étaient venus prier nos commandants de faire halte chez eux. Ils avaient préparé des gâteaux de riz et tué des porcs à notre intention, ils regretteraient de nous voir passer outre à leur prévenance, tandis que le mot même de gâteau de riz ou de porc avait dû sonner de façon alléchante aux oreilles de nos hommes qui avaient faim. Aussi jusqu’aux commissaires politiques de régiment me proposèrent-ils de faire honneur à la bienveillance des villageois.
Pourtant, je me retins d’ordonner le repos. En pareilles circonstances, un commandant devait redoubler de vigilance. Nous laisser aller parce que nous avions refranchi la frontière? Nous risquions de le payer cher. Sans doute la garde frontière avait-elle déjà été alertée et y avait-il eu un grand remue-ménage. Elle pouvait survenir d’un moment à l’autre. D’ailleurs, l’expérience du passé en disait long: l’ennemi nous traquerait.
L’ennemi pouvait apparaître derrière nous, sur nos flancs ou devant nous.
Un bref calcul me persuada que nous ne devions pas nous attarder plus d’une demi-heure dans cette village, un petit hameau de quelques foyers. Les partisans et les porteurs civils, au nombre de plusieurs centaines, n’avaient donc pas le temps de prendre de repas.
J’ordonnai à mes hommes de distribuer aux villageois une partie de notre butin, puis de garnir leurs havresacs à eux de boules de riz cuit. Je fis renvoyer quelques-uns des porteurs qui nous avaient suivis depuis Pochonbo. Puis, je conduisis mes troupes et le reste des porteurs sur le mont Kouyushui. J’avais le pressentiment que le combat prochain éclaterait justement sur ce mont rocheux, en pente raide de 60 degrés. Il n’était pas facile d’y grimper avec un lourd fardeau sur le dos. Si une personne à l’avant avait l’imprudence de laisser rouler une pierre, une terrible avalanche risquait d’ensevelir ceux qui venaient derrière. Par l’intermédiaire de mon ordonnance Paek Hak Rim, j’enjoignis plusieurs fois à tous d’y faire attention. Chacun gravissait avec précaution le versant en calant et en soutenant de la main le pied de celui qui le précédait.
Une fois sur la crête, je dis à mes hommes de se préparer au combat, avant même que la sueur n’eût séché sur leur front. Dans l’intention d’utiliser les pierres contre l’ennemi comme le suggérait la configuration du terrain, tous s’appliquèrent à faire ici et là des tas de pierres. Puis, nous prîmes un petit déjeuner simplifié avec nos boules de riz cuit. Juste à ce moment-là, j’aperçus en bas une troupe ennemie qui grimpait du côté où nous venions de monter. C’était la garde frontière spéciale de
L’ennemi, à plat ventre, s’acharnait à gravir la pente entre les roches. En pareilles circonstances, on aurait beau tirer, cela n’aurait aucun effet. J’ordonnai de faire rouler des pierres, ce que nos hommes firent. Nous avions déjà combattu avec des pierres sur le mont Pointu lors de la défense de Xiaowangqing. Sur le mont Kouyushui, cette tactique fit de nouveau ses preuves.
Cette bataille démontra une fois de plus l’habileté de nos partisans à combattre. Lors de l’attaque de Pochonbo, nous n’avions pas donné à l’ennemi le temps de résister, et la bataille s’était terminée d’une manière trop simple, notre action ayant été unilatérale. Or, là, sur le mont Kouyushui, il n’en alla pas de même. L’ennemi nous attaquait avec tant d’opiniâtreté que cela valait bien la peine que nous nous battions.
Au son du clairon annonçant la charge, O Paek Ryong se lança comme un tigre; il abattit d’un coup le mitrailleur ennemi et s’empara de sa mitrailleuse, qu’il agita en l’air, dans ma direction; Kim Un Sin, aux prises avec un grand diable en un violent corps à corps, finit par lui arracher son lance-grenades.
Notre riposte fut si fulgurante et si terrible que la troupe de l’armée fantoche mandchoue qui venait d’arriver, en retard, du côté ouest du mont Kouyushui n’osa même pas s’approcher. Elle tira, de loin, quelques coups de feu au hasard et se contenta de contempler la bataille. J’ordonnai à nos mitrailleurs de tirer quelques courtes rafales en l’air de ce côté-là. Tirer en l’air quand une troupe fantoche mandchoue apparaissait aux alentours était un usage que nous observions depuis que nous étions dans la région de Jiandao. Il s’agissait d’une entente entre les troupes de l’armée fantoche mandchoue et nous: quand nous tirions en l’air comme elles nous le demandaient, elles tiraient aussi quelques coups de feu inoffensifs, et, au lieu de venir «punir» l’armée révolutionnaire, elles s’en retournaient, sûres qu’elles n’avaient rien à faire avec nous.
Ce jour-là, le détachement de couverture repoussa de son côté l’attaque lancée par la garnison de
Les civils qui nous avaient accompagnés, les fardeaux sur le dos, depuis Pochonbo purent assister de près, du début à la fin, à la bataille: ils ne cessèrent de s’exclamer d’admiration devant la puissance de l’armée révolutionnaire populaire. En même temps, ils constatèrent nettement la défaite de l’ennemi. Les divers faits qu’ils avaient alors vécus fournirent plus tard de bons matériaux d’éducation. La bataille leur donna confirmation de la puissance de combat de cette armée. A leurs yeux, l’armée japonaise n’était plus invincible, comme «elle prétendait l’être», c’était l’Armée révolutionnaire populaire coréenne qui méritait ce qualificatif. Takagi Takeo17 ne tarit pas d’éloges sur la dextérité à combattre dont notre armée fit preuve à Pochonbo et sur le mont Kouyushui.
Plus tard, Pak Tal me raconta que les survivants ennemis de la bataille du mont Kouyushui avaient été alors si éprouvés qu’ils n’osèrent partir en expédition pendant quelque temps. Selon lui, parmi ces rescapés chanceux se trouvait un policier coréen qu’il connaissait personnellement. Apparemment, c’était un type bien malin.
Ayant aperçu des traces de pas tandis qu’il escaladait le mont Kouyushui, celui-ci avait deviné que des partisans étaient en embuscade sur la crête. Aussi, faisant semblant de réajuster ses guêtres, il se laissa précéder par les policiers japonais et resta en arrière. Au moment où les policiers japonais allaient atteindre la crête, des tirs de mitrailleuse et des explosions de grenade retentirent en effet, suivis de cris de détresse. Le madré agent de police dévala alors à toutes jambes la pente et resta caché au bord de la rivière jusqu’à la fin de la mêlée. En relatant cet épisode à Pak Tal, il avait dit non sans fierté que sa ruse lui avait sauvé la vie.
De son côté, Ogawa Shuichi, chef de la garde frontière spéciale, échappa par miracle à la mort dans cette bataille; il y a quelques années encore, il vivait au Japon comme simple particulier. Dans ses dernières années, il a publié un article relatant la défaite subie alors par les Japonais. En le lisant, j’ai appris qu’il avait été grièvement blessé dans cet affrontement: une de nos balles lui avait percé la langue. C’est une des pires blessures qui soient. Il s’est fait soigner longtemps dans un hôpital, mais sans résultat sensible, paraît-il.
J’ai vu une photo sur laquelle on pouvait voir sa plaie encore béante. Comme de nombreux autres hommes de l’armée et de la police de l’ancien Japon, il avait été victime du tristement célèbre «yamato tamashii (esprit japonais—NDLR)».
Notre victoire sur le mont Kouyushui comme celle que nous remportâmes plus tard sur le mont Jiansan couronnèrent le résultat positif de la bataille de Pochonbo et attestèrent une fois de plus la combativité et l’invincibilité de l’ARPC. L’ennemi, dans la région frontière, tremblait d’effroi. S’il soutenait, dans ses documents, avoir tué un «grand nombre de combattants ennemis» sur le mont Kouyushui, ce n’était qu’une tentative pour camoufler les faits. Pas un seul tué de notre côté, voilà la vérité.
Pour transporter les cadavres de ses hommes, l’ennemi avait dû mobiliser de force les habitants des environs du mont Kouyushui et réquisitionner couvertures et portes. Tout compte fait, nous avions frappé l’ennemi sur le mont Kouyushui, et non à
Après la bataille du mont Kouyushui, nous eûmes de touchantes retrouvailles avec l’unité de C
«Nous étions encerclés aux environs du mont de l’Oreiller. Or, soudainement, l’ennemi a levé le siège et a décampé. Qu’est-ce que ça veut dire, mon Général?»
Je lui expliquai brièvement ce qui nous avait amenés à attaquer Pochonbo pour porter secours à sa division, la 4e.
Il éclata alors de rire:
«Et moi, en voyant ces vauriens se retirer, je pensais à tort à une intervention surnaturelle. Merci, mon Général, c’était grâce à vous! Formidable, ma foi!»
A tout bout de champ, il employait l’expression «ces vauriens» pour désigner avec mépris les hommes de l’armée et de la police japonaises.
Je lui demandai de me conduire auprès des combattants de la 4e division que j’avais envie de voir. Mais il observa, l’air désolé, qu’ils n’étaient pas en état de me recevoir. Revenant à la charge, je compris qu’ils avaient une tenue minable.
Vite, j’appelai Kim
A Diyangxi, nous retrouvâmes également les camarades de la 2e division de la première armée. Cette division aussi s’était acquittée de sa mission. Je remerciai les camarades des 4e et 2e divisions du soutien et du concours apportés à l’unité principale sur ses flancs et son arrière pendant sa marche vers la Corée. Ainsi, sur le plateau de Diyangxi, fixé à l’avance comme point de jonction, les unités de l’armée révolutionnaire qui avaient fait mouvement dans trois directions selon les décisions de la Conférence de Xigang s’étaient rassemblées, et elles se félicitèrent les unes les autres dans un déploiement d’amitié militante. Le plateau, noyé dans la verdure, était en effervescence comme en un jour de fête. Chacun s’exaltait à raconter des actions d’éclat.
La population de la région du mont Paektu exultait, elle, témoin des victoires que les troupes de l’armée révolutionnaire avaient remportées en appliquant les orientations définies à la Conférence de Xigang. Selon les informations fournies par le réseau de Pak Tal, dans les secteurs de Kapsan, de Phungsan, de Samsu, hommes, femmes, vieux et jeunes étaient en ébullition, parce que l’armée révolutionnaire ne tarderait pas à libérer le pays.
Le pittoresque dans le rapport de C
C
Je déclarai catégoriquement qu’il n’était pas question de l’exécuter.
«Il est tout à fait absurde de le liquider parce qu’il est Japonais. Ancien combattant, il travaille comme maître d’œuvre. Il n’a pas commis de crimes envers notre peuple, et pourquoi le supprimer? Il ne faut pas traiter à la légère le sort des hommes.»
C
Ce jour-là, je rencontrai moi-même Kawashima. Quand je lui dis quelques mots, je constatai qu’il parlait le coréen mieux que je ne pensais. Je lui demandai s’il n’avait pas peur de l’armée révolutionnaire. Il avait été très inquiet au début, répondit-il, mais il ne l’était plus maintenant. Il expliqua: «Les autorités japonaises appellent les partisans “bandits”. Mais, ces derniers jours, en accompagnant l’armée révolutionnaire dans ses déplacements, j’ai compris que c’était du pur mensonge. S’ils étaient des bandits, ils auraient pillé les biens d’autrui, mais je ne les ai jamais vu faire pareille chose. Les partisans ne cherchent qu’à servir la cause de l’indépendance de la Corée. Même quand ils n’ont rien mangé depuis plusieurs jours, ils ne se permettent pas de pénétrer dans un champ dont ils ne voient pas le propriétaire. Quand un partisan trouve quelque nourriture, il la cède volontiers à ses camarades. Comment une telle armée pourrait-elle être une troupe de bandits?»
Je recommandai à C
Selon les informations fournies plus tard par l’organisation clandestine, Kawashima, de retour au dépôt de grumes, avait déclaré que l’«armée de guérilla coréenne n’était pas une troupe de bandits, mais une armée révolutionnaire à la discipline rigoureuse» et qu’elle n’était pas assez faible pour être vaincue par l’armée japonaise. Cela lui avait valu d’être emmené à la police. Là encore, il avait continué de parler favorablement de nous, jurant qu’il disait ce qu’il avait constaté de ses yeux.
Finalement, les autorités policières l’avaient taxé d’élément rouge et renvoyé au Japon. Ce qu’il avait dit alors de l’armée révolutionnaire populaire fut publié en substance à l’époque dans un journal de notre pays.
Ayant lu le journal, C
Le cas de Kawashima me persuada une fois de plus qu’il ne faut pas regarder tous les Japonais d’un mauvais œil, mais les traiter avec sérieux selon leur conduite actuelle et leur tendance idéologique.
Le jour même où mes unités étaient arrivées à Diyangxi, Ri Hun, maire de Shijiudaogou, vint nous voir. Il m’annonça que les habitants du village de Diyangxi, voulant nous féliciter de nos victoires à Pochonbo et à Kouyushuigou, étaient en train de préparer des mets et formula le vœu de voir les partisans et les villageois partager le repas. De sa manière de parler, je conclus que tout le village allait s’employer à nous préparer un festin et qu’il ne s’agissait pas d’un simple déjeuner comme d’habitude. Ne servir même rien qu’un bol de riz à chacun de nos partisans, au nombre de plusieurs centaines, représenterait déjà un lourd fardeau pour les habitants de Shijiudaogou. Nous ne pouvions pas accepter une chose pareille. Je voulus dissuader Ri Hun de nous préparer le repas.
Or, habituellement si obéissant envers nous, il s’obstina cette fois à refuser: il m’implora d’accepter cette expression de bienveillance de la population, d’autant plus qu’il n’y avait pas maintenant d’autre choix.
«Cher Général, disait-il, ce n’est pas une demande personnelle de ma part, c’est le vœu des gens de Shijiudaogou. Je vous supplie de ne pas refuser. Si je m’en retournais sans avoir obtenu votre accord, même les femmes me traiteraient de bon à rien et me jetteraient des pierres. Disons que je pourrais quand même le supporter, mais il est certain que tout le village fondrait en larmes. Que pourrais-je alors faire!»
J’étais bien embarrassé. Si nous quittions Diyangxi, passant outre à la prévenance de ses habitants, ceux-ci en seraient fort déçus, et les partisans pourraient le regretter.
Je proposai donc à Ri Hun: «Tant qu’à faire, au lieu de nous arranger simplement pour partager un repas, répartis entre les familles, avant de nous séparer, nous ferions mieux de nous rassembler, partisans et villageois, à un endroit pour nous distraire et nous amuser à cœur joie. Le Tano (fête du 5e jour du cinquième mois lunaire—NDLR) approche d’ailleurs. A cette occasion, on organisera en plein jour et fièrement une réunion solennelle sous le nom de fête conjointe de l’armée et de la population sur le plateau de Diyangxi. Ainsi les partisans et les gens du peuple pourront-ils s’encourager et partager les sentiments des uns et des autres. On organisera en outre une réunion de réjouissances et une fête sportive à faire trembler ciel et terre de sorte que tout le monde puisse se réjouir son soûl, débarrassé de tout souci. »
Les commandants des 4e et 2e divisions appuyèrent cette proposition. A voir son désir en bonne voie de réalisation, Ri Hun avait la bouche béante de joie. C’était la première fois depuis la dissolution des zones de guérilla que nous organisions des festivités conjointes de l’armée et de la population.
Le village de Defudong, choisi comme lieu de la fête, c’étaient Ri Je Sun, Kim Un Sin, Ma Tong Hui, Kim Ju Hyon, Ji T
Je m’installai, avec une cinquantaine de combattants et commandants, chez An Tok Hun, chef de la section du lieu de l’Association pour la restauration de la patrie. C’était avec lui et Ri Hun que Ri Je Sun s’était mis en contact en premier à Shijiudaogou. Nous avions passé chez lui avant la bataille de Pochonbo et plusieurs fois par la suite, et nous fûmes toujours ses grands obligés. Les An aidaient énormément les partisans. Son frère cadet, An Tok Su, était également un brave homme; il nous aida avec beaucoup de ferveur dans notre travail.
A Defudong demeurait un riche, nommé Song. C’était un gros propriétaire foncier, très projaponais, qui concevait la vie comme suit: le sort du pays, je m’en fiche, je veux me la couler douce, et c’est tout. Or, nos militants clandestins apprirent qu’il avait chez lui beaucoup d’argent. Ils le convoquèrent ainsi que Ri Hun chez An Tok Hun et leur demandèrent à tous deux de prêter assistance à l’armée de guérilla. S’ils avaient fait venir Ri Hun aussi, membre de l’organisation clandestine, c’était qu’il avait un rôle à jouer dans leur plan: s’il offrait en premier une somme, Song devrait en tenir compte; de plus, s’ils invectivaient Ri Hun, celui-ci en serait mieux camouflé comme membre de l’organisation clandestine. Les choses tournèrent comme ils l’avaient prévu. Ri Hun offrit le premier une somme déterminée au nom du village, et Song, à son tour, donna contre son gré une somme de 150 yuan. En fait, celui-ci l’avait offert à contre-cœur, sans pouvoir faire autrement, de peur d’éventuelles conséquences fâcheuses.
Plus tard, regrettant vivement d’avoir passé cette somme d’argent aux militants clandestins, Song, pour leur rendre la monnaie de leur pièce, informa son beau-frère du poste de police que des militants clandestins de l’armée de guérilla fréquentaient An Tok Hun. Mis au courant, Ri Hun, après avoir discuté avec eux, fit rejoindre à An Tok Hun l’armée de guérilla, tandis qu’il faisait déménager sa famille en Corée. Sans ces mesures d’urgence, les An auraient été sûrement exterminés. L’été ou l’automne 1937, l’ennemi incendia complètement Defudong sous prétexte que c’était un «village de rouges».
Chez An Tok Hun, j’élaborai, avec les personnalités influentes de Shijiudaogou et les commandants des 2e et 4e divisions, le programme détaillé de la fête conjointe de l’armée et de la population. Les jeunes du village fabriquèrent plus de 50 presses à nouilles. Les combattants et les villageois, réunis dans chaque maison, passèrent la nuit à chanter et à raconter des histoires du temps passé. Le récit de la reconnaissance à Pochonbo fait par Chon Pong Sun, l’auteur de cette action, fit souvent éclater de rire l’auditoire:
Vers la fin de mai 1937, Chon Pong Sun avait reçu de moi, par l’intermédiaire de Kim Un Sin, partisan originaire d’Ouledong, la tâche de se renseigner sur les armements et le dispositif de l’ennemi dans la ville de Pochonbo. Avec l’aide d’un parent qui y habitait, il avait appris que le poste de police comptait 7 agents avec une mitrailleuse légère, que le service de la protection forestière employait 5 Japonais, dont le responsable serait muté bientôt, et que la ville dénombrait environ 200 habitations. Il fallait maintenant vérifier tout cela.
Un jour, Chon va en ville, et, après avoir bu un peu d’alcool dans un restaurant, il se rend d’un pas titubant dans une mercerie devant le poste de police. Feignant l’ivresse, il fouille dans sa poche d’une main tremblante, en marmonnant: «Où diable s’est envolé mon billet d’un won?» Puis, sortant un billet de 5 won, il s’écrie: «Enfin, le voici, mon billet d’un won!» et demande un paquet de cigarettes «Mako». A l’époque, ces cigarettes coûtaient 5 jon le paquet. Puisqu’il avait donné un billet de 5 won, on aurait dû lui rendre 4 won 95 jon. Pourtant, la propriétaire, sournoise, lui jette 95 jon de monnaie, pensant que le client est trop ivre pour distinguer le billet de cinq won de celui d’un won. Les choses tournent comme il le souhaite. Il demande à la femme de lui rendre 4 autres won parce qu’il a donné 5 won. De son côté, celle-ci vocifère: «D’où vient donc cette espèce d’escroc? Quelle fourberie que de prétendre avoir donné cinq won quand on n’a donné qu’un won! Fiche-moi le camp!»
Ainsi, une querelle éclate pour savoir s’il s’agit de cinq won ou d’un won. La femme menace alors l’homme de l’emmener au poste de police, et, lui, il lui propose d’aller régler l’affaire auprès des policiers. Elle accepte, persuadée que la police prendra sans doute fait et cause pour elle.
Au poste de police, ils continuent de se chamailler, en débitant des injures l’un contre l’autre. Leur dispute est si vive que les hommes de police ne peuvent que les regarder, ne sachant pour lequel des deux prendre parti. Sur ces entrefaites, Chon a tout examiné et vérifié: le nombre des policiers et celui des fusils, dont une mitrailleuse. Puis, il propose aux policiers d’aller voir avec eux à la boutique. «Mon billet de cinq won est recollé au milieu avec un morceau de papier, dit-il. Si l’on trouve un tel billet, c’est moi qui gagne, sinon c’est cette garce qui gagne.» Ainsi, l’homme et la femme regagnent le magasin, précédés du policier de service.
En effet, ils découvrent dans le coffre-fort du magasin un billet de 5 won recollé au milieu par une bande de papier. Malgré cela, la propriétaire s’obstine à prétendre à tort et à travers qu’elle a reçu ce billet le matin d’un autre client. Et, finalement, c’est elle qui gagne la partie. Avant de sortir de la boutique, l’homme lui dit en guise d’adieu: «Madame, vous vivrez comme un coq en pâte, car vous êtes habile comme tout. » Tout en pensant qu’elle est malhonnête, il lui en sait gré: n’eût été cette femme, il n’aurait pas eu de prétexte pour s’introduire au poste de police.
Cette histoire encouragea les membres de l’organisation clandestine de Defudong, qui tiraient une légitime fierté du concours inappréciable qu’un de leurs collègues avait apporté aux opérations de l’armée révolutionnaire populaire dans sa marche vers la Corée.
Tout le village s’employait à préparer la fête conjointe, quand une fâcheuse nouvelle apportée par nos éclaireurs parvint à nos oreilles: le commandant d’une brigade mixte de l’armée fantoche mandchoue était parti de Changbai vers Hanjiagou, prêt à «punir» l’armée révolutionnaire populaire. Nous voilà aussitôt lancés à sa rencontre avec C
Cet affrontement rehaussa une fois encore le prestige de l’armée révolutionnaire. Parmi le butin se trouvait une grande quantité de produits alimentaires pouvant contribuer aux préparatifs de la fête conjointe.
Le jour du Tano, il faisait un temps superbe, et l’armée et la population se réunirent enfin pour la fête conjointe sur le plateau de Diyangxi. Les trois unités couvraient déjà toute la vaste étendue du terrain. Il s’y ajoutait les membres de l’ARP au nombre de plusieurs centaines. On remarquait aussi la présence des délégués de l’Union coréenne pour la libération nationale. La fête conjointe put se dérouler dans une ambiance détendue, car les maires de tous les villages avaient eu soin à l’avance de tenir à l’écart les larbins de l’ennemi pour assurer le secret. Partisans et habitants étaient mêlés les uns aux autres. Et notre plus grande joie était d’être en compagnie de nombreux grands-pères et grands-mères. Enfin, assis autour d’îlots de nourriture, nous nous divertissions à souhait. Les gâteaux de riz à l’armoise et au surichi (une espèce d’aster—NDLR) étaient les plus appréciés des mets préparés par les villageois.
Guidé par Ri Hun et An Tok Hun et accompagné de C
Certaines combattantes apparurent en costume traditionnel, qui remplaçait momentanément leur éternel uniforme. Dans ces vêtements qu’elles avaient dû porter dans leur pays natal, elles étaient aussi belles que des fées. Elles jouaient à la balançoire deux à deux avec les jeunes filles du village. Dans une clairière, on chantait et dansait avec joie. Quelques femmes battaient une calebasse renversée dans une cuvette en cuivre pleine d’eau pour marquer le ryt
Comment ces gens qui ne se connaissaient pas du tout pouvaient-ils témoigner les uns aux autres dès leur premier contact une amitié aussi cordiale comme s’ils étaient de proches parents qui se retrouvent après une longue séparation forcée? Cette pensée m’absorbait, tandis que je contemplais cette réunion joyeuse des partisans et des civils. L’ennemi nous présentait comme isolés, pourtant nous nous trouvions dans cette mer d’amour profond et de soutien dévoué où le peuple nous plongeait. Cette fête conjointe de l’armée et de la population résumait la révolution antijaponaise au cours de laquelle l’armée de guérilla et le peuple étaient venus à bout des vicissitudes, la première protégeant le second dont elle était aimée.
Ce jour-là, au nom de l’armée révolutionnaire populaire, j’improvisai un bref discours, pénétré de l’idée que l’armée pourrait toujours subsister et vaincre parce qu’elle ne faisait qu’un avec le peuple. A un endroit de ce discours, je rappelai brièvement notre marche vers la Corée.
Le délégué des organisations de Corée prit aussi la parole.
Après les discours prononcés par des personnes issues de différentes couches sociales, un vieillard venu d’Ouledong nous remit un drapeau d’honneur au nom de l’organisation du district de Changbai de l’ARP. Sur notre recommandation, c’est Ma Tong Hui qui le reçut, lui qui avait rempli avec honneur sa mission de reconnaissance avant la bataille de Pochonbo. Ce petit drapeau fait de brocard rouge portant des caractères brodés de fil d’or, c’étaient Pak Rok Gum et les membres de l’Association des femmes du village de Xinxingcun qui l’avaient confectionné. Elles avaient dû broder dans une cave à pommes de terre, protégées par une personne aux aguets contre les mouchards ou les hommes de l’armée et de la police ennemies. C’était merveille qu’une militante clandestine comme Pak Rok Gum fût si bonne brodeuse.
La fête conjointe de l’armée et de la population se termina par une revue militaire solennelle, une revue relativement grande parmi les nombreuses organisées depuis le début de la guerre contre les Japonais. J’évoquai avec émotion le souvenir de ce défilé sur la tribune d’honneur lors de la revue militaire de 1948 et de celle de 1953 organisée pour célébrer la victoire à l’issue de la Guerre de libération de la patrie.
La fête conjointe de Diyangxi démontra au monde entier l’indéfectible unité politique entre l’armée de guérilla et la population.
Dans la première moitié des années 1940, les impérialistes japonais eurent beau parler de l’anéantissement de l’armée révolutionnaire, les civils qui avaient participé à cette fête conjointe furent loin d’y croire. Cela témoigne de l’effet produit par cette festivité. De leur côté, les combattants de la guerre contre les Japonais, convaincus que la population n’abdiquerait jamais son attachement et sa confiance en eux, se firent prêter secours par elle quand ils étaient en difficulté.
Malheureusement, quelques combattants de la 4e division, dont Kim Chol Ho, étaient arrivés en retard sur les lieux et avaient manqué la fête inoubliable, une disette ayant ralenti leur marche. Cela me navra profondément.
Bien des années plus tard, de retour dans la patrie libérée,
Kim Jong Suk et moi eûmes soin de les inviter chez nous à l’occasion de la fête de Tano.
4. La photograp
Au cours de la Lutte armée antijaponaise, c’est, pensé-je, sur le plateau de Diyangxi, dans le district de Changbai, que nous nous sommes fait photograp
Pourtant, les plus jeunes restaient sur leur faim: ils désiraient avoir chacun une photo individuelle, une autre prise avec les camarades de leur escouade et une autre encore avec leurs vieux amis d’autres unités en souvenir de leurs retrouvailles après une longue séparation. Certains de mes gardes du corps avaient envie de se faire photograp
Malgré leur désir, le photographe, homme bourru, s’en alla, son appareil sur l’épaule il avait dû être embarrassé, n’ayant sans doute pas assez de plaques sensibles pour satisfaire à toutes les demandes.
A voir les jeunes bougonner, j’eus un instant l’idée de faire revenir le photographe, mais j’y renonçai, le temps nous manquant.
Je comprenais parfaitement leur regret. A leur âge, tout le monde a envie de se faire photograp
Dans mon enfance, je ne me suis guère fait photograp
Voici une petite anecdote qui s’était passée dans ma tendre enfance. Un jour, mon grand-père me donna cinq jon d’argent de poche. Heureux d’avoir de l’argent pour la première fois de ma vie, je fis d’un trait les douze kilomètres à pied jusqu’à Pyongyang. L’animation et l’éclat de la ville m’éblouissaient. Toutes sortes de produits de luxe remplissaient les marchés et les boutiques bordant les avenues. Les boniments des camelots m’assourdissaient. Pourtant, je me mis en quête d’un atelier de photographe, tellement j’avais envie de me faire photograp
Hélas! mal m’en prit. Devant la caisse, je trouvai des dames et des messieurs habillés à la mode qui payaient en billets de banque. De toute évidence, j’aurais mieux fait de ne pas venir: l’atelier de photographe n’était pas à portée de mon escarcelle. Je me hâtai de sortir. Quel rêve chimérique que de vouloir jouir des bienfaits de la civilisation avec cinq jon! Je me le tins pour dit. J’eus la sensation que le monde était écrasé sous le poids de l’argent, ce qui me faisait haleter moi-même. Par la suite, quand je me rendis en ville, j’évitai de m’attarder devant tout atelier de photographe.
Au temps de mes études à Jilin aussi, je me gardais, autant que possible, de penser à la photograp
Un jour, je reçus de ma mère un mandat postal avec ces mots: «Je t’envoie un peu d’argent en supplément. Fais-toi prendre en photo pour ton anniversaire et envoie-moi la photo. Cela me fera grand plaisir de la regarder quand tu me manqueras.»
Je fis droit à la demande de ma mère. Mon frère cadet Chol Ju m’avait d’ailleurs raconté qu’elle pleurait, le visage enfoui dans mon vieux linge quand je lui manquais. Combien devait-il lui tarder de revoir son fils pour qu’elle lui eût envoyé une somme supplémentaire afin d’avoir de lui une photo!
Voilà comment je posai pour le photographe et expédiai une photo à Fusong. Cette photo individuelle est la seule parmi mes photos datant du temps du Lycée Yuwen de Jilin, qui soit encore là aujourd’hui. C
Plus tard encore, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de me faire photograp
Or, quelques-unes de mes photos du temps de Jilin étaient tombées, je ne sais comment, entre les mains de la police qui les utilisa pour me rechercher. Il arriva qu’un mouchard, muni d’une de ces photos, vint à Kalun et s’enquit de la personne de la photo auprès de membres de la Troupe d’enfants éclaireurs en faction à l’entrée de leur village. Averti à temps par eux, je pus échapper de justesse à un malheur, tandis que le mouchard fut liquidé par des membres de l’Armée révolutionnaire coréenne. Après cet incident, je m’abstins pour quelques temps de me faire prendre en photo.
Cependant, au cours de mes activités révolutionnaires, il m’arriva encore d’éprouver l’envie de me faire photograp
Mes activités clandestines comme ma vie dans l’armée de guérilla pullulaient de ce genre d’épisodes dignes d’être pris en photo. Nombreux étaient aussi les événements inoubliables que je vécus dans les zones de guérilla.
Pourtant, pas une seule de ces scènes n’a pu être enregistrée en image photographique, chose inévitable à cette époque-là. En effet, il ne nous était pas permis de songer à garder d’objets symboliques ou de souvenirs pour plus tard. Nous nous trouvions sans cesse confrontés à de nouvelles tâches aussi pressantes que cruciales sans compter que nous livrions de durs combats; nous n’avions guère le loisir de penser à d’autres choses.
Mais il ne devait pas toujours en être ainsi. Même exilé sur une île déserte, l’homme reste un homme. Il fallait a fortiori qu’il y eût de la vie dans le maquis.
Les jeunes partisans soupiraient après la photograp
Ce jour-là, de retour au logis, je m’adressai à quelques commandants présents: «Les jeunes partisans, désireux de se faire prendre en photo, s’empressent auprès du photographe de la 4e division. Il faudrait que nous ayons nous aussi un appareil photo.» Ces mots que j’avais prononcés juste en passant eurent un effet inespéré.
Un jour de l’été 1937, alors qu’ayant quitté la région de Changbai, nous étions au camp secret de Liudaogou dans le district de Linjiang, Ji T
C’était un appareil à plaques, exactement du même modèle que celui de la 4e division. De plus, Ji T
C’était Kim Il qui l’avait connu dans la région où il était en mission secrète et qui l’avait formé avant de l’envoyer dans notre armée. C’était un homme aussi silencieux et aussi consciencieux que Kim Il. Une fois qu’on lui avait assigné une tâche, il l’accomplissait avec l’assiduité d’un bon cultivateur. Les deux hommes se ressemblaient singulièrement, par leurs traits de caractère, leurs façons de travailler et même leurs manières.
Ji T
Accompagné d’un partisan nommé Kim Hak Chol, il était allé voir Ri Hun, maire de Shijiudaogou, avec lequel il discuta longuement sur ce qu’on pouvait faire pour se procurer un appareil photo. Le maire, de son côté, alla consulter les membres de l’Association pour la restauration de la patrie du lieu sur les moyens d’atteindre son but. Un jour, celui-ci informa Ji T
Les impérialistes japonais voulaient mettre sur pied, à Xijiandao aussi, le système des «villages de regroupement» et un moyenâgeux système de surveillance collective18, les mêmes qu’ils avaient déjà mis en place en Mandchourie de l’Est. Dans ce but, ils avaient décidé d’effectuer le recensement de la population et de prendre des photos d’identité. En outre, ils délivraient ce qu’ils appelaient des permis de circulation (de séjour) et des permis d’achat de marchandises, pour surveiller les moindres faits et gestes de la population.
Sans certificat de résidence ni permis de circulation, aucune personne âgée de 15 à 65 ans ne pouvait ni s’installer quelque part ni se déplacer. Il fallait être muni d’un permis d’achat de marchandises pour acheter des céréales, du tissu, des brodequins. Quiconque était accusé d’en avoir acheté sans ce permis était inculpé d’«intelligence avec les bandits» et arrêté.
Enfin, il fallait bien trouver un moyen d’enlever l’appareil photo, installé dans la cour du poste de police sous bonne garde. Ji T
Le lendemain, Ri Hun, simulant un grand découragement, se présenta au chef du poste de police d’Ershidaogou. Il se plaignit de ses administrés dont l’ignorance l’empêchait, disait-il, d’exercer ses fonctions de maire. Il continua: «J’ai beau essayer de persuader ces fichus paysans de venir ici pour se faire photograp
Le chef du poste de police fit la moue.
«De leur côté, reprit Ri Hun, les gens importants du village sont mécontents. Ils se plaignent que les centaines de familles de la vaste vallée de Shijiudaogou soient obligées de venir jusqu’ici, à Ershidaogou, pour se faire photograp
—Ah, ça! Vous m’en direz tant! fit le chef du poste de police. Mais que voulez-vous que je fasse, moi? C’est à vous, maire de village, de prendre les mesures qu’il faut, pas vrai?»
C’était exactement ce qu’attendait notre homme. Il fit semblant de faire un effort d’imagination et, au bout d’un moment, reprit:
«Votre poste de police fait peur aux gens; par ailleurs, il est très loin de Shijiudaogou. Si vous me le permettez, je proposerai plutôt la maison de Ri Jong Sul qui se trouve à Shijiudaogou. Sa cour est assez vaste pour abriter ceux qui viendront poser pour le photographe.»
Ri Jong Sul était un homme de main de l’ennemi. Les policiers et les fonctionnaires lui rendaient visite le plus souvent possible sous divers prétextes, car il leur offrait un bon repas, arrosé d’un bon alcool. Le chef du poste de police accepta la proposition de Ri Hun, qu’il trouvait raisonnable. C’est ainsi que l’appareil photo fut transporté dans la cour de Ri Jong Sul, moins surveillée, qui devint le lieu de rassemblement des habitants de Shijiudaogou.
Le chef de police, en compagnie de ses sous-ordres, se dirigea aussi vers la maison de Ri Jong Sul. Inutile de dire que le maître de céans offrit un festin en leur honneur. Un agent faisant le guet dans la cour, les autres se mirent à table. Quelques minutes après, le guetteur vint les rejoindre.
Les convives, éméchés, prenaient du bon temps, quand un homme, membre de l’organisation clandestine du village, ouvrit brusquement la porte, criant: «Voilà des “bandits” qui emportent l’appareil! Ils grouillent partout, les “bandits”, dans la montagne.» Le chef, blême, dégaina pourtant son revolver, prêt à se lancer à l’assaut de ses ennemis. L’alcool le rendait téméraire.
Ri Hun le retint.
«Ils sont nombreux. C’est de la folie que d’essayer de leur tenir tête à vous seul. Songez plutôt à sauver votre vie. Mieux vaut un c
Il le traîna dans l’arrière-cour, le poussa dans la porcherie et amoncela du foin sur lui. Les autres agents se cachèrent du mieux qu’ils purent.
Sur ces entrefaites, les partisans firent leur apparition sur les lieux, haranguèrent la foule, puis s’en allèrent, sans se presser, l’appareil photo sur l’épaule.
L’aventure, racontée par un de ces partisans, me fit tordre de rire.
Dans les documents confidentiels japonais intitulés: «Mouvements des bandits sur l’autre rive», «Jugement de l’affaire de
«A Xiaoputaogou, vers une heure et demie de l’après-midi, des hommes armés de revolvers, censés être de l’unité de Kim Il Sung, ont fait leur apparition là où un photographe était en train de photograp
C’était un appareil d’un modèle ancien, qui utilisait des plaques sensibles de verre, remplacées de nos jours par les pellicules.
Pour tout dire, Ji T
Ji T
Je me mis en tête de m’initier à la photograp
Un jour, à voir mon application, il me demanda pourquoi je gaspillais mon temps à une chose d’aussi peu de valeur.
Il était pourtant prévenant et attentif pour m’apprendre à obtenir une image artistique des objets et à sensibiliser les plaques.
Lorsqu’il eut appris qui j’étais, il m’ouvrit son cœur. De ce qu’il m’a alors raconté, il me reste aujourd’hui encore gravé dans la mémoire l’histoire du «chapelet de champignons». La première chose qu’il s’était attendu à trouver dans notre unité, c’était le «chapelet de champignons». Il entendait par là, disait-il, des «oreilles d’homme coupées, enfilées et séchées». A l’époque, l’ennemi faisait circuler le bruit que l’armée révolutionnaire coupait les oreilles des prisonniers, les enfilait et les faisait sécher, comme si c’étaient des champignons; au reste, les impérialistes japonais avaient mis sur pied une «équipe de pacification», organisation d’intrigants, ayant sous son contrôle divers services et qui décrivait les partisans comme des cannibales cornus au visage rouge. Et naguère encore, Ri In Hwan, comme d’autres, avait ajouté foi à cette propagande.
«Quand j’ai vu les partisans arriver dans la cour de Ri Jong Sul, dit-il, j’ai tremblé comme une feuille, glissé sous le voile noir de mon appareil. C’en est fait de moi, me dis-je, et j’ai porté d’instinct la main à mon oreille. Mais, en prenant contact avec eux, j’ai compris qu’ils étaient tous de braves gens.»
Ayant appris qu’il avait beaucoup d’enfants, je lui conseillai de rentrer chez lui. Or, il ne voulut pas entendre raison. Au contraire, il me supplia de le garder, disant que sa femme s’occupait d’eux. Touché de l’insistance qu’il mettait à vouloir rester dans le maquis, je décidai de l’admettre dans l’armée de guérilla. Il mit un uniforme neuf, et quelle ne fut pas alors sa joie! C’était un plaisir pour nous-mêmes de le voir ainsi.
Après les batailles de Liukesong et de Jiaxinzi, notre unité recruta nombre d’ouvriers qui formèrent de nouvelles escouades, et Ri In Hwan fut nommé chef d’une d’entre elles.
Après son admission, il prit beaucoup de photos des partisans.
Portant toujours sur lui du révélateur, il développait les plaques dès qu’il avait pris des clichés. Par ailleurs, son courage dans les combats le faisait respecter et aimer de tous les partisans.
Un jour, il attrapa un gros rhume et dut s’aliter. Nous le soignâmes de notre mieux. Quand il dormait, on avait soin de le couvrir de plusieurs vestes doublées d’ouate. Personnellement, je mis une couverture en paravent au chevet du malade, et je veillai une nuit auprès de lui, en lisant.
Quand il se fut réveillé, il me prit les mains et, avec des larmes dans la voix, balbutia: «Je n’ai rien fait qui vaille vos attentions. Pourrais-je jamais vous les rendre? Chez vous, pour la première fois de ma vie, je reçois un traitement digne d’un homme, et j’ai appris ce qu’est une vie méritoire. Mieux vaut mâcher des racines d’herbe et vivre dignement, ne serait-ce qu’un seul jour, dans l’armée de guérilla, que me nourrir de bon riz comme valet des Japonais.»
Un jour, il vint me voir. Il posa son appareil devant moi et prit soin d’ajuster ma tenue:
«Je vous prie, cher Général, me dit-il, de me permettre d’exaucer mon vœu. Je veux vous photograp
Il m’expliqua qu’il irait en Corée avec ma photo qu’il montrerait à ses compatriotes. Je le remerciai de sa bonne volonté, mais je refusai. Je lui dis: «La discipline de l’armée interdit qu’on me photograp
A ces mots, prêt à pleurer, il esquissait cependant un de ces sourires ambigus, singuliers comme je n’en avais jamais vu. Je revois encore aujourd’hui ce visage qui s’efforçait au sourire.
Alors que nous allions opérer en petites formations et non plus en grandes unités après la Conférence de Xiao
Il n’est plus auprès de nous, mais quelques-unes des photos qu’on lui doit ont miraculeusement survécu aux épreuves de l’histoire. Parmi elles, il y en a une qui fut prise au camp secret de Wudaogou dans le district de Linjiang, et une autre qui montre des partisanes au bord de la rivière Wukou.
La première, collective, nous l’avons prise en souvenir du retour du groupe de Kim Ju Hyon de sa mission en Corée. Au début, j’avais prévu de photograp
La plupart des photos que nous avions prises, Ri In Hwan et moi, disparurent, à mon grand regret, brûlées ou perdues. Quand il avait mis la main sur des photos de nous, l’ennemi les utilisait pour nous rechercher. Les photos que nous gardions, mes gardes du corps et moi, disparurent lorsque Rim Su San, à la tête de sa troupe «punitive», avait surpris le camp secret du mont Huanggou.
Des dizaines d’années se sont écoulées depuis, et voilà que j’ai appris qu’un nommé Kato Toyotaka, un Japonais, ancien policier de haut rang du Mandchoukouo, avait encore quelques-unes de ces photos. Il a affirmé avoir perdu une des trois photos qu’il gardait, et il a publié les deux autres.
Dans son article intitulé «Recueil de photos et de documents d’importance de la police du Mandchoukouo», il a écrit, avec le sous-titre: «Kim Il Sung, héros légendaire de la résistance contre les Japonais»:
«...Les photos utilisées pour rechercher Kim Il Sung et des cadres du Parti communiste chinois s’avèrent d’une importance et d’une rareté exceptionnelles, car, avant tout, elles sont des objets naturels ayant une valeur réelle suffisante...»
On lisait, à côté des photos, la retranscription de la note inscrite au verso par un homme du corps «punitif»: «Membres du corps principal de l’armée de Kim Il Sung».
C’est ainsi que la vérité historique a été exposée au grand jour: les photos montrent, non pas des «bandits» à l’allure diabolique ou sauvage, mais des soldats et des commandants de l’armée révolutionnaire tels qu’ils étaient, vêtus d’un même uniforme.
Parmi les soldats et commandants de notre armée de guérilla, nombreux sont ceux qui tombèrent au champ d’honneur sans avoir laissé une seule photo.
Aujourd’hui, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient: si quelqu’un est tué au combat, on lui décerne à titre posthume des distinctions selon ses mérites, on envoie à son pays natal le faire-part de décès afin que sa mémoire jouisse de l’estime générale. A l’époque de la guerre contre les Japonais, il n’était pas question d’émettre un avis de décès ni de graver le nom du défunt sur un monument. Comme l’ennemi ne cessait de nous traquer, quand un partisan tombait au champ d’honneur, nous avions à peine le temps de l’enterrer et de mettre de la neige ou des pierres sur lui ou, pire encore, de le couvrir de branches de pin.
Quand j’avais à enterrer un partisan, j’étais, en pensant à sa jeunesse, en proie à un déchirement de cœur tel qu’une poignée de terre que je jetais sur son corps me pesait aussi lourd qu’une roche. Que de patriotes nous ont quittés ainsi sans avoir laissé une seule photo!
Les séparations d’avec les vivants ne nous étaient pas moins affligeantes. Combien aurions-nous alors eu le cœur léger si nous avions pu échanger des photos!
Ce qui nous attristait surtout, c’était de voir des partisanes tomber sur le champ de bataille, du sang entre les dents, sans même avoir laissé de leur beau visage une image photographique. Notre cœur se fendait de douleur.
Tout ce qu’elles avaient laissé en ce monde se réduisait à un sac à dos où l’on ne trouvait rien d’autre qu’une petite broderie représentant une carte de la Corée ornée de fleurs d’hibiscus.
L’homme le plus insensible n’aurait pu se retenir de pleurer en jetant des poignées de terre sur cet objet d’art étalé sur le corps de ces combattantes.
Le temps détruit et ensevelit dans l’oubli trop de choses. Les plus grandes joies comme les plus profondes tristesses pâlissent et se perdent au cours des jours, des mois, des années, dit-on.
Pourtant, cela ne semble pas être exactement le cas pour moi. Jamais je ne pourrai oublier mes compagnons d’armes disparus. Peut-être que l’éternel adieu échangé s’est figé dans mon cœur en une douleur éternelle. Leurs figures persistent dans ma mémoire, imprimées en des centaines et des milliers de clichés nets. Les photos se décolorent et les souvenirs s’estompent avec le temps, dit-on, mais, chose étrange, je revois ces figures, chaque jour un peu plus nettes, avec une émotion toujours nouvelle.
Lorsqu’il fut question de construire le cimetière des martyrs de la révolution sur le mont Taesong, certains proposèrent d’ériger un grand monument et d’y graver les noms des martyrs, tandis que moi, je désirais plutôt qu’on érige un buste de chacun d’eux. Je souhaitais restituer les visages de ces héros de la guerre contre les Japonais afin de permettre à la postérité de les voir tels qu’ils avaient été. Or, nous n’avions aucune photo de la plupart d’entre eux. Faute de mieux, j’ai dû moi-même prendre soin d’évoquer aux sculpteurs les traits de chacun.
J’ai eu l’occasion de lire le dossier de l’«affaire de
Si nous gardons quelques photos datant de l’époque de la révolution contre les Japonais, nous le devons à Ji T
Sur cette photo, il est enchaîné, le visage crispé de colère et tourné à gauche, le regard perçant fixé sur le sol. On imagine la rancœur qu’il éprouvait contre les bourreaux japonais, cet homme d’une fierté exceptionnelle. A la sentence de mort, il fit bonne contenance. Il éclata de rire et déclara: «J’ai fait payer aux Japonais mon sang, et maintenant je peux mourir sans regret.»
Souvent, je veille la nuit à cause de la surcharge de mon emploi du temps; j’ai des nuits d’insomnie surtout quand je suis assailli par le souvenir de mes compagnons d’armes qui nous ont quittés sans nous avoir laissé une seule relique, une seule photo.
C’est sans doute pour cela qu’en vieillissant j’ai commencé à aimer la photograp
Bon est notre régime! Il n’y a pas discrimination entre les personnes, entre les métiers; qui a accompli une action d’éclat se voit honoré et félicité par tout le monde. Partout on peut jouir de la diversité d’une vie culturelle enrichissante. Les danses et les chants nés du travail donnent lieu à des spectacles lors des fêtes ou sur les scènes des festivals. Et le soir, des flots de gens heureux emplissent les rues et les jardins publics tout illuminés.
Il y a un demi-siècle cependant, ce n’était là qu’un rêve. Plus de la moitié de ceux qui ont combattu contre les Japonais sont tombés au champ d’honneur sans avoir eu le temps de connaître cette vie. S’ils n’avaient pas ouvert au prix de leur sang et de leur vie la voie à un changement historique, quels auraient été le présent et l’avenir de notre peuple!
5. La bataille du mont Jiansan
A la fin de la fête conjointe de l’armée et de la population, nous décidâmes, C
Le succès du plan d’incursion en Corée et la fête conjointe de l’armée et de la population, qui s’était déroulée dans un cadre solennel avec la participation de trois grandes unités, avaient relevé énormément le moral des combattants et des commandants. Au point que certains d’entre eux nous proposèrent formellement de profiter de la jonction de ces troupes pour retourner en Corée ou attaquer la ville de Changbai afin de démontrer encore une fois les capacités de l’armée révolutionnaire populaire.
Pourtant, une nouvelle incursion en Corée immédiatement après l’attaque de Pochonbo aurait été irréfléc
Les camarades de la 2e division nous avaient fourni les renseignements nécessaires sur Bapandao. Pendant leur séjour à notre camp secret, ils nous avaient présenté en détail la situation dans cette localité. Par la suite, nous y avions implanté notre organisation clandestine. En faisait partie un soldat de l’armée fantoche mandchoue appelé Liu. Sa fierté lui avait valu la froideur des commandants. Etant l’objet de pressions injustifiées de la part de ses supérieurs, il était venu rejoindre notre unité, où il fut nommé chef d’escouade. C’est lui qui nous avait fait une description détaillée de la situation dans le bataillon de l’armée fantoche mandchoue.
Il est de règle que les partisans se replient à vive allure au loin après avoir attaqué une position clé de l’ennemi. Mais ce n’est pas ce que nous avions fait après la bataille de Pochonbo. L’ennemi était au courant de la tactique de guérilla, aussi était-il probable qu’il se disposerait à y faire face. En effet, en prévision de notre repli en direction de Fusong, l’armée japonaise du Guandong avait disposé ses grandes unités en les serrant sur les voies de communication de ce secteur et aux alentours. C’est pour parer à cette éventualité que nous restâmes, cette fois, sous le nez de l’ennemi.
Autre raison pour laquelle nous ne nous étions pas éloignés des parages de la frontière: nous voulions donner un coup de main aux organisations de l’Association pour la restauration de la patrie du secteur, nous renseigner avec plus de précision sur la situation en Corée et promouvoir efficacement la révolution déjà en essor à l’intérieur du pays. En nous dirigeant sans nous presser vers Bapandao, nous nous renseignions, en cours de route, sur le travail des militants clandestins convoqués, leur confiions de nouvelles missions et apprenions la méthode de travail aux responsables des organisations locales.
Sur ces entrefaites, Ri Hun, en mission de renseignements à
Il nous prévenait que le 74e régiment de Hamhung était arrivé précipitamment, dans des dizaines de camions, à
Dans certains documents, on mentionne un autre nom coréen, Kim In Uk, comme commandant de cette troupe d’expédition «punitive» de l’armée japonaise. Mais les informations parvenues à l’époque des organisations clandestines de Corée et de la région de Changbai ne parlaient que de Kim Sok Won, nom donné à celui qui était à la tête de l’unité «punitive» partie de Hamhung.
J’appris plus tard qu’à une cérémonie solennelle de départ organisée, à la gare de Hamhung, par les impérialistes japonais dans un but de propagande, il avait fait serment d’être fidèle à l’empereur du Japon sous un drapeau marqué de caractères signifiant «armes ayant toujours la chance de vaincre», écrits de son sang, et, surexcité, il avait juré d’anéantir les troupes de Kim Il Sung.
Il avait bluffé: «Moi, qui connais bien les tactiques de l’armée communiste, je bénéficie de la confiance de mes supérieurs pour aller en expédition “punitive”. Le monde ne tardera pas à voir les capacités du 74e régiment, alors que l’armée communiste sera, devant la puissance de l’armée impériale, comme une feuille morte emportée par le vent d’automne.»
Le 74e régiment de Hamhung avait été également salué lors d’autres cérémonies de départ à
Chose étonnante que Ri Hun, parfait profane en espionnage, ait pu recueillir des renseignements aussi détaillés. Quant à lui, dès que nous l’avions chargé de reconnaître le dispositif de l’ennemi dans la ville de
Ri Hun avait à son actif huit années de flottage. Avec un autre membre de l’organisation, il avait conduit son train de flottage à
A la vue de Ri Hun avec ses centaines de troncs d’arbres, le vieil homme s’était hâté de lui demander quelques troncs contre de l’argent. «Ce serait indigne de moi, s’écria alors Ri Hun, de recevoir de l’argent pour du bois de la part de l’oncle de l’honorable monsieur le commissaire de police C
En se présentant à son nouveau collègue, Ri Hun se plaignit: «Il fait si mauvais vivre dans cette région de Changbai où grouillent les “bandits”. Avec l’argent que je tirerai de la vente du bois, je voudrais m’installer ici, à
Un jour, Ri Hun avait invité pour la première fois le policier Kim et le commerçant dans un restaurant. Le policier, aussitôt grisé et émoustillé, lui raconta tous les secrets, bredouillant que l’unité de Kim Sok Won arriverait à
Il bégaya: «L’incident de Pochonbo a détruit complètement le prestige de l’empire. A n’en pas douter, c’est pour se racheter que l’armée a expédié Kim Sok Won, un vrai guerrier. D’ailleurs, il se fait fort d’anéantir les troupes de Kim Il Sung et de pacifier Xijiandao. Enfin, reste à voir. Quoi qu’il en soit, l’armée communiste aura un gros morceau à se mettre sous la dent avec Kim Sok Won.»
Le jour de l’arrivée à
Le départ du 74e régiment de Hamhung, fleur des troupes d’occupation de Corée, pour une expédition «punitive» en disait long sur la colère et la furie du gouverneur général japonais en Corée. La défaite subie dans la bataille de Pochonbo et ailleurs dans les parages de la frontière avant et après cette mêlée avait plongé l’ennemi dans un immense désarroi. Désarroi compréhensible: les impérialistes japonais, prêts à allumer la mèche de leur guerre d’agression contre la Chine propre, faisaient des pieds et des mains pour assurer la sécurité de leurs arrières. Et c’est à ce moment-là que la région de la frontière coréo-mandchoue qu’ils vantaient comme un «rempart d’airain» avait été attaquée. Le gouverneur général avait de quoi écumer de rage.
Nous avions eu raison de décider à Xigang, dans le cadre du plan d’opérations, que les unités, après avoir opéré dans trois directions différentes, feraient leur jonction après notre incursion en Corée. Cela, l’évolution de la situation l’attestait.
L’ennemi, fort de 2000 hommes, nous était de beaucoup supérieur. En pareils cas, on évite d’ordinaire le combat. Je me décidai pourtant à affronter cette grande unité venue de Corée. La tactique générale de guérilla voulait qu’on engage un combat mobile après s’être promptement dispersé lorsque l’ennemi attaquait en force; pourtant, contrairement à ce principe, je pris cette fois le parti d’aller, en force concentrée, au-devant d’une grande unité ennemie.
En faisant mouvement en direction de Bapandao, nous nous arrêtâmes pour choisir le théâtre du prochain combat. Moi-même, je grimpai sur la hauteur ouest de Laomajia pour étudier le terrain. C’était le mont Jiansan, exposé à tous les vents. Il est constitué par trois pics dans la partie nord du plateau de Xigang qui traverse la vaste plaine de plus de 40 kilomètres de long de Shisandaogou à Badaogou. Au nord du Jiansan, c’est, à perte de vue, une forêt vierge d’où émergent les pics de la chaîne de montagnes de Sidengfang. Mutoude était le nom de l’endroit.
Au sud, le paysage était semblable: d’est en ouest, une étendue plantée d’arbres de plus de 40 kilomètres de long sur un plateau, le plateau de Xigang, semé de loin en loin de villages comme Bapandao et Laojusuo. Le Jiansan est une hauteur qui se dresse comme une île sur un océan de forêt vierge, antique. C’était un lieu comme on n’aurait pu en trouver de meilleur pour livrer combat, d’autant plus que l’ennemi serait obligé, pour y parvenir, d’emprunter les lacets et les cols situés entre Shisandaogou et le chef-lieu de Xigang.
Le soir, les commandants se réunirent pour discuter du plan de combat. J’insistai alors pour que nous employions la tactique de guérilla avec esprit d’initiative, au lieu de nous laisser prendre à celle de guerre régulière de l’ennemi.
Cela supposait que nous occupions à l’avance la crête du mont et entraînions l’ennemi dans la vallée contiguë. Défense aussi de pécher par dogmatisme en disposant nos effectifs. Davantage d’hommes aux endroits où l’ennemi ne nous attendrait pas, et une grande mobilité exigée de nos éléments qui devraient profiter de la forêt pour se déplacer rapidement et s’adapter promptement à l’évolution des circonstances, au cours du combat.
Après avoir établi le plan de combat avec les commandants des 2e et 4e divisions, je discutai de l’orientation du travail et des tâches des organisations révolutionnaires, à la pointe du jour, avec les militants politiques venus, à notre demande, de Corée et de la région de Changbai, parmi lesquels figuraient Kwon Yong Byok, Kim Jae Su, Jong Tong Chol et autres.
C’est ce matin-là que l’ennemi nous attaqua au mont Jiansan. Dès l’aube, une pluie fine avait commencé à tomber, et un épais brouillard avait tout enveloppé. Un coup de feu retentit alors à l’avant-poste du pic occupé par l’unité de C
Le moral des soldats dans un combat dépend beaucoup de la tournure initiale des choses. Naturellement, il fallait à tout prix redresser la situation. J’ordonnai à Ri Tong Hak d’aller sur-le-champ à la tête de la compagnie des gardes du corps sauver celle de C
Une fois renversée la situation, nous frappâmes l’ennemi toute la journée en l’enfermant plusieurs fois dans le ravin.
Cependant, les Japonais ne renonçaient pas. Leur entêtement dans l’assaut était extraordinaire. Foulant sous leurs pieds les cadavres de leurs compagnons, ils fonçaient sur nous par vagues successives, en criant à tue-tête. Lors de la défense de Xiaowangqing, j’avais trouvé obstiné le corps expéditionnaire de Jiandao de l’armée japonaise venu de Corée quand il nous donna l’assaut. Or, le 74e régiment de Hamhung se révélait encore plus furieux. En dépit des incessants tirs de barrage de notre dizaine de mitrailleuses, l’ennemi n’en revenait pas moins en force à la charge.
Cette attaque nous obligea à mener un dur combat. A certains endroits, l’ennemi faisait irruption dans nos positions, et alors un corps à corps se déclenchait. La pluie qui tombait sans répit ne faisait qu’ajouter à l’aspect sinistre du théâtre du combat. Je fus amené à me demander: comment le militarisme japonais avait-il pu ensauvager à ce point les êtres humains, les rendre si féroces, si irréfléchis?
Le «yamato tamashii (l’esprit japonais—NDLR)» dont parlent avantageusement les militaristes japonais produisait en immenses quantités des imbéciles prêts à confondre l’injustice avec la justice, le mal avec le bien, des ignorants capables de se vanter de leur esprit guerrier en allant au-devant des fusils, au-devant d’une mort ignominieuse, comme les papillons nocturnes qui se jettent sur le feu, des brutes qui osent se faire photograp
En effet, les soldats japonais croyaient que leur mort contribuerait à la prospérité de l’empire japonais. Quelle chimère! Le «yamato tamashii» a conduit le Japon à sa perte, et non à sa prospérité.
C’était déjà le point de vue des partisans et de leurs commandants à l’égard de l’armée japonaise. Et, quelle que fût la furie de ces bêtes qui se jetaient sur eux, ils les regardaient de haut, pleins de défi, avec leur fierté de révolutionnaires, de vainqueurs.
Nous tirâmes efficacement profit des circonstances pour écharper l’ennemi jusqu’à la tombée du jour. En se battant, les partisanes entonnèrent le chant Arirang, aussitôt repris par toutes les bouches. Chanter en plein combat, seuls les forts le peuvent. Les accents d’Arirang qui retentissaient sur le mont Jiansan traduisaient la profondeur morale et l’optimisme de l’armée révolutionnaire. Quel sentiment ce chant inspirait-il aux combattants ennemis? Ce n’est pas difficile à imaginer.
Les prisonniers ennemis avouèrent qu’ils en avaient été perplexes au début, puis pris de peur et, après, avaient éprouvé le sentiment du néant de la vie humaine. Certains blessés avaient pleuré en se lamentant sur leur sort, tandis que des désertions se produisaient.
Le combat fit un grand nombre de morts et de blessés du côté de l’ennemi, qui n’en revint pas moins à la charge jusqu’au soir, sous une pluie battante. Nous dépêchâmes alors un message au groupe de Pak Song Chol qui revenait de sa mission de reconnaissance à Bapandao ainsi qu’au groupe de ravitaillement, qui prirent l’ennemi à revers. Kim Sok Won pressentit le danger d’être pris entre deux feux. Dès que la nuit tomba, il s’esquiva avec ses 200 combattants qui avaient survécu à la mêlée.
La bataille du mont Jiansan fut à l’origine de nombreuses anecdotes amusantes. Kim Ja Rin, le clairon de C
C
L’expédition «punitive» du 74e régiment se solda par un échec complet.
Certains survivants de cette bataille, au lieu de retourner à Hamhung, se sauvèrent dans d’autres villes. Selon un document, un soldat japonais nommé Sakai, au lieu de suivre Kim Sok Won, s’enfuit dans la ville de Chongjin, où il tint un bar jusqu’à la défaite du Japon impérialiste. Heureux d’avoir sauvé sa peau, il en parlait à la première occasion à ses clients.
Ce Japonais attribuait sa chance à sa connaissance du coréen.
En effet, les officiers, à coups d’invectives, avaient lancé à l’attaque leurs soldats qui devaient atteindre le sommet, quitte à y laisser leur peau. Les jambes flageolantes, Sakai était arrivé à peine jusqu’à la mi-côte, derrière ses collègues qui atteignaient déjà le sommet, quand les combattants de l’armée révolutionnaire ouvrirent le feu tous à la fois. D’emblée, dans les rangs de l’armée impériale, des dizaines de soldats s’affalèrent morts ou blessés.
Sakai, affolé, dévala la pente à toutes jambes. A l’instant, un cri venant du sommet frappa son oreille: «Les Coréens, mettez-vous à plat ventre!» Sakai comprenait le coréen, il jeta d’instinct son fusil et se coucha sur le ventre près de ses collègues morts.
A la nuit tombante, les partisans inspectèrent le champ de bataille pour ramasser les fusils et les cartouchières. Ils passèrent près de lui, sans le toucher, il était, à leurs yeux, mort et éteint. La peur lui glaçait le cœur, et la terreur de la guerre le tenaillait, quand, à la faveur de l’obscurité, il descendit à tâtons jusqu’au ravin, puis gagna à quatre pattes le plus proche village de regroupement.
«Heureusement que je parlais coréen, aimait-il raconter aux clients quand il avait bu. Le coréen m’a sauvé la vie. Voilà pourquoi je continue à l’apprendre d’arrache-pied. »
Le récit de Sakai fit connaître dans la ville de Chongjin et aux alentours la bataille du mont Jiansan, de même qu’il fit parler de nous. Bref, les aveux d’un petit-bourgeois, déserteur de l’armée d’agression, eurent pour effet de remonter le moral de notre peuple.
Peu de temps après la bataille, certains de nos camarades en mission dans les villages des environs du champ de bataille rapportèrent des informations plus détaillées sur la défaite subie par l’ennemi.
Dès le lendemain de la bataille, les Japonais avaient réquisitionné civières, chariots à bœuf ou à cheval et camions à
Un fait significatif: la colonne du corps d’expédition de Kim Sok Won avait mis toute une journée à passer le fleuve Amnok à Sinpha pour venir nous attaquer, mais seulement un peu plus d’une demi-heure quand elle rebroussait chemin par le même trajet.
Les morts étaient si nombreux que l’ennemi avait dû les décapiter pour ne mettre que les têtes dans des caisses ou des sacs, qu’il transporta sur des chariots à bœuf ou à cheval jusqu’aux camions à capote noire, qui passaient ensuite le fleuve Amrok. Ensuite, les cadavres furent brûlés, et la fumée et l’odeur qui en émanaient avaient pendant plusieurs jours rendu la respiration difficile aux paysans de la région du mont Jiansan.
Il y eut un épisode drôle: un paysan questionna, d’un air innocent, un soldat japonais mobilisé pour le transport des cadavres: «Qu’est-ce que c’est, monsieur, que vous transportez sur les chariots?» Le Japonais, sournois, répondit: «Ce sont des potirons, quoi.»
Le paysan, tout sourire, railla: «Quelle abondance de potirons! Ça vous fera un potage savoureux, bon appétit!» Depuis, la population employa l’expression: «têtes-potirons», pour désigner les cadavres de combattants de l’armée japonaise.
Kim Sok Won et les restes de son corps d’expédition regagnèrent Hamhung par Sinpha et Phungsan, en évitant l’animation de la ville de
Le pavillon Mudok à Hamhung était connu comme un local d’entraînement à l’escrime des militaires japonais. Cependant, après la bataille du mont Jiansan, il resta désert pendant quelque temps, ses habitués n’ayant plus envie de se divertir. Par ailleurs, à Sinpha, les veilleurs de nuit ne se faisaient plus entendre.
La défaite du mont Jiansan fut une honte ineffaçable pour les Samouraïs, et le nom de Kim Sok Won en devint le symbole.
Tout compte fait, dans les batailles de Pochonbo et du mont Jiansan, la «stratégie faisant époque», élaborée par Minami, gouverneur général japonais en Corée, et Ueda, commandant de l’armée japonaise du Guandong, à la «conférence de Tumen», dans l’ambition d’anéantir l’Armée révolutionnaire populaire coréenne, fut un fiasco.
Telle fut la fin, brillante, de nos opérations en grandes formations en Corée, dont nous avions établi le plan au début de 1937.
La bataille du mont Jiansan constitua un brillant jalon dans l’histoire de la Lutte armée contre les Japonais. Cette victoire et celle du mont Kouyushui raffermirent celle obtenue à Pochonbo, en ajoutant à son éclat. Elles furent comme les échos de la bataille de Pochonbo.
La victoire du mont Jiansan mit complètement en pièces le mythe de l’«armée impériale invincible» et démontra une fois de plus au monde entier la puissance de l’ARPC. Elle favorisa le grand essor qu’allait connaître la révolution antijaponaise après les progrès de l’ARPC dans la région du mont Paektu.
Hasard du destin, Kim Sok Won, notre adversaire juré, se retrouva, après la Libération, face à face avec C
Aux dires des soldats de l’«armée nationale» réfugiés au Nord, Kim Sok Won calomnia souvent les communistes lorsqu’il était sur le 38e parallèle. C
Or, juste avant la guerre, Kim Sok Won fit un raid d’envergure au nord du 38e parallèle. Il s’ensuivit qu’un affrontement s’engagea sur le mont Songak. Il eût voulu remettre à la raison ou envoyer dans l’autre monde C
Je me hâtai de lui ordonner formellement de s’en abstenir: «Kim Sok Won, remarquai-je, était un c
Ni C
6. Les enfants en armes
Une autre répercussion de la campagne de l’armée révolutionnaire populaire dans la région du mont Paektu fut le redoublement de l’ardeur des enfants et des adolescents à s’enrôler. Chaque fois que des coups de feu retentissaient dans les forêts et les vallées longeant le fleuve Amrok, nous voyions affluer sans fin vers nos camps secrets des jeunes désireux de s’engager.
Les demandes d’enrôlement, toujours plus nombreuses, donnaient lieu souvent à des événements anecdotiques, dont celui-ci, qui ne manque pas d’intérêt.
Un jour, un gamin hirsute au visage basané, en pantalon tout mouillé, vint nous solliciter de l’accepter dans notre troupe, parce qu’il tenait à venger son frère aîné. Il était du village de Shangfengde. Son frère aîné, maître à l’école du soir établie pour les enfants et les jeunes de l’endroit, disait-il, avait été assassiné par la police pour avoir offert de la nourriture à des partisans, tandis que son second frère s’était engagé, dans ma troupe, à la veille de la bataille de Pochonbo. Le garçon s’était donc décidé à rejoindre l’armée révolutionnaire. Ce garçon aux cheveux ébouriffés s’appelait Jon Mun Sop.
Je lui dis pour rire: «Veux-tu être admis, toi, petit espiègle en pantalon trempé?! C’est impossible. Même les jeunes en vêtement sec, nous n’arrivons pas à les prendre tous. Tu piges?» A ces mots, Jon Mun Sop répliqua que c’était à cause de sa mère, et il se mit en devoir d’expliquer.
Il s’était obstiné à vouloir suivre la troupe de partisans cantonnée dans son village de Shangfengde, mais sa mère le lui avait interdit catégoriquement: il était encore trop jeune. Quand il se fut endormi, elle jeta son pantalon dans un baquet plein d’eau, certaine que son fils abandonnerait son idée insolite lorsqu’il aurait vu son seul et unique vêtement nager dans l’eau.
Au petit matin, quand Jon Mun Sop se réveilla, l’angoisse s’empara de lui: il se souvint que son enrôlement dans l’armée révolutionnaire avait été décidé par l’Association des enfants.
Il était prêt, même nu, à filer à toutes jambes jusqu’au mont Paektu, pourvu qu’il pût s’engager dans l’armée révolutionnaire. Précipitamment, il retira son pantalon du baquet, le tordit, l’enfila et partit. Ce voyant, sa mère finit par consentir à son engagement dans la troupe de partisans.
Cet exemple illustrait avec quelle ardeur se déroulait le mouvement d’enrôlement dans les vastes régions du bassin du fleuve Amrok, région frontalière nord de la Corée, et celle de Xijiandao. Ainsi que le montre le cas de Jon Mun Sop, ce mouvement entraînait non seulement des jeunes d’une vingtaine et d’une trentaine d’années, mais aussi des enfants de dix et quelques ans.
Au début, quand des gamins venaient les voir, les commandants chargés du recrutement les renvoyaient purement et simplement, sans même prendre la peine de consulter qui que ce soit.
Il était vrai que les commandants et soldats de notre troupe ne croyaient pas que des enfants de quatorze à quinze ans puissent combattre dans l’armée.
Même Kim Phyong, qui adorait pourtant les enfants, faisait non de la tête quand il s’agissait d’admettre des enfants.
Un jour de l’été 1937, alors que la troupe cantonnait sur le plateau de Diyangxi, il fut assailli par une vingtaine de gamins, pas plus hauts qu’un fusil, qui tenaient absolument à s’engager. Embarrassé, il vint me demander d’en décider.
«J’ai eu beau, se plaignit-il, les raisonner à maintes reprises et leur demander de revenir quand ils auraient assez grandi, c’était cependant comme si j’avais parlé à des sourds. Ils vont jusqu’à demander à vous voir, Général, sinon ils ne s’en retourneront pas.»
Je fus obligé de me rendre là où ils m’attendaient. Je les fis s’asseoir sur un tronc d’arbre tombé à terre, et je liai conversation avec eux, les questionnant tour à tour pour apprendre leurs noms et leurs âges, ce que faisaient leurs pères, et le nom des villages où ils vivaient. A chaque question, ils répondaient en rebondissant comme une balle en caoutchouc; et tous s’évertuaient à prendre des airs d’importance comme s’ils étaient adultes. Témoins oculaires des affres de l’expédition «punitive» de l’ennemi, lesquelles avaient frappé leurs familles, tuant, sinon leurs parents ou leurs frères, du moins leurs proches, ils s’étaient résolus à prendre les armes pour se venger. Je causai avec eux à cœur ouvert et je compris qu’ils nourrissaient de grandes ambitions.
Plus on vit des temps durs, plus les enfants sont précoces, dit-on, et c’était vrai. Tout ce qui s’offrait à la vue des enfants coréens n’était que malheurs, que souffrances, si bien que, malgré leur âge, ils en venaient à voir clair dans ce qui se passait dans le monde. La révolution éveille les esprits avec une force et une vitesse extraordinaires. La révolution est une école qui engendre des nouveautés, a dit un homme illustre, et cela reflète à n’en pas douter une profonde vérité.
Ces vingt enfants venus alors à notre campement avec l’espoir de s’enrôler écrivaient, martyrs pitoyables, une des pages les plus dramatiques de l’histoire de notre nation. Leur désir, leur volonté d’assumer la lourde tâche de transformer la société et de s’engager dans une lutte armée difficile même pour les grandes personnes, m’attendrissait jusqu’aux larmes.
Si j’ai bonne mémoire, parmi ces enfants se trouvaient Ri Ul Sol, Kim Ik Hyon ainsi que Kim Chol Man et Jo Myong Son. Ils sont maintenant généraux, soit colonels généraux ou généraux d’armée, ou même sous-maréchaux de l’Armée populaire de Corée, mais ils n’étaient alors que des blancs-becs soumis à un test qui devait décider s’ils pouvaient ou non prendre les armes.
Que faire de ces enfants?
En quels termes les persuader de rentrer chez eux, ces fauconneaux qui ne redoutaient rien? J’étais dans la plus complète perplexité. La vie dans l’armée révolutionnaire est telle que les adultes les plus robustes peuvent y devenir des traînards à moins de s’endurcir sans cesse physiquement aussi bien que moralement.
J’essayai de persuader les enfants en ces termes:
«...Que vous vous soyez décidés à prendre les armes pour venger vos parents et vos frères, je l’apprécie beaucoup. C’est là une expression de patriotisme. Et pourtant, il me semble difficile de vous accepter dans l’armée révolutionnaire, vous êtes encore trop jeunes. Vous ne pourriez même pas imaginer les peines qu’ont à supporter vos frères et sœurs partisans. En plein hiver, ils sont parfois obligés de coucher à la belle étoile, sur la neige. Il leur arrive aussi de marcher plusieurs jours de suite sous la pluie. A court de provisions de bouche, ils n’ont à se mettre sous la dent que des racines d’herbe ou de l’aubier d’arbre macérés ou doivent se contenter d’eau en guise de repas. Telle est la vie dans l’armée révolutionnaire. A ce que je vois, vous ne pourriez pas la supporter, et je vous conseille de rentrer chacun chez soi et de revenir quand vous aurez grandi encore. D’accord?...»
Ils n’en firent pas moins la sourde oreille. «Non, nous pouvons tout supporter, crièrent-ils, nous coucherons sur la neige et nous battrons à l’égal des grandes personnes. »Et sans répit, ils m’imploraient.
Jamais je n’avais ressenti aussi vivement qu’alors le besoin d’avoir à notre disposition une école militaire. Quelle n’aurait pas été ma joie si j’avais pu y envoyer tous ces chers enfants pour leur donner la formation adéquate et l’entraînement physique nécessaire! D’ailleurs, les troupes de l’armée indépendantiste n’avaient-elles pas disposé de telles écoles pendant un certain temps en plusieurs endroits de la Mandchourie?
Mais la Mandchourie n’était pas alors occupée par les impérialistes japonais. Quant à nous, nous vivions maintenant dans la seconde moitié des années 1930, et les troupes japonaises y grouillaient partout. Contrairement à ce qu’il en avait été pour l’armée indépendantiste, nous n’avions aucun loisir d’établir des écoles militaires. J’avais pensé à mettre sur pied, dans les camps secrets, des centres de formation militaire, mais cela ne correspondait pas à notre situation. Les «baromètres» du monde entier prévenaient d’ores et déjà que les Japonais trouveraient bientôt ailleurs en territoire chinois quelque nouveau prétexte pour provoquer un autre 18 Septembre. Nous devions y faire face et nous nous préparions d’ailleurs à mener une guerre de mouvement. Admettre à un pareil moment des enfants dans nos rangs revenait presque à alourdir notre sac à dos juste avant d’entreprendre une marche pénible.
Malgré ces inconvénients en perspective, je n’osais congédier ces enfants tout de go. A parler franc, ils me plaisaient tous sans exception. Leur conscience de classe, par exemple, ne cédait en rien à celle des grandes personnes. Ce jour-là, je fus tout particulièrement frappé par leurs paroles: ils étaient prêts à se passer de repas quand leurs aînés en feraient autant, résolution qui m’attendrit beaucoup.
Quel contraste entre, d’un côté, ces enfants qui refusaient de rentrer chez eux avant de se voir admis dans l’armée, et, de l’autre, les pseudo-patriotes qui ne faisaient que parler d’amour du pays ou les renégats de la révolution et les lâches qui végétaient, persuadés que la vie humaine était éphémère! Quelle noblesse d’âme et quelle ardeur en ces jeunes patriotes! Leur offrir un bouquet de fleurs avant de décider de leur enrôlement!
J’en vins à vouloir faire de ces enfants prometteurs, pleins de bonne volonté, des combattants. S’ils n’étaient pas pour le moment en état de prendre rang parmi les combattants, ils formeraient cependant en un ou deux ans une réserve fiable pourvu que nous en trouvions le moyen adéquat. Quel profit pour nous en effet si pendant ce temps tous ces blancs-becs devenaient des combattants aussi méritants que les anciens!
Si les anciens se décidaient à se donner la peine nécessaire, en mangeant et en dormant moins, ces enfants pourraient certainement faire en un rien de temps des combattants dignes de ce nom. L’idée me vint aussitôt d’organiser une compagnie d’enfants qu’on entraînerait dans le camp secret lorsque les circonstances le permettraient, sinon elle nous suivrait dans nos mouvements pour se former et s’endurcir dans les combats mêmes. En clair, il s’agissait d’une compagnie spéciale qui associerait une mission d’école militaire ou de centre de formation de cadres militaires et politiques et celle de l’éducation par les combats. Je décidai de les accueillir. Je leur demandai à tous d’exposer par écrit leur détermination. Puis je leur déclarai: «Si vous tenez réellement à entrer dans l’armée de guérilla, écrivez le soir même chacun pourquoi vous voulez combattre dans l’armée révolutionnaire, comment vous voulez vivre et vous battre. Je lirai ces textes, puis je déciderai.»
Cela inquiéta la plupart des commandants, y compris Kim Phyong: Nous en avions déjà par dessus la tête, se lamentaient-ils, avec les enfants repêchés au mont Maan, et l’on voulait maintenant en prendre encore d’autres!
Quoi qu’il en soit, le lendemain, j’examinai les textes que les nouveaux venus avaient écrits: je les trouvai excellents. Certains enfants, illettrés, s’étaient fait aider par d’autres, et je ne les en blâmai pas: ce n’était pas leur faute s’ils n’étaient pas allés à l’école. Dès que je leur eus déclaré que j’appréciais leurs écrits, les gamins poussèrent des acclamations en tapant du pied sur le sol.
Je fis rassembler au Q.G. les instructeurs politiques de compagnie et autres commandants de grades supérieurs et je proclamai formellement la mise sur pied d’une compagnie d’enfants avec les membres du Corps des enfants venus du mont Maan et ceux qui venaient d’arriver de Xijiandao. Puis je nommai O Il Nam chef de cette compagnie, et la partisane Jon Hui adjudant-chef.
O Il Nam avait été chef de la section de mitrailleurs du Q.G. Bon tireur et habile à gérer son unité, il était doué d’une endurance et d’une combativité exceptionnelles. Voici une anecdote qui le montre bien: atteint par des balles lors de la bataille du mont Kouyushui, il avait caché sa blessure et personne n’en savait rien. Son unité était arrivée à Diyangxi et ce n’est qu’alors qu’on avait découvert la chose à la vue du sang qui imprégnait son uniforme. Tout le monde en parla, il s’agissait sans doute d’une grave blessure. On lui ôta sa veste, et en effet, on put alors apercevoir à peine le bout d’une balle enfoncée dans la chair. Malgré cela, le blessé ne faisait que sourire.
Le médecin nous manquant, je le fis tenir par Kang Wi Ryong, le costaud de la troupe, et moi, je me mis à l’ouvrage. Je dus suer à grosses gouttes pour retirer la balle à grand peine avec des pincettes. L’opération s’était effectuée sans anesthésique, pourtant O Il Nam l’avait supportée sans gémir. Ayant enduit sa plaie de vaseline, habituellement utilisée pour nettoyer nos armes, j’ordonnai son évacuation. Et il répliqua: «C’est une bagatelle, mon Général, je m’en fiche. Moi, chef de la section de mitrailleurs, quitter mon poste, alors que l’ennemi va nous talonner d’un instant à l’autre?» Finalement, il resta aux côtés des autres. Cette combativité, j’avais la certitude qu’elle influerait favorablement sur les bleus d’âge tendre.
Il en était de même pour l’adjudant-chef Jon Hui. Presque aussi jeune que ces enfants, elle n’en était pas moins mûre, mûre comme les graines de soja à l’automne. Selon Kim Chol Ho, qui était au courant des antécédents de sa famille, c’était une enfant turbulente qui, à dix ans, avait cassé la boîte à aiguilles d’acupuncture de son grand-père. Voici l’histoire.
Son grand-père profitait de sa connaissance de l’acupuncture pour soigner les villageois malades, mais, malheureusement, il ne réussit pas à guérir sa bru, qui expira. L’enfant, âgée de dix ans, en vint à croire que la boîte à aiguilles de son grand-père était à l’origine de ce malheur. A coups de pierre, elle la frappa et la mit en pièces. Son grand-père, furieux, poussa les hauts cris. «A quoi bon cette boîte à aiguilles qui a fait mourir maman», répliqua alors l’enfant en pleurant. Son grand-père, malheureux d’avoir perdu sa bru, ne put qu’étreindre la petite et pleurer à chaudes larmes comme elle.
Pour comble de malheur, Jon Hui perdit son frère l’année suivante. Partisan, celui-ci avait été arrêté avec deux compagnons d’armes au cours d’une mission clandestine dans la zone ennemie. Les trois partisans, conduits dans la montagne derrière Juzijie, avaient subi d’atroces supplices qui les laissèrent ensanglantés et les os brisés. Cependant, inébranlables dans leur foi, ils avaient dénoncé les crimes de l’ennemi et avaient fini en criant: «Vive la révolution!»
La jeune Jon Hui, mêlée aux villageois, avait assisté au spectacle. La mort héroïque de son frère l’avait bouleversée. A la foule massée, les bourreaux avaient hurlé: «Tenez, regardez ça! Tous ceux qui oseront combattre le Japon crèveront comme eux! Qui veut toutefois encore faire la révolution?» L’assistance restait muette, quand, tout à coup, de la petite bouche de Jon Hui fusa un cri perçant: «Vive la révolution!»Les assassins, sidérés, se jetèrent aussitôt sur elle, la rouèrent de coups. Par la suite, quand elle eut gagné la zone de guérilla, on lui avait demandé pourquoi elle avait crié:«Vive la révolution!» Elle avait alors répondu: «Je voulais me faire tuer comme mon frère. Et tant qu’à faire, j’avais envie de crier ainsi. »
Cet aveu simple traduisait le cran qu’elle avait de mettre la révolution au-dessus de sa vie. Le courage et l’intrépidité de cette jeune fille prête à braver la mort pouvaient bien servir de modèle aux enfants qui venaient d’être enrôlés.
A mes yeux, elle était en mesure, comme c’était le cas d’O Il Nam, de veiller attentivement sur leur vie. Les fonctions d’adjudant-chef de l’époque égalent celles de l’adjudant-chef dans l’Armée populaire de nos jours.
Même après la proclamation de l’organisation de la compagnie d’enfants, bon nombre de commandants restèrent dubitatifs quant à la valeur de cette mesure prise par le Q.G. «Ces blancs-becs, ne gêneraient-ils pas plutôt nos activités? Leur présence ne constituerait-elle pas un écueil sur le passage de notre navire? Surmonteraient-ils des épreuves que même les grandes personnes trouvent difficiles?» se demandaient-ils.
Si j’avais décidé de mettre sur pied une compagnie d’enfants en usant de mon pouvoir de Commandant, c’est parce que je voulais satisfaire au plus vite aux demandes de ces enfants.
Leur vive sympat
L’examen de l’expérience de mes ordonnances successives, notamment de Jo Wal Nam, de Ri Song Rim, de C
Sitôt la compagnie d’enfants formée, nous les habillâmes d’uniformes, leur distribuâmes des armes, pour la plupart des carabines modèle 38, appropriées à leur taille. Comme ils sautillaient de joie, en uniforme neuf et un fusil à la main! Ce souvenir m’attendrit encore profondément.
J’ordonnai à O Il Nam et à Jon Hui d’entraîner ces enfants pendant un certain temps sur le plateau de Diyangxi, puis de leur donner une formation intensive au camp secret de Fuhoushui dans le secteur de Qidaogou. Quant au programme d’entraînement accéléré ayant pour but de les initier en un ou deux mois aux premiers rudiments des connaissances et des activités nécessaires à la vie des partisans, je l’élaborai moi-même et le remis à O Il Nam. Après l’avoir examiné, celui-ci me promit de chercher à le mettre en pratique bien qu’il le trouvât un peu trop ambitieux pour les enfants.
Dès le lendemain, la compagnie d’enfants se mit en devoir de s’entraîner sur le plateau de Diyangxi. J’avais alors un emploi du temps chargé, ayant à élaborer la ligne de conduite à suivre à l’égard de la guerre sino-japonaise, mais pourtant je pris le temps de diriger souvent cet entraînement. Une fois sur le terrain, tantôt je montrais aux enfants les mouvements réglementaires, tantôt je leur recommandais de s’exercer sérieusement à marcher au pas de l’oie, exercice nécessaire pour acquérir une allure martiale, de considérer la cible comme un vrai adversaire pour s’exercer à viser, etc.
Cela faisait deux semaines environ que la compagnie d’enfants s’entraînait à Diyangxi, quand nous décidâmes de partir pour le camp secret de Sobaeksu où une réunion nous attendait. J’enjoignis alors à O Il Nam de poursuivre l’entraînement des enfants au camp secret de Fuhoushui.
Or, à les voir enfin alignés pour la marche, avec leur air de blancs-becs, j’eus de l’inquiétude. La marche impliquait de nombreuses difficultés. Et, à la vue de ces enfants, tout éprouvés qu’ils fussent par une vie pénible, je n’étais pas tranquille, loin de là.
Le camp secret de Fuhoushui était un des camps de notre intendance relativement sûrs, idéal comme base d’entraînement, d’autant plus que les enfants y disposaient d’un stock de vivres suffisant pour deux ou trois mois. J’avais bien fait d’enjoindre à Kim Phyong d’aménager ce camp et d’y garder un stock de grain: les enfants pouvaient maintenant en bénéficier.
Ceux-ci s’appliquèrent à s’entraîner au camp secret de Fuhoushui pendant que nous dirigions du camp secret de Liudaogu, à proximité de Fuhoushui, l’opération menée pour frapper l’ennemi dans le dos. Puis, après la conférence de Chushuitan et celle de Sobaeksu, nous gagnâmes le camp secret de Fuhoushui, où nous assistâmes nous-mêmes à leurs exercices et constatâmes qu’ils avaient fait des progrès prodigieux depuis Diyangxi. Ce résultat confirmait à l’évidence la pertinence de l’organisation de la compagnie de ces enfants, qui changeaient à vue d’œil, à ma grande satisfaction.
Or, un jour, Jon Hui vint au Q.G. et me chuchota à l’oreille: «Que c’est fâcheux, mon Général! Je ne sais comment me débrouiller!?» se plaignit-elle sans rime ni raison. L’instant d’après, elle raconta que le plus jeune des enfants pleurait toutes les nuits en pensant aux siens.
Je me mis sur mes gardes. Certes, il était admissible que ces enfants, enrôlés, pensent à leurs familles, mais c’était autre chose pour eux que de pleurer à cette pensée.
A en croire Jon Hui, le petit avait commencé à sombrer dans la tristesse dès que la compagnie avait passé Badaogouhe. Il pleurait, chagriné, disait-il, par l’éloignement grandissant de sa famille. Son courage s’affaiblissait au fur et à mesure que l’unité s’en allait loin. Probablement, qu’au moment de s’enrôler, il avait cru que la compagnie opérerait toujours près de chez lui.
Je rappelai à Jon Hui le proverbe: «A enfant chéri, le fouet est bon éducateur. » et lui conseillai d’être exigeante envers le gamin. Jon Hui m’obéit: elle le réprimanda vertement. Or, l’effet s’en avéra négatif: le petit regimba et demanda à rentrer chez lui.
Je le fis venir au Q.G. Pour commencer, je lui demandai s’il voulait vraiment rentrer chez lui. Sans répondre, il me fixa des yeux.
«Si tu le veux, rentre chez toi, mon chéri, fis-je. Mais d’ici à Shijiudaogou, ça fait des dizaines de lieues. Peux-tu faire ce trajet?
— Qui, je le peux. Je retournerai sur mes pas. »
Fallait-il croire, non pas à une simple plainte, mais à un projet déjà calculé?
Je fis apporter par Jon Hui le havresac contenant les quelques kilos de riz mis de côté pour les circonstances critiques. Je le tendis au garçon, en disant:
«Vas-y, rentre chez toi comme tu veux. Voilà pour ton voyage. »
Ses yeux se firent ronds: il n’était pas sans savoir que la compagnie gardait ce stock pour le moment critique.
«Non. Si je l’emportais, qu’est-ce qu’aurait à manger la compagnie? Seul, je peux me débrouiller, par exemple, en cueillant des épis de maïs.
— Mais c’est presque du vol. C’est pour t’empêcher d’en commettre que je te dis d’emporter ce riz. Puisque tu as vécu quelques jours dans l’armée de guérilla, tu dois comprendre au moins cela. Pas vrai?Prends ce sac à dos avec toi.
— Je ne peux pas me permettre de me nourrir seul aux dépens de mes camarades, répliqua-t-il, en ôtant le sac que je lui avais mis sur le dos.
— Tiens! tu entends raison. Mais pourquoi ne comprends-tu pas que c’est une honte pour toi que de regagner ta famille en abandonnant dans la montagne les camarades qui devront verser leur sang? Je vous croyais tous sages, mais non, je me suis trompé. »
Là-dessus, le petit fondit en larmes.
Inutile de dire que ses camarades et lui étaient à un âge où ils avaient encore besoin des soins de leurs parents. Ils ne pouvaient en bénéficier, et je voyais là un aspect du martyre infligé par l’impérialisme japonais au peuple coréen.
Mais cependant, qu’adviendrait-il si je laissais le garçon repartir chez lui? Cela sèmerait le désarroi dans la compagnie d’enfants.
En lui rappelant ce qu’il avait écrit lors de son engagement, j’essayai de le ramener à la raison:
«Chaque mot d’un homme doit valoir son pesant d’or, dit-on. Mais te voilà prêt à renier ta parole comme tu jetterais un caillou qui traîne au bord de la route. Il ne sied pas à l’homme de renier ses engagements. Une fois sous les armes, il faut se battre et rentrer chez soi après la victoire. Les parents ne pourront que s’en réjouir...»
Le garçon jura alors qu’il ne penserait plus à regagner sa famille.
C’est sans doute à cet incident que tenaient l’amour et l’attention particuliers que je lui prodiguai par la suite. Il les méritait: La camaraderie était une de ses qualités. En refusant d’entamer le riz de réserve de la compagnie, dût-il souffrir de la faim, il avait témoigné de sa camaraderie, un sentiment aussi beau que le lis, aussi pur que la neige fraîchement tombée.
Je considérais la camaraderie comme une pierre de touche pour vérifier les qualités d’un révolutionnaire. Elle est la substance de la personnalité et le fondement moral des communistes; elle fait d’eux les meilleurs hommes du monde; et les distingue du reste des hommes. Une vie humaine dénuée de camaraderie risque de s’écrouler finalement comme un édifice sans fondation. Un homme doué de camaraderie peut facilement combler ses insuffisances. Voilà justement ce que je découvris avec ce garçon originaire de Shijiudaogou.
Tous les combattants de la troupe vinrent en aide aux enfants en les considérant comme leurs propres cadets. Ils en prirent sous leur protection chacun un et les éduquèrent du mieux qu’ils pussent: ils devinrent des protecteurs dignes de confiance pour eux.
Le plus sincère et le plus actif de ces protecteurs, c’était indubitablement O Il Nam, chef de la compagnie. Il se creusait toujours la tête, soucieux qu’il n’y ait pas de traînards dans sa compagnie. Vive fut mon émotion quand je le vis, un jour, envelopper d’une bande d’étoffe les pieds d’un nommé Kim Hong Su, surnommé «le Petit marié», qui s’était engagé à Shangfengde. «Hong Su, lui disait alors O Il Nam, tu es mon aîné quant au mariage, mais mon cadet pour ce qui est de l’usage de la bande d’étoffe. N’aie donc pas honte et apprends sincèrement. Mais ce sera autre chose quand je me marierai. Tu seras alors mon maître. » Le «Petit marié» laissait faire son chef de compagnie en suivant des yeux le mouvement de ses mains. Il était fort probable qu’O Il Nam veillait particulièrement sur Kim Hong Su, afin d’éviter à ce marié d’être la risée de la troupe.
Les partisanes aussi traitaient les enfants avec une affection particulière. Chacune d’elles s’était chargée de deux ou trois membres de la compagnie. Aux petits soins pour eux, elles leur apprenaient à ranger leurs affaires dans leurs havresacs, à faire cuire le grain, à allumer un feu de bivouac, à coudre, à se débarrasser des ampoules aux pieds, bref à se débrouiller en toutes choses dans leur vie quotidienne.
Kim Un Sin venait juste après le chef de compagnie quant à l’enthousiasme pour aider les enfants. Chargé par l’organisation du parti d’aider Ri Ul Sol, il se faisait accompagner par celui-ci quand il avait un loisir pour l’exercer à viser, bon exemple pour les autres partisans anciens. Ce fut pour beaucoup dans le fait que Ri Ul Sol devint bon tireur. Par la suite, lors de l’admission de celui-ci au parti, Kim Un Sin s’en porta garant.
Pendant les marches aussi, les anciens aidèrent les petits par tous les moyens.
Quand on marchait la nuit, ils n’oubliaient pas d’initier les petits à ce qu’ils devaient connaître en l’occurrence: suivre de près le précédent, surveiller les alentours, rendre compte sans retard aux commandants des nouveautés constatées et, après chaque halte, ne pas laisser un seul bout de papier sur le terrain, etc.
Je faisais moi-même de mon mieux pour aider ces bleus.
Quand nous avions à traverser un cours d’eau au courant impétueux, je m’offrais à porter sur mon dos les plus jeunes, y compris le «Petit marié». «Tiens, quelle honte, monsieur le nouveau marié! aimaient railler ses camarades. On dirait un gosse!» Pourtant, lui, naïf qu’il était, s’en fichait. Quand je marchais avec ces adolescents, je me voyais obligé de leur prodiguer des recommandations presque inutiles, leur disant par exemple: «Voilà des arbres. Faites attention — Un fossé qu’il faut sauter — Soyez prudents en traversant à gué la rivière», et ainsi de suite.
Les enfants avaient toujours faim: naturellement, ils ne pouvaient manger dans l’armée de guérilla mieux que chez eux. Une fois, en marchant avec eux de Changbai vers Linjiang, nous dûmes, à court de provisions de bouche, nous contenter le plus souvent de bouillie. Ils souffrirent alors de la faim. Si les cuisinières me servaient à part, je n’en partageais pas moins avec eux ma portion de bouillie.
Un jour, l’adjudant-chef Jon Hui, dont on connaissait le caractère scrupuleux, vint me voir, l’air pleurnicheur. Elle me pria de ne plus agir ainsi, parce que, si je continuais comme ça, ma santé serait compromise; sinon, ils se passeraient de repas, eux.
Je dis pour l’apaiser:
«Ne vous inquiétez pas trop, camarade Jon Hui. Pour moi, sauter un ou deux repas n’est pas grave. Mais mal nourrir les enfants, c’est autre chose. Encore peu aguerris, ils ont de la peine à supporter la faim. A leur âge, on digérerait même des pierres. Mais ils n’ont à manger que de la bouillie; quelle ne doit donc pas être leur faim! Qui, sinon nous-mêmes, devrait alors s’occuper d’eux?...»
Pour former ces adolescents, je me penchai en priorité sur leur éducation idéologique. Je profitais de tous mes loisirs pour les instruire. Je commençai par apprendre à lire et à écrire à ceux qui étaient illettrés. Comme mes élèves s’intéressaient beaucoup aux biograp
Notre marche de Changbai à Linjiang fut parsemée de dizaines d’affrontements. Les enfants, je ne les fis pas y prendre part, je leur permis seulement d’y assister de loin. Néanmoins, il arriva une fois qu’un de ces adolescents se trouva sur le champ de bataille et fut atteint par une balle perdue. A chaque accès de douleur, il gémissait, en appelant son papa. Cela me navrait de penser à la peine que ressentiraient ses parents à la vue de sa blessure. Je demandai à O Il Nam de veiller avec soin sur les soldats de sa compagnie, d’autant plus qu’ils étaient précieux, ces futurs continuateurs de notre œuvre révolutionnaire. En effet, nous leur prodiguions une sollicitude particulière, c’étaient des trésors pour nous. Nous prenions soin pourtant de ne pas les choyer seulement. Nous les blâmions sévèrement pour la moindre faute et les faisions s’endurcir en compagnie des anciens.
Une nuit, en faisant le tour de notre bivouac, je vis les enfants dormir déchaussés. Il s’agissait d’une infraction à la discipline, notre règlement de bivouac défendant aux combattants de coucher déchaussés. Pour les partisans exposés à tout moment aux surprises de l’ennemi, il était suicidaire de coucher déchaussés ou déshabillés, incapables de supporter l’inconfort momentané. Aussi, dans les bivouacs, nous tous, commandants et soldats, couchions-nous toujours sans ôter notre uniforme ni nos chaussures, les armes dans nos bras; et, en vue d’une action prompte en cas d’urgence, nous faisions de notre havresac un oreiller.
Cette nuit-là, je critiquai durement Jon Hui:
«...Ce n’est pas avec une humanité comme la vôtre qui tient plutôt de la sentimentalité qu’on en fera des combattants. Que leur arriverait-il si à l’instant même l’ennemi se précipitait sur nous alors qu’ils dorment déchaussés?Ils risquent d’avoir les pieds fracturés, contusionnés ou gelés. Leurs parents les ont confiés à nos soins. Nous sommes donc tenus d’en prendre soin comme leurs propres parents, leurs propres frères et sœurs. Il faut les former selon les principes établis en vue de leur avenir, même si cela nous paraît dur et inhumain.»
Ma critique avait si fortement remué Jon Hui que, dit-on, des dizaines d’années après, à une entrevue qu’elle eut avec Jo Myong Son, actuel chef adjoint de l’état-major général de notre armée populaire, elle lui dit:
«Vous souvenez-vous de la critique que j’ai reçue à cause de vos pieds?
—Bien sûr, je ne l’ai pas oubliée, répondit son interlocuteur d’un ton ému, comprenant aussitôt ce à quoi faisait allusion son ancien adjudant-chef. Mes pieds déchaussés au bivouac vous ont valu cette critique. Les années de notre compagnie d’enfants, années où nous nous initiions à l’A.B.C. de la révolution ont été dures, et pourtant quelle nostalgie j’ai de ce temps-là!»
Chacun garde un souvenir éternel des souffrances endurées dans l’enfance et de l’affection dont il a alors bénéficié, souvenir qui éclaire sa vie comme un flambeau inextinguible. Plus d’un demi-siècle a passé, et ces adolescents de quatorze à quinze ans sont maintenant septuagénaires, et pourtant ils n’oublient pas ceux qui s’étaient occupés d’eux avec sollicitude et affection comme de leurs propres frères.
Grâce à l’aide et aux soins des anciens, nos cadets firent des progrès rapides. Et les voilà qui commençaient à me solliciter de leur permettre, au même titre que les anciens, de participer aux combats. Leur baptême du feu eut lieu à Xinfangzi. Suivirent d’innombrables autres occasions auxquelles les ils participèrent à l’égal des anciens, actions marquées par toute une diversité de faits inattendus.
Nous avions beau leur donner mille conseils et attirer leur attention sur mille choses à l’avance, une fois le combat engagé, ils entreprenaient des actions insolites, tout à fait inimaginables pour les grandes personnes, qui nous donnaient des sueurs froides ou nous faisaient éclater de rire. Certains, sages d’habitude, s’enflammaient dès le début du combat et, perdant leur sang-froid, s’agitaient comme de beaux diables. Il en était même un qui voulut tirer des coups de feu, non pas caché derrière un abri, mais le torse à découvert. Heureusement, un ancien l’aperçut, le saisit par la nuque et le rejeta sur ses fesses.
Un autre avait laissé, par mégarde, sa casquette brûler au feu de bivouac et avait dû souffrir d’être nu-tête pendant quelque temps. Obsédé par le désir d’en avoir une nouvelle, il se précipita sur un combattant ennemi et tenta de lui arracher sa casquette, au lieu de le tuer. Evidemment, il faillit payer cher son geste. Un troisième enfant fut cause d’une convocation d’urgence de toute la troupe: placé en faction, il aperçut un chevreuil et ne put résister au désir de l’abattre d’un coup de feu.
Si les combats étaient difficiles, ces blancs-becs n’en accomplissaient pas moins de hauts faits d’armes. Les circonstances extraordinaires de la vie de l’armée de guérilla les amenaient à faire preuve d’une intelligence et d’un courage rares dans la vie ordinaire.
Un jour, Jon Mun Sop, Ri Tu Ik et Kim Ik Hyon s’en allaient en mission de liaison, lorsqu’ils tombèrent sur une petite unité de l’armée fantoche mandchoue. Les deux camps s’étant aperçus l’un l’autre presque au même instant, les enfants devaient prendre l’initiative de l’action, sinon ils risquaient d’être soit encerclés, soit faits prisonniers. A ce moment critique, tous trois eurent vite fait de se mettre à plat ventre derrière un buisson, puis l’un d’entre eux cria en affectant une voix d’adulte: «La première compagnie à gauche! La seconde à droite!» Après quoi, ils se mirent à tirer sur l’ennemi, faisant mouche à chaque coup. Pris de panique, l’ennemi s’enfuit, sans penser à combattre. Ainsi les trois enfants rejoignirent-ils leur troupe après avoir accompli avec succès leur mission.
Or, il faut noter qu’ils ne dirent pas un mot sur leur fait d’armes, peu important à leurs yeux, si bien que l’exploit ne fut connu que plus tard dans la troupe. Moi-même, je n’avais eu vent de leur action d’éclat qu’après avoir entendu le récit d’O Il Nam, chef de compagnie.
Les soldats de cette compagnie firent des progrès tout aussi remarquables sur le plan idéologique et moral. Ils tâchaient maintenant de faire tout eux-mêmes, cherchaient par tous les moyens à ne pas être une charge pour les anciens.
A l’automne de l’année où fut organisée la compagnie d’enfants, Kim Ik Hyon se brûla une jambe en dormant près d’un feu de bivouac. De plus, il attrapa une maladie des yeux. Ne voyant pas bien devant lui, il était obligé de s’appuyer sur des anciens lors des marches. La douleur de sa jambe le lancinait, pourtant il faisait l’impossible pour ne pas la trahir le moins du monde, de peur de causer du souci à moi ou aux anciens. Heureusement, je le remarquai aussitôt, et je lui fis donner des médicaments. Par la suite, je pus voir la cicatrice de sa brûlure: la fermeté de sa volonté et son endurance me touchèrent.
Tout au long de la guerre contre les Japonais, les membres de cette compagnie contribuèrent grandement à la lutte armée en se battant avec bravoure à l’égal des grandes personnes, en dépit de leur âge et de leur développement physique insuffisant. Les militaires et les policiers japonais disaient qu’ils préféraient ne pas affronter les partisans issus de la compagnie d’enfants, histoire d’éluder le combat avec eux.
Citons en exemple Kim Song Guk, enrôlé très jeune avec l’aide de Kim Il.
Kim Il était depuis longtemps en mission clandestine dans un village au pied du mont Jiansan. Il avait accompli nombre de tâches grâce à l’aide sincère d’un paysan nommé Kim Sang Hyon, membre de l’Association pour la restauration de la patrie. Celui-ci l’avait même caché dans une hutte pendant trois mois. Sa femme lui avait laissé à sa mort trois garçons. Incapable de s’occuper de ses enfants, le veuf les avaient placés comme domestiques. Kim Song Guk était l’aîné.
Kim Il se donna beaucoup de peine pour aider en retour cette pauvre famille. En fin de compte, il décida de recommander Kim Song Guk à l’armée de guérilla. Un jour, il alla au champ voir Kim Song Guk qui désherbait et lui remit sa lettre de recommandation à mon adresse, lui demandant d’aller me trouver. Enfin, l’adolescent jeta la houe et, en vêtement rustique en toile de chanvre, vint me trouver, puis il s’engagea dans l’armée de guérilla.
Ayant beaucoup souffert dans son enfance, Kim Song Guk était prompt d’esprit, audacieux et persévérant. Il eut vite fait de maîtriser l’art du tir et le règlement de conduite au sein de l’armée de guérilla. Quelques mois après son enrôlement, il se vit nommer aide du mitrailleur O Paek Ryong. Kim Il, quant à lui, continua à veiller sur lui avec une profonde affection.
Voici ce qui se passa en plein hiver au bord de la rivière Songhua, alors que Kim Song Guk faisait partie de l’équipe de couverture. Un jour, ayant trop chaud aux plantes des pieds qu’il se chauffait auprès d’un feu de bivouac, il ôta ses chaussures. Le hasard voulut que juste à ce moment l’ennemi se jetât sur l’équipe. Pour comble de malheur, le mitrailleur se trouva être absent. Kim Song Guk, sur l’ordre du commandant, prit rapidement position avec sa mitrailleuse sur la couche de glace qui couvrait la rivière et ouvrit un feu nourri sur l’ennemi.
Sans même s’apercevoir qu’il était pieds nus, il mitraillait, quand il sentit ses pieds tirés derrière lui.
Irrité, il se tourna. A son grand étonnement, il vit Kim Il en train de lui envelopper les pieds nus dans un morceau de tissu enlevé à son linge. Il s’aperçut alors qu’il avait les pieds nus. Après la fuite de l’ennemi, Kim Il lui adressa des reproches: «De quoi tu as l’air! Veux-tu qu’on soit obligé de t’amputer des pieds?»
Kim Il, au retour de l’accrochage, me raconta tout: il avait vu Kim Song Guk courir devant lui, la mitrailleuse sur l’épaule, et entendu la couche de glace crisser à chaque pas sous ses pieds nus. Si Kim Song Guk était un héros, Kim Il n’en était pas moins un, le premier ayant osé tirer avec sa mitrailleuse, nu-pieds sur une couche de glace au cœur de l’hiver, le second ayant eu le courage de braver une grêle de balles pour le rejoindre, sur le théâtre du combat, et lui entourer les pieds de lambeaux de tissu arrachés à son sous-vêtement. N’eût été Kim Il, l’autre eût eu les pieds gelés et fût devenu un pauvre oiseau sans ailes.
Plus tard, Kim Song Guk fut admis au parti sous ma caution et celle de Kim Il.
Quant à sa fidélité à la révolution, différentes anecdotes remontant à l’époque des activités de nos petites formations en témoignent amplement. La première moitié des années 1940 fut une période difficile où la trempe révolutionnaire de chaque partisan était mise à l’épreuve. Kim Song Guk se battit alors avec brio sans se laisser ébranler le moins du monde dans sa foi. Il était souvent en mission clandestine en Corée, et une petite erreur qu’il commit une fois lui valut d’être arrêté par la police dans la ville de Rajin. Surpris par la pluie, il avait voulu acheter un parapluie dans un magasin, et il avait pris un parasol pour dame. Originaire de Jiazaishui, bled perdu dans la montagne, où il avait passé son enfance dans les corvées, Kim Song Guk ne savait pas distinguer un parapluie d’un parasol. Le parasol dont il se servit en sortant du magasin attira l’attention de tout le monde, éveillant finalement les soupçons d’un policier. Celui-ci l’aborda et l’interrogea pour savoir où il l’avait volé. Kim Song Guk dit qu’il l’avait acheté au magasin, ce qui était d’ailleurs vrai. Ensuite, comme l’agent de police demandait pourquoi un pour dame, notre héros répondit, l’air calme, qu’il faisait une commission pour une voisine.
Néanmoins, le flic l’emmena au poste de police, où il le soumit à un interrogatoire en règle. L’espace d’une seconde, Kim Song Guk eut l’idée de fuir après lui avoir cassé la tête avec une chaise, mais il se ravisa: il ne pourrait alors plus opérer dans la ville de Rajin, et un autre militant encore devrait frôler la mort pour venir le remplacer.
Quand le policier sortit pour effectuer sa patrouille dans la ville, un autre vint le remplacer et poursuivre l’interrogatoire, assis derrière le même bureau. Tout en le tracassant de ses questions, celui-ci tira par hasard le tiroir, où il vit quelques centaines de won, somme d’argent dont s’était pourvu Kim Song Guk pour sa mission et que le premier policier avait saisie. Du coup, ses yeux brillèrent de cupidité, et il se hâta de laisser le prisonnier aller son chemin.
L’année suivante en été, pendant sa mission avec un petit groupe, il eut une autre aventure. Au terme de sa mission, il croisa l’ennemi en rentrant à la base. Au cours de l’échange de coups de feu, il fut blessé à plusieurs endroits. Il gagna un ravin et se cacha dans un fourré si bien qu’il échappa aux recherches de l’ennemi. J’envoyai pour le chercher un groupe de partisans conduit par Im Chol. Ils le retrouvèrent sans connaissance. C’était miracle qu’il eût survécu à ses nombreuses blessures. Il avait mangé de l’herbe, dit-il, avant de perdre connaissance.
Dès son retour à la base d’entraînement, nous l’envoyâmes à un hôpital de campagne en Union soviétique, avec le consentement de l’autorité concernée. Il y fut soigné pendant une année et recouvra la santé. Le corps médical et les malades de l’hôpital étaient aux petits soins pour lui. En particulier, la jeune infirmière chargée de lui l’avait entouré de soins, jour et nuit, considérant ce partisan coréen comme un phénix; elle lui avait même transfusé de son sang.
Elle était Allemande. Son père, combattant antifasciste, avait été fusillé par la clique d’Hitler; par la suite, elle s’était exilée avec sa mère en Union soviétique. Elle estimait Kim Song Guk, voyant en lui un combattant d’une petite nation d’Orient. Elle fit de son mieux pour le soigner et l’aider: tantôt elle le soutenait quand il voulait aller au cabinet, tantôt elle lui lavait le visage ou l’aidait à prendre de la nourriture; pendant sa convalescence, elle lui apporta pour exciter son appétit différents mets qu’elle avait préparés avec les poules élevées chez elle.
Le jour de sa sortie de l’hôpital, la mère de l’infirmière vint l’inviter chez elle. Elle le pria de séjourner quelques jours chez elle pour sa convalescence, parce que la convalescence était de règle après le traitement à l’hôpital. Kim Song Guk accepta volontiers.
La mère de l’infirmière était professeur à l’école des beaux-arts de l’endroit. En dépit du climat âpre de la Sibérie, elle élevait des dizaines de poules et cultivait le poivre, plante vivace. Tous les jours, la mère et la fille tuaient une poule et préparaient divers mets à l’intention de Kim Song Guk. Au moindre loisir qu’elles avaient, elles venaient le solliciter de leur raconter les combats des partisans coréens. Ce qui les touchait particulièrement, c’était l’histoire des enfants qui s’étaient jetés dans la tempête de la révolution. Elles s’émerveillaient même d’entendre parler de leur participation à la guérilla. La mère de l’infirmière, dans son intention de présenter aux Européens le portrait d’un héros coréen, esquissait de temps à autre celui de Kim Song Guk.
La jeune Allemande profita de la convalescence de Kim Song Guk pour connaître la Corée, son histoire, ses révolutionnaires et son peuple. Avec Kim Song Guk, elle commença à aimer la Corée. Plus d’une fois, elle dit:
«Le seul récit des combattants adolescents m’a convaincue que la Corée gagnera la guerre contre le Japon. Oui, vous ne pouvez que le vaincre. »
Lors du départ de Kim Song Guk pour son unité, elles le reconduisirent avec des médecins soviétiques, regrettant leur séparation.
Comme souvenir d’adieu, elles voulurent lui donner leur livret de caisse d’épargne où était inscrite une somme importante. Mais Kim Song Guk déclina l’offre.
Au moment de la séparation, la mère de l’infirmière lui dit:
«...Normalement, vous devriez vous reposer quelque temps encore. Mais nous ne voulons plus vous retenir, car nous aurions beau chercher à vous en dissuader, vous ne différeriez pas votre départ. La Révolution coréenne triomphera à coup sûr tant qu’elle aura des combattants comme vous...»
La relation de Kim Song Guk m’attendrit vivement: la conduite de la jeune Allemande et de sa mère était digne d’internationalistes. Aussi renvoyai-je Kim Song Guk avec de l’argent et du porc pour les remercier au nom de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne.
Un autre exemple, celui de Kim Chol Man, est là pour attester la valeur de la compagnie d’enfants, véritable creuset pour la formation idéologique et bonne école militaire et politique.
C’est le «Vieux à la pipe», en mission dans la région de Diyangxi avec son groupe, qui amena chez nous Kim Chol Man, futur membre de la compagnie d’enfants. Or, lorsque je vis Kim Chol Man pour la première fois, je fis, mécontent, des reproches au «Vieux à la pipe»: «Un gosse à peine haut comme un fusil? Qu’avons-nous à faire de lui?» Ri Tong Baek, lui, sursauta, prenant parti pour le garçon: «Un gosse, vous dites? Mais il a 17 ans. De petite taille, certes, mais tout à fait mûr.»
Je croyais que Kim Chol Man avait menti au «Vieux à la pipe» quant à son âge. Moi, je lui aurais donné 12 ou 13 ans. J’essayai donc de le persuader de retourner chez lui, parce qu’il ne devait pas s’illusionner comme on dit: mieux vaut ne pas regarder l’arbre sur lequel on ne peut pas monter.
Pourtant, Kim Chol Man, le visage souriant, répliqua: «Respecté Général, ne me dédaignez pas parce que je suis de petite taille. Croyez-m’en, j’ai déjà fait toutes sortes de travaux de culture.» Puis, il leva le bras pour le montrer. En effet, il avait l’air plus musclé que les enfants de sa taille.
Sitôt enrôlé dans la compagnie d’enfants, Kim Chol Man devança ses camarades en toutes choses. Et, quand la compagnie fut dissoute, il fut assigné au 7e régiment, où il s’acquitta consciencieusement du rôle d’ordonnance d’O Jung Hup, chef de l’unité. Il pleura plus que quiconque à la mort de son chef. Puis il se donna beaucoup de peine pour assurer la sécurité d’O Paek Ryong, qui lui succéda au commandement du régiment.
A l’époque de nos opérations en petites formations, il combattit tout le temps dans le groupe dirigé par O Paek Ryong: avec son groupe, il franchissait fréquemment la frontière soviéto-mandchoue et le fleuve Tuman pour se livrer à des activités politiques visant à rassembler les forces de la résistance contre les Japonais et reconnaître les points stratégiques de l’ennemi. Chef militaire aguerri dans le feu de la guerre contre les Japonais, il donna toute la mesure de sa force d’âme et de ses talents pendant la guerre contre les Américains. Il se distingua au cours de la Première marche vers le Sud et surtout après, en se battant sur les arrières de l’ennemi. Le régiment placé sous son commandement frappa l’ennemi dans le dos, en parcourant de long en large un vaste secteur — plus de 400 kilomètres de long — dans les provinces du Kangwon et du Kyongsang du Nord, et notamment à Yanggu, Chunchon, Kaphyong, Thongchon, Phohang, Chongsong et Kunwi.
L’affrontement entre les deux parties fut d’une violence telle que la population de Yanggu tremblait de peur, sans oser rentrer les récoltes déjà mûres. Yanggu fut libéré. La première chose que fît alors Kim Chol Man, ce fut de convoquer-il eut l’aplomb de le faire-les responsables de cet arrondissement et d’organiser la moisson. Et, en quelques jours, la population, avec l’aide du régiment, acheva la moisson dans tous les champs.
Kim Chol Man aime à dire: «Je dois à notre respecté Leader de bénéficier, en tant que cadre militaire et politique, de la confiance et de l’amour de notre Parti. Je serais resté bûcheron ou paysan inconnu si notre Leader ne m’avait admis dans la compagnie d’enfants, ne m’avait prodigué, en véritable père, amour et sollicitude. » Je crois à sa sincérité.
D’autres adolescents encore, bien qu’en dehors de cette compagnie, prirent les armes presque à l’âge de ses membres pour se battre dans l’armée de guérilla. Ils apportèrent eux aussi une contribution digne d’eux à la victoire de la guerre contre le Japon.
Kim Pyong Sik, par exemple, était du nombre. Ouvrier sur le chantier d’un tunnel à l’âge de 15 ans, il vint seul à l’armée de guérilla pour s’enrôler. Il fut ensuite un temps ordonnance de Mun Pung Sang, puis de C
Kim Pyong Sik fut bien souvent envoyé en mission clandestine dans la zone ennemie, où il accomplit bien des prouesses. Il passait et repassait à sa guise, en sifflant un air gai, le fleuve Tuman sous mis à une surveillance sévère, et il était un habitué des villes de la frontière nord de la Corée, notamment d’Unggi, Sonbong, Rajin et
Kim Pyong Sik était le plus jeune détenu de la prison de Sodaemun, à Séoul. Quand il sortait pour la corvée, il assurait à merveille la liaison en allant de cellule en cellule pour Kwon Yong Byok, Ri Je Sun, Ri Tong Gol, Ji T
Les plus jeunes recrues parmi les combattants de la révolution antijaponaise, c’étaient Ri Jong San et Ri O Song. C’est à 11 ans que Ri Jong San devint partisan, admis dans la 3e armée de l’Armée antijaponaise unifiée.
Lorsque Ri Jong San vint s’enrôler dans l’armée révolutionnaire, sa demande fut examinée par Feng Zhongyun, responsable politique de la 3e armée. Tout d’abord, celui-ci voulut le congédier, il était trop jeune. En effet, le bon sens voulait qu’on n’admît pas un enfant de 11 ans pour la vie militaire. De surcroît, Ri Jong San était plus petit de taille que les enfants de son âge. Ajouter un ou deux ans à son âge, cela aurait pu passer, mais on ne pouvait cacher sa taille. Mais pourtant, Ri Jong San ne désespéra pas; il s’entêta et finit par obtenir le consentement de Feng Zhongyun.
Sitôt admis, il justifia les attentes de tout le monde. Et commandants et soldats de l’unité se prirent unanimement d’affection pour lui, un partisan prompt d’esprit et de mouvement et travailleur, le considérant comme leur véritable frère. Dans cette 3e armée, il fut ordonnance la plupart du temps, par exemple au service de Kim C
C’est vers 1943, si je ne me trompe, que Kim C
Après la Libération, Ri Jong San fut pendant plusieurs années mon officier d’ordonnance à côté de Son Jong Jun et autres. Une fois désigné à ce poste, il se hâta, par souci pour ma santé, de cesser de fumer, habitude vieille d’une dizaine d’années dont il était pourtant difficile de se défaire du jour au lendemain.
Parmi les cadres militaires et politiques envoyés de Qinggouzi à la 3e armée figurait le frère cadet d’O Jung Hup, appelé O Jung Song (alias O Se Yong) qui avait servi de chef d’escouade dans la troupe de Wangqing. Muté dans la 3e armée, il était commissaire politique dans un bataillon, quand il perdit son index droit dans un affrontement. Quand celui-ci voulait fumer, Ri Jong San lui roulait une cigarette et allait prendre du feu pour lui. Pour allumer une cigarette, il fallait aller prendre du feu auprès de quelqu’un qui fumait, mettre sa cigarette bout à bout avec celle du fumeur, et tirer quelques bouffées. C’est ainsi qu’il avait, selon lui, appris à fumer.
Parfois, je lui tendais mon paquet de cigarettes, mais jamais il n’en prit aucune, et j’admirai la fermeté de sa volonté de ne pas déroger à son obligation en fumant près de moi.
Parmi les jeunes partisans qui ont enduré avec nous toutes sortes d’épreuves pendant la révolution antijaponaise, figure T
Il était surnommé «Petit poivre», ce qui voulait dire que, petit de taille, faible d’apparence, c’était déjà un esprit assez fort et bien récalcitrant. En effet, il était intrépide dans le combat, irréprochable dans la vie de caserne. Il égala par sa bravoure les vétérans, les plus durs, dans de nombreux combats, notamment dans les combats au mont Miaoling, à Jinchang, au mont Jiansan, à Mujihe, à Dapuchaihe, à Dashahe-Dajianggang et au chef-lieu du district d’Emu, etc.. C’était dans le feu des combats qu’il avait acquis une habileté étonnante au tir. Une fois, il s’était glissé avec son commandant de régiment, Ri Ryong Un, dans un village de regroupement, dans le district de Dunhua, et avait, en un rien de temps, mis hors de combat une trentaine d’hommes de l’armée fantoche mandchoue; ce fait d’armes défraie aujourd’hui encore les conversations des anciens combattants de la guerre contre le Japon. Devant sa bravoure, même les anciens ne purent le traiter à la légère, lui qui était pourtant si jeune.
Pendant la guerre contre les Japonais, il avait la plupart du temps servi d’ordonnance à des cadres militaires et politiques de l’armée, dont An Kil, Jong Tong Gyu, Ri Ryong Un et autres. Les cadres voulaient le garder auprès d’eux puisqu’il avait du coup d’œil et faisait preuve d’un sens élevé de ses responsabilités et de bonne volonté.
Ordonnance, il avait veillé attentivement à la sécurité des commandants.
Chaque fois qu’il voyait son commandant s’exposer à un danger mortel, il se plantait devant lui, les bras écartés, et il criait d’une voix cinglante: «Ne risquez pas votre vie, c’est l’ordre du Général, il ne faut pas y déroger.» Le chef de régiment Jon Tong Gyu tomba dans les batailles de Dashahe-Dajianggang, parce que, sans écouter ses conseils, il s’était jeté sous le feu de l’ennemi.
An Kil a dit qu’il ne serait plus de ce monde comme Jon Tong Gyu s’il ne s’était pas conformé aux prières de T
Alors qu’il prenait part aux opérations de petites formations après la Conférence de Xiao
T
Plus tard, quand ils m’avaient rencontré dans une localité de Wangqing où ils étaient en mission, les compagnons d’armes de T
En effet, de longues années de vie commune m’avaient convaincu qu’il était un dur, un homme de cœur,un combattant loyal, ferme, attaché aux principes et prêt à foncer tel un tigre sur l’ennemi pour la révolution. En tout temps et en tous lieux, quoi qu’il fît, il s’en était tenu aux principes et n’avait pas transigé avec les injustices. Il abhorrait les fractionnistes et les militaristes. Il était irréductible dans ses convictions et dans son esprit de dévouement au Parti, et même le militariste Kim Chang Bong n’avait pas réussi à le mettre sous sa coupe.
Tout comme lors de la guerre contre les Japonais, T
Un dicton dit:les épreuves de la jeunesse valent mieux que des pièces d’or. Si T
En une demi-année, les membres de la compagnie d’enfants devinrent de vrais combattants, qui ne cédaient en rien aux anciens. Ils avaient fait des progrès étonnants.
Vers la fin de 1937, alors qu’ils avaient tous acquis une formation militaire suffisante, je fis dissoudre leur compagnie et les fis répartir dans les autres compagnies, faisant de ces guerriers de réserve des combattants d’active.
Aucun traître ni aucun traînard ne se signalèrent parmi les partisans issus de la compagnie d’enfants. Cela confirme leur fidélité au Parti et à la révolution, à la patrie et au peuple. Dans les années difficiles qui précédèrent la Libération, années où le fascisme déploya sa dernière frénésie en Orient et en Occident, ils opérèrent loyalement en petites unités sous mes ordres. Puis, dans les années de la création d’une Corée nouvelle, ils devinrent chefs de division ou chefs de régiment pour organiser avec leurs aînés les forces armées de notre pays; ensuite, pendant la Guerre de libération de la patrie, ils écrasèrent des généraux et des tanks américains dans les vallées, appelées par ceux-ci vallées-trappes.
Kang Kon, enrôlé dans l’armée révolutionnaire à 16 ans, devint chef d’état-major général de l’Armée populaire de Corée, le premier en date, à 30 ans. Fin 1948, il alla visiter, en cette qualité, l’Union soviétique. Il fut accueilli à l’aéroport par des cadres militaires supérieurs, généraux et maréchaux, qui ne purent cacher leur étonnement à le voir aussi jeune.
De retour dans le pays, Kang Kon me raconta le fait. Alors je lui dis en riant:
«Si j’avais été sur place, je leur aurais appris que vous avez été un militaire de renom dès votre enfance. »
Après l’organisation de la compagnie d’enfants, je pris l’habitude de distinguer l’âge physiologique et l’âge psychologique pour juger d’un homme. Et de ces deux âges, le second devait primer. Psychologiquement, pour un adolescent, un an peut valoir autant que deux ou trois ou même cinq ans chez les autres.
L’éducation des enfants et des adolescents constitue un autre facteur essentiel qui décide du destin d’un pays. Ainsi que le montre l’expérience de la compagnie d’enfants, plus on commence tôt à préparer les futurs continuateurs de la révolution, les soldats de l’armée de réserve, meilleur c’est.
7. Réflexions sur les obligations révolutionnaires
Les précieuses réalisations de la révolution antijaponaise dans la région de Xijiandao et celle du mont Paektu étaient autant de fruits d’un combat sanglant. Or, ces biens d’une révolution en plein essor, l’ennemi redoublait d’acharnement pour les anéantir. C’est à peine si les impérialistes japonais qui avaient déclenché la guerre sino-japonaise, pouvaient en supporter le poids, mais pourtant ils faisaient des pieds et des mains pour étouffer notre révolution: ils avaient recours aux derniers acquis de la science militaire autant qu’aux moyens de répression fascistes qu’ils avaient inventés au cours de plusieurs dizaines d’années de politique despotique et d’expansion territoriale. Rien ne pouvait cependant barrer la route à notre marche.
Chaque fois que l’ennemi tentait d’écraser notre révolution par la violence, nous y opposions, pour le vaincre, la force de notre tactique, celle de la cohésion de nos rangs basée sur la camaraderie et de notre fidélité aux obligations révolutionnaires. Plus il se démenait dans sa tyrannie, plus nous resserrions nos liens avec le peuple; plus il cherchait à démoraliser nos rangs, plus nous cimentions notre unité de pensée et de volonté, notre cohésion morale basée sur la fidélité à ces obligations.
Le sens de l’obligation est un concept moral inhérent à la nature de l’homme. Dans les sociétés anciennes déjà, les gens de bonne foi y accordaient de l’importance, et en faisaient un trait fondamental de l’homme.
Et toutefois, le code moral ancien, prêchait des inégalités, notamment l’assujettissement des uns aux autres, l’obéissance inconditionnelle des uns aux autres, il entravait le sens de la liberté et la créativité de l’homme. Il était loin de parler de concepts progressistes, comme l’amour du peuple et le dévouement au peuple.
Or, au cours de notre lutte révolutionnaire, nous mîmes fin aux rapports humains et aux normes morales féodaux anciens, que nous remplaçâmes par de nouveaux, de type communiste, pour les léguer à la postérité.
C’est le sens des obligations communistes basées sur l’amour et la confiance qui régissait, dans l’Armée de guérilla antijaponaise, les rapports entre supérieurs et subalternes, entre camarades, entre partisans et civils.
Le monde pullule de toutes sortes de lois.
Ce serait cependant se tromper que de s’imaginer que la loi peut à elle seule contrôler et régler les activités de l’homme, d’une diversité illimitée par excellence. La loi n’est pas un instrument tout puissant, une panacée. En effet, elle ne peut intervenir dans certains domaines de l’activité de l’homme, par exemple, dans l’amour ou dans l’amitié. Si l’institution judiciaire ordonnait que tel homme aime telle femme, que tel se lie d’amitié avec tel autre, qu’un tel épouse une telle, nul n’y consentirait. La loi ne peut tout arranger, mais ce que la loi ne peut faire, c’est au sens de l’obligation et à la morale de le faire.
C’est en nous faisant des camarades que nous commençâmes notre révolution, puis c’est en accroissant notre sens de nos obligations et notre camaraderie, en nous mêlant au peuple et en resserrant nos liens avec lui que nous la fîmes continuellement progresser. A l’époque comme aujourd’hui, la camaraderie était d’une importance vitale pour notre révolution, c’est elle qui décidait de son issue. L’histoire des dizaines d’années de glorieuse lutte des communistes coréens est, j’ose dire, l’histoire du développement de leur camaraderie et de leur sens de leurs obligations les uns envers les autres.
Notre collectivité n’était pas un de ces ramassis d’individus qui recherchent la richesse ou la spéculation; elle était composée de révolutionnaires aspirant unanimement à la liberté et à l’indépendance de la patrie. L’identité de pensée et d’idéal nous avait fait, d’entrée de jeu, partager le sort des uns et des autres pour le meilleur et pour le pire. Les faux camarades et les faux amis n’avaient donc pas droit de cité dans nos rangs.
L’amour des camarades et la loyauté envers eux étaient le mode d’existence et le besoin intrinsèque de nos hommes qui tenaient au collectivisme comme à leur vie. Pour se procurer un seul fusil, un seul sac de riz ou une seule paire de chaussures, les partisans qui luttaient contre les Japonais unissaient leurs forces et leur intelligence. C’est ainsi qu’ils avaient acquis la volonté révolutionnaire de «combattre l’ennemi au péril de leur vie» autant que le sens du devoir de «partager leur sort dans la vie et dans la mort», devoir qui fait partie de la noble morale communiste. L’union mène à la victoire, se dirent-ils enfin, précieuse vérité qu’ils découvrirent à leurs dépens.
La révolution antijaponaise était une expérience d’un genre inédit. Ardue et âpre, elle était sans commune mesure avec les révolutions précédentes. Le long chemin que nous parcourûmes alors était parsemé d’épreuves de tout genre qu’auraient suffi à remplir plusieurs vies.
Plus les difficultés se succédaient et plus les épreuves se multipliaient, plus les partisans mettaient l’accent sur la cohésion de leurs rangs basée sur la camaraderie, source d’inspiration qui leur permettait de venir à bout des obstacles. A la stratégie d’isolement et d’étouffement pratiquée par l’ennemi, nous opposions celle de la loyauté révolutionnaire et de l’union de nos rangs.
Le respect des obligations entre dirigeant et masses venait en tête parmi les rapports moraux entretenus dans les années de la révolution antijaponaise. Et depuis l’apparition du point de ralliement de la Révolution coréenne jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons cessé de veiller particulièrement à resserrer les liens entre dirigeant et masses, de tout faire pour les unir en un seul bloc, pour les unir par des liens de loyauté.
Les liens entre dirigeant et masses que nous préconisions se distinguent de ceux de l’obligation qui devaient unir, prétendait-on autrefois, le souverain et ses sujets. Chez nous autres, communistes coréens, ces liens peuvent se définir ainsi: un seul corps et une seule âme;le dévouement du dirigeant aux masses et la fidélité des masses au dirigeant, voilà le genre de loyauté communiste qui unit chez nous dirigeant et masses.
La jeune génération de communistes me plaça au centre de notre union pour forger une histoire nouvelle caractérisée par l’union monolithique entre dirigeant et combattants dans la lutte pour modeler le destin de la nation. La fidélité envers leur dirigeant, leur Commandant, voilà ce qui était le noyau de la loyauté communiste qui animait cette nouvelle génération de communistes, les combattants de la révolution antijaponaise.
Ces communistes de la nouvelle vague ignoraient ce qu’étaient les querelles entre fractions, ce qu’était la lutte pour le pouvoir. Dès qu’ils eurent choisi leur dirigeant, ils allèrent tout droit au but sans se laisser prendre au piège des influences extérieures, car ils s’en remettaient à leur dirigeant, et à lui seul. C’est là que résidait la pureté de leur loyauté de communistes.
Les jeunes communistes de la nouvelle génération, dont Kim Hyok et Cha Kwang Su, et tant d’autres qui menèrent avec moi la guerre révolutionnaire contre les Japonais, dont l’âpreté a dépassé l’imagination, tous animés d’une loyauté pure, créèrent une morale caractérisée par la beauté et la noblesse.
A la pensée de leur loyauté, je revois d’abord Kim Il, l’homme qui affronta la tempête pendant près de 50 ans: avec moi, il prit part à la guerre contre le Japon, à la création d’une patrie nouvelle, à la guerre contre les Etats-Unis, enfin à l’édification du socialisme.
A l’époque de la révolution antijaponaise, Kim Il était bien connu de nous tous comme un militant politique chevronné et habile. La région de Jiandao autour d’Antu et de Helong était souvent le théâtre de ses actions au service du parti dans la clandestinité et en faveur du noyautage des troupes chinoises non-communistes qui luttaient contre les Japonais. Ce fut l’occasion pour lui de former de nombreux révolutionnaires.
Durant ses années de lutte au mont Paektu, il combattit tour à tour dans des unités de ces troupes chinoises sous les ordres respectivement de Tou Yishun, de Sun Changxiang, de Dian Yinglin, et autres, et son action déboucha sur d’importants succès. Ainsi, Dian Yinglin, dont l’unité stationnait à Antu, finit par se décider à rejoindre notre armée révolutionnaire populaire à la tête de ses troupes.
Voici comment cela se fit. D’abord, ayant appris que notre unité était à Fusong, Kim Il y emmena l’unité de Dian Yinglin. Par malheur, nous avions déjà quitté Manjiang et atteint la région de Changbai, lorsque Kim Il arriva à Fusong avec l’unité chinoise. Les soldats chinois conclurent alors à un mensonge de la part de Kim Il, auquel ils ne voulurent plus se fier. Un autre handicap vint s’ajouter à cela: la pénurie de vivres. Kim Il était dans de mauvais draps.
Depuis trois jours, toute l’unité y compris le commandant lui-même, n’avait eu presque rien à se mettre sous la dent, quand, au cours de la marche, quelques soldats tombèrent dans la montagne sur un champ d’insam. Affamés et épuisés au point de tomber d’inanition, ils se jetèrent à qui serait le premier sur les plantes, sans prendre le temps de se soucier de ce qu’en penserait leur chef, Dian Yinglin. Kim Il, un des commandants de l’armée révolutionnaire populaire, ne s’était pas attendu à ce qu’ils agissent ainsi. En hâte, les bras écartés, il barra le passage aux soldats, en criant: «C’est honteux, ce que vous voulez faire, parce que c’est porter atteinte aux intérêts du peuple que d’oser mettre la main sur cet insam sans la permission du propriétaire.»
Certains de ces soldats, fous de rage, coururent voir Dian Yinglin. «Pak Tok San (vrai nom de Kim Il) est suspect, dirent-ils. Il a dit que l’unité de Kim Il Sung était à Fusong alors qu’elle n’y était pas. Pouvons-nous nous laisser prendre à un mensonge aussi grossier et écouter encore Pak Tok San? Il prétend maintenant que les troupes de Kim Il Sung sont dans la région de Changbai, et comment le croire? Pak Tok San nous a même empêchés de consommer de l’insam. Son vrai dessein est sans doute de nous faire crever de faim. Nous laisser guider par lui, c’est nous exposer à des périls inconnus. Mieux vaut l’éliminer et retourner à Antu. »
Kim Il se savait guetté par ces soldats qui pouvaient le tuer, pourtant il ne prit pas peur, loin de là. D’un ton serein, il dit aux soldats: «Vous voulez me tuer. Soit. Mais laissez-moi faire quelque chose avant. J’irai chercher le propriétaire du champ d’insam que je prierai de nous excuser. Attendez-moi et ne touchez plus aux plantes. Je n’aurais pas assez d’argent pour le dédommager.»
Dian Yinglin, ému, se porta garant, sans plus hésiter, pour Kim Il. Il promit de fusiller quiconque toucherait au champ et laissa Kim Il aller voir le propriétaire.
Bientôt Kim Il revint, ramenant le propriétaire du champ d’insam avec lui. Il retira de son sac à dos les raviolis offerts par celui-ci et les distribua aux soldats. Puis, il tendit une boule d’opium au cultivateur d’insam, en lui disant: «Je n’ai que de l’opium sur moi. Veuillez accepter cela pour prix de vos raviolis et de l’insam consommé par nos soldats.» Cet opium, c’est Wang Detai qui le lui avait donné pour le cas où il en aurait besoin. Le propriétaire du champ réitéra plusieurs fois son refus sans pourtant pouvoir se faire écouter.
Attendri, il apporta tout le stock de vivres qu’il gardait pour l’hiver et reconduisit les troupes de Dian Yinglin jusqu’à Manjiang. A peine arrivés là, les soldats s’empressèrent de présenter leurs excuses et demandèrent pardon à Kim Il.
Cette unité arriva dans la région du mont Paektu, guidée par Kim Il. J’eus alors rendez-vous avec lui au camp secret du mont Hongtou. Puis je fis intégrer les troupes chinoises à notre unité qui formait l’ossature de notre armée.
Kim Il était un homme taciturne s’il en fût, au point d’impatienter parfois son interlocuteur. Le premier jour, en causant avec lui au camp secret, je lui avais demandé quand il avait rejoint la lutte révolutionnaire et ce qu’il avait fait de notable depuis. Et il m’avait répondu par quelques paroles brèves: «Au début de cette décennie, et rien de particulier de fait...» J’avais réitéré mes questions, mais en vain: ses réponses furent toujours d’un même laconisme désarmant. Cette première entrevue m’avait donné l’idée qu’il était d’une nature taciturne, d’un esprit plutôt farouche. C’était, à mes yeux, une qualité autant qu’un défaut chez lui.
Ce qui était à apprécier dans son caractère, c’étaient sa simplicité, sa constance et son dévouement à la tâche, qui, en aucun cas, ne se sont altérées. De sa vie, on ne l’a jamais vu invoquer la difficulté pour éviter d’agir. Il s’est toujours appliqué au travail, avare de paroles.
C’était un révolutionnaire type: il a accepté et exécuté nos ordres et nos directives, non pas comme une tâche qu’un supérieur assignait à son inférieur, mais bien comme un devoir, une obligation qu’il lui appartenait, à lui, le soldat, de remplir par respect pour son dirigeant. Aussi, quelque tâche que nous lui ayons confiée, il s’est efforcé constamment de l’exécuter au mieux sans jamais vaciller dans son zèle, toujours animé d’un vif sentiment de ses obligations envers nous.
Je ne peux oublier aujourd’hui encore ce qui s’est passé au camp secret de Matanggou, quand je le nommai instructeur politique de la première compagnie du 8e régiment. C’était un poste alors très important d’autant plus qu’il devait pendant un temps cumuler les fonctions de commissaire politique du régiment, restées vacantes, faute de candidat à la hauteur, ce après la mort du chef du régiment Dian Yinglin l’année précédente lors de la bataille du chef-lieu du district de Huinan. Le chef de la compagnie était un homme de bonne foi, mais de niveau faible.
Je lui expliquai la situation et l’importance de son travail, puis lui demandai s’il avait bien compris. Après un moment de réflexion, il répondit tout simplement «compris» et ne dit plus rien. C’était toujours de cette façon laconique qu’il avait accepté les missions que je lui assignais. Que ce soit une tâche difficile ou facile, il disait: «compris» et rien de plus.
Le lendemain, désireux de l’aider un peu dans ses nouvelles fonctions, je me rendis à la première compagnie, mais je n’y trouvai que le chef de la compagnie, lui étant parti, au dire de celui-ci, sitôt après sa nomination, pour Beigangtun, dans le district de Fusong, où cantonnait la première section. La veille, je lui avais dit, en passant, un mot sur la première section qui ne me donnait pas de ses nouvelles à Fusong. Et il l’avait pris à cœur, pour ainsi décider d’aller la voir.
Ce fut le lendemain à l’aube qu’il revint avec quantité de vivres et d’armes. Quand on m’eut annoncé qu’il était de retour, je ne pus en croire mes oreilles. Beigangtun était à environ 40km de Matanggou; si c’était vrai qu’il fût de retour, il avait dû faire en un jour plus de 80 kilomètres.
Sans même avoir le temps de se débarrasser de son sac à dos, il accourut à moi et fit son rapport: les combattants de la première section se portaient bien et travaillaient avec enthousiasme; si les communications avaient été coupées avec la section, c’était parce que l’estafette de celle-ci s’était égarée à mi-chemin; les vivres et les armes qu’il avait apportés de Beigangtun étaient du butin d’un combat livré par la 1ère section et du ravitaillement envoyé par la population de l’endroit; il avait amené là nombre de jeunes, sans même l’autorisation du Q.G., parce qu’ils insistaient pour s’enrôler dans l’armée de guérilla, etc.
Après l’avoir congédié et envoyé se reposer, je fis venir les jeunes postulants pour causer, et, en m’entretenant avec eux, j’appris que Kim Il lui-même avait emmené la section effectuer un raid à Jinlongtun, au poste de police et chez un gros propriétaire foncier réactionnaire et y avait pris quantité de vivres et d’armes.
Kim Il s’était proposé deux objectifs en organisant le coup: exterminer le gros propriétaire foncier et les policiers de l’endroit pour venger la population, puis se procurer des vivres, ce dont je me préoccupais beaucoup à ce moment-là. A l’époque, nous souffrions d’une grande pénurie de vivres. Des centaines d’hommes, réunis dans un même camp secret, poursuivaient depuis des mois leur cours de formation militaire et politique, et les vivres que nous procurait l’intendance étaient loin de suffire pour les nourrir. Mais la situation était alors telle que, sans livrer de combats, on ne pouvait mettre la main même sur un petit sac de riz. Et voilà que Kim Il avait apporté à l’improviste une grande quantité de riz, ce qui permettrait à mes troupes de se tirer d’affaire. Je lui en sus profondément gré.
Plus tard, les habitants de Jinlongtun, disant qu’ils voulaient rendre les bienfaits reçus de l’armée révolutionnaire, nous apportèrent à quatre ou cinq autres reprises quantité d’approvisionnements à notre camp de Matanggou.
Chaque fois que les provisions de bouche touchaient à leur fin, Kim Il partait le premier avec ses hommes se procurer des vivres. Et quand il revenait d’une mission clandestine dans une zone ennemie, il ne manquait pas d’en rapporter sa musette remplie de riz. Il fit l’impossible pour me servir du riz, sautant lui-même un repas ou en se contentant de manger du maïs. Son havresac, deux fois plus gros et plus pesant que ceux des autres, contenait toujours une musette de provisions de réserve.
Il s’est toujours préoccupé ainsi, non de son propre confort, mais du bien de ses camarades, de ses voisins, des intérêts du parti et de la révolution. Il a pendant de longues années occupé des postes importants dans le Parti et le gouvernement, mais jamais il n’a voulu ni privilèges, ni faveurs, ni avantages. Si parfois ses hommes voulaient lui témoigner des attentions particulières, il les retenait de le faire.
Après la Libération également, comme à l’époque de la révolution antijaponaise, il a fait tout son possible pour m’aider de son mieux. Il s’est attelé sans hésitation à toutes les tâches que je lui confiais ou dont je me préoccupais, même si elles étaient difficiles, pénibles ou périlleuses. A différents postes, dans divers secteurs, il s’est dépensé pour activer les multiples affaires de l’Etat, le travail du Parti, le développement des forces armées, la direction des affaires économiques, etc.
Une année, lors d’une session du Comité politique du Comité Central du Parti, il avait demandé qu’on l’envoyât en qualité de plénipotentiaire sur le chantier de construction de la Centrale thermique «Chongchongang» sur lequel l’Etat concentrait son attention et ses investissements. J’étais alors justement en train de chercher quelqu’un qui puisse se charger de diriger ces travaux.
Cependant, sa proposition me fit hésiter, car il était en très mauvaise santé. S’il se surmenait encore comme il le faisait toujours, cela pourrait finir mal pour lui. Mais il avait tant et si bien insisté que je ne pus pas ne pas céder. En revanche, je lui avais posé des conditions: il pouvait y aller, sous réserve qu’il s’engageât à ne pas se surmener, à ne travailler qu’avec ménagement comme conseiller.
Cependant, une fois arrivé sur les lieux, il fit transporter son bureau dans une baraque, et, montant, descendant des dizaines de fois par jour les ouvrages géants en construction, d’une hauteur comparable à celle d’un immeuble de 7 à 8 étages, il dirigea avec poigne les travaux. Il travailla nuit et jour sur le chantier, jusqu’au dernier jour du mois de décembre, et ce n’est qu’après avoir vu le feu allumé sous la première chaudière, qu’il remonta à Pyongyang me faire son rapport sur l’avancement des travaux.
Voilà quel homme était Kim Il. Qu’il a travaillé dans son bureau trois jours avant sa mort, qu’il a fait le bilan de ses activités de militant dans une séance de la cellule du Parti et qu’il a appelé au dernier moment de sa vie un cadre du Comité Central du Parti pour lui recommander d’assister au mieux avec dévouement le camarade Kim Jong Il, tout le monde connaît très bien tous ces faits émouvants.
S’il m’a assisté fidèlement toute sa vie, je lui ai prodigué affection et sollicitude comme à un frère.
Il était souvent indisposé malgré sa forte corpulence, peut-être parce qu’il s’était surmené pendant les années de la guérilla dans la montagne. Une fois, les médecins avaient diagnostiqué chez lui, à la stupéfaction de tous, un cancer de l’estomac. Ce fut un coup dur pour moi. Désolé et accablé, je partis le jour même inspecter la région d’Onchon dans la province du Phyong-an du Sud, ce qui n’était pas prévu. A Pyongyang, le travail me tombait des mains, la nourriture me répugnait, je ne pouvais en aucune façon trouver le calme. S’il nous quittait, je n’aurais plus qu’un très petit nombre de personnes, qui puissent me tenir compagnie.
Ce n’étaient pas un ou deux médecins, mais plusieurs qui avaient reconnu ce mal terrible. Un seul avait dit non. Et moi qui étais habitué à suivre la majorité des voix, j’avais envie de faire exception dans ce cas-là; je penchais malgré moi pour l’avis du médecin solitaire.
Je fis arrêter ma voiture à mi-chemin et téléphonai au ministre des Affaires étrangères, pour lui dire d’appeler d’urgence des cancérologues soviétiques renommés. Les autorités soviétiques ne se firent pas prier.
Les Soviétiques examinèrent le malade et réfutèrent le diagnostic. Ils l’emmenèrent dans leur pays pour le soumettre à l’examen de leurs collègues qui également réfutèrent le premier diagnostic. Si, en nous fiant à celui-ci, nous lui avions fait subir une gastronomie, il n’aurait pas survécu longtemps.
Chaque fois qu’on m’avait dit qu’il était au lit, j’étais allé le voir chez lui et lui avais dit: «Nous avons un grand besoin de vous. Maintenant que très peu restent de ceux qui ont combattu avec moi pour la révolution antijaponaise, si vous n’étiez pas là, ce serait un grand vide pour moi. Ne vous surmenez pas et, si vous voulez travailler, allez-y avec modération, en prenant garde à votre santé.»
Cependant, même quand il était si malade qu’il ne pouvait se déplacer qu’en s’aidant d’une canne, il s’est appliqué au travail, désireux d’accomplir ne fût-ce qu’une tâche de plus dans l’intérêt du Parti et de la révolution, sans quitter son bureau ou les lieux de production. Enfin un mal incurable le terrassa.
Et un jour, il me dit tout à coup, à brûle-pourpoint: «J’irai m’amuser au scenic railway à Mangyongdae le 15 avril prochain, si je suis guéri.» Ces paroles me firent tressaillir malgré moi: lui si taciturne habituellement, qu’est-ce qui le faisait se confier ainsi sans motif? Aurait-il pressenti qu’il n’avait plus beaucoup de jours à vivre? J’en restai abasourdi.
En effet, cette année-là, le dernier jour de décembre, il ne put assister au spectacle de nouvel an des enfants; et le soir, je me rendis chez lui.
«Jusqu’ici, vous et moi avons assisté ensemble au spectacle de nouvel an, mais ce soir, vous n’étiez pas là, et votre absence m’a chagriné au point que j’en avais les larmes aux yeux; je n’ai pu regarder le spectacle, et je suis venu.»
Après lui avoir dit cela, je me levai, et lui qui était couché dans son lit se leva et me raccompagna jusqu’à la porte du vestibule en me priant à plusieurs reprises de ne pas me surmener.
Ce soir-là, je n’ai pas porté avec lui le toast du nouvel an, de peur que cela ne lui fît du mal. Et aujourd’hui encore, je le regrette. Après mon départ, Kim Il, lui aussi, avait regretté, m’a-t-on dit, de n’avoir pas porté de toast à ma santé. Un toast pouvait-il le guérir ou enlever mes chagrins? Non. Cependant, chaque fois que son souvenir me vient à l’esprit, j’ai le cœur serré à l’idée de ce toast manqué.
C’est avec la même loyauté et le même dévouement qu’il a soutenu le camarade Kim Jong Il. Plus d’une fois, il m’était arrivé de constater, avec émotion, le respect particulier qu’il vouait à celui-ci. Le jour de son retour de sa visite en Chine, Kim Il était venu à la gare, s’appuyant sur une canne, pour l’accueillir, et je n’ai pu m’empêcher d’admirer la sincérité et la fidélité dont il faisait preuve envers son Dirigeant.
Celui-ci lui a témoigné à son tour une affection et des égards particuliers, le tenant en haute estime en tant que vieux révolutionnaire de la génération précédente. Il l’a toujours apprécié et entouré de sollicitude, disant que le camarade Kim Il, vice-président de la République, avait lutté plus fermement que personne pour le développement de notre Parti et la victoire de notre révolution depuis l’époque de la lutte armée contre les Japonais et qu’il était un modèle de combattant révolutionnaire communiste.
Si je l’ai tenu pour mon bras droit, le camarade Kim Jong Il aussi l’a considéré comme tel.
C’est probablement pour cette raison-là que le camarade
Kim Jong Il a dû regretter le plus sa disparition.
Les combattants de la guerre révolutionnaire antijaponaise ont atteint le plus haut degré de loyauté à l’égard tant de leurs camarades que de leur dirigeant. Répondre à l’amour par l’amour, à la confiance par la confiance, aux bienfaits par les bienfaits, voilà la loyauté des partisans antijaponais.
L’amitié entre Hwang Sun Hui et Kim Chol Ho peut être considérée comme le prototype de la camaraderie et de la loyauté communistes qu’on observait entre les partisans de la guerre contre les Japonais.
Quand je vois Hwang Sun Hui, je me demande toujours comment cette femme si petite et si frêle a pu se battre le fusil à la main une dizaine d’années durant, sous les tempêtes de neige du mont Paektu.
Quand, de retour à Pyongyang après la Libération, je l’ai présentée à des personnalités du pays en leur disant qu’elle avait pris part à la guérilla pendant dix ans, certaines ont hésité à le croire.
Il y avait peu de femmes aussi petites que Hwang Sun Hui dans les unités de l’ARPC. Mais elle a fait la révolution avec une fermeté et une hardiesse rares.
Ce n’est pas une haute taille qui est indispensable pour bien faire la révolution ou être loyal. Rim Su San était un géant qui, physiquement, devait faire le double de Hwang Sun Hui, mais il n’a su surmonter les épreuves, il a trahi la révolution et ses camarades. Hwang Sun Hui fait contraste avec lui: elle n’a jamais cessé la lutte révolutionnaire jusqu’au jour de la libération du pays. Pénétrée de loyauté et de foi, même une ménagère peut très bien faire la révolution, une gamine aussi petite que Kim Kum Sun peut monter sur la guillotine pour rester fidèle à sa foi. Si Hwang Sun Hui a pu suivre invariablement la voie de la révolution malgré sa taille si petite, c’est parce qu’elle était animée de convictions fermes et d’un sentiment de loyauté inaltérable.
C’est au camp secret de Mihunzhen que je la vis en uniforme pour la première fois. Les partisanes occupaient alors une cabane autrefois utilisée par une troupe de rebelles chinois.
Cette cabane de style chinois avait un kang (chambre dans le logement traditionnel–NDLR) bien surélevé. Du haut du kang où j’étais assis, je remarquai, dans le couloir, une jeune fille inconnue encore petite de taille qui me regardait fixement et hésitait à parler. C’était Hwang Sun Hui: elle avait réussi à s’enrôler grâce à son entêtement au bout d’une semaine et avait suivi la troupe à la queue jusqu’à Mihunzhen. Pour être franc, je la pris alors pour un membre du Corps des enfants.
Mais ce qui me surprit le plus fut ce qu’elle dit d’elle-même. Elle disait être une partisane.
«Tu es encore petite et pourquoi hâtes-tu tant de t’enrôler dans la guérilla?» lui demandai-je.
Elle répondit qu’elle voulait venger son père tué par les impérialistes japonais et sa sœur aînée morte sur le champ de bataille. Son frère aîné Hwang T
Dans les premiers temps, elle fut une charge pour son unité. Mais très vite, elle devint une fleur de l’armée révolutionnaire, aimée de tous: elle était persévérante et juste, fidèle aux principes, mais aussi d’une grande sensibilité et possédait un sens élevé de ses obligations.
Kim Chol Ho a souvent évoqué les circonstances pathétiques inoubliables de son sauvetage au printemps 1940 grâce aux efforts pleins d’abnégation de Hwang Sun Hui
Un jour, sur l’ordre du chef de régiment C
Elle enleva sa veste ouatée pour en enrouler le nouveau-né.
Mais peu après l’accouchement, une troupe d’expédition «punitive» ennemie arriva en tirant à l’aveuglette. Le cercle de l’ennemi se resserrait autour d’eux. Prise au dépourvu, l’accouchée toute ahurie regardait ses compagnons d’armes et, finalement, se retournant vers Hwang Sun Hui, bredouilla qu’il valait mieux abandonner le bébé puisqu’il n’y avait pas de chance de le sauver. Cependant, le nouveau-né toujours dans ses bras, elle ne se décidait pas à se relever.
Hwang lui reprocha: «Est-ce que vous êtes bien consciente de ce que vous dites là? Pourquoi endurons-nous tant d’épreuves maintenant? N’est-ce pas pour nos enfants? Si nous abandonnons l’enfant pour sauver notre vie, quel sens aura notre vie ainsi sauvée?» Ce disant, elle arracha l’enfant à la mère et se mit à escalader la montagne. Elle coucha l’enfant sous un bosquet de pins, difficile à découvrir par les yeux humains. Alors, l’accouchée empoigna, elle aussi, son fusil et la suivit.
Quelque temps après, Hwang Sun Hui redescendit chercher ses affaires laissées en bas de la montagne. Quand elle revint au sommet, avec ses affaires, Kim Tchol Ho restait là, le regard fixé dans le vide et des larmes aux yeux. Qu’était-il arrivé? Le bébé n’était plus là. Mais où était-il?
Elle allait s’approcher de la mère pour le lui demander, quand de nouveaux coups de feu partirent tout près d’elles. Avec leurs compagnons, les deux femmes passèrent d’un mont à un autre, d’une vallée à une autre, en ripostant à l’ennemi qui les talonnait. Elles coururent ainsi pendant deux jours d’affilée.
Quand elles eurent réussi enfin à complètement semer la troupe d’expédition «punitive» ennemie, l’accouchée perdit connaissance et s’affaissa sur place, la tête la première. Hwang Sun Hui fit bouillir de l’eau dans une cuvette et essaya d’en verser une cuillerée dans la bouche de la mère. Elle mobilisa toute son adresse, mais elle ne parvint pas à lui ouvrir la bouche. Faute de mieux, elle lui ficha la cuiller entre les dents du haut et du bas, les écarta de force et y versa une cuillerée, puis une autre. A la fin, cette eau chaude redonna vie à l’accouchée évanouie.
C’est alors seulement qu’elle se souvint du bébé et demanda à la mère où elle avait laissé l’enfant. Kim Chol Ho dit qu’elle l’avait couché sous une broussaille. Hwang Sun Hui refit le long chemin pour retourner à la montagne où avait eu lieu le premier accrochage, mais le pauvre enfant était déjà mort.
Quand elle vit Hwang Sun Hui revenir en chemise après avoir parcouru un long chemin pour en avoir le cœur net, Kim Chol Ho s’excusa de ne pas avoir eu le courage d’enlever à son enfant la veste ouatée, quoiqu’elle fût sûre qu’il ne pourrait survivre qu’une ou deux heures de plus.
«Ça ne fait rien, mon amie, pour nous autres grandes personnes, que la veste ouatée nous manque ou non. Sois tranquille. C’est l’enfant mort sans avoir eu de nom qui ne doit pas avoir froid.», tâcha ainsi Hwang Sun Hui de consoler la malheureuse mère, tout en tremblant de faim et de froid.
Kim Chol Ho n’a jamais oublié de sa vie la camaraderie dont avait fait alors preuve son amie.
«Sun Hui, ma vie touche à sa fin. C’est grâce à toi que je ne suis pas morte à Fuerhe et que j’ai pu vivre entourée de sollicitude sous l’égide de notre respecté Leader. Je voudrais passer une nuit avec toi sous la même couverture comme au temps de la guérilla.»
C’est ce qu’elle dit à son amie venue en visite et assise à son chevet, quelques jours avant de rendre l’âme.
Deux amies ont veillé cette nuit-là, ensemble sous la même couverture comme à Mihunzhen, à évoquer les années de la guérilla.
Pendant la Dure Marche, une recrue qui venait de s’enrôler à Changbai eut une nuit son uniforme brûlé en dormant près d’un feu de camp. Son uniforme était si horriblement abîmé qu’il ne couvrait guère plus que la moitié de son corps. Habillé d’un tel uniforme, la jeune recrue suivait quand même la colonne en tremblant dès le premier jour de la marche. Voyant son visage tout vert de froid, chacun éprouvait de la compassion ou de l’inquiétude, mais personne ne trouvait de moyen de lui venir en aide. Tous n’avaient qu’un seul uniforme, celui qu’ils portaient.
Ri Ul Sol, qui était animé d’un grand esprit de camaraderie, n’en put plus, et, un jour, il enleva sa veste et alla trouver l’autre.
«Mais, mon ami... et toi?, balbutia le bleu en le regardant, tout interloqué.
—Moi? je suis habitué à la vie de guérilla, et un froid comme ça ne peut avoir raison de moi.
—Non! C’est ma faute si j’en suis arrivé là. Non, pour effronté que je sois, comment pourrais-je l’enfiler?»
Le bleu n’entendait pas accepter facilement la bienveillance de Ri.
Jugeant qu’il ne serait pas facile de venir à bout de son entêtement, Ri passa à l’usage de la force: il lui enleva sa veste d’uniforme brûlée et lui passa la sienne. S’il avait pu faire un tel acte de bonne volonté, c’est parce qu’il considérait comme un devoir naturel d’aider une recrue.
Les compagnons d’armes furent unanimes à se dire qu’il serait difficile à Ri de passer cet hiver, et pour cause. Ri était un des plus jeunes et des plus frêles de la compagnie des gardes du corps.
Ceux qui ont passé une ou deux années en Mandchourie connaissent bien la froid terrible qui y règne. Certains jours, du givre se forme dans les cheveux. Si vous les touchez, fût-ce légèrement, ils volent en éclats. Marcher jour après jour dans ce froid, simplement habillé d’un uniforme d’été brûlé à plusieurs endroits et grossièrement raccommodé, cela tient du miracle.
Mais Ri ne dit jamais qu’il avait froid. Il se plaçait toujours en tête de la colonne en marche pour se frayer un chemin dans la neige vierge. Et lorsqu’on bivouaquait, il était toujours le premier à aller ramasser du bois et à dresser la tente. Ce n’est qu’après avoir accompli ainsi toutes les tâches de l’équipe des mitrailleurs, et en voyant ses compagnons d’armes assis autour du feu, qu’il s’en approchait pour se sécher les chaussures.
Sa ténacité et sa camaraderie n’étaient pas quelque chose d’inné. C’est la vie qui lui avait fait ressentir les tribulations et les souffrances nationales, éprouver de la compassion pour les êtres exploités et opprimés, et de l’amour pour son peuple, pour ses camarades et pour ses voisins.
Après la Conférence de Nanpaizi, il fut affecté dans l’équipe des mitrailleurs de la compagnie des gardes du corps et y servit comme mitrailleur adjoint. Depuis lors il se consacra à la défense du Q.G. Toute sa vie, il a été mon garde du corps et a assuré ma protection dans l’adversité.
En dressant le bilan de la Dure Marche à la Conférence de Beidadingzi, je le citai comme modèle de camaraderie, et j’appréciai sa conduite noble et sa camaraderie. La rédaction de la revue Cholhyol en fit également l’éloge dans son premier numéro.
Pourquoi l’ARPC a-t-elle été si puissante? Quand on me le demande, je réponds qu’elle a été une collectivité unie, cimentée par la loyauté. Notre cohésion n’aurait pas pu être si puissante, si elle avait tenu uniquement et purement à la communauté d’idéologie et de volonté et qu’elle n’ait pas reposé sur la morale et la loyauté.
Ce n’est nullement l’importance de nos effectifs ou la supériorité de notre armement qui ont fait de nous les vainqueurs dans une guerre révolutionnaire de longue haleine contre un ennemi aussi puissant que l’impérialisme japonais, guerre menée dans les pires conditions: manque de soutien de la part d’une armée régulière et manque d’un Etat comme arrière sûr. Nos forces armées étaient trop modestes en nombre par rapport à notre ennemi qui disposait d’une armée régulière de plusieurs millions d’hommes. Quant à l’armement, le nôtre ne méritait même pas d’être comparé à celui de l’ennemi. C’est seulement grâce à l’unité d’idées et de volonté scellée par le dévouement et la loyauté que nous fûmes en mesure de vaincre notre puissant ennemi.
Je pense que nos cadres et les membres de notre Parti devraient prendre pour modèle le dévouement et la loyauté de Rim Chun Chu envers la révolution. Celui-ci a porté à un haut degré la loyauté envers son Parti et son Leader.
J’ai déjà présenté brièvement plus haut comment, à l’automne de 1930 à Chaoyangchuan, j’avais fait connaissance avec Rim Chun Chu qui servait alors d’agent de liaison au secrétariat de l’organisation du parti et des Jeunesses communistes de la région de Jiandao sous une identité officielle de pharmacien de Ponchundang. Au cours des près de 60 ans qui se sont écoulés depuis lors, il s’est consacré loyalement à la révolution. Le camarade Kim Jong Il vient de qualifier les intellectuels par des mots célèbres: «compagnons de route éternels, aides fidèles, conseillers admirables», et je pense que ces titres conviennent exactement à des gens comme Rim Chun Chu.
Il a apporté une contribution importante à la Révolution coréenne par son savoir. C’est avec son bagage de connaissances qu’il a milité pour la mise en place du parti et travaillé comme médecin militaire et homme de lettres. Le cours de sa vie est marqué d’un bout à l’autre par de telles activités.
Le plus grand de ses talents était certainement son art de guérir les malades. Il faut pourtant noter qu’il était un médecin autodidacte. Si l’on disait que, muni d’une licence, il avait ouvert un «cabinet» à 18 ans, certains ne voudraient pas le croire. Mais c’est la vérité. Sous l’enseigne de médecin, il fit tout: l’éveil des masses, le travail de liaison, la formation de révolutionnaires. Il est connu que pendant son séjour dans le village de Longshuiping, non loin de Badaogou, il avait sélectionné et envoyé à la troupe de partisans un grand nombre d’hommes. On peut donc se faire une idée de quel genre de soins il prodiguait alors comme médecin.
Quand Rim Chun Chu entra dans la zone de guérilla, l’organisation révolutionnaire le nomma médecin de l’armée de guérilla. Durant la période où il fut médecin militaire, il prit soin de nombreux blessés et habitants. Bien qu’il s’agisse d’un art de guérison acquis et perfectionné tout seul en travaillant la terre à partir de l’âge de 14 ou 15 ans, ses résultats étaient très bons. Les patients qui avaient bénéficié de ses soins le qualifièrent tous de médecin célèbre.
C’est C
Mais Rim Chun Chu fut d’un autre avis. Il savait très bien que, s’il lui coupait la jambe, ce serait pour lui non seulement la fin de ses activités de commandant, mais aussi une grande infirmité. Il savait aussi que ce blessé était un chef militaire talentueux qu’on ne pouvait pas échanger contre mille ou dix mille soldats ennemis, un des commandants intrépides comme nous les appréciions le plus dans l’armée révolutionnaire, et c’était cela qui lui importait le plus.
Il pratiqua une incision dans la cuisse et enleva un à un les morceaux du fémur brisé avec des pinces.
Le blessé put marcher une année après l’opération. La jambe opérée en avait été un peu raccourcie, et il boitait, mais pouvait cependant marcher et commander son unité. C’était là l’aboutissement de l’opération audacieuse de Rim Chun Chu.
Moi aussi, j’avais profité de son talent quand, à l’issue de la première expédition en Mandchourie du Nord, je m’étais rendu au secrétariat de l’organisation du parti de Mandchourie de l’Est qui avait alors son siège à Nengzhiying, dans le secteur de Sandaoman. Rim m’avait alors soigné avec une sollicitude extrême en me faisant prendre chaque jour une infusion de plantes médicinales de haute efficacité et des mets toniques. C
Toute une année durant, de l’automne 1937 à celui 1938, il soigna les blessés de guerre en faisant la tournée de tous les camps secrets de l’armée révolutionnaire populaire qui se trouvaient dispersés dans l’immensité des forêts des districts de Jinchuan et de Linjiang, ainsi que du secteur de Longchuanzhen dans le district de Mengjiang. Ses tournées de consultations furent innombrables, et leur rayon dépassait d’ordinaire plusieurs lieues. Aujourd’hui, les médecins se servent de moyens de transports modernes comme les ambulances ou autres voitures pour leurs consultations à domicile et la vulgarisation de l’hygiène, mais nos médecins militaires des années de la guerre contre les Japonais ne pouvaient jouir d’un tel luxe. Ils avaient déjà de la chance s’ils n’étaient pas surpris par les troupes «punitives» ennemies.
Une fois, Rim Chun Chu échappa à une mort certaine comme par miracle, surpris par une troupe «punitive» de l’ennemi. Ce jour-là, il avait attaché à son havresac la veste et le pantalon ouatés que C
En tant que permanent du parti, Rim Chun Chu, pendant les années de la guerre contre les Japonais, mena d’intenses activités au sein des masses, des activités d’organisation et de rédaction d’ouvrages, contribuant ainsi grandement à l’éducation de l’armée et du peuple.
Au cours de multiples contacts, j’avais remarqué en lui les qualités propres à un militant politique. Effectivement, responsable de l’organisation de masse dans le secteur de Yanji avant son enrôlement dans l’armée de guérilla, il avait une expérience d’éducation et de direction des masses. C’est pourquoi nous le chargeâmes du travail du parti en plus de celui de médecin militaire. Il fut membre du comité du parti de l’ARPC et secrétaire du parti du régiment des gardes du corps et, enfin, dirigea le Comité d’action du parti de Mandchourie de l’Est.
Depuis sa formation, ce comité n’avait pas répondu dans son travail à nos attentes. C’est pourquoi nous nommâmes Rim Chun Chu au poste de responsable de ce comité à l’issue de la Conférence de Nanpaizi. Ce comité avait pour mission, d’une part, d’étendre le réseau du parti et des organisations de masse dans la région de Jiandao pour rallier les populations dans les organisations, de consolider ainsi la base de la lutte armée et, d’autre part, de raffermir les assises du parti en vue de sa fondation. Il devait donc remplir une mission similaire à celle du comité du parti du district de Changbai ou à celle du Comité d’action du parti à l’intérieur du pays.
Son champ d’activité était principalement la région de Jiandao et la province du Hamgyong du Nord. Après la dissolution des zones de guérilla, les organisations du parti de la région de Jiandao passèrent toutes sous son autorité.
En liaison avec moi, Rim Chun Chu envoya de nombreux agents politiques dans les parages de Musan et de Yonsa ainsi qu’en Mandchourie de l’Est et se mit à y étendre les organisations du parti et de masse.
Lorsque nous nous opérions, après de la Conférence de Xiao
Fort de cette expérience de travail du parti, acquise dans les années de la révolution antijaponaise, Rim Chun Chu laissa également de grandes traces dans les annales des activités pour la mise en place du Parti après la Libération. Il fut, dans un premier temps, deuxième secrétaire du comité du Parti de la province du Phyong-an du Sud, puis président du comité du Parti de la province du Kangwon. Durant sa présidence du comité du Parti du Kangwon, les affaires marchèrent très bien dans le secteur de la ligne de démarcation.
Au lendemain de la Libération, nous nous sommes abstenus, autant qu’il était possible, d’offrir des postes importants aux anciens combattants révolutionnaires antijaponais. La plupart des postes importants furent mis à la disposition de personnalités de l’intérieur ou de ceux qui venaient de rentrer dans le pays après avoir participé au mouvement révolutionnaire à l’étranger. Ce n’était certes pas parce que, parmi les combattants qui avaient connu avec nous les épreuves de la lutte armée, il y avait peu d’hommes capables. C’était là une mesure indispensable pour promouvoir une politique de front uni rassemblant des personnalités de toutes les classes et couches de la population. Cependant, nous nommâmes Rim Chun Chu président du comité du Parti de la province du Kangwon alors qu’il n’y avait que cinq provinces dans la moitié nord de notre pays. Pourquoi? Parce que nous accordions de l’importance à son expérience de travail du parti.
Des activités de Rim Chun Chu, ce qui éveille en moi un souvenir particulièrement vif est son travail d’homme de lettres. Il a laissé à la postérité bien des écrits. Parmi ses ouvrages, à commencer par les Souvenirs des années de la lutte armée contre les Japonais, il y en a beaucoup qui méritent d’appartenir au patrimoine national.
Ses activités d’homme de lettres débutèrent pour de bon quand il se mit à écrire pour la revue Samilwolgan (Mensuel du Premier Mars– NDLR) en qualité de journaliste honoraire. Plusieurs de ses articles furent publiés dans les organes de l’ARPC; son article L’Economie japonaise en marasme, inséré dans le Samilwolgan, fut hautement apprécié.
Rim Chun Chu, quoique très occupé à prendre part aux combats et aux marches et à soigner, a profité de chaque moment de loisir pour noter jour après jour nos activités. Si parfois sa réserve de papier s’épuisait, faute de mieux, il se procurait de l’aubier de bouleau pour y enregistrer le journal de lutte de l’ARPC. Il a plus d’une fois déclaré lui-même que ce journal avait servi de matériau de base à ses Souvenirs des années de la Lutte armée contre les Japonais. Il nous a rappelé que Wei Zhengmin lui avait maintes fois recommandé d’écrire l’histoire des activités de l’ARPC: «Que Vous vous occupiez du travail du parti, c’est bien. Que vous accomplissiez les tâches de médecin militaire, c’est aussi bien. Que vous fassiez honneur à votre tâche de journaliste honoraire, c’est également bien. Mais une autre mission non moins importante vous incombe, camarade Rim: c’est d’écrire l’histoire des activités des partisans coréens. Vous devez bien garder ça dans la tête. Même si les autres devaient tous mourir dans le combat décisif, vous devriez survivre pour vous acquitter de cette mission-là et transmettre à tout prix à la postérité les exploits de votre Commandant et l’histoire de la lutte de votre armée. »
Quand Rim Chun Chu travaillait comme secrétaire du parti du régiment des gardes du corps, il resta longtemps auprès de Wei Zhengmin pour l’assister dans son travail et le soigner. Et ce dernier tenait beaucoup à sa compagnie et lui demanda de rester auprès de lui. Il joua ainsi un rôle très important pour le maintien des liens entre Wei Zhengmin et moi, pour la consolidation de l’amitié entre les Coréens et les Chinois et pour le raffermissement du front commun des unités armées des deux pays.
Ce fut à la fin des années 1950 que je reçus pour la première fois les Souvenirs des années de la lutte armée contre les Japonais de Rim Chun Chu. A cette époque, les survivances de la servilité envers les grandes puissances étaient encore très prononcées dans l’esprit des Coréens. L’éducation dans les traditions révolutionnaires ne marchait pas bien, et l’histoire de notre lutte armée n’avait pas été portée à la connaissance de notre peuple, surtout des jeunes et des enfants. Bon nombre de cadres connaissaient par cœur l’Histoire abrégée du Parti communiste des bolcheviks de toute l’Union et parlaient souvent de l’Iskra ou de Boukharine, mais, quand on leur demandait quel était le contenu de la Conférence de Nanhutu, ils ne pouvaient donner de réponse satisfaisante. C’est justement alors que parurent les Souvenirs des années de la lutte armée contre les Japonais. Leur publication a donné pour la première fois au peuple une idée, un contour de la révolution antijaponaise. Depuis, ce livre a été un texte original indispensable à l’étude de l’histoire de la révolution antijaponaise.
En faisant paraître ses souvenirs, Rim Chun Chu a voulu s’acquitter des obligations et des devoirs qui lui incombaient vis-à-vis de tous les communistes et de tous les patriotes qui avaient participé à la révolution antijaponaise. Il n’a pas écrit son livre pour parler de lui ni pour faire l’éloge de ses mérites, mais pour que la postérité reprenne et perfectionne les traditions révolutionnaires qui constituent les richesses éternelles de notre peuple. Voilà le noble but qu’il s’était fixé.
Il a écrit aussi des souvenirs ayant pour sujet principal les activités de Kim Jong Suk et de Kim Chol Ju et bien d’autres livres et matériaux éducatifs traitant des traditions révolutionnaires de notre Parti. Par ailleurs, il prit connaissance de beaucoup de documents et les systématisa, accomplissant ainsi de grands exploits dans l’histoire de notre Parti. Il a même écrit un roman en plusieurs volumes intitulé La Jeune Avant-garde dont les personnages originaux sont de jeunes communistes.
Notre Parti l’a qualifié de témoin prestigieux, de garant puissant de l’histoire de la révolution antijaponaise que nous avons entreprise et menée à bien. Je pense que c’est une appréciation correcte et juste.
A franchement parler, Rim Chun Chu aurait très bien pu s’assurer une existence décente rien que par son art de la guérison, sans se donner la peine de participer à la dure révolution antijaponaise. Mais, frôlant la mort plus de cent fois, il n’a jamais dévié du chemin de la révolution, ni jamais manqué à son devoir envers son Leader et ses camarades.
Quand il fut enfermé dans la prison de Longjing, il se raffermit dans sa conviction que la révolution triompherait, même après sa mort, et il supporta les tortures barbares avec l’idée qu’il fallait protéger l’organisation révolutionnaire et ses camarades, même s’il devait en mourir. Mais les individus qui trahirent la révolution pensèrent que la révolution n’avait aucun sens s’ils devaient mourir pour elle et cédèrent lâchement aux supplices afin de sauver leur vie aux dépens de leur organisation et de leurs camarades.
C’était là l’abîme qui séparait les vrais révolutionnaires des faux.
Je pus encore mieux comprendre par les faits vécus après la Libération qu’il était un homme de loyauté et de devoir. Quand il partit à titre de représentant plénipotentiaire de notre pays en Chine du Nord-Est en vue de préparer la mise sur pied de la région autonome coréenne de Yanbian, je le priai de rechercher et d’envoyer dans la patrie les enfants des martyrs révolutionnaires antijaponais, une fois arrivé en Mandchourie de l’Est. Bien qu’il eût un emploi du temps surchargé, devant organiser l’assistance au front, mettre sur pied les organes du pouvoir, jeter les bases de l’enseignement et contacter les personnalités de différentes couches de la population alors que le peuple chinois soutenait une guerre civile âpre, il mena une enquête minutieuse, s’informa presque jusqu’au dernier de tous les enfants des martyrs révolutionnaires antijaponais et les envoya dans la patrie. Il publia même dans les journaux des annonces pour retrouver les frères de Kim Jong Suk, sa proche amie des années de Fuyandong et sa compagne d’armes révolutionnaire.
Chaque fois qu’il assistait à une réunion consultative des cadres, il n’oubliait pas de leur dire qu’une école pour les enfants des martyrs révolutionnaires allait être établie dans la patrie; et dans l’espoir de retrouver ne serait-ce qu’un enfant de plus, il se mettait lui-même en route pour faire le tour de villages disséminés dans la région de Jiandao.
Lorsque des enfants de martyrs, ayant vu les annonces dans les journaux, venaient en haillons le trouver, il les serrait avec effusion dans ses bras en s’écriant: «Toi, là, tu es le fils de X — Toi, là, tu es la fille de Y — Vous savez avec quelle impatience le Général Kim Il Sung vous attend?» et il les étreignait avec chaleur. Et quand le nombre des enfants de martyrs qu’il avait retrouvés un à un atteignit des dizaines, il ne put contenir sa joie et m’envoya ce télégramme: «Mon Général, je serai sous peu dans la patrie avec les enfants de martyrs retrouvés dans un premier temps. » Je sentis dans ces quelques mots son émotion et sa joie d’avoir rempli ses obligations envers ses compagnons d’armes révolutionnaires disparus.
Il retrouva de nombreux enfants et membres de familles de martyrs révolutionnaires et les envoya dans la patrie. Les enfants admis alors à l’école sont maintenant membres du Bureau politique du Comité central du Parti, ou secrétaires en chef de province du Parti, ou encore généraux de l’Armée populaire et accomplissent à merveille leurs tâches.
A l’époque de la Guerre de libération de la patrie, il travailla un temps en province. Et quand il venait à Pyongyang pour prendre part à une réunion organisée par le ministère de la Santé, m’a-t-on dit, il montait sur la colline Moran, étendait une toile blanche sur le gazon près des tombes des anciens combattants de la guerre contre les Japonais et y dormait. Il ne pensait même pas à passer la nuit dans une auberge de la capitale. A l’époque, sur la colline Moran se trouvaient les tombes de Kim C
Kim Jong Suk. Et lui, couché en plein air, sur une toile blanche, au sommet de la colline où étaient ensevelis, devant et derrière comme à droite et à gauche, ses anciens compagnons d’armes, ne pouvait certes pas bien dormir. Cependant, dès qu’il arrivait à Pyongyang, il montait sans trop y penser sur la colline Moran et aménageait sa couche auprès de ses compagnons d’armes qui y reposaient. Et il se lançait, comme il l’a avoué lui-même plus tard, dans une conversation sans fin avec eux: «Ecoutez-moi, mes chéris, comment pouvez-vous dormir là alors que le pays a le plus besoin de vous? Est-ce que vous savez quelles peines, quelles épreuves endure notre cher Général, chargé à lui seul du destin de la Corée?»
C’était une période où le destin de notre pays et de notre peuple était en jeu, très peu d’habitants de Pyongyang pensaient aux combattants reposant au milieu d’une végétation luxuriante sur la colline Moran et, encore moins, se doutaient qu’un homme de grande taille y venait parfois passer la nuit en évoquant leur âme et en descendait le lendemain de bonne heure en silence.
Quand j’ai entendu cette histoire, je me suis dit dans mon for intérieur qu’il était un homme de loyauté véritable, un combattant de loyauté authentique.
Voilà la loyauté de l’Armée de guérilla antijaponaise dont je voulais parler. Notre monde abonde en exemples édifiants de loyauté et d’amour. Mais je ne connais pas de loyauté aussi noble, aussi authentique et aussi belle que celle manifestée par nos combattants révolutionnaires antijaponais.
Rim Chun Chu a toujours déclaré qu’il était un vieux disciple du camarade Kim Jong Il et a toujours tâché volontairement de bénéficier de ses directives. De son côté, le camarade Kim Jong Il lui a toujours témoigné un amour et un respect sincères et l’a entouré d’une sollicitude particulière, ne cessant de dire que lui vivant était une grande force pour notre Parti et notre Etat. Cette attention et cette sollicitude particulières du camarade Kim Jong Il reflètent bien la noble loyauté du Dirigeant pour les vétérans révolutionnaires, loyauté du type de la guérilla contre les Japonais qui a vu le jour au mont Paektu.
Toutefois, tous n’ont pas été fidèles à leurs obligations révolutionnaires et à leurs convictions. Bien que rares, il y en a eu, dans nos rangs, qui ont déserté ou trahi la cause.
Quand ils eurent appris que certains individus emprisonnés, ceux-là mêmes qui, naguère encore avaient juré fidélité et prêchaient à tout bout de champ la révolution, avaient retourné la veste, les partisans ont tous éprouvé une grande déception. Quels mots conviendraient pour exprimer la douleur et le désappointement éprouvés par les soldats et les commandants de notre armée de guérilla lorsqu’ils avaient appris comment ces individus, qui avaient chanté l’Internationale et parlé du triomphe de la révolution, avaient fait volte-face et dégénéré en laquais de l’ennemi?
Mais l’apparition de quelques traîtres n’a pu démolir la muraille élevée dix années durant. Nous avons répondu à la terreur blanche de l’ennemi par le raffermissement de l’unité de pensée et de volonté de nos rangs, par l’union morale et loyale de ceux-ci. C’était bien là notre seule voie menant à la victoire.
CHAPITRE XVIII. DANS LE FEU DE
LA GUERRE SINO-JAPONAISE
(Juillet – novembre 1937)
1. Face à une situation nouvelle
Ce fut vers la mi-juillet 1937, après la bataille du mont Jiansan, que nous apprîmes la nouvelle surprenante de l’Incident du pont de Lugou. Nous avions prévu que les Evénements du 18 Septembre donneraient lieu à d’autres «18 Septembre» et que l’occupation de la Mandchourie par les impérialistes japonais serait suivie par une attaque japonaise générale contre le reste de la Chine qui s’étendait sur plusieurs millions de kilomètres carrés. Cependant, que l’Incident du pont de Lugou ait servi de flammèche pour allumer le feu d’une guerre sino-japonaise, cette nouvelle nous émut. De vives discussions furent engagées parmi nos soldats et commandants sur l’évolution ultérieure de la situation.
La principale question en était de savoir quel impact cette guerre aurait sur la situation mondiale et sur la Révolution coréenne, et comment profiterait-on de la situation nouvelle pour promouvoir cette dernière.
Avant, personne ne savait dans mes troupes, ou peu s’en fallait, qu’il existait dans le monde un pont nommé pont de Lugou.
Nul ne s’était douté que les détonations qui avaient retenti dans la nuit profonde sur ce pont seraient le prélude aux hostilités qui allaient noyer la Chine dans un bain de sang pendant environ 3 000 jours et précipiter le monde dans les affres d’une grande conflagration. Communément, on est d’avis dans le monde que
l’attaque de la Pologne par l’Allemagne fasciste en septembre 1939 a marqué le début de la Seconde Guerre mondiale, mais il n’y en a pas moins qui affirment que c’était l’Incident du pont de Lugou, ourdi par les impérialistes japonais deux ans plus tôt, qui a été l’étincelle de cette guerre.
La guerre sino-japonaise a été, ainsi que les Evénements du 18 Septembre, le produit de la politique asiatique des impérialistes japonais, politique poursuivie avec ténacité et constamment perfectionnée par ceux-ci. Lorsqu’ils avaient occupé la Mandchourie, l’opinion mondiale impartiale avait craint qu’ils ne se ruent sous peu sur le reste de la Chine. En effet, après s’être emparés des trois provinces de la Chine du Nord-Est, ils s’étaient mis à préparer pour de bon une agression générale contre le reste de la Chine.
Le siège de la ville de Shanhaiguan en janvier 1933, l’invasion de la Chine du Nord, l’occupation de Chengde, chef-lieu du Rehe, à la suite des opérations dans cette province, le débarquement à Qinhuangdao, l’avance dans la zone est de la province du Hebei, toutes ces opérations militaires eurent lieu dans les quelques années qui suivirent les événements de Mandchourie fomentés par l’armée japonaise et faisaient partie de ses préparatifs d’agression générale contre la Chine propre.
Or, le gouvernement du Guomindang de Jiang Jieshi (Tchang Kaïchek—NDLR), au lieu de riposter aux impérialistes japonais qui attaquaient la Chine du Nord, avait signé avec eux, en dépit des protestations véhémentes du peuple, la «Convention de Tanggu», accord de nature traîtresse, par laquelle il avait cédé à l’agresseur la vaste région au nord de la Grande Muraille et avait laissé passer sous son contrôle la Chine du Nord. Cette politique de modération avait attisé davantage l’ambition d’agression et la folie belliqueuse des impérialistes japonais.
D’autre part, à l’instigation de ces derniers, les forces projaponaises, actives en Chine du Nord, avaient déclenché un «mouvement pour l’autonomie des cinq provinces de Chine du Nord». Campagne traîtresse qui, sous le couvert d’une prétendue indépendance avait fini par donner lieu à la formation d’un gouvernement projaponais, «gouvernement autonome de Jidong, anticommuniste».
Ayant réussi ainsi, par escalade, à mettre la main sur la Mandchourie et la Chine du Nord, les impérialistes japonais s’étaient mis, dès le début de 1936, à préparer ouvertement une agression générale contre le reste de la Chine, suivant leurs «orientations diplomatiques envers la Chine» centrées sur la répression impitoyable de tout mouvement antijaponais, la coopération économique entre la Chine, la Mandchourie et le Japon et la lutte commune contre le communisme. La conclusion du «pacte anti-Komintern» entre le Japon et l’Allemagne fut le facteur extérieur qui favorisa leur préparation d’une nouvelle guerre.
Le régime du Guomindang de Jiang Jieshi, par ses démarches humiliantes auprès du Japon et sa politique antinationale, avait permis aux impérialistes japonais d’étendre à leur gré leur agression contre la Chine propre. Au moment crucial où le sort du pays et de la nation était en jeu, face à l’escalade de l’agression japonaise, Jiang Jieshi avait eu la traîtrise de rester cramponné à sa ligne de compromis avec le Japon, en poursuivant sa politique de «sécurité intérieure et de concessions extérieures»: dans le pays, il cherchait à encercler et à anéantir l’armée rouge, à réprimer les mouvements antijaponais de la population pour le salut national, et, à l’extérieur, il faisait des concessions aux forces étrangères. Ainsi, en pratiquant lâchement une politique de coopération avec le Japon, il avait fermé les yeux sur l’invasion japonaise de la Chine propre et encouragé le Japon à se livrer à toutes sortes de folles aventures, dont l’Incident du pont de Lugou.
Par ailleurs, l’agression japonaise générale contre la Chine fut le produit fatal des rivalités entre les puissances impérialistes au sujet de la Chine.
La nouvelle crise économique qui avait éclaté aux Etats-Unis en 1937 se répandit à travers le monde, et les puissances impérialistes s’acharnaient de plus belle à conquérir de nouveaux marchés; les conflits que faisaient naître entre elles la recherche de débouchés aggravèrent plus encore les rivalités qui les opposaient déjà les unes aux autres. L’une des plus graves en était l’antagonisme qui mettait aux prises les impérialistes américano-britanniques et les impérialistes japonais autour du problème des concessions en Chine. Là, le Japon opta pour une guerre totale contre ce pays afin de l’emporter sur les puissances européennes et américaine. Seule la guerre lui permettrait, estimait-il, de placer la Chine sous son contrôle exclusif, après en avoir expulsé les forces américaines et britanniques, et de devenir le maître de l’Asie.
A cet égard, les Américains comme les Anglais pratiquaient une politique à double face: tout en tâchant de contenir la folie d’agression effrénée du Japon impérialiste, ils n’en favorisèrent pas moins l’agression japonaise contre la Chine aux dépens des intérêts de celle-ci. Ils voulaient, par ailleurs, pousser le Japon contre l’Union soviétique. Ils n’avaient en vue que de conserver leurs concessions en Chine.
Après les événements de Chine du Nord, les impérialistes japonais avaient choisi comme politique fondamentale de s’assurer la suprématie en Asie de l’Est et de progresser vers les îles du Pacifique Sud, en accroissant leurs armements et en activant leurs préparatifs de guerre. Il s’agissait là d’une orientation stratégique ayant pour but de poursuivre leur politique de guerre contre la Chine et l’Union soviétique et de progresser, le moment venu, vers le sud, vers l’Asie du Sud-Est.
Le cabinet Konoe, qui tirait astucieusement profit de la politique de «non-ingérence» des puissances impérialistes, notamment des Etats-Unis, de l’Angleterre et de la France, avait fini par déclencher une guerre totale contre la Chine, à la faveur de la situation que le front uni national antijaponais ne s’était pas encore solidement établi dans ce pays.
Le 7 juillet 1937, prenant prétexte de la disparition d’un soldat japonais au cours d’un exercice militaire, l’armée japonaise exigea brutalement qu’on l’autorise à perquisitionner au chef-lieu du district de Wanping. Ce fut le début du conflit. La 29e armée commandée par Song Zheyuan riposta, et les Japonais s’emparèrent alors du pont de Lugou, puis assiégèrent Beijing.
Incident de peu d’importance, il aurait été parfaitement possible de le régler par des négociations sur les lieux. Mais, sous la pression des milieux militaires qui ne cherchaient qu’un prétexte pour se lancer dans la guerre, le cabinet Konoe décida le 11 juillet l’envoi de divisions japonaises en Chine. Tout en se disant disposé à arrêter l’extension du conflit, il se servit de l’Incident pour étendre les hostilités. Le 13 août, les troupes japonaises assiégèrent Shanghai. Les coups de feu qui avaient retenti sur le pont de Lugou finirent par déclencher une guerre totale entre la Chine et le Japon.
Cette guerre imposa de nouvelles tâches aux communistes coréens. Nous devions désormais nous guider sur une stratégie et une tactique nouvelles, énergiques, susceptibles de nous permettre de faire face aux rapides changements de la situation.
Ayant appris la nouvelle de la guerre, je réfléchis pendant des jours: comment évoluera cette guerre? quelle action aura-t-elle sur notre révolution? quelle attitude faut-il adopter et quels moyens mettre en œuvre pour y faire face?
Ce n’était pas un conflit limité au terme duquel le Japon se contenterait d’occuper la Chine du Nord ou qui prendrait fin au bout de quelques mois comme lors des événements de Mandchourie. Elle risquait au contraire de se prolonger indéfiniment, de s’étendre pour devenir une guerre régionale, voire une guerre mondiale. Il n’était pas exclu que, outre les deux pays belligérants, d’autres pays y soient entraînés.
Tout portait à croire que l’affrontement nippo-soviétique était inévitable. De tout temps, la Corée et la Mandchourie avaient été le principal enjeu de la confrontation russo-japonaise. Elles avaient été la principale cause de la guerre russo-japonaise du début de notre siècle. Même depuis la fondation de l’Union soviétique, les relations entre les deux pays demeuraient tendues à cause des ambitions japonaises sur le continent. A la veille de la guerre sino-japonaise également, ils étaient en plein affrontement, au bord d’une guerre, relativement à la possession de deux îlots sur l’Amour; le litige fut réglé temporairement par des démarches diplomatiques à Moscou, cependant le Japon battait toujours froid à l’Union soviétique et prêchait la défense conjointe nippo-mandchoue.
Ce n’était donc pas sans fondement que l’opinion mondiale appréhendait une escalade du litige soviéto-nippon et sa dégénération en une guerre totale.
Le Japon, déjà maître de la Mandchourie, convoitait, ce n’était un secret pour personne, le reste de la Chine, la Mongolie et la région extrême-orientale de l’URSS. Seulement, il estimait prématuré d’entrer en guerre contre l’Union soviétique, dont il redoutait la puissance et surtout les capacités de défense qui croissaient au fil des jours. Entrer en conflit avec elle, alors qu’il était en guerre avec la Chine, eût été par trop périlleux et insensé. En effet, il ne disposait pas de ressources suffisantes pour mener simultanément deux guerres contre deux grands pays.
Nombreux étaient ceux, parmi nos soldats et commandants, qui estimaient que l’extension de la guerre ferait beaucoup de mal à notre révolution.
Quant à moi, j’avais ressenti la nécessité pressante d’élaborer une ligne stratégique nouvelle, appropriée, pour y faire face, et de nous proposer des objectifs nouveaux. La conférence des commandants du gros de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne tenue à la mi-juillet 1937 au camp secret du mont Paektu et la réunion des cadres militaires et politiques de cette armée tenue à Chushuitan, dans le district de Changbai, la même année, au début d’août, furent consacrées à ces fins. Nous fixâmes une ligne stratégique nouvelle devant nous permettre de faire face aux changements subits de la situation, en intensifiant notre lutte armée contre les Japonais et en poussant de l’avant l’ensemble de la Révolution coréenne. Avaient participé à la conférence du camp secret du mont Paektu, Ma Tong Hui, Ri Je Sun et autres agents politiques et responsables des organisations clandestines de la région du mont Paektu et d’ailleurs en Corée.
Les questions discutées à cette réunion se ramenaient à celle de savoir comment, face à la guerre sino-japonaise, accroître les forces de notre révolution, intensifier nos opérations de perturbation sur les arrières ennemis et accélérer les préparatifs de la grande résistance nationale. Et, comme moyen pour y parvenir, nous nous proposâmes, entre autres choses, d’étendre le réseau d’organisations clandestines dans la région au sud-ouest du mont Paektu et plus loin en Corée, d’envoyer des groupes de travail politique de l’ARPC créer une base révolutionnaire dans la chaîne du Rangrim et mettre sur pied des troupes de producteurs-partisans et des troupes de choc d’ouvriers un peu partout dans le pays. Après nous être enquis à cet effet de l’extension du réseau du parti et de l’Association pour la restauration de la patrie, des activités politiques déployées auprès de la population et de l’assistance populaire accordée à l’armée de guérilla, dans les régions de Sinpha (Corée–NDLR) et de Xiagangqu dans le district de Changbai, nous discutâmes aussi des mesures à prendre pour généraliser l’expérience acquise en la matière.
A l’époque, les impérialistes japonais vantaient leur pays comme une des cinq grandes puissances mondiales, comme une des trois grandes puissances navales, et les autres puissances le reconnaissaient comme tel. Pourtant, nous autres, nous étions convaincus qu’il ne tarderait pas à sombrer dans un gouffre profond.
Il finirait par s’écrouler, nous en étions sûrs, bien qu’il l’ait emporté momentanément en exploitant les lacunes que présentaient les forces chinoises de résistance au début du conflit. Une guerre injuste s’accompagne toujours d’oppositions internes. L’opposition entre les forces bellicistes et les forces opposées à la guerre dans le pays et l’opposition entre les puissances impérialistes pour la conquête de concessions. En effet, elles freinaient d’une façon non négligeable l’effort de guerre japonais.
Sur le plan international, les impérialistes japonais se trouvaient isolés. Bien qu’ils eussent pour alliés l’Allemagne et l’Italie en Europe, ils ne pouvaient espérer d’aide substantielle de leur part. L’extension de leur guerre en Chine et leur tentative d’«avance vers le sud» ne feraient qu’aggraver les oppositions et les antagonismes entre les puissances impérialistes.
Poussés par la soif de gain et d’expansion, les impérialistes japonais s’étaient jetés sur le reste de la Chine, avant même d’avoir eu le temps de digérer la Mandchourie qu’ils avaient engloutie. Ils étaient comme un chat qui a sauté sur une tête de bœuf. Rien ne disait que le Japon ne souffrirait pas d’indigestion.
Avec la guerre sino-japonaise, les impérialistes japonais avaient renforcé et perfectionné leur appareil de domination coloniale en Corée ils avaient promulgué diverses lois fascistes pour bâillonner l’esprit des Coréens et enchaîner leur corps. La «loi de protection des secrets militaires», en vigueur depuis 1913, fut révisée en conformité avec les circonstances de la guerre. L’ennemi soumettait tout à son effort de guerre, parlant de la «mission spéciale de la Corée en tant que base de ravitaillement en temps de guerre», des «tâches de la Corée dans l’accomplissement de la politique continentale», etc.
Le pillage japonais en Corée ne portait pas seulement sur ses ressources économiques. L’ennemi pompait aussi impitoyablement ses ressources humaines. Des jeunes et des adultes furent recrutés et jetés sur les champs de bataille, une énorme main-d’œuvre fut mobilisée de force pour les chantiers de construction d’usines d’armements et d’ouvrages militaires.
La répression et le pillage s’intensifièrent encore, plongeant la nation coréenne dans un gouffre de détresse horrible.
Nous estimions, cependant, en dépit de ces circonstances difficiles, pouvoir transformer le mal en bien si nous réussissions à exploiter à notre profit la situation complexe créée par la guerre.
C’est justement dans cette perspective qu’à la conférence des cadres militaires et politiques tenue à Chushuitan j’analysai la situation prévalant à l’époque et j’insistai sur la nécessité d’y faire face. Si, lors de la Conférence du mont Paektu, on avait discuté principalement de l’extension du réseau de nos organisations en vue de l’accroissement des forces de la Révolution coréenne, celle de Chushuitan a été consacrée à la discussion des problèmes militaires relatifs à la collaboration avec les troupes de l’Armée antijaponaise unifiée pour lancer des opérations de perturbation sur les arrières ennemis.
Lors de cette dernière, je mis également l’accent sur la nécessité d’intensifier les opérations de perturbation dans les régions riveraines du Tuman et de l’Amrok et ailleurs et d’envoyer un plus grand nombre de groupes et d’agents politiques en Corée afin d’y élargir sans cesse le mouvement de front uni national contre les Japonais.
Nous décidâmes de lancer ces opérations en nous proposant deux principaux objectifs: l’un était de préparer la base militaire de la grande résistance nationale en implantant un réseau de camps secrets dans la région de la chaîne du Rangrim et en organisant un peu partout en Corée des troupes de producteurs-partisans et des troupes de choc d’ouvriers et de frapper les impérialistes japonais dans le dos en lançant diverses formes de lutte de masse à l’intérieur de la Corée; l’autre était d’entraver le mouvement des troupes d’agression japonaises vers la Chine propre et de déjouer leurs plans stratégiques en intensifiant la guérilla.
En fonction de la nouvelle orientation stratégique, nous décidâmes de réorganiser en partie les troupes de l’ARPC, et nous répartîmes les zones d’opérations entre les unités conformément aux réalités. Fut aussi discuté le problème des groupes de combattants et des groupes de travail politique à envoyer en Corée.
L’ennemi avait particulièrement l’œil sur nous depuis le début de la guerre. Les chefs de l’armée et de la police japonaises avaient flairé je ne savais comment nos mouvements. En s’écriant que nous nous étions fixé une nouvelle ligne de conduite, que nous avions réorganisé nos unités, défini les zones d’opérations pour chacune d’elles et décidé d’attaquer d’importantes villes de Mandchourie à l’occasion de la Journée de la honte nationale-le 29 août—pour aller ensuite effectuer une offensive générale en Corée, ils firent un grand remue-ménage pour prendre des contre-mesures. Tous ces faits étaient décrits, en détail, nous l’avons appris plus tard, dans les documents confidentiels de l’ennemi.
Avant de partir pour la région aux confins des districts de Changbai et de Linjiang, après la Conférence de Chushuitan, j’allai voir Wei Zhengmin pour discuter du problème de la coopération avec les troupes de l’Armée antijaponaise unifiée du Nord-Est et de celui des opérations de perturbation sur les arrières ennemis. Il se reposait pour sa convalescence au camp secret de Dongmanjiang, au bord de la rivière Huapi, affluent du fleuve Manjang.
Ju Jae Il, instructeur politique de compagnie, nous servit de guide pour nous y mener. Il connaissait bien la région de Dongmanjiang. Originaire de la province du Kangwon (Corée—NDLR), il était venu, encore tout petit, s’installer dans la région de Helong, et s’était enrôlé dans l’armée de guérilla dans le village de Yulangcun. Une fois les zones de guérilla supprimées, six familles étaient venues de Helong s’installer à Chushuitan, dont celle de Ju Jae Il. Il avait combattu dans une des troupes chinoises antijaponaises, avant de venir en mars 1937, avec sa femme, à notre Q.G. Nous le nommâmes instructeur politique d’une de nos compagnies qui comptait beaucoup de Chinois, anciens combattants des troupes chinoises antijaponaises. En effet, il parlait couramment le chinois et connaissait bien les mœurs et coutumes des Chinois. Plus tard, il fut instructeur politique de la compagnie des gardes du corps, puis commissaire politique de régiment. Il nous mena à destination sans accroc.
Wei Zhengmin dit qu’un des problèmes les plus importants, à ce moment où la guerre continuait à s’étendre, était de réaliser une coopération étroite entre les peuples et les communistes coréens et chinois.
«Nous attendons beaucoup de la coopération avec les camarades et la population coréens. Jusqu’ici, vous avez soutenu la révolution chinoise de votre mieux, avec un désintéressement total. Chaque fois que j’entends parler de l’internationalisme prolétarien, je pense avant tout aux camarades coréens. Les jours que nous avons passés ensemble jusqu’ici, partageant joies et souffrances dans les mêmes tranchées, resteront gravés à jamais dans l’histoire de nos deux pays, et dans l’histoire du mouvement communiste international. Commandant Kim, si les Coréens endurent de rudes épreuves, les Chinois se voient aujourd’hui à leur tour mis à l’épreuve. Mais je demeure convaincu que le peuple coréen restera fermement de notre côté», dit-il d’un ton pathétique.
Homme investi de lourdes responsabilités, —il était commissaire politique de la deuxième armée et secrétaire du comité du parti de Mandchourie du Sud—, il était franc et n’hésitait pas à dire la vérité.
Comme on l’avait déjà remarqué au cours de la lutte menée pour remédier aux erreurs ultragauchistes révélées dans la campagne anti-Minsaengdan, il s’était toujours montré sensible, ce plus que personne, aux souffrances et aux chagrins des communistes coréens. Je lui témoignais des égards pour la sympat
Il appréciait toujours hautement le rôle joué par les communistes coréens et l’ARPC dans la lutte armée contre les Japonais en Chine du Nord-Est.
Ce jour-là, il m’avait donné des informations détaillées sur la situation intérieure et extérieure de la Chine après l’éclatement de la guerre sino-japonaise et sur la ligne de conduite adoptée par le Parti communiste chinois pour résister au Japon. La plus importante de ses informations était celle concernant les activités des communistes et autres patriotes progressistes chinois pour une nouvelle coopération entre le PCC et le Guomindang et la formation d’un front uni national antijaponais.
Au lendemain de l’Incident du pont de Lugou appelé aussi Evénement du 7 Juillet, le PCC avait déclaré qu’une résistance de toute la nation chinoise était le seul moyen de salut national et avait lancé cet appel dans tout le pays: «Ripostons à l’agression japonaise, en élevant la grande muraille du front uni national», et, le 15 juillet, il avait envoyé au comité central du Guomindang le «Manifeste du PCC pour la coopération avec le Guomindang».
Ce n’était pas la première fois qu’il faisait une telle proposition afin d’obtenir la suspension de la guerre civile et la coopération, et qu’il s’activait énergiquement à ces fins.
Alors que les impérialistes japonais, déjà maîtres de la Mandchourie, s’apprêtaient à lancer une attaque générale contre le reste de la Chine, le Guomindang de Jiang Jieshi s’était refusé à prendre des mesures de résistance énergiques, tout occupé qu’il était à s’opposer au parti communiste et à «détruire» l’Armée rouge des ouvriers et des paysans.
Mobilisant d’immenses effectifs militaires, Jiang Jieshi avait lancé à cinq reprises une grande offensive «punitive» contre le soviet central de Ruijin. Le Guomindang exécrait le parti communiste plus que l’agresseur extérieur.
Le PCC, de son côté, n’avait pu lancer le gros de ses forces contre le Japon, étant occupé par la réforme agraire et aux prises avec le Guomindang.
Quand un ennemi vient de l’extérieur, il faut renoncer à sa guerre civile, riposter contre l’agresseur en lui opposant toute la force unie du peuple. Mais, en Chine, la guerre civile, ce conflit intérieur connu sous le nom de deuxième guerre révolutionnaire intérieure, s’était poursuivie jusqu’au milieu des années 30.
Le PCC adopta plus tard une nouvelle stratégie pour s’adapter au courant de l’époque, subordonnant tout à la résistance contre le Japon. Sous le mot d’ordre: «Marche vers le nord et résistance au Japon», les communistes chinois effectuèrent l’historique Longue Marche de 25000 li et se créèrent de nouvelles bases dans la région frontière du Shaanxi-Gansu-Ningxia. Après quoi, en mettant en avant l’«expédition à l’est et la résistance au Japon», ils s’opposèrent de front à l’agresseur impérialiste japonais.
Plus tard, le PCC changea de mot d’ordre: «Coopérer avec Jiang pour résister au Japon» remplaça «S’opposer à Jiang et résister au Japon», et travailla avec persévérance à réaliser la coopération avec le Guomindang. Les efforts des communistes chinois redoublèrent après l’Incident de Xian19 et aboutirent enfin à l’issue des négociations de Lushan entre Jiang Jieshi et Zhou Enlai après l’éclatement de la guerre sino-japonaise.
Quand Wei Zhengmin m’avait annoncé que, lors des négociations de Lushan, Zhou Enlai avait discuté avec Jiang Jieshi le problème que les communistes devraient intensifier leur résistance contre les Japonais en Mandchourie, en Chine du Nord et en Corée, j’acceptai favorablement cette idée, car cela signifiait que le comité central du PCC estimait à sa juste valeur le rôle que jouaient les communistes coréens dans la guerre contre les Japonais et qu’il attendait beaucoup de la lutte armée dirigée par eux, espérant un soutien énergique et une coopération étroite de leur part.
Dans sa «Lettre aux membres de l’Association pour le salut de la patrie de toute la Chine», publiée au début de 1937, dans un numéro de Tikhi Okean (le Pacifique—NDLR), revue politique internationale soviétique, Mao Zedong avait affirmé qu’une lutte active contre l’impérialisme japonais était parfaitement possible et avait cité comme exemple les activités des partisans contre les Japonais en Chine du Nord-Est. Il avait écrit que les troupes de partisans antijaponaises actives dans cette région de Chine avaient en quelques années anéanti plus de 100 000 hommes des forces vives de l’ennemi et lui avaient infligé d’énormes pertes se montant à plusieurs centaines de millions de yuan, contenant et retardant par là même l’invasion japonaise dans le reste de la Chine. Ces appréciations des mérites des troupes de partisans qui opéraient en Chine du Nord-Est concernent aussi les exploits des communistes coréens.
Wei Zhengmin et moi étions d’avis qu’étant donné que les impérialistes japonais visaient à envahir la Chine propre avant la Sibérie, les troupes de partisans qui opéraient en Mandchourie de l’Est et du Sud auraient plus à faire que les troupes de l’Armée antijaponaise unifiée de Mandchourie du Nord en ce qui concernait les opérations de perturbation à mener sur les arrières ennemis.
Ce jour-là, au cours de nos conversations, Wei me demanda si je ne voulais pas rencontrer un homme de la troupe de Kong Xianyong. Il était venu, via l’Union soviétique, en qualité d’émissaire du gouvernement de Nanjing, voir les commandants de la 2e armée. L’arrivée en Mandchourie d’un émissaire du gouvernement du Guomindang de Nanjing témoignait de l’intérêt que celui-ci portait à la coopération avec les forces antijaponaises du Nord-Est.
J’étais lié d’amitié avec Kong depuis qu’il était commandant adjoint dans l’armée de salut national de Wang Delin. Il avait apporté son appoint à la fondation de notre armée révolutionnaire populaire. En contact avec le commandement de l’armée extrême-orientale soviétique, il était passé à la tête d’une partie de ses troupes en Union soviétique, avant de revenir en Chine propre. Là, il avait fait preuve d’un dynamisme remarquable. Avec Li Dou et Wang Delin, il entra en contact avec le gouvernement de Nanjing et noua des relations avec l’ancienne armée du Nord-Est de Zhang Xueliang; il s’intéressait beaucoup à la lutte contre les Japonais en Mandchourie. Nommé commandant en chef de l’Armée des volontaires du Nord-Est, il avait souvent organisé, en liaison avec le gouvernement du Guomindang de Nanjing, l’assistance en provenance de l’extérieur au mouvement antijaponais dans le Nord-Est. Qu’il nous ait envoyé un émissaire au nom du gouvernement de Nanjing démontrait qu’il n’avait cessé de porter intérêt à la lutte armée contre les Japonais en Mandchourie.
Quant à l’émissaire, c’était un homme qui avait, comme Kong, pris part à la lutte contre les Japonais en Mandchourie de l’Est. Insistant sur la nécessité de lier la lutte dans le Nord-Est et celle poursuivie dans le reste de la Chine, il dit que les mouvements des unités qui combattaient les Japonais dans le Nord-Est devraient être inclus dans les plans d’opérations du gouvernement de Nanjing, étant donné que la collaboration entre le Guomindang et le PCC était en voie de réalisation et que l’Armée rouge des ouvriers et des paysans dirigée par le PCC, réformée en unités de l’Armée nationale révolutionnaire, allait se placer sous le commandement unifié de Jiang Jieshi.
Nous mîmes en doute la validité de son idée en invoquant les conditions différentes qui prévalaient en Chine propre et dans le Nord-Est et l’indépendance relative de la lutte dans le Nord-Est.
Le messager nous donna raison et retira sa proposition. Pourtant, il n’en insista pas moins sur la nécessité de se soutenir mutuellement et de coopérer étroitement en entretenant des relations étroites et sans perdre de vue les liens solides qui unissaient de façon indissoluble la Chine propre et la Chine du Nord-Est.
Nous lui promîmes de frapper dur les impérialistes japonais dans le dos, dans les trois provinces du Nord-Est et en Corée, pour soutenir la lutte menée dans le reste de la Chine. Il nous apprit que, de passage en Union soviétique, il avait eu des négociations avec les autorités concernées de ce pays sur le problème du traitement des combattants qui seraient blessés au cours de la guerre sino-japonaise et qu’il avait obtenu la promesse de l’aide soviétique, et il nous recommanda d’y envoyer nos blessés, si cela était nécessaire, par la voie convenue. Nous y avions déjà évacué nos vieux et nos affaiblis et avions notre route à nous. Mais nous l’en remerciâmes et lui promîmes d’utiliser son canal.
Au cours de mes entretiens avec Wei Zhengmin, j’avais pu m’assurer que nos vues et celles du PCC étaient identiques pour l’essentiel en ce qui concernait la stratégie relative à la guerre sino-japonaise, et j’étais convaincu que nos actions de perturbation sur les arrières ennemis seraient couronnées de succès.
Après nous être séparés de Wei Zhengmin, nous convoquâmes, sur un versant doux d’une colline aux confins des districts de Changbai et de Linjiang, une assemblée des commandants et soldats de l’ARPC.
Je me souviens encore de la grotte qui se trouvait non loin du lieu de notre réunion et qui ressemblait à un puits. Un de mes hommes, pour s’amuser, y avait fait rouler une pierre, et ce fut au bout d’un assez long moment qu’on entendit un bruit de clapotement d’eau. C’était bien bizarre qu’une pareille grotte se cachât là entre les rochers de la colline.
A la réunion furent présentées les tâches stratégiques qui incombaient à l’ARPC relativement à la guerre sino-japonaise, et les commandants et les soldats exprimèrent leur détermination à les exécuter sans faute. Ce fut une réunion du genre de celles qu’on organise de nos jours pour proclamer des engagements. Il s’agissait là de proclamer la détermination à exécuter les décisions des conférences du camp secret du mont Paektu et de Chushuitan.
Les experts en histoire de notre révolution et les écrivains ont beaucoup écrit à ce sujet, et les hommes qui y avaient assisté s’en sont souvenus en maintes occasions, aussi n’en parlerai-je pas beaucoup.
L’assemblée des commandants et soldats, ainsi que la Conférence du mont Paektu et celle de Chushuitan revêtaient toutes une grande importance dans ce sens qu’elles ont précisé les orientations politiques et militaires à suivre face à la guerre sino-japonaise.
Dès les premiers jours de cette guerre, nous lançâmes des opérations de perturbation audacieuses sur les arrières ennemis, suite à nos opérations victorieuses en Corée.
Peu après l’Incident du pont de Lugou, le gros de notre ARPC livra bataille à proximité de Mashungou à Shijiudaogou, dans le district de Changbai, attaqua le chef-lieu de Xigang à Shisandaogou, dans le même district; il engagea des opérations aux environs de Liugedong près de Longquanli et à de nombreux autres endroits.
La Jondo, organe du Parti révolutionnaire national, a écrit, parlant de nos opérations de perturbation sur les arrières ennemis: «C’est là la manifestation de l’avantage incontestable du grand front conjoint des deux nations, coréenne et chinoise. »
L’unité de C
L’ambition chimérique des impérialistes japonais d’occuper la Chine d’un seul élan fut brisée autant par la lutte des Chinois en Chine du Nord et dans la région de Shanghai que par les opérations de perturbation énergiques déployées par l’ARPC et les unités de l’Armée antijaponaise unifiée du Nord-Est.
Le Japon, qui prétendait «anéantir d’un seul coup l’adversaire» et «terminer la guerre en peu de temps», se retrouva aux prises avec une guerre de longue durée, et nos opérations de perturbation passèrent à une étape nouvelle.
La guerre se prolongeant, nous dressâmes, au camp secret de Xintaizi, dans le district de Linjiang, le bilan des opérations que nous avons menées pour harceler l’ennemi et décidâmes d’en engager de nouvelles en Corée, de paralyser le système de convois militaires de l’ennemi, et surtout de freiner ses transports d’armes et de munitions. La bataille représentative parmi celles que nous avions livrées à cette époque-là fut la bataille du chef-lieu du district de Huinan.
Le chef-lieu de ce district, ville de plaine, pourvue de voies de communication développées, était difficile à attaquer. La voie ferrée Jilin-Hailun passait à proximité, et des bases d’opérations «punitives» de l’ennemi étaient installées à plusieurs endroits dans ses environs. Ainsi, on risquait d’avoir affaire à des renforts de l’ennemi si l’on ne se repliait pas à temps après l’attaque. Malgré ces difficultés, nous décidâmes d’attaquer la ville et y expédiâmes le 7e régiment du gros de l’ARPC, le nouveau régiment de gardes du corps commandé par Ri Tong Hak et C
Etaient invitées à participer à l’action les unités de l’Armée antijaponaise unifiée et quelques autres troupes chinoises qui luttaient contre les Japonais.
Nos troupes lancèrent une attaque surprise sur la ville et s’emparèrent des entrepôts de l’ennemi, puis vite se replièrent, avec un riche butin: tissus, coton, vivres. En se repliant, elles frappèrent aussi durement les renforts de l’ennemi, les Japonais et les Mandchous, venant de Hailong, de Panshi et de Mengjiang. Le combat d’embuscade que le gros de nos troupes avait précédemment livré à Fusong-Xigang fut aussi une opération de perturbation importante. En ces jours d’opérations de perturbation, nous perdîmes Ri Tal Gyong, Kim Yong Hwan, Jon Chol San et autres compagnons d’armes irremplaçables.
Quant à Kim Yong Hwan, il avait milité dans les Jeunesses communistes à Wangqing avant de s’engager dans l’armée de guérilla. C’est à l’époque de nos opérations dans les zones de guérilla que nous le nommâmes instructeur politique de compagnie dans la troupe de partisans de Yanji.
Il tomba au champ d’honneur dans le district de Yanji en décembre 1937.
Jon Chol San se battit dans la troupe de partisans de Hunchun. C’est lors de la bataille du mont Laohei que je l’avais connu pour la première fois. Plus tard, il fut affecté à l’unité de Wangqing en qualité d’instructeur politique de la 4e compagnie. O Jin U le connaît bien. Jon Chol San tomba au cours d’un combat à Emu, en septembre 1937.
C’est à cette époque-là que nous perdîmes aussi Ri Tong Gwang, représentant de notre Association pour la restauration de la patrie en Mandchourie du Sud.
C’était un militant politique avisé et commandant intrépide de l’armée de guérilla. Au sujet de sa mort, Yang Jingyu me fit savoir ce qui suit:
Ayant reçu le rapport que le comité du parti du «district-chef,» de Tonghua avait été démantelé par suite de l’opération «punitive» de l’ennemi en Mandchourie du Sud, Ri Tong Gwang dut se rendre du côté de Liuhe, en passant par Gushanzi où se trouvait le siège du commandement des forces «punitives» ennemies. Déguisé en droguiste ambulant et escorté de deux combattants, il s’engagea, au grand jour, dans la rue de Gushanzi où les ennemis grouillaient.
L’ordre de l’arrêter était collé partout avec ce signalement:
«Ri Tong Gwang, membre du comité du parti de la région spéciale de Mandchourie du Sud et chef des bandits communistes, environ 30 ans; grande taille; cheveux légèrement bouclés; grands yeux.
«Un prix généreux sera accordé à qui le dénoncera ou le prendra, mais la peine capitale sera infligée à qui le cachera!»
Ri Tong Gwang s’arrêta devant un panneau où était collé cet avis, le lut d’un air impassible jusqu’au dernier mot, avant de quitter la rue tranquillement. La vie qu’ont vécue Ri Tong Gwang, Ri Tal Gyong, Kim T
Ainsi j’ai opté toute ma vie pour l’offensive, et jamais pour la défensive. Depuis les premiers jours de mes activités révolutionnaires jusqu’à ce jour, j’ai mis en œuvre les tactiques d’offensive, allant toujours de l’avant au-devant des difficultés. Jamais je n’ai reculé ni hésité à les affronter. Jamais je ne les ai détournées ni évitées. Plus le moment était difficile, plus j’ai fait preuve d’inflexibilité et de persévérance pour le surmonter sans jamais vaciller dans mes convictions.
Si j’ai préféré les tactiques d’offensive, en allant au-devant des difficultés aux différentes étapes de la révolution, ce n’était pas seulement à cause de mon penchant ou de mon caractère; c’était plutôt à cause de ma conscience de la nécessité de me conformer aux impératifs de notre révolution, complexe et pleine d’épreuves.
Si, après l’éclatement de la guerre sino-japonaise, dans les remous des événements politiques complexes qui secouaient le monde, j’avais été pour la défensive, pour le recul et les détours, je n’aurais pu surmonter les obstacles qui se dressaient sur notre chemin.
La stratégie révolutionnaire que nous nous sommes fixée à cette époque-là, celle d’aller au-devant des difficultés et de les maîtriser, était, estimé-je, tout à fait juste.
2. Kim Ju Hyon
Kim Ju Hyon est connu de notre peuple comme le cadre type de l’intendance de l’Armée de guérilla antijaponaise. Or, il était non seulement un chef de talent de l’intendance, mais aussi un chef militaire avisé et un militant politique expérimenté. Avant de s’engager dans l’armée de guérilla, il avait milité dans diverses organisations clandestines.
Je fis sa connaissance bien avant la création de notre armée de guérilla. En 1931, alors que nous préparions la lutte armée à Xinglongcun, il dirigeait dans la clandestinité l’Association des paysans et l’union antijaponaise dans le village de Gaodengchang à Dashahe. C’est Kim Jong Ryong, responsable de l’organisation du parti du secteur de Xiaoshahe, qui me le présenta pour la première fois. De prime abord, il me parut un homme franc et sincère.
Un jour, Kim Jong Ryong m’apprit que Kim Ju Hyon s’apprêtait à exclure de l’union antijaponaise tous les anciens combattants de l’armée indépendantiste. Tout de suite, je me rendis chez lui. Il les avait pris en grippe, ayant entendu des gens à l’esprit borné dire du mal d’eux. Je mis bien des heures à lui faire comprendre l’importance du front uni pour la révolution et l’erreur où il était à leur égard parce que c’étaient tous des gens attachés au pays et hostiles au Japon.
Dès le lendemain, il se rendit chez eux pour leur présenter ses excuses, et ceux-ci le louèrent, le qualifiant d’«homme comme il faut».
Après cet incident, il avait pris l’habitude de venir discuter avec moi de tous les problèmes épineux auxquels il se heurtait dans son travail. Moi, de mon côté, je passais chez lui de temps en temps. Il était de huit ans mon aîné, mais cette différence d’âge ne nous avait pas empêchés de devenir des amis proches. En 1931, je n’étais pas encore Commandant de l’Armée de guérilla antijaponaise, mais il acceptait toujours volontiers mes avis et conseils.
Sa modestie me fascinait. Lui aussi tenait beaucoup à moi. Il soutint sans conditions toutes nos actions et toutes nos opinions.
Or, dans sa famille, il était considéré comme un entêté intraitable. En fait, il le méritait bien à en juger par l’histoire de son mariage et de sa vie hors du toit paternel après le mariage.
La famille de Kim Ju Hyon avait habité Myongchon dans la province du Hamgyong du Nord, mais la pauvreté l’avait fait émigrer en Chine et aller s’installer à Helong. Notre homme regrettait beaucoup son pays natal qu’il avait quitté dans sa tendre enfance, et, après ses études dans une école traditionnelle, il regagna Odaejin, où il devint pêcheur, malgré son jeune âge, pour gagner sa vie. Comme il demeurait là sans songer à rentrer chez lui jusqu’à l’âge de se marier, son frère aîné alla le chercher pour le ramener à Dashahe, et l’on le fiança contre son gré à une jeune fille du village voisin qu’on avait choisie préalablement. Les fiançailles ayant été arrangées par les parents des deux familles sans le consulter, Kim Ju Hyon n’avait jamais vu sa fiancée.
Indifférent à tout ce branle-bas, il se mit à fréquenter le maître de l’Ecole Kusan, qui avait été dans la région maritime extrême-orientale de la Russie: il voulait s’informer de la révolution russe. On s’affairait chez lui à préparer les noces, lorsque, tout à coup, il avoua à son père qu’il n’avait pas envie de se marier à une jeune fille qu’il ne connaissait pas. Son père eut un sourire ironique, croyant que c’était la pudeur qui lui faisait dire cela. Mais quelques jours avant les noces, il disparut sans laisser de traces.
Ses parents en furent atterrés. La nouvelle de son escapade affola aussi la famille de la jeune fille. Le frère de Kim Ju Hyon erra tout l’hiver de cette année-là à la recherche de son cadet. Il battit toute la région de Jiandao avant d’apprendre par le maître de l’Ecole Kusan que son cadet était passé en Russie. Le frère endura mille peines pour s’y rendre et retrouver son cadet. A peine Kim Ju Hyon fut-il de retour qu’on célébra en hâte son mariage. Cette fois, il ne put s’y dérober.
Or, après son mariage, il ne s’occupa pas du ménage ni de la culture des terres, mais passait le plus clair de son temps hors de chez lui. Après réflexion, son père fit bâtir une maison pour les jeunes mariés. S’il a une famille sur les bras, pensait-il, cet écervelé de fils ne pourra éviter de s’occuper des affaires du ménage et cessera de déambuler de-ci, de-là, pour travailler la terre. Cependant, cette mesure lui donna au contraire toute latitude pour s’adonner à la révolution. Ayant désormais un toit à lui hors du contrôle de ses parents, il était libre de faire ce qu’il voulait: chez lui, il mit sur pied une organisation clandestine et éduquait les gens. Il creusa même une cave chez lui pour s’en servir comme rendez-vous secret et entraîna sa jeune femme dans ses activités révolutionnaires. Excédé, le père finit par en prendre son parti, en s’écriant:
«Il est têtu comme un âne, ni plus ni moins!»
Ce récit me convainquit que Kim Ju Hyon était un homme d’une grande force d’âme. Qu’il ait voulu suivre le chemin qu’il avait choisi lui-même, sans craindre le qu’en dira-t-on, cette fermeté d’âme me plaisait.
C’est avec cette opiniâtreté et cet attachement au progrès qu’il avait organisé une troupe de partisans à Helong, peu après que nous avions créé à Antu l’Armée de guérilla antijaponaise, et qu’il s’était distingué comme commandant de guérilla.
Lui et moi avions opéré séparément pendant des années avant de nous retrouver dans les mêmes troupes au mont Maan où nous organisions une nouvelle division. A la nouvelle que nous formions les unités principales de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne, son détachement et lui accoururent les premiers au mont Maan pour s’y joindre. Son arrivée nous réjouit comme celle d’un bienfaiteur d’autant plus que nous manquions de cadres.
En l’absence de quelqu’un de capable de se charger de l’intendance de nos troupes, c’était Kim San Ho, commissaire politique de régiment, qui s’en était occupé jusque-là. Je nommai donc Kim Ju Hyon chef intendant du Q.G. lorsque je formais les unités. Il s’attaqua à son travail avec poigne. Jamais il ne faisait de bruyant remue-ménage ni ne pressait ses hommes, mais il réussissait haut la main à se procurer des approvisionnements, et nos unités bénéficiaient de son habileté.
Son savoir-faire hors du commun donna toute sa mesure lors des opérations de nos troupes au mont Paektu.
Chaque fois qu’on le voyait partir en mission de ravitaillement, on était sûr de voir des convois d’approvisionnements arriver au camp secret, l’un après l’autre. S’il décidait de se procurer quelque chose, il finissait toujours par y parvenir.
Pendant la lutte armée contre les Japonais, nous n’avions jamais mieux célébré une fête que le nouvel an 1937, ce grâce à l’effort de Kim Ju Hyon; il avait eu soin de bien préparer cette fête, disant qu’on ne pourrait passer médiocrement le premier jour de l’an qu’on fêtât au mont Paektu.
Avant la bataille de Pochonbo, il s’était procuré en collaboration avec O Jung Hup une quantité d’étoffe suffisante pour confectionner plus de six cents uniformes, casquettes, guêtres, cartouchières, sacs à dos et des tentes, ainsi qu’environ six cents paires de souliers et une grande quantité de vivres. Le père de Kim Ju Hyon avait craint que son fils ne fût un étourdi, incapable de nourrir même sa femme, mais il s’était révélé riche en ressources pour nourrir, vêtir et loger une grande famille de plusieurs centaines d’hommes au mont Paektu où l’on n’avait presque rien entre les mains.
Cependant, chaque fois que j’appréciais son effort et le bon ravitaillement qu’il assurait aux troupes, il attribuait cette réussite à la générosité de la population de Xijiandao.
En effet, touchés de le voir travailler sans se ménager, les lèvres boursouflées, les yeux congestionnés, à seule fin de ravitailler les troupes, les habitants de cette région firent tout leur possible pour lui venir en aide.
Kim Ju Hyon était un fils du peuple; il se mêlait volontiers aux gens du peuple, confondait son souffle avec le leur, compatissait à leurs souffrances et faisait l’impossible pour les en soulager. Au camp, il se montrait sensible et généreux envers les combattants comme l’est une mère pour ses enfants. Les habitants de Xijiandao disaient de lui «notre chef intendant Kim».
Kim Ju Hyon avait le don de toucher le cœur des hommes, quelque durs qu’ils fussent, et de plaire. Il plaisait par le doux parfum d’humanité qu’il exhalait, par son attachement à la vérité, sa sincérité, sa loyauté, sa modestie, bref par son noble profil d’homme véritable.
C’était grâce à ces qualités qu’il était devenu excellent ravitailleur de nos troupes et aussi militant politique irremplaçable.
Ce que j’appréciais particulièrement dans son travail, c’était qu’il cherchait à régler tous problèmes qui se posaient par des procédés politiques. Ainsi, s’il avait reçu de nous la tâche de confectionner des uniformes, il expliquait à ses hommes l’urgence et l’importance de la tâche que notre Q.G. leur avait assignée et le moyen de l’exécuter, sans jamais la leur remettre mécaniquement.
Compte tenu de ses qualités distinguées de militant politique, je le chargeai souvent de tâches politiques difficiles et complexes. Quand nous envoyâmes une avant-garde explorer le mont Paektu avant d’y installer notre base, je l’avais nommé à sa tête. Car ce groupe devait explorer le terrain pour choisir des endroits convenables à l’installation de nos camps secrets, fixer le trajet de nos troupes, prendre la mesure de la situation de l’ennemi et sonder l’état d’esprit de la population dans les régions frontalière, ainsi que repérer et éduquer les forces politiques susceptibles d’être incluses dans les organisations révolutionnaires clandestines antijaponaises. Sa mission impliquait donc des activités politiques.
Kim Ju Hyon s’en acquitta de façon satisfaisante. Ce qu’il avait accompli dans la région du mont Paektu mérite de figurer dans un livre et d’être loué. Son avant-garde avait choisi des endroits convenables pour nos camps secrets autour du mont Paektu, à savoir la vallée de Sobaeksu, les monts de l’Ours et du Lion, le mont Sono, Heixiazigou, Diyangxigou et Deshuigou. Kim Ju Hyon avait parcouru les campagnes de Xijiandao, à savoir Diyangxi, Xiaodeshui, Xinchangdong, Guandaojuli, Jongriwonchon, Pinggangde, Shangfengde, Taoquanli et Sanshuigou, etc., et repéré nombre de personnes susceptibles de concourir à l’extension des organisations du parti et au mouvement de front uni ou pouvant servir dans l’armée révolutionnaire. Son avant-garde avait aussi beaucoup fait pour faire connaître notre ligne révolutionnaire exposée dans le Programme en dix points de l’Association pour la restauration de la patrie et sa Déclaration constitutive dans de vastes régions de Corée et de Xijiandao. Elle avait posé ainsi par son œuvre un tremplin à notre lutte armée contre les Japonais.
Chaque fois qu’on avait une tâche lourde à exécuter, on recherchait Kim Ju Hyon avant les autres. Tel qu’il était, il était aimé et estimé de tous; bref, c’était un trésor dans notre armée. Son sens élevé de ses responsabilités, son haut niveau de formation politique, ses capacités d’organisation et son rare savoir-faire faisaient de lui un modèle de commandant. Bref, Kim Ju Hyon était un homme sachant manier aussi bien la plume que le fusil.
Comme j’appréciais toujours son travail et ses qualités, je le nommai à la tête d’un groupe de combattants que nous envoyâmes en Corée à la mi-août 1937, peu après l’éclatement de la guerre sino-japonaise. Comme il a été dit plus haut, après le déclenchement de cette guerre, nous avions décidé d’intensifier nos activités politiques et militaires en Corée, de renforcer nos opérations de perturbation sur les arrières ennemis et d’imprimer un nouvel et grand essor à la révolution antijaponaise, conformément à la situation. Pour y parvenir, il fallait avant tout envoyer, dans des régions déterminées de la Corée, un groupe de combattants aguerris tant sur le plan politique que sur le plan militaire, qui devait opérer pour réaliser nos plans sur place.
Les organisations révolutionnaires de Corée nous avaient informés, par diverses voies, que de nombreuses personnes réfugiées dans les montagnes du littoral de la région sud du Hamgyong du Nord et de la région nord du Hamgyong du Sud, comme Songjin, Kilju, Myongchon et Tanchon, s’efforçaient de prendre contact avec l’ARPC.
Le groupe de Kim Ju Hyon devait entrer en contact avec ces patriotes, tous jeunes, organiser des troupes de partisans avec eux et les entraîner. Pour les hommes de faible constitution, incapables de prendre part à la lutte armée, il fallait organiser des cours spéciaux afin d’en faire des militants révolutionnaires clandestins. Le groupe devait aussi éduquer la population et repérer des éléments susceptibles d’être gagnés à notre cause pour élargir les organisations clandestines et grossir les rangs de l’armée. Nous le chargeâmes également de choisir dans les chaînes de Paektu, de Machon et de Pujon des endroits convenables à l’installation de camps secrets qui devaient servir de point d’appui à notre lutte armée.
L’importance de sa mission nous fit soigner la constitution du groupe: nous y inclûmes des combattants aguerris, pleins de mordant, dont Pak Su Man, Jong Il Gwon (courtaud de Wengshenglazi), Ma Tong Hui, Kim Hyok Chol, qui tous avaient déjà fait leurs preuves dans l’exécution de missions politiques. Autant sa composition — un chef avisé et des combattants expérimentés —, était irréprochable autant notre confiance et notre attente étaient grandes à son égard. De leur côté, le moral de ses membres était au zénith, et j’étais sûr de leur succès.
«J’attends de vous de bonnes nouvelles!»
C’était tout ce que j’avais dit à Kim Ju Hyon en prenant congé de son groupe. Il saisissait toujours correctement mes intentions, sans que je lui donne de longues explications. Que je lui dise une chose, il en devinait dix. C’est pour cette raison que je m’étais toujours abstenu de m’étendre sur les tâches que je lui assignais. A dire vrai, j’avais en lui une confiance quasi illimitée.
Nous comptions donc qu’il serait de retour au bout de quatre ou cinq mois, ou six, au plus tard, avec des résultats positifs.
Or, à notre grande surprise, un peu plus d’un mois ne s’était pas écoulé que son groupe revint. Personne ne s’y attendait. Je lus tout de suite sur le visage de Kim Ju Hyon l’échec de sa mission. Son rapport me stupéfia. Il revenait de Kapsan sans avoir poussé jusqu’à la région de Songjin où l’attendaient les jeunes patriotes.
Voici pourquoi.
Ayant pénétré en Corée en passant par le village de Xinxingcun où opérait Ri Je Sun, son groupe, guidé par un militant de l’organisation de Pak Tal, se dirigeait vers
Kim Ju Hyon décida tout de suite d’opérer un coup de main pour s’en emparer. Ces renseignements avaient excité en lui l’homme de l’intendance. En effet, des lingots d’or pouvaient bien servir au ravitaillement de nos troupes. Son groupe prit d’assaut la mine et se procura une certaine quantité d’or, mais c’était là une victoire à la Pyrrhus, il dut la payer cher par la suite: l’ennemi, alerté par ce raid, se mit à le talonner, lançant à sa poursuite des détachements forts de plusieurs dizaines d’hommes.
Le groupe qui s’était retiré de la mine escalada le mont derrière le village de Toksan, mais il se trouvait encerclé. Kim Ju Hyon écrivit alors un avis qu’il laissa voler au gré du vent.
«Imbéciles, vous ne savez pas encore avec quelle rapidité surnaturelle l’armée révolutionnaire se déplace. Nous voilà déjà au bord du fleuve Amrok. »
Ayant lu cet avis, l’ennemi se précipita vers le fleuve. Kim Ju Hyon en profita pour percer l’encerclement ennemi, mais il ne put plus pousser à l’intérieur du pays. Toutes les régions de montagne des provinces du Hamgyong du Sud et du Nord, tous les chemins susceptibles d’être empruntés par les agents clandestins de l’armée de guérilla étaient déjà gardés par l’ennemi. Kim Ju Hyon prit le parti de remettre à plus tard sa mission et rebroussa chemin. Ainsi, par suite d’une aventure, d’un acte d’indiscipline commis par le groupe, il fallut reporter nos plans de création de forces de résistance en Corée et d’extension de notre lutte armée à son littoral est, plan qui prenait appui sur l’ardeur du peuple pour l’indépendance et l’enthousiasme des jeunes à s’enrôler dans l’armée de guérilla, exaltés plus encore après la bataille de Pochonbo. Les jeunes patriotes qui attendaient le groupe à l’endroit convenu dans la chaîne de Machon avaient dû se disperser de tous côtés, profondément désappointés et regrettant vivement de ne pouvoir rencontrer la mission de l’armée révolutionnaire.
Cette nouvelle avait gravement déprimé les partisans. Ceux-ci dirent d’un air morne que, si Kim Ju Hyon, si rompu dans la mission clandestine, avait rebroussé chemin, à peine entré dans le pays, sans même parvenir à destination, il fallait comprendre que la situation dans le pays était extrêmement tendue. On risquait d’aller jusqu’à estimer impossible pour le moment d’étendre notre lutte armée à l’intérieur du pays. C’étaient là les conséquences de l’erreur de Kim Ju Hyon.
J’avais du mal à y croire. L’erreur qu’il avait commise, séduit par quelques lingots d’or, non seulement avait fait échouer la mission de son groupe, mais aussi avait entravé gravement la réalisation de nos plans. Elle eut une fâcheuse incidence sur les opérations de perturbation que menait l’armée révolutionnaire populaire sur les arrières ennemis et son entrée en Corée. Aujourd’hui encore, je ne puis m’empêcher de me dire parfois avec regret que, s’il s’était rendu sur le littoral est et qu’il ait rencontré les jeunes patriotes, notre lutte armée eût écrit des pages autrement plus riches. Si vifs étaient alors ma déception et mon étonnement.
Je me souviens que j’étais très en colère. Or, chose étrange, je ne pus lui demander de comptes ni le gronder, lui qui attendait, tête basse, une sanction. Quand on est indigné et déçu à l’extrême, on ne peut, me semble-t-il, reprendre le fautif. Je le fixai sans rien dire.
Le comité du parti du Q.G. fut réuni pour examiner son cas. Les participants parlèrent de la gravité de son erreur. Certains, indignés, frappèrent du poing sur le sol. Kim devait recevoir pour la première fois une critique aussi virulente. Il resta assis, l’air abattu, comme quelqu’un pour qui plus rien n’importe désormais.
Comme plusieurs camarades l’avaient justement fait remarquer, s’il avait manqué à la discipline, c’était principalement parce que, pris de présomption et de vanité, il n’avait pas vu clair, étant devenu incapable de voir dans la mission de son groupe une tâche stratégique. Par conséquent, en entendant parler d’or, il avait oublié tout le reste. Il n’avait pas pensé aux conséquences que pourrait avoir son attaque de la mine. Comme il l’avait avoué, il avait compté faire d’une pierre deux coups: mettre la main sur les lingots d’or et organiser un détachement armé avec les jeunes qu’il ne manquerait pas de retrouver.
Certes, je ne doutais pas de la sincérité de ses aveux. Il n’y avait pas là l’ombre d’un faux-fuyant. Nous savions bien quel homme franc et probe il était. Quoi qu’il en fût, toutes les unités étaient comme de juste vivement indignées devant l’inconséquence et l’indiscipline du groupe.
L’envie m’avait pris de proposer de lui pardonner, mais je n’avais pas osé le dire. Commandant, je ne pouvais pas céder aux sentiments ni contrevenir aux principes. Si je fermais les yeux sur son erreur parce que je l’aimais bien, cette indulgence, ce parti pris, aurait par la suite des effets fâcheux à bien des égards. Ce que je pouvais faire de mieux pour lui était de lui fournir l’occasion de se corriger.
Le comité du parti du Q.G. décida de le destituer de son poste de chef intendant, ce que j’approuvai. Mais, en le voyant sortir du Q.G., l’air atterré, je me reprochai de n’avoir rien fait pour prévenir son erreur.
Si, en envoyant son groupe, je lui avais dit d’aller directement rejoindre les camarades qui l’attendaient sans prêter attention à ce qui se passerait autour d’eux en chemin, les choses auraient tourné tout autrement. Mais, je ne m’étais pas douté que pareil incident puisse survenir et que le chef intendant puisse se laisser séduire par quelques morceaux d’or et prendre la liberté de changer d’itinéraire.
Kim Ju Hyon, démis de son poste, mit toute son âme à se corriger, à se redresser, effort qu’on appelle aujourd’hui effort de formation révolutionnaire.
Il fut nommé cuisinier, et, dès les premiers jours, il marcha avec le chaudron sur son dos, lors de nos déplacements. Porter le chaudron devant les combattants qu’il avait naguère encore commandés n’était guère facile. En pareil cas, on demande souvent à être muté ailleurs. Or, Kim Ju Hyon ne semblait guère en être mortifié ou gêné. Il s’appliquait au contraire à sa tâche de cuisinier si scrupuleusement que ses anciens hommes se sentirent plutôt mal à l’aise à le voir ainsi. Mais lui avait toujours l’air gai et était de bonne humeur.
Un jour que j’étais à la cantine du 8e régiment pour m’informer de son travail, je le vis en nage en train de servir les hommes à table.
Juste à ce moment, l’un d’eux vida d’un trait son écuelle de soupe et interpella Kim Ju Hyon à haute voix en tapant sur son récipient avec sa cuillère.
«Hé, amène-toi ici, cuisinier, donne-moi une autre portion de soupe, s’il te plaît!»
Le ton, sans amitié, plutôt ironique, traduisait un mépris flagrant.
Pourtant, celui-ci, comme si de rien n’était, répondit: «Tout de suite!» et s’empressa de lui servir une pleine louche de soupe.
Le soir même, je fis venir l’homme qui avait interpellé Kim Ju Hyon d’un ton persifleur, et je lui dis qu’il ne fallait pas rudoyer ou mépriser celui qui était révoqué de son poste pour une erreur, mais se montrer plus cordial et plus sincère envers lui, qu’il ne fallait non plus lui tourner le dos ou le mettre en quarantaine. L’homme se repentit de sa conduite.
Le poste qu’une personne occupe n’est pas immuable; elle peut être promue à un autre poste ou en être démise. Pour maintenir d’authentiques rapports de camaraderie, il faut voir l’homme, et non le poste qu’il occupe.
On doit aider de son mieux ses voisins surtout quand ils souffrent. Les combattants révolutionnaires antijaponais aidèrent par tous les moyens leurs compagnons d’armes à se corriger de leurs erreurs, surtout quand ceux-ci étaient destitués de leur poste pour ces erreurs, sans jamais penser à leur battre froid ou à les tenir à distance.
Une semaine environ avait passé depuis que Kim Ju Hyon avait été nommé cuisinier, lorsque je m’approchai de lui, au cours d’une marche, et lui dis de me passer son havresac. Je l’avais pris en pitié en l’apercevant qui marchait péniblement avec son fusil, son havresac et le chaudron sur le dos.
Mais il refusa en objectant que la charge ne pesait pas beaucoup. Je pris la bretelle de son sac à dos et voulus l’enlever, mais il desserra ma main et suivit la colonne.
Son obstination me navrait et je me demandai s’il n’avait pas sur le cœur la décision prise lors de la réunion du parti à son sujet. Je lui jetai un coup d’œil, et j’aperçus des larmes qui coulaient de ses yeux. Du coup, je sentis mon cœur se serrer. Quoi, lui si ferme, si rude, pleurer?
C’était un homme qui en avait vu de toutes les couleurs et avait connu de grands malheurs dans sa vie privée. Sa femme était tombée victime d’une expédition «punitive» lancée par l’ennemi alors qu’elle était en mission. Sa fille était morte de maladie. Son fils, son unique descendant, il l’avait confié à des voisins avant de venir rejoindre l’armée de guérilla. Depuis, il ne vivait que pour la révolution.
La nuit même, quand les hommes furent tous endormis, je me dirigeai vers le campement du 8e régiment pour voir Kim Ju Hyon; j’arrivai près de la cuisine de fortune, lorsqu’une scène inattendue me surprit. Il nettoyait le chaudron au bord d’un ruisseau avec une éponge d’herbe alors que je le croyais en train de broyer du noir dans son lit.
Je lui dis d’aller dès le lendemain travailler à la fabrique d’armes, ajoutant que là, loin des autres, n’ayant pas à avaler des humiliations imméritées, il pourrait se sentir tranquille. A cela, il répondit, les larmes aux yeux, qu’il préférait subir sa sanction auprès du Commandant et qu’il ne se sentirait dans son assiette qu’aux côtés de celui-ci.
«Aujourd’hui, je vous ai vu, repris-je, pleurer à la dérobée, et j’ai interprété vos larmes à ma façon, croyant que vous étiez chagriné parce que le travail à la cuisine vous était pénible, et j’ai décidé de vous affecter à la fabrique d’armes.
—Non, répondit-il alors en souriant et me prenant la main, ce n’est pas ça. J’ai pleuré parce que je vous suis fort reconnaissant de votre sollicitude; vous étiez si désolé de me punir que je me sens coupable d’ingratitude envers vous. Savez-vous ce que j’ai redouté le plus lors de la réunion du comité du parti du Q.G. qui examinait mon cas? Je craignais qu’on ne me raie des rangs de l’armée et qu’on ne me chasse au loin. Mieux vaut mourir ici que vivre ailleurs. Exclu des rangs des combattants révolutionnaires, je n’aurais aucune raison de vivre. Qu’on m’ait affecté dans l’équipe de cuisiniers sans me rayer des rangs, j’en suis profondément reconnaissant. »
Voilà pourquoi il était là, à nettoyer le chaudron à coups de torchon végétal à une heure avancée de la nuit. Quoi qu’il m’arrive, peu importe, pourvu que je puisse combattre aux côtés du Commandant, voilà ce qu’il pensait. Qu’importe que je sois commandant ou cuisinier, que j’encaisse critiques et sanctions, pourvu que je ne sois pas exclu des rangs des combattants, voilà ce dont il se préoccupait. Tel était Kim Ju Hyon.
Un homme de ce tempérament accepte volontiers la critique et la sanction: il y voit une autre manifestation de la confiance et de l’amitié des camarades. Kim Ju Hyon avait nettement pris conscience du mal qu’il avait fait à la révolution.
«Je me croyais révolutionnaire chevronné, mais je ne suis qu’un pauvre combattant à la manque. Sans la confiance du camarade Commandant, quelle vilaine figure ferais-je? Les camarades ont vu juste. Ils ont eu raison de me critiquer. Il faut que je devienne un combattant irréprochable à tous égards, je dois profiter de cette occasion pour aguerrir mon esprit», se dit-il.
Et il fit tout son possible pour s’améliorer.
Tout en maniant le chaudron, il étudia beaucoup. En novembre de la même année, le secrétariat du Q.G. avait tiré, à de nombreux exemplaires de format réduit, mon article les Tâches des communistes coréens, et Kim Ju Hyon fut un des premiers à s’en procurer un pour l’étudier de façon approfondie. Il s’appliquait aux études sans se ménager tant et si bien que les autres cuisiniers commencèrent à s’inquiéter pour sa santé; ils appréhendaient que leur ancien chef intendant, si affectionné et si estimé, n’en tombe malade. Et ils finirent par décider d’un commun accord de cacher la brochure qu’il gardait dans son sac à dos dans une fente entre les roches derrière leur tente.
Pendant des jours, Kim Ju Hyon, désolé, fouilla fiévreusement partout à la recherche de son livre disparu. Il en avait maigri. De chagrin, il avait perdu tout appétit. Ses camarades, épouvantés et repentants à cette vue, remirent la brochure dans son havresac en profitant d’un moment de son absence et lui glissèrent: «Camarade Ju Hyon, fouillez à fond votre havresac. Si vous êtes sûr de l’y avoir mise, elle doit être là, dans votre havresac. Impossible qu’il en soit autrement. » Kim Ju Hyon, en retrouvant le livre au fond de son havresac, exulta comme un enfant: «Ah, Dieu merci, c’est à faire pleurer même les divinités.»
Il avait admirablement tenu le coup pour se donner une nouvelle trempe. Révolutionnaire de carrière issu de la classe ouvrière, il s’était montré digne de ses origines. L’effort qu’il déploya pour s’améliorer et se perfectionner témoignait d’une âme si noble, si élevée qu’on ne pouvait le voir sans émotion. Et aujourd’hui encore, je dis souvent à nos cadres: «Tant qu’à faire, faites comme Kim Ju Hyon, si vous voulez vous faire révolutionnaires. »
Six mois après sa destitution, nous le nommâmes chef du 7e régiment. En le désignant à ce poste, au lieu de le réintégrer dans ses anciennes fonctions, nous avions tenu compte de son désir constant de combattre sur les champs de bataille.
Chef de régiment, il combattit bravement. Il donna toute la mesure de ses qualités de commandant avisé et intrépide lors de l’offensive du printemps1938 effectuée par le gros de l’ARPC, à savoir dans les batailles de Jiazaishui et de S
Il tomba au champ d’honneur en octobre 1938, dans une forêt de Nanpaizi, dans le district de Mengjiang, surpris par une troupe «punitive» ennemie alors qu’il ramassait du miel en compagnie de Kim T
Or, après sa mort, quand ses compagnons d’armes avaient ouvert son sac à dos, ils n’y trouvèrent rien, pas même les souliers de rechange dont chaque combattant était obligatoirement pourvu. Selon son ordonnance, il les avait donnés la veille à un combattant qui avait usé les siens.
Son havresac vide, son unique relique, dans mes mains, je ne pus plus contenir les larmes qui me montaient aux yeux. Le riz, les tissus, les chaussures qu’il avait acquis pour notre armée révolutionnaire depuis qu’il était chef intendant jusque-là auraient formé une vraie montagne. Pour ne parler que de chaussures, il s’en était procuré des milliers de paires. Mais il n’en avait pas conservé une seule paire pour son propre usage, ayant donné à d’autres jusqu’à ses souliers de rechange.
Son havresac vide devant moi, je méditai sur la fortune d’un révolutionnaire et sa conception de la vie. De par sa nature, l’homme est enclin à rechercher le bien-être. Dans le monde il y a pas mal d’hommes pour qui seule la richesse a de l’importance; à leurs yeux, Kim Ju Hyon ne serait qu’un va-nu-pieds. Mais pour moi, il est le plus riche des hommes du monde, un vrai nabab pour ainsi dire, car il a gardé jusqu’au dernier moment de sa vie cette pureté, cette noblesse d’âme, qui ne s’achète pas même avec des millions d’écus d’or, qui ne se troque pas même contre la plus grosse des fortunes.
3. La préparation de la paysannerie
La situation créée par l’éclatement de la guerre sino-japonaise exigeait qu’on préparât la résistance de l’ensemble du peuple. Et notre projet se concrétisait: il fallait accroître nos forces, puis, le moment venu, libérer le pays par des opérations militaires de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne et un soulèvement général de la population.
Celui-ci ne serait possible que lorsque la paysannerie, qui représentait dans notre pays la majorité écrasante de la population, y prendrait part. Or, certains refusaient de la considérer comme une des forces majeures de la révolution, disant qu’à la différence des ouvriers elle manquait d’esprit d’organisation et que sa conscience politique était faible. Nous n’étions pas du même avis: elle pouvait constituer une puissante force révolutionnaire si elle était dirigée et organisée correctement. J’en avais fait l’expérience en 1931 lors de la lutte Chusu, expérience qui m’avait convaincu que les paysans pouvaient fournir un immense contingent à la résistance une fois qu’ils auraient acquis une formation révolutionnaire.
L’agriculture dans notre pays, telle que laissée en héritage par nos ancêtres, était restée arriérée, rudimentaire. Quand, dans d’autres pays, on labourait, ensemençait et récoltait à la machine, c’est à la main, comme à l’ère primitive, que nos paysans faisaient ces travaux. Enchaînés de génération en génération aux entraves féodales, ils avaient été cruellement exploités par les gros propriétaires fonciers et les gouvernants féodaux et avaient été l’objet de toutes sortes d’humiliations et de brimades.
Leur sort n’avait fait qu’empirer après l’occupation de la Corée par les impérialistes japonais. La politique ouvertement spoliatrice poursuivie par l’occupant, qui se traduisait par la «loi sur le recensement des terres», le «plan d’accroissement de la production de riz», la «politique d’émigration de paysans coréens en Mandchourie», etc., avait dévasté les campagnes, ruiné l’agriculture et accéléré encore la paupérisation des paysans coréens.
Dès le début de l’occupation, la «loi sur le recensement des terres» avait servi à arracher aux paysans des centaines de milliers d’hectares de terres, qui passèrent entre les mains du gouvernement général japonais, des sociétés d’exploitation coloniale, entre autres la «Société anonyme de colonisation de l’Orient», la «Société anonyme Fuji Kogyo», et des immigrés japonais.
Vint ensuite le «plan d’accroissement de la production de riz», mis en œuvre avec un grand acharnement, qui avait surtout pour but de surmonter la crise alimentaire sévissant au Japon, d’une part, et, de l’autre, d’exporter en grand le capital japonais vers les campagnes coréennes afin d’en tirer des profits fabuleux.
Quant à la «loi civile en Corée» publiée par les impérialistes japonais, elle stipulait: «...Même si le métayer a subi des pertes pour des raisons de force majeure, il n’est pas en droit de revendiquer d’exonération ou de réduction des fermages. » Cela sonnait comme une proclamation interdisant à l’avance, sur le plan juridique, la réaction des paysans coréens qu’ils craignaient de voir réclamer une amélioration de leur condition. Autrement dit, les métayers ne devaient pas bouger, même si la faim les poussait au seuil de la mort. De la sorte, dès le début, le gouvernement général japonais en Corée avait mis en place toutes les institutions nécessaires pour assurer le pillage des paysans par les Japonais propriétaires de fermes et les gros propriétaires fonciers. Les métayers constituant dans notre pays la majorité absolue des paysans, on peut imaginer sans peine l’effet funeste de cette loi sur le sort des paysans coréens. La cupidité et la cruauté de l’impérialisme japonais et des gros propriétaires fonciers japonais qui voulaient leur extorquer le plus de riz possible étaient dignes de fauves. La «Société anonyme de colonisation de l’Orient» disposait, dans chaque région et chaque ferme, d’agents résidents ou de régisseurs aidés de contremaîtres agricoles pour surveiller et contrôler les métayers. En cas de retard dans le paiement des fermages, de «négligence» dans les travaux de culture ou de la moindre opposition au propriétaire de la ferme, le contrat de métayage était annulé immédiatement et la terre, récupérée.
Les Japonais propriétaires de fermes disposaient même d’une maison d’arrêt privée, où ils enfermaient ceux qui se plaignaient d’eux ou réclamaient le droit à l’existence. J’étais élève à l’Ecole Changdok, quand je lus dans un journal un article disant que les Japonais de la ferme de Nakahara surveillaient, le fusil à l’épaule, les paysans qui travaillaient aux champs et qu’ils les menaçaient de mort s’ils lambinaient. J’en fus si indigné que je ne pus fermer l’œil de la nuit.
Les impérialistes japonais emportaient chaque année au Japon 7 à 10 millions de sok (un sok équivaut à peu près à 144 kg—NDLR) de riz, produits avec le sang des paysans coréens. En échange, ils distribuaient aux Coréens du millet mandchou ou des tourteaux de soja. Quels sentiments ces derniers devaient-ils ressentir, en mangeant du millet corrompu à la place de leur riz exquis?
Les propriétaires fonciers coréens, sous l’égide du gouvernement général japonais en Corée, rivalisaient d’acharnement, eux aussi, pour écorcher les cultivateurs. Venaient s’y ajouter les forfaits des intendants de métairie et des usuriers.
La politique agricole réactionnaire poursuivie par l’impérialisme japonais accéléra la désagrégation de la société rurale coréenne: il s’ensuivit l’exode rural et la formation d’une nouvelle couche paysanne dite couche des cultivateurs sur brûlis: un triste tableau caractéristique d’un pays colonisé. Ayant perdu tout moyen de vivre dans leur pays natal, les paysans s’enfonçaient dans les profondeurs des montagnes ou dans les régions désertes pour y cultiver des brûlis. C’était, à leurs yeux, le seul moyen de survie, qui n’était même pas tout à fait sûr. En effet, le gouvernement général menait une «campagne d’expulsion des cultivateurs sur brûlis» sous couvert de «protection de la forêt» et de «prévention des incendies de forêt». Ces pauvres paysans expulsés, j’en avais rencontré plusieurs alors que je militais dans la région de Xijiandao. L’émigration massive de paysans coréens à l’étranger était inéluctable.
Tandis que des Coréens étaient expulsés en masse de leur pays, les impérialistes japonais installèrent en Corée un grand nombre de colons japonais, leur pays souffrant de surpeuplement et de pénurie de vivres. Il était prévu d’amener 4 millions de paysans japonais en Corée rien que pendant la première période de 15 ans de leur «plan d’accroissement de la production de riz». En septembre 1925, Tanaka Kiichi avait fait élaborer et publier par la «Société japonaise d’études de la politique constitutionnelle» un «plan de transfert de 10 millions de Japonais en Corée». Sitôt après qu’il fut devenu premier ministre, il constitua le ministère des Colonies et entreprit la mise à exécution de ce plan. Que deviendrait la Corée si 10 millions de colons japonais y affluaient? La nation coréenne ne serait-elle pas écrasée et étouffée sous cette avalanche de Japonais?
La politique agricole réactionnaire des impérialistes japonais avait précipité les paysans coréens dans un abîme de misère et exacerbé les antagonismes d’ordre national et social, dans les campagnes de la Corée.
Les paysans se dressèrent donc pour la défense de leur droit à l’existence.
Depuis le Soulèvement populaire du Premier Mars, des organisalions paysannes avaient commencé à faire leur apparition, dont la coopérative des métayers, l’association des métayers pour l’entraide, l’association des amis paysans, l’union des métayers. La première était une organisation représentative des premiers temps, attachée à la défense des droits et des intérêts des paysans.
Les conflits de fermages étaient la principale forme de mouvement paysan en Corée sous l’occupation japonaise. Les mots d’ordre lancés dans le cadre de ces conflits dans les années 1920 étaient tous d’ordre économique, revendiquant le droit de louer des terres ou la réduction des fermages, etc. La coopérative des métayers en était la principale promotrice. La coopérative des paysans était la principale forme d’organisation paysanne, universelle, dans le mouvement paysan coréen avant la Libération. Avec l’évolution de la situation, elle en vint à avancer, outre les revendications économiques, des mots d’ordre politiques.
La société de secours mutuel des travailleurs de Corée fut la première organisation nationale de masse. Elle avait en son sein une section des paysans ou des fermiers, où avaient été admis de nombreux métayers: elle joua un rôle important dans le développement du mouvement paysan.
Aux premiers temps, ce mouvement avait connu bien des revers et des tribulations.
Effrayés par les fréquents conflits de fermages avec les paysans, les impérialistes japonais mobilisèrent leur police pour les réprimer cruellement par la force des armes, et arrêter et emprisonner les militants d’élite du mouvement paysan. Par ailleurs, ils cherchèrent en usant du pire machiavélisme à berner et à diviser les paysans au moyen des coopératives agricoles sous le contrôle de 1’«Association des paysans de Corée», qui était à leur solde.
Si le mouvement paysan avait subi, au début, des revers et des vicissitudes, cela s’expliquait aussi par les conséquences néfastes des actions des nationalistes réformistes et des communistes des premiers temps. La plupart des promoteurs et des dirigeants du mouvement paysan étaient, non pas des paysans, mais des intellectuels petits-bourgeois ou des nationalistes réformistes, ce qui était inévitable dans les conditions socio-historiques de cette époque-là.
Les nationalistes réformistes, glissés dans la direction du mouvement paysan, préconisèrent auprès des paysans, qui étaient candides, un «mouvement sans résistance» et prêchèrent la bonne entente et l’amitié entre les métayers et les propriétaires fonciers, au lieu de vaines disputes et querelles, tous leurs conflits pouvant, dès lors, se dissiper d’emblée comme la neige fond au printemps.
Des communistes de la première heure figuraient aussi dans la direction du mouvement paysan; et face à l’essor qu’amorçait celui-ci, ils s’acharnèrent à placer les organisations paysannes chacun sous la coupe de sa fraction. Le mouvement paysan souffrit beaucoup des querelles de ces gens, qui ne se préoccupaient que d’accroître l’influence de leur fraction, même au détriment des intérêts des paysans. Le résultat fut que des discordes et des antagonismes opposaient les organisations paysannes les unes aux autres et les membres d’une même organisation entre eux au point de leur ôter la combativité dans la plupart des cas. Cependant, malgré ces revers et ces difficultés, les paysans poursuivirent leur lutte.
Ils opposèrent une violence révolutionnaire à la violence contre-révolutionnaire de l’ennemi. Des exemples éloquents en furent la lutte des paysans de la ferme Fuji de Ryongchon et la révolte des paysans de Tanchon, de Yonghung (actuellement Kumya), à la fin des années 1920. Le conflit de fermages qui avait éclaté à la ferme Fuji de Ryongchon était une lutte de masse par la violence entreprise en liaison étroite avec de jeunes communistes de la nouvelle génération de l’UAI (Union pour abattre l’impérialisme—NDLR) en mission dans la région de Ryongchon.
A la fin des années 1920 et au début des années 1930, l’Internationale syndicale rouge et le secrétariat du Syndicat ouvrier de tout le Pacifique, affilié à la première, avaient proposé plus d’une fois d’organiser un syndicat ouvrier rouge et un syndicat paysan rouge dans les pays riverains du Pacifique, et, depuis, des mesures concrètes avaient été prises en Corée pour créer des syndicats ouvriers et paysans révolutionnaires.
L’apparition de syndicats paysans rouges dans notre pays date ainsi du début des années 1930. Les anciennes organisations paysannes furent réorganisées en syndicats paysans rouges. On employait le mot «rouge» ou «gauche» pour les distinguer de ceux d’obédience réformiste. Le terme «rouge» était alors d’un très large usage dans le mouvement communiste.
La plupart des syndicats paysans rouges se trouvaient concentrés dans la région septentrionale de la Corée.
Jusqu’aux années 1920, c’était dans le Sud que se trouvait la majorité absolue des organisations paysannes, et les conflits de fermages y étaient plus fréquents. C’est que la région méridionale, dont la plaine de Honam, comptait beaucoup plus de familles paysannes que le Nord.
Cependant, il n’en était plus de même au début des années 1930. Le principal théâtre du mouvement paysan était dorénavant dans le Nord; les organisations paysannes révolutionnaires y étaient plus nombreuses, et les actions paysannes à caractère violent plus fréquentes. Ces changements s’expliquaient principalement par le fait que le mont Paektu abritait alors la base d’opérations de la Révolution coréenne et que cette région était voisine de Jiandao et de l’Union soviétique.
Des syndicats paysans rouges virent le jour non seulement dans la région septentrionale, mais aussi dans la région méridionale du pays, surtout dans la région de Samnam (région des provinces du Kyongsang, du Jolla et du Chungchong—NDLR).
La lutte armée que menaient les communistes coréens contre les Japonais en Chine du Nord-Est et dans la région frontalière septentrionale de la Corée contribua puissamment à l’extension des syndicats paysans rouges. En effet, toutes les organisations paysannes apparues dans la régions septentrionale de la Corée après le déclenchement de notre lutte armée avaient été constituées par la population locale en lutte contre les Japonais en étroite liaison avec nous; pas une n’était apparue spontanément. En témoigne un passage de la résolution du syndicat paysan de Myongchon, insérée dans le procès-verbal du jugement du tribunal régional de Hamhung lors de l’affaire de ce syndicat:
«Il est résulté de cette action l’incendie de la mairie du district de Yanji et de l’antenne du consulat japonais, des échanges de coups avec l’armée japonaise, qui dut battre en retraite; tous s’étaient engagés dans la lutte révolutionnaire sous la direction unifiée du Général
Kim Il Sung.»
Cet exemple montre de façon évidente que les syndicats paysans opéraient dans la région septentrionale de la Corée sous l’égide de notre lutte armée contre les Japonais.
Cependant, le mouvement paysan dirigé par les syndicats paysans rouges souffrait de graves insuffisances, dues aux agissements néfastes des opportunistes de gauche et des nationalistes réformistes.
Après avoir coiffé les syndicats paysans de bonnets «rouges», les opportunistes de gauche élevèrent un haut mur autour de ceux-ci pour pratiquer une politique de cloisonnement. A l’exception des métayers, des paysans pauvres et des valets de ferme, tous étaient considérés comme des éléments appartenant à des classes hostiles ou peu sûres et tenus à l’écart par conséquent.
Même les paysans moyens patriotes et les propriétaires fonciers hostiles au Japon n’étaient pas admis dans les syndicats paysans rouges. Dans certains villages, dit-on, les syndiqués et les non-syndiqués puisaient de l’eau potable dans des puits différents, si insensée était la politique de cloisonnement à l’époque.
Celle-ci eut pour effet d’étouffer l’élan patriotique des paysans non syndiqués, de conduire ceux-ci à regarder d’un mauvais œil tout ce que faisaient les syndicats paysans. Même les enfants étaient partagés en deux camps, celui des enfants de syndiqués et celui des enfants de non-syndiqués.
Un autre défaut des activités des syndicats paysans rouges, c’étaient leurs démarches «extrémistes». Les syndiqués se complaisaient dans des actions brutales et extrémistes, preuves incontestables, à leurs yeux, de l’esprit révolutionnaire. Ainsi, si la direction soulignait la nécessité de combattre la superstition, ils attaquaient des églises, en cassaient les vitres à coups de pierres ou renversaient la croix du toit, et ils allaient détruire des autels traditionnels et écrasaient sous leurs pieds les victuailles posées en offrandes. Ils arrachaient même les bibles des mains des fidèles qui entraient ou sortaient de l’église et les déchiraient devant tout le monde. Si la direction disait de rejeter le mariage précoce, ils allaient attaquer le cortège d’un jeune marié qui se rendait à cheval chez sa future épouse pour l’amener chez lui; ils s’emparaient de son cheval ou retenaient le jeune homme pour empêcher le mariage. Et le jeune marié, effrayé, s’enfuyait chez lui ou, terrifié, éclatait en sanglots.
Par conséquent, bien des gens étaient enclins à dénigrer tout ce que faisaient les syndicats paysans, rebutés par ce genre de démarches grossières, malgré les services appréciables que ceux-ci rendaient dans la mesure de leurs moyens à l’œuvre de libération nationale et sociale des paysans.
La plus grave insuffisance que nous avions relevée dans les activités des syndicats paysans rouges était qu’ils opéraient sans prendre de mesures stratégiques et tactiques pour assurer leur sécurité. Voilà pourquoi ils n’avaient pu échapper à la répression de l’ennemi ni parer aux actions néfastes des fractionnistes et des nationalistes réformistes.
Nombre d’entre eux se firent repérer d’eux-mêmes à la première occasion. Le fait que syndiqués et non-syndiqués utilisent des puits différents pouvait révéler à tous venants les paysans syndiqués, mais les dirigeants des syndicats paysans n’y prêtaient aucune attention. Un espion de l’ennemi, confortablement installé dans une chambre, pouvait noter en un rien de temps, en regardant par la fenêtre, toutes les familles qui puisaient de l’eau dans le puits réservé aux paysans syndiqués.
Certaines organisations syndicales gardaient en bonne et due forme la liste de leurs adhérents et le registre de versement des cotisations comme on le fait de nos jours dans les organisations périphériques du parti au pouvoir, autre imprudence qui risquait d’exposer l’organisation. Aussi, chaque fois qu’il découvrait une cachette, l’ennemi s’emparait de la liste et arrêtait tous les syndiqués qui y figuraient; ainsi d’un seul coup, il mettait souvent la main sur 200 ou 300 militants.
Ces quelques exemples montrent que les organisations syndicales des paysans, au mépris des règles du secret et de la sécurité, militaient à découvert et sans défense et cherchaient à combattre l’ennemi, auquel cet exhibitionnisme insensé permettait de les détruire presque totalement.
Il leur manquait aussi un système d’action cohérent leur permettant d’agir de façon solidaire et de coordonner leur action.
Tous ces défauts tenaient à la faiblesse et au manque de maturité de la direction du mouvement paysan, soit à l’absence de direction communiste pertinente. La direction du mouvement paysan de l’époque n’avait pas d’orientations scientifiques ni de stratégie et tactique de développement correctes.
Cependant, en dépit de ces insuffisances et de ces limites, le mouvement des syndicats paysans rouges avait beaucoup contribué au développement du mouvement paysan dans notre pays. Les plus convaincus des dirigeants des syndicats paysans et les paysans syndiqués luttèrent inlassablement contre l’impérialisme japonais et les propriétaires fonciers, sans reculer devant les vagues successives d’arrestations, afin de faire aboutir leurs revendications politiques et économiques.
Et nous appréciions le courage, l’esprit de masse et la fermeté dont avaient fait preuve les paysans au cours du mouvement syndical paysan. Tout rendait justice à notre position, selon laquelle les paysans constituaient, à côté de la classe ouvrière, une force majeure de la résistance nationale. Avec l’éclatement de la guerre sino-japonaise, il devenait possible d’accélérer la préparation de cette résistance. Et il était très important de sensibiliser et d’organiser la masse des paysans, qui représentait plus de 80% de la population du pays. Il fallait les préparer en même temps que les ouvriers. C’était une tâche primordiale de la révolution antijaponaise.
Un des moyens les plus efficaces à employer à ces fins était, estimais-je, d’affilier les organisations paysannes existantes en Corée aux organisations locales de l’Association pour la restauration de la patrie.
Or, nombreux étaient ceux, parmi nos cadres militaires et politiques, qui les répudiaient sans rime ni raison en les taxant de gauchisme ou de droitisme. Ils préconisaient d’organiser de nouveaux syndicats paysans et d’oublier les anciens.
Or, en estimant bons à rien les organisations et le mouvement paysans du passé et en jugeant inutile de les restaurer ou de les réorganiser, on glissait dans le nihilisme. Ce n’était ni raisonnable ni conforme aux exigences du mouvement communiste ou à l’esprit de la Déclaration constitutive de l’ARP; une telle position ne faisait que nuire au regroupement des paysans, car c’était rejeter en bloc la base posée et les réalisations accomplies par le mouvement paysan précédent.
Il fallait rallier toutes les organisations existantes sous le drapeau du front uni national contre les Japonais sans égard à leurs appellations ni à l’importance de leurs mérites passés, pourvu qu’elles s’opposent au Japon, à l’impérialisme et au féodalisme. La question était de savoir comment réorganiser les anciennes organisations syndicales paysannes qui étaient sur le point de se disloquer, en fonction de l’esprit du Programme en dix points de l’ARP et de sa Déclaration constitutive.
A la réunion des commandants organisée pour préparer la résistance du peuple tout entier, nous décidâmes de réorganiser tous les syndicats ouvriers et paysans pour les affilier à l’ARP ou les placer sous son influence. C’était au fond imposer notre direction au mouvement révolutionnaire en territoire coréen. C’est dans cette optique que nous choisîmes les agents politiques qui seraient envoyés en mission en Corée.
A l’époque, dans les rangs de nos révolutionnaires il y avait nombre d’anciens militants des syndicats paysans, dont Kim Yong Guk et An Tok Hun, et l’on en comptait un grand nombre, ainsi que d’anciens militants du mouvement indépendantiste, dans la région de Xijiandao, proche de nous.
Notre prise en main du mouvement paysan en Corée se réalisa par plusieurs canaux.
Le rôle essentiel dans cette entreprise fut joué par les agents politiques choisis parmi les combattants du gros de notre armée et les militants clandestins formés par les organisations de la région de Xijiandao de l’ARP. Pour se rendre compte de leur concours à la rénovation du mouvement paysan en Corée, il suffit d’examiner ce qu’avaient accompli nos agents politiques dans le sud de la province du Hamgyong du Nord.
Après la création de l’ARP, nous y avions envoyé des agents politiques expérimentés, dont Jo Jong Chol, Ryu Kyong Su, C
Ho Song Jin, un des dirigeants du syndicat paysan de Songjin, établit le contact avec nous par l’intermédiaire de notre agent politique, Ri Pyong Son, ancien militant du syndicat paysan. Il était venu, à mon appel, dans la région de Xijiandao, mais n’avait pas réussi à me voir à cause de l’attaque de la mine de Jungphyong. Mais il rencontra, à Kapsan, Pak Tal, qui lui communiqua notre ligne pour le mouvement révolutionnaire en Corée. De retour dans son pays natal, il l’expliqua à la réunion des réfugiés des trois arrondissements méridionaux de la province du Hamgyong du Nord, en septembre 1937, réunion qui permit une large diffusion, dans la province du Hamgyong du Nord, de notre ligne révolutionnaire et de notre orientation stratégique de front uni national.
Nos agents politiques se mêlèrent aux révolutionnaires et aux éléments actifs des syndicats paysans du pays et déployèrent des efforts inlassables pour les imprégner de nos idées sur la résistance de l’ensemble du peuple et sur le front uni national contre les Japonais, pour ainsi transformer les syndicats paysans en filiales de l’ARP ou les placer sous son influence.
Grâce à leurs efforts et à ceux des dirigeants des syndicats paysans restés fidèles à leurs idées, un changement important s’opéra dans le mouvement paysan en Corée.
Ce qui attirait l’attention dans ce mouvement était en tout premier lieu sa vive sympat
Le rapport sur la situation extérieure et intérieure présenté à la réunion de l’amicale des femmes, organisée en automne 1936 à Myongchon, disait: «...Un soviet des ouvriers et des paysans a été instauré à Shijiudaogou. Kim Il Sung est passé en Corée à la tête d’un groupe de propagande qu’il avait formé, pour se livrer à des activités d’agitation et de propagande... Camarades, il est certain que désormais Kim Il Sung viendra souvent dans le pays. » Une résolution rédigée par un syndicat paysan de la même région, presque à la même époque, notait: «Un combat a eu lieu à Shijiudaogou, dans le district de Changbai, en vue d’établir un soviet. Bilan du combat: 3000 tonnes de bois d’œuvre incendiées ainsi que l’office de sylviculture, le consulat japonais; 8 laquais kidnappés; un combat avec l’armée japonaise qui a battu en retraite. La lutte s’est déroulée de façon révolutionnaire sous le commandement général de Kim Il Sung.» Pulgunchumo (Souvenir rouge—NDLR), journal du syndicat paysan de Kilju, dans un numéro spécial consacré à l’anniversaire de la Révolution d’Octobre, lançait ce mot d’ordre: «Soutenons par tous les moyens les troupes de Kim Il Sung!» Tout cela montrait quels grands progrès le mouvement paysan avait accomplis sur le plan politique dans les années des syndicats paysans rouges par rapport à l’époque précédente où il ne s’était intéressé qu’aux problèmes économiques.
Le fait que les organisations révolutionnaires de Corée, les syndicats paysans rouges en premier lieu, aient suivi d’un œil admiratif les actions de notre armée révolutionnaire populaire était tout à fait favorable à notre prise en main du mouvement révolutionnaire en territoire coréen.
Un changement d’orientation faisant date fut opéré dans le mouvement paysan en Corée depuis notre prise en main de ce mouvement.
Les syndicats paysans rouges se départirent de leur ancienne orientation qui consistait à se pencher exclusivement sur la lutte des classes, et tournèrent le fer de lance de leurs attaques contre les impérialistes japonais. A preuve un passage d’un document d’un syndicat paysan: «La tâche qui revient au syndicat paysan xx est de convertir en ardeur révolutionnaire les ressentiments et les mécontentements des masses contre le Japon. »
Les plus convaincus des dirigeants du mouvement paysan élargirent les catégories pouvant adhérer aux syndicats paysans. Le procès-verbal des entretiens entre des pionniers d’une région atteste qu’à l’époque les dirigeants du mouvement paysan avaient proposé d’admettre dans les structures de base du syndicat paysan non seulement les paysans pauvres, mais aussi les paysans moyens et riches ainsi que les éléments actifs de toutes les autres couches, et avaient mis cette orientation en pratique. Que l’on considérât comme une exigence générale du développement des syndicats paysans que d’admettre dans l’organisation, sans s’occuper de leurs origines sociales, tous ceux qui consentaient à observer la discipline de l’organisation, à garder le secret et à soutenir la lutte, cela répondait à l’esprit de la Déclaration constitutive et du Programme en dix points de l’ARP. Un syndicat paysan rouge avait constitué un comité de petits-bourgeois et un comité d’étudiants placés sous son contrôle, et y avait admis merciers, vendeurs, gargotiers, courtiers, gros commerçants, manœuvres, et même écoliers.
Certains syndicats paysans intégrèrent à leurs actions contre les Japonais jusqu’aux propriétaires fonciers de bonne foi. D’autres en admirent dans leur groupe de propagande, en dirigeant la lutte contre les travaux de construction de routes entrepris par les Japonais, ils combinaient habilement les actions légales et illégales en faisant entrer leurs militants dans les organismes des échelons inférieurs de la domination impérialiste japonaise, dont le corps d’autodéfense, et dans les organisations à la solde des Japonais, pour les rendre graduellement «rouges». Une des brochures qu’ils avaient fait paraître à l’époque critiquait la tendance à rejeter la possibilité d’action légale, la qualifiant d’opportunisme de gauche, et recommandait d’utiliser pleinement et habilement toute possibilité d’action légale.
De nombreux syndicats paysans, tout en s’assurant l’autonomie dans leurs activités, entretenaient des liens étroits entre eux et coordonnaient leurs actions sur tous les plans, depuis l’information sur leurs travaux jusqu’au choix de moyens de lutte et à la définition des objectifs de lutte.
Ces changements intervenus sous notre influence favorisèrent la restructuration révolutionnaire des organisations paysannes existantes.
Nos agents politiques œuvrèrent activement à ces fins en collaboration avec les militants locaux. Ainsi apparurent de nombreux réseaux de l’ARP à la place des anciennes organisations syndicales des paysans dans les provinces du Hamgyong du Nord et du Sud; et les organisations locales de l’ARP, dont la section de Sinuiju, étendirent leur influence jusque sur les paysans de la région du cours moyen du fleuve Amrok.
Nos agents fondèrent dans le sud et le centre de la Corée des organisations paysannes révolutionnaires sous divers noms, prenant appui sur les organisations de l’ARP qui fonctionnaient à Pyongyang, Nampho, Cholwon, Séoul, Inchon, Taegu, Pusan, Jonju et Kwangju.
Tout en organisant les paysans, nos agents politiques et les militants locaux s’attachèrent à les sensibiliser, à les imprégner d’esprit d’indépendance et de souveraineté, à les amener à se convaincre que le peuple coréen devait libérer lui-même son pays par ses propres moyens.
A ces fins, les publications des organisations paysannes insérèrent nombre d’articles traitant du Programme en dix points de l’ARP.
Tout cet effort avait poussé les paysans à prendre conscience de leur mission historique. Par le canal de leurs organisations, les paysans acquirent les idées antijaponaises, apprirent la situation intérieure et extérieure, la loi de l’évolution de la société, les perspectives de la Révolution coréenne, les opérations victorieuses de l’ARPC. Leur foi en la victoire en devint inébranlable.
Nos agents, dans les régions du mont Kuwol et de Pyoksong, procédèrent par l’intermédiaire du militant local, Min Tok Won, à une réorganisation révolutionnaire du syndicat paysan de Pyoksong. Min Tok Won fut envoyé par la suite, à bord d’un bateau, avec d’autres militants actifs locaux, à Inchon, où il travailla énergiquement à sensibiliser les membres des syndicats ouvriers et paysans de la région.
Kim Jong Suk, de son côté, partit à la mi-juillet 1937 pour la région de Tanchon et de Riwon, en passant par Phungsan. Elle rencontra Ri In Mo dans la commune de Phabal, dans l’arrondissement de Phungsan, et discuta avec lui du moyen d’étendre le réseau de l’ARP en y admettant comme noyau les membres du cercle de lecture rouge.
Ri In Mo a été un des témoins oculaires de l’attaque effectuée par un groupe de l’Armée révolutionnaire coréenne, envoyé en mission en Corée, contre le poste de police de Naejung, dans la commune de Phabal, au cours de laquelle ce groupe avait exécuté un chef policier japonais pervers surnommé «Opasi». Encouragés par ce fait d’armes, les pionniers de cette région constituèrent un cercle de lecture rouge et entreprirent des actions contre les Japonais. Ri In Mo en était membre. En 1932-1933, il fut incarcéré à deux reprises et passa environ une année en prison.
A ce que j’ai appris lors de mon récent entretien avec lui, il était passé à deux reprises à Erdaogang, zone d’opérations de l’ARPC, dans l’espoir d’entrer en contact avec nous. Quand un détachement appartenant aux troupes de partisans de Mandchourie du Sud avait attaqué Tonghungjin, il avait poussé jusque-là, tant il désirait s’enrôler. Or, malgré tous ces efforts, il n’avait pu nous rencontrer, n’ayant pas réussi à trouver une antenne de notre réseau, et s’en était retourné chez lui. C’était vraiment regrettable. S’il avait alors réussi à nous contacter, il aurait vécu une vie tout à fait autre.
Même après deux séjours en prison, il n’avait cessé de militer. Membre du comité révolutionnaire de Phungsan, il avait opéré énergiquement dans la filiale de la commune de Phabal de ce comité, dans la troupe de choc des ouvriers du chantier de construction du barrage de Hwangsuwon et dans la troupe de producteurs-partisans du col Huchi à Ansan.
A la fin de septembre 1938, Kim Jong Suk le rencontra de nouveau à Phungsan avec ses collègues du comité révolutionnaire de Phungsan et discuta avec eux des mesures à prendre pour étendre leur organisation et intensifier leurs activités dans la zone ennemie.
Après cette rencontre, Ri In Mo travailla énergiquement à étendre les organisations locales de l’ARP. Il établit le contact, au cours de son travail, jusqu’avec le groupe communiste de Séoul, une des organisations que nous nous étions proposé de gagner dans le cadre de notre travail pour imposer notre direction au mouvement communiste en territoire coréen. Voilà ce qui fut bien remarquable dans les activités de Ri In Mo à l’époque. Avec Ju Pyong Pho, il fit connaître à ce groupe notre ligne pour la restauration de la patrie et étendit ainsi la sphère de notre influence jusqu’au mouvement de Séoul.
Ju Pyong Pho, qui fit part de notre ligne à Kim Sam Ryong, était l’ancien supérieur de Ri In Mo dans le cercle de lecture rouge de Phungsan. Il avait pris part au mouvement étudiant contre les Japonais dès l’époque de ses études au Lycée Tonghung à Longjing. Inscrit dans une école de Séoul depuis 1937, il était souvent passé à Phungsan et avait établi des liens étroits avec les communistes sous notre influence. Au cours de ces voyages, il avait pris contact avec Kim Jong Suk qui opérait dans cette région et obtenu une connaissance assez correcte de notre ligne, de notre stratégie et de notre tactique pour le mouvement révolutionnaire en Corée. Kim Jong Suk et lui discutèrent des mesures à prendre pour regrouper dans notre mouvement de front uni national contre les Japonais les communistes opérant en Corée centrale et à Séoul.
Ri In Mo évoque quelle avait été la joie de Kim Sam Ryong lorsqu’il fut informé de notre ligne en matière de front uni national.
Ju Pyong Pho et Ri In Mo pénétrèrent parmi les ouvriers de divers secteurs de la région de Séoul, métallurgie, textile, fibres, imprimerie, teinture et vêtements, et créèrent des syndicats ouvriers avec des éléments actifs, en vue de poser la base de la résistance de l’ensemble du peuple, et travaillèrent inlassablement à imposer notre direction aux organisations révolutionnaires de Corée.
Ri In Mo a rendu des services appréciables au mouvement révolutionnaire dans le pays et a beaucoup contribué également à étendre le réseau de l’ARP jusqu’au Japon. En été 1940, sur les directives de Ju Pyong Pho, il passa à Tokyo avec, sur lui, un exemplaire du Programme en dix points de l’ARP et transforma en organisation révolutionnaire l’amicale des étudiants originaires de Phungsan à Tokyo, qui gagnaient eux-mêmes leur vie.
Comme on le voit, ce n’est pas par hasard que Ri In Mo est devenu ce qu’il est aujourd’hui. C’est l’organisation de l’ARP et les combattants du mont Paektu — ceux-ci ont enduré mille épreuves pour semer les graines de l’ARP dans le sol de la patrie sur trois mille ri — qui ont fait de lui un symbole de volonté et de foi, bien connu dans le monde entier.
Une fois sa mission accomplie à Phungsan, Kim Jong Suk se mit en route pour la région de Tanchon, sur le littoral de la mer de l’Est. Parmi les éléments de pointe de cette région, celui qui attirait le plus notre attention était Ri Ju Yon, ancien membre de l’Association Singan, un des dirigeants du syndicat paysan de l’endroit, qui avait pris part à la révolte paysanne de Tanchon en 1930.
Kim Jong Suk le rencontra par l’intermédiaire d’un membre de l’ARP de l’endroit, alors qu’il se soignait dans un temple bouddhique au fond d’une montagne, après 7 ans passés en prison depuis cette révolte.
Après lui avoir témoigné sa compassion pour la maladie qu’il avait attrapée à la suite des souffrances endurées en prison, elle lui expliqua notre ligne de front uni national contre les Japonais et notre orientation en fait de résistance de l’ensemble du peuple et l’invita à travailler à éveiller et à regrouper les paysans de la région pour les préparer à un soulèvement général.
Celui-ci jura de se consacrer à la révolution. Il dit: «Autrefois, prétendant militer pour une quelconque œuvre, j’ai couru de droite et de gauche, jour et nuit, mais j’étais alors dans une barque vétuste équipée d’une boussole abîmée à la dérive en pleine mer. Maintenant, je suis à bord d’un bateau neuf. »
Après son entrevue avec Ri Ju Yon, Kim Jong Suk partit pour Riwon: à la baie de Chaho, elle rencontra Ri Yong, fils du martyr patriote Ri Jun, héros de l’affaire des envoyés secrets à La Haye. Impliqué dans l’affaire du syndicat paysan de Pukchong, il avait été arrêté et emprisonné. Relâché, il dirigeait alors l’association antijaponaise qu’il avait organisée.
Après l’immolation de son père à La Haye, il s’était jeté dans le mouvement de l’armée indépendantiste, suivant les dernières volontés de son père qui avaient été: «Tu dois te consacrer corps et âme au service du pays», mais par la suite il ne tarda pas à s’en détourner, pris de dégoût. Il avait compris que ce mouvement n’aboutirait à rien tant qu’il n’aurait pas de direction judicieuse, quelque brillante que fût son enseigne.
Un temps, il s’était mêlé au mouvement communiste. Mais là aussi, ayant remarqué que les fractions, aussi coupées des masses que des gouttes d’huile flottant sur l’eau, passaient leur temps à se chamailler dans l’intérêt de leur propre groupe, il hocha la tête. Les querelles entre fractions étaient aussi fréquentes au village de syndiqués paysans où il avait pris une part active à ce mouvement par la suite. Les militants snobs, qui portaient de longs cheveux à l’instar de Marx, trônaient à la direction du syndicat et lançaient des injonctions.
Un jour, n’y tenant plus, Ri Yong critiqua l’un d’eux qui rétorqua d’un air hargneux: «Vous voilà bien arrogant. Est-ce parce que vous êtes le fils de Ri Jun? Mais personne ne nous octroiera l’indépendance même si on la réclame à l’étranger en répandant son sang. »
Ri Yong éclata en sanglots en se frappant la poitrine. Un outrage lancé contre lui-même, il eût pu le supporter, mais non quand on blasphémait l’amour que son père avait témoigné pour la patrie. Il en eut le cœur déchiré. La plaie ne se referma pas avant de longues années.
La conclusion qu’il avait tirée de ses activités au sein du mouvement de l’armée indépendantiste, du mouvement communiste de la première heure, puis du mouvement syndical paysan fut que les masses, aussi puissantes qu’elles pussent être, ne pouvaient rien sans un guide avisé.
Tout en regroupant ses camarades dans son organisation, il cherchait à entrer en contact avec un réseau du mont Paektu.
Kim Jong Suk lui apprit notre plan de préparer les paysans de la région au sud du col Huchi à une résistance populaire.
Il donna sa parole de nous soutenir et de se consacrer à l’œuvre sacrée de restauration de la patrie. En la quittant, il lui dit que la survie de la Corée était assurée grâce à moi et que j’étais le «véritable président» de la Corée.
Une fois, j’ai lu l’Histoire de l’association Kumran, livre dont les organisations révolutionnaires de la région septentrionale de la Corée se sont servies jadis comme texte d’éducation.
L’enquête faite sur son origine nous a appris qu’elle avait été rédigée par une personne de Pukchong. On trouvait une belle pinède dans la commune de Chonghung, dans l’arrondissement de Pukchong. Le site, pittoresque et calme, servait de lieu de distraction aux lettrés des environs, qui s’y réunissaient de temps en temps pour faire parade de leur talent en poésie.
Afin de tromper la surveillance de la police, les plus actifs des militants antijaponais de Pukchong fondèrent, avec des lettrés de l’endroit, une association appelée «association Kumran». «Kumran» signifiait amitié à toute épreuve, aussi solide que le fer et aussi belle que l’iris. C’était une sorte de confrérie des amis.
La plupart des militants clés de Pukchong étaient membres de cette association. Avec des lettrés de l’endroit, ils se réunissaient souvent dans la pinède et, feignant d’organiser un concours de composition, travaillaient à améliorer leur formation idéologique. Et un membre de cette association, le doyen d’âge, très estimé pour son érudition, écrivit l’Histoire de l’association Kumran, où l’on trouvait l’expression de «véritable président de la Corée. »
En septembre de cette même année, Ri Yong constitua le groupe du parti de Pukchong, dont il devint responsable. Au départ, le groupe était constitué par des éléments clés de l’association antijaponaise de Chaho. Par l’entremise de ce groupe, Ri Yong affilia cette association et les syndicats paysans et ouvriers des environs à l’ARP et, ce faisant, il prépara les forces de résistance de l’ensemble du peuple sur le littoral de la mer de l’Est au sud du col Huchi.
Une fois le contact établi avec le réseau du mont Paektu, un grand changement s’opéra aussi dans la vie de Ri Ju Yon.
Chargé d’une mission d’une signification nouvelle pour lui, il repartit le jour même où il avait promis à sa femme de retourner chez lui et s’embarqua sur le chemin de la lutte. Il avait ressenti une profonde compassion pour sa femme, en quittant son pays natal où il laissait seule cette jeune femme qui, pendant sept ans, avait tout fait pour alléger sa vie en prison. Cependant, refoulant ses sentiments personnels, il dit adieu à sa femme venue le chercher au temple.
Depuis lors pendant huit ans, jusqu’au jour de la Libération, il vécut en célibataire sans connaître ce qu’étaient les douceurs de la vie conjugale, se déplaçant sans cesse pour éviter la surveillance ennemie, et se consacra à inciter, en collaboration avec ses camarades, les ouvriers et les paysans à la lutte contre les Japonais.
Après la Libération comme à l’époque où il militait les yeux tournés vers le mont Paektu, il travailla, de même que Ri Yong, loyalement, sans changer de foi.
Ri Won Sop compte parmi les dirigeants des syndicats paysans de Corée qui ont milité pour la formation du front uni et la préparation de la résistance de l’ensemble du peuple en soutenant le Programme en dix points de l’ARP. Il réorganisa le syndicat paysan de sa région pour l’affilier à l’ARP et dirigea l’organisation antijaponaise clandestine de Kilju. En 1932, à Wangqing, il avait participé avec ses camarades à l’attaque du service de sécurité publique de Dakanzi, pour s’emparer des armes qui s’y trouvaient afin d’armer la troupe de partisans contre les Japonais qui venait d’être fondée. Il fut par la suite envoyé par son organisation en mission en Corée où il combattit dans la clandestinité. Les membres de son réseau firent tout leur possible pour aider l’armée révolutionnaire. Des fois, il se procura de grosses quantités de papier à l’Usine de cellulose de Kilju et les envoya au mont Paektu. A l’époque, les organisations paysannes du littoral de la mer de l’Est transportèrent au vu et au su de tous par camions jusqu’à Sinpha et à
Les militants des syndicats paysans déployèrent aussi d’énergiques activités de propagande et d’agitation parmi les paysans, pour les appeler à préparer une résistance de l’ensemble du peuple en s’alignant sur notre lutte armée.
Des militants du syndicat paysan de Jongphyong avaient parlé de notre lutte même en prison; ceux de Myongchon aussi avaient mené une large propagande à notre sujet en invitant la population à rejoindre la lutte antijaponaise.
Les martyrs patriotes qui ont donné leur vie pour mettre en œuvre notre ligne en Corée dans les années de la préparation de la résistance de l’ensemble du peuple se comptent par dizaines de milliers. Ces innombrables révolutionnaires, connus ou inconnus, ont regroupé, en collaboration avec nos agents, partout dans le pays, des millions de paysans autour de l’ARP.
Par suite de la réorganisation révolutionnaire des syndicats paysans, le mouvement paysan de notre pays s’est aligné sur la lutte armée contre les Japonais, ce qui a beaucoup favorisé et accéléré son développement. Les organisations paysannes ont lutté partout dans le pays pour appliquer le Programme en dix points de l’ARP et contribué efficacement au renforcement du front uni national contre les Japonais et à la préparation accélérée de la résistance de l’ensemble du peuple, mais au cours de cette lutte, la révolution dans l’intérieur du pays a perdu un grand nombre de militants des syndicats paysans et de syndiqués patriotes.
Le mouvement paysan occupe, de même que le mouvement ouvrier, une place notable dans l’histoire de la lutte de libération nationale contre les Japonais de notre pays, axée sur la lutte armée contre les Japonais. Nous ne devons pas oublier ces vétérans révolutionnaires qui ont donné leur vie pour la restauration de la souveraineté nationale et l’émancipation sociale de la paysannerie en luttant contre la tyrannie fasciste des impérialistes japonais, en bravant la force brutale des armes.
4. C
brigade indépendante
Pendant l’été 1937, alors que la guerre sino-japonaise venait d’éclater, le gros de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne, qui opérait la plupart du temps dans les régions de Changbai et de Linjiang, attendait la brigade indépendante qui devait arriver de Mandchourie du Nord.
C’était une unité constituée principalement de nos combattants, de ceux-là mêmes qui, depuis les premiers jours de la guerre de guérilla, avaient partagé avec nous les joies et les souffrances.
Comme cela avait été décidé lors de la Conférence de Yaoyinggou du printemps 1935, toutes les unités de l’ARPC en Mandchourie de l’Est s’étaient transférées, comme je l’ai déjà dit, sur les vastes étendues de Mandchourie du Nord et du Sud, pour s’y livrer à des opérations énergiques conjointement avec des troupes chinoises. Nous avions alors coopéré en Mandchourie du Nord avec des unités de la 5e armée; nous avions détaché une partie du régiment de Wangqing et de celui de Hunchun pour l’envoyer rejoindre Kim C
Au cours du long trajet que les hommes avaient fait pour y arriver, leurs rangs avaient grossi. Et au printemps 1937, cette unité, d’ores et déjà brigade indépendante, se mit en route pour regagner la région de Xijiandao. C
Après la Conférence de Xigang, j’avais ordonné à tous mes hommes qui opéraient en Mandchourie du Nord de venir me rejoindre dans la région de Xijiandao.
Or, la brigade que nous attendions tant n’arriva à Linjiang que longtemps après notre bataille de Pochonbo et les Evénements du 7 Juillet.
Leur aspect nous étonna. Leurs uniformes tombaient en lambeaux; leurs brodequins, usés et déchirés, étaient enroulés dans de l’étoffe et ficelés avec des cordes de coton ou de paille.
Tapotant son dos que couvrait un uniforme usé, je dis à C
Mais il se reprochait d’être arrivé en retard, d’avoir perdu en route de nombreux compagnons d’armes irremplaçables, dont le chef de compagnie C
La brigade, partie de Mandchourie du Nord au début de mai, avait marché pendant plusieurs mois; le trajet qu’elle avait fait depuis Yilan jusqu’au bassin du fleuve Amrok était long de 4 000 km. Et quelles épreuves n’avait-elle pas dû connaître au cours de ce pénible et long chemin!
Rim Chun Chu, lui, regrettait sa boîte d’aiguilles d’acupuncture qu’il avait perdue en route, à laquelle il tenait comme à un trésor depuis l’âge de 17 ans. La boîte contenait même, selon lui, deux aiguilles d’or dont le milieu était aminci par un long usage.
«Oui, c’était une dure marche, dit-il. Ici, j’ai l’impression d’être dans un monde de conte de fées quand je vois ces nombreuses tentes dressées en bon ordre. »
Et il ajouta qu’il se souvenait mal quand il avait dormi la dernière fois sous une tente.
Tout de suite, je fis venir le chef intendant de mes troupes et lui ordonnai de donner des tentes aux nouveaux venus, pour leur permettre de se reposer suffisamment, et aussi de leur fournir des uniformes neufs. Sitôt après le repas du soir, C
Je leur expliquai la situation:
«...Les Evénements du 18 Septembre se sont terminés par l’occupation de la Mandchourie par le Japon; mais ceux du 7 Juillet ne finiront pas de la même façon. Actuellement, le peuple chinois s’est dressé dans son ensemble pour riposter aux troupes d’agression impérialistes japonaises. Jiang Jieshi (Tchang Kaïchek), lui non plus, ne pourra cette fois se soustraire à ce combat d’envergure. Sur l’initiative du Parti communiste chinois, un front uni national contre les Japonais a été formé avec le Guomindang; le gros de l’armée rouge en Chine du Nord-Ouest a été réorganisé pour former la 8e Armée de route de l’Armée révolutionnaire nationale sous les ordres de Zhu De. Si l’armée rouge et l’armée du Guomindang coopèrent et poursuivent la guerre pendant de longues années, le Japon dont le potentiel et les effectifs sont limités ne pourra pas tenir.
«Ces jours-ci, l’armée japonaise déferle comme des vagues furieuses en se vantant de sa force, mais les symptômes de sa ruine apparaissent d’ores et déjà sur son drapeau.
«Nous avons tenu, relativement à cette guerre, plusieurs réunions pour adopter les décisions nécessaires. Notre tâche à nous est, suivant les orientations indiquées lors de ces réunions, de lancer des opérations de perturbation énergiques sur les arrières ennemis et de préparer la résistance à l’échelle nationale en accroissant les forces révolutionnaires en Corée. Les principaux théâtres de ces opérations sont le bassin du fleuve Amrok et la Mandchourie du Sud. La guerre se poursuit principalement en Chine du Nord, et les convois de matériel de guerre japonais doivent passer par ces régions-là. C’est pourquoi nous sommes là, dans le bassin du fleuve Amrok. Vous devez, vous aussi, opérer désormais ici ou en Mandchourie du Sud...»
Ils exprimèrent un vif regret d’avoir manqué la bataille de Pochonbo et celle du mont Jiansan.
C
C
Après la Libération, C
Après la bataille, la nouvelle brigade avait reçu de moi l’ordre de s’acheminer vers la région de Xijiandao. Cet ordre eut un vif impact: les combattants de la brigade, désignés pour se rendre dans la région de Xijiandao, furent transportés de joie, au point d’en oublier même de manger pendant toute la journée, tandis que Kang Kon, Pak Kil Song et autres, qui devaient rester en Mandchourie du Nord, se sentaient si malheureux, si désolés qu’ils se refusèrent eux aussi à manger.
La marche de la brigade vers le sud fut pleine de vicissitudes.
Le jour même, C
Au début, la marche fut sans encombre, mais, quand plusieurs unités furent venues grossir les rangs et qu’on dut se déplacer sous le commandement unique de Fang Zhensheng, qui commandait la brigade, la confusion s’installa.
Aux dires des combattants qui avaient pris part à cette marche, comme Rim Chun Chu, Ji Pyong Hak, Kim Hong Pha et Kim Ryong Gun, c’était dû principalement à la divergence d’opinions entre le chef de brigade, Fang Zhensheng, et le secrétaire du comité du parti de la brigade, C
Comme, depuis Dongjingcheng, il lui était arrivé fréquemment de tomber sur des troupes ennemies importantes, C
Par conséquent, elle se heurta souvent à l’ennemi et subit des pertes importantes, ce qui affecta sérieusement ses mouvements. Cependant, malgré les difficultés innombrables, les combattants ne pensaient qu’au jour où ils iraient combattre dans la patrie. Un jeune partisan, grièvement blessé, en expirant dans les bras de C
C
C
«...Nous sommes repérés par l’ennemi. La marche par petites unités nous aurait permis de nous dissimuler, mais, comme vous ne l’avez pas acceptée, nous n’avons pu éviter les revers, et nous avons perdu nombre de nos compagnons d’armes. Si nous continuons à nous déplacer de cette façon, nous subirons des pertes plus importantes encore. Il nous faut décrocher rapidement pour ne pas donner à l’ennemi le temps de nous encercler. Il faut que nous traînions l’ennemi à notre guise, et non qu’il nous poursuive comme il l’entend. La marche à cheval nous permettra de garder l’initiative de l’action et de tirer l’ennemi par le bout du nez, pour l’écraser le moment venu. Si nous nous débattons comme maintenant, acculés à la défensive, nous finirons par subir une débâcle. »
Cette proposition fut également rejetée par Fang Zhensheng. Selon lui, la marche à cheval était suicidaire. Aucun effort de persuasion n’eut prise sur lui. La question fut donc portée devant le comité du parti de la brigade.
Le comité soutint l’idée de C
Comme C
Grâce à cette marche à cheval, la brigade avait pu reprendre haleine. Mais arrivée aux abords de la ligne de chemin de fer Dunhua-
Le chef de brigade trouva la situation sans issue et pensa rebrousser chemin.
C
A ce moment de vive controverse, ils virent une unité de l’armée fantoche mandchoue apparaître sur la grande route, non loin d’eux. A la vue de cette colonne, C
—Quoi? s’écria le chef de brigade en ouvrant de grands yeux, comment ça, suivre l’ennemi?
—Maintenant, expliqua C
Le chef de brigade ne put plus objecter.
Comme l’avait dit C
C
Le comité du parti de la brigade se pencha sérieusement sur leur controverse.
C
«...Parmi les hommes ici présents, qui veut se sauver seul?! Personne d’entre nous ne craint la mort. Mais nous ne devons pas mourir avant d’arriver à notre destination. Si nous perdons en route tous nos combattants qui souhaitent tant aller combattre dans la patrie, par quoi pourrons-nous, nous autres commandants, expier ce crime? S’ils tombent et nous aussi, à cause de la stupidité d’un ou deux commandants, qui mènera la grande guerre contre les Japonais et la révolution? Il n’y a pas d’autre choix que de marcher par petites unités si l’on veut conserver les forces de la brigade et arriver dans la région de Xijiandao. »
Presque tous les commandants critiquèrent le chef de brigade en le qualifiant d’aventuriste. Certains allèrent jusqu’à l’accuser de lâcheté camouflée sous couvert de camaraderie. En effet, à en juger par sa conduite ultérieure — il se rendit plus tard à l’ennemi — ce n’était pas sans fondement qu’il fut qualifié de lâche. Certes, il ne s’était pas rendu à l’ennemi de lui-même, mais, ayant été arrêté, il avait cédé à la menace, au chantage et à la séduction de l’ennemi. Quoi qu’il en fût, le capitulationnisme et la trahison étaient en germe en lui depuis longtemps; le manque de foi et la lâcheté s’étaient souvent révélés dans sa vie quotidienne. Cette fois aussi, il avait pris peur, c’était évident, à l’idée que, si la brigade se dispersait, si ses unités aguerries et ses commandants intrépides le quittaient, il n’aurait aucune garantie de sa sécurité personnelle.
Après la réunion de Piaohe du comité du parti de la brigade, celle-ci se mit à marcher par petites unités et réussit à percer l’encerclement ennemi.
Mais Fang Zhensheng n’arrivait pas à digérer les conseils de ses camarades. Il en voulait surtout à C
Officier de l’ancienne armée de Chine du Nord-Est, il avait reçu une instruction militaire régulière et, de plus, il était commandant de la brigade, tandis que C
Juste à ce moment, l’ennemi survint. C
Fang Zhensheng embrassa alors C
Ce qui me réjouit le plus dans le compte rendu des opérations de cette brigade en Mandchourie du Nord et de sa marche vers le sud, c’était que tous les combattants de la brigade s’étaient bien acquittés des tâches qui leur étaient assignées, répondant ainsi à notre attente et qu’ils étaient beaucoup plus aguerris que lorsqu’ils nous avaient quittés
Cela était surtout vrai pour C
Enfant, il avait été valet de ferme, puis ouvrier sur des chantiers de construction de chemins de fer. Une fois enrôlé dans l’armée de guérilla, doué qu’il était d’un esprit lucide, il avait appris sans grande difficulté le tir et les exercices d’ordre serré. Compte tenu de ses aptitudes et de ses qualités morales, je l’avais nommé instructeur politique de compagnie. Mais lui, effarouché, vint me supplier: «Je suis encore moins préparé à être instructeur politique dont la mission est d’éduquer les autres. Ce que je suis sûr de faire de mieux, c’est d’abattre des Japs et leurs laquais. J’aimerais mieux demeurer simple combattant du rang.
—Insufflez, lui dis-je, dans le cœur de vos combattants l’amour de la patrie et la haine des Japonais que vous ressentez vous-même. Vous aurez alors très bien rempli votre mission d’instructeur politique.» Puis je lui remis un carnet sur la première page duquel j’écrivis: «Apprenez même en écrivant à même la terre.»
Depuis, il s’était appliqué avec ardeur aux études et aux exercices militaires. Il avait même appris les caractères chinois.
Il y avait à cela une raison intéressante. Un jour, il vint me demander le sens d’un groupe de caractères chinois, «Ijonghwaryong», et je le lui expliquai en en lui indiquant la prononciation et le sens de chacun d’eux; il murmura alors: «Heu, voilà qui est merveille que ce chinois classique! Je regrette de n’avoir pu fréquenter l’école traditionnelle. »
Il avait toujours porté dans son havresac un dictionnaire chinois-coréen.
Comme je l’ai déjà mentionné dans les chapitres précédents, la bataille pour la défense de Xiaowangqing, très acharnée, avait duré plus de 90 jours, et au cours de ces 90 jours, C
Un jour, de passage à Sancidao où cantonnait sa compagnie, je lui avais dit: «Un instructeur politique doit savoir danser et chanter s’il veut rendre sa compagnie pleine d’allant et optimiste.» Depuis, il sortit chaque nuit pour s’exercer à danser en cachette. Il s’y était appliqué tant et si bien qu’un jour, à l’aube, la cuisinière de la compagnie, Ko Hyon Suk, le vit gigoter et se trémousser; elle courut dire d’une voix pleine d’effroi au chef de compagnie que l’instructeur politique devait avoir la tête fêlée. A ses paroles, l’autre se tint les côtes. Cela devint une anecdote célèbre à Sancidao.
C
Lors de nos opérations de Macun qui avaient duré plus de 90 jours contre un ennemi fort de plus de 5 000 hommes, la 2e compagnie où servait C
A la longue, j’avais fini par prendre l’habitude de le laisser à ma place pendant mon absence ou de l’envoyer à ma place en missions importantes. Voilà la raison pour laquelle lui et moi, nous nous étions trouvés la plupart du temps séparés loin l’un de l’autre, bien que nous fussions liés d’une solide amitié.
En le voyant en pleine maturité, je pensai à mes nombreux autres compagnons d’armes qui faisaient preuve de talents militaires remarquables dans la grande guerre contre les Japonais: C
Parmi les commandants en vue de la résistance contre les Japonais dont l’ennemi avait mis la tête à prix, aucun, sauf C
En détaillant la figure de C
«Voilà, nous avons formé un nombre suffisant de cadres dignes de confiance; on peut confier à chacun d’eux une zone d’opérations. Une fois le moment venu, on peut leur confier les troupes et les envoyer exécuter les opérations de libération de la patrie, qui dans la province du Hamgyong du Nord, qui dans la chaîne de montagnes de Rangrim, qui du côté du massif de T
Le jour où la brigade arriva, C
«Sans l’idée de voir le mont Paektu, nous serions tombés à mi-chemin. Que nous devions combattre la mort pour atteindre coûte que coûte le sol de la patrie, cette idée nous a soutenus quand la mort nous frôlait et nous a donné la force de nous relever quand la fatigue nous jetait à terre. Lorsque je combattais à Wangqing, je suis passé quelquefois à Onsong, mon pays natal. Mais ces dernières années, je n’ai pas été dans la patrie. Il me tarde de sentir sous mes pas le sol de la patrie. »
A ces paroles, j’eus un serrement de cœur, je lui pris la main et dis: «La patrie vous manque, cependant je ne peux exaucer de sitôt votre désir de fouler le sol de la patrie. » Cette nuit-là, je lui annonçai ce que je voulais lui dire un ou deux jours plus tard.
A l’époque, les unités de l’Armée antijaponaise unifiée en Mandchourie de l’Est et du Sud souffraient d’un manque de cadres militaires et politiques. Les troupes de Mandchourie du Sud avaient subi des pertes importantes lors des expéditions «punitives» de l’ennemi, et celui-ci se vantait: «Les bandits communistes sont exterminés jusqu’au dernier en Mandchourie du Sud, et l’ordre public est rétabli.» La première armée, fortement éprouvée, avait de la difficulté à engager des opérations. La relance de la guérilla dans cette région, devenue très importante au point de vue stratégique par suite de l’éclatement de la guerre sino-japonaise, exigeait avant tout un renfort de cadres militaires et politiques compétents. De plus, il fallait prendre des mesures énergiques pour assurer la sécurité des commandants; la mort du chef de division Cao Guoan avait mis cette question à l’ordre du jour dans les troupes de Mandchourie du Sud. Les commandants étaient unanimes à juger nécessaire d’affecter des cadres militaires et politiques compétents et des combattants aguerris aux unités de gardes du corps qui devaient jouer un rôle de garde, de pivot dans l’armée ou dans chaque division. Compte tenu de cette situation, Wei Zhengmin me demandait depuis le printemps dernier de lui remettre la brigade de C
J’étais bien au courant de la situation pénible des troupes de Mandchourie du Sud et de l’importance stratégique de leurs opérations dans cette région, ainsi que du tracas et du désir de Wei Zhengmin, et je ne pouvais rejeter sa demande pressante.
Quand j’avais demandé pardon à C
—Merci pour votre gentillesse, dis-je. En fait, j’avais voulu retenir à mes côtés ne fût-ce que ceux qui ont combattu avec moi depuis Wangqing, mais le vieux Wei (Wei Zhengmin) les convoite plus que d’autres. »
Ayant appris la nouvelle de l’arrivée de la brigade indépendante, Wei Zhengmin vint me voir dès le lendemain. Il dit d’un ton grave:
«Le récit des camarades de la brigade indépendante m’a bouleversé. Oui, c’est vrai, le sort d’une unité dépend de ses commandants. L’indécision des commandants mène une troupe à la débâcle. Fang Zhensheng n’a pas les qualités pour être chef de brigade. Je comptais lui confier le régiment de gardes du corps, mais il faudra que je renonce à mon idée. En Union soviétique, les officiers de l’ancienne armée tsariste ont rendu des services appréciables pendant la guerre civile, mais nous n’avons pas, il faut le dire, une telle chance chez nous. Il est difficile de trouver des cadres militaires ou politiques, capables de commander un régiment de gardes du corps. C’est là un véritable problème. »
Ces plaintes cachaient son désir de me voir choisir, parmi les Coréens, des hommes pouvant servir comme chef et commissaire politique de régiment.
Ce jour-là, une réunion se tint pour dresser le bilan de la marche de la brigade. Là, on apprécia C
«...User de la tactique de l’armée régulière en ignorant celle de guérilla, c’est agir aussi absurdement qu’une hirondelle qui ferait la chasse aux insectes en courant sur terre, et non en parcourant le ciel. Selon les livres d’art militaire de l’ancienne époque, celui qui sait s’il faut se battre ou non gagne le combat; bon guerrier est celui qui met l’adversaire sur la défensive et guette le moment de le vaincre.
«Où que ce soit et quel que soit l’adversaire, nous devons engager le combat quand nous sommes sûrs de gagner en employant des tactiques de guérilla ingénieuses...»
Etaient présents à la réunion Wei Zhengmin et autres commandants et soldats chinois, et je dus parler en coréen et en chinois.
Après, nous formâmes un nouveau régiment de gardes du corps et nommâmes Ri Tong Hak, chef de la compagnie de gardes du corps de mes troupes, chef de ce régiment et C
Wei Zhengmin cachait mal sa joie. Mais de ceux qui furent affectés à ce régiment, beaucoup regrettèrent de nous quitter, désirant rester auprès de nous. Rim Chun Chu, lui, me supplia de l’envoyer rejoindre le groupe de travail politique en mission en Corée.
Quelques jours plus tard, le nouveau régiment de gardes du corps partit avec Wei Zhengmin pour la région de Huinan en Mandchourie du Sud. A la veille de son départ, C
«Vous partez pour la Mandchourie du Sud sans même avoir eu le temps de vous remettre de la fatigue de vos opérations en Mandchourie du Nord, lui dis-je. Excusez-moi si je vous envoie au loin sans vous donner le temps de reprendre haleine.
—Non, ne me parlez pas ainsi. Votre confiance m’inspire et me donne courage et force.
—On dit que Huinan est soumis à un contrôle rigoureux de l’ennemi. Soyez prudent en tout. N’agissez pas de façon aventureuse comme vous l’avez fait quand vous avez attaqué le poste de police à l’embarcadère à Onsong. »
Il s’agissait là de l’attaque qu’il avait effectuée au début de 1935, à la tête de sa compagnie, contre un poste de police à l’embarcadère de Jangdok, sur la rive coréenne du fleuve Tuman. C’était un coup de main opéré à titre d’essai avant notre marche vers la patrie, conçue depuis longtemps.
Un poste de police installé près du bac surveillait et contrôlait les passants, et les flics étaient si méchants que les militants clandestins avaient toutes les peines du monde à transporter du ravitaillement d’Onsong à notre armée; souvent les policiers le leur confisquaient, sous prétexte que certains articles étaient prohibés. L’organisation révolutionnaire clandestine d’Onsong nous avait priés de corriger ces malfaiteurs. Et j’avais ordonné à la compagnie de C
A l’aube, il passa subrepticement le fleuve Tuman gelé et disposa ses hommes autour du poste de police, où il pénétra seul. Un seul policier y montait la garde, et tout allait s’arranger sans bruit, lorsque, tout à coup, il vit le policier tomber à coups de pied sur le garçon de courses, en l’accusant de n’avoir pas allumé à temps le poêle; il en perdit la tête et abattit le flic d’un coup de revolver. Il dut par la suite se replier précipitamment, sans même avoir eu le temps de faire un discours devant les gens rassemblés là pour obtenir l’autorisation de passer le fleuve.
C’était un petit incident avec à peine un policier exécuté, mais son impact fut énorme: quelques combattants de l’armée de guérilla avaient osé attaquer ouvertement un poste de gardes frontière au su et au vu de tous, disait-on, et qui pouvait savoir quels événements bouleversants allaient se produire à l’avenir? Ce fut en effet le signal des opérations d’anéantissement que nous allions lancer contre l’ennemi sur la rive coréenne des fleuves Amrok et Tuman.
«Quel blanc-bec j’étais alors! Un peu plus prudent, j’aurais pu faire un discours devant les gens et aurais soulagé ceux-ci... Hélas! par mon imprudence, je n’ai pu atteindre l’objectif principal.
—Certes, il faut agir hardiment, mais un commandant doit être circonspect en tout temps et en tous lieux. Vous devez désormais, répondre du sort de votre régiment, mais aussi de la sécurité du Q.G. de l’armée. Soyez prudent en tout. N’oubliez pas que le goût de l’aventure nuit à tout. Vous devez venir sans faute nous rejoindre pour accomplir la grande œuvre qu’est la restauration de la patrie. Je vous rappellerai, vous tous, lorsque nous lancerons des opérations de libération de la patrie. Je vous rembourserai alors généreusement ce que je vous dois depuis la bataille de Pochonbo qui s’est déroulée en votre absence.
Encouragé par ces paroles, il me quitta, l’air joyeux, à la différence du moment de son départ pour la Mandchourie du Nord. En Mandchourie du Sud, il s’acquitta admirablement des tâches révolutionnaires qui lui étaient assignées, en entretenant des contacts étroits avec nous. Quand il était parti pour cette région, je lui avais dit de s’efforcer de gagner à notre cause les troupes de l’armée indépendantiste qui opéraient dans le bassin du fleuve Amrok, notamment à Huanren, à Jian et à Tonghua. Là aussi, il avait obtenu des résultats tangibles. Wei Zhengmin m’informait non sans fierté des faits d’armes de son régiment de gardes du corps chaque fois qu’il m’envoyait un agent de liaison. L’une de ces informations, qui reste aujourd’hui encore dans ma mémoire, était que C
Un jour qu’il passait, à la tête de son régiment, près d’un centre important de l’ennemi, il apprit, en y faisant faire une reconnaissance, que des centaines d’hommes de l’armée et de la police fantoches mandchoues y stationnaient. Il eut l’idée d’envoyer une lettre au chef des troupes ennemies:
«...Nous ne considérons pas les Chinois comme nos ennemis ni ne voulons en faire nos ennemis. Nous n’avons nullement l’intention de vous faire du mal, et vous, de votre côté, ne nous dérangez pas, car nous avons besoin de repos, et nous voulons nous détendre un moment dans la ville de Fuerhe que vous tenez sous votre contrôle. Je vous avertis donc de ne pas nous déranger. »
Cette lettre tenait compte de la mentalité des hommes de l’armée fantoche mandchoue qui cherchaient à éviter autant que possible tout affrontement avec l’armée de guérilla.
L’adversaire lui envoya une estafette pour lui promettre qu’il se conformerait à la demande de l’armée révolutionnaire et lui demander d’attendre une trentaine de minutes. Pendant ces trente minutes, les troupes mandchoues évacuèrent la ville et se retirèrent dans la montagne. Si elles avaient laissé les troupes de partisans entrer dans la ville en y restant elles-mêmes, elles n’auraient plus eu aucun prétexte pour se justifier plus tard quand l’armée japonaise viendrait leur demander des comptes.
Le régiment de C
La nuit tombée, les Chinois, dans la montagne, impatients, se mirent à siffler pour faire savoir aux partisans leur situation délicate, car ils craignaient l’arrivée des troupes japonaises, mais ne pouvaient pour autant exiger le départ de l’armée de guérilla.
C
«...Merci de nous avoir laissés nous reposer. J’espère que vous nous considérerez comme des amis et nous aiderez à l’avenir aussi. L’impérialisme japonais, ennemi commun des peuples coréen et chinois, est voué à la ruine. Ceux-ci ne manqueront pas de l’écraser...»
De cette façon, il fit changer d’opinion de nombreux soldats de l’armée fantoche mandchoue et les amena à s’opposer au Japon. L’étonnant était que la plupart des lettres de ce genre rédigées en chinois et envoyées aux chefs de troupes mandchoues étaient de sa plume.
Sillonnant de long en large les vastes étendues de la Mandchourie du Sud et du Nord, pendant la seconde moitié des années 1930, il avait soutenu par tous les moyens les opérations des troupes de guérilla chinoises de l’Armée antijaponaise unifiée. De ce fait, il jouissait de l’estime du peuple et des camarades révolutionnaires chinois en tant que combattant internationaliste. Où qu’il allât, les amis chinois lui témoignèrent un amour profond et une grande estime, en louant son esprit internationaliste prolétarien et les services qu’il avait rendus à l’amitié coréo-chinoise.
Qu’est-ce qui a fait de lui un commandant en vue de la résistance contre les Japonais, bien connu dans toute la Mandchourie du Nord et du Sud?
Chaque instant de la révolution antijaponaise a eu la force de métamorphoser les hommes à l’égal d’un jour, d’un mois, voire d’une décennie en temps ordinaire. De même que le fer devient acier dans le feu, de même les analphabètes, les va-nu-pieds, les humiliés devinrent des combattants, des héros, des pionniers dans les tourbillons de la révolution et s’affirmèrent comme protagonistes de la transformation sociale et de l’enfantement d’une époque nouvelle.
C
Voici une anecdote illustrant ses qualités humaines.
Après la libération du pays, le 15 août 1945, alors qu’il venait de fonder son ménage, Rim Chun Chu passa chez lui et demanda, pour rire, à la femme de son camarade si son mari lui plaisait. Esquissant un sourire timide, elle lui demanda s’il était vrai que son mari avait été partisan; après quoi elle raconta une anecdote qui s’était passée lors des compétitions sportives qui avaient eu lieu dans l’unité de C
Ce jour-là, les membres des familles des militaires avaient été invités à y assister, et la femme de C
«N’as-tu pas d’autres robes? Tu étais là en robe de toile de chanvre, devant les hommes de mon unité...»
Sa femme eut un rire sonore au mot de «robe de toile de chanvre», car il prenait sa robe de ramie pour une de toile de chanvre de mauvaise qualité.
«C’est de la toile non pas de chanvre, mais de ramie. Pour les vêtements d’été, rien n’est meilleur que cela.
—Hé! est-ce vrai?»
C
La femme ajouta qu’elle se demandait souvent comment un homme aussi naïf que lui avait pu combattre les Japonais.
L’ayant écoutée, Rim Chun Chu rit aux éclats, puis dit d’un ton grave:
«Vous avez vu juste. Votre mari est un homme candide et simple s’il en fût. Il s’est reproché pendant des années de ne pas avoir pris soin d’un garçon qui saignait du nez, roué de coups par un policier, garçon qu’il avait vu lors de son attaque du poste de police à l’embarcadère d’Onsong. Mais votre mari est aussi un homme fort et intrépide. Examinez de près sa jambe gauche. Vous y trouverez une grande cicatrice. L’os en avait été fracturé par une balle. C’est moi qui l’ai opéré, sans anesthésie. La douleur a dû être terrible. Mais il l’a supportée sans geindre. C’est un mouton devant le peuple et ses camarades, un tigre devant l’ennemi, un homme d’acier devant les difficultés, tel est votre mari. Vous saurez avec le temps combien il a une âme forte. »
Or, contrairement à la prédiction de Rim Chun Chu, leur vie conjugale ne dura pas longtemps.
Le 30 juillet 1950, environ un mois après l’éclatement de la grande Guerre de libération de la patrie, C
«Je vous prie d’exécuter à ma place jusqu’au bout les ordres du camarade Commandant suprême. »
Telles furent les dernières volontés qu’il avait confiées à Ji en lui serrant la main.
Le jour où la nouvelle de sa mort me parvint, j’eus grand-peine à croire que c’était vrai, tant son image, lui qui boitait légèrement de la jambe gauche, était nette devant mes yeux. Cette jambe était devenue un peu plus courte que l’autre, l’os en ayant été fracturé dans un combat contre les Japonais. Avec sa jambe infirme, il avait pourtant parcouru des dizaines de milliers de ri. Au lendemain de la Libération, il fut directeur d’une division du camp de formation des cadres de sécurité et se consacra entièrement à l’accroissement du potentiel militaire du pays, tantôt en traversant des fleuves, tantôt en escaladant des montagnes abruptes avec ses élèves en exercice.
Une statue en bronze le représentant en uniforme au temps de la révolution antijaponaise se dresse aujourd’hui dans une rue d’Onsong, son pays natal, sur la rive du fleuve Tuman, qu’il avait passé comme le seuil de sa maison dans sa jeunesse, semant la terreur chez l’ennemi.
Les sculpteurs rendirent visite à sa femme pour obtenir une connaissance exacte de sa physionomie et de son caractère.
«Quel est le plus vif de vos souvenirs du camarade C
Telle fut la première question posée à sa femme.
«Rien de particulier, fit-elle, sauf sa grande réserve si l’on peut dire. Car pendant les quelques années de notre vie commune il n’a pas dit plus d’une centaine de mots. S’il avait été d’un tempérament impétueux et m’avait giflée ne fût-ce qu’une seule fois, j’en aurais gardé le souvenir, mais non!»
Elle regrettait fort de n’avoir rien de particulier à évoquer de leur vie conjugale, cependant elle ajouta:
«Voyez mon second fils, si vous voulez. C’est son père tout craché. Il est doux. Pour ressembler à son père, il doit être fort et intrépide, mais je ne sais pas s’il le sera ou non. Pourtant, je compte l’élever de façon qu’il le soit. » Paroles pleines de bon sens.
A la différence des premiers temps de leur vie, elle savait bien maintenant ce que valait son homme.
Oui, c’était un homme infiniment doux, mais aussi fort et intrépide, un brave et excellent commandant de la guerre contre les Japonais.
5. L’Appel de Septembre
En septembre 1937, face à la guerre sino-japonaise, nous lançâmes un appel à tous nos compatriotes coréens et envoyâmes de nombreux agents politiques en Corée. Moi aussi j’étais décidé à m’y rendre. Il s’agissait de hâter la préparation d’un soulèvement de l’ensemble du peuple, là où se trouvaient concentrés de gros effectifs de la classe ouvrière. La première destination était le secteur de Sinhung, dans la province du Hamgyong du Sud, et la deuxième, celui de Phungsan; une dizaine d’hommes devaient s’y rendre avec moi.
Pénétrer profondément dans notre patrie qui était alors une zone dangereuse contrôlée par l’ennemi, accompagné seulement d’un nombre réduit de gardes du corps, c’était une entreprise des plus risquées.
Nos cadres militaires et politiques me prièrent à maintes reprises d’y renoncer. Quand je fus prêt à partir, en tenue civile, le «Vieux à la pipe» s’efforça par tous les moyens de me retenir: «II n’est pas question de laisser mon Commandant pousser jusqu’aux environs de Hamhung, dans une telle tenue. La surveillance ennemie est, dit-on, fort rigoureuse. »
Cependant, je ne revins pas sur ma décision. Mon esprit était alors tout travaillé par le désir irrésistible de remédier aux conséquences de l’échec que le groupe de Kim Ju Hyon avait subi en Corée.
Les impératifs de l’Appel de Septembre me tenaient à cœur: j’estimais de mon devoir de les exécuter moi-même.
Quand j’avais dit mon intention de me rendre moi-même en Corée, Kim Ju Hyon et les hommes de son groupe étaient troublés plus que personne. Décontenancé, Kim se demandait même si ce n’était pas parce que son groupe avait gâché le plan important que le Commandant voulait y aller opérer en personne. En fait, il serait faux de dire que je ne leur en voulais point.
En rédigeant l’Appel de Septembre, nommé ainsi parce qu’il fut publié en septembre, nous avions accordé de l’importance dans les grandes lignes à deux points: l’un était de donner à notre peuple une idée juste des rapports entre la guerre sino-japonaise et la Révolution coréenne, de façon qu’il ne perde pas confiance et continue de plus belle sa lutte contre les Japonais.
A l’époque, parmi les gens pouvant lire les journaux, nombreux étaient les pessimistes qui jugeaient impossible l’indépendance de la Corée, déçus de l’extension des hostilités sino-japonaises et des victoires de l’armée japonaise. Dès le début d’août de cette année, de prétendues célébrités comme C
Ces articles, nous les avions lus nous aussi.
C
Un des corédacteurs du Manifeste de l’indépendance du Premier Mars, il avait déclaré auparavant que le mont Paektu représentait le point d’appui suprême de toutes les choses de l’Orient, le premier des foyers de la civilisation orientale, la source originelle de la conscience orientale, l’origine première des nations orientales et l’axe principal de leurs actions, et que de tous les événements qui survenaient en Orient il n’y avait pas un dont l’origine ne remontât à ce mont. Il précisait encore que, quand et où que ce soit, le vent qui vous caressait le front venait du mont Paektu, que l’eau que vous buviez venait des sources de ce mont, que la terre que vous labouriez, ensemenciez et moissonniez venait également du mont Paektu. Or, chose étonnante, cet homme avait subitement fait volte-face et disait maintenant que l’existence du Japon faisait la force de l’Asie et était la lumière de l’Orient.
C
Yun Chi Ho avait affirmé pour sa part que les Coréens et les Japonais étaient à bord du même bateau pour partager le même sort. Ceux qui sont versés dans l’histoire contemporaine de notre pays le connaissent bien: il avait été un haut dignitaire en Corée avant l’annexion. A ce titre, il s’était cependant opposé fermement à 1’«annexion de la Corée par le Japon», ce qui lui avait valut l’emprisonnement. Lors des Evénements du 7 Juillet, il était déjà assez vieux, ayant déjà franchi le cap des soixante-dix ans. Il était donc inimaginable que cet homme si âgé eût voulu flatter l’impérialisme japonais, espérant une faveur quelconque de la part de celui-ci ou sauver sa vie. On dit qu’à la libération du pays cet octogénaire s’est donné la mort, accablé de honte. C’était un homme de bonne foi puisqu’il avait bien voulu se donner la mort pour abjurer ses erreurs. La conversion d’un tel homme en faveur de l’ennemi japonais tenait, dirais-je, à une surestimation du Japon ainsi qu’à une appréciation erronée de l’évolution de la situation.
Jang
L’autre point important souligné dans l’Appel de Septembre était de présenter l’orientation stratégique de la préparation du soulèvement général:
«Le conflit sino-japonais s’aggrave de plus en plus. Nul doute que la victoire finale appartiendra à la Chine. Il faut que nous agissions résolument au moment opportun, parce qu’il ne saurait jamais y avoir d’occasion plus favorable. Il est très important et urgent de créer des troupes de producteurs-partisans et des troupes de choc d’ouvriers, qui serviront d’avant-garde pour lancer une insurrection armée et des opérations subversives à l’arrière.
«Les troupes de producteurs-partisans et les troupes de choc d’ouvriers devront se mobiliser pour déclencher une insurrection armée, entreprendre des opérations subversives à l’arrière, brûler et détruire les usines d’armement et autres entreprises importantes...et, une fois l’heure du soulèvement général sonnée, se joindre aux actions militaires de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne pour écraser l’armée japonaise. C’est ainsi seulement que nous pourrons obtenir l’indépendance de la Corée, qui est notre objectif...»
L’extension de la préparation du soulèvement général par la création de troupes de producteurs-partisans et de troupes de choc d’ouvriers, voilà l’orientation stratégique que nous avions définie dans l’Appel de Septembre.
Si nous avions choisi le secteur de Sinhung comme premier théâtre de nos opérations en territoire coréen après la publication de l’Appel de Septembre, c’est parce qu’il était proche de Hamhung, de Hungnam et d’autres grandes villes industrielles où était concentrée la classe ouvrière de notre pays.
Nos agents politiques avaient déjà créé dans ce secteur situé au sud de la chaîne des monts Pujon, dans ses forêts épaisses, plusieurs camps secrets qui servaient de points d’appui des opérations à nos petites unités. C’est dans un de ces camps que devaient venir pour un rendez-vous les agents politiques et les membres clés des syndicats ouvriers ou paysans de Hungnam et d’autres régions du littoral de la mer de l’Est.
Pour ce qui est du secteur de Phungsan, nous l’avions choisi comme deuxième lieu d’opérations, parce qu’il y avait alors là un grand nombre d’ouvriers travaillant sur le chantier de construction de centrale et aussi un grand nombre d’adeptes de la religion Chondo (religion coréenne— NDLR), qui avaient adhéré à l’ARP.
Notre itinéraire, calculé en ligne droite sur la carte, dépassait 320 km, parce que nous devions nous enfoncer jusqu’à Phungsan via Sinhung.
Chemin faisant, nous fîmes d’abord lire à Jang
Comme il l’affirmait, la cohésion, la combativité et la solidarité de la classe ouvrière étaient remarquables lors de la grève générale de Wonsan en 1929,
Cette grève avait été suivie l’année suivante par la révolte des mineurs de la houillère de Sinhung. Par la suite, d’autres grèves d’ouvriers s’étaient succédé chaque année dans d’autres localités de Corée.
Mais ces grèves massives avaient été presque toutes réprimées avant que les revendications des ouvriers n’aient été satisfaites.
En rédigeant l’Appel de Septembre, nous tâchâmes de définir une nouvelle orientation pour le mouvement ouvrier en reprenant ce qui était bon et en rejetant ce qui était mauvais de ce qui avait été fait dans le passé, pour lui éviter de renouveler les échecs amers.
L’apparition de l’industrie dans notre pays remonte à la fin du XIXe siècle, quand le capital étranger a commencé à s’introduire chez nous à la faveur d’une politique d’ouverture. Certains affirment qu’elle remonte au XVIIIe siècle, mais l’industrie moderne n’était alors qu’à l’état embryonnaire. C’est depuis l’adoption par le gouvernement féodal d’une politique d’ouverture qu’avec l’avalanche de capitaux étrangers des ports ont été construits, des voies ferrées posées, des usines mises en route, des mines exploitées, et que les rangs des ouvriers d’industrie, dockers, mineurs, cheminots et ouvriers du bâtiment, ont commencé à grossir rapidement.
L’apparition et le développement du travail industriel ont donné naissance à des organisations ouvrières. Dès la fin des années 1890, un dénommé Ri Kyu Sun avait mis sur pied un syndicat de dockers, qui était, de l’avis de quelques-uns, la première organisation de ce genre.
Les premières organisations ouvrières n’étaient que de simples confréries ou mutuelles, mais avec le temps elles prirent la forme d’associations ouvrières ou de syndicats. Après la conclusion du «traité de protectorat de l’an Ulsa », des syndicats ouvriers modernes, comme le syndicat de Jinnampho, le syndicat de la commune de Sinchang à Pyongyang et le syndicat conjoint à Kunsan, firent leur apparition dans le pays.
Certes, c’étaient pour la plupart des associations spontanées, organisées par usine. Il est pourtant vrai que leur apparition avait marqué le début des luttes collectives des ouvriers pour les intérêts de leur classe. Dans les années 1910, les conflits entre ouvriers et patrons s’étaient accentués partout dans le pays. Puis, avec l’entrée en scène, dans les années 1920, de la Mutuelle des ouvriers, du Congrès du travail et de la Fédération du travail, organisations nationales légales, les actions des ouvriers ne furent plus des poussées de revendications en faveur de l’amélioration des conditions de travail, elles se développèrent et devinrent un mouvement politique patriotique contre l’agression de l’impérialisme japonais.
Les impérialistes japonais, ayant proclamé la «loi sur le maintien de la paix», passèrent pour de bon à la répression des organisations ouvrières de masse.
Ils arrêtèrent et incarcérèrent les promoteurs de conflits ouvriers, firent dissoudre les organisations ouvrières et interdirent les réunions d’ouvriers. Le mouvement ouvrier en reçut un grand coup. C’est dans ce contexte qu’en septembre 1930 le Bureau exécutif de l’Internationale syndicale rouge avait adopté une résolution intitulée «Thèses sur les devoirs du mouvement syndicaliste révolutionnaire de Corée», communément appelée «Thèses de Septembre», qui recommandait d’organiser des syndicats par industrie et de les munir de solides organisations de base en constituant des comités d’usine ou des agences ouvrières. En octobre 1931, ce fut le secrétariat du Syndicat ouvrier de tout le Pacifique qui analysa l’état du mouvement ouvrier coréen et définit les tâches immédiates pour la création d’un syndicat ouvrier rouge clandestin.
Encouragée par le mouvement syndical communiste international, la lutte pour la création d’un syndicat rouge se poursuivit fébrilement, dès 1931, dans les villes industrielles de notre pays, notamment à Pyongyang, à Hungnam, à Wonsan, à Chongjin, à Séoul, à Pusan, à Sinuiju, etc. Les syndicats ainsi créés contribuèrent de façon non négligeable à la diffusion du marxisme parmi les masses ouvrières et à l’éveil de leur conscience de classe. Cependant, par suite des manœuvres des fractionnistes et de la répression cruelle de l’ennemi, ils finirent par cesser d’exister avant même d’être parvenus à maturité. Quand nous nous dirigeâmes, avec l’Appel de Septembre, vers le secteur de Sinhung, en fait, ces syndicats n’existaient plus que de nom, puisqu’ils étaient presque privés de tous leurs dirigeants, les uns ayant été incarcérés, les autres ayant retourné leur veste ou vivant cachés.
La leçon sérieuse qu’on pouvait tirer de l’histoire pleine de vicissitudes du mouvement ouvrier dans notre pays était que l’échec avait été dû à la mauvaise direction des masses révolutionnaires.
Jugeant froidement le mouvement ouvrier d’autrefois dans le miroir de l’histoire, nous pensions qu’il fallait d’abord pénétrer au sein de la classe ouvrière, relever au plus vite les syndicats et nous appuyer sur la force et l’intelligence de la masse des ouvriers et que de cette manière seulement il serait possible de promouvoir correctement la préparation du soulèvement général.
Dans ce sens, la publication de l’Appel de Septembre devait être l’occasion de ressusciter, en accord avec l’évolution de la situation à la suite de l’éclatement de la guerre sino-japonaise, les mouvements syndicalistes ouvrier et paysan coréens de leur marasme complet et de leur faire changer d’orientation.
En montant vers le col Chongsan, j’eus un long entretien avec Jang
Ayant bu le calice jusqu’à la lie en parcourant dans son interminable errance bien des localités de Corée, de Chine et de la région maritime extrême-orientale de l’Union soviétique comme militant du mouvement indépendantiste, il connaissait bien les anciens promoteurs du Syndicat ouvrier de tout le Pacifique qui avaient auparavant opéré dans la zone de Hamhung et de Hungnam. Il me dit que le responsable de la section coréenne de Vladivostok du Syndicat ouvrier de tout le Pacifique auprès du Profintern s’appelait Kim Hon Ban et que, sous sa direction, un comité de Hamhung qui, le premier, avait communisé la fédération ouvrière de Hamhung, avait été constitué en février 1931.
J’appris de Jang plusieurs noms de cadres du syndicat rouge de la zone de Hamhung, parmi lesquels figurait un ouvrier japonais appelé Baba Masao. Toujours selon Jang, Kim Ho Ban avait opéré en compagnie de sa femme à Hamhung, Pyongyang, Séoul et ailleurs, muni de 1 200 won, somme qui lui avait été envoyée comme fonds syndical par la section de Vladivostok du Syndicat ouvrier de tout le Pacifique, mais il avait été arrêté en été 1931 par la police. Et les membres du syndicat ouvrier japonais de la zone de Hamhung, affilié au Syndicat ouvrier de tout le Pacifique, avaient tous été arrêtés en 1932 ou en 1933.
En vue de combler ce vide formé dans le mouvement syndical ouvrier de la zone de Hamhung et de Hungnam et de lui insuffler une nouvelle force, nous y avions déjà envoyé des agents politiques expérimentés en activités clandestines, comme Pak Kum Jun, Kim Sok Yon et autres. Mais ils n’avaient pu eux non plus échapper aux griffes des impérialistes japonais qui tentaient de déraciner le mouvement ouvrier de cette zone. Pak Kum Jun et plusieurs autres dirigeants syndicaux ouvriers avaient été arrêtés ou emprisonnés avant d’avoir accompli leurs tâches.
Tenant compte de ce fait, nous avions encore envoyé, depuis le printemps 1937, dans la région de Hungnam, plusieurs autres agents politiques formés dans la région de Xijiandao.
Quand notre groupe atteignit le haut du col Chongsan, Han Cho Nam, responsable du groupe en mission dans la base secrète du secteur de Sinhung, apparut brusquement devant nous.
Je lui demandai pourquoi il était venu à notre rencontre, contrairement à ma consigne de nous attendre au camp secret, et il répondit qu’il n’avait pas l’esprit tranquille, parce que depuis l’installation d’une villa de Noguchi à Pujon, la surveillance de l’ennemi y était plus rigoureuse que d’ordinaire. Voilà pourquoi il avait accouru. Nous renvoyâmes Jang
Quelque temps après, une étendue d’eau bleue apparut devant nous. Han Cho Nam nous dit que c’était là que se trouvait le réservoir de Pujon N° 2 et que, si on remontait en prenant à gauche on pouvait voir le réservoir de Pujon N° 1. A ses dires, il y avait près du barrage de celui-ci un poste de police et, à environ 1 200 à 1 600 mètres de là, la villa de Noguchi.
Noguchi, patron d’une nouvelle firme japonaise, en plein essor, avait construit des centrales hydroélectriques et avait établi, à Hungnam, une société anonyme coréenne d’engrais azotés et une autre d’industrie d’armements, en vue d’implanter en Corée une industrie d’armements et de monopoliser la production d’énergie électrique et l’industrie chimique. Et il avait fait bâtir une villa dans un endroit bien situé d’où il pouvait aisément surveiller les centrales hydroélectriques en construction à Pujon et à Hochon.
L’histoire de la construction du barrage-réservoir de Pujon, pleine de tragédies, montre avec quel acharnement Noguchi avait exploité les Coréens.
En 1925, après un voyage d’étude sur le plateau de Pujon, il avait adressé à Saito, alors gouverneur général japonais en Corée, une lettre où il notait: «Cette région abonde en ressources hydrauliques, forestières ainsi qu’en main-d’œuvre bon marché; l’idée m’est venue d’y construire des centrales. » Et le gouverneur général l’avait de son côté encouragé: «Mettez-vous à la construction de centrales hydroélectriques, vous pouvez disposer d’une main-d’œuvre bon marché d’autant que vous voulez sans inquiétude, la Constitution du grand empire japonais vous le garantit. »
Les travaux de construction du barrage du réservoir de Pujon avaient commencé au milieu des années 1920. On disait que 3 000 des ouvriers coréens étaient morts au cours des travaux de creusement des voies d’eau, à cause d’accidents de toutes sortes dus au manque de mesures de sécurité, que, vers la fin des travaux de construction du barrage, pour pouvoir remplir au plus vite le réservoir d’eau, les vannes avaient été fermées sans qu’on ait averti et déplacé à l’avance les paysans des environs, si bien que plus de 600 maisons paysannes avaient été submergées et que leurs habitants, victimes d’une inondation artificielle, se trouvèrent sans gîte ni abri, et que, le jour de l’inauguration des voies d’eau, des horreurs diaboliques avaient été commises telles qu’une jeune fille coréenne avait été jetée dans l’eau en offrande à la déesse de l’eau.
Noguchi lançait souvent: «Vous pouvez considérer les ouvriers coréens comme des bêtes de somme!» Au cours de la construction du barrage, ses actes de brutalité avaient été tellement odieux que même les Japonais l’avaient condamné en s’exclamant: «L’herbe ne repousse pas sur le sol foulé par Noguchi!»
La surveillance de l’ennemi étant sévère autour de la villa de Noguchi, nous fîmes un détour et arrivâmes quelques jours plus tard à notre destination: le camp secret de Tongogol à Sinhung.
En chemin, nous rencontrâmes une vingtaine de jeunes gens qui vivaient dans la montagne pour ne pas retomber dans les griffes des impérialistes japonais. Les raisons de leur fuite étaient bien différentes.
L’un avait abattu, avec un caillou, un contremaître méchant au chantier de la centrale hydroélectrique «Pujongang»; d’autres jeunes gens s’y étaient réfugiés ayant été surpris alors qu’ils volaient de la dynamite utilisée sur les chantiers; d’autres encore s’étaient échappés des mains de policiers qui les avaient appréhendés pour des tracts portant ces mots: «A bas les impérialistes japonais!» et «Noguchi suce notre sang pour en faire de l’engrais!», tracts qu’ils avaient trouvés sur la route en descendant de Hamhung à Hungnam et qu’ils avaient gardés sur eux.
Un jeune homme de grande taille, originaire de Kowon et appelé «C
Ne pouvant plus supporter le supplice, il avait fait une fausse déposition: il avait reconnu avoir participé au mouvement syndical. Depuis lors, l’inspecteur de la police secrète japonaise avait fait de lui un communiste en lui apprenant ce qu’il ignorait.
L’inspecteur l’interrogeait: «Comment t’es-tu fait adepte du communisme? Dis-moi le motif. Tu diras encore que tu n’en sais rien. Les communistes prétendent tous qu’ils veulent supprimer de ce globe l’exploitation et l’oppression et établir un pouvoir ouvrier et paysan. C’est pour cela que tu t’es fait communiste, toi aussi, n’est-ce pas? Explique-toi!» Alors il répondait: «Oui, monsieur. » Au bout de trois mois d’une telle instruction, C
Le «Communiste C
Nous leur donnâmes des exemplaires de l’Appel de Septembre et leur recommandâmes de se mettre en rapport avec les camarades du groupe de la base secrète des monts Pujon.
Marchant à travers la chaîne des monts Pujon, nous inspectâmes quelques camps secrets et examinâmes la configuration du terrain, et je trouvai cette zone bien indiquée pour être une base d’opérations militaires dans la perspective d’un soulèvement d’ensemble du peuple. Cette chaîne était reliée à celle du Paektu.
Lorsque nous arrivâmes au camp secret de Tongogol, dissimulé dans un bois touffu de pins, y était réunie une trentaine d’hommes: agents politiques, responsables des organisations révolutionnaires et militants clés des syndicats ouvriers et paysans, venus de la zone littorale de la mer de l’Est proche de la chaîne des monts Pujon.
A notre suite apparut, guidé par Kim Hyok Chol, Wi In Chan, qui avait fondé un réseau clandestin dans la région de Hungnam sous la direction de Kim Jae Su et de Kim Jong Suk. Il sentait le poisson. Pour tromper l’ennemi, dit-il, il avait dû se déguiser en marchand de poisson. En effet, il portait un sac de maquereaux. Ils étaient deux camarades d’enfance, originaires de Taoquanli. Autrefois, encore enfants, ils étaient tellement attirés par l’Union soviétique, pays socialiste, qu’ils s’étaient lancés, avec Kim Kong Su, dans une aventure à l’insu de leurs parents: un voyage dans la région maritime extrême-orientale de l’Union soviétique.
Les parents et les proches de ces trois hommes avaient tous une très bonne tendance idéologique.
C’était vers le mois de juin 1937 que Wi In Chan était allé opérer dans la région de Hungnam sur l’ordre de l’organisation de Taoquanli de l’ARP. A sa suite, plusieurs autres, dont Kim Kong Su, y furent envoyés en renfort. A la même époque furent envoyés Ho Sok Son à Wonsan, Ri Hyo Jun à la mine de Sinhung, Kang Pyong Son à Changsong. Et à Chongjin, c’est Pak U Hyon qui se mit à militer en liaison avec l’organisation de l’ARP.
On dit que le comité du secteur de Hungnam de l’ARP avait seulement été constitué cette année-là, en août, mais qu’il avait déjà admis en son sein de nombreux ouvriers et marchait bien. Wi In Chan, son responsable, avait fait ouvrir par sa mère une cantine pour ouvriers et s’en servait comme point de liaison pour envoyer fréquemment des rapports sur ses activités à Kim Jong Suk et à Kim Jae Su. La manière dont ils avaient mis sur pied leur première organisation à Hungnam est très instructive.
Parmi les ouvriers du chantier de construction de l’usine chimique de Pongung où les agents venus de Taoquanli avaient trouvé au début un terrain favorable, figurait un garçon de 14 ans. Sa tâche était d’apporter des rivets chauffés à blanc et de les lancer à mesure au riveur travaillant en haut. Or, un jour il se produisit un accident qui l’emporta d’un trait dans l’autre monde. Un rivet incandescent qu’il avait jeté vers le haut heurta malencontreusement un morceau de fer d’en haut et retomba droit dans un tonneau de carbure qui explosa du coup. L’enfant ouvrier tomba par terre, couvert de brûlures sur tout le corps. Il était déjà mort, lorsque des ouvriers accoururent.
Le contremaître japonais voulut s’empresser de le faire transporter à l’hôpital. Il voulait au moins donner l’impression que le garçon était mort après quelque traitement médical, car cela lui permettrait d’abord d’apaiser la colère des ouvriers suscitée par le manque d’installations de sécurité et ensuite de se soustraire à la responsabilité de dédommager la famille de l’enfant. Nos agents politiques dévoilèrent la pensée noire du contremaître, et les ouvriers, indignés, se soulevèrent pour une agitation. Les contremaîtres, pris de peur, n’osèrent plus toucher au corps du garçon.
Après les funérailles, les ouvriers pressèrent la direction de l’usine de payer une indemnité aux parents de l’enfant.
A l’occasion de cet accident, nos agents politiques de Hungnam gagnèrent la confiance des ouvriers et purent fonder la première organisation parmi les ouvriers. Ils gérèrent l’organisation sous le nom légal d’«association d’entraide». Or, un jour, survint un fait inhabituel. Un homme entre deux âges apparut sans préavis à «l’association d’entraide» et se présenta sans préambule: «Je suis du Profintern!» Profïntern est l’abréviation en russe de l’Internationale syndicale rouge. Cet homme-là devait pour un temps avoir collaboré au Syndicat ouvrier de tout le Pacifique. Affichant son appartenance au Profintern pour se donner des airs importants, il proféra: «Je vous avertis, messieurs Un de prudence! Ces jours-ci, les Japonais sont devenus plus féroces avec la guerre qu’ils mènent contre la Chine. Mieux vaut ne pas les importuner. Ne faites pas la mouche du coche en réclamant des dommages ou je ne sais pas quoi encore. C’est moi qui vais en subir tout le mal, car mon nom figure sur leur liste noire. » Sur ce, il se hâta de s’éclipser.
Nos agents de Hungnam comprirent alors que les militants syndicaux étaient passés de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, et désormais, ils furent méfiants envers eux.
Kim Sok Yon, qui avait pour mission d’étendre le réseau du parti dans les syndicats ouvriers de la région de Soho, se plaignait lui aussi que parmi les anciens syndicalistes beaucoup avaient opté pour la voie du compromis avec l’impérialisme japonais, effrayés par sa répression, tout comme les militants du «syndicat blanc» du Japon et les trade-unionistes d’Europe.
A en croire ce qu’avait dit Jang
Je dis à nos camarades de Hungnam que c’était une grave erreur que d’avoir délaissé ces anciens militants du Syndicat ouvrier de tout le Pacifique, que ceux-ci n’auraient pu dévier de leur chemin et s’engager dans le trade-unionisme s’ils avaient reçu une formation révolutionnaire. Ensuite, je leur indiquai l’orientation à suivre dans leurs activités ultérieures.
«...Tout d’abord, il faut implanter beaucoup plus d’organisations locales de l’ARP dans les villes, les campagnes, les villages de pêcheurs, les mines et les houillères de la zone littorale de la mer de l’Est et rechercher tous les anciens syndicalistes ouvriers ou paysans pour disposer dans quelques années de dizaines de milliers d’hommes comme forces de résistance dans les régions de Sinhung, de Hungnam, de Hamhung et de Wonsan. Il convient de créer une base secrète de guérilla centrée sur la chaîne des monts Pujon, et, dans l’immédiat, de disposer en permanence de quelques troupes armées, constituées chacune de plusieurs centaines de personnes. Et il faut organiser des troupes de choc parmi les ouvriers et des troupes de producteurs-partisans parmi les paysans. Toutes ces organisations doivent être invisibles, clandestines.
«Nous devons opérer de façon que notre Appel de Septembre s’infiltre comme de l’eau souterraine discrètement et profondément dans les masses populaires.
«Au début de notre révolution antijaponaise, nous manquions d’armes plus que d’hommes. Mais à présent, ce sont les effectifs qui nous manquent alors que nous avons assez de fusils. De ces fusils, que nous avons plus qu’il nous en faut, nous devrons armer tous les jeunes du pays pour qu’ils passent au moment décisif à un soulèvement général...»
Tel est en résumé ce sur quoi j’avais insisté alors.
Après l’entretien, le lendemain, je me dirigeai vers la houillère de Sinhung, moins surveillée par la police. Alors, Ri Hyo Jun, qui avait participé à la réunion en tant que délégué de la houillère de Sinhung, me servit de guide.
Plusieurs centaines de familles de mineurs, condamnées à vivre à l’étroit dans de vieilles baraques branlantes, menaient une vie de misère accablante. Chaque année, des dizaines de personnes s’éteignaient, terrassées par les maladies et les accidents du travail. Je convoquai les militants de l’organisation et les syndicalistes clés dans un endroit discret du mont Sambat et je leur expliquai l’Appel de Septembre puis leur assignai des tâches pour l’immédiat.
L’un d’entre eux, membre de l’organisation, m’apprit qu’un de ses cousins, ancien cadre du syndicat ouvrier rouge, vivait au coron en cachette, sous un faux nom. Celui-ci était venu s’installer là, à ce que j’ai appris plus tard, fuyant la rafle lancée contre les syndicalistes. Arrestations et emprisonnements massifs, traîtrise de certains qui avaient vendu les secrets et dégénéré en laquais de l’impérialisme japonais, voilà les conséquences funestes des grèves mal dirigées par le syndicat ouvrier. Il avait échappé de justesse à la rafle lancée contre les dirigeants du syndicat. Aux dires de son cousin, de honte, il n’osait pas sortir.
Avant de quitter la houillère, j’eus un entretien avec lui. Quand je lui demandai de s’engager à nos côtés dans la révolution, il promit de sortir de sa cachette, de relever son syndicat ouvrier démantelé et de faire tout pour réaliser les tâches de l’Appel de Septembre. Il gardait intacte la liste des anciens syndiqués. Il connaissait presque tous ceux qui avaient travaillé pour le syndicat ouvrier de la zone de Hungnam.
Nous le mîmes en contact avec nos hommes de l’organisation de la zone de Hungnam, et nous repartîmes le cœur léger pour Phungsan. Après une nuit passée au camp secret de Pulgaemijae, nous nous rendîmes tout droit au chantier de construction de la centrale hydroélectrique de Hwangsuwon.
Dans cette région de Ryongbuk (au nord de la chaîne de montagnes de Machonryong — NDLR), contrée au climat et au sol inhospitaliers, les ouvriers s’échinaient sur le chantier du barrage sous la pluie et le vent, leur situation misérable ne différant en rien de celle des mineurs de Sinhung qui tombaient d’épuisement et de maladies.
A Phungsan, ce fut «Dent dorée», notre agent politique, adepte de la religion Chondo, qui nous servit de guide. Il portait un costume chic et une canne à la main.
Après le chantier de construction de la centrale hydroélectrique de Hwangsuwon, nous traversâmes le chef-lieu de l’arrondissement de Phungsan. Arrivé à un petit hameau de cultivateurs sur brûlis, je rencontrai Pak In Jin dans une cabane de chasseur solitaire. Je ne peux oublier aujourd’hui encore la nuit passée avec lui, dans ce village de cultivateurs sur brûlis, à nous soucier du sort du pays et à déguster des pommes de terre de la première récolte, grillées au brasero.
Cette nuit-là, Pak In Jin accusa C
«Jamais, disait-il, je n’ai vu d’hommes qui prennent un bon chemin parmi ceux qui déprécient leur propre nation. »
Pak In Jin avait raison. La révolution est quelque chose qu’on fait, poussé par une conviction. Cette conviction est la confiance en son peuple et la fierté qu’on a de son peuple, avant d’être la foi qu’on a en son idéal politique. Comment quelqu’un pourrait-il aimer sa patrie s’il n’a pas confiance en sa nation, son peuple et n’est pas fier d’en faire partie?
Cette pensée m’obséda tout le long du chemin que je fis dans l’obscurité nocturne après avoir pris congé de Pak In Jin. Quand j’expliquai l’esprit de l’Appel de Septembre aux agents politiques de la région de Phungsan, je citai encore les paroles de Pak In Jin. J’insistai sur le fait que nous n’avions d’autre moyen que de compter sur notre peuple, sur notre classe ouvrière pour préparer un soulèvement de l’ensemble du peuple.
Le long et dur voyage que nous fîmes à travers le territoire de la patrie avec un grand programme de restauration nationale, alors que l’automne faisait flamboyer les montagnes et les campagnes, ne fut pas vain.
Après notre tournée dans les régions de Sinhung et de Phungsan, les forces de la résistance nationale connurent un accroissement sensible dans différentes localités de Corée, comme Pujon, Hamhung, Hungnam, Wonsan, Tanchon, Phungsan et Sinhung.
Des nouvelles arrivaient l’une après l’autre: une troupe de choc d’ouvriers avait été formée au chantier de construction de la centrale hydroélectrique de Hwangsuwon; par la suite, une troupe de producteurs-partisans avait vu le jour à Huchiryong. Des grèves et des désertions collectives d’ouvriers se succédaient dans les usines.
Il en fut de même dans les nombreuses usines et houillères de la région de Hamhung-Sinhung, où se constituèrent des troupes de choc d’ouvriers. Des actes de sabotage, de mauvaises exécutions des travaux de construction et des explosions accidentelles ne cessaient de s’y produire.
Ce fut à cette époque-là que sur les parapets du pont Manse et au pavillon Kuchon sur la colline Tonghung, à Hamhung, avaient apparu des tracts de propagande relatifs à l’Appel de Septembre; ce fut également à la même époque qu’avait commencé à courir la rumeur selon laquelle Kim Il Sung serait allé dans une rue de Hamhung se faire couper les cheveux. On dit même que le bruit avait couru que j’avais été interné dans un hôpital de l’armée de terre japonaise.
Après avoir reçu l’Appel de Septembre, les agents opérant dans la zone de Hamhung et de Hungnam innovèrent dans leur travail en direction des syndicats ouvriers. Ils découvrirent une centaine d’anciens syndiqués qui vivaient cachés et les regroupèrent dans les organisations de l’ARP. Les syndicats ouvriers de la région de Hungnam devinrent une pépinière pour la formation de troupes de choc d’ouvriers.
N’eût été 1’«affaire de
Les activités de nos organisations furent aussi énergiques dans les zones de Wonsan, Munchon et Chonnaeri. L’année où fut lancé l’Appel de Septembre, les militants de la cimenterie de Chonnaeri organisèrent à l’automne une grève massive de mille ouvriers, qui sema le désarroi chez l’ennemi.
Jong II Yong, vice-président du Conseil des ministres à une époque, avait travaillé auparavant à la fonderie de Munchon, et il a dit, non sans orgueil, qu’avant la Libération sa fonderie comptait un grand nombre de militants clandestins, que sous leur influence il avait lui-même accompli de nombreuses actions contre les contremaîtres japonais, mais qu’il n’avait pas su alors que des agents clandestins tiraient les ficelles derrière lui.
La fonderie a réussi la première coulée le jour même où j’ai prononcé à Pyongyang mon premier discours depuis mon retour dans la patrie après la Libération. C’était là également un exploit patriotique réalisé sur l’initiative des membres de l’ARP qui y avaient auparavant opéré dans la clandestinité.
Nos agents politiques et les membres des organisations jetés en prison n’en continuèrent pas moins leur lutte. Ils firent de la propagande en faveur de l’Appel de Septembre.
Notre Appel de Septembre avait eu une incidence inestimable, il avait joué un rôle décisif en reliant le mouvement révolutionnaire de l’intérieur de la Corée au mont Paektu.
Ministre du Bâtiment, C
Comme il l’a reconnu, à l’époque, l’ARP avait étendu son réseau dans toutes les régions industrielles de notre pays, et, sous son influence, les actions de la classe ouvrière s’étaient poursuivies avec dynamisme. C’était là une riposte à l’impérialisme japonais qui se livrait avec frénésie à la répression et à l’exploitation du peuple coréen après avoir provoqué la guerre contre la Chine.
Notre classe ouvrière restait fidèle à son credo patriotique sans la moindre hésitation, malgré l’anticommunisme et la nippophilie que prêchaient à cor et à cri ceux qui avaient abandonné leur volonté initiale de lutte contre le Japon pour le salut national et s’étaient rendus finalement à l’impérialisme japonais.
Cinq ou six ans après la publication de l’Appel de Septembre, un quotidien a inséré dans ses pages un article de Jo Man Sik recommandant aux jeunes et étudiants coréens de s’enrôler dans l’armée japonaise. Il n’est pas possible de savoir exactement si cet article avait été écrit réellement par lui-même ou par les Japonais, toujours est-il que cet article avait provoqué l’étonnement de tout le monde. Si Jo Man Sik désavouait ainsi sa foi, qui donc parmi les dirigeants du mouvement nationaliste ne changerait pas de camp? Telle a dû être, à mon avis, l’opinion du public à ce moment-là.
Cependant, la classe ouvrière se montra inébranlable dans sa détermination et poussa avec vigueur la préparation d’une résistance populaire générale; il y eut un accident sensationnel, une terrible explosion dans une usine d’armements secrète de la région de Hungnam, où l’on mettait au point des armes spéciales. Selon l’enquête effectuée par l’ennemi, l’accident n’était pas le résultat d’une erreur due au hasard, il s’agissait d’un coup prémédité. Des membres de nos organisations révolutionnaires s’étaient infiltrés à des postes rigoureusement surveillés par l’ennemi et avaient dirigé des coups terribles contre l’ennemi. Notre classe ouvrière a été fidèle aux impératifs de l’Appel de Septembre.
Celui-ci nous a servi d’arme puissante permettant de favoriser la réussite de la grande œuvre de restauration nationale, car, en accord avec la situation nouvelle créée par l’éclatement de la guerre sino-japonaise, il a amené nos communistes, engagés dans la lutte armée contre les Japonais, à se mêler profondément aux masses laborieuses, à les éveiller, à les regrouper et à les mobiliser.
6. La leçon de l’«affaire de
L’année 1937 marqua l’apogée de la révolution antijaponaise. Le transfert du gros de notre armée dans la région du mont Paektu avait fait aborder un tournant historique à la lutte de libération nationale et au mouvement communiste de Corée, qui, dès lors, prirent un essor sans précédent, ne cessant de gagner en ampleur et en profondeur.
Tout allait comme à souhait suivant nos intentions, lorsque, tout à coup, la Révolution coréenne se heurta à un grave défi: l’ennemi avait déchaîné des vagues de répression féroces contre les forces de notre révolution en montant 1’«affaire de
Il avait, au cours de plusieurs rafles, arrêté et emprisonné des milliers de patriotes, qui, en grand nombre, succombèrent aux tortures.
Cette affaire avait causé à la Révolution coréenne des pertes incalculables. Le travail de mise en place des organisations du parti et d’extension de l’Association pour la restauration de la patrie, qui se poursuivait à un ryt
C’est au camp secret de Dajialazi, dans le district de Mengjiang, que j’avais appris en détail, par Kim Phyong et Kim Jae Su, 1’«affaire de
L’«affaire de
Dès le début de l’affaire, certains détenus cédèrent à la torture et livrèrent à l’ennemi tout ce qu’ils savaient de nos organisations. Parmi eux figuraient aussi quelques-uns de nos agents clandestins en mission sur les chantiers de construction des lignes ferroviaires Kilju-
La foi et la fermeté sont les premières qualités d’un révolutionnaire. Celui qui en est dépourvu ne peut devenir révolutionnaire.
Par qualités de véritable homme, nous entendons avant tout la fidélité de chacun à l’idéologie dont il s’inspire et la fermeté de ses convictions. Un homme fidèle à son idéologie et à sa foi se propose toujours des objectifs élevés et précis, et travaille loyalement à les atteindre.
Aussi, lorsque nous formons des révolutionnaires, nous attachons-nous en tout premier lieu à les amener à acquérir une foi communiste. Si nous considérons la foi à toute épreuve comme la première des qualités d’un révolutionnaire et que nous consacrons un grand effort à la cultiver chez tous, c’est parce que l’édification du socialisme et du communisme, qui se fait sous le drapeau de la libération nationale et de l’émancipation sociale de l’homme, est la plus dure et la plus longue des révolutions que l’humanité ait jamais eu à réaliser. Sans une foi inébranlable et une volonté de fer, il est impossible de mener à bien cette immense œuvre de transformation, œuvre de défense de la souveraineté de l’homme et de son affranchissement de toute forme de contrainte et de défi de la part de la nature et de la société.
La volonté soutient la foi et la préserve.
Or, ni foi ni volonté ne demeurent toujours les mêmes, elles changent; suivant les circonstances, elles peuvent se raffermir ou s’altérer. Quand les révolutionnaires se laissent ébranler dans leur foi et leur volonté, la révolution le paie très cher. C’est pour cette raison-là que nous considérons comme une étape indispensable de la formation communiste des hommes l’implantation de la foi chez eux.
La foi et la volonté se raffermissent en militant au sein des organisations révolutionnaires et dans la pratique. Seuls un effort d’éducation soutenu et un effort de formation constant peuvent les endurcir et les aguerrir. Une foi et une volonté qui n’ont pas passé par là sont comme un château de cartes. C’était bien le cas de ceux qui avaient trahi leur foi de révolutionnaires dans la salle d’interrogatoire du commissariat de police de
Sitôt après avoir reçu le rapport sur 1’«affaire de
L’ennemi qui avait mis la main, lors de la première rafle, sur la plupart des cadres de la direction des organisations de la région de Changbai avait étendu son filet sur la région de Xijiandao et, au-delà du fleuve Amrok, sur la région de Kapsan. Il se félicitait d’avoir réussi un grand coup et fanfaronnait, comme s’il pouvait couper le cordon ombilical de la Révolution coréenne, mais toutes les organisations clandestines, fruits de nos labeurs, n’étaient pas démantelées. Bien des militants avaient échappé au coup de filet de l’ennemi et s’étaient réfugiés dans d’autres régions ou dans les montagnes. Le comité du parti et la direction de l’ARP du district de Changbai étaient presque démantelés avec l’arrestation de Kwon Yong Byok, Ri Je Sun, So Ung Jin et Pak In Jin, mais la direction de l’Union coréenne pour la libération nationale continuait d’œuvrer comme auparavant, avec à sa tête Pak Tal, Kim Chol Ok, Ri Ryong Sul et autres.
Nous décidâmes d’envoyer d’abord Jang Jung Ryol et Ma Tong Hui en Corée pour retrouver les membres de la direction de cette union qui s’étaient réfugiés, prendre la mesure, par leur intermédiaire, des revers essuyés par nos organisations et décider des mesures nécessaires pour restaurer les organisations détruites. Nous visions dans l’ensemble à parer autant que possible aux dégâts de la répression ennemie et à rétablir à notre avantage la situation, pour le moment critique.
Ma Tong Hui et Jang Jung Ryol visitaient l’un après l’autre les villages de montagne de l’arrondissement de Kapsan, à la recherche des militants de l’Union coréenne pour la libération nationale, lorsqu’ils furent arrêtés dans la commune de Namhung, sur la dénonciation d’un traître nommé Kim T
Celui-ci et Ma Tong Hui étaient des pays; ils avaient passé ensemble leur enfance et les premières années de leur jeunesse à Kapsan en bonne amitié. Quand le premier se vit obligé d’abandonner, à cause de difficultés pécuniaires, ses études à un cours de formation accélérée dans le district de Changbai, Ma Tong Hui lui avait fourni l’argent nécessaire. Voyant son ami dans la gêne au point d’interrompre ses études, Ma Tong Hui avait retiré 5 won du fonds de l’école traditionnelle de son village et les lui avait donnés pour lui permettre de poursuivre ses études. Il ne s’en tint pas là. Il avait fait par la suite tout son possible pour l’aider: il lui avait envoyé tout l’argent qu’il avait gagné en désherbant à la journée des champs, en vendant du bois de chauffage et en travaillant comme écrivain public.
Aussi, quand il avait trouvé un emploi, celui d’huissier au service de direction de la production agricole, après ses études au cours de formation, Kim était venu exprimer sa reconnaissance à la mère de son ami, Mme Jang Kil Bu: «Mère, si je me vois aujourd’hui en mesure de gagner ma vie, devenu jeune intellectuel, je le dois entièrement au soutien désintéressé de Ma Tong Hui. De toute ma vie, je n’oublierai jamais son amitié touchante, ni même dans l’autre monde. » Ma Tong Hui devait avoir tenu compte de ce serment d’amitié en choisissant d’aller loger chez lui dans la commune de Namhung quand ils étaient arrivés à Kapsan afin de rétablir le contact avec la direction de l’Union coréenne pour la libération nationale. Cependant, celui-ci, devenu depuis longtemps c
Les deux hommes, arrêtés, connurent par la suite des sorts très différents.
Nombre de souvenirs d’anciens combattants de la guerre contre les Japonais et d’œuvres littéraires et artistiques évoquent comment Ma Tong Hui a supporté les tortures et gardé le secret.
A la question: «Qui était Ma Tong Hui?» même les petits écoliers répondent sans hésitation: «C’est celui qui s’est coupé la langue pour ne pas divulguer le secret de son organisation. » Or, ce n’est pas à la portée de tous que de se couper soi-même la langue.
Seuls ceux qui préfèrent mourir en combattants loyaux plutôt que de vivre en traîtres peuvent le faire. Un homme décidé à braver la mort est capable de tout.
Le courage extrême et l’esprit de sacrifice étonnant dont Ma Tong Hui a fait preuve provenaient de sa foi et de ses convictions inébranlables.
C’était là la manifestation de sa volonté et de sa foi irréductibles contre lesquelles torture et chantage étaient incapables de rien faire. «L’organisation survivra si je garde le secret. La révolution triomphera sans faute bien que je meure», voilà ce qu’il se disait alors.
Si Ma Tong Hui était devenu un combattant doté d’une foi inaltérable, il le devait à l’école de ses activités révolutionnaires. A Paekam, il avait constitué une association antijaponaise, avait travaillé dans une école à insuffler l’amour de la patrie aux enfants des cultivateurs sur brûlis. Après son engagement dans l’armée révolutionnaire populaire, il avait pris part, à l’égal des anciens, à la dure expédition de Fusong et travaillé, en qualité de conférencier de la compagnie de gardes du corps, à améliorer le niveau de formation des partisans. L’expérience de ces années l’avait persuadé que le sort d’un peuple privé de son pays ne valait pas celui d’un c
Il avait fait preuve dès son enfance d’un tempérament propice à la formation de cette personnalité. Il abhorrait l’injustice, l’hypocrisie et la déloyauté. Il rompait sans hésitation avec tous ceux qu’il jugeait vils et lâches.
L’instituteur Jo, chargé de la classe de Ma Tong Hui, lors de ses études primaires, était un lâche sans scrupules ni conscience professionnelle. Il appréciait le travail des écoliers, non pas selon les résultats obtenus, mais à raison des gratifications qu’il avait reçues. Il donnait des bien ou des très bien, sans égard au travail accompli, aux enfants des familles qui lui avaient offert des pots-de-vin ou des familles de riches et de puissants.
Il n’hésitait pas à rabaisser les notes des écoliers qui étudiaient bien, pour relever celles des autres quand il y avait intérêt. Il n’avait pu se départir de cette habitude exécrable même lorsque Ma Tong Hui arriva en classe terminale. Pour classer premier l’enfant d’un grand manitou qui lui avait généreusement graissé la patte, il remplaça le très bien de Ma Tong Hui en histoire par un bien. En fait, celui-ci avait reçu la meilleure note dans toutes les matières. Indigné de la vilenie de son maître, il alla lui demander de lui montrer son épreuve. Mais ce dernier, au lieu de la lui montrer, lui administra une gifle en l’accusant d’être impertinent. La brutalité de l’instituteur exaspéra Ma Tong Hui, qui, sur le champ, déclara ne plus vouloir fréquenter l’école, déchira son carnet de notes devant le maître et rentra chez lui.
Son père, Ma Ho Ryong, n’avait pas le cœur à laisser son unique fils, encore trop jeune, gagner sa vie en interrompant à mi-chemin ses études. Il le sermonna et l’exhorta à aller demander pardon à son maître; il posa devant son fils la casquette d’écolier qu’il avait achetée pour lui ce jour-là sur le marché et lui dit: «Voilà le chapeau que je viens d’acheter pour toi, comme j’avais honte de te voir circuler tête nue, et quelles balivernes me débites-tu là en disant vouloir abandonner tes études et travailler la terre! Que les enseignants prennent fait et cause pour les enfants des familles de riches, qu’ils s’empressent de se conformer à l’humeur des familles puissantes est chose normale. Rien d’étonnant à cela, et tu oses demander des comptes à ton maître? Bah, ça ne sert à rien de critiquer le maître. Va lui demander pardon.» Pourtant, Ma Tong Hui repoussa l’idée même de compromis. Il retint aussi son père qui voulait aller présenter ses excuses à la place de son fils.
Celui-ci et son maître suivirent par la suite des chemins tout à fait différents, hostiles l’un à l’autre. Le premier, révolté contre l’ordre en place à l’époque, se jeta à corps perdu dans le combat pour la patrie, tandis que Jo, abandonnant son métier d’instituteur, s’engagea dans la voie de la trahison de la patrie. Il entra dans la police, puis, promu inspecteur, fit du zèle pour persécuter les patriotes. Ma Tong Hui fut la première personne qu’il prit sous sa surveillance. Il le suivit de très près, attentif à chacun de ses faits et gestes. Il était décidé à le faire traduire en justice, quitte à monter de toutes pièces un procès si toutefois les pièces à conviction manquaient.
Jo se mit à le filer pour de bon, quand son ancien élève eut commencé à fréquenter Changbai sous l’influence de l’armée révolutionnaire populaire. Un jour, où celui-ci revenait de Changbai, après une rencontre avec le délégué de l’armée de guérilla, Kim Ju Hyon, qui lui avait annoncé son admission dans l’armée de guérilla, il tomba sur l’inspecteur Jo qui se tenait aux aguets à la tête du pont sur le fleuve Amrok. Celui-ci le dévisagea d’un œil scrutateur, et, instinctivement, Ma Tong Hui sentit le danger qui planait autour de lui. Mais, sans rien trahir, l’air calme, il rentra chez lui et prépara son départ.
Sa mère apprêtait un repas d’adieu pour son fils qui partait pour le mont Paektu. Mais il dut faire ses adieux précipitamment, sans même faire honneur au repas: Jo arrivait avec des policiers pour l’arrêter. Il s’esquiva par la porte de service et traversa le fleuve sans accroc. Que le maître se démène pour arrêter son élève, cette terrible déchéance était un drame résultant des mœurs perverses imposées par l’occupant impérialiste japonais. Après la Libération, Mme Jang Kil Bu a souvent évoqué cette histoire lors de nos rencontres.
Après la bataille du mont Kouyushui, Ma Tong Hui rencontra de nouveau l’inspecteur Jo, non loin du champ de bataille: celui-ci avait participé à une expédition «punitive» contre nos troupes et, ayant échappé à la mort par miracle, s’enfuyait à toutes jambes. A peine eut-il reconnu Ma Tong Hui qu’il se mit à tirer frénétiquement sur lui. Ma Tong Hui comprit qu’il avait affaire à une crapule qui n’avait garde ni de sa patrie, ni de la nation, moins encore des obligations entre maître et disciple; il régla son compte à ce réactionnaire de la pire espèce qui, de plus, n’admirait que les Japonais.
Cet épisode illustre bien la personnalité de Ma Tong Hui et montre sur quelle base reposaient ses convictions aussi fermes.
Il se battit sous mes ordres pendant à peine un an et demi. C’était un excellent combattant ayant droit à l’affection et à l’estime générales, mais il n’avait pas fait, pendant son service, grand-chose qui puisse forcer l’admiration des autres.
Or, un épisode qu’il a vécu reste encore gravé dans ma mémoire. C’était, après notre expédition de Fusong, au camp secret de Donggang. Nous étions alors occupés à stocker des vivres avant de commencer le cours de formation militaire et politique de nos hommes, et la 3e compagnie du 7e régiment à laquelle appartenait Ma Tong Hui partait chaque jour en mission de ravitaillement. Une nuit, son chef de compagnie, en partant, avait dit à Ma Tong Hui et à quelques jeunes recrues, qui avaient tous trois les pieds gelés, de rester au camp et de moudre à la meule le maïs destiné au petit déjeuner du lendemain.
Tout de suite, Ma Tong Hui s’attela à la tâche, même s’il était rompu de fatigue après une journée de marche pénible sur la neige et, de surcroît, ramolli par la chaleur de la digestion du repas du soir qu’il venait de prendre. Quand le sommeil l’assaillait irrésistiblement, il prenait une poignée de neige et s’en frottait vigoureusement la figure pour le chasser et persévérait à moudre le maïs. Cependant, les autres, se disant exténués, déclarèrent préférer se reposer plutôt que de manger et ne voulurent pas se joindre à lui. Pendant que Ma Tong Hui tournait la lourde meule à lui seul, ils restèrent donc couchés sans rien faire; et quand Ma Tong Hui eut achevé de moudre le maïs, ceux-ci, se sentant en faute, s’inquiétèrent pour savoir comment le récompenser de la peine qu’il s’était donnée. A l’époque, on rencontrait de temps en temps, parmi les nouvelles recrues, de tels écervelés, de tels étourdis qui ne savaient guère se conduire comme il fallait. Etonné plutôt qu’indigné à les voir agir ainsi, Ma Tong Hui leur fit des observations sévères.
Et à mon retour au camp secret, il me relata la chose: «Voilà quelle espèce de gens ils sont, dépourvus de camaraderie et de sensibilité. Comment pourrait-on faire la révolution avec de pareils individus?» En le voyant se désoler ainsi, je lui dis: «S’ils ont agi ainsi, c’est parce qu’ils n’ont pas encore acquis la formation nécessaire à travers leurs activités militantes. Mais on pourra sûrement faire d’eux de braves combattants, moyennant un bon effort d’éducation. » En effet, ils devinrent plus tard de braves partisans, durs au labeur et intrépides au combat.
En peu de temps après son enrôlement, Ma Tong Hui était arrivé à figurer parmi les combattants les plus appréciés. Il avait accompli admirablement sa tâche de reconnaissance dans la ville de Pochonbo. Et en guise de compliments pour l’esprit d’abnégation et la bravoure qu’il avait manifestés, je l’avais choisi comme délégué des combattants de l’ARPC pour recevoir le fanion de félicitations que nous offrit la délégation de la population lors de la fête conjointe de l’armée et de la population organisée pour célébrer la victoire de Pochonbo.
Comme sa vie ultérieure l’a montré, il était à tous égards un partisan digne de représenter les combattants de l’ARPC. Il était, pour tout dire, le prototype du communiste.
Il savait mieux que quiconque où se trouvait le Q.G., mais nous fûmes indemnes parce qu’il n’avait pas révélé le secret.
Le lendemain de l’exécution de son fils, Ma Ho Ryong alla à
Celui-ci lança d’un ton sarcastique à Ma Ho Ryong:
«Dis-donc, vieux, qu’as-tu à dire maintenant que tu transportes le corps de ton fils?»
Ma Ho Ryong, qui l’exécrait, voyant en lui un bourreau de ses compatriotes, essuya ses larmes et répliqua d’une voix ferme:
«Mon fils, Tong Hui, a trouvé la mort en se battant pour l’indépendance de la Corée. Ma fille et ma bru ont donné elles aussi leur vie pour la même cause. S’ils sont tombés, ce n’est pas en volant chez des Japs, et je suis fier de ce qu’ont fait mes enfants. »
Ces paroles lui valurent d’être arrêté par la suite; il a expiré dans la prison de Hamhung, où il se battit courageusement contre les bourreaux et est resté immuable dans sa dignité de père de révolutionnaire et dans sa foi de patriote, jusqu’au dernier moment de sa vie.
Jang Jung Ryol était aux antipodes de Ma Tong Hui. Il n’avait pas plus tôt reçu de bastonnade qu’il se mit à parler: il livra tout ce qu’il savait des camps secrets et des réseaux de nos organisations clandestines. Ma Tong Hui est demeuré fidèle à sa foi de révolutionnaire même s’il a dû se couper la langue pour cela, tandis que Jang Jung Ryol s’est parjuré du serment qu’il avait prêté devant la révolution, le rejetant comme une vieille chemise et a opté pour la voie de la trahison ignominieuse. Pourquoi?
Ce dernier ne cédait en rien au premier ni par son niveau d’instruction, ni par ses connaissances, ni par ses capacités. Quant à la durée de service dans l’armée de guérilla, il était l’aîné. Intelligent et sociable, il avait acquis dès les premiers jours de son service, parmi les hommes du rang, la réputation d’«avoir l’étoffe d’un cadre»; le Q.G. l’avait remarqué lui aussi pour ses «qualités qui le rendaient digne d’être cadre». En peu de temps, il s’était élevé au poste de chef du service de la jeunesse de la division, sans passer par les échelons graduels par lesquels devaient passer les autres. Etre chef du service de la jeunesse de la division signifiait être du même rang que Kwon Yong Byok et Kim Phyong quant à la confiance dont il jouissait.
Nous lui avions fait confiance au point de l’élire membre du comité du parti du district de Changbai lors de la constitution de celui-ci. Bref, nous lui avions accordé confiance et sollicitude.
Il avait partagé avec nous le pire comme le meilleur: il avait connu, à nos côtés, ce qu’étaient la faim, le froid et la fatigue du travail sans sommeil. Il avait supporté les épreuves sans geindre, avec un mutisme qu’on croyait stoïque. Mais à peine derrière les barreaux, il avait arboré le drapeau blanc. Ayant enduré tout ce qu’un homme puisse endurer, il n’avait su cependant supporter la torture, qui, immédiatement, avait eu raison de lui, l’amenant à abandonner sa dignité, sa foi et son honneur de révolutionnaire, comme une vieille paire de souliers.
Sa défection me convainquit de la vérité que la conception que l’on se fait de la vie en dehors des grilles diffère de celle qu’on s’en fait derrière elles. Jang Jung Ryol lui aussi avait auparavant une vision communiste du monde, mais, une fois en prison, il avait changé d’idée pour faire sienne celle de Judas. Il avait dégénéré au point de sacrifier les intérêts de la révolution au profit de sa seule vie.
Il avait livré d’importants renseignements à l’ennemi, lui révélant tous les réseaux de nos organisations qu’il connaissait, tous les membres actifs des organisations en contact avec lui à Shanggangqu et à Zhonggangqu dans le district de Changbai, tout ce qu’il savait de la position du Q.G. et des camps secrets de notre armée. Pire encore, il avait conduit les policiers à un lieu de rendez-vous secret à Shijiudaogou pour leur permettre d’arrêter Ji T
Ce dernier aussi retourna sa veste comme Jang Jung Ryol. Il conduisit les policiers au camp secret de Ganbahezi où travaillait l’équipe de couturières de mes troupes et en fit périr tous les membres, dont Kim Yong Gum, la femme de Ma Tong Hui.
Qu’est-ce donc qui a fait tomber Jang Jung Ryol si bas, l’a fait devenir un misérable si abominable? La foi de communiste qu’il avait affichée auparavant n’était qu’un déguisement.
Il avait beaucoup parlé de foi. Mais sa foi, s’il en avait eu, ne valait pas un sou, reposant sur une base trop fragile ou n’ayant pas de base. L’aspect horrible de la salle de supplice et l’air féroce des policiers devaient l’avoir épouvanté: il avait dû prendre peur devant la puissance qu’il croyait invincible du grand empire nippon et s’abandonner à un lâche scepticisme. A ses yeux, ce n’était donc qu’une utopie, qu’une chimère que de vouloir démolir cet empire par la révolution antijaponaise.
Alors, qu’est-ce que la foi pourvue d’une solide base? C’est la croyance absolue qu’on a en son idéal, pour lequel on est décidé à tout braver, quitte à tomber de faim, de froid ou dans les supplices. La conviction de la justesse de la cause au nom de laquelle on lutte, celle de la force de la classe dont on fait partie et de celle de son peuple, c’est la détermination d’achever la révolution en écartant les difficultés rencontrées, par ses propres moyens. Or, Jang Jung Ryol n’avait pas cette résolution; il n’était pas prêt à rester fidèle à la cause, quitte à tomber au cours des supplices. Au lieu de s’attacher à défendre les intérêts de la révolution, même au prix de sa vie, il n’avait pensé qu’à sauver sa vie aux dépens de la révolution.
Mais, s’il avait sauvé sa vie misérable au détriment de la révolution, il avait à jamais perdu son intégrité politique, beaucoup plus précieuse que la vie physique. Voilà bien pourquoi les gens se souviennent toujours de Ma Tong Hui, et non de Jang Jung Ryol.
Les destins différents de ces deux hommes, aux antipodes l’un de l’autre, me font penser aussi à Kim Hyok et à Jang So Bong. Ceux-ci aussi étaient partis à la même heure, du même endroit, par la même route, pour se rallier à la révolution, mais ils arrivèrent à des destinations très différentes, aussi éloignées l’une de l’autre que le sont les pôles Nord et Sud. Les immenses distances qui les ont séparés provenaient des différences de qualité de leur foi et de leur volonté.
Si Kim Hyok était loyal dans ses activités militantes et révolutionnaires, Jang So Bong, d’un esprit lucide, était porté plutôt à la théorie qu’à la pratique et toujours gonflé d’amour-propre. Kim Hyok, qui en avait vu de rudes, ne craignait pas la vie dure ni aucune autre épreuve, tandis que Jang So Bong répugnait aux tâches demandant de l’endurance physique. Si le premier était un homme de feu, plein de fougue, le second était un homme de froid calcul. Les jours d’averse, il retroussait les jambes de son pantalon et cherchait où poser ses pieds pour ne pas salir ses souliers dans la fange.
Quand nous nous déplacions pour militer à Kalun et à Guyushu, mes camarades reconnaissaient le talent de Kim Hyok, mais ils ne se doutaient pas qu’il jouerait plus tard un rôle important dans la révolution. Homme de cabinet, écrivant des vers et de la musique, que pourrait-il faire pour la révolution? Voilà ce qu’ils pensaient de lui, leur parti étant pris d’avance.
A l’époque, pour peu qu’on circulât dans la rue, avec une guitare sous le bras, on passait pour un chanteur de rue, et rien d’étonnant à ce que les gens non avertis aient considéré Kim Hyok comme tel.
Par contre, tous estimaient Jang So Bong et lui prédisaient un avenir brillant. En effet, c’était un homme remarquable, bien qu’il ait trahi notre cause. Il avait publié beaucoup d’écrits sous un pseudonyme. Il était le correspondant le plus fécond de notre revue Le Bolchevik. Théoricien et propagandiste réputé, il ne le cédait guère à Cha Kwang Su. Il était si ferré en théorie qu’il acculait au pied du mur dans les polémiques Kim Chan, chef du fameux groupe Hwayo. Nous logeâmes chez lui lors de la Conférence de Kalun.
Mes camarades et moi étions loin de nous imaginer qu’à quelques années de là il signerait son acte de reddition dans une maison d’arrêt, pour devenir c
Ainsi, l’âge politique d’un homme, outre son âge physique, dépend de la présence et de la fermeté de la foi chez lui. Une foi immuable, une grande force de volonté, voilà ce qui fait la longévité politique: celui qui se parjure trouve, sur le plan politique, une mort prématurée et n’a qu’une vie courte.
C’était bien le cas de Rim Su San qui avait un temps servi de chef d’état-major dans le corps principal de notre armée, mais qui, par la suite, avait tourné casaque. Dans sa trahison, il était allé beaucoup plus loin que Ri Jong Rak et Jang So Bong. Il devint chef d’une troupe «punitive» et se démena follement pour donner la chasse à ses anciens compagnons d’armes, à ceux-là mêmes qui avaient combattu avec lui dans une même tranchée. L’ennemi s’est servi un temps de lui comme laquais, puis l’a abandonné, ne le trouvant plus d’aucune utilité. Par la suite, celui-ci se mit à vendre de l’alcool en se déplaçant ici et là avec une charrette. De chef d’état-major de division devenir marchand d’alcool, voilà ce que le destin a réservé à celui qui s’est départi de ses convictions.
Après la Libération, il se rendait d’Antu (Chine—NDLR) à
Reconnaissant les partisans qui avaient jadis combattu sous ses ordres, il dut se sentir très embarrassé. Toutefois, il eut le toupet de leur dire: «Vous voilà vous aussi sortis du maquis. Et le Général
Kim Il Sung est-il encore dans la montagne? Pourquoi ne l’avez-vous pas amené avec vous? Vous auriez mieux fait de descendre avec lui.» Nos combattants, dont Ryu Kyong Su et Ri Tu Ik, mobilisés pour ladite opération étant en uniformes japonais, il les avait pris pour des transfuges comme lui. Désintéressé de tout ce qui se passait dans le monde, il ne savait même pas, m’a-t-on dit plus tard, que le Japon avait été vaincu. Voilà ce qu’il était devenu, après avoir abandonné sa foi et ses convictions.
Ceux qui, les armes à la main, ont suivi avec nous la voie épineuse de la révolution antijaponaise étaient, dans leur majorité écrasante, des combattants inflexibles, dotés d’une foi inébranlable et d’une grande force de volonté; ils sont restés fidèles à leurs convictions de révolutionnaires et ont gardé intacte dans l’adversité leur foi en la libération de leur patrie. Nombre de nos compagnons d’armes et de nos combattants, avant d’expirer sur le sol étranger, ont crié à leurs camarades: «Ayez foi en l’avenir — Le communisme est la jeunesse de l’humanité!» Seuls ceux qui se sentent forts et possèdent des convictions inébranlables peuvent finir leurs jours d’une façon aussi sublime. Sans cette foi à toute épreuve, les combattants de notre Armée de guérilla antijaponaise n’auraient pas supporté le froid âpre de la Mandchourie ni la grande faim.
Toutes les fois qu’il est question de la foi et de la volonté du révolutionnaire, je cite en exemple des hommes comme Ryu Kyong Su. Celui-ci tirait sa foi des idées de son leader et a marché toute sa vie sur une voie droite, restant fidèle à ses convictions. Il était un modèle à suivre pour tous.
Ce fut en septembre 1933, peu après notre bataille du chef-lieu du district de Dongning, que je le vis pour la première fois. De retour à Xiaowangqing après cette bataille, mes hommes se reposaient sur mes ordres, lorsque les hommes de Yanji commandés par C
Il regrettait beaucoup d’être arrivé trop tard pour participer à la bataille de Dongning par la faute de l’agent de liaison. Il déchargea sa bile sur C
«Camarade chef de compagnie, on ne peut pas retourner sans rien faire d’autre que d’avoir consommé des vivres de nos camarades de Xiaowangqing. Opérons un coup de main contre n’importe quel point avec le Commandant Kim, je vous en prie. »
Ces brèves paroles suffisaient à montrer son audace. Il avait alors 18 ans; il était dans les rangs des révolutionnaires depuis ses 16 ans.
«Commandant Kim, c’est un brave combattant que ce Sam Son, bien qu’encore trop jeune. Il n’a pas froid aux yeux. »
Sam Son était son vrai nom.
Telle était en somme l’opinion que C
La vie de ce jeune combattant de 18 ans reflétait la triste physionomie du pays plongé alors dans les ténèbres opaques que ni les rayons du soleil ni ceux de la lune ne perçaient. Et voici quelques points notables de son passé: domestique dès sa tendre enfance; participation à la révolte Chunhwang à l’âge de dix et quelques ans, puis arrestation par les autorités militaires chinoises et détention dans la prison de Longjing où il avait connu la bastonnade. Dans la région de Jiandao, on comptait beaucoup de révolutionnaires, mais peu étaient passés par la prison à un âge aussi jeune et subi les tortures à l’eau et à la poudre de piment. Or, le jeune Ryu Kyong Su n’avait pas cédé à ces épreuves, à la différence de gens comme Jang Jung Ryol et Ri Jong Rak. Quand je lui eus pris la main sans y faire autrement attention, je fus étonné, car, couverte de callosités, elle était dure comme une plaque de métal.
Je ne pus m’empêcher d’éprouver de la compassion envers lui, au récit de ses études primaires faites «en glaneur». On veut dire par là les études que l’on fait de mémoire en écoutant les autres en classe épeler les mots, en les voyant tracer les bâtons. En rentrant du marché où il allait vendre du bois de chauffage, il passait à une école privée. Là, il s’asseyait à croupeton sous une fenêtre et s’employait à écrire, à même la terre avec une brindille, ce qu’écrivait l’instituteur sur le tableau noir. Ce faisant, il avait appris l’alphabet et la table de multiplication.
Toute l’école finit par apprendre l’apparition d’un écolier-glaneur, dont elle prit pitié. Touché par sa soif ardente de savoir, le maître Kwak Chan Yong (alias Kwak Ji San) le fit admettre à l’école et se chargea même de payer ses frais d’études. Si le petit bûcheron qui avait décidé de faire ses études en glaneur était d’un courage peu commun, l’instituteur qui avait fait admettre un enfant inconnu à son école en se chargeant de payer ses études était d’une rare générosité.
Or, pour des raisons de famille, Ryu Kyong Su n’avait pu terminer ses études. Il dut les interrompre pour aller travailler comme domestique chez un gros propriétaire foncier. Son départ fut un grand choc pour son maître: il ne tarda pas à quitter l’école à son tour pour aller se mêler aux ouvriers et aux paysans dont il éveilla la conscience révolutionnaire; plus tard, il s’engagea dans l’Armée de guérilla antijaponaise où il devint officier.
Ryu Kyong Su, pendant sa vie de domestique, n’avait cessé de bénéficier de la direction de son ancien maître qui lui portait une attention et une affection particulières. Or, ce maître fut accusé injustement d’être du Minsaengdan et traduit devant le tribunal. Les gauchistes à tendance chauvine l’avaient destitué sans raison valable de son poste de chef de compagnie et le tenaient sous une surveillance étroite.
Le jour où il fut amené devant le tribunal public, Ryu Kyong Su se porta garant de son innocence sur sa vie. C’était un geste d’un courage extrême, digne d’être admiré par tous. Le nom de Ryu Kyong Su, lui-même, figurait sur la liste de ceux qui étaient soupçonnés d’appartenir au Minsaengdan. Qu’un suspect prenne le parti d’un autre, accusé d’appartenance au Minsaengdan, ou lui témoigne de la sympat
Le geste de courage de Ryu Kyong Su était l’expression suprême du sentiment du devoir qu’un disciple puisse témoigner envers son maître. N’ayant pas oublié les bienfaits de son maître, il avait fait tout son possible pour lui rendre ce qu’il lui devait.
S’il avait su rester aussi fidèle à son devoir de disciple, c’est parce qu’il avait des convictions inébranlables. Celui qui a une foi inébranlable peut observer strictement les consignes de la morale et remplir comme il faut ses obligations envers les autres. Un révolutionnaire doit savoir défendre la justice contre l’injustice, dire la vérité et être prêt à donner sa vie pour le bien de ses camarades et du peuple, s’il veut s’acquitter de ses devoirs envers eux, voilà le credo qui était le sien dans la vie.
Il avait déclaré:
«Ceux que les gauchistes à tendance chauvine et les fractionnistes xénophiles inculpent d’appartenir au Minsaengdan sont innocents. C’est un forfait monstrueux que d’exécuter des hommes qui se dévouent pour la révolution, en les accusant sans preuve valable d’être du Minsaengdan.» Convaincu que tout s’arrangerait tôt ou tard, bien que maintenant la campagne contre le Minsaengdan, menée de façon ultragauchiste, provoquât une grande confusion dans les rangs des révolutionnaires, Ryu Kyong Su avait pris fermement la défense des révolutionnaires loyaux et des habitants à l’esprit patriotique, faussement accusés d’être du Minsaengdan.
La nouvelle de son acte intrépide pour sauver son ancien maître avait eu un vif impact parmi les révolutionnaires et la population de Mandchourie de l’Est. Moi aussi, ayant appris cette nouvelle à Dahuangwai, avais évoqué, avec émotion, ma rencontre avec lui à Xiaowangqing.
Lorsque, à Macun, je reconduisais mes compagnons d’armes de la troupe de Yanji, je dis en plaisantant à C
«Sam Son est un brave combattant que tout homme aurait envie de garder auprès de lui. Ne voudriez-vous pas me le céder en souvenir de notre rencontre?
—Maintenant, non, répliqua C
Ce fut donc après la Conférence de Xiao
Cependant, celui-ci l’avait pris comme un compliment insigne, comme un prix de ma part, et s’était déterminé à s’en remettre en tout à nous pour se consacrer corps et âme à la révolution.
Je ne peux oublier aujourd’hui encore ce qui nous était arrivé lorsque nous avancions vers Qianbaoshan après avoir terminé victorieusement nos opérations dans la région de Musan.
L’ennemi, qui nous avait découverts, avait concentré ses troupes «punitives» à Qianbaoshan et dans ses environs et comptait engager des opérations de ratissage d’envergure contre notre armée. Et C
Pourtant, C
L’unité de C
Grâce à ces efforts de l’unité de C
Aux dires de celui-ci, les combattants de la 4e division avaient alors beaucoup regretté de ne pouvoir nous rencontrer.
Ryu Kyong Su a toujours témoigné un vif sentiment du devoir envers nous, sentiment d’une vivacité et d’une profondeur insondables. J’ai eu l’occasion d’en bien connaître la noblesse et la sincérité, à l’époque de nos opérations par petites unités.
Les qualités de révolutionnaire de Ryu Kyong Su se manifestaient de façon condensée dans la grande application qu’il mettait à exécuter ponctuellement les ordres de son Commandant. Il n’aimait pas dire des mots grandiloquents quand il jurait de les exécuter, mais il tenait sans faute sa parole et son serment. N’est-ce pas là une qualité à apprécier avant toutes autres?
«Nous n’avons que le camarade Commandant à qui nous en remettre. Nous devons le soutenir de toutes nos forces et veiller attentivement à sa sécurité si nous voulons libérer le pays et façonner le destin de chacun de nous. Nous sortirons vainqueurs si nous suivons strictement et ponctuellement ses volontés. »
Telles étaient sa foi et ses convictions. C’est grâce à cette foi et à ces convictions qu’il put exécuter impeccablement tous mes ordres et toutes mes directives, quelque difficiles que fussent les circonstances.
Au début du printemps 1941, je quittai, avec la compagnie de Ryu Kyong Su, notre base d’entraînement dans la région extrême-orientale de l’Union soviétique pour me rendre dans la région du mont Paektu, en vue de diriger les opérations de nos petites unités en Mandchourie et en Corée. Et Ryu Kyong Su et ses hommes m’aidèrent alors beaucoup dans mon travail.
J’avais fait établir le Q.G. à Hanconggu, puis avais envoyé de petits groupes de mes combattants dans différentes régions. Sur mes ordres, Ryu Kyong Su avait alors accompli plusieurs missions de liaison. Et chaque fois qu’il quittait le Q.G., il avait remis les provisions de son groupe à mes gardes du corps en leur demandant de les offrir au Général. Et plus d’une fois, il avait engagé des combats de diversion afin de détourner l’attention de l’ennemi et de conjurer le danger qui allait s’abattre sur nous.
A Hanconggu, un jour, je le chargeai d’aller communiquer avec Wei Zhengmin à un rendez-vous à Laojinchang dans le district de Huadian.
C’était une mission périlleuse, car il devait traverser plusieurs dizaines de postes de garde ennemis et autant de zones de blocus. Aussi le Commandement avait-il voulu lui adjoindre une dizaine de ses combattants, mais celui-ci, soucieux de la sécurité du Q.G., n’en prit que deux avec lui et, d’un sac de riz que j’avais fait destiner à son groupe de trois personnes, il ne prit que cinq ou six mesures, remettant subrepticement le reste à Jon Mun Sop.
Quand il revint à Hanconggu après sa mission, il trouva l’endroit de notre campement ponctué de feux de bivouac des troupes «punitives» ennemies. Là où s’était trouvée la tente du Q.G. brûlaient maintenant plusieurs feux de camp de l’ennemi. Il ne restait que peu de temps avant l’heure de retour que je lui avais fixée. Les deux autres, encore jeunes, se mirent à pleurer, inquiets pour ma sécurité. En effet, au spectacle des feux de bivouac qui couvraient presque toute la contrée, personne n’eût pu croire que le Commandement fût sain et sauf.
Cependant, Ryu Kyong Su ne céda pas au désespoir et chercha à réconforter les autres: «Il ne nous reste qu’une demi-heure, et, pendant ce temps, nous devons arriver là, près de ces feux de bivouac puisque c’était là que se trouvait le Q.G. Autrement, nous transgresserions les ordres du camarade Commandant. Même au milieu de ce danger, il nous attendra sûrement, nous trois, jusqu’à la dernière minute.» Puis, après leur avoir dit de l’attendre au sommet de la colline, il rampa vers l’emplacement du Q.G. et rencontra le partisan que nous avions laissé là pour les attendre: j’étais sûr que Ryu Kyong Su ne manquerait pas de me chercher là une fois sa mission accomplie, tandis qu’il était, lui, convaincu que son Commandant attendrait sans faute à l’endroit même du départ de ses hommes qui devaient revenir après avoir accompli leur mission; ainsi, ce que le Commandant et le combattant avaient pensé et jugé avait parfaitement coïncidé.
Cette volonté qu’il avait d’exécuter mes ordres le plus ponctuellement possible, à la date, à l’heure et à l’endroit fixés, provenait de sa ferme conviction que son Commandant n’abandon-nerait jamais ses hommes même dans l’adversité et de son profond sentiment du devoir envers lui; de là sa ferme détermination de braver toute épreuve et de consentir tout sacrifice pour mériter la confiance et la sollicitude du Commandant.
C’est toujours animé de cette conviction et de ce sentiment du devoir qu’après la libération du pays il a beaucoup contribué à organiser la garde du chemin de fer, puis les unités de chars de combat, et à exécuter les intentions opérationnelles du Commandement suprême, aux différentes étapes de la guerre.
Ainsi, je dis souvent aujourd’hui encore aux responsables du ministère des Forces armées populaires: «Tant qu’à former les militaires, il faut former des combattants inflexibles et loyaux qui ne plieront pas et resteront immuables dans leur foi et leur volonté, dans l’adversité et même si la situation évolue défavorablement. »
Quand la révolution progresse victorieusement et que la situation tourne à son avantage, il n’apparaît pas d’hésitants ni de traîtres, mais, quand des événements complexes surviennent dans le pays et dans le monde et que la révolution se heurte à des difficultés sérieuses, il se produit une confusion idéologique, et des transfuges et des traînards apparaissent dans les rangs des révolutionnaires, portant un préjudice grave à la cause de la révolution. C’est une vérité confirmée par l’expérience historique.
L’occupation de la Mandchourie par le Japon impérialiste, son attaque contre la Chine propre et autres événements bouleversants survenus dans le monde furent autant de facteurs qui donnèrent un vif impact politique à tous et provoquèrent une grande confusion idéologique dans la lutte de libération nationale et dans le mouvement communiste.
Après les Evénements du 18 Septembre, les communistes authentiques avaient estimé qu’une étape historique était venue, propice à la généralisation de la lutte armée contre l’impérialisme japonais, et avaient imprimé un nouvel essor à la Révolution coréenne, tandis qu’un certain nombre de nationalistes et de partisans du mouvement communiste dont la volonté révolutionnaire était faible en avaient conclu qu’on ne pourrait vaincre l’impérialisme japonais, désormais maître de la Mandchourie, et avaient abandonné la lutte.
C’est également ce qui s’est passé lors de l’agression japonaise contre la Chine propre.
Nous avions alors estimé que cette agression d’envergure ne pourrait pas ne pas créer des conditions favorables à l’extension de notre lutte armée contre les Japonais en Chine du Nord-Est dans la mesure où elle en viendrait inévitablement à disperser, à épuiser les forces du Japon. Certes, ce n’était pas que nous ne fussions pas conscients des difficultés politiques et militaires qui s’ensuivraient ou que nous les sous-estimassions. Nous faisions plus grand cas de ce qui était profitable pour nous, et nous nous efforcions de faire tourner à notre avantage ce qui pourrait nous contrarier dans les tourbillons des événements bouleversants. Ce qui compte le plus chez un révolutionnaire, ce sont la volonté de combat inflexible et la foi immuable car elles lui permettent de vaincre les difficultés rencontrées.
Cependant, à cette époque-là également, les éléments hésitants glissés dans les rangs de la résistance contre les Japonais et ceux qui n’y étaient que des compagnons de route temporaires furent saisis d’un grand désarroi. Ils avaient jugé, en voyant le Japon impérialiste attaquer la Chine propre et s’emparer des trois points stratégiques de Wuhan, que la balance avait penché désormais sans retour et qu’aucune force au monde ne pourrait rétablir la situation. Ce trouble idéologique les avait fait sombrer dans le défaitisme qui a engendré nombre de déserteurs, de lâches et de renégats.
Entre-temps, les impérialistes japonais qui avaient occupé la plus grande partie du territoire de la Chine s’étaient mis, d’une part, à préparer leur guerre du Pacifique21 et, de l’autre, à lancer sans répit des opérations «punitives» d’envergure en vue d’en finir une fois pour toutes avec la résistance à laquelle ils se heurtaient en Mandchourie. Par conséquent, la plupart des troupes chinoises qui opéraient énergique-ment contre les Japonais en Mandchourie du Nord et du Sud furent anéanties, et les troupes de Yang Jingyu de Mandchourie du Sud subirent elles aussi des revers désastreux lors de l’expédition de Rehe.
L’échec de cette expédition avait mis en difficulté de nombreuses unités de l’Armée antijaponaise unifiée du Nord-Est, et de nombreux transfuges et déserteurs furent signalés parmi les Chinois également.
La première armée, sous le commandement de Yang Jingyu, était tombée dans un encerclement d’envergure ennemi dès le début de sa seconde expédition de Rehe en été 1938 et traversait des moments difficiles. L’ennemi déployait, à côté de son offensive militaire, une campagne d’incitation à la reddition, de façon tapageuse et obstinée, à l’adresse des combattants de l’Armée de guérilla antijaponaise. L’«ordre» de l’empereur du Mandchoukouo qui avait dit de ne pas punir ceux qui se rendraient, mais de les traiter à l’égal des transfuges, tentait les dégénérés, les lâches, ceux qui manquaient de volonté dans les rangs des révolutionnaires. L’ennemi s’acharnait toujours dans ses opérations «punitives» contre les troupes antijaponaises et intensifiait ses manœuvres pour «séparer les bandits de la population», c’est-à-dire cherchait à séparer les troupes de partisans du peuple. L’armée révolutionnaire se trouvait donc coupée de la population, ne pouvant plus bénéficier de son soutien dont elle avait grand besoin. Les troupes de l’Armée antijaponaise unifiée qui avaient quitté leur base de guérilla si chère et si familière à elles, pour s’embarquer dans une expédition téméraire dans la région de Rehe, inconnue pour elles, étaient exténuées, obligées de faire front, sans même pouvoir faire appel à l’aide de la population, aux opérations «punitives» incessantes de l’ennemi.
A ce moment de rudes épreuves, Cheng Bin, commandant de la première division de la première armée, bras droit de Yang Jingyu et réputé comme général intrépide de la résistance contre les Japonais en Mandchourie du Sud, passa à l’ennemi à la tête de ses troupes à Benxi, dans la province du Liaoning, après avoir abattu d’un coup de pistolet son commissaire politique qui s’opposait à la reddition. Sa trahison suscita de graves difficultés à la première armée. Ce fut un dur coup pour elle: Cheng Bin connaissait trop de choses sur la première armée, il savait comment opéraient ses commandants, il connaissait le numéro matricule de chacune de ses unités, la position de ses camps secrets, etc. Cette défection fit avorter le plan d’expédition de l’Ouest de la première armée.
Cheng Bin se fit par la suite laquais de Kishitani, chef de la préfecture de police de la province de Tonghua, et fît du zèle dans l’opération engagée pour prendre ou assassiner Yang Jingyu. Celui-ci, général renommé de la résistance contre les Japonais, réputé pour sa bravoure dans toute la Mandchourie du Sud, tomba, à notre vif regret, dans un combat contre la troupe «punitive» ennemie qu’avait amenée Cheng Bin. Lorsque Kishitani fut nommé chef adjoint de la province de Rehe, il le suivit et commanda une troupe «punitive» de la police appelée «troupe unie de Rehe» qu’il avait organisée lui-même.
Comme le cas de Cheng Bin et celui de Jon Kwang le montrent, la défection de ceux qui occupent des postes de responsabilité s’avère beaucoup plus pernicieuse et plus désastreuse que celle des autres. Quand nous avions reçu la nouvelle de sa reddition, nous avions du mal à croire que c’était vrai, car il n’avait aucun motif de changer son fusil d’épaule. Avait-il l’ambition de faire carrière? Non. Qu’est-ce qui alors l’avait poussé à commettre cette lâcheté abominable? C’est, à mon avis, l’absence de foi en la victoire de la révolution. Il avait dû prendre peur devant l’élan impétueux de l’armée japonaise qui allait de succès en succès depuis les Evénements du 7 Juillet et avait dû commencer à désespérer de l’issue de la révolution. A quoi bon s’épuiser à endurer mille souffrances au nom de cette révolution dont l’issue était si lointaine et si incertaine? Ne vaudrait-il pas mieux m’assurer une vie confortable, quitte à me voir montré du doigt et appelé traître? Voilà le mobile idéologique qui l’a sans doute poussé à tourner casaque.
Réputé pour sa bravoure, il ne s’était pas efforcé, pensé-je, d’améliorer sa formation idéologique. Ce que j’entends par formation idéologique, c’est l’effort de formation de la foi et de l’esprit optimiste. Celui qui néglige cela ne peut qu’hésiter et ployer devant les épreuves. C’est bien pourquoi je préconise aujourd’hui encore de privilégier la formation idéologique.
Le maître de Cheng Bin, Kishitani, se suicida avec sa famille après la défaite du Japon. Mais son laquais, Cheng Bin, pour conserver sa vie misérable, assassina nombre de prisonniers japonais et, sous une fausse identité, s’enrôla dans la 8e armée de route où il devint officier.
Pourtant, sa chance ne pouvait durer. Bien qu’il fît tout son possible pour se déguiser en patriote, il ne put dissimuler longtemps son vrai visage de traître. Un an après la Libération, il passait dans une rue de Shenyang avec un parapluie pour se protéger de la pluie, lorsqu’un homme vint se placer à ses côtés sous son parapluie. C’était un autre traître qui vivait comme Cheng Bin sous une fausse identité. L’homme connaissait bien ce que valait Cheng Bin. Poussés par on ne sait quel motif, ils allèrent se dénoncer l’un l’autre aux autorités, et Cheng Bin fut démasqué dans son vrai visage de transfuge. Le tribunal populaire rendit un verdict mérité à ce misérable qui, ayant renié sa foi, avait eu la lâcheté de se jeter dans les bras de l’ennemi, pour causer un grand tort à la révolution.
La fin de cet odieux individu montre de façon éloquente ce qui attend ceux qui se parjurent et trahissent leurs camarades.
Après la débâcle des troupes de Yang Jingyu, l’ennemi avait tourné la pointe de ses opérations «punitives» contre nous. Il nous entourait et fonçait furieusement sur nous de tous côtés, pensant qu’une fois les troupes de Kim Il Sung anéanties c’en serait fait de la résistance à laquelle il se heurtait en Mandchourie et en Corée. Des difficultés redoutables étaient dressées devant nous, et des lâches et des transfuges commencèrent à apparaître même parmi ceux qui avaient combattu à nos côtés depuis l’époque de l’Union pour abattre l’impérialisme. Fang Zhensheng, Pak Tuk Bom et autres com-mandants de l’Armée antijaponaise unifiée du Nord-Est retournèrent leur veste.
Lorsque l’Union soviétique et le Japon eurent signé le pacte de neutralité, nous eûmes des déserteurs dans nos troupes également. Nombre de nos combattants mettaient leurs espoirs en l’Union soviétique, prisonniers d’un esprit de dépendance à son égard, soit de la servilité devant les grandes puissances, selon l’expression utilisée de nos jours. C’est parce que bien des commandants avaient insisté outre mesure sur la nécessité de défendre ce pays, de tout lui soumettre et de le placer au tout premier plan en négligeant d’éveiller l’esprit d’indépendance nationale, au point qu’on en était venu à croire que tout irait bien si l’on prenait appui sur ce pays puissant. Sans son soutien et son aide, il n’était pas question de réaliser l’indépendance de la Corée.
Jamais je n’ai ressenti de façon plus saisissante et plus douloureuse la vérité que le sens de l’indépendance nationale constitue un des facteurs majeurs qui décident de la fermeté des convictions du révolutionnaire. De ceux qui avaient nettement pris conscience de la nécessité d’accomplir la révolution en s’appuyant sur les forces du peuple, qui possédaient un sens aigu de l’indépendance nationale, nul n’avait déserté ni passé à l’ennemi. Par contre, nombre de ceux qui avaient tenté d’améliorer le destin de la patrie et de la nation avec l’appui d’un grand pays, qui avaient refusé de compter sur leurs propres forces et celles de leur peuple, avaient abandonné à mi-chemin le combat ou s’étaient rendus à l’ennemi.
Celui qui ne croit pas en la force de son peuple en vient forcément à sombrer dans le défaitisme dans une situation difficile, et le défaitisme enlève la foi en la victoire de la révolution et conduit à déserter, à abandonner le combat à mi-chemin.
Les gens de cette espèce estiment que la révolution dans leur pays échoue à jamais quand la révolution dans d’autres pays, plus grands que le leur, traverse des moments difficiles. La révolution a un caractère international, et les communistes accordent un grand prix à leur solidarité avec les forces anti-impérialistes internationales; aussi est-il naturel que les communistes d’un pays expriment des regrets lors des échecs subis par leurs homologues d’autres pays et partagent leur affliction. Certes, l’échec de la révolution dans un grand pays peut avoir certaine retombée sur la révolution dans d’autres pays. Mais c’est une grave erreur que d’estimer la révolution de son pays ruinée parce que celle d’autres pays plus grands a connu des échecs, qui d’ailleurs ne sont que temporaires, et que d’en venir à abaisser le drapeau de la révolution dans son pays.
La révolution a un caractère national avant d’avoir un caractère international. Elle a pour cadre l’Etat-nation. Aussi les communistes, dans chaque pays, parviendront-ils à s’emparer de n’importe quel rempart, s’ils luttent opiniâtrement, avec la ferme volonté d’accomplir la révolution par leurs propres moyens et en s’appuyant sur les forces du peuple de leur pays. Voilà ce que je soutiens depuis toujours. C’est une vérité irréfutable.
Ceux qui avaient rejoint les rangs des forces armées en considérant la révolution comme une tâche de tout repos, ceux qui n’avaient pas de foi ni de force de volonté, ceux qui, prisonniers de leurs habitudes de fractionnistes, méprisaient ou mettaient en quarantaine les autres, ceux qui se laissaient facilement aller au désespoir pour sombrer dans le défaitisme, ont tous sans exception dévié et dégringolé dans la voie de la trahison quand la situation s’est aggravée au-dedans comme au-dehors et que la révolution s’est heurtée à de graves difficultés.
Après la défection de certains de nos hommes, dont Rim Su San, j’avais dit souvent à mes compagnons d’armes:
«La situation ne cesse de s’aggraver, et notre combat devient toujours plus pénible. Certes, nous sommes tous convaincus que notre cause révolutionnaire ne manquera pas d’aboutir, que notre pays sera indépendant, mais personne ne sait quand ce sera. Vous êtes donc libres de retourner chez vous, si vous n’êtes pas assez sûrs de vous pour nous suivre jusqu’au bout. C’est de la lâcheté que de déserter, mais il n’y a rien à redire si l’on retourne chez soi après l’avoir annoncé. Ce serait manquer de civilité de nous quitter sans nous dire adieu, nous qui avons combattu côte à côte pendant plus de 10 années pour la révolution. Nous allons laisser partir ceux qui désirent rentrer chez eux. Jamais nous ne leur demanderons de comptes ni ne les accuserons d’avoir abandonné le combat à mi-chemin. Pourquoi blâmer ceux qui quittent nos rangs par manque de force et de convictions? Tous ceux qui veulent partir peuvent le faire. »
Ainsi, sans détour, je leur avais dit la vérité de façon toute crue et avais tâché de les amener à se raffermir dans leur foi en la victoire de la révolution.
Bien que j’eusse parlé ainsi ouvertement, aucun d’entre eux n’avait quitté ses compagnons d’armes pour aller retrouver le confort chez lui. Les véritables communistes coréens ont poursuivi avec ténacité leur résistance, toujours immuables dans leur foi, quelque complexe que fût la situation, quelques redoutables que fussent les obstacles dressés sur leur chemin, pour écraser finalement l’impérialisme japonais et accomplir admirablement la grande œuvre de libération de leur patrie.
Nous avions subi des revers graves dans 1’«affaire de
A l’exemple des héros enfantés par la guerre contre les Japonais, aujourd’hui, les hommes forts, dotés d’une volonté à toute épreuve, se multiplient aux différents postes du pays qui exigent une grande endurance. La grande lutte révolutionnaire qui se poursuit à l’époque de Kim Jong II est une pépinière d’hommes forts du point de vue de la foi et de la volonté. Le cas de Ri In Mo, considéré comme l’incarnation de la foi et de la volonté par le camarade Kim Jong II, nous en dit bien long. Actuellement, tous les membres de notre Parti et tous les travailleurs du pays en général déploient, en s’inspirant des instructions du camarade Kim Jong II, un mouvement énergique visant à s’inspirer de l’exemple de Ri In Mo, et je l’apprécie, car c’est une bonne entreprise.
Les années 1990 sont celles de la foi et de la volonté; celles-ci ont aujourd’hui un plus grand prix que l’or. Notre époque exige que tout le peuple s’attache à cultiver en lui la foi et la volonté, mais bien plus encore, que l’Etat et le Parti gardent une foi inébranlable en le socialisme et en le communisme et avancent en écartant courageusement les difficultés, fermement déterminés à défendre nos convictions et notre système social contre la politique de blocus téméraire des forces impérialistes coalisées et leur offensive idéologique réactionnaire.
Pour avoir abandonné la foi que leurs aînés révolutionnaires avaient défendue au prix de leur sang, et détruit le socialisme, fruit de cette foi, la population mène dans bien des pays une vie misérable, et toutes sortes de maux sociaux, de perversités et de dépravations y règnent. L’histoire exige à juste titre de ceux qui ont renié leurs convictions qu’ils paient leur dû.
Si notre pays ne cesse de gagner en puissance, sans nullement broncher sous aucun vent contraire, c’est parce que notre Parti demeure immuable dans sa foi et que notre peuple reste fidèle à ses convictions. Un parti inébranlable dans sa foi ne dégénère jamais; un Etat ferme dans ses convictions ne tombe pas; un peuple fidèle à ses convictions ne se désagrège jamais.
Si nous avons parcouru jusqu’ici un chemin parsemé d’épreuves, nous pouvons avoir à faire un chemin plus difficile encore à l’avenir.
Mais notre peuple ne le craint pas. Seuls les peuples qui avancent à pas fermes, animés d’une foi solide en leur cause, pourront accueillir la grande époque de l’émancipation de l’humanité tout entière.
NOTES
1. Conférence de Tumen — Conférence tenue à huis alos en octobre 1936 à Tumen en Chine entre Minami, gouverneur général japonais de Corée, et Ueda, chef de l’armée japonaise du Guandong, pour discuter des «mesures à prendre d’urgence» afin de parer à l’avance de l’Armée révolutionnaire populaire coréenne (ARPC) vers la Corée. Elle aboutit à l’adoption de la fameuse «triple politique» consistant à renforcer la garde des frontières, à engager des «opérations punitives» d’envergure contre l’ARPC et à établir des villages de regroupement pour isoler celle-ci de la population. –p.
2. Som — Unité de volume de grain équivalant à 180,39 dm3, soit à environ 144 kg pour le riz. –p.
3. Hong Pom Do (1868-1943) — Chef d’une troupe de francs-tireurs antijaponais et commandant de l’année indépendantiste coréenne. Il organisa en 1907 une troupe de francs-tireurs puis en 1919, dans la région de Jiandao en Chine, une armée indépendantiste coréenne et se battit contre les agresseurs japonais. Il assena un coup mortel aux Japonais, notamment dans les combats de Fengwugu et de Qingshanli en juin et en octobre 1920. Ensuite, il se déplaça dans la région maritime extrême-orientale de l’URSS d’alors pour lutter aux côtés de l’Armée rouge contre les impérialistes japonais et l’armée russe blanche. –p.
4. Coryo — Premier Etat coréen unifié, dont le fondateur est Wang Kon. Cet Etat dura de 918 à 1392). Son nom de Coryo est tiré du nom de Coguryo, premier Etat féodal coréen, pour marquer son affinité avec celui-ci. Sa capitale était Kaegyong (actuelle Kaesong). –p.
5. Coguryo — Premier Etat féodal coréen (de 277 avant notre ère à 668 après notre ère). –p.
6. Kojoson (Corée antique) — Premier Etat esclavagiste coréen fondé par Tangun au début du XXXe siècle avant notre ère. Sa capitale était Pyongyang. Son vrai nom est Joson. On le nomma Kojoson (Corée antique) pour le distinguer de la Corée de la dynastie des Ri (fondée en 1392). –p.
7. «Jeune femme de Jiaohe» — Coréenne d’humble condition qui sauva, au péril de sa vie, le Président Kim Il Sung, alors qu’il était poursuivi par l’ennemi à Jiaohe où il était allé restaurer les organisations révolutionnaires démantelées à la suite de la Révolte du Premier Août en 1930, révolte déclenchée par les fractionnistes suivistes.
Dès lors, elle devint le symbole des femmes risquant leur vie pour sauver les révolutionnaires en danger. –p.
8. Minsaengdan — Organisation d’espionnage et de complot contre-révolutionnaire mise sur pied par l’agresseur impérialiste japonais en février 1932 dans la région de Jiandao. Elle se proposait d’endormir l’esprit antijaponais du peuple coréen, de critiquer les communistes coréens et de saper les rangs des révolutionnaires en semant la zizanie entre le peuple coréen et le peuple chinois. Sa nature contre-révolutionnaire ayant dévoilée dès le début, elle fut dissoute en avril 1932. Les opportunistes de gauche et les fractionnistes, soumis aux grandes puissances dupes des ruses des Japonais, déclenchèrent et poursuivirent pendant trois ans une campagne extrémiste
contre ce fantôme d’organisation, ce qui entraîna des conséquences désastreuses : nombre de révolutionnaires coréens furent exécutés, accusés à tort d’appartenir au Minsaengdan. –p.
9. «Vieux Pyon Trotski» — Pyon Tae U de son vrai nom, un des pionniers de la mise sur pied du village de Wujiaji. Arbitre dans son village, il veilla à préserver les villageois de la contamination de toute idéologie ou doctrine différentes de la sienne. Le Président Kim Il Sung travailla en 1930 dans ce village pour le rallier à la révolution et rééduqua ce vieux, surnommé Pyon Trotski parce qu’il aimait évoquer souvent le nom de ce Soviétique. –p.
10. Conférence de la paix de la Haye — Deuxième conférence de la paix, tenue en juin 1907, à La Haye. Une délégation coréenne dont faisait partie Ri Jun, munie d’un message confidentiel de l’empereur de Corée, alla y représenter son pays pour condamner l’agression japonaise contre la Corée, mais échoua dans ce dessein par suite des manœuvres des impérialistes. Ri Jun, indigné, s’éventra dans la salle de la conférence pour protester par sa mort contre les injustices des impérialistes. –p.
11. Ryo Un Hyong (1886-1947) —Né à Yangphyong, dans la province du Kyonggi. Au début, il lutta en contact avec le «gouvernement provisoire de Shanghai» et le Parti communiste du Coryo, pour l’indépendance de la Corée. Puis, il dirigea à Séoul le journal Josonjungang Ilbo et fut le président du « comité préparatoire pour l’édification de la Corée », puis le président du « front national démocratique de Corée du Sud ». En 1946, il bénéficia d’entrevues avec le Président Kim Il Sung à Pyongyang puis lutta à Séoul pour une politique d’indépendance et la réunification pacifique et indépendante du pays. Il fut assassiné. –p.
12. Corée de Tangun — Tangun fonda au début du XXXe siècle avant notre ère le premier Etat coréen qu’on appelle de nos jours Kosojon (Corée antique) ou Corée de Tangun. –p.
13. Kim Ku (1876-1949) — Né à
14. Nation Paedal — Autre appellation de la nation coréenne. La tribu qui fonda Kojoson (la Corée antique), premier Etat coréen esclavagiste de l’Antiquité, est appelée tribu Pakdal (autrement Paedal). –p.
15. Takagi Takeo (1905—1981) — Japonais, né dans la préfecture de Fukui, au Japon. Journaliste notamment au journal Yomiuri Shimbun. Directeur de l’Association pour les échanges culturels Japon—Corée dès 1972, il fit plusieurs visites en Corée. A partir de souvenirs de participants à la lutte armée antijaponaise, de souvenirs d’anciens militaires et fonctionnaires japonais, de documents secrets des autorités du Japon impérialiste, de même que de faits qu’il avait recueillis ou expérimentés lui-même quand il était envoyé spécial à Changchun du Yomiuri Shimbun, il écrivit plusieurs ouvrages consacrés à la lutte révolutionnaire du Président Kim Il Sung, entre autres Le mont Paektu brûle, Kim Il Sung retourne dans sa patrie. –p.
16. Système de surveillance collective — Un des systèmes fascistes de domination appliqués par l’agresseur japonais dans les années 1930 en Mandchourie en vue de couper les liens entre l’Armée révolutionnaire populaire coréenne et la population. Dans ce système, dix foyers constituent un p
17. Incident de Xian — L’armée du Nord-Est de Zhang Xueliang et celle du Nord-Ouest de Yang Hucheng firent prisonnier Jiang Jieshi (Tchang Kaïchek) le 12 décembre 1936 à Xian pour exiger de lui qu’il s’engageât dans la guerre antijaponaise en collaboration avec les communistes. –p.
18. Sok — mot qui exprime som (voir note 2). –p.
19. Affaire de
Imprimé en République Populaire Démocratique de Corée